M E S O P O T A M I A
XIV
Un impaziente desiderio
di scorrere il mondo
Studi in onore di Antonio Invernizzi
per il suo settantesimo compleanno
LE LETTERE
FIRENZE
In copertina: Ctesifonte. Il Taq-i Kisra.
MEDITERRANEO
CARLO ZOPPI, Limmagine di Eracle con il toro nelle cretule di Selinunte punica ............................... » 29
ROSINA LEONE, Ancora sulla Magenta Ware: un vaso a testa di Iside da Lipari ................................. » 35
ALESSANDRA CELLERINO, La signora dellHamrin. Terrecotte con figura divina dagli scavi italiani
di Tell Yelkhi .................................................................................................................................. » 45
SERENA MARIA CECCHINI, Un sigillo neo-assiro con scena di culto da Arslan Tash ............................. » 85
MARIO LIVERANI, The pillared hall of neo-hittite Melid: a new link in the development of an architectural
type ................................................................................................................................................................ » 91
ROBERTA MENEGAZZI, VITO MESSINA, Tell Umar, il tempio addossato al teatro. Le fasi architettoniche
e le figurine in terracotta ................................................................................................................ » 123
VON EVELYN KLENGEL-BRANDT, IRIS HERTEL, Eine restaurierte Terrakottafigur aus Babylon ................. » 149
ANDREAS SCHMIDT-COLINET, Priester beim festmahl: Etpeni, Symposiarch 130/31 n. chr. und andere
palmyrenische tesserae .................................................................................................................... » 161
IRAN
PIERFRANCESCO CALLIERI, Les Sassanides étaient-ils les héritiers des Achéménides? Lévidence
archéologique .................................................................................................................................. » 187
CARLO G. CERETI, YOUSSEF MORADI, CYRUS NASROLLAZADEH, A collection of Sasanian clay sealings
preserved in the Takiya-e Mocâven al-Molk of Kermanshah .................................................................... » 209
ENRICO MORANO, Judas token to the enemies in the manichaean account of Jesus betrayal ................... » 237
FABRIZIO A. PENNACCHIETTI, Kashkùl, limprevedibile storia del nome di una noce di cocco ..................... » 241
EDWARD D¥BROWA, ÁÑÓÁÊÅÓ ÈÅÏÓ. Observations on the nature of the Parthian ruler-cult ............. » 247
NICOLÒ MASTURZO, Le foglie dacanto di Nisa: studio per la ricomposizione del capitello corinzio ... » 265
CARLO LIPPOLIS, I cavalli di Mithradatkert. Matrici in gesso da Nisa Vecchia .................................... » 285
VASIF A. GAIBOV, Öàðñêàÿ îõîòà íîâûé ñþæåò â ïàðôÿíñêîé ñôðàãèñòèêå òàðãèàíû ..................... » 303
KAZIM ABDULLAEV, Ïàðôÿíñêèå ìîòèâû â íàñòåííîé ðîñïèñè íàõøåáà (åðêóðãàí è åãî îêðóãà) ........... » 309
KATSUMI TANABE, Two unique stone dishes from Gandhâra. The function of the so-called toilet-trays
from Gandhâra restated ................................................................................................................... » 345
Tavole
PIERRE LERICHE
Centre National de la Recherche Scientifique - École Normale Supérieure (CNRS-ENS), Paris
Le grand site urbain de lAncienne Termez en Bac- titué de deux parties superposées. La partie supérieu-
triane du Nord, sur la rive droite de lAmou Daria, a re a la forme dune plinthe haute de 15 cm et de 37
été fouillé par plusieurs missions depuis 1928. Il a cm x 30 cm de côté. En fait, le côté de la plinthe à la
produit un matériel lapidaire abondant, essentiellement gauche de lavant-train de lion est cassé et on peut
composé déléments de décor architectural mouluré supposer quà lorigine cette plinthe était carrée. A la
caractéristique de lépoque kouchane: bases de colon- base du seul angle préservé de cette plinthe, à la droite
nes attiques, éléments de frise, de corniche à mo- du lion, un listel surmonté dun double tore donne à la
dillons, chapiteaux corinthisants etc. Il existe également plinthe laspect dune base de colonne ou de statue.
