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< Národni knihouna CR
à Historické fondu

Národni knihovna
||||||#II
1003296292

•r•
coLLECTIoN
DES OPINI ON S

DE M. MALOUET,
D É P U T É

A L'ASSEMBLÉE NATIONALE.

T o M E P R E M I E R.

A PA R I S, -

Chez VA L A D E, Imprimeur - Libraire,


rue Plâtriere , No. 12.
PRÉFA CE
Dès les premiers jours de I'assemblée des
états-généraux, on a siméchamment défiguré
ou calomnié mes opinions, que je me suis
vûobligé d'imprimer toutes celles que j'avois
écrites avant de les prononcer, ou d'écrire
et de rendre publiq ueceque je n'avois pû dire
dans l'assemblée lorsqu'on m'a empêché de
parler. --- On trouvera donc dans cette col
lection l'exposé fidèle et successif de mes
principes dans toutes les questions que j'ai
traitées. Ce rapprochement, en faisant mieux

ressortir les vérités ou les erreurs que j'ai


défendues, fera connoître au moins dans tous
ses développemens ma doctrine politique, et
peut-être s'étonnera-t-on un jour qu'elle
n'ait pas obtenu, si non plus de succès , au

moins plus d'indulgence. J'aurois pû grossir


ce volume de plusieurs autres écrits préparés
--=

vj P R É F A C E:
sur diverses matières, mais tout a été dit,
et je me suis plus d'une fois imposé silence,
par la certitude de le rompre inutilement. --
J'ai pensé qu'il n'eût pas été bien de céder
facilement aux préventions, aux menaces,
aux outrages dont on m'a accablé ; mais
aussi il est un terme ou l'insistance cesse
d'être un devoir, et n'est plus conciliable
avec le respect qu'on se doit à soi-même. Si
cette collection survit aux tems orageux ou
nous vivons, il ne sera pas inutile à ceux
qui nous succèderont, d'apprendre que
celui qui s'exprimoit ainsi sur les affaires
publiques, est le même homme que tant de
journalistes et d'écrivains patriotes ont si
souvent dénoncé comme ennemi du peuple
et de la liberté. Puissent les vrais amis de
l'un et de l'autre, obtenir enfin la confiance
--
qui leur est due. Quand à moi, rassasié de
tout ce que j'ai vû , d'intrigues, d'hypocri
sie, devanité, de déraison et de scélératesse,
je reste convaincu qu'il faut une vertu sur
p R É F A C E. vij
naturelle, ou une ambition forcenée, pour
s'élancer dans cette mêlée, et que les hommes
sages, mais d'une vertu commune, doivent
fuir les affaires et les emplois publics dans
les tems de troubles. ----- Je ne sais ce
qui arrivera de toutes nos sociétés politi
ques, et si elles seront toujours, malgré les
révolutions, sous le joug des plus méchans
ou des plus habiles. Mais j'y vois les mêmes
germes de corruption dans la vanité et la
lâcheté de nos mœurs. -- Le vrai courage
paroît n'avoir rien de commun avec un sen
timent profond de justice, et il en est insé
parable.La liberté semble être une propriété
commune à tous les hommes, et il n'y aura
jamais que le vrai courage et la parfaite jus
tice, qui pourront s'en saisir, toutes les pas
sions viles seront éternellement l'apanage
des tyrans et des esclaves.

Je n'ai pu ni suivre, ni soigner cette édi


tion ; je m'apperçois trop tard qu'elle n'est
viij P R É F A C E.
pas dans un ordre satisfaisant pour les lec
teurs : comme elle est composée d'écrits dé
tachés qui ont paru successivement, on y
répète inutilement des titres et sommai
res, des avertissemens qui paroîtront dépla
cés dans un même volume ; les dates, les
séances ne sont pas toujours indiquées. Il
n'y a point de table des matières ; on voudra
bien pardonner toutes ces négligences , qui
ne sont pas de mon fait.
A V I S :

A LA N O B L E S S E.
Décembre, 1788.

· Que peut la noblesse, quand elle a perdu


son crédit sur le peuple , ou qu'elle l'a laissé
opprimer ?
,º O B s E RvATIoN s de l'abbé de Mably,
Liv. Fr , pag. 195.

L, s E z donc, Messieurs, relisez l'abbé de Mably,


consultez tous nos historiens ; et que les annales du
monde vous éclairent sur vos vrais iutérêts. Que voulez
vous, qu'allez-vous faire , et qu'allons-nous devenir ?
--- Quoi! c'est au moment où la vérité, la lumière ont
pénétré dans toutes les conditions, où les dernières
classes du peuple voient et entendent , où la monar
chie est dans une crise effrayante, c'est l'instant que
vous choisissez pour montrer des intérêts , des préten
tions et des droits séparés de ceux de la nation !
Et quelle idée avez-vous donc de vos droits, si vous
ne les regardez comme une expression de la volonté de
tous ? Quel sera l'appui de vos intérêts , de vos préten
tions, si vous apprenez au peuple qu'il doit vous con
sidérer comme ses ennemis ? | -*
Sans doute, il est des intérêts et des droits abusifs ,
dont vous devez le sacrifice à ce peuple •rº , qui
( 2 )
ne veut plus l'être, et qui s'unira avec confiance , à
son souverain, comme à vous , pour obtenir la liberté,
la paix et des lois protectrices ; mais qu'avez-vous à
raindre, et que pourriez-vous obtenir de plus heureux,
§ plus durable, que les avantages résultans de l'liar
monie de tous les ordres d'une grande mation, travaillant
à sa propre constitution ?
On vous dit qu'elle existe cette constitutiou , qu'elle
est antique , saine et iinmuable , qu'elle réside dans le
concours et la puissance des trois ordres.
On vous trompe indignement ; et mon effroi, mon
étonnement sont extrêmes , qu'on puisse vous abuser
par des artifices aussi grossiers.
, Qu'a donc produit cette constitution antique, dont
vous méconnoissez les principes, et dont vous idolâtrez
les abus ? Dans quel siècle et à quelle époque la nation
a t-elle été libre , depuis le règne de Charlemagne ? Si
vous retranchez de notre histoire le règne de Louis Xll
et celui de Henri lV , que trouverez-vous ? Des maux
et des malheurs ; le despotisme de tous les rois et de
tous les ministres ; une nation généreuse , errant de
siècle en siècle , sans boussole et sans guide, autour
du fantôme de la liberté ; des courtisans avides, qui
se transmettent comme un héritage leur bassesse et leurs
déprédations; un peuple nécessiteux, malgré les richesses
de son sol et les efforts de son industrie ; une noblesse
ignorante et courageuse, mettant de frivoles distinc
tions à la place des droits les plus sacrés ; un clergé
passionné pour ses propres immunités ; ct des magistrats
qui ne connoissent la nation et l'empire que dans l'en
ceinte et sous la protection de leurs tribunaux.
Or voilà , messieurs, ce que vous appelez la cons
titution. --- Telles sont les puissantes barrières qui nous
ont préservé jusqu'à présent des atteintes portées à nos
propriétés, à nos libertés , qui ont contenu cette foule
de ministres oppresseurs ou déprédateurs , dont nous
ne seront jamais vengés. C'est enfin ce qu'on appelle
les principes et les bases de la splendeur et de la
prospérité de la monarchie. -

· La sPLENDEUR et la PRosPERITE ! --- C'est au nio


ment où nous voyon, près de deux cents mille Pauvres
( 3 ) · -
dans la capitale ; où les ouvriers, les journaliers de
plusieurs provinces manquent de pain ; où la détresse
du trésor-royal se fait si dangereusement sentir; où nos
alliés, nos ennemis. .. .. !
La sPLENDEUÉ et la PRosPERITE ! C'est sans doute
de vous dont vous parlez, grands du royaume ! mais la
nation inquiète, agitée , malheureuse , n'a pas encore
de telles prétentions, Elle y arrivera sans vous ; car
vous avez encore le choix ; et elle ne vous demande
en attendant que la paix et la justice ; elle vous con
jure , pour vos propres intérêts et pour ceux de la
noblesse, qui ne sont pas à beaucoup près les vôtres,
mais bien ceux du peuple françois ; § vous coniure
de relire ce beau chapitre de l'abbé de Mably, dans
lequel il démontre comment en Angleterre l'union des
barons aux communes ſonda et put seule consolider la
liberté publique.
Que craignez-vous , cn effet , messieurs , des droits
et des prétentions du peuple ? Il a besoin de lui ; mais
avec la différence qu'il n'aura besoin de personne ,
lorsqu'il sera parvenu à la maturité de ses lumières ;
au lieu qu'il n'y aura plus ni force, ni lumière , si vous
voulez en abuser.
On calomnie le peuple et ceux qui auront une in
fluence sur ses déterminations, en vous faisant craindre
la subversion , la confusion des différens états de la
société.Ah ! si vous n'avez pas la sagesse et la magna
nimité des barons anglois, dans l'abandon des droits
féodaux, ne craignez pas que les représentans de la
nation vous y forcent en quelque nombre qu'ils puis
sent être , et qu'ils commencent l'exercice de leurs
droits par la violence 3 croyez que le premier vœu, le
grand principe inviolable pour tous, sera la conserva
tion de chaqne propriété.
r Ne craignez pas que ce peuple, qui n'a d'intérêt
éminent que dans une répartition égale de l'impôt, et
l'assurance de la liberté individuelle , vous dispute au
cune des prérogatives qui ne contrarieront pas celle
là. Sans doute il sera nécessaire de rallier , dans de
plus justes proportions , vos prétentions aux droits
inaltérables § peuple , et d'avoir des é# pour les
2
( 4 )
hommes dont vous voulez être honorés ; mais quelle
part aurez-vous jamais à la législation de l'empire , si
vous empêchez le peuple d'obtenir celle qui lui appar
tient ? Est-ce sur la concession du roi, ou sur la foi
blesse de la nation , ou sur vos propres forces , que
vous fondez votre espérance de parvenir à l'aristocratie ?
Des préjugés déplorables vous égarent ; la servitude
vous attend, si vous ne consacrez au grand œuvre de
la liberté un cœur et des mains pures. Ah ! messieurs,
sºngez moins au sacrifice raisonnable qu'il ne dépend
plus de vous de ne pas faire , qu'aux avantages inesti
mables que vous pouvez vous assurer. Les hommes de
votre ordre, dont vous suivez l'impulsion , n'ont aucun
intérêt à réprimer les abus du pouvoir auquel ils par
ticipent : ils ne connoissent d'autre liberté que la leur,
et n'apprécient le bonhenr public que par leurs jouis
sances; mais vous, nobles des villes et des campagnes,
qui ne pouvez jamais diviser en cinq cents mille parts,
et prendre chacun la vôtre du crédit des conrtisans et
des tributs de la nation , comment ne sentez-vous pas
que la cause du pemple est essentiellement la vôtre ;
et qu'il n'y a que ceux qui sont à une grande distance
de la faveur et du pouvoir, qui puissent vous aider à en
empêcher les écarts ? Cependant, s'il vous faut abso
lument des grands seigneurs pour guides de vos opi
nions , choisissez parmi ceux qui ont si généreusement
défendu la cause nationale , et vous trouverez sur cette
liste honorable les noms les plus illustres. Demandez
donc à ces vertueux citoyens , s'ils craignent de voir
leur dignité avilie ou méconnue par le peuple , pour
prix de la justice qu'ils lui ont rendue ? C'est votre
résistance inconsidérée, ce sont vos prétentions irritantes
qui peuvent tout perdre , et mettre au moins en péril
vos droits légitimes. Vous ne voulez point l'égalité des
suffrages et d'influence ; vous , cinquantième partie de
la nation , vous ne voulez point de partage avec ce
peuple immense , dont la richesse , les lumières , la
misère et l'ignorance sont également redoutables, quand
vous l'aurez une fois indisposée ! Hé bien , que ferez
vous , si des millions de voix s'élèvent contre la vôtre ,
et prononcent aussi une volonté contradictoire * Voilà
- - ( 5 )
donc l'anarchie, la banqueroute , des dissentions inté
rieures : point d'assemblée nationale ! Et ce prince ma
gnanime, qui vous a rendu , de son propre mouvement,
l'exercice de vos droits, sera forcé de les reprendre.
L'asyle de la nation seroit encore une fois le pouvoir
absolu ! Je frémis d'y penser. Quoi ! la pnissance mi
nistérielle , la puissance judiciaire , qui s'élancent si
souvent hors de leurs limites, n'auroient plus de frein ?
L'esprit personnel, le dangereux esprit de corps, étein
droient l'esprit public , flétriroient le caractère natio
nal, au moment même où ils prennent une nouvelle
vigueur ! les inquiétudes de l'orgueil , les espérances
de la cupidité repousseroient les vœux et les gémisse
mens universels de cette nation altérée maintenant de
la soif de la liberté ? Non , cela ne sera pas. ·
Nous ne sommes plus au tems où un peuple grossier,
tantôt foible, tantôt férocè, ne pouvoit ni profiter des
lumières, ni se préserver de l'impétuosité du prévôt
Marcel ; où des prêtres fanatiques recevoient , avec
respect, le mouvement que leur imprimoient l'intrigue
et la corruption de leurs chefs ; où des grands, avilis
par leurs excès , se faisoient craindre par leur audace :
tous les genres de charlatanisme sont évidens : tous les
droits positifs sont connus et déſinis : tout ce qui mé
rite réellement nos respects les obtient , et tout ce
qu'il faut détester ou mépriser, est livré à la haine et
au mépris ; mi l'hypocrisie de la popularité, ni celle de
l'ambition , n'appellent plus impunément bien public
ce qui y nuit. Nous n'avons ni la vigueur, ni le res
| sort des grands caractères de l'antiquité ; mais une lu
mière plus pure, plus douce et plus égale, a répandu
ses rayons sur la masse du peuple ; les bons livres, la
communication des corps ét des individus qui ont créé
l'empire de l'opinion l'entendent tous les jours : aucun
voile n'est plus interposé entre la tyrannie et ses"
moyens, et la classe indigente de la société, ces homimes
atiens dans leurs souffrances, mais redoutables dans
eur désespoir, ne peuvent plus être mus si facilement
par l'esprit de faction qui ne trouve plus d'aliment.
Une puissance de réflexion et dé'sentiment qui ne res
semble à aucune autre , s'est forifiéé au milieu de nôus ;
( 6 )
elle se coordonne avec la volonté générale, et se pré
sente, en cet instant de crise, comme l'avant-garde
de nos forces ; la nation voit ce qu'elle a à faire. Une
foule de citoyens de tous les ordres , distribués dans
toutes les parties du royaume , veillent pour la multi
tude, qui voit, qui entend encore Henri IV lui adres
sant ces paroles : Ralliez-vous à mon panache b/anc,
vous le trouverez dans le chemin de l'honncur. Nous
ne souffrirons donc pas l'interposition d'aucun ordre ,
d'aucun pouvoir entre le roi et la nation ; car c'est
une chose sainte et salutaire que l'autorité royale dans
toute sa pureté. Les hommes pervers et ambitieux qui
la dégrade , en l'exagérant à leur profit, en empoi
sonnent les canaux : mais ils ne sauroient en corrompre
la source , et nous distinguerons parfaitement aujour
d'hui l'auguste fonction du roi , son pouvoir , ses in
térêts qui s'unissent a ceux du peuple , des intérêts et
du pouvoir de ses délégués qui agissent en sens con
traire, et qu'il nous importe de contenir. Nobles des
villes et des campagnes, voudriez-vous être le troupeau
des pasteurs de la cour et de la capitale ? Tel est le
sort qui vous menace ; si vous vous séparez du peuple
qui vous honore, pour vous unir , non pas aux ordres,
mais aux partis dominateurs , vous déliez le faisceau
d'armes pour en faire briser les flèches une à une.
Malheur à ceux qui vous disent que l'influence du
- tiers-état opéreroit la subversion d'une hiérarchie néces
saire à la stabilité des lois , à la sûreté du peuple ,
comme à celle du monarque ! ou plutôt que le premier
signal de la raison qui nous guide , de la liberté qui
s'oſſre à nous , soit qu'on peut proférer ces paroles
absurdes sans danger ! mais qu'elles soient au moins
sans effet : que ce soit le chant de la sirène qui vous
annonce le gouffre des abus , autour duquel il faut
élever la double enceinte des lois et de la puissance
mationale. " , - - - -
Considérez que les noms illustres, les prééminences
et les distinctions qui leur appartiennent , sont une
partie de l'héritage et du droit public de toutes les
nations : considérez qu'il y auroit une pusillanimité
choquante , ou une mauvaise foi insigne , à craindre
( 7 )
que les représentans d'un grand peuple essaient de violer
les contrats solemnels de la société.
Ponrquoidonc redouteriez-vous, messieurs , l'égalité
d'influence du tiers-état ? N'est-ce pas un assez beau
privilége qu'entre vous et le clergé , n'étant qu'un
cinquantième du tout, vous soyez réputé la moitié ?
Chacun de vous voudroit-il se présenter à la nation
avec les prétentions et les principes de ceux qui s'ap
pellent hauts et puissans seigneurs , et qui feignent
d'ignorer qu'après Dieu, le plus puissant seigneur c'est
un peuple éclairé ?
Ah ! cinq cents mille nobles ne peuvent préférer
cette dangereuse et puérile vanité au véritable honneur,
celui de régir librement sa personne et sa fortnne, sous
l autorité de la loi à laquelle on a consenti. Car enfin,
messieurs, vous êtes , comme les plébeïens, à la merci
des hommes puissans, sous un gouvernement arbitraire,
et plutôt que d'être admis en nombre égal à l'examen
et au redressement des abus , vous consentiriez à les
laisser subsister ! il faudroit bien alors les redresser sans
vous , car nous en sommes oppressés.
Non seulement vos légitimes droits ne sont point
offensés par cette égalité ; mais même il est de votre
intérêt direct , et de celui de votre ordre, de tempérer
l'inſlucnce aristocratique de vos chefs , qui est toute à
leur profit, par l'inſluence populaire et désintéressée
des représentans de la grande famille , qui veilleront
aussi bien que vous à la garde du trésor commun ,
les lois et la liberté , car c'est leur, bien comme le
vôtre ; mais qui veilleront beaucoup mieux à l'extir
•pation des abus, car ils ont bien moins que vous l'es
pérance et les moyens d'y participer.
Voilà, messieurs, si vous me permettez de le dire,
à quoi se réduit cette grande question. S'agit - il de
vous opposer à l'égalité de I'impôt ? Il n'est plus tems :
la révolution est consommée. Tout le monde paiera
dans les mêmes proportions, ou le peuple ne paiera
rien. Cet intérêt particulier détruit, vous n'en avez
plus à défendre qui ne soient également chers à tous
les citoyens; car vos droits , vos honneurs , considérés
comme récompense de services rendus , font partie de
( 8 )
leurs espérances ; vous allez donc vous asservir , sans
vous en douter, à l'esprit et aux intérêts conventuels
des grandes corporations ; les administrateurs de cette
loterie vous promettent des ternes et des quines qui ne
sont que pour eux ; et vous allez risquer votre patri
moine pour gagner quelques lots. Ah ! Messieurs, je
le répète encore avec l'abbé de Mably : que deviendra
la noblesss , quand elle aura perda son crédit sur le
peuple , et qu'il en sera opprimé ?

