Genesis (Manuscrits-Recherche-

Invention)

Les brouillons du « Je t'aime »

Claude Coste

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Coste Claude. Les brouillons du « Je t'aime ». In: Genesis (Manuscrits-Recherche-Invention), numéro 19, 2002. Roland
Barthes. pp. 109-128;

doi : https://doi.org/10.3406/item.2002.1233

https://www.persee.fr/doc/item_1167-5101_2002_num_19_1_1233

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Riassunto
I tratti principali dei Frammenti di un discorso amoroso si trovano già nel seminario che Barthes aveva
dedicato al "discorso amoroso" dal 1974 al 1976 ail' École Pratique des Hautes Études : la
riabilitazione del sentimento, l'organizzazione per figure, l'ordine alfabetico, la presenza del Werther,
tutto è già présente. Che cosa succédé dunque nel passaggio dall'orale alio scritto, dagli appunti per le
lezioni al libro stampato ? Un anno dopo l'altro Barthes rilavora il suo testo, aggiunge, modifica senza
rinunciare a niente. Lavorando sul "supplemento", su ciô che chiama il "lapsus", Barthes giunge
paradossalmente a prendere le distanze dalla psicanalisi. E' proprio quest' abbandono non conflittuale
che ci proponiamo d'analizzare a partire dalla figura centrale del "Je t'aime". Accomiatandosi senza
sparire, la psicanalisi (Freud, Lacan) lascia il posto a molteplici forme di "lapsus" : Nietzsche, la
fenomenologia, la musica... Gli appunti per le lezioni si trasformano a poco a poco in brogliacci, che
permettono di identificare il libro futuro come il "lapsus" del manoscritto.

Resumen
Las caracterfsticas mayores de Fragmentos de un discurso amoroso aparecen ya delineadas en el
seminario que Barthes dedica al Discuso amoroso, de 1974 a 1976, en la École Pratique des Hautes
Études : la rehabilitacion del sentimiento, la organization por figuras, el orden alfabético, la presencia
de Werther, todo queda establecido. Qué implica la transiciôn de lo oral a lo escrito, de las notas de
clase al libro impreso ? Ano tras ano, Barthes retoma su investigation, anade, modifica sin renunciar a
nada. Analizando el "suplemento" -lo que denomina el "lapsus"-, Barthes logra paradojicamente
distanciarse del psicoanâlisis. Es este alejamiento no conflictivo que se intenta estudiar en este
articulo, a partir de la figura central del "Te amo". Retirândose sin desaparecer, el psicoanâlisis cede el
lugar a ciertas formas de "lapsus" : Nietzsche, la fenomenologia, la musica... Las notas de clase se
transforman poco a poco en borradores, que designan al futuro libro como el "lapsus" del manuscrito.

Resumo
As grandes caracterfsticas de Fragments d'un discours amoureux estavam ja présentes no seminario
que Barthes consagrou ao Discurso amoroso de 1974 a 1976 na École Pratique des Hautes Études : a
reabilitaçào do sentimento, a organizaçào por figuras, a ordem alfabética, a presença de Werther, tudo
la estava. Que aconteceu entào na passagem do oral ao escrito, das notas de aula ao livro impresso ?
De ano para ano, Barthes retoma a pesquisa, aumenta-a, modifica-a mas a nada renuncia. Ao
trabalhar sobre o «suplemento », sobre o que chama de «lapso », Barthes chega paradoxalmente a
distanciar-se da psicanâlise. É esta separaçâo amigâvel que nos propomos analisar a partir da figura
central de «Je t'aime ». Retirando-se sem desaparecer, a psicanâlise (Freud, Lacan) cede o lugar a
diversas formas de «lapso» : Nietzsche, a fenomenologia, a musica... As notas de aula transformam-
se pouco a pouco em rascunhos, designando-se o livro que virâ como o «lapso » do manuscrito.

Abstract
The major characteristics of Fragments d'un discours amoureux figure already in the seminar which
Barthes devoted to this subject at the École Pratique des Hautes Études from 1974 to 1976 : from the
rehabilitation of feeling to a mode of organisation focussing on figures, the alphabetical order adopted
or the presence of Werther, all is in place. What then is the process at work, in the passage from the
oral to the written, from lecture notes to the printed work ? Working from one year to the next Barthes
takes up his investigations again, adding to them, modifying yet without discarding anything. While
working on the "supplement", on what he calls the "lapsus", Barthes paradoxically finishes up by taking
his distance from psychoanalysis. It is this distancing, devoid of conflict, which this article proposes to
analyse, working out initially from the central figure of "Je t'aime". In the process of withdrawal but not
of eclipse, psychoanalysis (Freud, Lacan) opens the way towards several forms of "lapsus" :
Nietzsche, phenomenology, music... The lecture notes are progressively transformed into rough drafts,
pointing to the book to come as the "lapsus" of the manuscript.

Résumé
Les grandes caractéristiques de Fragments d'un discours amoureux appartiennent déjà au séminaire que
Barthes consacre au Discours amoureux de 1974 à 1976 à l'École Pratique des Hautes Études : la
réhabilitation du sentiment, l'organisation par figures, l'ordre alphabétique, la présence de Werther, tout est
déjà en place. Qu'est-ce donc qui se joue dans le passage de l'oral à l'écrit, des notes de cours au livre
imprimé ? D'une année sur l'autre, Barthes reprend sa recherche, ajoute, modifie sans renoncer à rien. En
travaillant sur le «supplément », sur ce qu'il appelle le «lapsus», Barthes en arrive paradoxalement à
prendre ses distances avec la psychanalyse. C'est cette déprise non conflictuelle qu'on se propose
d'analyser à partir de la figure centrale du «Je t'aime». En se retirant sans disparaître, la psychanalyse
(Freud, Lacan) laisse la place à plusieurs formes de «lapsus » : Nietzsche, la phénoménologie, la
musique... Les notes de cours se transforment peu en peu en brouillons, désignant le livre à venir comme
le «lapsus» du manuscrit.

Zusammenfassung
Die herausragenden Eigenschaften der Fragments d'un discours amoureux gehören bereits zu jenem
Seminar an der École Pratique des Hautes Études, das Barthes von 1974 bis 1976 dem "Discours
amoureux" widmet : die Rehabilitierung des Gefiihls, die Aufteilung in Figuren, die alphabetische
Anordnung, die Gegenwart von Werther, all dies ist schon vorhanden. Was spielt sich also ab beim
Ùbergang vom Mtindlichen zum Schriftlichen, von den Seminarnotizen zum gedruckten Buch ? Barthes
nimmt von einem aufs andere Jahr seine Arbeiten wieder auf, fiigt hinzu und verändert, ohne irgend etwas
fallen zu lassen. Bei der Arbeit am "Supplement", am Nachtrag, an dem, was er selbst als "Lapsus"
bezeichnet, wendet sich Barthes paradoxerweise von der Psychoanalyse ab. Ausgehend von der zentralen
Figur des „ich liebe dich" soil hier diese konfliktlose Loslösung untersucht werden. Die Psychoanalyse
(Freud, Lacan) iiberlàsst, indem sie sich zurtickzieht ohne jedoch zu verschwinden, mehreren Formen des
"Lapsus" ihren Platz : Nietzsche etwa, der Phänomenologie, der Musik. Nach und nach verwandeln sich die
Seminarnotizen in Brouillons und weisen auf das kommende Buch als den "Lapsus" der Handschrift.