un lot de sculptures religieuses ou ornementales com- La partie inférieure du bloc central est haute de 22,5
portant un décor figuré où apparaissent des représen- cm. Egalement de plan carré, elle est plus plastique et
tations bouddhiques, mais aussi des animaux (lions, se détache nettement de la plinthe puisquelle na que
taureaux, éléphants, dauphins) ou des êtres mythologi- 25 cm de côté au point daccrochage avec celle-ci. En
ques (griffons, senmurv, personnages anguipèdes). descendant elle prend de lampleur puis samincit, les
Même si la fonction de ce matériel napparaît pas tou- arêtes arrondies formant des sortes de consoles, pour
jours clairement, sa fréquence et sa diversité indiquent ne plus mesurer que 23 cm de côté à la base.
de manière évidente que cette grande cité était un cen- La base du bloc a visiblement été retaillée en obli-
tre majeur de création artistique dans lAntiquité1. que et ne comporte aucun aménagement qui ferait
Quelques-unes de ces uvres sont encore inédites, penser au logement dune fixation. En revanche, le
dautres ont été publiées dans des revues parfois dif- sommet plat de la plinthe est percé dune cavité car-
ficiles daccès en Occident. Ceci est regrettable car rée de 10 cm de côté aux bords légèrement évasés au
certaines dentre elles sont véritablement originales et centre de laquelle souvre un trou circulaire de 4 cm
dun très grand intérêt. Cest le cas du chapiteau léon- de diamètre.
tocéphale découvert il y a trente cinq ans (Fig. 1) et La figure de lion qui se détache des deux parties du
qui demeure mal connu car publié dix ans plus tard bloc central a le cou tendu et la face orientée vers le
dans un recueil édité à Léningrad et difficile à se pro- sol. Le sommet de la tête et de lencolure du fauve
curer2. La découverte récente en fouille dun autre forment un plan horizontal à un niveau légèrement
fragment sculpté qui présente des points communs supérieur à celui du bloc central. Les autres figures de
avec ce chapiteau et la mise au jour de tambours de même type qui émergeaient du bloc central ont été
colonne en pierre dans le même secteur nous donnent cassées au départ du bloc central et il nen reste plus
loccasion de reprendre ce dossier et de le compléter que la trace nette du départ du poitrail de lanimal. De
après avoir procédé à un examen détaillé de ce chapi- la pointe du museau du lion conservé jusquà laxe du
teau au musée de Termez3. trou central du chapiteau, la distance est de 45 cm, ce
qui permet de restituer un chapiteau complet té-
tracéphale de 90 cm de museau à museau, reposant à
I. DESCRIPTION DU CHAPITEAU (Figg. 1-3) la base sur un carré de 23 cm de côté.
Lanimal présente une gueule large, entrouverte, qui
Ce chapiteau en calcaire coquillier a été découvert laisse voir les crocs, un mufle arrondi, de grands yeux
en surface le 23 avril 1973, à 150-200 m de langle
sud-est de la citadelle, non loin de la rive de lAmou-
Daria. Il était à lorigine tétracéphale, cest-à-dire quil
comportait quatre avant-trains de lions émergeant très 1
Létude de lensemble du décor architectural de lAncienne
nettement, en ronde bosse, dun bloc central quadran- Termez fait actuellement lobjet dune étude globale qui doit
gulaire. Malheureusement, une seule de ces figures déboucher sur une publication définitive par M.-O. Perou qui
animales a été préservée avec le bloc central. Si bien en a fait son sujet de thèse. Je remercie M.-O. Pérou, S. de
que, dans son état actuel, ce chapiteau mesure au Pontbriand, K. Juhel, F. Alabe et J.-B. Houal pour leur aide dans
lélaboration et la mise en forme de cet article.
sommet 67 cm dans sa plus grande longueur (envi- 2
STAVISKIJ, KOZLOWSKIJ 1985, 190-197.
ron 1 m si lon restitue un autre lion par symétrie) et 3
Je remercie le directeur Dr. S. Batirov de mavoir libérale-
environ 37 cm en largeur avec une hauteur de 37,5 cm. ment laissé prendre sur ce chapiteau toutes les mesures et les
Le bloc central, léquivalent de la corbeille, est cons- clichés nécessaires à cette étude.
