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CATHELINE PÉRIER-D'IETEREN

LA VIERGE À LA SOUPE AU LAIT D'APRÈS GÉRARD


DAVID. PROBLÉMATIQUE DES SÉRIES DE
PEINTURES EXÉCUTÉES SUR UN MÊME THÈME
D'APRÈS DES MODÈLES RECONNUS

ESTRATTO
da

RIVISTA D'ARTE (V serie).


Periodico Internazionale
di Storia dell'Arte Medievale e Moderna
2017 ~ a. 52 n. 7
Mélanges à Fabienne Joubert
RIVISTA D’ARTE
Fondata nel 1903

PERIODICO INTERNAZIONALE
DI STORIA DELL’ARTE
MEDIEVALE E MODERNA

Serie quinta – vol. VII


2017

LEO S. OLSCHKI EDITORE


MMXVIII
RIVISTA D’ARTE
Fondata nel 1903
PERIODICO INTERNAZIONALE
DI STORIA DELL’ARTE
MEDIEVALE E MODERNA
Annuario
Peer reviewed journal
Direttori
Francesco Federico Mancini, Alessandro Tomei
Consiglio di redazione
Wolfger A. Bulst, Francesca Cappelletti, Giovan Battista Fidanza, Peter M. Lukehart,
Fabio Marcelli, Piera Giovanna Tordella
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RIVISTA D’ARTE
Fondata nel 1903
PERIODICO INTERNAZIONALE
DI STORIA DELL’ARTE
MEDIEVALE E MODERNA

Serie quinta – vol. VII


2017

MÉLANGES OFFERTS À FABIENNE JOUBERT


Faire et bien faire
Commande et création artistiques au Moyen Âge
Sous la direction de
Denise Borlée et Laurence Rivière Ciavaldini

LEO S. OLSCHKI EDITORE


MMXVIII
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Viuzzo del Pozzetto, 8
50126 Firenze
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TABLE DES MATIÈRES

Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Pag. IX
Avant-propos
Denise Borlée – Laurence Rivière Ciavaldini, Hommage à un
(autre) chemin de longue estude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » XI

Partie I
DÉCOR MONUMENTAL ET MOBILIER.
L’UTILE ET L’AGRÉABLE

Yves Christe, La Portada de Los Apostolos à la cathédrale


d’Ávila . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 3
Alessandro Tomei, Un nome per il maestro di San Saba . . . . . . . . » 13
Serena Romano, Constantini expiata hostili incursione : una propo-
sta per l’iscrizione di San Pietro . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 25
Panayota Volti – Vassiliki Volti, Le cas de l’image de Mélismos
dans certaines églises du Péloponnèse méridional : un possible
impact de la pensée dominicaine ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 35
Didier Sécula, La « salle des Pôvres » de l’hôtel-Dieu de Beaune
(1443-1451). Réflexion sur la prise en compte du spirituel dans sa
mise en œuvre et son décor . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 47
Étienne Hamon, Une vitrine de l’art du nord dans l’université de
Paris à la fin de l’époque gothique ? L’architecture et le décor des
écoles de Picardie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 59
Sylvie Balcon-Berry, Les vitraux du triforium occidental de la
cathédrale de Reims : une relecture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 77
VI TABLE DES MATIÈRES

Michel Hérold, Les vitraux de la chapelle Saint-Mitre à la cathé-


drale Saint-Sauveur d’Aix-en-Provence : une œuvre certaine de
Guillaume Dombet ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Pag. 91
Monica Stucky-Schürer, L’art de la tapisserie en Italie au XVe siè-
cle et le transfert nord-sud du savoir-faire . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 105
Caroline Bruzelius, A Note on Two Dynastic Monuments in the
Thirteenth Century St. Denis and Sta. Maria Iconavetere in Foggia » 119
Ludovic Nys, Commémorer l’Exode au cœur des Alpes occidentales.
À propos du triptyque dit « du Rocciamelone » de Susa. . . . . . . . . » 129
Michele Tomasi, Une entreprise collective au XIVe siècle. La com-
mande de la châsse de la Vierge à Cambrai . . . . . . . . . . . . . . . . . » 143
Rose-Marie Ferré, « Un cœur au bois dormant... ». L’aumônière bro-
dée dite « de Thibaud IV de Champagne » (Trésor de la cathédrale
de Troyes) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 153
Claudia D’Alberto, Le pape vicaire du Christ et sa tiare . . . . . . . . » 167

Partie II
LE GESTE ARTISTIQUE. DU SINGULIER AU MULTIPLE

Denise Borlée, Entre Bourgogne et Forez, les portails de Semur-en-


Brionnais et de la Bénisson-Dieu : un même atelier pour Cluny et
Cîteaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 185
Jacqueline Leclercq-Marx, Les fondateurs, commanditaires et do-
nateurs sur les façades romanes, entre tradition, reformulation des
modèles et innovation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 199
Nina Iamanidzé, Art géorgien en transition : originalités, inspira-
tions et décadence aux XIIIe-XIVe siècles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 211
Clario Di Fabio, Echi giottesco-padovani a Genova : gli Evangelisti
di Santa Maria in Via Lata . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 229
Haude Morvan, Le chœur du lys : un cas d’importation du « modèle
italien » à Lyon aux XVe-XVIe siècles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 241
Michele Bacci, Modèles italiens dans la peinture d’icônes au Moyen
Âge tardif : la Crucifixion crétoise du musée national de Stock-
holm . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 249
TABLE DES MATIÈRES VII

Laurence Rivière Ciavaldini, Dürer et l’Italie : Hybridations na-


politaines dans le Grand Livre de l’Apocalypse. . . . . . . . . . . . . . Pag. 263
Isabelle Delaunay, La production en série dans les livres d’heures
parisiens vers 1480-1500 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 279
Catheline Périer-D’Ieteren, La Vierge à la soupe au lait d’après
Gérard David. Problématique des séries de peintures exécutées sur
un même thème d’après des modèles reconnus . . . . . . . . . . . . . . . » 291
Athanasios Semoglou, Images iconophiles et saints iconolâtres dans
l’art religieux du XVIe siècle en Grèce : leur contexte renouvelé . . . » 305