États des lieux
Quand et comment finit-on par dire «Je t'aime» ? Le
lecteur ordinaire cherchera la réponse dans sa vie senti¬
mentale ; le généticien la trouvera peut-être dans les manus¬
crits du «Discours amoureux».
C'est à ce beau sujet que, de 1974 à 1976, Barthes
consacre son dernier séminaire de l'École Pratique des
Hautes Études. Ce travail de longue haleine, conduit sur
deux années, donnera naissance aux célèbres Fragments
d'un discours amoureux. Quand le livre paraît au printemps
1977, Barthes, devenu professeur au Collège de France,
connaît une double consécration, publique et universitaire.
Son image s'est désormais complexifiée : au sémiologue
scientiste se superpose ou se substitue la vision d'un
essayiste passionné par l'écriture de l'intime. Le rêve d'une
« science du particulier » - selon la belle formule de La
Chambre claire - inspire une entreprise intellectuelle qui
cherche à concilier l'unique et le collectif, l'intraitable et
le communicable. Or qu'y a-t-il de plus singulier et de plus
commun à la fois que le sentiment amoureux ou le discours
qui lui donne forme? Fidèle à son projet de romanesque
sans roman, Barthes choisit un sujet qui parle à tous et à
chacun, créant d'emblée, dans l'espace relationnel du sémi¬
naire, une grande sympathie d'écoute.
L'organisation des séances témoigne, par sa clarté, de
la même attention portée au destinataire. Le séminaire
commence, en 1974, par une longue introduction, que suit
un premier examen des figures du discours amoureux (une
centaine est prévue ; voir annexe I). Au bout de dix
Genesis 19, 2002
ÉTUDES
Les brouillons du «Je t'aime»
Claude Coste
Cf. un sémiologue amoureux - ou un psychanalyste
(pourquoi pas ? Ne le sont-ils jamais ?)
(Figure 8, «Autre langage »)
Mon cœur, je suis seul à l'avoir.
(Figure 14, «Cœur»)
Roland Barthes
semaines, Barthes s'interrompt pour ménager une pause
théorique, qu'avec un certain détachement il intitule
«Semblant méthodologique». L'année se poursuit par
l'énumération d'une nouvelle série de figures et se termine
par une conclusion provisoire.
La deuxième année suit un cheminement à la fois
semblable et différent. D'une certaine manière, Barthes
semble revenir en arrière et reprendre sa recherche au point
de départ. Après une nouvelle introduction théorique qui
refait le point, il poursuit l'énumération des figures inter¬
rompue l'année précédente. Cette progression est
complétée, ou contrariée, par le réexamen de quelques
anciennes figures, principalement « Ravissement » et « Je
t'aime», dont Barthes propose de substantiels compléments
d'analyse. A l'issue de tous ces va-et-vient, le séminaire se
termine par une conclusion générale : le professeur y
annonce son projet d'écrire un livre où prendront place, en
particulier, les figures qui n'ont pas été exposées pendant
le cours.
L'ensemble des notes, conservées à l'IMEC, ne présente
pas de grande difficulté de déchiffrement. Deux grandes
chemises cartonnées regroupent, de 1 à 50 et de 51 à 100,
la plupart des figures rangées par ordre alphabétique. Une
troisième chemise, portant la mention « A insérer dans le
séminaire » rassemble dans le plus grand désordre les
figures déclassées, simples ou réécrites, parmi lesquelles
se trouvent les vingt-cinq pages des deux «Je t'aime». Les
développements théoriques sont clairement conservés dans
des chemises particulières. Leur localisation dans le cours
ne pose pas de problème, même s'il est difficile, lors de la
 GENESIS
première année, de déterminer avec exactitude le moment
où s'insère la pause méthodologique. De façon générale, le
désordre relatif des notes exclut l'établissement d'un calen¬
drier précis. Barthes a beau noté la date pour indiquer la fin
d'une séance, il est difficile de savoir combien de figures
ont été traitées à chaque cours.
Cette incertitude importe peu. La démarche intellec¬
tuelle de Barthes - et c'est là l'essentiel - apparaît en toute
clarté. Le séminaire se caractérise par une double distinc¬
tion, la première entre les figures et les développements
méthodologiques, la seconde entre l'écriture et la réécri¬
ture. Ces derniers mots posent-ils problème ? Barthes, on
le sait, refusait de confondre l'écrit et l'oral, les esquisses
et la rédaction finale. Le mot de « réécriture » doit donc se
prendre dans son sens le plus large. On appellera ainsi toute
forme de reprise matérialisée par les mots, qu'il s'agisse
des notes manuscrites ou du livre imprimé. A la chrono¬
logie des séances s'ajoute donc une autre forme de tempo¬
ralité, plus incertaine, plus révélatrice, où se conjuguent la
tension droite vers les Fragments et la sinuosité d'une
recherche qui ne sait pas toujours où elle va. Comme
Barthes en convient lui-même au cours de la seconde intro¬
duction : « [...] le directeur d'études propose (au moment
- toujours prématuré - des programmes), l'homme (qui est
en lui) dispose. »
Le lecteur de Fragments d'un discours amoureux ne
sera pas vraiment dépaysé par les notes manuscrites du
séminaire. D'une certaine manière, tout est déjà là. La reva¬
lorisation de l'amour 1 par rapport à la sexualité, la préémi¬
nence du discours 2, le découpage en figures 3, l'importance
des bouffées de langage ou des «airs syntaxiques»4, la
neutralité de l'ordre alphabétique, la subjectivité
tamisée5 du professeur : rien dans cette énumération n'est
vraiment nouveau pour le lecteur du livre. Barthes, des notes
aux Fragments , sera amené à préciser, à affiner, à nuancer,
bref, à rédiger, au sens plein du terme, mais, d'emblée, les
grandes lignes du tableau sont dessinées.
Par contre, le choix des références culturelles subit une
plus grande variation. La vraie rupture, il est vrai, s'est
produite en amont du séminaire. Après S/Z, méticuleuse-
ment organisé autour du Sarrasine de Balzac, le « Discours
amoureux » renvoie à une grande diversité de textes. A sujet
quelque sorte : un compagnon de langage (pour parler
faut quelqu'un en face, mais aussi quelqu'un à côté - sur
pour parler d'amour : ainsi fait Werther avec Homèr
Ossian.) » C'est le célèbre personnage de Goethe qui s
sans éclipse, le compagnon privilégié du séminaire et
livre. Au début de la seconde introduction, une série
substituts est passée en revue sans que Barthes se réso
à fixer son choix sur un autre texte tuteur. La présence
Werther ira en décroissant d'une année sur l'autre, des n
au livre, mais ni Le Banquet de Platon, ni la Gradiva
Freud, envisagés un moment comme solution de rem
cement, ne réussissent à s'imposer de façon durable
l'arrivée - c'est-à-dire dans Fragments d'un discours am
reux - le héros de Goethe reste dominant sans être hé
monique.
1 . « Mode W ; problème de l'intégration de l'amour-passion dans la soc
Une certaine marginalité (fraction de la bourgeoisie d'opposit
Marginalité de l'amour? Aujourd'hui censure de l'amour-pass
Affronter le ridicule. Cette censure ? Voir un terme nietzschéen "i
:
:
cence" (= moralisme mensonger)» («Semblant méthodologiqu
W désigne le Werther de Goethe.
2. « Notre sujet, hâtivement formulé Problèmes de l'énonciation
discours amoureux» (Introduction I); «mon travail», « l'analys
:
langage en tant qu'il se constitue discours » (Introduction II).
3. « Figure une découpe du discours opéré en fonction du fait que le s
:
lecteur (ou écouteur) reconnaît dans le flux discursif quelque chose
a déjà vu, lu, entendu, ressenti, vécu (ou qu'il croit avoir déjà vu
entendu, vécu). La figure procède d'un acte de lecture, et cet acte est
accommodation (courbure du cristallin) de reconnaissance l'œil no
:
n'accommode pas sur l'infini ; nous accommodons sur des lieux fin
texte» (Introduction I).
4. «Lacan (Safouan Œdipe. 1 10 : caractère tronqué des hallucinat
verbales, qui se limitent le plus souvent à la partie syntaxique de la ph
"bien que tu sois..." "Si tu devais encore..." = "Modes de construct
"Airs syntaxiques" (Safouan 34). On peut remonter à Freud
Interprétation des rêves VII : rêve du rêveur inconnu Père veillant
:
fils mort "Père, ne vois-tu pas que je brûle ?" — > Freud décompos
:
"Père, ne vois-tu pas..." ; 2) Safouan 34 "L'inoubliable rêve du non
n'a-t-il pas livré son secret à Freud quand une phrase l'amena par
mode de construction à y soupçonner l'écho d'une autr
(Introduction II).
5. «[...] d'ordinaire c'est le roman qui est projectif, ici c'est l'essa
cours » ; « Je raconte mon langage, non ma vie » («Semblant méthod
gique ») ; «je puis abandonner la littérature comme lecture et la retro
comme écriture je deviens ma propre lecture » ; « le texte que je suis
:
LES BROUILLONS DU «JE T' A I M E »
La présence de la culture allemande s'explique par la
conception que se fait Barthes du sentiment amoureux : à
l' amour-jalousie des écrivains français (Proust) s'oppose
l'amour-comblement des poètes allemands (Heine,
Eichendorf. . ; à la mélodie française que caractérise le
travail sur le signifiant, s'oppose le lied romantique, défini
comme un discours amoureux en miniature, c'est-à-dire
comme le paradoxe d'une interlocution solitaire. Le recul
des références allemandes, l'hésitation entre «Je t'aime»
et « Ich liebe dich », puis l'abandon de la formulation alle¬
mande, ne traduisent aucune désaffection, aucun retourne¬
ment dans les analyses de Barthes. Cette mise à distance,
toute relative, s'explique sans doute par le souci de conci¬
lier le général et le particulier. Un répertoire de figures
s 'adressant à tous et à chacun, évitant de donner un sexe
précis à l'« objet aimé », s'accommode mal de la prédomi¬
nance d'un seul ensemble culturel. Il ne faut pas être trop
national si l'on veut s'adresser à tous les amoureux.
Inversement, le séminaire et le livre, fantasmatiquement
conçus pour un public universel, sont pensés en français,
pour un public français, c'est-à-dire pour un public parti¬
culier. Or, dans ce cadre culturellement marqué, est-il
possible de dire et de lire, en allemand, une parole aussi
intime que « Je t'aime » ? En passant de « Ich liebe dich » à
«Je t'aime», Barthes nous rappelle, sans le dire explicite¬
ment, la relation très étroite et très secrète qui s'établit entre
discours amoureux et langue maternelle.
La répétition : opératoire et méthodologique
La dissertation française n'aime ni la digression, ni la
répétition. Barthes, qui n'aime pas la dissertation française,
préfère suivre les chemins détournés et remettre ses pas
dans ses pas. Les deux années de séminaire alternent, et
souvent mêlent, progression et répétition, avancée et retour
en arrière. Pointant les réticences culturelles engendrées
par le « déjà dit », Barthes réhabilite la « répétition » comme
une pratique s'inscrivant dans le «champ de l'affect»,
comme une « mise en scène profonde de l'énonciation ». Il
conclut ainsi :
ÉTU
oblige), b) La répétition ayant sa propre loi au sens m
et moral (reproduire en se conformant au premier tex
elle appelle l'infraction : ce qui est répété, tout d'u
marque d'une faute, d'un trou, d'une absence, d'une
d'une KocxaÀenjAÇ : c'est l'accident sur fond de ré
ce qui, dans la répétition, ne répète pas, ce qui s'éch
un autre terme, présent-absent. (Un Genre musical
sur l'accident : la Variation) (Introduction II).
Cette analyse, qui résume à elle seule l'entrepris
tique des séminaires, induit une pratique aux m
tions multiples. Il ne faut pas avoir peur de redi
beaucoup d'insistance, le professeur propose un
bref sur l'introduction» (Introduction II), accu
« ajouts », les résumés, les « rappels ». « Tenir un di
le titre du séminaire donné au Collège de France
suivante dit combien chacun d'entre nous se défi
ressassement du même discours, débité par épisod
rompu et repris jusqu'à la mort. Vivre, c'est par
communiquer ses affects, c'est faire de la répétition
le correspondant formel de la poussée obsessionne
Barthes ou pour Ponge, il existe une rage de la r
comme il existe une rage de l'expression.
Mais répéter n'est pas dupliquer. En proposant
tion comme principe musical de composition, en m
une place à l'« accident», à l'« infraction», Barth
répétition de sa clôture et l'ouvre à la nouveauté.
selon Barthes, ce n'est pas redire à l'identique, c'e
duire le mouvement au cœur de l'apparente imm
Cette tension dans la continuité, cet emportement
trouve une première forme de théorisation, grâce
sition entre «opératoire» et «méthodologique».
définit ainsi les deux termes apparemment antith
[. . .] communiquer la liste des préalables arbitraires d
j'ai choisi d'agir de telle façon, et je l'annonce. Op
opérations sans leur justification. Comment le ch
fondé ? ceci est de l'ordre du méthodologique (Intro
Au commencement donc, l'« opératoire », comme
tâtonnante, puis le « méthodologique », comme r
sur les principes de recherche. Au cours de son
 GENESIS
sera inversé : le « Comment est fait ce livre » inaugural traite
d'emblée de préoccupations méthodologiques. Toujours en
1977, le cours au Collège de France consacré au «Vivre-
Ensemble » commence et se termine par une longue présen¬
tation, il est vrai très particulière, des questions de méthode.
Entre l'«opératoire » et le « méthodologique », la
distinction tient à une différence de recul. Quand l'« opéra¬
toire » colle au texte, le « méthodologique » élargit le champ
de vision et cherche la perspective. Mais, une fois posée,
cette distinction se réduit, la plupart du temps, à presque
rien. Quand on passe d'un concept à l'autre, ou plutôt d'un
mot à l'autre, la différence n'est pas très nette. Les deux
introductions, les deux conclusions, la pause méthodolo¬
gique, les figures elles-mêmes reprennent, ressassent
presque, les mêmes analyses, sans qu'on puisse dégager
des pratiques véritablement différentes. La mobilité du
regard, le jeu sur la distance et la proximité, la flexibilité
de la théorisation caractérisent toutes les parties, quels qu'en
soient le projet ou le programme affichés.
Cette confusion des pratiques s'explique par deux
raisons qui renvoient, l'une et l'autre, à l'univers intellec¬
tuel de Barthes. Toute démarche intellectuelle se fonde,
pour Barthes, sur une évaluation - terme précieux qui
navigue entre le monde intellectuel (la problématique) et
le monde moral (la valeur). L'attitude descriptive à laquelle
semble s'apparenter 1' « opératoire » ne se situe pas en deçà
de l'évaluation, activité pleinement assumée qui coïncide¬
rait alors avec le «méthodologique». Toute saisie du réel
reposant sur une évaluation fondatrice, 1' « opératoire » et
le « méthodologique » se distinguent uniquement par le
degré de conscience qui conduit l'analyse. Pour éclairer
l'antithèse et pour insister sur la matérialité des opérations,
Barthes donne l'exemple du «champ opératoire du chirur¬
gien» (Introduction I). Or, pour pousser jusqu'au bout la
cohérence de la métaphore, le « champ opératoire » du
chirurgien ne se distingue pas vraiment de son « champ
méthodologique», c'est-à-dire du savoir scientifique que
l'on apprend dans les facultés de médecine et de chirurgie.