322 PIERRE LERICHE
Fig. 1 - Le chapiteau léontocéphale vue horizontale, protomé à gauche. Ancien Musée de Termez (phot. MAFOuz de Bactriane).
en amande dont liris paraît avoir été dessiné et une la cassure qui a emporté la protomé de droite : cette
crinière réduite à des petites mèches ondulées en fai- cassure est donc délibérée. Peut-être même va-t-elle
ble relief plaquées sur lencolure ou formant une fran- avec le retaillage de langle à gauche de cette figure.
ge en bourrelet sur le front. Le cou et le poitrail sont Quant à la figure opposée à celle encore en place, le
puissants. fait que la cassure soit exactement à laplomb du bord
Malheureusement, la tête et lencolure du lion ont de la plinthe nous conduit à la même conclusion.
subi une forte usure qui a fait disparaître le relief du Au registre inférieur, les pattes avant du lion resca-
nez, des sourcils et du mufle (les rides qui partent du pé sont cassées au niveau du poitrail et rien nindique
nez et encadrent la gueule sont plus incisées que sculp- si elles étaient repliées vers lavant, comme pourrait le
tées en volume) ainsi que le sommet de la crinière de laisser penser la faible distance qui sépare la cassure
la tête et du cou. Des oreilles haut plantées, il ne reste des pattes du niveau de la base du chapiteau ou si elles
que la trace darrachage. étaient verticales ou obliques vers lavant4. Or si lon
Malgré tous ces manques, lensemble donne le sen- observe avec attention les arêtes en console de la par-
timent dun travail soigné par un sculpteur de qualité tie inférieure du bloc central, on comprend que le
(voir le rendu des mèches de lencolure) qui a donné sculpteur a voulu figurer ici les cuisses des figures
naissance à une uvre dont il nous faut tenter de contiguës quil a intégrées deux à deux dans un même
restituer lapparence originelle. volume5, lequel a été traité de manière nécessairement
Outre lusure que nous avons signalée plus haut, ce sommaire. Cela signifie que nous ne sommes pas ici
chapiteau est, en effet, fortement mutilé. en face de simples protomés ou avant-trains de lions,
Au registre supérieur, on observe quun côté de la mais bien devant des représentations de lions entiers
plinthe supérieure est en retrait de 10 cm environ par assis et adossés en croix.
rapport à létat dorigine (côté gauche de la protomé
conservée) et que trois protomés sont coupées net à
la racine. Visiblement, la disparition de la figure de 4
Actuellement, une restauration maladroite en plâtre resti-
gauche sest produite en même temps que la cassure tue des moignons de pattes verticales (Fig. 2).
de la plinthe et ne semble pas volontaire. Des traces 5
Ce détail ne semble pas avoir été perçu par les éditeurs du
doutil sont, en revanche, bien visibles sur les bords de chapiteau.
LE CHAPITEAU TÉTRACÉPHALE DE LANCIENNE TERMEZ 323
Fig. 2 - Le chapiteau léontocéphale vue horizontale, proto- Fig. 3 - Le chapiteau léontocéphale, vue horizontale, de
mé à droite, pattes avant restituées. Nouveau Musée de trois-quart. Ancien Musée de Termez (phot. MAFOuz de
Termez (phot. MAFOuz de Bactriane). Bactriane).
Fig. 5 - Le chapiteau léontocéphale. Relevé latéral restitué (M.-O. Pérou, J.-B. Houal).
LE CHAPITEAU TÉTRACÉPHALE DE LANCIENNE TERMEZ 325
schématiques, ses yeux peu enfoncés aux sourcils peu et à lEgée, de la Grèce jusquà lOurartou et lAssy-
marqués, sa frange frontale, ses oreilles perchées sur rie. Ce thème a été repris par lempire achéménide, en
la tête et sa crinière plaquée finement rendue avec ses Iran même, mais aussi dans les satrapies comme à
mèches minces ondoyantes et plaquées. On retrouve Amrith où des lions passant ornent la base dun des
un exemple assez similaire par sa face et son attitude Meghazils (tombeaux tours) et où des protomés de
à Amrith en Syrie côtière et un proche parent sur le lions debout servaient de gargouilles au Mabed (tem-
chapiteau aux lions adossés dAsoka à Sarnath7. En ple)13. A Sidon, cest le thème du taureau qui est re-
revanche, on est loin des représentations de la sculptu- pris selon le modèle susien et persépolitain, mais aus-
re hellénistique et de ses dérivés, comme on en trou- si selon les modes de lart grec. (voir infra).