D I S C O U R S

Prononcé par M. Malouet , chargé par la ville de


Riom , de porter les cahiers à l'assemblée du Tiers
état de la sénéchaussée d'Auvergne.

M Ess I E U Rs,

Appelé dans cette assemblée par la confiance dont


m'honnorent mes compatriotes, il m'est doux de re
prendre au milieu de vous les fonctions de citoyen, qui
me seront toujours plus sacrées qu'aucune autre. . *
Nous voici réunis pour concourir , par nos instruc
tions et par le choix de nos représentans, à la régénéra
tion de l'empire, au rétablissement de l'ordre et de la
prospérité publique. .. .. Affligé par des calamités
récentes, le peuple François souffre depuis long-tems
des vices et des erreurs d'un gouvernement arbitraire,
dans lequel la modération du prince ne suffit pas pour
prévenir ni pour empêcher l'influence tyrannique des
richesses , celle du crédit et de l'autorité ; tous les
- - fléaux
- ·( 9 )
Héaux qu'entraînent à leur suite la cupidité, l'ivresse
du pouvoir, l'orgueil de l'ignorance , ont accablé la
nation sous le poids des impôts et des abus de tout
genre ; le mal étoit au comble, le caractère national
s'effaçoit, les ressources étoient épuisées ; mais il nous
restoit un roi généreux, pénétré de l'étendue de ses
devoirs , éclairé sur les désordres dont il gémissoit.
Sa majesté a pris le sage parti de nous les dévoiler et
d'appeler la nation à l'exercice de ses droits.. ... .
C'est à nous maintenant, c'est à nos représentans à en
user avec ce courage religieux et cette prudence éclairée
qui peuvent seuls en assurer la stabilité.
Nous ne dissimulons pas, messieurs , que le peuple
a plus besoin d'être gouverné et d'être soumis à une
autorité protectrice , qu'il n'a d'aptitude à la diriger.
Sans doute il ne peut exister de bonheur public, que
lorsque la justice, les lumières et les succès du gou
vernement maintiennent sa supériorité ; lorsqu il la
erd , lorsque des fautes ou des malheurs lui rendent
ndispensables les conseils et l'appui des peuples, l'in
térêt général, le salut de tous , nous commandent de
nous rallier avec ordre et respect, autour des grandes
vérités sur lesquelles l'éternelle justice fonda la base
de toute société.
La circonstance importante où nous sommes, a déve
loppé toutes les idées publiques ; une grande masse
de § s'est élevée autour de nous , tous les voiles
sont déchirés , on remonte à l'origine de toutes les
institutions ; et quand on y est parvenu , quand c'est
le peuple en corps , ou la partie éclairée de ce peuple,
, qui découvre et déſinit les pouvoirs et les distinctions
qu'il a créés ou tolérés, l'agitation que produisent dans
les esprits ces hautes pensées, me permet pas toujours
de s'arrêter à ce qui est juste et utile. Au milieu de
cette foule de maux , nés de l'état social, il est peu
d'innovations qui ne paroissent être le vœu de la raison ;
mais si nous sommes attentifs à sa voix, nous la trou
verons toujours sévère, circonspecte et non inconsidérée
dans ses mouvemens. -

C'est, messieurs , cette raison supérieure à tous les


talens , à toutes les séductions des plus • passions ,
( 1b )
qui doit diriger le zèle ardent dont nous sommes animés
pour le salut de la patrie ; --- et le premier comman
dement que nous en recevons , est l'unité de vues, de
sentimens et d'intérêts , dans toutes les classes de la
nation ; --- c'est à vous, qui en représentez la partie la
plus nombreuse et la plus utile , à manifester ces pre
miers sentimens de concorde , de justice et de modé
ration , qui sont les signes les plus imposans de la
force et de l'élévation , les précurseurs des bonnes lois
et de la liberté légale, à laquelle nous devons tendre.
Unissons-nous donc dans cette fin salutaire, unissons
nous avec cordialité aux chefs immédiats de nos tribus,
au clergé et à la noblesse , dont nous devons croire
les dispositions pour le bien général , aussi sincères ,
aussi pures que les nôtres. Vous venez d'en avoir la
preuve par le discours de M. le Sénéchal ; --- les sen
timens patriotiques qu'il a si noblement exprimés, vous
annoncent combien le respect pour les droits du peuple
ajoute à l'éclat d'une haute naissance ; le premier offi
cier de son siége vient de vous le rappeler, avec autant
de sensibilité que d'énergie , vos devoirs et vos droits :
tout vous invite, messieurs, à la réunion de nos vœux,
de nos efforts et de notre zèle ; tout nous annonce ,
aiprès de longs malheurs, des jours purs et prospères.
Si la puissance royale est elle-même intéressée à
l'extirpation des abus dont nous avons à nous plaindre ;
si l'inégale répartition des impôts , les priviléges ex
clusifs , les usurpations du crédit et de la faveur, les
écarts de l'autorité , les mesures oppressives du fisc et
de ses agens , nuisent de toutes parts à l'aisance , à la
liberté, à l'industrie nationale , quel ordre dans le
royaume , quel françois oseroit, d'une main sacrilège ,
s'opposer à la réparation de tant de maux ? Nous ne
devons point le craindre , les fils aînés de la patrie
seront sans doute ses plus zélés serviteurs : ou si quel
ques préjugés, quelques erreurs de principes résistent
à vos justes réclamations, gardons-nous de penser
qu'aucune portion de la nation puisse s'en déclarer
l'ennemie, et s'élever au-dessus de la volonté générale,
qui est la véritable et souveraine puissance , devant
laquelle tous les obstacles disparoissent. -
( 11 )
, Ce seroit donc une précaution dangereuse, messieurs,
que celle qui vous mettroit en défiance des autres
ordres. Hé ! que deviendroit cette noble et antique
monarchie , si les diverses corporations, si chaque ville ,
chaque district , chaque province , ne se présentoient
dans l'assemblée nationale qu'avec des projets et des
intérêts divergens ?
Alors, dans ce coupable délire , ce ne seroit plus
la liberté, l'honneur et la puissance qui pourroient être
l'apanage du nom et du peuple François. .. .. L'igno
minie et des fers ! voilà le funeste présent que nous
feroit la discorde , et que nous transmetrions à nos
enfans. ... .. Mais une pensée consolante écarte ces
sinistres images. .... Considérez, en effet, messieurs,
que cette grande nation , à laquelle nous appartenons ,
ne sauroit avoir qu'une volonté puissante pour le bien.
Quels obstacles pourrions-nous rencontrer ? Seroit-ce
dans nos mœurs douces et franches, dans un sol fécoiid,
/ sous un climat tempéré ? La nature et l'art nous ont
comblé de biens , et la nation n'a essentiellement à se
plaindre que de ses préposés : car ce n'est point vous,
paisibles agriculteurs , qu'il s'agit de réformer : hommes
précieux, qui supportez la plus grande part des tra
vaux et des peines de l'humanité , et qui avez tant de
droits à la protection sociale. .. .. Certes , nous
n'avons point à craindre que vous défendiez les abus
dont vous avez tant à souffrir , et que vous éleviez
même au milieu de nous des prétentions exagérées :
justice. .. .. justice et bienveillance , voilà tout ce
qu'ils demandent ! Les artisans , les bourgeois , les
négocians , les hommes voués aux arts libéraux , la
pauvre noblesse , la classe vénérable de nos pasteurs ,
tous ceux qui ne sont point à la solde du trésor public,
n'en favoriseront pas la déprédation. Leur intérêt, leur
sûreté, ne peuvent se trouver que dans la liberté et la
félicité publique. Ainsi , le corps national , sain ,
vigoureux , mais souffrant , victime sans être complice
des désordres actuels, a un intérêt démontré à les ré
parer, et une volonté aussi ferme qu'éclairée d'obtenir
cette réparation. - - •

Quels seront donc nos adversaires dans cette grande


.- . B 2
( 12 )
entreprise ? Nous en trouverons , messieurs , dans tous
les ordres, car il ne faut imputer exclusivement à
aucun les arreurs de l'amour-propre , les prétentions
de la cupidité, qu il s'agit de soumettre à la puissance
réprimante des lois, dans quelque condition qu'elles se
rencontrent. .. .. Nous trouverons des contradicteurs
dans les hommes intéressés aux abus de la finance , de
la robe , de l'épée , de l'administration et de l'église ;
mais ne nous permettons pas de considérer comme en
nemis nés de la société, aucune classe de citoyens. Il
est peu, il n'est point de principes consacrés par le
tems et par les mœurs des peuples policés , qu'il ne
soit indispensable de respecter. Ainsi , le caractère
auguste de la royauté , les distinctions propres aux
ministres de la religion , aux anciennes familles , les
prééminences de rang et de fonctions , les droits de
propriétés ne sont point au nombre de ces institutions
mobiles qui subissent le joug des circonstances et des
opinions nouvelles ; ce sont les premiers élémens de la
législation et du repos des nations. Mais dans cette
hiérarchie nécessaire , si les princes s'élèvent au-dessus
des lois , si les ministres se mettent à la place des
princes et s'attribuent les droits de la toute-puissance ;
si les magistratures civiles et militaires exagèrent leurs
prérogatives et atténuent leurs obligations ; si les de
niers du fisc deviennent la conquête de ses agens ; si
la corruption attente même à la sainteté du sacerdoce ;
si une ambitieuse aristocratie altère la pureté des prin
cipes qui ſont le caractère distinctif de la noblesse
française ; si , enſin , dans les classes subalternes ,
quelques esprits turbulens s'élancent au-delà des limites
de la raison et de la justice , jugez , messieurs, en re
montant dans tous les rangs que nous venons de par
courir ; voyez l'étendue de nos ressources et de nos
esperances. - » -

Premièrement , une nation éclairée et plus forte que


les maux qui l'aſſligent, un monarque vertueux , digne
de tout notre amour , on a tant loué ses prédécesseurs ,
bénissons celui-ci qui ne craint pas d'abaisser volontai
rement son sceptre devant la majesté des lois , qui les
propose, qui les invoque comme le plus solide appui
( 13 )
de sa puissance. La sagesse de ses conseils nous garan
tit aujourd'hui la vertu de ceux qui les composent : au
milieu d'eux paroît le ministre citoyen, que la calom
nie a poursuivi, malgré l'estime et la faveur publique
dont il est environné, qui, dans les tems où l'autorité
ne reconnoissoit point de frein, lui opposa celui de la
morale , et recommandoit les droits des peuples à la
conscience des rois : plus heureux maintenant de pou
voir les mettre sous la sauve-garde des lois, vous l'avez
entendu manifester les intentions du roi , comme l'ora
teur de la nation en auroit exprimé les vœux. Enfin ,
la renommée vous désigne dans les deux premiers or
dres, les noms les plus illustres , les personnages les
plus distingués dans l'église et dans l'état, rendant hom
mage aux droits, à la dignité, à l'importance du peu
ple , et proscrivant avec vous tout ce qui peut l'avilir.
Non , non, Messieurs , ils ne reviendront plus ces
tems d'ignorance et de stupidité, où la multitude avoit
tout à craindre de l'audace d'un seul, où de vains titres
suffisoient pour commander le respect et l'obéissance ,
où les hommes, dépourvus de l'appareil de la force , ne
pouvoient prétendre qu'à la pitié. .. L'empire de la rai
son est enfin arrivé, et il nous annonce celui de la justice
et de la paix publique : préparons-nous donc sans in
quiétude et sans aigreur à la lutte des petites passions
contre les intérêts d'un grand peuple, qui peut et qui
veut être gouverné sensément. .. .. Attendons-nous à
voir, de la part des derniers employés de l'administra
tion, comme chez les plus grands seigneurs , des me
sures et des dispositions industrieuses pèur défendre et
légitimer des abus. N'exigeons pas que les gardes des
fermes sollicitent avec nous la suppression des gabelles.
Mais qu'importent les vaines clameurs de l'intérêt per
sonnel, lorsque 25 millions de voix applaudiront avec
transport à nos résolutions patriotiques, lorsque nos re
présentans auront recherché avec la plus sévère atten
tion ce qui nuit au bien général, et adopté ce qui peut
l'opérer ; craindrions-Rous même une nation ennemie
qui voudroit s'y opposer ? Ah ! c'est alors qu'une puis
sance irrésistible, émanée du trône et du sein de la na
tion , fera fléchir les plus superbes têtes, et que nous
serons tous égaux devant la loi. -
( 14 )
- C'est pour aider nos représentans dans cet important
travail, que nous avons l'honneur de soumettre à votre
examen le cahier d'instructions, voeux et demandes dont
nous allons vous faire lecture.
Dans la rédaction de ces cahiers , nous avons suivi ,
messieurs, les principes qui viennent de vous être expo
sés. L'assemblée municipale de Riom s'est pénétrée de
l'esprit public, et des vues générales qui doivent déter
miner le régime politique et civil de la monarchie. Nous
nous sommes considérés comme membres de la grande
famille , et non comme circonscrits dans une cité. Nous
n'avons vu d'avantages pour nous, que dans de bonnes
lois communes à tous, ct de griefs que dans leur infrac
tion. Ainsi, chacun de vous, messieurs, vos villes et
vos villages se trouvent associés au vœu national que
nous avons formé ; mais en éloignant tous les intérêts lo
Caux , en renonçant absolument à ceux qui préjudicient
à l'intérêt général, nous ne repoussons pas ceux qui ne
les contrarient pas ; et comme vos représentans, qui
sont premièrement les hommes de la nation , vous doi
vent aussi , et à vos communautés, leur zèle et leurs ser
vices , en tout ce qui pourra se concilier avec le bien
public , nous avons l'honneur de vous proposer de clas
ser toutes vos recommandations particulières, sous les
divers titres qui leur sont piopres, tels qu'impôts, che
nins, secours, établissemens publics, etc., et d'en
former un cahier de supplément, qui n'occupera que le
second rang dans l'attention et les devoirs de vos repré
sentaIlS . -

Nota. L'assemblée a ordonné l'impression du discours


et des cahiers.