Puisque tout regard dessine un cadre de pensée, puisqu'il
n'existe pas de fait brut préexistant à l'analyse, la distinc¬
tion de 1' « opératoire » et du «méthodologique» devient
seconde - et partant secondaire.
La force de la répétition se justifie enfin par la nouvelle
attitude de Barthes à l'égard du métal angage. Tout discours
©
scientifique suppose une distinction nette entre l'objet
d'étude et l'analyse qui en est proposée, entre le texte et
son commentaire. En s'éloignant rapidement d'une concep¬
tion scientifique, apparemment scientiste, du savoir litté¬
raire, Barthes récuse du même coup la distinction fonda¬
trice entre langage-objet et métalangage. De retour sur ses
traces, le professeur qui réfléchit à nouveau sur le discours
amoureux, qui retravaille son propre texte, ne réussira donc
jamais à produire un discours totalement autre, un discours
qui par sa nature et par son contenu se distingue fonda¬
mentalement du discours précédent. Tout ajout relève de la
même pâte langagière que le texte-support ; tout métalan¬
gage retourne au langage dont il tentait vainement de se
détacher.
Appliqué au discours amoureux, ce refus du métalan¬
gage entraîne deux grandes conséquences. Les ajouts de la
seconde année ne peuvent se prévaloir d'aucun privilège
d'extériorité par rapport aux analyses de l'année précédente.
Les différentes rédactions se répètent sur le plan formel,
indépendamment des modifications ou des améliorations
qui touchent le contenu. Bien plus - la première consé¬
quence en implique une seconde - il n'y a pas lieu de distin¬
guer fondamentalement le discours amoureux et le
commentaire qu'il suscite. Comme le précise Barthes dans
la seconde introduction, « la différence entre D et DA est à
peu près nulle » 6. Le commentateur qui analyse le discours
amoureux se contente de prendre un peu de recul par rapport
au discours de la vie, c'est-à-dire par rapport à son propre
discours et à sa propre vie. Il s'accorde, certes, une distance
que l'on qualifiera indifféremment d'«opératoire» ou de
« méthodologique », mais cette distance n'est pas suffisante
pour rompre le lien formel et affectif qui le relie au discours
amoureux, celui des autres autant que le sien. Autrement
dit, tout discours sur le discours amoureux appartient au
discours amoureux. Pour mieux se faire comprendre de son
auditoire, Barthes développe deux exemples de nature très
6. «[...] un sujet qui s'est parlé le DA, mais qui en même temps vous le
parle » (Introduction II). Dans Le Banquet, Socrate propose un « D2 » après
un «D1 »... S'agirait-il d'une attitude propre au discours amoureux, se
demande Barthes ? Le second discours de Socrate est en contradiction
avec le premier puisque à l'éloge de l'amour sans passion succède celui
de l'amour passion. Cette contradiction correspond en fait à un change¬
ment d'énonciation du discours de l'aimé, on passe au discours de
l'amant, la palinodie socratique étant stimulée par le désir.
:
LES BROUILLONS DU «JE T'AIME»
contrastée. Le premier appartient à la psychanalyse. Pour
Mustapha Safouan, infime est la différence entre l'homme
qui rêve et l'homme qui raconte son rêve (comme est infime
pour Barthes la différence entre l'amoureux et son exégète).
Le second exemple renvoie à la banlieue parisienne : « D »
sur «DA» rappelle la commune de Gif-sur-Yvette dans
l'Essonne. La frontière du « sur», plus poreuse dans le
discours que dans la géographie, laisse passer l'eau du
langage : «l'Yvette envahit Gif, le DA irrigue son méta-
langage» (Introduction II).
Dans Fragments d'un discours amoureux, Barthes pous¬
sera plus loin encore la confusion des regards et des écoutes.
Sans modifier la nature du discours, l'échelonnement des
reculs permet de transformer le regard sur l'objet et par
conséquent le savoir que l'on acquiert sur lui. On se répète
parce que tout est discours ; mais en jouant sur le degré de
proximité, on multiplie les approches, les éclairages et les
différences. Dans le livre, Barthes joue en virtuose de la
polyphonie des points de vue. Les différents degrés de
perception du discours amoureux sont habilement mêlés,
sans que l'échelonnement des plans cherche pour autant à
se dissimuler totalement. Chaque événement de parole est,
pour ainsi dire, suivi de sa traîne analytique. Les bouffées
de langage de l'amoureux, restituées telles quelles, au style
direct (j'attends), se doublent d'une mise en perspective,
dont les lointains modèles seraient à la fois le discours indi¬
rect (l'amoureux dit qu'il attend...) et la narration (un
amoureux attend...). La parole est à la fois immédiate et
distanciée, tantôt très immédiate, tantôt très distanciée,
même si l'analyse ne s'éloigne jamais longtemps de son
origine discursive.
Le livre réussit à mêler plusieurs formes d'énonciation
quand le séminaire feint encore de les distinguer sans trop
savoir comment les articuler entre elles. Des séminaires au
livre, on suit ainsi l'épanouissement d'une forme singulière
de romanesque : en donnant à lire, dans un seul geste, le cri
en direct et l'intellection de ce cri, le Barthes des Fragments
évite la mauvaise foi du descriptif et l'asepsie de l'abs-
tractisation. Selon un principe de romancier qui consiste à
montrer et non à démontrer, Barthes rend le cri intelligible,
communicable, reconnaissable, presque exemplaire, mais
ÉTU
discours et le décrochement du commentaire. Cet
entre tension et suspension est très exactement une
interrompue.
La répétition : catalepsis et cataleipsis
Les séminaires ne vont pas encore aussi loin. L
tion entre l'« opératoire» et le «méthodologiqu
qu'elle s'est peu à peu perdue dans les sables, n'a
à insuffler un véritable dynamisme à la répétit
échapper à la duplication, le second séminaire pr
nouvelle antithèse, capable de renouveler le poi
sur le métalangage (Introduction II, «Discou
discours» et «Palinodie»7). Repris par le démo
ironique ?) de la théorie, Barthes rend un hommag
au travail de François Récanati. Il s'inspire en p
d'une série de schémas portant sur les différents
signifiant. En voici les deux figures fondam
Sa 1 -> Sa 2] et Sa 1 Sa 2.
|
La première relation propose un rapport de
tance » ou de « co-insistance » entre les deux élém
la composent, Sa 1 et Sa 2. La seconde relation
elle, établit un rapport d'«ex-sistance» (Barthe
également le mot de « dé-sistance »). Appliquée au
amoureux (Sa 1 devient D 1), la première
D1 — » D 2~| renvoie à la consistance d'un dis
|
synthèse, à une
dissertatives de pensée
contradiction
de la totalité,
et de correction.
impliquantLl
formule (| Dl —> D 2) matérialise une forme de
|
absence, une relation nouvelle entre les deux disco
le profil d'une certaine ek-sistance». Dans le pr
le discours amoureux relève d'une analyse fondé
profondissement du savoir; dans le second cas,
relation beaucoup plus ambiguë qui s'instaure entr
discours.
7. Cette palinodie évoque la palinodie qui termine la premiè
La Chambre claire. Quand les Fragments d'un discours amour
trent sous une forme ramassée les résultats d'une recherch
 GENESIS
L'analyse de Barthes se complique par l'entrée en lice
d'une nouvelle opposition, sémantique cette fois-ci, entre
la Kcrua?ir|\j/tç (catalepsis ) et la KaxaÀ£ti|/tç ( cataleispsis ).
Le couple de concepts est une fois encore emprunté à
Récanati : «Le tout de Sa 1 s'échappe, fuit, frappé d'autre
chose, par l'existence (présence-absence) de Sa 2 : la tota¬
lité est donnée sur fond d'exclusion. La KaTar|\j/iç de Sa 1
est rongée, trouée, « ratée » par une KaxaX,et\)/tç »
(Récanati). La « KaTOC?ir|\j/tç» (la catalepsis ), empruntée
par Barthes, est une notion stoïcienne qui correspond à une
volonté de mainmise, à une prise de pouvoir intellectuel.
Appliquée au séminaire, elle renverrait à un travail scien¬
tifique, hermétiquement clos sur une seule année et sur les
cent figures du discours. A l'inverse, la « Kaxa?i£i\|/iç » (la
cataleipsis) se définit comme «l'action de laisser derrière
soi : reste, surplus, déchet, ce qui échappe à la prise, trou.
Ou encore : dé-prise, sur-prise, méprise (Freud : ratage
systématique : vergreifen) : aussi bien : en plus qu'en moins.
Un terme ek-siste = ne consiste pas avec les autres :
— » lapsus, sous entendu, dénégations, en-trop dont on ne
veut rien savoir, bavures, non-sens, excédents, déchet»8.
Et Barthes de conclure en resserrant son propos sur le
discours amoureux :
D 2 - c'est là que je voulais en venir - se présentera - comme
une poursuite et un déploiement de ce qui, dans D 1 esquis¬
sait, maintenant la KaxaÀei*|/iç de D 1 comme un droit second
dans le Grand droit du séminaire comme institution : ce sera,
si vous voulez, l'immense (parce que pendant plusieurs
semaines) - l'immense lapsus de D 1 .
Avec le séminaire sur le «Discours amoureux», Barthes
joue ses dernières cartes théoriciennes. Le cours sur le
« Vivre-Ensemble », comme les autres cours au Collège de
France, privilégieront la culture générale, les références
communes, le monde des usuels que l'on tient à portée de
la main. On peut ironiser sur la coquetterie conceptuelle de
Barthes, sur le placage de notions complexes qui dans
l'usage aboutissent à des lieux communs, voire à des
évidences («D 2 sera écrit sur D 1, c'est tout»9). Dans le
cas présent, le détour par Récanati répète, reformule ce que
gression subtile... Mais, en réduisant les analyses
Barthes à un vulgaire pédantisme, on manquerait deux d
caractéristiques essentielles de sa démarche intellectuel
D'abord, il ne faut pas négliger la dimension ludique de
détours, de ces schémas qu'on dessine sur sa feuille ou
tableau. Ces croquis qui occupent plusieurs pages de no
sont un peu les travaux manuels du professeur. Ensuite, l'
senal conceptuel joue chez Barthes le même rôle que
contraintes, absurdes ou dérisoires, que s'impose pour cr
un écrivain comme Perec. La subjectivité - le cœur - ne
dit pas toujours facilement. Face à la peur, à l'impudeur
surtout face au stéréotype (à commencer par « Je t'aime
l'appareillage théorique vaut moins pour le recul intelle
tuel qu'il permet que comme garde-fou et stimulant de
parole. Grâce au concept - ou au pseudo-concept - 1' aff
s'apprivoise, trouve un chemin à suivre et une formule po
se dire. On peut même supposer que la force de 1' affect
la technicité du concept entretiennent une véritable relat
dialectique, comme si la première avait besoin de la secon
pour arriver à se dire.
Porté par le désir de dire et d'explorer, Barthe
rencontré avec le mot « lapsus » le matériau verbal dont
pensée avait besoin (« D 1 . . . est l'immense lapsus de D 1
Grâce à « lapsus », la réflexion a trouvé le signifiant capa
de donner du mouvement à la répétition ; grâce au se
premier du mot, la réécriture devient « glissement » et
remet en marche. Comment ce « lapsus » réussit-il à dyn
miser le discours ? On se propose de répondre en resserr
l'analyse sur les deux versions du « Je t'aime », en comp
rant l'écriture et la réécriture, en suivant à la trace, d'u
année sur l'autre, le travail de la cataleipsis. Le choix d'u
telle figure engage, malgré sa modestie, la totalité du sém
naire. Barthes commence d'abord par renvoyer le «
t'aime» à sa singularité. En effet, «"Je t'aime", écrit
n'est pas tout le discours amoureux. N'en est qu'une fig
ponctuelle : moment où le syntagme sort du corps, d'u
façon quasi irrépressible, comme une sorte de cri ; Je t'aim
Je t'aime ! - Quelle est la place de cette "bouffée" (je
dis pas de tout le discours amoureux) dans la chaîn
Besoin/Demande et demande d'amour/Désir ? » (
LES BROUILLONS DU «JE T" A I M E
t'aime » I). Puis, au fil précisément de la réécriture, le point
de vue se modifie et la figure devient exemplaire
:
[_...] nous tendons à constituer un énorme performatif autour
de ce performatif pur, qu'est la Figure Je-t'aime. —> Notre
discours est l'acte même d'énonciation en quoi coïncide et
s'épuise «Je-t'aime». Tout notre séminaire (vous, à titre
projectif, et moi à titre de voix) veut dire je-t'aime
(Introduction II).
:
Grâce à l'ampleur de la réécriture, grâce au rayonnement
d'une telle figure sur tout le discours, on dispose d'un
espace idéal pour étudier le dynamisme du lapsus. En disant
ou en répétant «Je t'aime», l'amoureux et son exégète
s'installent au cœur même du système affectif et intellec¬
tuel des séminaires.
La science des lapsus
Revenant sur son travail de l'année précédente, Barthes
se rappelle, avec humour, qu'il a commis de nombreux
lapsus. Les notes de cours ne gardent, bien sûr, aucune trace
de ces glissements de la parole qui conduisent l'orateur dans
un lieu inconnu et sans doute révélateur. Barthes, un bon
sujet pour la psychanalyse ? Sans doute, comme tout un
chacun. On sait que Barthes a commencé une analyse avec
Lacan ; on sait la présence insistante des théories psycha¬
nalytiques dans son œuvre, à commencer par les emprunts
du Sur Racine au Freud de la Horde sauvage.
Au cours de la seconde introduction, Barthes affronte
clairement le lapsus : «[...] j'assume mon inconscient je
:
le mets en scène sous la forme d'une Koruaeivj/iç, d'un
lapsus généralisé.» Inversement, d'autres passages pren¬
nent leur distance à l'égard d'une science de l'inconscient
qui semble peu efficace, voire déplacée dans une étude
consacrée au discours amoureux : «Je ne m'aventurerai pas
longtemps dans le champ psychanalytique, car ce qui nous
occupe surtout c'est la "conscience" (l'imaginaire) du DA,
non la "réalité psychique" de son état » (Figure 37, « Fou »).
Entre conscience et inconscient, la pensée de Barthes entre¬
tient une forme d'indécision rusée.
Les références à Freud, Lacan, Safouan reviennent sans
cesse dans le séminaire, mal gré qu'en ait le professeur
:
ÉTUDES
Quel sera l' intertexte ici ? la psychanalyse, même si je n'en
avais pas eu le goût personnel ; pour ce sujet-là, je n'en vois
guère de meilleur. Partout ailleurs (dans les autres épistémé).
congé est donné à l'amour. Certes l'accueil fait à la psycha¬
nalyse au sentiment amoureux est parcimonieux, peu encou¬
rageant, passablement réducteur, mais tout au moins, il y a
une place prévue pour le discours amoureux dans la topique
psychanalytique (Introduction I).
Barthes reconnaît volontiers sa dette à l'égard de Lacan -
en particulier dans la connaissance de l'«imaginaire », cette
notion incertaine qui s'impose au premier plan de son œuvre
depuis Roland Barthes par Roland Barthes. Jamais comme
dans ce séminaire, Barthes n'avait rendu compte, avec
autant de précision, de la nature et des implications du
concept lacanien. Au cours de la première introduction, un
« topo » très pédagogique du professeur synthétise des traits
que le reste de son œuvre écrite citait de façon erratique.
Voici cette mise au clair dans son intégralité
:
Rappelons la définition didactique de cette notion lacanienne
(Laplanche) (tous ces points ont déjà un rapport évident avec
l'amour)
:
:
- Registre ( Symbolique ■£■ Réalité) prévalence de la rela¬