ve à Termez même avec, par exemple, la figure de lion Dautre part, on peut ajouter que, dans les îles de
du conduit découlement du bassin de pierre du lEgée et en Asie Mineure, lavant-train (protomè) ou
même musée, mais aussi dans tout lOrient helléni- la tête de taureau est un motif animalier très utilisé en
sé, de Délos à Pergame et dIraq Al-Almir et Palmyre position architectonique, au point que M.- Ch. Hell-
à Aï Khanoum8: crinière ébouriffée et envahissante, mann, dans son traité darchitecture, juge nécessaire
oreilles de part et dautre du front, mufle gonflé et den faire un développement particulier14. Il sagit sur-
yeux ronds surmontés de sourcils proéminents en tout de têtes de taureaux, comme à Délos, par exemple
accent circonflexe. (Néorion ou Monument des taureaux, portique dAnti-
Mais, dans létat où se trouve notre chapiteau, ces gone, maison du trident), mais il arrive que des proto-
considérations demeurent fragiles. Cest donc plutôt més de lions alternent avec des protomés de taureaux,
vers lanalyse comparative et structurelle que nous comme à la maison du trident15.
devons nous tourner. Après la conquête dAlexandre, le goût pour les
représentations de lions ne se dément pas en Asie
Mineure et au Proche-Orient. On se contentera ici de
B. Lapproche comparative: le décor zoomorphe rappeler les lions qui ornent le couronnement du châ-
teau des Tobiades à Iraq al Amir et, pour le deuxième
Cest la démarche qui a été privilégiée par Staviski siècle de notre ère, limpressionnant lion du temple
et Kozlovski en tentant de faire linventaire des décors dAllath à Palmyre16.
zoomorphes dans lOrient achéménide et hellénisti- Enfin, si maintenant on regarde au Sud, vers le
que9. Nous allons examiner quel résultat on peut ainsi monde indien, le peu que nous connaissons nous
espérer obtenir. montre la faveur de la représentation de lions, par
Pour lAsie Centrale, Staviski rappelle la découver- exemple sur les chapiteaux des colonnes portant les
te à Kalaly Gyr, dans le Khorezm achéménide, de frag-
ments de décor représentant des griffons et, à Er
Kurgan en Sogdiane, la découverte dun moule de lion.
En Bactriane kouchane, ce sont des chapiteaux et 7
Lion dAmrith, cf. SALIBY 1989, 19-30, fig. 4b et fig. 7a.
corniches corinthisants avec des représentations ani- Lion de Sarnath, cf. WHEELER 1959 and 1968. Voir aussi, pour
males à labaque (Kara Tepe et Fayaz Tepe, Cham le dessin de la crinière, les sphinx de Labranda en Carie. Cf R.
Qala) ou émergeant dune corbeille dacanthes (Cha- GHIRSHMAN 1963, fig. 456.
hr-i-Nau)10. A cette liste bactrienne, on peut mainte- 8
Outre toutes les représentations de lions dépoque hellénis-
nant ajouter à lAncienne Termez le chapiteau té- tique au grand autel de Pergame ou les lions du sanctuaire de
tracéphale, des blocs isolés éléphant, griffon léon- la déesse Syrienne à Délos: WILL 1985, pl. XXXVII, 2, voir, dans
lOrient hellénisé les lions passant dIraq el Amir: WILL, LARCHÉ
tocéphale et un bassin à déversoir en tête de lion, et alii 1992; les deux lions de la «plaque de Cybèle à Aï Kha-
tous probablement dépoque kouchane, et à Surkh noum: FRANCFORT 1984, Pl. XLI (voir aussi la gargouille Pl. XL),
Kotal des fragments de frises où figurent des taureaux ou encore, pour une date plus tardive, lextraordinaire lion de
à bosse (dont peut-être le taureau Nandin11). En con- Palmyre.
tre-exemple, on peut citer Aï Khanoum hellénistique 9
STAVISKIJ, KOZLOWSKIJ 1985; STAVISKIJ 1989, 53-59 (version
où la représentation animale nest utilisée que pour les russe de cet article: Kapiteli s zoomorfnymi motivami v Tsen-
tralnoj Azii i Zakavkaze (Proiskhozhdenie I tendentsii razviti-
chéneaux (lion) et déversoirs de fontaine (dauphin et
ja), in B.V. BERIDZE (ed.), IV mezhdunarodnyj simpozium po
chien) ou comme motif de mosaïque (dauphins, cra- gruzinskomu iskusstvu (1983), Tbilissi, 1989, 281-299).
bes et hippocampes). 10
STAVISKIJ 1986, 251, fig. 33.