P R O J E T D' I N S T R U C T I O N S
\

Pour les députés du tiers-état aux états généraux.


L' esr rs r et la confiance de vos concitoyens vous
appellent à une des plus augustes fonctions que les hom
mes puisscnt remplir : députés de notre sénéchaussée ,
( 15 )
vous allez vous asseoir parmi les représentans d'une
grande nation , discuter ses intérêts et ses droits. Mais
en vous invitant vous-mêmes à reconnoître toute la di
gnité de votre mission , et à ne la mettre au-dessous
d'aucune autre, notre première recommandation sera de
vous rappeler que vous la tenez de nous ; que ce sont
nos pouvoirs que vous allez exercer, et qu'il n'en est
aucun qui n'émane du peuple ; qu'ainsi rien ne doit être
proposé ni consenti par ses délégués, contre le vœu et
au préjudice de l'intérêt de tous ; que cette grande vé
rité, qui sera la seule limite de vos pouvoirs, soit aussi
la règle invariable de votre conduite, qu'elle dirige tou
tes vos délibérations , et vous ramène au milieu de nous ;
dignes de nos éloges et de notre reconnoissance. :

Bases de la constitution.

Accablés depuis long - tems par le pouvoir absolu,


mais éclairés maintenant sur tout ce qui peut nous ser
vir et nous nuire, nous avons à réparer les fautes et les
malheurs de plusieurs siècles. La § s'offre à nous,
un roi citoyen nous propose de l'unir à ses droits et
aux nôtres. -

Nous vous députons pour contracter cette sainte al


liance : posez les bases, élevez les colonnes du plus beau
monument qui puisse sortir de la main des hommes , car
telle est une constitution nationale qui détermine les
droits de tous, et les lois qui les maintiennent. .
Voici nos vœux et nos demandes ; elles ne contrarie
ront point les intentions généreuses du monarque, qui
a reconnu le premier le § et les abus de l'autorité
arbitraire. -

Que l assemblée des états-généraux soit reconnue so


lemnellement la seule puissance compétente, pour con
sentir et sanctionner les lois et les impôts. . - -

| Qu'il soit inviolablement arrêté que les états s'assem


bleront tous les trois ans à un jour déterminé, et qu au
cun impôt ne puisse, sous aucun prétexte et sous aucune
forme, être prorogé et perçu au-delà de ce terme , à
moins qu'il ne soit, à l expiration des trois années, con
firmé par les états-généraux. · · · · · · · · · · .
( 16 )
Que les impôts consentis par les états, sous quelque
forme et dénomination qu'ils puissent l ètre , soient sup
portés également par tous les ordres , corporations et
individus, proportionnellement à leur fortune, et sans
aucune exception , ni restriction, en ſaveur de qui que
ce soit.
Que les états-généraux divisés par ordre, ou opinans
- par têtes, reconnoissent dans les représentans des com
munes , une influence et un pouvoir égal à celui des
deux autres ordres.
Que tous les sujets de l'empire, depuis le premier
rang jusqu'au dernier, dans les villes comme dans les
campagnes , soient également soumis aux lois, et pro
tégés par elles; qu'aucun domicilié qui ne sera pas dans
les liens de la discipline militaire , ne puisse être arrèté
sans décret judiciaire, excepté dans les cas de flagrant
délit , et de désignation d'un coupable par la clameur
publique ; qu'il soit permis à tout homme qui signera
un manuscrit , de le faire imprimer, soit pour sa pro
pre défense, soit pour l'instruction publique , sans au
tre censeur que sa conscience et les lois.--- Ces points
fondantentaux étant les conditions absolues de la liberté
mationale, aucun autre point de législation ou d'admi
nistration, ne paroît devoir être traité avant que ceux
là ne soient arrêtés , et la nation seroit heureuse , la
stabilité de l'empire seroit assurée, quand même il n'y
auroit dans la prochaine séance des états-généraux, que
ces points d'arrêtés ; car tous ceux que nous allons vous
présenter, comme étant notre vœu formel , en dérivent
naturellement.
Législation.

Le pouvoir législatif ne doit point être exercé par le


roi, sans le concours de la nation assemblée par ses
représentans, et aucune ordonnance émanée de l'auto
rité royale, en l'absence des états-généraux , ne peut
être considérée que comme un acte d'administration pro
visoire, auquelles tribunaux ne sauroient donner force
de loi, sans le consentement de la nation , qui a le
droit de rejetter et annuller lesdites ordonnances.
Aucun parlement ou cour souveraine ne peut exercer,
même
| ( 17 )
même provisoirement, le pouvoir de consentiriet pro
mulguer les lois que la nation n'auroit pas consenties,
ni rejeter ou modifier, ou différer la publication et
l'exécution des lois que les états-généraux auroient
sanctionnées. - - - -

Le roi , premier organe du pouvoir législatif, doit


avoir la plénitude du pouvoir exécutif, dans toutes
les parties de l'administration de l'empire, et ne pourra
jamais être responsable de l'abus qui en seroit fait par
ses représentans individuels ou collectifs. ·
Mais lesdits représentans , ministres, commandans,
gouverneurs et autres délégués, et toutes les cours su
périeures et inférieures seront responsables à la nation,
de-tous les pouvoirs militaires, judiciaires et d'admi
Iiistration qui leur seront confiés, et pourront être cités
devant les représentans, pour les abus dont ils se seront
rendus coupables. - | , - * -

| Les états-généraux pourront demander au roi l'érec


tion des nouvelles cours ou des nouvêaux tribunaux %
qu'ils jugeront nécessaires, pour juger de tous les abus
d'autorité, et le roi ne pourra s'y refuser. . ' ,
Que la composition, le ressort et la compétence de
tous les tribunaux existans, leur utilité ou leur inutili
té, soient soumis à l'examen et à la décision des états
généraux, les provinces qui demanderont la suppres
sion ou l'érection dans leur ressort, de nouveaux tribu
naux, seront enteudues, et il sera fait droit à leur
demande ; mais qu'aucnn tribunal supérieur ou inférieur
ne puisse être supprimé dans une province, et converti
en un autre tribunal, sans le vœu des états-provinciaux,
exposés aux états-génêraux. # · · ·
Que les intendans soit supprimés , leur administration
pouvant être utilement exercée par les états-provinciaux
et leurs commissaires, mais qu'on rétablisse les ancien
nes fonctions de Missi Dominici, qui seroient annuel
lement envoyés dans les provinces, pour examiner les
abus, y pourvoir provisoirement, et en rendre compte
au roi et aux états-généraux. . ,
| | Que le roi ne puisse départir à ses officiers aucun
pouvoir qui ne soit prévu et défini par la loi. s ..
· Que la policè des villes soit exercée par les magistrats
r
( 18 )
municipaux, librement élus par les communes, approu
vés par le roi, et distingués de ceux qui seront
chargés de l'administration des affaires et deniers de la
COmIIlllIl€.
Que la mendicité soit abolie, et qu'il soit établi une
Ioi de secours, pour prévenir la misère, en assurant du
travail à tous les pauvres valides, des moyens de soula
gement aux infirmes , et des emprunts faciles aux
laboureurs et artisans qui manquent d'ustensiles pour
travailler. Qu'il soit représenté aux états-généraux, que
les pauvres appartiennent à la société, comme les
riches ; qu'il est tems qu'ils recueillent quelques avan
tages de la force commune ; l'instruction publique
étant plus avancée qu'elle ne l'a jamais été, la législa
tion ne peut plus livrer uniquement à la charité des
riches, la subsistance des pauvres ; que l'amélioration
des mœurs, le bonheur et la sûreté de tous, dépendent
essentiellement d'établissemens propres à prévenir le
désordre et les crimes que produisent la misère et
l'oisiveté.
Qu'il soit arrêté de s'occuper sans délai de la confec
tion d'un code national, civil et criminel, qui puisse
être connu et étudié par toutes les classes des citoyens ;
qu'il soit nommé à cette effet une commission toujours
subsistante, jusqu'à la perfection de ce travail, et assis
tée d'un certain nombre de jurisconsultes éclairés ; qu'il
soit prescrit dans la rédaction des lois criminelles, de
classer les délits et les peines, de telle manière qu'il
n'y ait rien d'arbitraire et d'équivoque dans la définition
du crime commis par l'accusé, et dans l'application de
la peine encourue, et qu'il soit inviolablement ordonné
aux juges de se taire, et d'attendre les ordres du pou
voir législatif, lorsque l'accusation et les informations
I1e mettent † en évidence un tel délit, auquel une telle

peine s'applique.
Qu'en ce qui regarde le code civil, les lois romaines,
les coutumes des provinces, qui ont acquis force de loi, "
et les lois du royaume enregistrées, seront fondues en
un seul code, sous chacun des titres qui comprennent
tous les droits et toutes les actions civiles.
Que les agens supérieurs es inférieurs de l'adminis
( 19 )
tration , ne puissent jamais prononcer en jugement ; et
que le conseil du prince ne connoisse jamais par évoca
tion d'aucune affaire contentieuse , ni d'aucune inculpa
tion, contre un citoyen non soumis à la discipline mili
taire.
Que toutes les lois et ordonnances d'administration
des divers départemens, soient revisées et réformées en
ce qui pourroit être contraire à la liberté civile, à la
trop grande influence des agens de l'administration ,
sur les droits et actions des citoyens, et à la bonne
régie et économie des fonds assignés auxdits départe
II1GI)S.

Que l'éducation publique soit réformée , ou plutôt


établie , de manière à former : des citoyens utiles dans
toutes les professions ; qu'on rédige et qu'on mette au
nombre des livres classiques, ceux qui contiendront les
principes élémentaires de la morale et de la constitu
tion ſondamentale du royaume ; qu'ils soient lus dans
toutes les écoles et paroisses de campagnes ; qu'il soit
établi dans toutes les villes, des maîtres de dessein et
de géométrie-pratique , et de méchanique , pour les
enfans du peuple. Qu'il soit établi des distinctions et
des récompenses publiques, pour les laboureurs, artistes
et artisans qui excelleront dans leur art, qui perfection
neront les machines et ustensiles de l'agriculture ou du
COII1II16 rC6.

Que toute loi avilissante pour le tiers-état soit abolie ;


que la dignité et le traitement des curés soient pris en
considération ; qu'il soit pourvu à leur honnête entre
tieu ; que ceux distingués par leurs vertus et leurs ser
vices , soient récompensés et appelés aux dignités ecclé
siastiques.
Que les prérogatives et possessions légitimes des deux
premiers ordres soient inviolables; que les usurpations
et prétentions manifestement préjudiciables à l'intérêt
genéral , soient constatées et réprimées. -

•.. -*-.-.. «
( 2o )

A D M I N I s T R A T I O N.
Finances.

, Que les impôts soient réduits au moindre nombre


possible; qu'ils soient simples , uniformes, et que la
recette de chaque province soit versée directement au
trésor-royal , par les préposés des états-provinciaux.
| Que la comptabilité illusoire des finances, pardevant
les chambres des comptes, soit anéantie et remplacée
par une comptabilité réelle, pardevant les commissaires
de chaque état-provincial, pour les recettes et dépenses
de la province, et pardevant les commissaires des états
généraux, pour la recette et dépense du trésor-royal ;--
que les comptes soient rendus par les administrateurs et
ordonnateurs, plus que par les trésoriers, et que les
pièces en forme ne suffisent plus pour valider les dépenses,
les marchés onéreux, les frais inutiles, les bénéfices illi
· cites. . - · - -

, Qu'on poursuivre la suppression de toutes les places


et emplois qui ne sont pas évidemment nécessaires, et la
réduction de tous les traitemens qui excèdent vingt
mille francs; -- que plusieurs places réunies sur une
même tête , ne puisse procurer que le plus fort traite
ment d'une de ces places ; que toutes les pensions réunies
à des appointemens qui excèdent vingt mille francs,
| soient déduites de ces appointemens ; qu'il soit établi
dans chaque département, une fixation de sommes accor
dées en dons, pensions et gratifications, et un état
énonciatif des titres et services qui en seront suscepti
bles. - - " . .

· Que l'aliénation des domaines de la couronne, dont


le produit net seroit vérifié au-dessous de quatre pour
cent, soit consentie et autorisée, pour employer le
† au remboursement des dettes les plus onéreuses de
état. -

Que les immeubles des hôpitaux qui sont dans le


même cas , aient la même destination , en leur assignant
et leur garantissant par les états-généraux, un revenu
supérieur au produit actuel desdits immeubles.
/
( 21 ) -

· Qu'il soit établi une banque nationale, sous la garan


tie des états-généraux, et sous l'administration de leurs
commissaires ; que chaque province soit admise à four
nir une quotité de fonds ou de crédit à ladite banque,
qui sera chargée de tous les versemens des caisses provin
ciales au trésor-royal, et qui pourra mettre en circula
tion une somme de billets égale à celle dont elle sera
garantie et créditée pour chaque province ; que l'organi
sation de ladite banque soit soumise à l'examen des
chambres du commerce du royaume, consultées et
entendues par les états-généraux. - -

Qu'il soit établi une commission des états, assistée


des ingénieurs les plus éclairés, pour déterminer dans tou
tes les provinces lès points de communication, où il
seroi t le plus avantageux d'ouvrir des canaux ou de
nouveaux chemins. ' . , •

Que tous les droits du fisc, qui nuisent à l'indus


trie et au commerce, soient abolis, et particulièrement
les droits du contrôle, sur les baux à ferme des biens
ruraux, qui en font limiter la durée, et empêchent ainsi
Pamélioration de la culture. -

Qu'il soit établi une commission des états, pour


rechercher les causes qui arrêtent l'extention du com
merce et de la navigation nationale.
Que toutes les charges de finances soient suppri
mées, remboursées et réduites à de simples commis
810IlS • " -

Que toutes les grandes compagnies de finances,


résidentes à Paris, soient subdivisées par provinces,
sous l'autorité et administration de chaque état provin
cial. . . -

Que toutes les douanes, toutes les barrières soient


portées aux frontières, tous les péages abolis, tous
les privilèges de roulage, de messagerie, soient sup
primes. -

Guerre et Marine.

Que les dépenses de la guerre et de la marine soient


appréciées et vérifiées dans toutes les parties, et qu'il
soit assigné des fonds fixés pour chaque objet des deux
( 22 )
départemens, d'après les propositions du gouvernement,
•.

telle que la somme de:... pour tant de régimens d'in


fanterie ; celle de ..... pour tant de cavalerie ; celle de...
pour l'artillerie et le géniapp et de même pour la marine
e, rov
divisée en construction et isionnement, armement
et ; app
et frai#se d'administration que les comptes de chaque
5
r - 5 Cl
département soient rendus p q
dans la même forme ), en
p - • •

montrant l'emploi des sommes assignées pour chaque


objet.

Dettes de l'état.

Que la majesté du trône et la dignité de la famille


royale soient honorablement soutenues ; que les dettes
de la couronne soient garanties et acqnittées , et que
des commissaires nommés par les états-généraux, veil
ient dans l'intervalle d'une séance à l'autre , au main
tien de la constitution, avec pouvoir de convoquer les
députés, si avant l'expiration du terme de trois années,
il survient quelque infraction non réprimée des lois cons
titutives.
Tels sont les objets principaux de nos réclamations ,
comme citoyens et sujets de la monarchie. Nous ne
pensons pas qu'il puisse y avoir parmi nous un gouver
nement libre, juste et prospère, si les principes que
nous venons d'exposer ne deviennent ceux de la législa
tion ; mais en vous recommandant d'en provoquer
l'adoption, nous laissons à votre prudence d'en faire la
proposition, ou de vous unir à celles qui seroient faites
dans le même esprit.
Nous ne vous présentons aucune des vues générales
sur le commerce , la navigation et l'agriculture, que
nous savons devoir être développées par des hommes
prod
éclairés 5 et uites par plusieurs députés ; nous ne
doutons pas que vous m'appuyez avec zèle , tous les
† qui tendront à l'accroissement et à la liberté de
'industrie nationale.
Nous vous recommandons particulièrement de faire
connoître à sa majesté, les sentimens de respect, d'atta
ehement et de fidélité, dont nous sommes pénétrés pour
( 23 )
sa personne sacrée, et la reconnoissance profonde que
nous conserverons de ses généreuses dispositions pour le
bonheur de ses sujets. Nous vous chargeons § VOllS
unir à tous les françois, qui desirent que le souvenir en
soit transmis à la postérité par un momument élevé à la
gloire de Louis XVI le bienfaisant, roi citoyen, restau
rateur et modérateur de l'empire.
Quant à ce qui regarde les intérêts particuliers de
notre province et de notre sénéchaussée , nous deman
dons, etc....