tion à l'image du semblable. Lié au thème du miroir (et donc
:
de la Mère)
- Rapport fondamentalement narcissique du sujet à son moi.
- Relation duelle fondée sur l'image d'un semblable (autre
imaginaire i) : attrait érotique, tension agressive. Répétition
de la relation duelle avec la Mère, sans issue
:
- Cf. éthologie animale prégnance de telle gestalt dans le
:
déclenchement des comportements
- Coalescence du Sa au Sé type d'appréhension où la ressem¬
:
blance, l'homéomorphisme, ont un rôle déterminant. [— >Rôle
de l'Analogie. Retour de l'Analogie]
Toute conduite, toute relation imaginaire vouée au leurre.
:
Lacan parle d'une orgie imaginaire dont la fonction est de
:
prolonger le jeu de leurre avec la mère.
On retrouve dans cette synthèse de nombreux mots-clés de
l'univers barthésien (symbolique, analogie, mère...) ; mais
les références lacaniennes - en particulier les analyses
9. «Ni contradiction, ni correction, ni synthèse, ni reprise: mais supplé¬
ment. Ressassement. sur-scription. Cela pourrait continuer jusqu'à la lassi¬
tude» (Introduction II).
115
 GENESIS
consacrées au stade du miroir 10 - tiennent pour elles-
mêmes et constituent une bonne introduction à la pensée
du psychanalyste. Même remarque à propos de la notion
de «demande». La première rédaction de la figure «Je
t'aime» établit un parallèle très clair entre la «demande»
et le «besoin», dont on trouvera quelques échos jusque
dans Fragments d'un discours amoureux :
La demande. Pas de cours là-dessus (aucune compétence, et
nous n'appliquons pas la psychanalyse : nous nous repérons,
c'est tout). Seulement rappeler ce qu'est la demande et y situer
le Je t'aime.
Chaîne terminologique, chaîne de structures, de configura¬
tions, chaîne topologique - et non chaîne génétique, non
évolutive.
Face au Besoin, la demande est prise dans le circuit du
langage, dans l' actuellement articulé : liée aux prémisses du
langage : Fort/Da : la présence maternelle n'est pas symbo¬
lisée par un objet partiel (le sein) mais, si l'on veut, par le
paradigme présence/absence : la bonne réponse à la demande,
ce n'est pas la satisfaction (le sein) mais le message de la
présence : le signe de la présence de l'autre en vient à dominer
les satisfactions qu'apporte cette présence, «comme si l'être
humain se payait pour une large part de paroles » (Lacan) :
Demande d'amour : dialectique de la présence sur fond d'ab¬
sence : Amour = l'absence en tant que le langage est absence :
et c'est ce qui se trouve emblématisé dans le Je t'aime : aussi
concis que le Fort/Da.
(Face à quoi : la place du désir est ambiguë : en deçà de la
demande en tant qu'il est arraché au terrain des besoins et au-
delà en tant qu'il se pose absolument par rapport à l'Autre et
en exige d'être reconnu comme tel par lui - Autre qui lui aussi
est dans le désir, dans le manque.)
Cette fois encore, on devine bien tout le profit personnel
que Barthes tirera de traits qui enrichissent sa propre
conception du discours amoureux ou d'autres champs de
savoir. La présence maternelle, la retenue du désir, l'en¬
fermement dans le monde verbal (« comme si l'être humain
se payait pour une large part de paroles ») se retrouvent ou
se retrouveront ailleurs et sous d'autres bannières. Mais,
même si elle n'est jamais donnée pour elle-même, la
psychanalyse vaut comme métalangage de référence essen¬
du professeur qu'on ne rencontre pas toujours sous la pl
de Barthes.
L'année suivante, la situation ne tarde pas à s'effr
révélant les tensions jusqu'alors masquées par le s
pédagogique et le tâtonnement intellectuel. Plus
l'opposition entre «demande» et «besoin», «deman
et «désir», c'est le rapport incertain de Barthes à l'ég
de la science des lapsus qui fait l'intérêt des manuscr
C'est sans doute cette crise difficile que la sur-techn
un peu parodique des concepts cherchait à dissimuler
exprimer à la fois. La psychanalyse se situe désormais, d
le cours, entre centre et absence, insistance et détachem
elle se présente comme un immense magasin de citat
et de concepts mis à la disposition d'une pensée à la dér
Au fond, l'attitude de Barthes, ambiguë mais conscie
s'approprie le lapsus au lieu de le subir : « Comment v
situez-vous par rapport à la psychanalyse ? Mais évid
ment : dedans. » Ce «dedans», signe d'une incontest
allégeance, n'exclut pas un point de fuite, « un lais
couler», « un laisser échapper, un reste, un déchet : le lap
même de la science des lapsus - toutes les fois que la
= main mise » (Introduction II) 1 1 .
Le meilleur moyen d'échapper à la mainmise est en
de multiplier les références et les théories analytiques
recréer un espace de liberté par le collage des citation
le jeu des contrastes. A Lacan omniprésent, Barthes com
nera donc d'autres analystes qui permettront à la foi
10. «Voie de l'imaginaire : registre de la relation duelle à l'imag
miroir (objet «aimé» « autre » imaginaire à quoi le sujet colle, co
:
au visage de la mère). Au stade du miroir, la mère est à côté du m
disant à l'enfant Tu es cela. De la même façon, l'objet aimé fon
:
sujet amoureux, l'asservit en essence à l'Image» (Figure 56, «Mè
1 1. «Ce qui m'intéresse aujourd'hui (ou de plus en plus) dans la psy
nalyse, ce n'est pas - ou ce n'est plus, ou c'est de moins en mo
l'action, la pratique (l'intelligence) interprétative ou classificatoire
de plus en plus sensible au danger réductionniste ; ce n'est même plus
à fait, comme je le croyais naguère la postulation d'une science des d
cements (de substitutions) ; c'est plutôt, de pouvoir suivre (indéfinim
où va le langage (où va le Discours) ; ou encore suivre le langag
sachant qu'il ne va nulle part ; je suis là pour aller plus loin - sans q
LES BROUILLONS DU «JE T'AIME
multiplier les outils de compréhension et de ménager une
ligne de fuite :
J'imiterai une formulation de type freudien-lacanien, emprunté
au séminaire de Récanati (auquel j'invite d'aller tous ceux qui
comme moi pataugent quelque peu dans la terminologie
soûlante du lacanisme) (Introduction II).
Autre tactique très efficace : l'utilisation de la psychana¬
lyse contre elle-même, en particulier par la mise en valeur
des analyses de Freud qui relativisent la toute puissance de
l'inconscient. Voici ce qu'écrit Barthes par rapport à la
notion d'«intellectualisation » :
«processus par lequel le sujet cherche à donner une formula¬
tion discursive à ses conflits et à ses émotions de façon à les
maîtriser. » Mal vu dans l'analyse ; mais aussi défendu par
Freud comme une étape nécessaire permettant au patient de
connaître sa résistance. Gradiva : parallèle entre cure amou¬
reuse et cure analytique (Figure 15, «Comprendre»),
Ou encore, cette justification tirée de Freud encore : «Le
contenu latent n'oblitère pas le contenu manifeste »
(Introduction II). À l'«obscurcissement de l'obscurcisse¬
ment » cher aux mystiques, correspond désormais le « lapsus
des lapsus ». Dans un cas comme dans l'autre, la figure du
comble ouvre sur la sortie, dégage un espace de liberté au
cœur de la contrainte.
C'est donc un véritable glissement à l'intérieur de la
psychanalyse que mettent en scène les manuscrits du
«Discours amoureux». Pourquoi recourir à la psychana¬
lyse ? Par « dévotion aux amis » (Introduction II), répond
finalement Barthes 12 qui se réclame de l'esprit Gibelin,
défini par Michelet comme un attachement aux hommes
plus qu'aux idées. Bien au-delà d'un usage affectueux et
circonstanciel, le lapsus devient cette école de dérive et
d'ambivalence qui permet à Barthes de prendre ses aises
avec un système de pensée sans pour autant renoncer à lui.
Un tel cheminement vers la clarté n'est pas celui d'un
patient qui « découvre », de lapsus en lapsus, de rêve en
souvenir, le chiffre de son mystère. Le mouvement du
lapsus ne correspond pas à une prise de conscience, mais à
une désaffection vécue en pleine lucidité. C'est moins
ÉTU
à l'égard du métalangage analytique. Le lapsus
un indice donné au conscient pour appréhende
cient, mais le symbole un peu ironique de ce ret
qui place la conscience sur le devant de la scèn
au «Je t'aime», l'amoureux s'émancipe en fa
cider la construction d'un imaginaire et l'affirm
identité subjective. Grâce au lapsus, la conscien
de la psychanalyse et ouvre sur d'autres référe
phénoménologie, Nietzsche et la musique.
Le shifter
Si Nietzsche et la musique sont nommés en
dans les manuscrits, la phénoménologie se mani
façon beaucoup plus voilée. C'est en amateur
Barthes s'intéresse aux philosophies de la co
« amateur» qui joue avec les concepts en dehor
12. Dans un court développement intitulé «La main entr
plaqué psychanalytique)» (Introduction II).
13. « Soit un rêve où s'entend la phrase suivante "la vérité
:
lement" ; je puis prendre tout de suite la voie psychanalyt
jeu de mots : par ex la folle ment etc. ; mais sans barrer cett
aussi accorder une sorte de crédit extra-analytique - dis
:
phique" - à l'énoncé manifeste (celui qui est rapporté en to
par le rêveur) : la vérité, c'est l'affolement; ma peur est m
on retrouvera précisément dans cette phrase d'un rêveur
l'amour comme vérité irréductible : perception d'où déco
grandes productions de l'art et de la philo : maintenue un p
temps qu'il n'est convenable à côté de l'interprétation, la "vé
à figurer la KaxaÀ£U|/iç même du leurre : elle devient l'exis
démystifié» (Introduction II).
14. Dans le choix des références, Barthes contrebalance l'inte
nalytique en s'appuyant sur deux écrivains qui lui sont pro
Proust. Gide « Entraînement (émotif) » « Œuvre achevée
:
ment le Journal de Gide ; aporie du Moi Un qui se regardan
:
que deux, mais engendrant dans cette contradiction un tr
consommateur d'une "illusion" (d'une fantasmagorie) qui
deux en un : c'est au terme de/et à travers une véritable dé
rique que le sujet se retrouve sincère » (Figure 38, «Gest
Proust : « Demande du Moi aussi figurée exemplairement p
:
scène du Roman proustien l'enfant veut obtenir le Moi aus
:
la Mère : il le veut follement, à la manière d'un fou. Il l'obtie
sement, et par la décision capricieuse du Père, qui lui oc
(Proust I 35). Par quoi l'on voit bien que le Moi aussi est fan
 GENESIS
pensées systématiques, «amateur» qui fonde sur le verbe
«aimer» une manière d'être au monde. Ce sujet incertain,
qui définit son identité comme conscience amoureuse,
emprunte un certain nombre de mots au vocabulaire de la
phénoménologie : «conscience», bien sûr, mais aussi
« image », « imaginaire » et « époché », que Barthes associe,
dans une rapide parenthèse, à sa nouvelle pratique du
lapsus :
[. . .] j'aimerais mieux dire que le lapsus de la psy, ce serait la
Délicatesse (mot d'ailleurs nietzschéen), seule garantie d'une
carence radicale de toute normativité (et d'une carence de
toute revendication de non-normativité (—> £7T0XT| 15)
(Introduction II).
En attendant d'écrire La Chambre claire , son livre le plus
explicitement phénoménologique, le professeur des sémi¬
naires fait le choix du métalangage linguistique pour donner
corps à une conscience qui se cherche et s'exprime à travers
les mots. Le recours à la linguistique n'a bien sûr rien
d'étonnant chez l'auteur du Degré zéro de l'écriture comme
chez l'analyste du discours amoureux. Mais c'est encore
par rapport à Lacan qu'il convient de chercher la promo¬
tion d'une science linguistique à laquelle sera dévolu un
rôle de plus en plus tactique. Si l'œuvre de Lacan associe
étroitement la psychanalyse freudienne et les apports de la
linguistique structurale, le travail du lapsus, le travail sur
le lapsus n'aurait-il pas intérêt à se porter au cœur même
de cette belle association ? Valoriser la linguistique devient
ainsi pour Barthes un bon moyen de s'émanciper de Lacan
à partir de Lacan, de fonder une conscience verbale sur la
débâcle d'un système aussi cohérent qu'intimidant '6.
La conscience amoureuse 1_7 - et l'intentionnalité très
affective qu'elle suppose - qui se situe assez loin de la
phénoménologie au sens strict du terme, cherche à se saisir
grâce à la notion de shifter linguistique. Cette référence,
pour n'être pas neuve chez Barthes, connaît dans les manus¬
crits un développement important. Où faut-il placer le « Je
t'aime »? A quel moment du cours ? En effet, si le classe¬
ment des figures par ordre alphabétique impose un ordre
arbitraire et rassurant, la liberté du professeur persiste dans
l'exercice de nomination. L'alphabet ne se discute pas, mais
retenue par Barthes, l'a conduit à placer la figure au
début, juste après «Ravissement». Détaché arbitrairem
en première position pour des raisons, non plus forme
mais narratives, le «ravissement» doit sa situation au
fondateur du coup de foudre dans l'histoire d'amour.
Or de « -aime » à « Je t'aime », de l'absence à la prése
du shifter «je », c'est, bien sûr, la place du sujet qui se jo
Lors du premier séminaire, la conscience amoureuse pa
en retrait, l'énonciation se fait toute discrète :
L'intitulé de cette figure importante fait problème (les fig
ne se rangent pas forcément sous la loi du dictionnai
subsumer systématiquement une figure sous un mot-vede
ce serait donner trop vite acte au métalangage (lexical) de
pouvoir).
En l'occurrence, plus juste de prévoir : un radical ve
(aime), c'est-à-dire un sémantème et une partie mobile, per
table, peut-être indifférente, en tout cas pour nous blanc
le lieu du shifter : j'aime (Phèdre)/Je t'aime/elle m'a
(W 40), je l'aime etc.
Remarques :
a) le radical ne doit pas être donné à l'infinitif : le mot impl
une position du sujet et non une position neutre dans la lan
(rôle métalinguistique de l'infinitif). Une grammaire v
(non scolaire, non répressive) supprimerait l'infinitif d
conjugaison d'aimer.
b) Ne pas prendre parti sur la souche du syntagme : vue i
logique : que le sémantème est plus « fort » que le morphè
15. Barthes emploie le mot époché dans un sens très large, proch
« Non-vouloir-saisir» de Fragments d'un discours amoureux.
16. Barthes fait contrepoids aux jeux de mots lacaniens, par une référ
récurrente dans son œuvre, aux anagrammes de Saussure «-A la f
:
du Saussure anagrammaticien (le Saussure censuré), on peut rétab
stéréophonie, le paragramme phonétique du mot en français, si nous é
tons le syntagme comme un jeu de mot, en surimpression tou
:
demande s'y étage. E M W A Aime-moi Et moi ? ! Émoi » («Je t'aime
:
17. «Dire que la conscience est conscience de quelque chose, c'est
qu'il n'y a pas de conscience sans noème, de cogito sans cogitatum ,
pas non plus d'amo sans amalum, etc., bref que je suis entrelacé av
monde », Jean-François Lyotard, La Phénoménologie, Que sais-je ?,
1954, 1976, p. 52. Barthes cite cet ouvrage dans la bibliographie d
Chambre claire. Voici ce qu'il écrit à propos du regard frontal « On d
:
que la Photographie sépare l'attention de la perception, et ne livre q
première, pourtant impossible sans la seconde ; c'est, chose aberrante
noèse sans noème, un acte de pensée sans pensée une visée sans cibl
LES BROUILLONS DU «JE T'AIME» ÉTU