Au Proche Orient, Staviski multiplie les exemples 12
SCHLUMBERGER, LE BERRE, FUSSMAN 1983, pl. 55, fig. 154
tirés essentiellement de louvrage de R. Ghirshman et 160, p. 110, n. 2.
Perse achéménide publié en 1963. Ceci na rien dori- 12
AKURGAL 1969.
ginal car, depuis longtemps déjà, E. Akurgal12 a bien
13
SALIBY 1989, 19-30, fig. 4b et fig. 7a.
14
HELLMANN, 2002, 211-213.
montré que, dès lépoque néo hittite, la représentation 15
BRUNEAU, DUCAT 2005. Voir aussi les lions du sanctuaire
danimaux, tels que le lion ou le taureau, ou de créa- de la déesse Syrienne à Délos.
tures fantastiques comme le griffon était un thème 16
WILL, LARCHÉ et alii 1992. Le lion dAllath à Palmyre est
ornemental très populaire, commun au Proche-Orient reproduit par GAWLIKOVSKI 2008, 397-411, fig. 6.
326 PIERRE LERICHE
bien se rappeler que Sidon sest engagée dans un double interpretatio graeca de la conception et du sty-
processus de rencontre entre art grec et art achémé- le avant même la conquête macédonienne.
nide ou égyptien avant même la conquête dAlexan- Selon G. Roux, la ligne dérosion égale sur les deux
dre22. Dans une certaine mesure on pourrait dire que côtés opposés de la tablette portante suggère dy su-
cette cité-royaume a été un laboratoire où ont été perposer la plinthe dune statue plutôt quune archi-
mises au point des formules qui ont pu ensuite se trave. On aurait donc ici, non pas un chapiteau archi-
développer et se diffuser à lépoque hellénistique23. tectonique, mais un chapiteau de colonne votive, com-
Nous aurons loccasion dy revenir. me par exemple celle supportant le sphinx des Naxiens
à Delphes.
LInde semble avoir été également le lieu dune in- - A Arados, autre royaume phénicien, un remarqua-
terpretatio indica du modèle achéménide à deux avant- ble chapiteau tétracéphale en marbre blanc a été dé-
trains animaux porteurs de poutre. Celle-ci se serait couvert au début de ce siècle et exposé dans les jar-
produite immédiatement après la conquête dAlexan- dins du Musée National de Damas (Fig. 6). Il est
dre et à lépoque kouchane. constitué de quatre protomés de taureaux agenouillés
Les chapiteaux qui portaient les poutres du palais taillés dans un même bloc et séparés par quatre feuilles
dAçoka à Patalipoutra au milieu du IIIe s. av. n. è. dacanthes. Le traitement des volumes et des détails
étaient à base campaniforme comme à Suse ou Persé- anatomiques comme les poils du front, les fanons
polis, supportant un ou plusieurs lions assis dinspi- plissés tout autant que la souplesse vivante des pal-
ration iranienne. Selon R. Ghirshman ces chapiteaux mettes qui jaillissent entre les taureaux, conduisent à
«dérivent de la composition perse des trios animaux dater la création de ce chapiteau de lépoque hellé-
appelés à soutenir une charge (sic)»24. nistique27. H. Seyrig considérait que ce chapiteau était
Sur les chapiteaux de Mathura (Ier s. de n. è.) ou «destiné à un édifice hypostyle dont les poutres se
dAmaravati (IIIe s. de n. è.), ce ne sont pas non plus croisaient sur lui et reposaient sur les quatre proto-
des taureaux qui sont représentés, mais des lions cou- mes»28 cependant que G. Roux considère, avec rai-
chés, normaux à Mathura ou ailés à Amaravati. Il ne son semble-t-il, quil sagit, ici aussi, dun chapiteau
sagit plus ici de protomés, mais de deux lions entiers de colonne honorifique29.