Partie III
POUR L’AMOUR DE L’ART ? LA COMMANDE ARTISTIQUE
AUX DERNIERS SIÈCLES DU MOYEN ÂGE

Jean Wirth, Qui sont les commanditaires des cathédrales françaises


du XIIIe siècle ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 323
Markus Schlicht, L’archevêque Pey Berland et la commande des al-
bâtres anglais en pays bordelais au XVe siècle . . . . . . . . . . . . . . . » 333
Brigitte Maurice-Chabard, Nicolas de Toulon, un épiscopat sous
la protection de saint Lazare . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 347
Véronique Boucherat, L’identité dans le détail. Commanditaires et
statues d’évêques dans la Bourgogne du XVe siècle . . . . . . . . . . . . » 359
Valentino Pace, Nicola Rufolo e Sigilgaita della Marra a Ravello . . » 371
Annik Lavaure, Des crypto-portraits de Charles V ? . . . . . . . . . . . . » 381
Claire Dechamps, Une commande pour l’éternité : la sépulture de
Louis bâtard de Bourbon dans l’église Saint-Louis des Cordeliers à
Valognes au XVe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 391
Magali Briat-Philippe, La Mise au Tombeau de Bourg témoin du
rayonnement de la sculpture bourguignonne en Bresse savoyarde
au XVe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 403
Cécile Bulté, La commande de sculpture civile et domestique en
France à la fin du Moyen Âge. Corpus, acteurs et perspectives . . . » 419
Sophie Brouquet, Le pouvoir en images. Le mécénat des capitouls de
Toulouse à la fin du Moyen Âge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 435
VIII TABLE DES MATIÈRES

Xavier Barral i Altet, En relisant un document concernant une


commande royale pour l’église des Carmes de Nantes (1534) . . . . Pag. 447
Tania Lévy, Quod Deus conjunxit, homo non separet. Les
chartes de mariage enluminées de la région lyonnaise : peintres et
commanditaires. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 459

Bibliographie de Fabienne Joubert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 469


Catheline Périer-D’Ieteren *

LA VIERGE À LA SOUPE AU LAIT D’APRÈS GÉRARD DAVID.


PROBLÉMATIQUE DES SÉRIES DE PEINTURES EXÉCUTÉES
SUR UN MÊME THÈME D’APRÈS DES MODÈLES RECONNUS

Introduction

Ce texte fait suite à un premier article consacré en ordre principal à


deux versions de Vierge à la soupe au lait : l’une conservée dans une collec-
tion privée bruxelloise amplement restaurée par Jef Van der Veken (fig. 4),
l’autre conservée au musée des Beaux-Arts de Strasbourg (fig. 2). Cette der-
nière constitue selon nous l’un des deux modèles de référence actuellement
connus de cette série de petits tableaux brugeois. L’objectif de cette deu-
xième publication sera cette fois d’étudier les versions moins connues de ce
thème apparues à ce jour, d’en faire une étude comparative et d’examiner
l’impact sur cette production de copies du style d’artistes brugeois appré-
ciés comme Gérard David, Adrien Isenbrant et Ambrosius Benson.

Le thème de la Vierge à la soupe au lait rompt dans la peinture fla-


mande avec les présentations hiératiques de la Vierge et Enfant propres au
XVe siècle en introduisant une connotation nouvelle, celle de l’occupation
quotidienne d’une jeune mère nourrissant son fils. Cette forme d’humani-
sation qui se développe aussi à Anvers dès la première moitié du XVIe siècle
dans les peintures de Vierge et Enfant et de Sainte Famille de Quentin Met-
sijs et de Joos van Cleve suscite l’empathie du spectateur qui se sent plus
proche du personnage divin. Cette tendance qui s’inscrit dans la mouvance
des idées de la Devotio Moderna 1 explique l’énorme succès rencontré par la

* Université Libre de Bruxelles.


1 La Devotio Moderna est un courant spirituel qui se développe à la fin du XIVe siècle
dans les anciens Pays-Bas. Il veut insérer le message divin dans le quotidien et inciter ainsi à
292 CATHELINE PÉRIER-D’IETEREN

composition. Celle-ci est chargée aussi d’un message symbolique de salut


et de Rédemption – l’image de la Vierge nourrissant l’Enfant évoquant celle
du Christ offrant son corps et son sang à l’Humanité.2
De multiples copies et variantes sont exécutées dans différents ateliers
brugeois répondant à la demande de petits panneaux de dévotion privée
destinés aux Pays-Bas mais aussi abondamment exportés, en particulier
en Espagne et en Italie. Plusieurs versions de Vierge à la soupe au lait sont
connues dès la fin du XIXe siècle et ont été étudiées par les historiens de
l’art, en particulier par Bodenhausen et Friedländer 3 qui attribuent la plu-
part d’entre elles à Gérard David ou à son cercle.4 Friedländer en publie
six et, parmi elles, en désigne quatre qu’il juge de qualité supérieure. Il
s’agit des tableaux de l’ex-collection Von Pannwitz, actuellement à New
York (Aurora Art Fund, Inc.) (fig. 1), des Musées royaux des Beaux-Arts
de Bruxelles, du Palazzo Bianco de Gênes et enfin de la collection Deutz
de Santiago anciennement à la Fondation Norton Simon (Californie). Ce
faisant, l’historien de l’art suscite bien des controverses pour déterminer
laquelle de ces versions serait une création de Gérard David et constituerait
le prototype du groupe.
Aujourd’hui, les chercheurs unanimes accordent ce statut à la peinture
de l’Aurora Art Fund (fig. 1). L’agencement spatial, l’intégration des per-
sonnages, la distribution des objets sur la table comme la technique pictu-
rale serrée sont en effet sans égal dans les autres copies considérées comme
des produits d’atelier d’une exécution plus rapide, moins élaborés dans l’il-
lustration iconographique et plus en phase avec le marché. Le visage de
la Vierge notamment est typique de la manière de Gérard David par son

la méditation. Le De Imitatione Christi de Thomas a Kempis, reprenant ces principes et visant