Énoncé Énonciation Profération*

Place du sujet Dans la facticité Dans la vérité Dans la vérité : 1)
de la fonction « langage » de « lalangue » 2) du temps : la dif
la toujours premièr
Langage de relais Linguistique comme a) Psychanalyse Épuisement de l'im
métalangage b) Sémanalyse scientifique, réduct
c) Théorie du texte (crayon) (ce pourra
texte - et la musiq
Concepts-Masques « Communication » Les concepts ne sont pas
«Message» « faux » (inconscient,
demande, texte) : mais le
discours reste factice en tant
que réducteur
Ce qui arrive du Désir : Refoulé Reconnu Joui
en aventure « là où on ne l'attendait pas »

* Le style sans la linguistique. Profération, oui la lecture «singulière» submergeante : dans son moment : et voix = timbre
:

(Webern : mélodie de timbre style).

la force du sujet (lalangue lacanienne) déplace la classifica¬ fiera de «méthodologique». Le glissement de

tion, la hiérarchie grammaticale. (Pour nous : la partie impor¬ conduit l'amoureux et le professeur vers un
tante du langage les shifters : qui sont les marges du langage appréhension du shifter :
:

pour la linguistique orthodoxe.)

c) Notre blanc : le degré zéro du shifter, le signifiant zéro à
quoi se substituent d'autres signifiants. Cette substitution gram¬
maticale - inscrite dans la langue sous forme de formules - a
été mise en scène par Freud : Président Schhreber, p. 308. Je
l'aime, lui —> Je l'aime, elle —> elle m'aime etc. (Ceci n'exclut
pas la substitution du sémantème : je l'aime/Je le hais.)
Un mot n'épuise pas le jeu des structures : du poi
ce jeu : le mot, là encore, n'est pas monosémiqu
postuler un glissement, qui devrait être la règle d'
témologie moderne (lecture et écoute) : Énoncé
tion —> profération.

Ce qui est au travail, dans cette longue citation quasi limi¬
naire, c'est une tension entre le titre de la figure, qui efface
le «je», et le développement des «remarques», qui en
restitue la présence et la valeur. Parce qu'il refuse la
Après cette énumération dont la flèche matéria
sement du lapsus, Barthes propose le tableau
18. «Cela dit l'enjeu du discours tenu n'est pas là (dans sa
:

est dans ceci que nous mettons à nu le discours dans lequ

méchanceté de l'infinitif autant que la tyrannie du séman¬
:

débattons : par ce travail, nous nous mettons plus que jamai

tème, Barthes commence par convoquer l'ensemble des
pronoms personnels pour se concentrer peu à peu sur l'es¬
sentiel : un sujet parlant qui dit «je» et qui coïncide plei¬
nement avec la force de son énonciation 18.
du Code et de l'Existence, nous exacerbons la contradiction e
inévitable (ordre de la nécessité) et la Parole irrépressible (o
de ['Individuation) : jamais notre corps ne peut plier complèt
la loi du Code (de la Science, de la Paranoïa, de la Gén
Réduction, de la Typologie) ; et jamais notre esprit, notre l
 GENESIS