côte à côte et tête-bêche. A Mathura les deux lions - A Sidon à nouveau, M. Dunand a découvert au
supportent sur leur dos le dé sur lequel devait reposer cours de la fouille du sanctuaire dEchmoun un cha-
une poutre, à Amaravati, ils soutiennent sur leur tête piteau à protomés de taureaux en marbre qui paraît
labaque du chapiteau25. légèrement plus tardif que celui découvert à Bostan-
Dans tous ces cas, la fonction architectonique de- ech-Cheikh car traité entièrement selon les canons de
meure celle de lexemple achéménide et les animaux,
quelle que soit leur espèce et leur représentation, ser-
vent de support à un élément de la couverture dun
bâtiment et fonctionnent par paires. 22
Cest ce dont témoignent les fameux sarcophages monu-
mentaux découverts par Macridi Bey (sarcophages dits «des
3. Tri et tétracéphales pleureuses», «de la chasse dAlexandre», etc.), les sarcophages
de pierre anthropomorphes, les «temples boys» ou encore lex-
Enfin, beaucoup plus intéressantes pour notre pro- traordinaire «Tribune» découverte par M. Dunand en 1974.
23
Sidon nétait pas la seule cité de Phénicie où une telle
pos, certaines créations dépoque achéménide ou post
rencontre a eu lieu à lépoque achéménide. Les couroi ou lHé-
achéménides qui découlent du même modèle, font raklès-Melqart dAmrith au royaume dArados sont là pour le
preuve dun caractère dinnovation qui nous rappro- prouver. Dautres centres urbains ou royaumes de la côte orien-
che de notre exemple termézien. Ce sont des produc- tale de la Méditerranée ont vu se produire une telle osmose.
tions de décor architectural qui comportent, non plus Sans remonter au rôle des Ioniens à Pasargades, les tombeaux
deux mais trois ou quatre représentations danimaux ou lyciens et le Mausolée dHalicarnasse (que certaines figures de
de créatures fantastiques et dont la fonction semble être la «tribune» du temple dEchmoun à Sidon ne sont pas sans
rappeler) illustrent limpact de lart grec sur les régions occi-
différente de celle dun simple support architectonique.
dentales de lempire achéménide.
- A Chypre, cest le palais du roi de Salamine Eva- 24
GHIRSHMAN 1963, 356.
goras Ier (411-374) qui a fourni un très intéressant 25
STAVISKIJ 1986, 195; GHIRSHMAN 1963, 356-357, fig. 461
chapiteau montrant un effort dinterprétation de la et 559; SIDOROVA 1971, 58, figg. 50-52.
tradition de lempire achéménide, un empire dont 26
Sur ce chapiteau (actuellement au British Museum), cf.
Evagoras avait tenté de se libérer. Il sagit dun chapi- ROUX 1980, 257-274. GHIRSHMAN 1963, 352-353, fig. 454;
teau à quatre figures portantes avec deux protomés de HELLMANN 2002, 211-212, fig. 303, fait le rapprochement avec
taureaux alternant avec deux caryatides issues de rin- les chapiteaux, plus tardifs, du Didymeion hellénistique.
27
Ce chapiteau, haut de 57 cm et mesurant 92 cm de front
ceaux et soutenant labaque de leurs bras levés. Len- à front de taureau, porte le n° 5064 de linventaire du Musée
semble, en particulier les avant-trains de taureaux, est national de Damas et a été attribué à lépoque romaine.
traité de manière naturaliste selon les canons de lart 28
SEYRIG 1952, cf note 4 de la pag. 225.
grec26. Le modèle achéménide a donc donné lieu à une 29
ROUX 1980; HELLMANN 2002, 212 et fig. 304.
328 PIERRE LERICHE
Fig. 7 - Restitution du chapiteau tétracéphale de Sidon (daprès STUCKY 2005, 109, fig. 67).
lart grec de même dailleurs que quelques plaques valeur la figure centrale et nont aucun rôle architec-
décoratives en marbre à protomés de taureaux. Cette tonique. Un aspect qui rappelle, par exemple, les pro-
fois, le chapiteau (Fig. 7) comporte, non plus deux, tomés de lions marchant qui ornent les quatre angles
mais quatre protomés émergeant dun dé central dont du socle carré du Meghazil au dôme dAmrith34.