à rendre la vie spirituelle accessible à tous, remporta un grand succès auprès des laïques. Cfr.
Regnerus Richardus Post, The Modern Devotion. Confrontation with Reformation and Humanism,
Leyde, E.J. Brill, 1968, 701 pp.
2 Pour l’étude détaillée des motifs, les plus nombreux dans cette version, chargés d’une
signification symbolique qui illustrent la ferveur religieuse de l’époque et sans doute aussi
celle du commanditaire cfr. Maryan W. Ainsworth, Gerard David. Purity of Vision in an Age of
Transition, New York, The Metropolitan Museum of Art, 1998, pp. 303-308. Pour l’hypothèse
d’une éventuelle origine lombarde du thème à une époque où la popularité de l’art italien était
grande : ibid., pp. 301-303.
3 Max. J. Friedländer, Early Netherlandish Painting, VIb : Hans Memlinc and Gerard David,
New York/Washington, Praeger, 1971, pp. 106-107. L’historien de l’art s’aligne sur les idées
émises par Eberhard von Bodenhausen, Gerard David und seine Schule, Munich, Bruckmann,
1905, pp. 180-184.
4 Crowe et Cavalcaselle sont les premiers à attribuer la Vierge à la soupe au lait du musée
de Bruxelles à G. David. Joseph A. Crowe – Giovanni Battista Cavalcaselle, Geschichte der
altniederländische Malerei, Leipzig, S. Hirzel, 1875, p. 352.
LA VIERGE À LA SOUPE AU LAIT D’APRÈS GÉRARD DAVID 293

modelé doux et ses proportions cubiques. La fourchette chronologique de


1510-1520 est celle la plus souvent avancée pour l’ensemble de ces pan-
neaux dont les analogies avec les œuvres autographes de David telles la
Vierge entre les Vierges de Rouen (1509) ou encore la Fuite en Égypte de la
National Gallery of Art de Washington (ca. 1515) sont évidentes.
Les modifications d’ordre économique et politique que connut Bruges
dans le dernier quart du XVe siècle furent à l’origine d’un exode vers
Anvers, métropole alors en plein essor, des artistes et de la plupart des
maisons marchandes ; à l’exception toutefois des espagnoles, pour qui la
ville de Bruges reste le grand marché du commerce de la laine qu’elles
exportent. En 1492 cette dernière supplante en effet la laine anglaise dans
les ateliers de tissage du Franc. Dès lors les peintres brugeois ne bénéficient
plus de commandes privées importantes notamment celles de la cour de
Bourgogne. Ils sont ainsi amenés à changer leur mode de production et à
modifier leur statut. Ils s’orientent vers la réalisation en série de panneaux
de dévotion et deviennent des peintres-entrepreneurs, actifs aussi comme
marchands à la tête d’importants ateliers transformés partiellement en
magasins.5 Les ateliers de David, d’Isenbrant et de Benson en constituent
de parfaits exemples. Au vu de l’importante production qui leur est attri-
buée, ils devaient être prolifiques et compter de multiples collaborateurs.
Ceci explique le caractère hétérogène du corpus d’œuvres qui leur sont
données et les différences de qualité d’une composition à l’autre en fonc-
tion des modèles utilisés. Isenbrant réalisa et écoula, notamment sur le Pand
d’Anvers, de nombreux tableaux inspirés du répertoire de David comme le
Repos pendant la Fuite en Égypte ou la Nativité. Ces sujets religieux, davantage
appréciés en Espagne que ceux plus novateurs peints par les artistes anver-
sois, y furent exportés en grande quantité, constituant le fret de retour des
navires apportant la laine. Pour alimenter ce marché, de nouveaux proto-
types de composition voient également le jour, conçus pour une produc-
tion standardisée d’œuvres bon marché pour lesquelles l’Espagne continue
à offrir des débouchés intéressants. Le thème de la Vierge à la soupe au lait
est ainsi créé par Gérard David pour être répété en recourant à des cartons
au départ d’un dessin modèle, mais peut-être aussi d’un tableau du maître
exposé comme modèle d’étalage dans son atelier de peinture, hypothèse
suggérée par Maryan Ainsworth pour la version de l’Aurora Art Fund.

5 Peter van den Brink, L’art de la copie, in L’entreprise Brueghel, P. van den Brink (éd.),
Gand/Amsterdam, Ludion-Flammarion, 2001, pp. 13-43 : 16-20. Pour le commerce avec
l’Espagne cfr. Georges Marlier, Ambrosius Benson et la peinture à Bruges au temps de Charles-
Quint, in ibid., pp. 63-64.
294 CATHELINE PÉRIER-D’IETEREN

Dans l’article écrit pour la revue de l’Académie, nous avons proposé


de classer les différentes versions connues en deux groupes distincts selon
leur composition.6 Le premier suit le schéma de mise en page de l’Auro-
ra Art Fund (fig. 1). L’Enfant nu est assis sur les genoux de sa mère face
aux spectateurs, il regarde la branche de cerisier qu’il brandit de sa main
droite et désigne le bol de soupe de la gauche. Le second groupe découle
de la peinture de Strasbourg (fig. 2). La position de Jésus est modifiée, il se
désintéresse de la cuillère qu’il tient et de la nourriture offerte pour tour-
ner la tête et regarder au loin. Sa taille est ceinte d’une étoffe blanche.
Nous ne nous attarderons pas sur le noyau d’œuvres de référence formé
par Friedländer et sur lequel de nombreux auteurs se sont déjà penchés.
Pour une synthèse de la problématique, nous renvoyons plus particuliè-
rement aux études les plus récentes : celle de M. Ainsworth qui, après une
introduction générale, développe sa démonstration autour de la version
de l’Aurora Art Fund qu’elle analyse dans le détail,7 et à notre article
dans lequel nous comparons la version de Strasbourg (fig. 2) considérée
comme une copie de qualité de l’atelier de Gérard David à celle d’une
collection privée belge.8 L’étude approfondie de cette œuvre, qui n’était
que brièvement mentionnée dans la littérature, a soulevé la question du
statut d’une peinture hyper restaurée et du rôle joué par le restaurateur
et faussaire belge Jef Van der Veken dans cette série de Vierge à la soupe au
lait.9 (fig. 4)