destiné à rendre plus intelligible le passage par Lacan et le Si le livre estompe la confrontation entre les deux penseu
renouvellement de la linguistique. les séminaires mettent en pleine lumière le glissement
l'une à l'autre figure tutélaire. Le nom du philosophe ap
Où est notre Je t'aime ?
raît dès la première année, un peu perdu parmi tous
a) Comme énoncé : SVO !
psychanalystes :
Mythe de la déclaration d'amour : je vous passe information :
ie vous aime.
b) Comme Demande : dans l'énonciation - mais encore happé Peut-on, à l'inverse, imaginer une vue tragique de la so
dans l'espace réducteur d'une métalangue [qui, il est vrai - et france d'amour, une affirmation tragique du Je t'aime? -
Ces questions : proprement nietzschéennes (seul Nietzs
c'est l'énorme progrès de la psychanalyse - ne s'accepte que
les a posées). Il nous faut donc esquisser, après la voie psyc
dans son rapport au sujet qui est à côté d'elle, et dont elle
nalytique d'évaluation (voie de la dépréciation), la voie ni
parle : il s'agit bien d'énonciation.] (Dialogue : Je t'aime -
vous êtes dans la demande). schéenne, voie de l'Actif (l'Action). [Nietzsche, si import
c) Avec le Moi aussi simultané : dans la profération. Il reste dans la pensée de certains contemporains : (Batail
à évoquer deux « timbres » du Je t'aime - ou si l'on préfère, Klossovski, Deleuze) : paradoxalement : aucune gra
deux « accidents » de la demande situés l'un et l'autre dans la confrontation, ni avec la psychanalyse, ni avec le marxism
— » Nietzsche va nous permettre de recueillir l'Intraitable
profération : 1) dans la voix, 2) dans le temps, c'est-à-dire la
Je t'aime. l'Intraitable de l'Interprétation psychanalytiqu
dialectique : heureux ? C'est ce que nous allons voir.
sa Kaxa?i£U|/iç («Je t'aime» I).
Le tableau et son commentaire ne seront pas transposés
dans le livre. Mais Barthes se souviendra de l'esprit de cet C'est dans cette amorce placée très tôt dans le chemin
intermède en conservant les mots qu'il a, en quelque sorte, ment du séminaire que se prépare, très explicitement,
gagnés sur la linguistique (« énonciation » et surtout « profé¬ changement d'univers. A l'autre bout de la chaîne, c'est
ration»), Grâce à eux, il réussit à décrire l'amoureux du dire dans Fragments d'un discours amoureux, la dér
« Je t' aime » comme sujet parlant, manifestant une présence volontaire qui conduit de Freud à Lacan, de Lacan
dans un présent irréductible. En fusionnant l'intentionna- Safouan et de Safouan à Dionysos s'accomplit dans
lité et l'énonciation, Barthes passe par la linguistique pour dernière section (n° 10) de la figure. L'idée est bien conn
définir une conscience amoureuse qui se construit dans son l'amour, proche de la volonté de puissance, coïncide a
rapport à l'objet aimé comme la conscience décrite par les une revendication de singularité qui doit s'affirmer con
philosophes se construit dans son rapport au monde : le hic tous les métalangages, incapables de préserver le caract
et le nunc, la présence, l'antériorité par rapport au code, intraitable de la relation affective 19.
l'affirmation d'une identité singulière et collective, autant De séance en séance, mais de façon non linéaire,
de traits qui tissent des liens entre phénoménologie et notes de Barthes permettent de suivre une gestation q
linguistique. C'est par celle-ci que le Barthes des séminaires sûre de son bon droit, hésite encore sur le bon mot. De
essaie d'apprivoiser celle-là. Mais la discrétion du voca¬ «protestation» (d'amour) au «Je t'aime» comme «cr
bulaire (la phénoménologie), ou sa dérive (la linguistique), comme « holophrase » 20 ou comme « profération »,
montrent bien que le mouvement du lapsus ne s'arrête pas pensée hésite, avant de fixer définitivement son choix. A
au shifter. De la profération, on glisse alors vers la notion simple brutalité du «cri», à la consistance de l'« ho
nietzschéenne d'affirmation. phrase», la «profération», née, on l'a vu, du disco
linguistique, apporte l'énergie d'un renouvellement per
tuel. Barthes, qui a déjà employé le mot dans le prem
Affirmation de l'affirmation « Je t'aime », le tire peu à peu du côté de Nietzsche :
LES BROUILLONS DU «JE T'AIME
travail dialectique (qui ne serait pas sans rapport avec le travail
du deuil : car c'est un travail du mot qui choisit la visée de
viabilité) : dialectiser la demande et/ou le désir, sans jamais
ternir l'incandescence de l'apostrophe :
Fonction éthique du langage et de l'amour : donner à une
même phrase, à un même mot, des inflexions toujours
nouvelles : conquérir des sens, à travers les mêmes signes :
créer une langue inouïe où la forme du signe se répète (sa voix.
vox, le signifiant), mais jamais son signifié - où le parleur et
l'amoureux triompheraient de la réduction imposée à 1' affect
par le métalangage (analytique) : il affirmerait le droit au Je
t'aime : sortirait de la classification pour atteindre dans la vie
même la Moire du Texte (« Je t'aime » II).
Pour passer de l'oralité du «cri » au chant de la «proféra-
tion», de la « profération » singulière à l'intraitable affir¬
mation nietzschéenne, le raisonnement a besoin d'intro¬
duire une notion psychanalytique, le Bejahung freudien
(traduit par « affirmation »). Dans le premier « Je t'aime »,
la rédaction reste assez touffue. L'«affirmation », sans lien
explicite avec Nietzsche, n'y apparaît encore que par l'in¬
direct de la psychanalyse et de sa contestation :
Bien que ce n'ait été fait, je crois, par aucun analyste « auto¬
risé », il ne me paraît pas impossible d'assimiler le Je t'aime
à l'affirmation première : Bejahung (de l'enfant) : se main¬
tenir dans le fantasme naïvement ; sorte de Passion du signi¬
fiant; c'est une fantasmatique, qui ne comporte pas de juge¬
ment sur la réalité : elle n'est donc pas fausse - mais
menteuse : elle permet de parler. L'affirmation première doit
être niée pour qu'il y ait accès à l'inconscient ; elle comporte
une négation - est déjà symbolique : il n'est pas possible de
coucher avec sa mère («Je t'aime» I).
Dans le second «Je t'aime», la pensée se décante et se
clarifie, tout en conservant le concept-pivot emprunté à
Freud. D'une année sur l'autre, la présence de Nietzsche
s'est imposée, tant sur le plan des idées que de la présence
matérielle dans le texte :
À la Bejahung (affirmation première) de la psychanalyse,
ÉT
(de quantité entre des forces supposées
actif/réactif = qualités respectives d
dominants/dominées) — > Je renvoie ou à Nietzs
ou pour aller plus vite à Deleuze, Nietzsche et
(«Je t'aime» 11)21.
19. La dernière (et symbolique) figure du séminaire sy
obstacles et tous les langages auxquels se heurte l'am
«Protestation d'amour» (Figure 100). Emporté par un m
le livre décantera, l'amoureux proteste successivement
logique (accepter la contradiction d'être à la fois heureux
d'un autre langage (lutte contre la prédication : sujet +
façons : 1) amour fou, idéalisation absolue, 2) décision d
aimé tel qu'il est, 3) accès à un monde sans adjectifs j'ai
:
d'une autre structure. Cette structure, c'est l'Imaginaire. E
ce n'est pas à proprement parler en se soumettant
Psychanalyse. En partant de ce cadre, certes, mais selon d
pectifs d'émancipation 1) Le Sujet amoureux ne peut
:
dans l'Imaginaire habituel parent pauvre des structures n
line, au statut indécis et inintéressant, coincé entre le S
Réel, la Névrose et la Psychose, sorte d'état-puceau qui n'
reçu l'initiation - le dignus intrare - de la Castration ; 2)
:
bien que je n'ai que l'intuition théorique, et non la force,
décrire, ou plus simplement et mieux, de poser l'Imagin
ment comme dominante (pour certains sujets), mais pl
ment remettant en cause l'existence même du Symboli
non par refoulement, mais par im-pertinence. Ceci est a
de et pour rejoindre une pensée nouvelle du langage, de
y avait des écritures, symboliquement mates, entièremen
pourvoir ni intérêt anagrammatique ? Si le langage - cer
ne s'arrêtaient pas au Symbolique, et par là, lui donna
l'écriture même - et par l'écriture ? Bref, s'il y ava
l'Imaginaire ? Suprême Folie : la Folie invisible ?
Peut-être suffirait-il de quelques amoureux - d'une Pensée a
Œuvre amoureuse (aussi radicale que celle de Bataille dan
pour que quelque chose de nouveau apparaisse dans le
Tel est à mon sens le triple enjeu de la Protestation d' Amo
« Protestation d'amour»).
20. Sur cette notion lacanienne, voir l'annexe II.
21 . « En quoi, dès lors, peut-il être le motif d'une différe
rence induite par le Jet'aime n'est pas d'ordre social, s
une différence d'affirmation, au sens nietzschéen voir
:
mation ; c'est-à-dire : comment Je t'aime est-il pris dan
Quelle en est l'évaluation ? En quoi relève-t-il du nobl
 GENESIS
Dans Fragments d'un discours amoureux, Barthes toilet¬
tera ses notes, allégera les références, mais sa pensée n'évo¬
luera plus.
Dialectique
Dans la lumière de Nietzsche, la duplicité du lapsus met
en place une véritable dialectique de l'éternel retour. Cette
dialectique, qui cherche à susciter des différences sans cesse
renouvelées, devient la forme la plus aboutie de la « répé¬
tition ». Bien au-delà des oppositions théoriques de
l'«opératoire » et du «méthodologique», de la catalepsis
et de la cataleipsis, la dialectique du lapsus met en évidence,
non seulement les principes, mais aussi le fonctionnement
de la pensée. Par le choix même du mot « lapsus », Barthes
rafraîchit sans le dire le fonctionnement de l'antithèse. Le
paradoxe qui consiste à prendre le même mot à la fois pour
désigner le symptôme d'une réalité inconsciente et la claire
conscience de cette réalité condense en un seul terme les
deux volets du diptyque. Cette fois-ci l'antithèse, ce « spec¬
tacle même du sens », ne prend pas la forme d'une opposi¬
tion paradigmatique, entre, par exemple, l'actif ou le réactif,
l'écrivain ou l'écrivant, le manifeste et le latent. La tension
se manifeste au cœur même du mot, dans la densité de sa
polysémie. Expansion du mot « lapsus », le texte de
Fragments d'un discours amoureux, et plus encore les sémi¬
naires qui accentuent le phénomène par une sorte de ralenti
quasi cinématographique, nous montrent l'originalité d'une
pensée barthésienne de la négation. On peut le dire autre¬
ment : le mot «lapsus», antithétique à lui tout seul, véri¬
table «énantiosème», tire son dynamisme d'une tension
jamais révolue entre le «encore» et le «déjà» 22 .
Cette dialectique du lapsus se donne à voir dans la struc¬
ture même de la figure «Je t'aime». Les dix sous-titres
proposés par Barthes dans la table de matière du livre
voilent à peine une organisation en trois parties qui rappelle
d'assez près le plan d'une dissertation. Des manuscrits aux
Fragments, la progression de la pensée suit les mêmes
étapes : d'un premier développement consacré à la profé-
ration solitaire, on passe à la réponse, heureuse et malheu¬
reuse, apportée à la demande, et au dépassement de cette
naire : au « cri » succèdent « la demande », « le comblemen
et un dépassement ouvertement présenté comme « diale
tique». Dans le second séminaire, introduit par un lo
rappel, Barthes semble hésiter davantage : le cheminemen
moins sûr de lui en apparence, revient sur ses pas (« V
de l'interprétation»), mais la tension et le résultat deme
rent identiques malgré le renouvellement du vocabulaire 2
« Holophrase », « fantasmes de réponse », « Voie de l'inte
prétation », « Voie de l' actif I : la voie magique », « Voie
l'actif II : L'Affirmation». Quel que soit son état, la figu
du «Je t'aime» est une figure heureuse puisque tout
termine par la manifestation de la volonté de puissanc
cette force capable de réunir le «je» et le «tu» dans u
même poussée verbale.
Si la dissertation vaut comme le lapsus régressif du «
t'aime», à peine dissimulé par la table des matières, ce
belle structure de l'université française cache elle-mêm
son propre lapsus. Un Barthes essayiste, partisan d'une éc
ture fragmentaire, n'hésite pas quand cela devient néce
saire à intégrer des formes de pensées qu'il refuse le pl
souvent24. Le lapsus coïncide alors avec une forme
22. La dialectique est impliquée dès le départ par le choix du corpus
diversité du corpus permet de mettre en scène une « dialectique de la dif
rence » (Introduction I).
23. De séance en séance, la résolution progressive d'une énigme po
par un poème de Heine entretient une sorte de suspens. Voici l'énigm
« Quand tu me presses sur ton cœur/J'éprouve comme une joie divine/M
quand tu me dis Je t'aime !/Je ne puis que pleurer amèrement» («
t'aime» I). Et voici la solution, qui prépare le retournement nietzsch
du négatif en positif «Une autre voie d'interprétation placerait le
:
t'aime dans l'unité du mot et de sa réponse, c'est-à-dire dans son l
transférentiel. En disant : Je t'aime, j'attends de l'autre un mot, qui
vient pas c'est la situation même de l'analyse. Obtenir le mot serait f
:
cesser (prématurément le transfert) ; l'objet aimé qui refuse le mot-répo
entretient le transfert (cf. Dieu, à qui ce mot est sans cesse adressé et
ne répond jamais la religion comme transfert entretenu, interminabl
:
éternel ?) : ce qui est attendu du silence du mot refuse, c'est la progr
sion du Deuil salvateur. Ce qui fait que paradoxalement, répondre au
t'aime (par un autre Je t'aime) serait une opération de Deuil le mot u
:
fois proféré en réponse et entendu, l'Imaginaire tomberait, il y aurait de
de l'Imaginaire, deuil de l'amour. Ainsi s'expliqueraient enfin les v
énigmatiques de Heine Quand tu me dis «Je t'aime» je pleure amè
:
ment : c'est la fin du transfert, la fin de l'amour - la fin du monde, d
la Mort des amants de Baudelaire (l'éclair unique) : deuil, mais d'une t
qualité, d'une qualité si inouïe, si dévastatrice (c'est-à-dire si affirmat
LES BROUILLONS DU «JE T'AIME»
retour, commandé par les nécessités de la pensée et permis
par la liberté d'une recherche non systématique. Mais à l'in¬
térieur du développement d'une première forme de dialec¬
tique, au cœur de la dissertation comme lapsus, un autre
lapsus développe sa propre dialectique faite d'aller et retour,
de faux regrets tactiques et de palinodies véritables.
Barthes aime à souligner les progrès de sa démarche, la
nouveauté d'une étape :
L'année dernière, essentiel du traitement Je t'aime = Aime- moi» indécidable, nous surprenons le lapsus en pleine
:
moi = voie typiquement interprétative (le renversement est métamorphose.
l'opération chérie de l'interprétation). Cette année, il y a glis¬
sement Je t'aime = Aime-moi (équivalence, substitution) à
:
Je t'aime —> Réponds-moi : Je t'aime (Action). Ce n'est pas «Je vous aime, la bête»
la même chose —> départ d'une autre évaluation possible.
:
En fait, ce descriptif présenté à la rentrée de 1975 est beau¬
coup trop tranché. Le premier séminaire ne s'est pas
contenté de traiter le sujet selon les seules voies de l'inter¬
prétation et le second séminaire n'hésite pas à revenir
longuement sur la réalité du cri comme symptôme
(« Situons la ; c'est un peu revenir en arrière, avant la
réponse. ») Le va-et-vient est constant à l'intérieur de la
:
structure, une multitude de motifs brouillent la frontières
des sous-parties et l'autonomie de chaque étape. Comme
on a pu le voir, un jeu d'amorces expose dès le début une
idée qui ne trouvera son plein épanouissement que bien plus
tard dans la pensée.
Le jeu du «déjà» et de l'«encore», le dynamisme du
lapsus travaille autant le macrocosme de la structure que le
microcosme du mot. Dans l'exemple suivant, la psychana¬
lyse occupe tout l'espace textuel
:
L'acquis psychanalytique du travail, pour moi, c'est d'avoir
bien vu, et à plusieurs reprises ceci que le DA est comme
une tresse, comme un train d'ondes chevauchantes de
:
Demande/Désir (ce qui selon Lacan, définirait l'espace propre
de la névrose) («Semblant méthodologique»).
Mais, dans ce nappé analytique, il suffit de deux petits mots,
«pour moi ». il est vrai soulignés, pour signaler la présence
très discrète de Nietzsche. A mi-chemin de la première
année, Lacan est « encore » là, massivement présent, et
Nietzsche, « déjà » là, à dose infinitésimale. Ce « pour moi »,
que Barthes investit de sa subjectivité, prend son sens par
ÉTUDES
rapport aux analyses formulées par Deleuze dans Nietzsche
et la philosophie : « La question : Qu'est-ce que c'est ? est
une façon de poser un sens vu d'un autre point de vue.
L'essence, l'être est une réalité perspective et suppose une
pluralité. Au fond, c'est toujours la question Qu'est-ce que
:
c'est pour moi ? (pour nous, pour tout ce qui vit, etc.) »
(p. 87). A quelle sorte de lapsus ce «pour moi» renvoie-
t-il ? Autrement dit, Barthes est-il pleinement conscient de
l'intertexte qui l'inspire ? Signe ou indice ? Avec ce « pour
Nietzsche est la manifestation éclatante de la conscience
comme lapsus. La musique offre le même degré d'évidence,
mais sa présence dans les manuscrits relève d'un mode
d'inscription totalement différent. L'assomption de
Nietzsche se manifeste selon les étapes d'une affirmation
progressive, d'une montée en puissance. La musique est là,
d'emblée. Sa présence renvoie, on l'a dit, à la culture alle¬
mande, à la force émotive du lied comme préfiguration du
«Discours amoureux». Mais l'essentiel est ailleurs.
L'examen des manuscrits révèle combien le rapport de
Barthes à la musique est un rapport d'immédiateté, de
consubstantialité. Ce qui se traduit ainsi : quand il écrit sur
la musique, Barthes trouve tout de suite, ou presque, la
bonne formule, la forme juste - c'est-à-dire la forme bien
ajustée à 1' affect - qui passera presque sans retouches des
notes manuscrites au texte imprimé. Grâce à la musique, le
bonheur de l'expression coïncide avec le bonheur
d'expression.
Pour Barthes, le comblement parle presque toujours la
langue de la musique. Commentant l'extraordinaire duo où
Pelléas et Mélisande s'avouent enfin leur amour, les
Fragments propose une belle analyse de l'accord qui unit
les personnages :
24. On trouve un bel exemple de dissertation avec « Les maladies du
costume de théâtre ». recueilli dans les Essais critiques.
 GENESIS
il faut que le sujet interpellé assume de formuler, de proférer
le je-t-aime que je lui tends : Je t'aime, dit Pelléas. -Je t'aime
aussi, dit Mélisande.
La requête impérieuse de Pelléas (à supposer que la réponse
de Mélisande fût exactement celle qu'il attendait, ce qui est
probable puisqu'il meurt aussitôt après) part de la nécessité,
pour le sujet amoureux, non seulement d'être aimé en retour,
de le savoir, d'en être bien sûr, etc. (toutes opérations qui n'ex¬
cèdent pas le plan du signifié), mais de se l'entendre dire, sous
la forme aussi affirmative, aussi complète, aussi articulée, que
la sienne propre ; ce que je veux, c'est recevoir de plein fouet,
entièrement, littéralement, sans fuite, la formule, l'archétype
du mot d'amour : point d'échappatoire syntaxique, point de
variations : que les deux mots se répondent en bloc, coïnci¬
dant signifiant par signifiant {Moi aussi serait tout le contraire
d'une holophrase) ; ce qui importe, c'est la profération
physique, corporelle, labiale, du mot : ouvre tes lèvres et que
cela en sorte (sois obscène).
Les notes du second «Je t'aime», sans être identiques, ont
trouvé, comme d'instinct, l'air sémantique et syntaxique
qui exprime le rêve de réciprocité. L'écrivain gommera le
«je» du professeur, enrichira ou tout simplement rédigera
les lambeaux de phrases ; mais le geste est déjà là et avec
lui l'émotion qu'il dégage :
La bonne forme est celle par laquelle le sujet interpellé (l'objet
aimé) assume de proférer intégralement à son compte le Je
t'aime —» Donnée par Mélisande, au sommet dramatique de
l'opéra (fin du IIIe acte) <> Pelléas : Je t'aime - Mélisande :
Je t'aime aussi.
La voie affirmative (active), que j'essaie d'esquisser part de
la nécessité pour le sujet amoureux, non pas tellement d'être
aimé en retour, de le savoir, d'en être sûr etc. - Mais de se
l'entendre dire au moins une fois, sous la forme d'un cri aussi
affirmatif, aussi complet, aussi articulé, aussi holophrastique
que le sien propre (Moi aussi est tout le contraire d'une holo¬
phrase) («Je t'aime» II).
La comparaison des notes et du texte final est encore plus
éclatante dans les lignes suivantes, quand se rencontrent la
Belle et la Bête, quand l'opéra laisse la place au conte et
que Debussy succède à Ravel. Voici le manuscrit :
Entretiens de la belle et de la bête : la bête - tenue enchantée
magique (et quêté) : « Je vous aime, la Bête » ; et aussitôt,
la déchirure soyeuse et somptueuse d'un grand trait de ha
la Bête quitte sa peau et c'est un beau seigneur qui app
(«Je t'aime» II).
Et voici le texte des Fragments d'un discours amoure
La Bête - retenue enchantée dans sa laideur - aime la B
la Belle, évidemment, n'aime pas la Bête, mais, à la
vaincue (peu importe par quoi ; disons : par les entret
qu'elle a avec la Bête), elle lui dit le mot magique : «Je
aime, la Bête » ; et aussitôt, à travers la déchirure somptu
d'un trait de harpe, un nouveau sujet apparaît.
Cette fois-ci, les deux versions sont presque identique
l'évocation de l'amoureux heureux correspond une form
heureuse qui surgit très tôt dans les notes du profess
écrivain. Comme un de ces « airs syntaxiques » qui tro
le discours amoureux, comme le « cri » ou la « proférati
du «Je t'aime», mais sur un mode plus civilisé et p
apaisé, la formule musicale témoigne des liens profo
qui unissent l'affect, le bonheur et la musique. E
témoigne surtout par sa précocité de l'implication sec
qui relie la musique et l'écriture. C'est comme si l'af
heureux appelait d'emblée la bonne phrase; c'est com
si tout bonheur d'expression était déjà littérature.
De Pelléas et Mélisande à la Belle et la Bête, le comb
ment est le même, la musique produit le même enchan
ment sonore. D'un passage à l'autre, seule change peut-
la projection du locuteur en quête d'une Vita nova se
mentale. Au couple des amoureux séparés par les aut
mais réunis par leur jeunesse, succède le couple imposs
des amants séparés par la laideur comme d'autres le
par l'âge. Mais, grâce à la musique française, le miracl
produit malgré tout : la différence s'abolit grâce à la v
des « entretiens », c'est-à-dire grâce à la toute puissanc
la parole. Entretiens, conversations, mais aussi, pourq
pas, cours, livres et séminaires : l'association de la m
et de la musique dit, avec beaucoup d'espoir et de dis
tion, la puissance du discours amoureux et de la littérat
Le brouillon
LES BROUILLONS DU «JE T'AIME» ÉTU