OPINIONS de M. Ma/ouet , aux états


généraux , dans les séances des commu
nes , des 7 , 15 mai, et 15 juin 1789.
7 Mai.

M E s s 1 E U R s ,

LEs questions qui se sont élevées hier sur la véri


fication des pouvoirs, n'ayant été suivies d'aucune solu
tion, et l'assemblée s'étant ajournée à ce matin sur ma
dernière proposition, je demande la permission de la
renouveller, en résumant tous les motifs de mon opinion,
et les avis contradictoires qui ont été développés.
Nous avons tous assisté, comme députés de la nation,
à l'ouverture solemnelle des états-généraux, et le mê
me titre constaté seulement par nos bailliages respectifs,
nous réunit aujourd'huit. Une invitation indirecte du
souverain, où la volonté présumée des deux premiers
ordres, distribua liier, en trois chambres différentes ,
1'universalité des membres qui composent l'assemblée
nationale , et les représentans des communes , se trou
vèrent , comme aujourd'hui, séans dans cette salle.
Avant de connoître, messieurs, les opinions diverses
qui doivent s'élever et prévaloir parmi nous, je ne
m'attendois pas que celle d'établir une police provisoire,
et un moyen préalable de délibération, pût être combat
( 24 )
tue ; et je ne conçois pas encore qu'une forme quelcon
que d'opiner, un parti à prendre, quel qu'il soit ; dans
une grande assemblée, puisse être arrêté sans délibéra
tion. Permettez-moi donc de vous représenter que nous
devons à la dignité de la nation , au nom de laquelle nôus
allons parler et agir, de nous soumettre par un premier
mouvement d'ordre public , à la forme la plus simple
et la plus sûre, pour faire connoître à chacun les inten
tions de tous.
La présidence du doyen, l'assistance des anciens , et
le silence de l'assemblée , lorsque les anciens ou l'un
de messieurs, avec leur permission, prennent la parole,
sont des préliminaires indispensables qui auroient produit
dès hier, une discussion régulière de la proposition que
j'ai eu l'honneur de vous faire. Elle se réduisoit à
envoyer des députés aux deux premiers ordres, pour
leur annoncer que les représentans des communes réunis
en la salle des états, desiroient instamment que mes
sieurs les députés du clergé et de la noblesse vinssent
prendre séance en l'assemblée nationale, pour procéder
à la vérification des pouvoirs respectifs, et accélérer
l'instant où nous pourrions, par une députation des états
généraux, présenter au roi les remercimens, les vœux
et les hommages de la nation.
La première partie de cet avis, la démarche à faire
auprès des deux premiers ordres, a été vivement combat
tue par un de messieurs qui a voulu vous convaincre de
la nécessité d'attendre , et de ne procéder à aucune déli
bération, de ne vous considérer enfin que comme des
personnes privées, réunies dans la salle des états , jus
qu'à ce que l'universalité des membres , vint y pren
dre place. 1

J'ai eu l'honneur de vous représenter, messieurs ,


que vous aviez déjà assisté comme personnes publique ,
à l'ouverture solemnelle des états; et si l'illégalité pos
sible de vos pouvoirs vous mettoit dans l'impuissance
d'agir comme les représentans autorisés de la nation,
leur légalité présumée par les titres dont vous êtes por
teurs, vous constitue en assemblée, provisoirement régu
lière, aussi-tôt que vous vous trouverez séans dans la
salle des états ; et j'ose croire que vous êtes non-seule
- n1ent
( 25 ) - -

ment autorisés, mais obligés de procéder le plus diligem -

ment, et avec le plus d'ordre possible, à tous les aotes


qui peuvent vous investir de la plénitude de votre
Caractère. - - - / ' •: • 1 ,

Je sais aussi, et je l'ai expressément déclaré, que la


vérification des pouvoirs est un acte de jurisdiction sou
veraine qui appartient aux états-généraux s'ils veulent
s'en saisir ; mais étoit-ce donc méconnoître cette vérité
que d'en renouveller la déclaration par nos députés aux
premiers ordres, et si messieurs du clergé et de la
noblesse n'en sont pas également convaincus, n'étoit-ce
pas de notre part une démarche de paix , d'union , de
déférence que de la leur rappeller ? En quoi cette démar
che compromet-elle vos vœux d'opinion par tête ? Et
qu'espérez-vous de l'état de stagnation et d'inertie, où
l'on veut nous réduire ! Si des préjugés, des intérêts
mal-entendus, des inquiétudes mal fondées éloignent
les deux premiers ordres d'une vérification commune,
ne devons-nous pas espérer de faire cesser cet éloigne
ment par des explications amiables ? ' .

On vous a dit..... « Les représentans des communes


» se sont rendus dans le lieu indiqué pour la tenue des
» états-généraux ; donc ils doivent attendre que tous
» les membres qui les composent viennent s'y rendre
» aussi, et ils n'ont rien à faire que d'attendre ». ... .
Mais le clergé et la noblesse étoient aussi assemblés.
Ils l'étoient dans les lieux.indiqués pour leur séance
articulière, c'étoit donc à l'une des chambres à inviter
† autres à cette réunion ; et pourquoi craindrions-nous
de faire cette première démarche ? Les représentans du
clergé et de la noblesse ne sont-ils pas les premiersien
rang dans l'ordre de nos députations, comme dans la
hiérarchie nationale que nous avons tous l'obligations
de maintenir ? - \ !

Peut-être, messieurs, que la proposition sur laquelle


j'insistai tant hier, auroit empêché le parti pris parl'ordre
de la noblesse , de procéder séparément à la vérification
de ses pouvoirs, et celui mis en délibération par le
clergé, d'une vérification définitive dans son ordre. . a
Quoi qu'il en soit, messieurs, permettez-moi de vous
supplier d'adopter aujourd'hui la º# Pºr•
( 26 )
Nous nè devons laisser aux ennemis de la paix publi
que, aux coupables ennemis de la nation , aucun espoir
de nous diviser et de nous détourner des saintes fonctions
qui nous sont assignées.
| Nous parviendrons, j'ose vous en répondre, à une
vérification commune des pouvoirs. Car elle ne se peut
faire que par une commission des états-généraux, à
laquelle la vérification provisoire des commissaires de
chaque ordre seroit référée.
Mais daignez agréer le plan que j'ai pris la liberté de
vous indiquer, et que je vais résumer dans le projet
d'arrêté que j'ai l'honneur de soumettre à votre examen.
« Les représentans des communes s'étant réunis au
jour et heure, et dans le lieu indiqué pour la tenue
des états-généraux, ont attendu jusqu'à deux heures
après midi, l'arrivée de messieurs du clergé et de la
noblesse, pour rendre séance en l'assemblée nationale,
et procéder à la vérification des pouvoirs respectifs.
Deux heures ayant sonnées, les représentans des commu
nes se sont ajournés à aujourd'hui mercredi, neuf heures
du matin, et l'assemblée s'étant formée sous la prési
dence du doyen des députés, il a été rendn compte par
un de messieurs, que MM. les représentans du clergé
et de la noblesse , s'étoient assemblés hier dans leurs
chambres particulières, et occupé séparément de la véri
fication de leurs pouvoirs. Sur quoi les représentans des
communes ont unanimement arrêté qu'il seroit envoyé
douze députés à MM. du clergé et de la noblesse, à
l'effet de leur témoigner le regret de la chambre, de
voir différer la première séance active de l'assemblée
nationale, et le desir empressé des représentans des
communes, de se voir réunis à l'universalité des membres
qui composent les états-généraux. Les députés représen
teront particuliérement à MM. du clergé et de la noblesse,
que le premier acte constitutif de l'assemblée générale
étant la vérification des pouvoirs respectifs, les états
généraux doivent être investis de cette jurisdiction qui
ur appartient supérieurement et par préférence à cha
, que ordre ; que l'essemblée des communes ne considère
donc que comme un pré-avis, ce qui pourroit être fait
à cet égard par les ordres séparés : que c'est dans cet
( 27 )
esprit , et pour accélérer la vérification définitive des
états-généraux, qu'elle prépareroit ce travail par ses
commissaires, après avoir reçu toutefois la réponse de
messieurs du clergé et de la noblesse, qu'elle §
d'autant plus la réunion des deux premiers ordres,
qu'elle est impatiente de concourir par une députation
des états-généraux, aux hommages et aux remercîmens
respectueux que les représenians de la nation doivent
s'empresser de porter au pied du trône ».
Avant de réitérer mes instances, Messieurs, pour
que vous veuilliez bien prendre en considération ce pro
jet d'arrêté , qu'il me soit permis de vous présenter une
dernière réflexion. -

Le vœu annoncé généralement d'opiner par tête et


non par ordre, doit sans doute être exprimé et soutenu
ar toutes les raisons que l'intérêt national peut suggérer.
§ en professant le principe, en consacrant le droit
des états-généraux d'opiner par tête quand ils le jugent
convenable, n'est-il pas de notre devoir d'en éviter la
discussion jasqu'à ce que l'exercice de ce droit devienne
indispensable ? - -

· Or, je suppose que par des communications amiables


entre les ordres, on pût convenir et arrêter les opéra
tions les plus salutaires, nous seroit-il permis d'éloigner
par des contestations anticipées, le bonheur que nous
ne saurions trop nous hâter de procurer à la France lors
que le roi lui-même se montre impartient d'y concourir ?
Si au contraire, fidèles à nos devoirs et constamment
animés du généreux amour de la patrie , nous †
tons d'autres plans que ceux qui peuvent assurer la
liberté et la félicité publique, et si ces plans éprouvent
quelque contradiction dans les autres ordres, avec quelle
force, quel avantage ne ferons-nous pas valoir alors le
vœu général de l'opinion par tête ? Plus nous en aurons
éloigné modérément la discussion, plus nous serons
, puissans, messieurs, dans cette réclamation par l'empire
de la raison, par celui de la voix publique, et pour
tout dire enfin, par la nécessité. •. -

Ah ! messieurs, j'ose encore vous le répéter , la


France impatiente nous attend et l'europe nous regarde.
Malheur à nous si nous prenons la chaleur † le cou
- | | - Lk 2
( 28 )
rage et la prudence pour la foiblesse, et si, nous livrant
dès le début à de vaines discussions, nous n'allons
ar la voie la plus droite et la plus sûre au bien
général qu'il nous est facile d'opérer avec de la modéra
tion et de la fermeté !

Séances des Communes , du vendredi


25 mai 1789.

M E s s I E R s,

Le progrès des lumières, l'empire de l'opinion pré


parent la destruction des préjugés funestes à la société,
mais le tems seul et la raison peuvent la consommer.
Je ne vois donc pas sans inquiétude développer des
principes qui conviendroient à un peuple nouveau, ras
| semblé pour déterminer les formes , le régime et les
i institutions sociales auxquelles il veut se soumettre.
Mais nous, peuple immense et vieilli sous le joug du
pouvoir arbitraire, sous une aristocratie qui commence
à rougir de ses ususpations , qui consent à en briser la
chaîne , mais non tous les anneaux ; nous qui privés
depuis près de deux siècles, de la protection et de la
liberté des assemblées nationales, qui n'en avons jamais
joui constamment, qui, par nos divisions, par le défant
de suite et de fixité dans nos principes , n'en avons tiré
aucun fruit, irons-nous donc aujourd'hui par notre im
maturité, par l'exagération de nos forces et leur emploi
† irons-nous multiplier les obstacles au-lieu de
les détruire , quoi, messieurs, la dixième Séance de
| cette assemblée n'est encore occupée qu'à délibérer sur
| cette proposition, faut-il employer les voies conciliatoi
res pour parvenir à l'opinion par tête, ou devons-nous
nous borner à une déclaration absolue de notre vœu à
une invitation au clergé et à la noblesse de se rendre en
la salle des états, et passer outre s'ils s'y refusent ?
On ne peut rien ajouter à l'excellence des vues et
( 29 )
des motifs présentés par l'honarable auteur de la pre
mière motion, et par plusieurs de messieurs qui l'ont
adoptée. Mais en nous expliquant si noblement, pour
quoi nous devions adopter les voies conciliatoires, on a
oublié de nous en indiquer l'objet et les moyens. Ce qui
justifie quelques-unes des objections de l'honorable tlll
teur de la seconde motion. Et quoique ce soit principa
lement son avis que je me propose de combattre, je le
prie de ne pas douter que je ne rende hommage à sa
droiture, à l'énergie de son caractère, et au talent dis
tingué qu'il a manifesté. Mais au milieu de tant de talens
et de courage, j'aurai celui de la persévérance, j'aurai
le courage de la modération. -

Jusqu'à présent le désordre de nos discussions n'a


permis ni plan, ni suite, ni développement des opinions
principales qui ont été agitées. Faute de s'entendre, nous
en sommes encore à organiser l'assemblée, et déjà l'im
pulsion qu'on veut lui donner la porteroit à un parti
extrême, ou à une inconséquence manifeste. Le parti
extrême seroit la déclaration d'un vœu absolu et d'une
constitution précipitée en assemblée nationale. Le parti
inconséquent seroit une négociation ouverte pour la
conciliation, sans plan déterminé, sans avoir calculé
préalablement jusqu'où nous pouvons aller, à quoi nous
pouvons accéder, à quoi nous devons nous arrêter.
M*** paroît donc fondé à censurer, sous ce rapporº,
la très-sage motion de M. de *** ; mais l est-il égale
ment à nous dire que nous n'avons pas qualité pour
traiter, que nos commissaires seroient également dépour
vus de titre et de pouvoir ?Je demande alors en quelle
qualité, quels seroient nos titres et nos pouvoirs pour
adopter et notifier la déclaration menaçante qu'il nous
propose. Si la volonté de nous constituer nous suffit pour
parvenir à cette fin, la volonté d'entrer en explication
amiable avec le clergé et la noblesse, nous en donne égale
ment la puissance. - -

Mais c'est perdre un tems précieux, s'écrie M ***,


les premiers ordres sont inflexibles ; ils veulent con
server leur consistance d'ordre; ils ne s'en départi
- ront pas. -

Eh ! messieurs, au lieu de les en dépouiller impérati


( 3o )
vement , ne seroit-ils pas plus sage d'en prévenir les
funestes effets, et d'arriver à l'opinion par tête, par
ses résultats, plutôt que de combattre inutilement la
prétention de l'opinion par ordre, et d'exciter si vive
ment toutes les inquiétudes qui la fortifient ?
uoi ! n'étoit-ce pas débuter avec assez d'avantage
dans l'assemblée nationale, que d'y arriver précédés de
la faveur publique et de la justice de nos réclamations
sur les abus révoltans dont le peuple est grevé ? Le cri
général de la liberté légale, de l'abrogation des impôts
distinctifs, des loix avilissantes pour le tiers-état, ne
nous prescrivoit-il pas la marche que nous avons à suivre
pour y parvenir ? Ah ! messieurs, permettez-moi de vous
le dire ; cette marche consistoit à reconnoître et à élu
der, ou à vaincre les difficultés que nous pourrions
éprouver, mais non pas à les provoquer. |
Or, nous connoissons presque tous les cahiers des bail
liages du royaume; nous savons que la grande majorité,
dans tous les ordres, présente des bases raisonnables de
constitution, et des moyens de régénération, tels que
s'ils sont adoptés , le peuple seroit heureux, et l'empire
Français arriveroit à ſa plus grande splendeur. Nous
savons , et vous avez entendu, Messieurs, un ministre
du roi, vous le dire en présence de sa majesté , qu'il est
des circonstances qui ne se retrouvent jamais. Trouvons
nous, en effet, dans les annales du monde, beaucoup
d'exemples de princes accoutumés au pouvoir absolu ,
l† eux-mêmes à leurs peuples, les principes et
| les moyens d'une liberté légale ? car le consentement
libre à l impôt, la liberté individuelle, la responsabilité
des agens de l'autorité, la liberté de la presse, la stabi
lité des assemblées nationales , sont incontestablement,
les bases desirables de la plus sage constitution.
Qu'avons-nous donc à faire pour nous assurer cette
somme de bonheur, dont la prespective nous est présen
tée ? Dépend-elle absolument de la destruction subite
des préjugés, et des prétentions distinctives d'ordre, et
devons-nous y tendre en établissant préliminairement et
par préférence à tout, le principe de l'cpinion par
tête ?
· Non, messieurs, nous ne le devons pas ; car si c'est-là
( 31 )
votre exorde, tout l'édifice de notre bonheur s'écroule, --
et il n'est pas difficile de vous le prouver. -