Aux œuvres précitées nous voudrions ajouter plusieurs autres versions


ayant peu retenu l’attention des spécialistes. Elles nous semblent cependant
mériter d’être signalées pour compléter le panorama de ces petits panneaux
quasi de même format – copies, répliques et variantes – ne différant que par
des détails et produits en grand nombre à Bruges. Certains se rattachent
directement à l’un des deux groupes que nous avons formés. D’autres, plus
éloignés stylistiquement, révèlent la permanence du thème comme source
d’inspiration dans la peinture flamande du XVIe et même du XVIIe siècle.
Ainsi, nous retiendrons pour ces époques, et parmi d’autres exemples, les
tableaux de la collection Hoschek à Prague et celui de l’Accademia Carrare

6 Catheline Périer-D’Ieteren, Une version méconnue de Vierge à la soupe au lait d’après Gé-
rard David restaurée par Van der Veken, « Revue belge d’Archéologie et d’Histoire de l’Art », 86,
2017, pp. 103-126.
7 Ainsworth 1998, pp. 295-312.
8 Cfr. n. 6.
9 Ibid.
1 2

Fig. 1. - Gérard David, Vierge à la soupe au lait,


New York, Aurora Art Fund, Inc (© Aurora Art
Fund, Inc.). Fig. 2. - Gérard David (atelier),
Vierge à la soupe au lait, Strasbourg, Musée des
Beaux-Arts (© Musées de Strasbourg, A. Plis-
son). Fig. 3. - Gérard David (entourage), Vierge
à la soupe au lait, Séville, Museo de Bellas Artes
(© Junta de Andalucía. Consejería de Cultura). 3
296 CATHELINE PÉRIER-D’IETEREN

de Bergame.10 La scène se déroule devant un paysage et saint Joseph y par-


ticipe en découpant le pain.

Premier groupe

Parmi les exemplaires qui s’inscrivent par leur composition dans le


noyau de référence donné à Gérard David et son atelier, nous retiendrons
celui du Musée des Beaux-Arts de Séville.11 (fig. 3). La peinture y est men-
tionnée comme une copie d’un imitateur du maître et est datée autour
de 1515-1520. Le tableau provient du couvent des clarisses de la Purísima
Concepción de Marchena et a été acheté par l’État en 1971. D’après une
inscription qui figure au dos du panneau, l’œuvre a joui d’une dévotion
spéciale de la part de dona María [de Guadalupe de Lencastre] y Carde-
nas, duchesse de Aveiro, Arcos y Maqueda qui l’offrit au couvent en tant
qu’œuvre peinte par un disciple de G. David.
Cette version de Vierge à la soupe au lait non répertoriée par Friedländer,
Sonkes, Von Migroet et Stroo a par contre été étudiée par Rafael Cómez
Ramos,12 qui souligne les similitudes qu’elle partage avec les exemplaires
de Bruxelles (Musées royaux des Beaux-Arts) et surtout de Gênes. On

10 Suiveur de Gérard David, Vierge à la soupe au lait, Prague, collection Hoschek (reproduit
in The Flemish Primitives III : Hieronymus Bosch, Albrecht Bouts, Gerard David, Colijn de Coter, Goos-
sen van der Weyden, Bruxelles, Brepols, 2001, p. 266, fig. 161) ; Ambrosius Benson (attr.), Vierge à
la soupe au lait, Bergame, Accademia Carrara de Belle Arti, inv. 1041 (reproduit in Licia Collobi
Ragghianti, Dipinti Fiamminghi in Italia 1420-1570 : Catalogo, Bologne, Calderini, 1990, p. 214,
n. 421). Cfr. également entre autres École flamande, Vierge à la soupe au lait, début du XVIe
siècle, Paris, vente Sedelmeyer, 1907, n. 218 (reproduit dans les fichiers photographiques de la
Witt Library à l’Institut Courtauld).
11 Gérard David (suiveur), Vierge à la soupe au lait, chêne, un seul élément, 31,5 × 26,5
cm, Séville, Museo de Bellas Artes, inv. CE0029P. Cfr. Arseno M. Mendoza et alii, Museu de
Bellas Artes de Sevilla, Séville, ediciones Galve, 1984, p. 91, cat. n. 83. Cfr. aussi Jose G. Moya
Valganon, Museo de Bellas Artes de Sevilla, Nuevas adquisiciones y restauraciones, Sevilla, Caja de
Ahorros Provincial San Fernando de Sevilla, 1971, n. 29. Nous remercions monsieur Ignacio
Hermoso Romero, conservateur au Département de Conservation et d’Investigation et la di-
rectrice madame María del Valme Muñoz Rubio de nous avoir permis d’étudier la peinture
dans les salles du musée. Malheureusement très peu d’informations nous ont été données. La
peinture est dans l’ensemble en mauvais état de conservation. À l’examen, on observe de mul-
tiples retouches et surpeints. L’œuvre a été restaurée par Manuel Lopez Gil en 1971 lors de son
entrée au musée mais aucune précision n’est apportée dans le dossier sur cette intervention.
Elle a en plus subi un traitement de conservation en 1992 : « fixation de la couche picturale,
vernis et intervention sur le cadre ».
12 Rafael Cómez Ramos, La Virgen y el niño de la sopa de leche, según Gerard David, « Labora-
torio de arte », 25, 2013, pp. 97-115.
LA VIERGE À LA SOUPE AU LAIT D’APRÈS GÉRARD DAVID 297