la surface supérieure est légèrement inférieure au ni-
veau du sommet de la tête des taureaux30. On a donc 4. Le monde indien
ici31 une création originale, dépassant, si lon peut dire,
le modèle achéménide et dont le principe est très pro- Sous Açoka, une série de chapiteaux, dont le plus
che de celui du tétracéphale de Termez, même sil célèbre est celui de Sarnath près de Bénarès (Fig. 8),
sagit de taureaux et non de lions. ornaient des colonnes isolées sur lesquelles étaient
Enfin, en ce qui concerne le style et la datation de gravés des textes destinés à promouvoir le bouddhis-
ces deux ensembles de pièces, il est incontestable me. Le chapiteau à feuilles retombantes supporte un
quelles portent la marque de linfluence de lart grec. socle circulaire dont la face verticale est ornée de
R. Stucky propose de dater le chapiteau et les plaques bufs à bosse et de roues de la loi. Sur ce socle se
à protomés de taureaux davant le milieu du IVe siècle dresse, soit un animal seul debout (taureau, lion) fi-
en attribuant la destruction du sanctuaire à Artaxerxès guré en ronde-bosse, soit un groupe de trois ou qua-
III32. Cette datation paraît acceptable tant le souci du tre protomés de lions debout ou assis, pattes avant
rendu de la réalité anatomique des protomés de tau- tendues semblant garder une roue de la Loi qui repo-
reaux est aux antipodes de la stylisation des formes et se sur un support central auquel ils sont adossés35.
des détails de la sculpture achéménide. Cest un peu à ce type de chapiteau animalier que
se rattache ceux qui couronnent les colonnes dressées
- Pour finir, à Bargylia sur la côte nord de la Carie, aux angles des socles des stoupas monumentaux re-
il convient de signaler une uvre très particulière, présentés sur les pétroglyphes visibles dans les passes
connue depuis 1865 sous le nom de monument de
Scylla, le parèdre de Charybde et qui a récemment fait
lobjet dune reconsidération. Il sagit dun groupe sta-
tuaire couronnant le toit pyramidal dun tombeau pro-
bablement dépoque hellénistique. Dans la nouvelle
reconstitution quen propose Waywell33, on voit le torse
30
STUCKY 2005, 108-118, pl. 16-18.
monumental nu de Scylla se dresser sur une mince
31
Stucky propose, sur la base du contexte une date antérieure
à la destruction de Sidon par Artaxerxès II vers 350 av. n. è.
base carrée ressemblant à une abaque de chapiteau. 32
STUCKY 2005, 115.
Cette abaque repose sur léchine de quatre avant-trains 33
WAYWELL 1988, 386-388.
de chiens féroces dont la tête menaçante tournée vers 34
SALIBY 1989, fig. 7a.
larrière semble chercher à mordre le buste. Dans cet- 35
Sur cette question, on pourra trouver un regroupement
te composition, les protomés sont là pour mettre en commode dexemples dans ROSEN STONE 2003, 167-188.
LE CHAPITEAU TÉTRACÉPHALE DE LANCIENNE TERMEZ 329
Fig. 8 - Les lions de Sarnath. Grès poli. Musée Fig. 9 - Pétroglyphe représentant un stoupa encadré par
de Sarnath (phot. Archaeological Survey of India). des colonnes à chapiteau animalier (phot. G. Fussman).
himalayennes36. Ici aussi, les animaux sont représen- ce sont surtout des lions qui sont représentés. En outre,
tés debout (Fig. 9). au Proche-Orient, ce sont des avant-trains ou protomés
Mais il nest pas exclu quon se trouve devant le cas couchés qui sont figurés, alors quen Inde les animaux
un peu différent et peu fréquent que lon observe au sont représentés entiers, assis ou debout.
stoupa n° 1 de Sanchi où deux groupes de quatre lions A lOuest, les exemples sont très hétérogènes par
adossés ont été placés à la base et en partie haute (mais leur taille, par leur nature (trois chapiteaux et deux
pas comme chapiteau) dune colonne qui sert de supports) mais pas par leur fonction puisque, seul le
montant vertical au Torana sud dont il porte le dou- tétracéphale aux taureaux dArados pourrait avoir eu
ble linteau. une fonction architectonique alors que dans tous les
autres cas, cette fonction paraît exclue puisque le ni-
veau du dé ou du support central est inférieur à celui
D. Conclusion des têtes qui lencadrent.
Dans le monde indien, les chapiteaux Açokéens à
Le nombre de compositions tri ou tétracéphales dans triple ou quadruple avant-train de lion sont beaucoup
lOrient achéménide ou post alexandrin est, on le voit plus homogènes, mais eux aussi sont destinés à porter
très limité, mais non négligeable. Ces productions se une représentation symbolique comme la roue de la Loi
répartissent sur les marges du monde achéménide ou ou dornement à un portail monumental comme à
post achéménide: au Proche Orient et en Inde.
Il existe deux différences entre les productions du
Proche-Orient et celles du monde indien. Au Proche-
Orient, sauf peut-être dans le cas de Bargylia, on a af- 36
Voir aussi la recontitution par Facenna du Dharmarajika
faire à des représentations de taureaux alors quen Inde, de Butkara.
330 PIERRE LERICHE
Sanchi, et non à servir de support architectonique à la Tous les exemples occidentaux adoptent la position
couverture dun espace fermé. couchée, sans doute pour marquer leffort quimpli-
On peut donc considérer que la présence dun tel que la fonction porteuse. Dans les chapiteaux aso-
type de production nest pas liée à celle dun édifice kéens, les lions ne portent pas la roue, ils sont ados-
dans la structure duquel le tri ou tétracéphale joue- sés au support de celle-ci et montent la garde de
rait un rôle de support intérieur, mais à celle dun manière menaçante, dressés sur leurs pattes avant. Ce
monument isolé (colonne votive, simple base) au serait donc à cette famille quil faudrait rattacher notre
sommet duquel les représentations animales servi- chapiteau léontocéphale de Termez, même si, formelle-
raient de parure à une statue ou à un objet symbo- ment et structurellement, celui-ci révèle une parenté très
lique ou religieux. nette avec les chapiteaux tétracéphales de Sidon.
LE CHAPITEAU TÉTRACÉPHALE DE LANCIENNE TERMEZ 331
Fig. 11 - Complexe Cultuel. Vue générale des Bâtiments A (à gauche) et B (à droite) à la fin de la campagne
de fouille 2010. Vue vers le Sud (phot. MAFOuz de Bactriane).
Fig. 13 - Vue des colonnes remployées dans la canalisation du Bâtiment B. Vue vers le Sud.
fragment dencolure des bords du fleuve jusquau très grand intérêt en nous révélant la présence de cinq
Tchingiz 2 pour sen servir de cale, on peut penser que tambours de colonne en calcaire remployés dans les
cest le chapiteau qui a été transporté du Tchingiz 2 parois dune canalisation. Ces tambours dun diamè-
jusquau bord du fleuve non loin de la citadelle après tre moyen de 45 cm et dune longueur qui varie entre
avoir été amputé de trois des quatre avant-trains qui 80 et 115 cm, appartiennent à au moins trois colon-
lornaient. Cette amputation aurait eu lieu à lempla- nes différentes, deux de forme conique et une cylin-
cement même du bâtiment A où les membra disjecta drique (Fig. 13).
du chapiteau seraient demeurés et auraient servi de Cette découverte est tout à fait exceptionnelle car
matériaux de construction. cest la première fois que lexistence de colonnes en
On peut donc en conclure quà lorigine, cest sur pierre est attestée au Nord de lOxus40, au point quon
le Complexe Cultuel que le chapiteau tétracéphale était a considéré jusquici que les colonnades de Transoxia-
placé. Après avoir perdu sa fonction, à la suite dun ne étaient toutes constituées de colonnes en bois sur
événement majeur (séisme, destruction du monument bases de type attique en pierre.
auquel il était associé) il a été récupéré et retaillé pour Il est évident que les colonnes auxquelles apparte-
être intégré dans un nouvel édifice. Malheureusement naient ces tambours ornaient un édifice proche avant
nous ne savons rien de ce dernier car tout le secteur dêtre ainsi réutilisées. On a évoqué le cas des colon-
a été bouleversé par la création, dans le dernier quart nes dangle de stoupas, mais on peut aussi imaginer
du XXe siècle, de grands bassins de pisciculture un portique comme à Butkara I où une colonnade
aujourdhui abandonnés, en partie détruits et envahis entoure le stoupa central dans les périodes 2 et 3, au
de décombres et de roseaux. tournant de lère41.
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