qu'il définit comme l'«écrasement entre l'énoncé et Dans son premier cours au Collège de Franc
l'énonciation - entre DA et D/DA » (Introduction II). Ce mesure pleinement la supériorité de l'écrit sur

« malangue », respectueux et affranchi, concentre en lui texte rédigé sur les manuscrits de cours : « Le l
toutes les vertus du lapsus. Glissement, dérive ludique à Discours amoureux est peut-être plus pauvre qu

partir de Lacan, le néologisme est un événement verbal naire, mais je le tiens pour plus vrai. » Cette v

qui joue de son double rapport au passé et à l'avenir. Reste autre que la volonté de puissance à l'œuvre dans
autant que germe, le lapsus conserve la mémoire du A la fin de la seconde conclusion, Barthes ann

voyage ; il mesure le chemin parcouru dont il matérialise commentaire, ce livre à venir, qu'appellent la log

le souvenir. Ne reste parfois qu'un mot solitaire, coupé de pensée et la musique déposée dans les notes :«[..

son contexte, sorte de butte-témoin, mot que l'on garde je ne suis pas encore sûr de pouvoir l'écrire, c

pour soi et pour ceux qui partage la même culture. En d'en trouver la pratique, le fonctionnement d'éc

employant le mot lacanien «dyade», en dehors de tous d'un mot : c'est très difficile. » L'existence du

systèmes, d'abord dans le séminaire, ensuite et surtout l'hypothèque formulée à la fin de sa dernière c

dans Fragments d'un discours amoureux, Barthes ne En découvrant à partir de la fin, le regard r

conserve pas le mot par coquetterie. Dans la solitude appa¬ permet une lecture plus sereine. Le généticien

rente et comme déplacée de « dyade », il faut lire le reste, méfier d'une démarche trop téléologique ? Il

la belle ruine où se condensent toutes les étapes du chemi¬ qu'on ne perd rien à lire les cours et les man

nement qui a mené jusqu'à lui. L'évolution n'est pas une Barthes en pensant au devenir littéraire qu'ils

révolution : ce qui a été, existe encore et pourra un jour souvent. Le séminaire et le livre sont différent

ou l'autre être pleinement réactivé. l'un à l'autre la voie est toujours possible. Quand
 GENESIS

Annexe I

Plan du cours (feuille collée au verso des chemises cartonnées ; liste des figures tapée à la machine)

1. Ravissement, 13 26. Enchantement, 63 51. Lettre, 104 77. Rêve, 146

2. S'abîmer, 19 27. Enfance, 64 52. Lieu, 105 78. Réveil, 147
3. - aime, 21 28. Entraînement, 65 53. Livre, 106 79. Rire, 148
4. Anamnèse, 26 29. Épouser, 67 54. Loquèle, 109 80. Ruban, 149
5. Annulation, 28 30. Erreur, 68 55. Magie, 111 81. Rythme, 150
6. Ascèse, 29 31. Esquisse, 69 56. Mère, 113 82. Scène, 151
7. Attente, 30 32. Exprimer, 7 1 57. Métonymie, 115 83. Secousse de lang. 153
8. Autre langage, 32 33. Fading, 77 58. Moment, 117 84. Sidération du monde,
9. Bonté, 34 34. Fatigue, 81 59. Musique, 119 154
10. Cacher, 36 35. Fête, 82 60. Oblation, 123 85. Situation chargée, 155
11. Chaîne, 38 36. Force, 83 62. Orange, 125 86. Souffrance, 156
12. Circonscription, 40 37. Fou, 84 63. Parler C, 126 87. Tactique, 158
13. Clivage, 41 38. Gestes tendres, 86 64. Parler R, 128 88. Temporalité, 160
14. Cœur, 45 39. Habit, 87 65. Perfection, 129 89. Tiers, 162
15. Comprendre, 46 40. Hasard, 88 66. Perte, 130 90. Tilleul, 136
16. Contacts, 50 41. Humeur, 89 67. Piège, 131 9 1 . Toucher, 1 64
17. Contingences, 5 1 42. Idée de suicide, 91 68. Pleurer, 132 92. Traverses, 165
18. Créativité, 52 43. Identification, 93 69. Potin, 134 93. Triomphe, 166
19. Déclarationisme, 53 44. Image, 95 70. Prêtre, 136 94. Vacance, 168
20. Délabrement, 55 45. Incertitude, 96 71. Psychagogie, 137 95. Velléité, 170
21. Démons, 56 46. Induction, 97 72. Que faire? 138 96. Vérité, 171
22. Dépendance, 57 47. Inscription, 98 73. Réciprocité, 139 97. Voir, 172
23. Doxa, 58 48. Issue, 99 74. Regret, 141 98. Voir clair, 173
24. Éloge du rival, 61 49. Jaloux, 100 75. Réplique, 142 99. Vu, 174
25. Embrasser, 62 50. Lebewohl, 50 76. Retentissement, 144 100. Les issues, 175
LES BROUILLONS DU «JE T'AIME» ÉTUDES