4 5

Fig. 4. - Gérard David (entourage), Vierge à la soupe au lait, localisation inconnue (an-
ciennement à Montemayor) (© IRPA-KIK, Bruxelles). Fig. 5. - Gérard David (en-
tourage), Vierge à la soupe au lait, collection privée belge (© Collectionneur).

observe en effet d’étroites parentés formelles dans le groupe divin et la


manière de l’insérer dans l’espace, dans les objets et leur disposition ainsi
que dans la mise en page du paysage. Le style de la peinture de Séville
est toutefois très différent de celui de Gênes. À Séville, les protagonistes
sont beaucoup plus volumineux, leurs corps et leurs traits sont lourds et
les contrastes ombre-lumière plus marqués,13 autant d’éléments auxquels
s’ajoutent l’expression boudeuse de la Vierge et ses paupières pesantes,
qui évoquent les œuvres de Benson et de son atelier. Pour nous, son style
particulier la distingue nettement des onze exemplaires connus à ce jour.
On notera en outre dans l’exemplaire de Séville une maladresse dans la
représentation en oblique du col trapézoïdal de la robe de Marie et donc de
son buste par rapport à la position de sa tête. Cela pourrait s’expliquer par

13 Malheureusement, vu l’état de conservation de l’œuvre qui est sale et très restaurée, il


est impossible d’émettre un avis circonstancié sur le détail de sa technique d’exécution considé-
rablement alourdie par les repeints.
298 CATHELINE PÉRIER-D’IETEREN

l’exécution en deux temps de la figure au sein de l’atelier ; une phase pour


le vêtement selon un modèle repris au poncif, une autre pour le visage. La
version de Gênes au contraire, se caractérise par son harmonie générale,
une plus grande finesse dans le dessin des linéaments des visages et par un
modelé enveloppé. L’ensemble renvoie plutôt à la production d’Isenbrant
et de son atelier, qui fit un usage fréquent et habile des créations de Gérard
David, allant même parfois jusqu’à imiter son style et sa facture.
Un examen attentif à l’œil n’a pas permis de relever dans le tableau de
Séville la présence généralisée d’un dessin au poncif comme dans les autres
versions, l’état fort surpeint de l’œuvre en altérant la vision. Nous pensons
toutefois en voir en bordure du décolleté de la robe de Marie.14 Un dessin
au poncif est par contre bien documenté dans la version de Gènes qui a été
examinée en RIR par M. Galassi.15
Le dessin sous-jacent porté sur la préparation constitue la première
phase de la genèse d’une peinture. Dans le cas de cette série de Vierge à
la soupe au lait l’usage du poncif comme moyen de report mécanique est
commun à tous les exemplaires connus, ce qui constitue une donnée de
preuve évidente qu’il s’agit de travaux d’atelier se référant pour l’essentiel
aux mêmes prototypes.
Nous mentionnerons comme autre exemple conservé en Espagne une
version peinte sur ardoise, intégrée jadis à l’attique d’un retable consacré
à la Vierge de Grâce (1735) ornant la chapelle privée de la duchesse de
Frias dans l’église paroissiale de l’Assomption de Montemajor près de Cor-
doue (fig. 4). Sa composition est l’exacte reprise du prototype de l’Aurora
Art Fund (fig. 1) qui proviendrait d’un couvent de Tolède.16 Cette dernière
pourrait donc avoir été vue par le copiste qui l’aurait prise pour modèle.
L’oeuvre fut malheureusement brisée durant la guerre civile espagnole.17

14 Il n’a pas été possible de faire un examen en réflectographie de cette version. Nous n’avons
donc pas eu de précisions sur l’utilisation du dessin au poncif pour l’ensemble de la composition.
15 Nous remercions vivement M. Galassi de nous avoir transmis le RIR de l’œuvre. Les
RIR des autres versions sont reproduits par Ainsworth 1998, pp. 300-303.
16 Bodenhausen écrit que l’œuvre a été acquise d’un couvent de nonnes à Tolède et est
entrée dans la collection Traumann : Bodenhausen 1905, p. 180.
17 Cfr. l’Illustration de janvier 1938 consacrée aux destruction d’œuvres d’art durant cette
période. On peut y lire « Cette belle œuvre fut jetée violemment sur le sol et se brisa ». L’auteur
du texte la désigne comme fragment d’un tableau de l’école italienne du XVe siècle, peint sur
ardoise. Comblen-Sonkes parle très brièvement de cette oeuvre qui dérive de la version de
l’Aurora Art Fund et elle trouve que le style de la Vierge se rapproche de celui de Benson, idée
à laquelle nous n’adhérons pas (Micheline Comblen-Sonkes, À propos de la Vierge à la soupe au
lait. Contribution à l’étude des copies, « Bulletin des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique »,
1-3, 1974-1980, p. 40, fig. 9.
LA VIERGE À LA SOUPE AU LAIT D’APRÈS GÉRARD DAVID 299

Néanmoins les fragments, bien que grossièrement remontés, révèlent une


copie fidèle et de qualité. L’intérêt principal de cette Vierge à la soupe au lait
non étudiée à ce jour réside principalement dans son support qui est tout à
fait inhabituel à la peinture flamande des XVe et XVIe siècles, généralement
exécutée sur du bois de chêne et parfois aussi sur une toile de lin non pré-
parée (Tuchlein).18 D’après les textes, le premier usage de ce matériau pier-
reux de couleur anthracite se situerait en Italie et remonterait à Sebastiano
del Piombo, qui aurait peint dès 1530 sur ardoise.19 La peinture de Monte-
major, datée des années 1510-1515, serait ainsi antérieure. Elle a été réali-
sée par un peintre flamand travaillant probablement en Espagne. Il aurait
remplacé le chêne, alors importé de la Baltique et donc cher, par l’ardoise,
un matériau local à sa disposition dans le pays. Vu l’intérêt qu’il y aurait
eu à développer des recherches sur l’usage de support en ardoise dans la
peinture flamande du XVIe siècle, nous nous sommes rendue à l’église de
Montemajor. La peinture originale a malheureusement été remplacée par
une mauvaise copie du XXe siècle.20
Suite à l’étude des photographies, l’artiste nous semble issu, au vu de
son style, de l’atelier extrêmement florissant d’Isenbrant qui inonda le mar-
ché espagnol de sa production. Nous pensons d’ailleurs que ce maître pour-
rait être à l’origine du second modèle de référence montrant l’Enfant tour-
né vers la gauche tel qu’il apparaît dans la version de Strasbourg (fig. 2),
fortement empreinte du style de Gérard David mais traité à sa manière
avec plus de douceur dans les formes et le modelé. Le visage de la Vierge

18 Les supports traditionnels sont le bois (chêne) et la toile de lin (Tuchlein). Nous avons
récemment étudié des œuvres peintes sur du papier ou parchemin, autre support qui n’avait
retenu l’attention que de quelques historiens de l’art (Catheline Périer-D’Ieteren, Un portrait
peint à l’huile sur papier marouflé à attribuer au Maître des Portraits princiers, « Annales d’Histoire
de l’Art et d’Archéologie », 37, 2015, pp. 7-29).
19 Ségolène Bergeon Langle – Pierre Curie, Peinture et dessin. Vocabulaire typologique et
technique, Paris, Editions du patrimoine, 2009, p. 463 et Jill Dunkerton – Susan Foister –
Nicolas Penny, Dürer to Veronese : Sixteenth-century Painting in the National Gallery, New Haven/
Londres, National Gallery Publication, 1999, pp. 274-275.
20 Il convient de ne pas prendre en compte la copie du XXe siècle actuelle fixée au retable,
de 1735 de Gaspar Lorenzo de los Cobos, commandé par le duc de Frias, et donnée parfois
comme une copie fin XVe sur panneau de la versione originale : Juan Bernier Luque et alii,
Catalogo artistico y monumental de la provienca de Cordoba, p. 111. L’oeuvre fut deplacée du retable
dans le château adjacent des ducs de Frias. Vendue à une date inconnue à Antonio García-
Trevijano Forte, elle a été acquise dans les années 1990 par l’actuel propriétaire. Je remercie
chaleureusement Jesus Rojas-Marcos de m’avoir facilité les démarches pour examiner les pein-
tures du musée des Beaux-Arts de Séville et de Montemajor et de m’avoir accompagnée sur
place. Il mentionne ces deux œuvres dans sa thèse de Doctorat inédite : Jesus Rojas-Marcos
González, La Pintura Flamenca del Siglo XVI en Andalucía, université de Sevilla, 2010, vol. I,
IV.2.2.4., pp. 235-241.
300 CATHELINE PÉRIER-D’IETEREN

est un rien plus allongé que celui de forme cubique propre à David dans la
version de l’Aurora Art Fund, mais l’exécution du modelé est très compa-
rable par sa fluidité. Le visage de l’Enfant aussi est moins large et ses traits
comme son corps sont plus ramassés. L’expression des deux protagonistes
est moins intériorisée ce qui se traduit chez Marie comme chez Jésus par la
position des yeux et un léger relâchement des lèvres au rendu plus souple.

Une autre version très faible inspirée de celles de Bruxelles et de Gênes


a été vendue chez De Jonckheere et attribuée à Isenbrant.21 Elle se dis-
tingue principalement par la représentation rudimentaire de la pièce et
le paysage incongru du fait des jeux de reflets peu naturels des bâtiments
sur l’eau et sous l’arche du pont. On notera encore la coiffe blanche au
dessin maladroit de la Vierge dont un long pan de tissu masque les che-
veux, et la petitesse de la tête de Jésus par rapport à son corps allongé et
raide. Enfin, le style des visages n’est apparenté à celui d’aucune des autres
versions. Certains des objets présentés sont insolites dans la série étudiée,
notamment la pomme flétrie serrée contre le bol de panade coupé laté-
ralement, la table et ses accessoires disposant de fort peu de place dans la
composition. Par ailleurs, les motifs symboliques habituels, notamment
du livre de prière et du bouquet, sont absents de la composition. Pour
nous, l’attribution de cette version à Isenbrant ne peut en aucun cas être
retenue, le style des visages étant différent de sa manière et le paysage ne
correspondant en rien à ceux que l’on trouve dans sa production et dans
celle de son atelier.

Un dernier exemplaire de ce premier type de composition a été ven-


du chez Sotheby’s en 1990 et attribué à Marcellus Coffermans d’après
G. David.22 Il présente aussi un paysage au style divergent de celui du proto-
type. De format oblong, il est traversé par une rivière et est clos à l’horizon
par un éperon rocheux central ; il ne comporte aucun édifice. L’ensemble
est malhabile. On notera par exemple l’écart important qui sépare l’Enfant
très raide du visage de sa mère. Le tableau n’est pas inclus à la monogra-
phie de De Vrij sur Marcellus Coffermans.23 Il pourrait éventuellement être

21 Adriaen Isenbrant, Vierge à la soupe au lait, 41,5 × 33,5 cm, Bruxelles, De Jonkheere, XXe
exposition, 1989-1990, n. 4.
22 The Madonna feeding the Christ with child porridge, a landscape beyond, bois, 46 × 36,5 cm,
Sotheby’s, 4 avril 1990, n. 209. Ce panneau est rapproché dans la notice de la version de Brux-
elles, dont il ne partage cependant pas le paysage.
23 Marc Rudolf de Vrij, Marcellus Coffermans, Amsterdam, M. R. V., 2003, 168 pp.
LA VIERGE À LA SOUPE AU LAIT D’APRÈS GÉRARD DAVID 301

une reprise tardive de l’atelier d’Isenbrant, ou même à mon sens être plutôt
une copie du XIXe siècle.

Deuxième groupe

Les peintures rassemblées ici dérivent du prototype de Strasbourg (fig. 2).


La version la plus apparentée a été vendue chez Christie’s en 2010
(fig. 5).24 Elle proviendrait d’une collection espagnole au même titre que les
peintures de l’Aurora Trust, de Séville et de Montemajor, preuve concrète
du succès de ce thème à caractère intimiste dans la Péninsule ibérique. Elle
s’écarte peu du modèle, tant dans la mise en page qu’au point de vue for-
mel. Par contre le style des visages, leur expression plus intériorisée et leurs
traits plus durs évoquent un émule de G. David plutôt que d’Isenbrant.
Des parentés se relèvent notamment avec la série des petits tableaux de
la Vierge et du Christ mort.25 Par ailleurs, les linéaments du visage de Marie
et leur exécution s’apparentent aussi à la série abondante de tableaux de
Vierge et Enfant de tendresse donnée à Benson ou à son atelier, au style
qui se prolonge jusque dans les années cinquante notamment chez son fils
Guillaume.25
La composition combine en fait des emprunts aux deux prototypes
reconnus, qui devaient donc être visibles dans l’atelier de Gérard David pour
que le copiste puisse s’en inspirer simultanément. On notera qu’un poncif,
révélé par l’examen en réflectographie infrarouge et visible par perte du
pouvoir couvrant entre autres dans la coiffe de la Vierge,26 a été utilisé dans

24 Chêne, 43,5 × 32,6 cm. La peinture est conservée dans une collection privée en Bel-
gique. Nous remercions R. de Lathuy, directeur de Christie’s, de nous avoir aidée à la retrouver
et ses propriétaires de nous avoir permis de l’examiner. La peinture, couverte d’un épais vernis
jaune au moment de sa vente, a été nettoyée en 2010, ce qui permet de porter un jugement plus
objectif sur son style et son exécution picturale.
25 Friedländer 1971, pl. 206. Une version de Vierge et Enfant de tendresse conservée au
musée des Beaux-Arts de Séville (inv. CE0020P) et attribuée à Guillaume Benson présente
des traits de visage et une exécution proche, notamment par les cernes grises marquées par
une ligne sous les yeux. Cfr. aussi Catheline Périer-D’Ieteren, Production d’atelier et exporta-
tion. Cinq versions de sainte famille de l’entourage de Gérard David, « Revue belge d’archéologie et
d’histoire de l’art », LXXVII, 2008, pp. 27-44.
26 Vente Christie’s, Londres, Old Masters and 19th Century Art, 30 avril 2010, notice du lot
n. 5. Version en ligne : http://www.christies.com/lotfinder/paintings/workshop-of-gerard-
david-the-holy-virgin-5309023-details.aspx. Une réflectographie dans l’infra-rouge a été réalisée
par Christie’s. À hauteur de la tête de la Vierge, il y a un fragment de ligne dorée et courbe
difficile à interpréter.
302 CATHELINE PÉRIER-D’IETEREN

toute la composition, ce qui présuppose l’existence d’un modèle. L’essen-


tiel est repris à la version de Strasbourg : l’attitude de l’Enfant et de Marie,
la conception du paysage avec la ville se profilant entre les deux collines
comme la nature morte sur la table. La mise en page cadrée à gauche par un
arbre est par contre issue de la version de New York, de même que la nudité
de Jésus qui tient une branche de cerisier à la main plutôt qu’une cuillère.
Toutefois, il en détourne le regard alors que dans le modèle il la contemple.
D’autres détails distinguent cette peinture de celle de Strasbourg et des ver-
sions gravitant autour de celle de l’Aurora Art Fund. Ainsi le devant de la
table n’est pas masqué par la retombée de la nappe. Or comme le bord non
peint subsiste, il constitue une donnée de preuve que la table se présente
sous son aspect original. Le volume de ce meuble au premier plan joue un
rôle spatial ; il sert de repoussoir à la composition lui conférant plus de pro-
fondeur. Il met également en exergue les éléments coutumiers à un repas.
Trois pommes posées sur le rebord de la fenêtre remplacent l’habituel bou-
quet de fleurs. Le paysage est ici dépourvu de petits personnages. Tous les
autres motifs symboliques, comme le livre de prière et la housse pour le
conserver dans le tableau de Strasbourg, ou encore le panier en osier, la
cruche d’étain et les poires dans celui de l’Aurora Trust, ont été étrange-
ment supprimés de la composition.27 Le peintre, sans doute pour répondre
au désir d’un commanditaire, aurait-il voulu donner un caractère plus laïque
à la copie d’un thème à succès en enlevant les motifs à caractère dévotionnel
pour ne conserver que ceux illustrant la scène de genre ?
L’ultime version que nous commenterons est celle conservée au Musée
Départemental de Flandre à Cassel.28 Elle entre dans la catégorie des copies
interprétatives de la version standard reprenant l’Enfant qui se détourne de
la nourriture et regarde au loin. Il est toujours présenté assis sur les genoux
de Marie, non plus dans une chambre à caractère bourgeois, mais bien en
extérieur dos à un paysage. Ce dernier s’étale sur toute la largeur de la pein-
ture plutôt que d’être perçu à travers une fenêtre. Les édifices sont petits,
disproportionnés et peu précis dans leur exécution. L’architecture baigne
curieusement dans l’eau et se prolonge par son reflet, les arbres constituent
une masse assez lourde d’où n’émergent que de rares feuilles plus claires.

27 Un examen attentif de la peinture n’a permis de relever aucune trace qui subsisterait
de ces éléments. Par contre, sur la photographie prise avant restauration, on aperçoit le dos du
fauteuil sur lequel est assise Marie et qui n’est plus perceptible actuellement.
28 Bois, 54,2 × 39 cm. Cette peinture a été vendue chez Finck le 12 décembre 1965 (cfr.
notice n. 5 du catalogue). Elle est actuellement en dépôt au Musée Départemental de Flandre
à Cassel, inv. D.2009.1.6.
LA VIERGE À LA SOUPE AU LAIT D’APRÈS GÉRARD DAVID 303

La table portant le bol de panade est coupée et seul un pain sans couteau
est présenté. Le manteau rouge de la Vierge, absent des autres versions, se
déploie de façon théatrale au premier plan. La morphologie du visage de
Marie s’écarte de celle des autres exemplaires par sa forme plus ronde et ses
traits moins serrés. Le port de tête de Jésus, la direction de son regard et le
dessin des yeux, comme son expression, sont aussi différents. Une impres-
sion de collage émane de la composition d’ensemble. Le style douteux
qui ne se rattache à aucun autre de la série nous fait hésiter, comme pour
l’œuvre précédente, quant à l’authenticité du tableau.

Conclusion

Cette série de Vierge à la soupe au lait illustre de façon magistrale les


propos de Brandi pour qui l’histoire de la copie appartient de droit à l’his-
toire du goût, mais aussi à l’histoire de la critique d’art puisque la copie
reflète une manière particulière de « lire l’œuvre d’art », et je dirais éga-
lement de la « retranscrire ». La frontière entre original, copie et faux est
périlleuse à déterminer pour l’expert, d’autant plus si l’œuvre a été très res-
taurée. L’examen technologique et le recours aux méthodes de laboratoire
lui sont donc indispensables pour conforter son jugement, sans pour autant
lui apporter nécessairement la réponse.
En conclusion de cette étude, il est évident que de grandes inconnues
subsistent, notamment dans le domaine de l’attribution ; car la prédomi-
nance du travail d’atelier et la difficulté à expliquer les collaborations au sein
de ceux-ci rendent malaisée l’identification d’œuvres autographes. Il est dès
lors plus raisonnable, dans le cadre de telles séries illustrant un thème à la
mode abondamment copié pour répondre à la demande, d’identifier les ate-
liers de production plutôt que des maîtres. Il est légitime cependant de tenter
de constituer des groupes stylistiques apparentés, de déterminer la « durée de
vie » du succès de ces petites oeuvres de dévotion et de suivre, en cherchant à
les expliquer, les changements de détails apportées à ce genre de composition
au cours du temps. Je pense ainsi aux peintures de Sainte Famille du XVIe et
même du XVIIe siècle qui intègrent saint Joseph à la composition de la Vierge
à la soupe au lait ou encore au thème initial exploité non plus comme tableau
autonome mais comme partie centrale d’un retable.29

29 Cfr. notamment : Adrien Isenbrant (entourage), Sainte Famille, Christie’s, New York, 24
janvier 2003, n. 28, et Ambrosius Benson, Sainte Famille, vente Van Marle & Bignell, 25 janvier
1943 (reproduit dans les fichiers de la Witt Library de l’Institut Courtauld). Pour le triptyque :
304 CATHELINE PÉRIER-D’IETEREN

À ce stade, l’examen comparatif des différentes versions connues à ce


jour et reprises ici fait apparaître l’intervention de plusieurs peintres bru-
geois à l’origine de prototypes ou de copies marquées par leur style. Il
conviendrait dès lors de mieux appréhender ce phénomène. Gérard David,
comme cela a déjà été écrit depuis le XIXe siècle, est certainement le peintre
pionnier qui a conçu la mise en page de la composition de l’Aurora Art
Fund et qui a ensuite développé ce thème porteur de la Vierge à la soupe
au lait au sein de son atelier. Il est d’abord aidé pour ce faire par Ambrosius
Benson et Adrien Isenbrant qui travaillaient pour lui et qui ensuite vont
gérer leurs propres ateliers.30 Chacun d’eux reprend le sujet en y apportant
des modifications soit dans la mise en page soit, plus fréquemment, dans
le choix et la disposition des détails à connotation symbolique. Leur source
commune d’emprunts à G. David et leur style hybride, aux particularités
individuelles encore mal définies lorqu’ils traitent de sujets identiques,
devraient constituer les fondements de nouvelles recherches dont les pré-
mices seraient l’investigation des séries d’œuvres de dévotion brugeoises
dans le premier quart du XVIe siècle. Les peintures conservées en Espagne
constitueraient très certainement une source d’information précieuse, pas
encore suffisamment exploitée à ce jour.31

Adrien Isenbrant, Triptyque de la sainte Famille avec donateurs, Bruxelles, collection du baron de
Peñaranda (cfr. Friedländer 1971, XI, n. 133).
30 Pour Isenbrant, consulter Catheline Périer-D’Ieteren, Isenbrant, in Nouvelle biographie
nationale, 12, 2014, pp. 153-155. Pour Benson, consulter Sacha Zdanov, Benson, in Nouvelle biog-
raphie nationale, 13, 2016, pp. 19-21.
31 Mes remerciements vont à tous les détenteurs de tableaux de Vierge à la soupe au lait qui
m’ont fourni les photos et autorisée à les publier. Une fois encore, j’ai bénéficié de la relecture
critique du texte par Valentine Henderiks et de l’aide précieuse et efficace de Sacha Zdanov
pour l’élaboration des notes ainsi que pour la recherche documentaire et des illustrations.
Je leur en suis très reconnaissante.
FINITO DI STAMPARE
PER CONTO DI LEO S. OLSCHKI EDITORE
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NEL MESE DI DICEMBRE 2018
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Direttore responsabile: Graziella Cirri
ISSN 1122-0732

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