Je distingue d'abord, le droit d'opinion par tête, que


mous devons soutenir comme représentans de la nation
aux états-généraux, du principe annoncé de l'abolition
de toute distinction d'ordre, et de la nécessité, où plu
sieurs de messieurs croient être de l'établir rigoureuse
ment et préalablement à tout autre acte constitutionnel.
Je dis que cela ne sera pas, que vous n'y déterminerez
pas MM. du clergé et de la noblesse : car, si vous en
avez le mandat, ils en ont de contraires ; et , comme
vous, ils obéiront à leurs mandats ; ainsi votre résis
tance motivera la leur, et l'amour-propre, à défaut de
tout autre intérêt, suffiroit pour la rendre plus active. .
Dans cet état de discordance réciproque , vous
compromettrez votre droit d'opinion par tête, en n'en
diſférant pas la réclamation jusqu'à ce que l'exercice en
soit nécessaire : car il ne faut pas vous le dissimuler,
messieurs , qnelque chose qu'on vous ait dit au con
traire , il ne faut pas vous dissimuler qu'il est hors de
toute probabilité de voir effacer en un instant les pré
jugés, les prétentions et les usages de § :
effaçons-en les abus , profitons de ce concours de cir
constances qui rendent'l'entreprise moins difficile; mais
ne soumettons pas la puissance des faits qui doivent
bientôt nous favoriser, aux risques d'une discussion
prématurée, aux calculs erronés de l'amour-propre ,
qui s'irrite toujours contre les exigeances oratoires, tan
dis qu'il obéit sans murmure à la nécessité qui com
mande sans paroles. Tâchons donc de ne pas mettre en
opposition dès le début, des principes, des prétentions
évidemment contradictoires. Préférons , pour arriver
au terme desiré, les voies indirectes qui peuvent nous y
conduire. - - - - · · · · · --
Pour fixer , messieurs, votre jugement sur les réfle
xions que je vous présente , je suppose que nous ayons
procédé avec la méthode que nous avons négligée jus
qu'à présent. . : . -
· La première démarche que j'ai eu l'hoaneur de vous
proposer, l'invitation au clergé et à la noblesse devenir
prendre séance dans la salle mationale, étoit assurément
( 32 )
conséquente à vos principes; mais le peu d'ordre et
de concert avec lequel la députation a été faite, n'étoit
pas dans les miens. Si vous aviez rédigé et motivé cette
invitation sur la nécessité de vérifier nos pouvoirs res
pectifs, si vous étiez entré dans quelque détail sur cette
nécessité, si vous aviez prouvé que même sur nos pou
voirs il s'élévera des contestations qui exigent indispen
sablement le jugement des états-généraux, la vérifica
tion commune ne pouvoit être refusée.
Ce que vous n'avez point fait encore, messieurs, il
est tems de le faire ; mais je n'insisterai pas sur cet arti
ele qui va être traité tout-à-l'heure avec autant de clarté
que d'intérêt par M***, dont vous connoissez déjà les
lumières.
La vérification des pouvoirs est donc le premier point
, à demander aux commissaires conciliateurs , et cette
seule opération nous donnera le tems d'arrêter les ins
tructions à donner à ceux de nos collègues que nous
chargerons d'établir l'harmonie entre le clergé, la no
blesse et les communes.
· Le succès de cette conclliation dépend, je crois , uni
quement del'incertitude où sont les deux premiers ordres
sur nos dispositions : nous devons donc les ſaire con
noître par une déclaration qui ne compromet point nos
droits, et qui assure que nous n'attaquerons aucun de
ceux que nous devons respecter.
En voici le projet; vous verrez, messieurs, que la
modération , et j'oserai dire la candeur avec laquelle
elle est conçue, ne nuit à rien , et peut servir à tout.

D E C L A R A r I o N.

Les députés des communes apprenant par les arrêtés


de messieurs de la noblesse , qu ils se sont constitués
en ordre, et qu'ils ont nommé cependant des commis
saires conciliateurs , présument que l'intention de mes
sieurs de la noblesse est de consentir à une vérification
commune des pouvoirs respectifs, ou que leurs commis
saires conciliateurs ont une autre mission inconnue aux
- - députés
( 33 )
députés des communes. Dans tous les cas, l'assemblé
non-constituée desdits députés, ne pouvant arrêter
qu'en conſérence un vœu , commun , à résolu de le
manifester et d'en rendre compte au roi et à la nation,
ainsi qu'il suit :
« Nous, députés des communes, profondément péné
trés des obligations que nous avons contractées envers
la nation , et desirant avec ardeur les remplir reli
gieusement , déclarons que notre mission est de concou
rir de toutes nos forces à asseoir sur des fondemens
inébranlables, la constitution et la puissance de l'em
pire Français. De telle sorte que les droits de la nation
et ceux du trône, l'autorité stable du gouvernement, la
· propriété et la liberté légale de chaque individu, soient
assurés de toute la protection des lois et de la force
publique.
Pour parvenir à cette fin avec ordre et mesure, nous
devons et desirons vivement nous réunir à nos co-dépu
tés, et soumettre aux états-généraux la vérification
de nos pouvoirs respectifs.Assemblés chaque jour depuis
le 5 mai, nous avons invité avec instances et nous
réitérons notre invitation à messieurs du clergé et de
la noblesse, de procéder à cette vérification.
· Nous espérons de leur patriotisme et de toutes les
obligations qui leur sont communes avec nous, qu'ils
ne différeront pas plus long-tems de mettre en acti
vité l'assemblée nationale. Nous demandons en consé
quence ou nous acceptons toute conférence qui auroit
cet objet , et nous sommes d'autant plus impatiens
d'en accélérer le moment , qu'indépendamment des
travaux importans qui doivent nous occuper, nous
sommes affligés de n'avoir pu rendre encore au roi , par
une députation des états-généraux , les remercîmens
respectueux, les vœux et les hommages de la nation.
Nous déclarons formellement être dans l intention
de respecter les droits honorifiques du clergé et de la
noblesse, et ne réclamer que contre les abus évidem
ment préjudiciables au bien général, à la liberté du
commerce et de l'industrie, à l'honneur national, à
la liberté et à la félicité publique.
Nous espérons également que les préjugés, les dis-,
( 34 )
tinctions et les prétentions d'ordre ne mettront aucune
entrave à la réunion et à l'activité nécessaire des états
généraux.
Nous ne nous croyons permis d'avoir aucune dispo
sition irritante , aucun principe exclusif d'une parfaite
conciliation entre les différens membres des états , et
notre intention est d'adopter tous les moyens qui nous
conduiront sûrement à une constitution solide, qui ren
dront à la nation l'exercice de ses droits, l'assurance
d'une liberté légale et de la paix publique. Car tel est
notre devoir et notre serment ».
Je vous prie, messieurs, d'apprécier dans votre sagesse
l'esprit et les effets d'une pareille déclaration, et de
les comparer dans l'opinion publique, au desir vague
d'une conciliation non motivée dont nous ne pouvons
rendre aucun compte à la nation , ou aux dispositions
menaçantes de la déclaration qui vous est proposée.
Croyez-vous que dans le cas même d'un non-succès
auprès du clergé et de la noblesse , ce seroit un jour de
perdu que celui où vous auriez ainsi développé des inten
tions pures et pacifiques ? Au moins ne serions-nous pas
dans le cas de faire un pas en arrière, et la voix
publique nous aideroit bientôt à aller en avant.
Mais si nous en venons aux reproches , aux somma
tions vis-à-vis des deux premiers ordres, qui pourroit
méconnoître assez le caractère , l'honneur Français ,
pour douter que tout espoir de réunion ne soit à jamais
anéanti?Or, messieurs, si ce malheur arrive, la France,
l'europe entière prenonceront l'un de ces deux juge
mens. Les députés des communes ont tort , ou l'on
dira , ils ne pouvoient mieux faire.
Ne sentez-vous pas , messieurs, votre sang se glacer
au prononcé possible de ce premier jugement ? « Les
» députés des communes ont tort, nous attendions
» d'eux la paix , la liberté, et ce sont des inimi
» tiés éternelles qu'ils nous apportent ; c'est la servi
» tude qu'ils nous préparent ». Car ne croyez pas ,
Messieurs, qu'une scission non motivée par de grands
intérêts, tels que celui de l'opposition à la liberté.
légale, à l'abrogation des impôts distinctifs , des lois
avilissantes pour le tiers-état, ne croyez pas , dis-je ,
( 35 )
qu'une scission préalable , qui n'auroit d'autre cause
qu'une tendance impérative au mieux avant de nous
être saisis du bien , une telle scission ne seroit jamais
approuvée, ni par les hommes éclairés, ni par cette
classe nombreuse de bourgeois et d artisans , ni par
cette classe immense de cultivateurs que nous repré
sentons. Sur ces vingt-cinq millions d'ames dont nous
avons les pouvoirs, combien en est-il qui ne demandent
que de jouir en paix, sans oppression du modique pro
duit de leur travail, et d'être défendus de toutes les
tyrannies subalsernes qui désolent le peuple ?Sacrifiez
vous donc le bien que nous pouvons , que nous devons
faire à la génération présente, à la postérité. Le
sacrifierez-vous à la théorie de quelques articles de
vos cahiers, lorsqu'il est en votre pouvoir de ne pas
même en compromettre les principes ? Car je ne
vous ai jamais proposé d'abandonner celui de l opinion
par tête, et de reconnoître le pouvoir distinctif de
| chaque ordre. Mais attendez, messieurs, daignez at
· tendre que cette prétention se manifeste en faveur des
abus que nous avons intérèt de réformer. C'est alors
que vous entendrez la France , l'europe entière pro
noncer ce jugement consolateur, les députés des com
munes ont raison , et leur courage mérite nos éloges.
C'est alors, messieurs, que vous participerez vérita
blement à la puissance et à la force nationale, et que
vous aurez toute celle de l opinion publique , tandis
que le pouvoir prétendu négatif des ordres privilégiés
sera brisé par la nécessité de consentir aux lois justes
et salutaires que vous aurez provoquées. -

Car nous ne devons desirer, nous devons même em


pêcher qu'il n'y en ait d'oppressives pour aucun ordre,
pour aucun individn. -

Il est une derniere considération que vous présenta


hier un de nos vénérables collègues. Il s'agit, messieurs,
du salut de la France, et vous ne trembleriez pas de
prendre un parti qui pût la mettre en péril.
Certes, nous sommes trop peu exercés dans les
affaires publiques ; c'est pour nous un spectacle trop
nouveau que celui des états-généraux et de tous les
ressorts politiques de cette grande " # , pour
24
( 36 )
ne pas craindre d'y porter dans le premier moment ,
une main inhabile.
Enſin , messieurs , nous devons aux intentions
paternelles du roi, aux bienſaits qu'il nous prépare ,
d'imiter sa prudence dans la question préliminaire qui
s'est élevée. N'en précipitons pas la solution, n'en
compromettons pas le droit ; voilà tout ce que je vous
demande.
J'insiste donc, en adoptant les voies conciliatoires ,
pour que vous en déterminiez le plan , et que vous
veuilliez bien prendre en considération, et délibérer sur
le projet de déclaration que j'ai l'honneur de vous pro
poser, me réservant d'indiquer un parti ultérieur, dans
le cas oû la vérification en commun des pouvoirs respec
tifs seroit refusée, ce que je ne crois pas.

LETTRE de M. Malouet , député de la


sénéchaussée d'A.sergne , à MM. les
Syndics de l'arrondissement de Riom.

Versailles , 18 Mai.

ON vous a mal rendu , messieurs, les débats qui ont


eu lieu jusqu'à présent dans l'assemblée des communes;
et on en a dénaturé l'intention, en les présentant comme
les préliminaires d'une scission qui n'arrivera pas. Il nºy
avoit aucune alarme à concevoir de notre silence.
Lorsque j'ai proposé l'établissement des sindics de
correspondance par arrondissement , c'étoit , ainsi
que l'explique l'arrêté, pour les affaires de la province,
et non pour rendre compte régulièrement de ce qui
se passeroit aux états - généraux. Cette tâche est dif
ficile et impossible à remplir, avec la circonspection
convenable , lorsque l'on est journellement occupé de
longues séances. Mais d'après les bruits répandus , et
les inquiétudes que l'on se plaît à exciter, ja vais
profiter d'un instant de repos pour vous dire très
( 37 )
exactement ce que je vois, ce que je pense, en vous
priant de communiquer ma lettre à nos compatriotes.
Ne me croyez point affecté de ce qu'on a mandé
· à Riom, « que j'abandonne ici la cause du peuple ,
» que je défends les ordres privilégiés, que je suis
» l'homme du gouvernement ». L'assemblée qui m'a
député , connoît parfaitement mes opinions ; les cahiers
dont je suis porteur, le discours qui les précède les
· eonstatent authentiquement , et les avis que j'ai pro
osés depuîs l'ouverture des états, sont, comme vous
# verrez, conséquens à tous mes principes.
Il y a dans notre assemblée beaucoup d'esprit et de
lumieres, et j'y suis arrivé avec les dispositions que
vous me connoissez. Ma consciençe, mes devoirs, sont
pour moi au-dessus de tous les succès, et même des
talens que j'estime , que je chéris sans prétendre à leur
célébrité. Jugé foible ou téméraire, suivant les circons
tances, et d'apràs les préventions de ceux qui m'enten
| dent , vous me connoissez cette espèce de courage ,
· qui ne craint point les attaques personnelles, et qui
ne s'en permet aucune. -

Lorsque les hommes sont réunis en grande masse, et


qu'on veut les servir, il faut, je crois, ne pas chercher
uniquement à leur plaire , mais leur parler convena
blement à leur disposition. Il ſaut échauffer leur cou
rage s'ils sont foibles, et le tempérer s'ils sont forts ;
· leur parler de leur dignité , de leurs ſorces , s ils ne
les sentent pas. Mais s'ils les exagerent, le cou age #

de la sagesse , est de les avertir du danger, et de les


faire descendre de la hauteur de leur imagination,'|
aux idées simples et justes , qui conduisent seules à |
d'heureux résultats. -

Je crois véritablement qu'on rend justice au gou


vernement, en supposant que la modération , la con
corde, sont ses principes , et c'est en ce sens-là que
je me fais gloire de les adopter. Ceux qui peuvent
rendre suspecte une telle conduite , nous conduiroient
lutòt à I'anarchie et à la servitude, qu'à la liberté.
§ il ſaut que je vous explique la cause de cette mé
prise : car je ne veux point l'appeller mauvaise inten- .
- tion. Elle seroit trop coupable.
( 38 )
Il n'y a point d'exemple d'une révolution aussi com
plette, aussi salutaire que celle qui pourroit s'opérer
paisiblement parini nous. Tous les peuples du monde ,
qui sont parvenus à la liberté, ont arraché par la force,
aux princes absolus, d'abord quelques concessions , et
ensuite une constitution.
Nous sommes dans une position très-différente, et
qui ne comporte ni le même ton , ni les mêmes moyens
pour nous régénérer. Des mœurs faciles et douces se
· sont alliées parmi nous au despotisme et à ses plus funes
· tes effets. L'esprit de societé le plus aimable , la
· propagation des lumières dans toutes les classes , le
| mélange de toutes les conditions, l'affoiblissement de
tous les préjugés, le découverte et le signalement de
, tous les abus, la modération des princes et des minis
· tres , ne pouvoient prolonger un gouvernement oppres
seur ; et ce concours de circonstances qui ne se retrou
vent jamais, est si heureusement amené, qu'il n'y a
besoin que de s'entendre pour nous réſormer.
- Ce seroit donc une faute énorme , un malheur ef
: froyable, que d'opérer la révolution par des déchire
| mens, lorsqu'il ne s'agit que de polir et de raccorder
dans un meilleur ordre les matériaux de l'édiſice.
Tous les abus de l'aristocratie sont insoutenables
chez un peuple éclairé ; et dès qu'il a la liberté de
s'assembler pour les discuter, il lui faut plus de
patience et d'attention que d'effervescence, pour les
réformer.
Tous les bons principes , tous les moyens sages
d'un gouvernement juste et prospère , sont mis en
évidence ; et dès-lors que ceux qui abusent et ceux
qui souffrent sont appellés en confrontation , le procès
est jugé, par la raison et par la force irrésistible de la
nécessité. Car elle se trouve toujours du côté de la
raison universelle. Examinez les tems qui nous ont
précédés, la théocratie, le despotisme, l'aristocratie ,
tous les abus , tous les fléaux ont été fondés en prin
cipes, par l'audace des professeurs , et l'ignorance des
écoliers. Mais lorsque l ignorance cesse, l'audace ne peut
plus rien. , -