Annexe II

Holophrase (oXoç : tout entier). Lacan I 250 et Julia Kristeva pable de provoquer l'action spécifique qui ne peut être réalisée
Rév poé qu'avec une aide extérieure — > voix (décharge). En effet
Langage enfantin entre le babil et la formation (œdipienne) - Je-taime registre de la voix, et souvent voix basse, cri bas

:
:

:
de la phrase premiers morphèmes, premiers « mots » : chacun au plus près du corps, de l'étreinte, à même l'oreille de l'autre.
:

est comme une phrase complète, un énoncé complet. -Appel indifférencié j'appelle, je t'appelle, sans savoir exac¬

:
= « Expressions, phrases qui ne sont pas décomposables et qui tement ce que je veux, comme si je ne pouvais parler (-aime
se rapportent à une situation prise dans son ensemble». = maman !)
- Freud «C'est dans le cri d'appel que s'accomplit l'hallu¬

:
« Toute holophrase se rattache à des situations limites, où le cination. » En effet jet' aime halluciné la réponse « Moi

:
sujet est suspendu dans un rapport spéculaire à l'autre » aussi » en tant que cri, Je t'aime exclut toute négativité (cf.
:
(Lacan) - Et J. Kristeva insiste immergées dans le langage infra sur l'affirmation) — > Flallucination du cri. Il n'est pas
possible de dire jetaime en imaginant une réponse négative.
:

gestuel ( langage conceptuel) le référent du discours n'est

Cette interprétation personnelle n'est déjà plus psychanaly¬
:

pas donné dans le discours le discours ne dénote pas encore ;

tique cf. Affirmation première [ remarque marginale au stylo],
:

ce n'est pas une thèse prédicative (S + prédicat) plus près

d'une opération (transformer, désirer) que d'une phrase : le b) En tant qu' holophrase, Jetaime supprime les nuances, les
:

sujet qui est prédiqué par le mot (« topic ») est en fait le désir, explications, les aménagements, les scrupules : d'une certaine
la pulsion. — » Je-t-aime : semble bien une holophrase 1) en manière - paradoxe exorbitant de langage - fait comme s'il
n'y avait aucun théâtre de la Parole, de l' Intersubjectivité
:

fait n'est pas décomposable (d'où notre façon graphique de

:
présenter la figure) il n'y a pas Je (un je antérieur et indé¬ mot qui est toujours « vrai » mot sans feinte, sans espace de
:

feinte (contrairement à l'accusation d' Inauthenticité qui est

:

pendant) + aimer + toi, mais un jeté global, immédiat. 2) Il

s'agit bien d'une situation-limite sujet suspendu à l'autre souvent portée contre lui) mot de la profération.
:

dans le miroir. 3) Pas de référent, pas de message dans le mot c) Mot de la dyade (maternelle, amoureuse) postulativement,
:

lui-même cela ne dénote rien (sauf dans la déclaration il est donc sans ailleurs jet langagier sans ailleurs : n'est pas
:

d'amour, exclue de la Figure). 4) Le vrai sujet, c'est le désir- pris dans le jeu de la distance signifié/signifiant : ce n'est ni
demande. 5) Ce n'est pas une phrase, c'est une opération, qui un signifié ni un signifiant : ce n'est pas un signe (encore la
vise à transformer l'autre, à lui arracher un Je t'aime aussi. Profération) il n'est métaphore de rien c'est une lettre pure,
:

mate, intraitable la lettre de la Profération, n'est pas prise

:

Nature holophrastique du Jetaime —> dans le langage social ; elle n'est pas un moment social : ce
a) - Rapport avec le en. Sur le cri (Freud, repris par Safouan, n'est pas la lettre des philologues, ni même celle des psycha¬
S truc 36 sq.) : cri d'appel parce que l'enfant est d'abord inca¬ nalystes («Je t'aime» II).
:

Claude Coste est maître de conférences à l'université de Caen où il enseigne la littérature française du XXe siècle. Une grande partie
de sa recherche est consacrée à l'œuvre de Roland Barthes Roland Barthes moraliste (Presses universitaires du Septentrion, 1998),
:

Comment vivre ensemble, édition du premier cours au Collège de France (Seuil, 2002), Sur Barthes, direction d'un numéro de La
Revue des sciences humaines (2002).
..

Claude Coste, coste.claude@wanadoo.fr

1 27
:
 GENESIS

- Résumés
Les brouillons du « Je t'aime »

Les grandes caractéristiques de Fragments d'un discours amou¬ der Musik. Nach und nach verwandeln sich die Seminarnotizen
in Brouillons und weisen auf das kommende Buch als den
«Lapsus" der Handschrift.
I tratti principali dei Frammenti di un discorso amoroso si trovano
già nel seminario che Barthes aveva dedicato al "discorso
amoroso" dal 1974 al 1976 ail' École Pratique des Hautes Études
la riabilitazione del sentimento, l'organizzazione per figure, l'or-

:
reux«selapsus
Discours
Études
l'ordre
Qu'est-ce
notes
reprend
travaillant
Barthes
psychanalyse.
propose
En
laisse
phénoménologie,
lement appartiennent
delaretirant
peu alphabétique,
end'analyser
laplace
sacours
amoureux
endonc
réhabilitation
»sur
arrive
recherche,
dupeuleausans
àC'est
qui
manuscrit.
«en
livre
paradoxalement
plusieurs
lasupplément
sedisparaître,
àdebrouillons,
déjà
lamusique...
partir
joue
cette
imprimé
1974
présence
ajoute,
duaudans
dedéprise
formes
sentiment,
àséminaire
1976
»,lamodifie
?désignant
delalesur
D'une
Les
figure
àpsychanalyse
passage
Werther,
àprendre
de
cenon
l'École
notes
l'organisation
«qu'il
que
année
sans
centrale
lapsus
conflictuelle
ledetout
Barthes
appelle
ses
livre
renoncer
Pratique
sur
l'oral
cours
»distances
est(Freud,
dul'autre,
à Nietzsche,
déjà
venir
«Je
leàconsacre
separ
des
l'écrit,
«àqu'on
en
t'aime».
transfor¬
lapsus
rien.
figures,
Barthes
comme
Hautes
avec
Lacan)
place.
des
En
ausela», dine alfabetico, la presenza del Werther, tutto è già présente. Che
cosa succédé dunque nel passaggio dall'orale alio scritto, dagli
:

appunti per le lezioni al libro stampato? Un anno dopo l'altro

Barthes rilavora il suo testo, aggiunge, modifica senza rinunciare
a niente. Lavorando sul "supplemento", su ciô che chiama il
"lapsus", Barthes giunge paradossalmente a prendere le distanze
dalla psicanalisi. E' proprio quest' abbandono non conflittuale che
ci proponiamo d'analizzare a partire dalla figura centrale del "Je
t'aime". Accomiatandosi senza sparire, la psicanalisi (Freud,
Lacan) lascia il posto a molteplici forme di "lapsus": Nietzsche,
The major characteristics of Fragments d'un discours amoureux la fenomenologia, la musica... Gli appunti per le lezioni si tras-
formano a poco a poco in brogliacci, che permettono di identifi-
atfigure
the École
alreadyPratique
in the seminar
des Hautes
which
Études
Barthes
fromdevoted
1974 toto 1976
this subject
from care il libro futuro come il "lapsus" del manoscritto.
:

the rehabilitation of feeling to a mode of organisation focussing

on figures, the alphabetical order adopted or the presence of Las caracterfsticas mayores de Fragmentos de un discurso
Werther, all is in place. What then is the process at work, in the amoroso aparecen ya delineadas en el seminario que Barthes
passage from the oral to the written, from lecture notes to the dedica al Discuso amoroso, de 1974 a 1976, en la École Pratique
printed work? Working from one year to the next Barthes takes des Hautes Études: la rehabilitacion del sentimiento, la organi¬
up his investigations again, adding to them, modifying yet without zation por figuras, el orden alfabético, la presencia de Werther,
discarding anything. While working on the "supplement", on what todo queda establecido. <Qué implica la transiciôn de lo oral a lo
he calls the "lapsus", Barthes paradoxically finishes up by taking escrito, de las notas de clase al libro impreso? Ano tras ano,
his distance from psychoanalysis. It is this distancing, devoid of Barthes retoma su investigation, anade, modifica sin renunciar a
conflict, which this article proposes to analyse, working out nada. Analizando el "suplemento" -lo que denomina el "lapsus"-
initially from the central figure of "Je t'aime". In the process of , Barthes logra paradojicamente distanciarse del psicoanâlisis. Es
withdrawal but not of eclipse, psychoanalysis (Freud, Lacan) este alejamiento no conflictivo que se intenta estudiar en este artf-
opens the way towards several forms of "lapsus": Nietzsche, culo, a partir de la figura central del "Te amo". Retirândose sin
phenomenology, music... The lecture notes are progressively desaparecer, el psicoanâlisis cede el lugar a ciertas formas de
transformed into rough drafts, pointing to the book to come as "lapsus": Nietzsche, la fenomenologia, la musica... Las notas de
the "lapsus" of the manuscript. clase se transforman poco a poco en borradores, que designan al
futuro libro como el "lapsus" del manuscrito.
Die herausragenden Eigenschaften der Fragments d'un discours
amoureux
des Hautesgehôren
Études, bereits
das Barthes
zu jenem
von Seminar
1974 bis an1976
der dem
École«Discours
Pratique As grandes caracterfsticas de Fragments d'un discours amoureux
estavam jâamoroso
Discurso présentes
de 1974
no seminario
a 1976 naque
École
Barthes
Pratique
consagrou
des Hautes
ao
amoureux" widmet die Rehabilitierung des Gefiihls, die
Aufteilung in Figuren, die alphabetische Anordnung, die Études a reabilitaçào do sentimento, a organizaçào por figuras,
:

a ordem alfabética, a presença de Werther, tudo la estava. Que

:

Gegenwart von Werther, all dies ist schon vorhanden. Was spielt
sich also ab beim Ùbergang vom Mtindlichen zum Schriftlichen, aconteceu entào na passagem do oral ao escrito, das notas de aula
von den Seminarnotizen zum gedruckten Buch? Barthes nimmt ao livro impresso ? De ano para ano, Barthes retoma a pesquisa,
von einem aufs andere Jahr seine Arbeiten wieder auf, fiigt hinzu aumenta-a, modifica-a mas a nada renuncia. Ao trabalhar sobre
und verândert, ohne irgend etwas fallen zu lassen. Bei der Arbeit o « suplemento », sobre o que chama de « lapso », Barthes chega
am «Supplement", am Nachtrag, an dem, was er selbst als paradoxalmente a distanciar-se da psicanâlise. É esta separaçâo
«Lapsus" bezeichnet, wendet sich Barthes paradoxerweise von amigâvel que nos propomos analisar a partir da figura central de
der Psychoanalyse ab. Ausgehend von der zentralen Figur des « Je t'aime ». Retirando-se sem desaparecer, a psicanâlise (Freud,
„ich liebe dich" soil hier diese konfliktlose Loslôsung untersucht Lacan) cede o lugar a diversas formas de « lapso » Nietzsche, a
werden. Die Psychoanalyse (Freud, Lacan) iiberlàsst, indem sie fenomenologia, a musica... As notas de aula transformam-se
:

sich zurtickzieht ohne jedoch zu verschwinden, mehreren Formen pouco a pouco em rascunhos, designando-se o livro que virâ como
des «Lapsus" ihren Platz Nietzsche etwa, der Phânomenologie, o « lapso » do manuscrito.
: