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ENTRÊTIEN
PAUL VECCHIALI
REALISATEUR DE « ENCORE »
LE CHOIÏX
DEÈS ACTES
Réalisateur « investi », Vecchiali travaille sans se préoccuper de per—
fection, de réalisme ou de... recettes. Son obsession : tourner des films
qui grandissent tous ses personnages. Au nom de la morale.
ul n‘est prophète en son
pays, on le sait bien. C‘est en
ltalie que Paul Vecchiali a
connu ses plus grands triom—
phes. En 1974, Pier Paolo
Pasolini crie son enthou—
siasme devant Femmes, Femmes. Echec
commercial à Paris, Corps à cœur aftire, en
1978, 300 000 spectateurs transalpins.
Aujourd‘hui, c‘est la Mostra de Venise — et
non le Festival de Cannes ! — qui a sélec—
tionné Encore.
— Est—ce un film sur le Sida ?
— Je vais vous répondre par une ques—
tion : est—ce que La Dame aux camélias est
un roman sur la tuberculose 2 Encore est
né d‘une révolte, d‘un espoir déçu. Les
années 76—81 ont été les plus belles de ma
vie. Tout ce dont j‘avais rêvé — la libération
sexuelle, notamment — arrivait. Les gens
étaient confiants, décontractés.
Et puis, tout à coup, le Sida. Et la bour—
geoisie qui se jette dessus pour rétablir
l‘ordre moral. Les conséquences de cet
ordre moral restauré me paraissent aujour—
d‘hui aussi graves que les conséquences
de la maladie elle—même.
— Votre héros meurt impeccable,
propre. On va vous reprocher, une fois
encore, votre irréalisme aigu.
— Oui, c‘est ce que vont dire certains
médecins. Mais, au cours des Nuits
magnétiques, j‘ai rencontré deux jeunes
femmes qui avaient travaillé sur le Sida.
« Ce qui est formidable, m‘ont—elles dit,
c‘est que vous montriez un malade serein.
La plupart de ceux que nous avons ren—
contrés le sont. Sereins, et beaux aussi. »
Alors, en fuyant le réalisme, peut—être suis—
je parvenu à retrouver une certaine réalité.
De toute façon, j‘aurais trouvé ignoble
de montrer Monsieur Jean—Louis Rolland
avec des bubons et autres stigmates. Ce
vérisme—là fait partie d‘une morale ciné—
matographique douteuse et je m‘y refuse
absolument.
— C‘est quoi, pour vous, la morale
cinématographique ?
32 TÉLÉRAMA N° 2017 — 7 SEPTEMBRE 1988
— S‘efforcer de trouver, par la mise en
scène, ce qu‘il y a de grand dans chacun
des personnages. Sinon,—pourquoi s‘inté—
resser à eux 2 Certains imaginent des
héros ridicules et les enfoncent par leur
mise en scène, rien que pour prouver qu‘ils
ont raison. Ça, c‘est immoral.
— Mais vous même, dans Encore,
n‘enfoncez—vous pas le personnage inter—
prété par Florence Giorgetti ? On n‘est
pas loin de la misogynie...
— Ah non ! Ce qui est terrible, ce sont
les propos que tient, en off, Jean—Louis Rol—
land. Mais, à ce moment—là, je ne bousille
pas Giorgetti au moyen d‘un plan fixe : je
l‘entoure, d‘un mouvement de caméra
lyrique. (Devant mon air dubitatif} Bon,
alors, si vous, critique, ne remarquez pas
les mouvements de caméra !... Lorsque
Jean—Louis Rolland entre enfin dans le
champ, il me semble clair— ou alors c‘est
à désespérer ! — que son geste envers
Giorgetti est quasiment chirurgical. Il fait
tout pour casser le lien qui la lie encore à lui.
D‘ailleurs, le personnage de Giorgetti
évolue pendant tout le film. Quand elle
vient sur les lieux de drague à la recherche
de Louis, elle a fait de sacrés progrès, cette
femme—là ! Où est la misogynie, là—
dedans ?
— Certains rient en entendant Jean—
SERGE POULET
Paul Vecchiali
Louis Rolland se mettre à chanter...
— Pourquoi 2 On ne chante jamais
pendant les anniversaires 2
— Ce sont sûrement les mêmes qui
ricanaient lorsque Danielle Darrieux
entonnait une chanson dans En haut des
marches...
— CÇa, c‘était un clin d‘œil aux années
trente, quand la chanson servait souvent
de contrepoint. Exemple type : dans Cœur
de lilas, de Litvak, en 1931, Gabin arrive et
voit Marcelle Romée flitant avec André
Luguet. Il s‘avance, tape sur le zinc, se
retourne, de la colère plein les yeux. Tu
imagines qu‘il va insulter Luguet et, sou—
dain, il entonne « C‘est la même Caout—
chouc » ! Et sa colère passe dans la chan—
son... Eh bien moi, j‘aime ça. C‘est
irréaliste 2 Je m‘en fous !
— On vous accuse souvent de mala—
dresse...
— Tiens donc !
— Prenons La Machine, par exemple :
ce film vous tient à cœur.
— Je me—suis battu depuis toujours
contre la peine de mort. Ça reste l‘un des
moteurs principaux de ma vie...
— Dans La Machine, vous filmez
volontairement le criminel le plus horrible
— un meurtrier d‘enfant — et vous mon—
trez que son exécution équivaut à un
second meurtre, légal celui—là. Parfait.
Mais était—il indispensable d‘ajouter le

discours de Jean—Christophe Bouvet sur la
sexualité enfantine ?
— On a tourné La Machine en improvi—
sation totale. Bouvet m‘a demandé de lire
un texte qui lui tenait à cœur. J‘ai accepté.
— Mais ça nuit à l‘efficacité du pro—
1 Alors
— l‘efficacité, je m‘en moque. Ce que
je voulais, c‘était débusquer céux qui se
croient contre la peine de mort mais, en fait,
sont pour. Et ce texte, qui rendait Bouvet
plus horrible aux yeux de certains, pouvait
me le permettre. La morale de La Machine
n‘était pas : « Soyez contre la peine de
mort» mais : « Soyez lucides sur vos
actes ».
— Certains vous ont reproché, dans En
haut des marches, d‘avoir tourné un film
collaborationniste.
— C‘est ridicule. La Résistance active a
été une grande chose. La collaboration
active, un désastre. Mais je refuse que cer—
tains enferment les gens dans cette alter—
native, fausse et malhonnéte. I y avait le
plus souvent concomitance.
En exergue d‘En haut des marches, j‘ai
placé cette phrase qui me paraît capitale :
« Il ne suffit pas de choisir son camp, il faut
aussi choisir ses actes ». I| n‘y a pas de
camp juste, ça je n‘y crois pas, seuls les
actes le sont ou non !
Et la phrase clé du film, c‘est Danielle
Darrieux qui la dit : « Quand on plantait dlix
pommes de terre, les Allemands en pre—
naient trois, il nous en restait sept »... Elle dit
aussi : « Je ne suis pas faite pour quitter
mon pays. Je suis faite pour résister en
donnant la tendresse, l‘éducation. Et les
sept pommes de terre restantes. » Voilù.
avec tous ceux qui jugent
morale—là détestable, je veux bien discuter.
Et puis j‘ai horreur de ceux qui s‘installent
confortablement dans le martyre et n‘en
bougent plus. Ma grand—mère est morte
dans le bombardement de Toulon parce
que des aviateurs ivres larguaient leur
chargement au hasard. Toute la ville a été
bousillée, sauf les objectifs militaires qui
sont restés intacts. Je ne traiterai jamais les
Américains de salauds. Mais je ne vois pas
pourquoi, dans l‘ordre hiérärchique des
douleurs, la mort de ma pauvre
mère serait moins grave que la mort d‘un
juif à Dachau. Cette idée, je la refuse abso—
lument. La disparition d‘un homosexuel
roué de coups en 1934 m‘est aussi odieuse
que celle d‘un juif en 1941. C‘est le malheur
de l‘individu qui me bouleverse.
— Vous aimez bien provoquer, cho—
quer, n‘est—ce pas ?
— Déranger, plutôt. Le but d‘un film,
c‘est de remuer l‘opinion. Mon métier de
cinéaste, c‘est de bousculer les gens. Non
pour les faire penser comme moi mais par
eux—mêmes.
— L‘échec d‘un film personnel comme
Pascale Rocard, Florence
Giorgetti et Jean—Louis Rolland
En haut des marches, où votre
comédienne favorite, Danielle Darrieux,
incarnait une figure inspirée par votre
mère, vous a—t—il blessé ?
— 7 000 entrées à Paris, c‘est ridicule,
c‘est vrai. Mais, en province —notamment
grâce à des radios juives qui nous ont sou—
tenus— le film a bien marché.
— Mais le fait que tous vos films
n‘aient pas été des triomphes commer—
ciaux ne vous gêne—t—il pas ?
— Mais pourquoi ne pas faire des films
pour 10 000 personnes 2 Pourquoi cette
course folle aux 800 000 entrées à Paris ?
Si je tourne le remake d‘Autant en emporte
le vent, je serai tout marri de n‘en faire que
799 000, d‘accord ! Mais quand je filme,
en un jour, Trous de mémoire avec Fran—
coise Lebrun, je sais que je travaille pour
10 000 personnes. Et alors ? Seraient—ils
méprisables parce que peu nombreux ?
Est—ce que France Culture est moins hono—
rable qu‘Europe 1 et RTL ?
— Vous tournez généralement très
— Oui, la rapidité est, pour moi, un
garant d‘authenticité. Autant la vraisem—
blance m‘indiffère, autantl‘authenticité m‘im—
porte, et elle résulte de la concentration.
— Vos détracteurs prétendent que si
vos tournages étaient plus longs, vos films
seraient meilleurs !
— Sûrement pas. Ils seraient plus aca—
démiques, avec une image peut—être plus
léchée. S‘il y a un petit coin flou à l‘extrême
gauche du cadre, moi, ça m‘est égal. Si un
spectateur remarque ce flou, c‘est qu‘il se
trouve ailleurs que dans mon film. Et ce
spectateur—là, je ne le récupérerai jamais...
D‘ailleurs, la perfection est l‘ennemie du
bien. Un film « parfait », à quoi ça sert 2
cette — Est—ce une tendance du cinéma
actuel, la perfection ?
— le grand danger, à mes yeux, ce
sont les auteurs désinvestis. Je hais Bag—
dad Caté, par exemple. C‘est le « cinéma
du simulacre ». Tout le monde —critiques y
compris — a fait « comme si ». Comme s‘il
y avait un vrai sujet, comme s‘il y avait de
vrais acteurs, comme s‘il y avait une vraie
mise en scène.
Avant, pour s‘évader, les gens allaient
voir Aventure aux Caraïbes. Aujourd‘hui, ils
grand— ne veulent même plus s‘évader. Ils vont au
cinéma comme on entre dans une phar—
macie : à la recherche d‘un cachet d‘aspi—
rine. Et ils dorment.
— Tout le monde n‘a pas dormi à Bag—
dad Café...
— Les gens sortent en disant « C‘est
délicieux. » Eh bien voilà, c‘est devenu déli—
cieux de ne pas s‘investir au cinéma. Alors,
merde ! Moi je crois à l‘écriture cinémato—
graphique. Je revendique l‘idée qu‘une
mise en scène, ça existe. Et je ne veux pas
que le cinéma de Godard, de Bresson,
meure. C‘est tout. ® Propos recueillis par
PIERRE MURAT
TÉLÉRAMA N° 2017 — 7 SEPTEMBRE 1988 33