Dans une telle position , et c'est la nôtre , si les


( 39 )
trois ordres de la nation pouvoient être représentés
par trois hommes modérés et éclairés, tel qu'il y en
a beaucoup dans chaque ordre , toutes les discussions
seroient promptement terminées au grand avantage de
la nation. Mais les ordres privilégiés sont arrivés avec
l'inquiétude d'une trop grande réduction dans leurs
prérogatives; et les communes avec le sentiment de
leurs forces , et l'impatience d'en jouir.
· La première difficulté qui s'est présentée à l'ouver
ture des états , a été la grande question de l'opinion
par tête ou par ordre ; question prématurée, et que
nous résoudrons, je l'espère , par de sages expédiens.
Car, si l'on s'en tient de part et d'autre à des principes
roides et absolus, il n'y auroit pas de rapprochement ;
et alors
de combien
la nation ! nous serions tous coupables aux yeux
A ,

Les mandats impératifs, les pouvoirs limités, sont les


plus grands obstacles qu on puisse apporter à une sage
constitution. S'ils avoient prévalu dans toutes les assem
blées des bailliages , on réduisoit l'assemblée narionale
à une collection de procurations discordantes, qui ne
permettoient aucun plan commun , aucune opération
salutaire. Ceux des députés qui s'y sont soumis se sont,
sans doute , imposé de grandes entraves. Mais les états
généraux doivent-ils y avoir égard # C'est ce que je ne
crois pas.
Le droit d'opinion pas tête est certainement notre
sauve-garde contre les prétentions négatives des deux
premiers ordres ; et sous ce rapport , nous ne devons
pas nous en départir.
Mais le çlergé et la noblesse y accéderont-ils avant
de savoir jusqu'oû l'on veut aller dans les réclamations
des communes, dont ces deux ordres craignent l'exa
gération #
Il faudroit donc un accord préalable, et tel est l'ex
pédient que je crois praticable. - - '

Premièrement, la vérification commune des pouvoirs,


qu'on a éludée jusqu'à présent, ne peut être plus long
tems différée ; et quelques exemples qu'on allégue au

contraire, quellesque soient les prétentions ultérieurs de


part et d'autre, il n'est pas soutenable de la part des
( 4o )
' deux premiers ordres de se refuser à une reconnoissance
mutuelle, à une légalisation commune des pouvoirs de
| tous les députés. Si la scission avoit lieu par cette cause,
( . | ce que je ne pense pas , elle ne pourroit jamais être
: imputée aux députés des communes.
§ cette vérification faite , ou pendant l'opéra
tion, comment opérer le rapprochement subséquent , la
réunion des trois ordres ?
· Je n'imagine d'autre moyen que de traiter par commis
saires de tous les points contestés, de toutes les bases
desirables de constitution ; et comme je ne doute pas
que notre assemblée ne s'arrête précisément à ce qui
est juste et utile à tous , sans offense pour aucune
classe de citoyens, il n'y aura plns de prétexte plausi
ble de la part du clergé et de la noblesse, pour se
refuser à une délibération commune.
En procédant ainsi sur chaque objet principal , en
faisant précéder la délibération commune d'une discus
sion par commissaires, on arriveroit peut-être à quel
que réforme marquante, à quelque établissement utile
que les deux premiers ordres pourroient contester.
Mais s'ils emploient leur prétention d'ordre à toute
autre chose qu'à se défendre de l'oppression, ils seront
sans forces , sans moyens pour la soutenir.
On impute aux communes de vouloir détruire tous les
droits, toutes les prérogatives qu'elles ne partagent pas.
Cette calomnie s'accrédite et met en défense le clergé et la
noblesse Mais elle sera bientôt anéantie par des explica
tions amiables, par des discussions decommissaires; et lors
que nous aurons bien démontré que nous sommes fer
mement attachés à un gouvernement monarchique , à
tous les pouvoirs légitimes, aux distinctions , à la hié
rarchie que comporte un tel gouvernement, on ne
prendra plus des digressions oratoires pour des princi
pes , et des phrases mal interprétées pour un vœu
général. · -

, Pour en revenir à ce qui s'est passé jusqu'à présent


parmi nous. Nous avons attendu et sollicité les deux
premiers ordres de venir prendre séance en l'assemblée
générale , et procéder à la vérification des pouvoirs.
La noblesse s'y est refusée et s'est constituée en ordre.
y
- Le


( 41 )
Le clergé délibère encore, et nous, nous discutons les
mesures à prendre , nous parlons , nous écoutons.
Car il y a , comme je vous l'ai dit , de grands talens
et des orateurs distingués dans cette assemblée. Il y a .
beaucoup de courage, de patriotisme , de l'élévation,
de l'énergie dans les caractères , et cependant une dis
position prépondérante aux voies conciliatoires. Sans
doute , il nous manque de l'expérience, l'habitude
des assemblées nationales , et de l'eſfet électrique
des grandes images, des hautes pensées, des phrases
retentissantcs sur une grande assemblée. - -

Cette seule parole : nous sommes lcs représentans


de vingt-cinq millions d'ames, pourroit dans un ins
tant dans une circonstance donnéé, produire de trop
· vives sensations, et je voudrois la ramener à sa juste
valeur. Sans doute , il faut nous pénétrer de la dignité
du peuple que nous représentons. Mais nous devons
encore plus nous occuper et uous entretenir de sa mi
sère , de ses souffrances, et des moyens de soulagement ,
qui ne sont pas des idées exaltées et des discussions
préalables qu'on pourroit éluder. - -
Sans doute, nous devoiis voir dans la noblesse et le
clergé des classes privilégiées contre lesquels il faut
nous défendre , dont les abus doivent étre réprimés.
Mais nous devons y voir aussi les propriétaires de la
moitié et de plus de la moitié des terres du royaume.
Ainsi, sous ce rapport, comment pourrions-nous être
seuls l'assemblée nationale, si nous ne prouvons aupa
ravant, par notre prudence et notre modération, par la
justesse de nos vues et la sagesse de nos moyens , que
nous en soinmes la seule partie qui défende avec
impar ialité les intérêts de tous. Mais ce que l'on
vous a mandé sur cela, monsieur, de notre exagéra
tion, de notre véhémence, n'existe pas ; soyez- en
sûr. Car les mouvemens oratoires ne sont pas des
arrêtés , et vous verrez de même dans les avis que j'ai
† , plus de précautions , plus d'exhortations à
la paix, qu'il n'en étoit besoin dans une assemblée vrai
ment imposante par ses lumières et ses bons sentimens.
J'ai l'honneur d'être , etc,
F '
( 42 )
p. S. Ma lettre n'étant pas partie hier , je vous ºn
nonce que la proposition d'une couférence conciliatoire
a passé à une très-grande majorité.

Séance des communes, du 8 juin| 1789


M E s s I E U R S »

C'est d'après les propositions réitérées qui vous ont


été faites de vous constituer » q"º j'ai demandé la per
mission de parler : le momº approche où il devient
§nt d'en délibérer ; les proviººººº la capitale atten
de avec inquiétude le part lº Vºº allez prendre. .
Dans la situation où ºsº le royaume , d'après la di
vision subsistatate enºº les membres des états , il n'est
oint de plus graºud intérèt qui puisse nous o cºper. Il
§e semble que la nation tºº entière est dans cette
enceinte, qu'elle se présente à nous sous les traits d'une
mère éplorée ; et qu'en s'adressant au clergé , à la no
blesse, aux commune$ ? elle leur crie , arrétez , mes
enfans, voulez vous déchirer mes entrailles * qui , de
vous oseroit porter sur ººº sein une ruain sacrilége*
Ali ! messieurs , nous ne mériterons pas ce reproche ;
mais je dis plus , il faut que notre prudence l'épargne
§ à nos frères ; il faut que ººº º fermeté ré
concilie l'orgueil des intérêts privés , ay c la dignité de
l'intérêtpublic. '. - . -
| Avant de développer cettº réflexion digre, messieurs,
de toute votre attentioº ; qu'il me soit perº , de mettre
sous vos yeux noººº situation actue . Dans toutes
les discussions qui ººº ont occupes jusqu'à présent ,
nous avons énoncé dº principes , des volontés ; il nous
ercher des moyenº : à les mesurer sur des
reste à ch à faire entrer CIl considération les résistances »
obstacles , les dangers, à calculer les forces po
· litiques
les déchiremens
et cellés, d'opinion qui sont Pºº et contre
nous : enfin , messieurs, nous connoisons à peine le
terrein sur lequel uous devons marcher; vous trou
( 43 ) -

verez bon , sans doute, que j'essaie de le parcourir ;


, car nous ne devons adopter aucun mode de constitu
tion , sans savoir où il nous conduit et ce que nous en
pouvons faire. - - -

Nous sommes , messieurs , au bord d'un précipice.


Le patriotisme, les vertus publiques , s'éteignent dans
la servitude , et ne peuvent renaître en cet instant , que
dans les cœurs généreux qui trouveroient encore plus
de grandeur à souffrir qu'à opprimer. Mais ne nous
dissimulons pas que la régénération de l'état, le réta
blissement des droits nationaux et de la puissance
royale , ( car le mépris des uns entraîne tôt ou tard la
ruine de l'autre ; ) la réſorme des abus ont de nom
breux et de puissans ennemis. « Ce n'est pas nous ,
disoit un député des privilégiés , qui avons besoin des
états-généraux ; nous les tenons pour le peuple, et
s'il se rend difficile , nous y renoncerons volontiers».
Cette parole ingénue est pour nous d'un grand sens,
car elle révèle le secret de tous les abus , de tous les
# de toutes les dominations interposées entre
e prince et le peuple, et qui doivent fléchir sous la
puissance des lois, § les lois seront l'expression
de la volonté générale. - -

Observez en effet, messieurs, que l'ordre de choses


ancien étoit parfait pour tous ceux qui en jouissoient.
Les grands, dans une indépendance presque entière
des lois et de l'ordre public , y déſéroient par conve
nance et par honnêteté. Leurs hommages au monarque,
magnifiquement payés, étoient le signe unique de leur
condition de sujets. Les ministres, vice-rois dans leurs
départemens, n'avoient à craindre que les intrigues de
de la cour, et les attaques des parlemens : les cours
souveraines exerçant un empire encore plus étendu et
et plus inamovible, opposoient les arrêts aux édits,
et avoient sur l'administration plus ou moins d'influence.
Les commandans et intendans des provinces y jouis
soient de l'autorité des ministres. La finance avoit une
part directe au gouvernement , par l'autorité du fisc
'qui est entre ses mains , et par les ressources ruineuses
qu'elle lui fournissoit. Enfin le haut clergé, puissant
par ses richesses et son crédit, avoit une domination
• F 2 . -

N.
- N.
N,
( 44 )
plus réelle par son intervention dans toutes les grandes
affaires , ses assemblées périodiques et ses relations
immédiates à la cour.
Tous ces pouvoirs, souvent en opposition, auroient
maintenant un intérêt commun à se rallier : au moins
nous devons le craindre , messieurs , en distinguant
|† nos éloges et notre reconnoissar ce ceux qui , dans
es prcmières classes, ont de plus justes idées de la
véritable grandeur, et mettant au-dessus de tous les
titres, célui de citoyen , ne veulent point laisser le roi
seul au milieu de sa cour ; car ce généreux prince s'est
le premier montré enflammé du saint amour de la pa
trie ; et lorsque nos divisions pourroient être l'espoir de
la tyrannie, elles sont l'objet de la sollicitude et de
l'aſfiiction du père commun et de ses vertueux conseils.
Lorsque la mort d'un fils chéri appelle auprès du roi les
consolations de ses l euples, ses larmes paternelles se
répandent également, et sur l'enfant précieux qu'il a
perdu , et sur cette grande famille dont l'existence ne
eut être heureuse que par la paix et l'harmonie. Ne
† troublons donc pas, messieurs, nous qui en avons
le plus besoin. C'est assez, c'est déja trop que le clergé
et le noblesse tendent à s'isoler du corps national ; si
nous ne pouvons les attirer à nous, gardons nous bien
de nous éloigner d'eux ; laissons de leur côté les torts
et les dangers d'une séparation ; restons, messieurs, ce
que nous sommes, soit qu'ils s'unissent à nous, soit
qu'ils s'en séparent ; nous sommes les représentans du
peuple ; cette grande existence ne peut nous être con
· testée ; et en la conservant sans usurpation dans son
intégrité, nous réaliserons les espérances de la nation,
malgré tous les efforts des eunemis du bien public.
Oui , messieurs, il dépend de vous de dissiper §
qui gronde sur nos têtes ; et il ne dépend plus des ordres
privilégiés , si nous sommes prudens et fermes, d'em
pêcher la plus heureuse issue des états-généraux.
La nation consultée par le roi , dans toutes ses sub
divisions territoriales, s'est expliquée sur tous les points
qui l'intéressent : et pour la première fois, par un heu
reux accord , son voeu est unanime sur tous les points
fondamentaux. Nous connoissons les cahiers de tous
( 45 ) .
les ordres, dans tous les baillages du royaume; il n'en
est aucun qui ne s'exprime affirmativement sur les
articles indiqués dans le résultat du conseil du
27 décembre. Voilà donc l'émission solemnelle du vœu
national, dont nous sommes les mandataires. Ce n'est
qu'en descendant dans les détails de la législation et de
l'administration , que nous avons le droit d'une discus
sion libre et d'un suffrage volontaire.Quant à la réintégra
tion des droits de la nation , elle les réclame, par une
volonté unanime ; et c'est en ce sens seulement que
nos pouvoirs peuvent et doivent être limités.
Leur vérification, différés jusqu'à présent, s'opérera
en commun, messieurs, quelle que soit l'issue des
conférences ; car je distingue l'exhibition de nos titres
de députation, de la vérification effective des fuffrages
nationaux sur tous let points de constitution, tels qu'ils
sont exprimés dans nos cahiers. Cette dernière opéra
· tion pourroit se faire avec la plus grande authenticité,
malgré le refus même des mandataires; la volonté des
constituans légalement énoncée , étant la véritable et
l'unique puissance de leurs représentans. Peu importe
, que ceux-ci soient discors dans les formes, pourvu que
· les pouvoirs respectifs et les vœux exprimés soient en
| harmonie.. Or , nous sommes assurés, messieurs, de
cette concordance sur les points essentiels ; il ne s'agit
, que de la manifester ; mais il faut pour cela que nous
développions le caractère national dont nous sommes
revêtus , et que nous en déterminions l'exercice par
, la réunion et la manifestation des vœux de l'universa
lité du peuple Français. Je crois, messieurs, qu'il n'est
, point de puissance qui soit en état de contrarier celle -

là ; et je ne crains le veto d'aucun ordre contre les


intentions promulguées de vingt-cinq millions d'ames
qui composent l'empire Français. J aime, au contraire,
à espérer que le clergé et la noblesse, rassurés sur nos
dispositions , s'uniront à nous, par une délibération
commune, pour l'oeuvre immortelle de la régénération
de la France. -

Supposons cependant , ce que je n'ai garde de penser,


que les ordres privilégiés voulussent s'opposer à quel
, qu'une des lois salutaires que toute la France attend
( 46 )
et sollicite ; croyez-vous, messieurs, qu'une telle en
treprisene S(ºrOlt pas plus dangereuse pot r ses auteurs
que pour nous ? Hé ! qui pourroit contenir l'indignation
universelle qu'elle exciteroit ? Qui pourroit rendre au
clergé et à la noblesse , le crédit, la considération,
la confiance pul lique ? Et que signifient toutes les dis
tinctions, si vous en retranchez celle-là , Ce n'est point
la vanité seulement qui a créé les prééminences de rang,
de naissance et de dignité ; elles ont une destination
utile et nécessaire dans une monarchie. Mais si leur
action devient oppressive et malfaisante, dans le mo
ment où un peuple éclairé s'agite et se dirige vers un
meilleur ordre de choses, c'est alors la lutte d'un en
ſant opiniâtre dont les caprices se taisent devant la
raison d'un homme robuste.
Ecartons , messieurs, ces sinistres présages, et ne
présumons pas que l'élite des classes privilégiées soit
moins empressée que nous de servir efficacement la pa
trie. Des préjugés, des inquiétudes mal fondées sur nos
propres dispositions, les éloignent de nous. La sagesse,
la justice, l'intérêt national nous rapprocheront. Ar
rêtons-nous aux exemples de patriotisme et de vertus
publiques qu'ont donné si souvent à la nation le clergé
et la noblesse, et n'imitons point celui d'une séparation
prononcée par le veto ; †" pas la constitution
de notre assemblée, en assemblée nationale. J'avoue ,
messieurs, que la proposition de cette mesure m'a
toujours alarmé. Elle est inutile aux intérêts de nos
commettans. Elle est au-dessus de nos pouvoirs. Elle
nous feroit perdre tous les avantages de notre position.
Elle produiroit la dissolution des états-généraux. Elle
exciteroit les troubles les plus funestes.
Ce seroit en effet attenter aux droits civils et politiques
de la nation, que de la déclarer complettement repré
sentée en l'absence des plus grands propriétaires et des
premiers citoyens , qui sont les députés du clergé et
de la noblesse. Aussi-tôt des protestations solemnelles
de la part des deux ordres, obtiendroient l'appui des
cours souveraines, et imprimeroient sur nos opérations
un sceau de nullité qui ne pourroit être effacé que par
( 47 )
la force,
moins dont nous n'avons
de provoquer l' oi.garde de desirer et encore r•: .
-
.. --,----------

Seroit-ce donc là, messieurs, le térme des esp9ran


ces de la nation et des efforts généreux du monarque
· pour la régénérer ? Nos dissensions appelleroieut encore
le pouvoir absolu ; car lorsque la puissance élémentaire ;
au lieu de s'ordonner et d'agir , se déchire , il faut bien
que la puissance publique, déposée dans les mains du
monarque , veille au salut de tous et nous préserve
- de l'anarchie. · · · - -

Ah ! j'ose croire que vous préférerez le parti le plus


sage , et dès-lors le plus sûr, celui qui se lie aux plus
solides appuis de la société, la justice, la vérité , la
prudence, la fermeté. Si nous n'avions pas des droits
à réclamer, si nous ne les réclamions pas avec modé
ration, si nous n'avions pas des pouvoirs et une force
réelle , si nons les exagérions, si nous voulions être
plus que, nous ne sommes , si nous attaquions le clergé
et la noblesse en ennemis , tous nos projets se fon
deroient sur le sable , et nos déclarations, nos adresses
au roi ne seroient que des paroles bruyantes, inutiles
pour nous , embarrassantes pour sa majesté, funestes
à la nation. Mais en nous tenant dans une jnste me-\
sure , en nous constituant ce que nous sommes, les |
représentans du peuple, en n'offrant au roi que ce que
nous pouvons tenir; en ne demandant que ce qu'il est
juste d'accorder ; en ne nous subordonnant point au '
veto des ordres privilégiés ; en ne nous permettant au
cune offense contre eux, nous finirons par arriver
ensemble à une constitution , et le tems, la raison, les
assemblées subséquentes de la nation , applaniront tous
les obstacles que nous n'aurons pu détruire. • • } .. • .. ' ... »
-

C'est au nom de la patrié, messieurs, et de nos de


voirs les plus sacrés, que je soumets à votre sagesse
ces observations. Ne bravons pas inutilement les dan
gers qui nous menacent, lorsque nous pouvons les
éviter. N'adhérons à aucune prétention destructive des
droits essentiels du pnuple et des principes qui les con
servent. Développons notre caractère. Usons de nos
l - * - -

',
( 48 )
pouvoirs tels qu'ils sont, et n'allons pas chercher au
delà des difficultés et des malheurs.

Signé M A L o U E T

OPINION de M. Malouet, dans les séances


des communes, du 15 Juin . -

M E s s I E U R s,

Avant que la liberté soit établie , nous avons besoin


de son esprit et de sa langue, pour en fonder les
bases : je réclame donc un de nos droiss les plus
sacrés , celui sans lequel tous les autres seroient en
péril , le droit de dire librement son avis, et de donner
un libre essor , non pas à la témérité, mais au vrai
courage qui se tait lorsqu'il n'a pas l'usage légitime de
ses droits et de ses moyens. - -

Si j'insiste ainsi sur la liberté de mon opinion, c'est


† déja éprouvé que quelques personnes essaient
de flétrir l'avis qui leur déplaît. Mais de tous les
murmures possibles, je ne crains que celui de ma cons
cience ; et le respect que je dois à cette assemblée,
celui que je me dois à moi-même m'impose l'obligation
de ne pas fléchir davantage sous le despotisme de plu
sieurs, que sous celui d'un seul. : º
Je demande donc, qu'en continuant aujourd'hui la
discussion des motions proposées , on en renvoie ce
soir l'examen dans les bureaux , et que la délibération
définitive soit remise à démain. - -

Je vais vous rendre compte maintenant , messieurs ,


de mes observations sur les différens modes de cons
titution qui nous ont été proposés. ,
De grands principes viennent d être établis avec unè
rande éloquence ; et je vois dans les motions, dans les
avis des préopinans, plus de vérités à recueillir, que
- de
( 49 )
censurer. J'adhère aux propositions qui nous déclarent
ce que nous sommes en cffet , les représentans de la
majeure partie de la nation , ou les représentans du
peuple , cn ajoutant qu'en aucun tems , dans aucun cas,
nous ne devons reconnoître la séparation des ordres,
ni leur paétention négative; et je me félicite d'avoir
développé les mêmes principes dans un plan connu de
plusieurs de nos collégues, dont j'ai communiqué les
détails, et remis le précis au bureau , il y a déja trois
semaines ; il étoit conçu en ces termes :
« Nous ne pouvons pas renoncer au principe de
l'indivisibilité des états-généraux. Mais nous ne pou- .
vons, ni ne devons déclarer que nous les représentons
seuls. .,. -
-

Nous constituer assemblée nationale, sans égard au


clergé et à la noblesse , feroit une scission désastreuse
qui produiroit la dissolution des états-généraux.
Nous soumettre aux formes vicieuses des précédens
états-généraux, ce seroit annuller notre double repré
sentation , et nous priver des moyens de réformer les
abus les plus onéreux àu peuple.
Prendre un parti qui ne compromette point nos
droits, qui § ceux de personne , et qui nous
mette en état d'agir en dévéloppant notre caractère
national dans toute sa dignité, est le seul conseil que
nous puissions recevoir de la raison, d'une prudente
fermeté, le seul qui convienne aux dangers de notre
position , et au salut de la chose publique. Tel est
l'objet d'une grande députation au roi , en lui pré
sentant l'adresse suivante qui réunit trois grandes in
tentions : un monument de nos hommages et de notre
fidélité au roi. |• - -

Un acte déclaratoire des droits, des vœux , et des


espérances de la nation. Une assertion de notre indé **

pendance des ordres privilégiés , comme représentans


du peuple, et de notre volonté d'agir en cette qualité
vis-à-vis du monarque, sans rompre avec le clergé et
la noblesse, sans nous séparer d'eux, s'ils , veulent
s'unir à nous, et sans reconnoître aucun pouvoir négatif
en re le trône et nous. , i : • s: ' i .
*Cette seule déclaration seroit un premier mOntIment
- ( 5o )
des droits de la nation , et un grand pas de fait vers
une constitution. Elle nous met sur le champ en acti
vité , sans que les ordres privilégiés puissent nous impu
ter une scission , et sans nous subordonner à leurs pré
tentions ».

J'ai eu occasion de vous dire depuis, que nous ne


devions point adopter un mode de constitution , sans
savoir où il nous conduit, et ce que nous en pouvons
faire. Or, je ne vois point de sûreté dans le premier
mode de constitution qui vous a été proposé.
· Il semble qu'on vous suppose, messieurs, étrangers
à toutes les considérations, indépendans de tous les
obstacles, dominans toutes les volontés, et arrivant au
milieu des siècles , sans égard au passé, sans inquiétude
pour l'avenir.
Ce n'est pas là, messieurs, notre position. Nous ne
sommes point un peuple nouveau sur lequel les lois ,
les coutumes, les préjugés même n'aient aucune in
fluence. Nous sommes députés aux états-généraux.
Mais que sont les états-généraux ? c'est la réunion des
députés du clergé, de la noblesse et des communes. Le
ciergé , la noblesse prétendent que les états-généraux
ont toujours existé en ordres séparés. Nous prétendons
avec plus de fondement le contraire. Mais notre asser
| tion peut-elle devenir subitement une loi ? hier, aujour
d'hui , nous sommes encore les députés des commnes.
Un simple acte de notre volonté pourroit-il nous trans
former en assemblée nationale ? Et comment un des
préopinans a-t-il pu nous dire que quelque titre, quel
que constitution nominale que nous donnions à notre
assemblée, la sanction royale lui est inutile, que cette
· dénomination même devient indifférente au monarque ?
Le roi nous appellera, dit-il, le tiers-état ; et nous ,
nous prendrons la qualité de représentans de la Nation.
Mais depuis quand le chef et les représentans d'une
nation peuvent-ils, sans inconvénient, être discords sur
leurs qualités respectives ? Prenez bien garde, messieurs,
qu'ici les qualités établissent les droits, qu'agissant
pour et au nom de nos commettans , nous avons un
exercice libre et légitime de nos pouvoirs ; mais que
- - ( 51 ) -

pour peu que nous les établissions d'une manière équi


voque, soit en les exagérant, soit en les réduisant au
moindre terme , nous nous trouverons dans l'impuis
sance
II1Cnt.
de les développer, et de les employer utile
A - -

Instruits par nos malheurs passés , sans doute nous


ne devons pas renouveller, aux yeux de l'europe
étonnée , le spectacle déplorable des précédens états
généraux. Sans doute, il ne faut plus qu'on reproche
aux représentans de la nation de subordonner l'intérêt
général aux intérêts privés des différentes classes qui la
composent , et de reconnoître dans les premiers ordres
un droit qui appartient exclusivement au monarque ,
celui de rejetter ou de sanctionner les lois et les impôts
consentis, ou proposés par l'assemblée nationale. Mais
n'oublions pas que le clergé et la noblesse, appellés
comme nous à la régénération de l'état, ont droit,
comme nous , à cette haute destinée. Malheur à ceux
qui voudroient dissoudre une aussi sainte commu
nauté ? ·

Sans doute ce seroit la dissoudre que de nous rame


ner impérieusement aux réformes exclusives, et aux
tristes époques notre abaissement , et de notre nul
lité. Sans doute le peuple français ne doit † subir
le joug de ces usages fuuestes qui ont trop long-tems
usurpé l'autorité des lois. Il doit au moins se préserver
de leurs déplorables effets : et pour cela, messieurs ,
quel moyen, quelle précaution nous est nécessaire #
Une seule : la volonte ferme , inébranlable de nous
y soustraire : la déclaration de cette volonté. Là se
trouvent nos droits et nos pouvoirs ; au-delà en est
l'abus. Là, sans attenter aux droits d'autrui , nous
manifestons avec dignité , avec la puissance de la
raison, avec celle de la volonté d'un grand peuple,
nous manifestons, dis-je, un caractère vraiement national;
qui ne peut nous être contesté. Voulez-vous l'aggrandir
par de plus imposantes dénominations ? Votre force de*
vient foibiesse , et vos paroles restent sans moyens- ,
Quest-ce en effet que la constitution d'une assemblée
quelconque ? C'est la déclaration de son existence légale,
2,
( 52 )
conformément à une loi déja faite, ou conformément à
une loi qu'on a le pouvoir de faire actuellement. !
Si je cherche maintenant ce que c'est qu'une loi, je
trouve que c'est une intention juste et utile exprimée par
une volonté souveraine. Car ce qui est injuste peut
bien être ordonné, et exécuté par la force , mais
n'aura jamais le caractère auguste de la loi. D'après
ces principes qui sont, je crois, incontestables, je
demande ce que signifie le mode de constitution des
représentans de la nation ? Quelle est la loi qui
l'autorise ? Où est la volonté souveraine qui a ex
primé cette intention juste et utile ? Sommes-nous
seuls la puissance législative ? Pouvons - nous y
suppléer ? La volonté générale vous y a-t-elle
autorisés ? Vos constituans vous ont-ils enjoint de
résoudre de cette manière la question , qu'ils n'avoient
pas même prévue, sur la vérification des pouvoirs ?
Ont-ils même réclamé, dans tous les baillages, sur le
refus des deux premiers ordres d'y procéder en commun ?
Ce n'est pas que je ne regarde comme injuste, de la
part du clergé et de la noblesse , de s'y reſuser aujour
d'hui. J'ai déja eu occasion de le dire , et je le répète
maintenant : aucun motif , aucun fait historique ne
,ouvoit détruire cette raison irrésistible qui n'avoit
jamais été alléguée dans les précédens états-généraux.
Si la vériſication commnne et réciproque n'a pas tou
- jours eu lieu, c'est parce qu'il n'y a pas de preuve qu'elle
ait été réclamée. Mais la réquisition d'une des parties
contractantes suffit, pour y obliger les autres.
Cependant , par ce refus obstiné des deux ordres,
faut-il que tous périssent ? Et la priorité d'une injustice
· légitimeroit-elle celle qui la suivroit ?
Si le clergé et la noblesse ne veulent point se lier
envers vous, ne vous liez point envers eux. Que leurs
pouvoirs ignorés agissent sur l'ordre dans lequel ils
veulent rester circonscrits. Ils en sont les réprésentans ;
et vous l'êtes d'un peuple immense. Mais ils font partie
de la nation ; ils , sont sans doute connus des corps
· auxquels ils appartiennent; et vous, les députés des
communes, pourquoi vous appolleriez-vous les seuls
représentans de la nation ?
-
( 53 )
| Les députés du clergé et de la noblesse vont nous
demander qui nous a donné ce caractère d'authenticité,
et qui les en a privés ? Nous répondrons que nous avons
sur eux l'avantage d'une intention juste et légale ,
d'une doctrine vraiment nationale. Mais, ajouteront
ils, il n'y a pas eu plus de vérification commune pour
vous , que pour nous. Et ce n'est pas de la formule
de l'appel, et de la forme matérielle de cette salle
que vous tirez votre force. L'assemblée qui a ordonné
l'appel n'avoit elle-même aucune jurisdiction sur les
autres , ordres ; et le lieu dans lequel s'est fait cet
appel, n'est pas exclusivement celui où peuvent se tenir
les états-généraux. -

Il est vrai , Messieurs, que vous êtes plus essentiel


lement lcs représentans de la Nation, que ne le sont les
députés du clergé et de la noblesse. Car les premiers
élémens de la force sociale et politique consistent dans
le corps national qui nous a députés. C'est sous ce
rapport que votre existence est grande , que votre in
fluence doit l'être, et qu'elle est indépendante des pré
tentions négatives des autres ordres. Mais au-lieu de les
anéantir, vous les mettez en action, si vous allez au
delà de vos pouvoirs. Or, je n'en connois point parmi
nous qui nous permette d'adopter et de créer un
mode absolument nouveau de constitution. Que disent
en effet les pouvoirs les plus impératifs sur l'opinion
par tête ? de se retirer, si l'on vote par ordre. Cette
recommandation est très-différente de celle de s'établir
les seuls représentans connus de la nation, qui est une
attaque directe aux autres ordres. Cette attaque pro
voque dans l'instant une défense , une résistance , une
scission ; et c'est-là , messieurs, le malheur que je
desirerai toujours d'éviter.
Nous l'éviterons, en restant ce que nous sommes,
les représentans du peuple, ou de la majeur partie de la
nation. Car l'une et l'autre désignation nous convien
nent également. Je demande seulement qu'on prenne
en considération les arrêtés proposés; et j'adopte de
préférence ceux qui donnent un plus grand §
ment à nos motifs. - - -
( 54 )

Séance du 2o juillet.

(Ntoa. C'est dans cette séance qu'on proposa l'éta


blissement d'un comité de constitution ; je demandai
la permission de lire les articles suivans ; comme pré
sentans le résumé de toutes les idées éparses dans
plusieurs cahiers et divers écrits publiés sur la consti
tution. )

PROJET DE C O N S TITU T I O N.

TITR E I.

Des droits et des principes constitutifs.

LE s représentans de la nation , munis de ses pou


voirs pour fixer la constitution de l'état, déterminer
les droits et l'exercice de la puissance législative et de
la puissance exécutive, considérant que la liberté,
l'ordre et la félicité publique ne peuvent être solidement
fondés que sur les principes immuables de la justice et
de la raison, que l'homme est sorti libre des mains
de la nature, qu'en devenant membre d'une société po
litique , son intention a été de mettre ses droits naturels
sous la protection d une force commune, lesdits repré
sentans réunis en assemblée nationale , reconnoissent
de l'homme et consacrent à jamais comme inviolables,
les droits et du citoyen ; déclarent :
· ARTICLE 1. Que la nation Française est éminemment
libre et indépendante de toute autorité, pactes, tributs,
lois et statuts qu'elle ne consentiroit pas à l'avenir.
2. Que le culte public volontairement adopté par le
peuple Français , doit être religieusement pratiqué et
dirigé par l'église gallicanne, sans qu'aucun citoyen ou
étranger puisse être troublé ou inquiété dans l'exercice
d'une autre réligion.
( 55 )
3. Que la volonté générale est que les provinces et
oays composant l'empire Français soient soumis à un
gouvernement monarchique, sans altération ni déroga
tion aux principes et aux droits nationaux qui consti
tuent un tel gouvernement.
4. Que la nation a seule le droit , et conſère à ses
représentans l'exercice du pouvoir législatif, conjoin
tement avec le roi. - -

5. Que le roi et ses successeurs légitimes en ligne


directe , sont et scront personne sacrée et inviolable,
chef suprême de la nation, dépositaire inamovible de
la puissance royale, ayant reçu indivisiblemen le pouvoir
de gouverner et administtrer l'état , conformément aux
lois proposées, consenties et promulguées en l'assem
blée des états-généraux, ayant spécialement reçu le
droit de commuer et remettre les peines encourues par
les coupables , de distribuer les dignités et emplois
ecclésiastiques , civiles et militatres , de faire rendre
la justice dans les tribunaux légalement établis, de
pourvoir à la sûreté intérieure et extérieure de l'em
pire , de déclarer la guerre , faire la paix, contracter
des âlliances , conſirmés par les représentans de la
nation , et d'avoir dans toutes les parties de l'ad
ministration civile et politique , une autorité légale,
ponctuellement obéie , sous les peines prononcées, ou
qui seront prononcées par les lois. -

6. Qu'âucune personne, prince ou magistrat autres


que les représentans de la nation assemblée, n'ont le
droit et le pouvoir d'arrêter et proposer au roi, aucune
contribution , lois, statuts , création , réformation et
suppression des tribunaux , ou de consentir et sanc
tionner de tels aetes dans le cas où ils seroient propo
sés par le roi. -

· 7. Que tous les pouvoirs législatifs et exécutifs


doivent être essentiellement et continuellement em
ployés à protéger la vie, la liberté, l'honneur et la
propriété de tous les citoyens, de sorte que chacun ne
soit responsable de sa conduite qu'aux lois , et n'ait
à redouter dans aucun cas, le pouvoir arbitraire d'au
cun magistrat ou agent de la puissance exécutive,
( 56 )
8. Que l'assemblée nationale sera permanente et
organisée, ainsi qu'il sera ci-après statué.
9. Que tout accusé doit être jugé , coupable ou non
coupable, par ses pairs , avant que le tribunal devant
lequel il est traduit, puisse prononcer une peine.
1o. Qu'il est libre à tout citoyen de§ pour sa
propre défense ou pour l'instruction publique, tOut Ce
qu'il avisera , en demeurant responsable de ses écrits.
1 1. Qu'aucune considération politique, aucun besoin
ou service pnblic ne pouvant prévaloir sur le droit que
tout homme a à sa propre subsistance , ceux dépour
vus de toute propriété, tels que les manœuvres et jour
naliers, ne peuvent être soumis à aucune contribution
personnélle.
12. Que tous les impôts doivent être mesurés sur
les besoins effectifs de§ et également supportés
par tous les citoyens, proportionnellement à leur ſor
tune , sans distinction ni privilége pour qui que ce
soit. -

13. Qu'il ne peut être établi, ni toléré à la charge


de la nation , aucun droit abusif.
14. Que tous les citoyens, de quelque rang et con
dition qu'ils soient , ont droit à toute profession et in
dustuie légitime, et peuvent être promus aux honneurs
et dignités ecclésiastiques, civils et miliiaires, propor
tionnellement à leur mérite, talens et services.
15. Que tout officier et bas-officier de l armée de
terre et de mer, avant d'être admis en son grade, sera
tenu de prêter serment de ſidélité au roi et à la nation.
16. Qu'aucune troupe militaire ne peut être em
ployée, même en cas d'émeute , contre le peuple, que
sur la réquisition d'un magistrat civil, ou d'après une
proclamation royale, scellée et contresignée par le
chancelier , qui en sera responsable. -

17. Que les principes élémentaires de la législation


et les droits constitutifs de la nation seront professés
et enseignés dans tous les colléges et maisons d'édu
cation. -

TITRE
( 57 )

T I T R E I I.

De l'organisation et du pouvoir de l'assem


blée nationale et des assemblées provin
ciales et municipales.
ARTIcLE 1. LE premier mai de chaque année, il y -
aura dans toutes les villes, bourgs et villages du royau
me, une réunion d'habitans de toutes les classes chez
le plus ancien de chaque famille, et un des membres
sera député à l'assemblée de paroisse qui se tiendra le
même jour sous la présidence du syndic, ou premier
officier municipal. -

2. Les paroisses composées de plus de mille feux ,


seront divisées en assemblées de quartier , et chaque
quartier enverra à l'assemblée de paroisse le dixième
de ses députés. - - +

3. L'assemblée de paroisse élira ses représentans


annuels à raison de trois sur cent feux, et ils formeront
le conseil municipal.
4. Tous les deux ans, le premier de juin, les repré
sentans d'un nombre de paroisses formant dix mille
feux , se rassembleront dans le lieu principal de leur
arrondissement , et nommeront en commun douze dé
putés, dont quatre seront choisis parmi les propriétai
res de fiefs , deux dans le clergé, et six dans toutes
les classes de citoyens propriétaires de quinze cents
livres de rente au moins en fonds de terre. .
5. Toutes les députations semblables d'un même dis
trict formeront les états provinciaux. . , ' .

6. Tous les trois ans, le premier de juillet, chaque


état provincial députera la douzième partie de ses mem
bres à l assemblée nationale qui sera permanente dans
la capitale , et dont les membres seront ainsi renouvelés
au bout de trois années , dans les vacances et roroga
tions d'une session à l'autre, déterminées par l'assem
blée et par le roi, et qui ne pourront excéder un in
tervalle de trois mois. - - -

jH
( 58 )
7. L'assemblée nationale sera divisée en deux cham
bres, dout la première appelée chambre des communes,
sera composée de tous les députés nobles ou non no
bles, même des ecclésiastiques qui auront été élus
comme représentans des communes. La seconde sera
· composée de tous les députés laïcs et ecclésiastiques
élus en qualité de propriétaires de fiefs, ayant dix mille
livres de rente au moins, en fonds de terre. Elle sera
nppelée chambre du conseil. Nul ne pourra être élu
reprèsentant avant 25 ans accomplis, et admis à la
· chambre du conseil avant 3o ans.
8. Les deux chambres se réuniront pour nommer
· un président et deux vice-présidens de l'assemblée na
tionale , un greffier en chef et des secrétaires, lesquels
seront choisis parmi les membres de l'assemblée , et
amovibles à sa volonté. La chambre des communes
nommera particulièrement un promoteur et deux assis
.tans; et la chambre du conseil élira parmi les magis
, trats et gens de loi qui ne seront pas membres de l'as
· semblée, douze commissaires qui auront séance au par
uet de la chambre et voix consultative seulement.
9. Toutes les affaires de législation , plaintes , péti
tions et propositions quelconques, seront portées à la
chambre des communes où elles seront discutées et
, délibérées en la forme prescrite par ses propres régle
mens, et l'arrêté des communes sera dans le jour porté
à la chambre du conseil , pour y être discuté et déli
béré. Dans le cas où à la majorité des voix, l'arrêté
des communes seroit admis par la chambre du conseil ,
il seroit de suite présenté au roi, pour recevoir la sanc
· tion royale , et converti en acte législatif.
1o. Si le roi refuse sa sanction à un arrêté approuvé
, par les deux chambres, il sera regardé comme non
avenu pendant la présente session.
1 1.Si la chambre du conseil rejette une résolution
, de celle des communes en matière de législation et
d'administration , elle chargera ses commissaires-ma
, gistrats de faire le rapport motivé de sa décision à la
chambre des communes, en y joignant leur propre avis,
, sur quoi les représentans des communes prendront une
mouvelle délibération, qui ne pourroit être que d'an
/
- ( 59 )
nuller leur arrêté, ou de requérir la réunion des cham-,
bres, pour discuter de nouveau la matière , et en dé-,
libérer en commun. Alors, et dans ce cas seulement,
la décision ne pourra être formée que par une majo
rité de voix des deux tiers; à déſaut de quoi, l'arrêté.
remis en délibération, seroit irrévocablement annullé
pendant la présente session.
12. Le promoteur et ses assistans dans la chambre
des communes, seront spécialement chargés de la re
cherche et dénonciation de tous les abus d'autorité ,
prévarications, déprédations, vexations, deni de justice,.
interprétations § ou inexécution des lois de,
la part des administrateurs et magistrats individuels et,
collectifs. Ils en feront le rapport à la chambre qui or
donnera les informations à la poursuite et diligence du
N
promoteur. - -

13. Tout accusé, de quelque rang et condition qu'il


soit, et en quelque dignité ou office qu'il soit constitué,.
cité à la barre de la chambre, sera obligé d y compa
roître et de subir l'interrogatoire qui sera ordonné.
4. S'il résulte des informations et interrogatoires
quºi y a eu lieu de poursuivre nn jugement, l'accusé.
sera renvoyé à la chambre du conseil. Alors les pairs
de France y seront appelés, et eux séant à la droite
du président, la chambre se formera en cour suprême
de justice, et jugera souverainement, eui le rapport
et les conclusions des commissaires-magistrats. .
L'assemblée nationale déterminera#l espèce , la qua
lité , la distribution et la durée des impôts , se fera
rendre compte de toutes les recettes et dépenses de l'é
tat dans les divers départemens , et nommera annuelle
ment une commission des deux chambres pour les véri
fier. Elle examinera et réformera successivement toutes
les parties de la législation et de l'administration,civile
et militaire, abrogera les anciennes ordonnances dont
les inconvéniens auront été reconnus ; et formera un
nouveau code nationale , civil et criminel , dans lequel
seront classés tous les droits et actions civils , les délits
et les peines, les formes de procédures, instructions et
jugemens déterminés conséquemment aux mœurs , aux
l§ et au vœu général de la ºiºi
l1 º)
( 6o )
16. Les états provinciaux seront chargés de diriger
et inspecter la répartition des impôts, des recettes et
dépenses de la province , le versement des contribu
tions dans la caisse nationale , les chemins, canaux ,
manufactures et établissemens publics , les collèges et
les maisons d'éducation.
17. Les états provinciaux ne pourront rendre en
leur nom aucune ordonnance qu'en ce qui concerne
les recettes et dépenses de la province , leur vérifica
tion et la répartition des impôts. Sur tous les autres
objets de police et d'administration, ils s'adresseront
au roi , ou aux commissaires de sa majesté , qui ,
sur leurs remontrances; et après en avoir rendu compte
au roi , ordonneront ce qu'il appartiendra.
18.Les représentans des paroisses formant le conseil
d'une ville ou d'un bourg, éliront les officiers muni
cipaux, chargés de la police et administration des fonds
de la communauté sous les ordres des états provinciaux.
Ils arrêteront en commun la répartition des impôts
assignés sur la paroisse, relativement à l'évaluation des
terres et biens-fonds , lesquels seront cadastrés.
19. Les états provinciaux, les municipalités et leurs
délégués seront tenus de rendre compte régulièrement
aux commissaires de sa majesté, de tous les détails de
leur administration , et s'il y a négligence , abus ou
prévarication, lesdits commissaires du roi feront assem
bler extraordinairement les états provinciaux ou les
conseils de ville, pour en connoître et y remédier ,
en faisant poursuivre et informer contre ceux qui seroient
prévenus de prévarications. -
( 61 )

T I T R E I I I.

De la délégation et subdivision du pouvoir


exécutif

A R T 1 c L E P R E M I E R.

Le pouvoir exécutif agira conformément au texte et


à l'esprit de la loi. - -

2. Toutes les parties de l'administration civile, mili


taire et politique, étant immédiatement sous l'autorité
du roi, sa majesté s'en fera rendre compte directement
par les administrateurs individuels et collectifs , ou
indirectement par ses représentans qu'elle autorisera à
transmettre ses ordres. Dans ce dernier cas, lesdits
représentans ou délégués ne pourront réunir les pou
voirs civils et militaires ; et ceux auxquels le pouvoir
judiciaire aura été départi , ne pourront connoître
d'aucun autre détail d'administration militaire ou civile.
3. Le pouvoir militaire transmissible par le monar
que, consiste à commander les troupes, à les faire
agir pendant la guerre contre les ennemis de l'état, à
les tenir pendant la paix dans une exacte discipline
dans les garnisons, dans les camps ou dans les routes ;
à juger dans les conseils de guerre tous les délits mili
taires et à faire exécuter lesdits jugemens.
4. Aucun citoyen exerçant une profession ou emploi
civil , ne peut être dans aucun cas soumis au pouvoir
militaire. Et si la sûreté intérieure de l'état exige en
certaines circonstances le secours et l'emploi des trou
pes , les commandans desdites troupes attendront la
réquisition du magistrat civil. •• • • * -

- 5. Le pouvoir d'administration transmissible par le


roi, consiste à diriger la haute police du royaume , les
recettes et dépenses de l'état dans les. départemens à
\
( 62 )
inspecter, consentir ou empêcher les actes d'adminis
tration des états provinciaux, des villes et communau
tés, à suivre et rendre compte des relations politiques
de la France avec les étrangers , des entreprises du
commerce et de la navigation , des travaux et des
besoins de l'agriculture, à régler tous les détails écono
miques de la guerre et de la marine , à préparer par une
inspection exacte et des comptes rendus avec fidélité,
les décisions du monarque sur tout ce qui intéresse
l'ordre public, la sûreté intérieure et extérieure de
l'état , la protection des bonnes mœurs, du culte public
et des arts. !

6.Le pouvoir d'administration agira conformément au


texte et à l'esprit des lois, sans infliger aucune peine
afflictive autre que la révocation des employés qui lui
sont subordonnés; et s'il y a lieu d'arrêter aucun citoyen
our prévarication, malversation , désobéissance aux
† il sera remis dans l'instant par l'administration ,
entre les mains de son juge naturel, pour être son
procès instruit dans les formes légales. -

7 Tout administrateur sera comptable par lui-même


et ses subordonnés de l'autorité qui lui sera départie , .
et des détails économiques qu'il dirigera , mais ne
pourra être , à raison de ses fonctions , cité et accusé
que devant l'assemblée nationale. -

8. Le pouvoir judiciaire sera circonscrit dans les


contestations relatives aux droits et actions civils ; et
dans le cas d'infraction des lois qui garantissent la
propriété et la sureté des citoyens , il agira conformé
ment au texte littéral de la loi, sans pouvoir s'en
§ - -

· 9. Il y aura deux déglés de jurisdiction supérieure et


· inſérieure soumis aux mêmes formes de procédures,
instruction et jugement , lesquelles seront réglées avec
mne telle simplicité et clarté que chacun puisse obtenir
justice le plus promptement et aux moindres frais pos
sibles, -

1o. L'étendue territoriale de chaque jurisdiction su


périeure et inférieure sera réglée convenablement aux
besoins des justiciables, et chaque province aura au
moins un tribunal souverain.
-
( 63 )
11.Tout citoyen pourra se défendre par lui-même, ou
par procureur en matière civile et criminelle.
| 12. Il sera établi, en matière criminelle seulement,
un ordre de jugement préalable par jurés, avant que
les juges puissent prononcer une peine afflictive contre
l accusé. S'il est absous par les jurés , il sera renvoyé ;
s'il est jugé coupable, il lui sera permis d'appeller à
la cour souveraine qui ne pourra aggraver la peine pro
noncée par le premier juge.
13. Tous les tribunaux d'exception seront supprimés.
14. La vénalité des charges sera abolie. Elles seront
successivement remboursées par les états provinciaux
au décès de chaque titulaire , et toutes les charges de
judicature seront à la nomination du roi , sur la pro
position des états provinciaux qui présenteront trois
sujets pour une place vacante.
15 S'il y a plainte et recours au roi en matière ci
vile contre un arrêt d'une cour de justice , sa majesté
fera examiner dans son conseil les motiſs de la plainte,
et casser, s'il y a lieu , l'arrêt en question, pour être
l'affaire renvoyée à un autre tribunal ; et il sera rendn
| compte à l'assemblée nationale des cassations motivées
par une infraction manifeste de la loi. -

T I T R E I V.

Des Mœurs.

A R T 1 c L E P R E M 1 E R.

Chaque communaute, chaque ville, chaque province


assistera les pauvres, et pourvoira au soulagement des
infirmes de son territoire. Le pouvoir exécutif veillera
à ce que cette obligation soit religieusement remplie ,
. à ce qu'une charité active et éclairée prévienne la men
dicité ; et à ce que dans l'étendue du royaume aucun in
dividu ne manque de secours, de travail et de subsis
ianCe . -
( 64 )
2. Il y aura dans tous les états provinciaux un registre,
ouvert sous le nom de registre d'honneur, où seront
inscrits, par les états, tous les citoyens qui se seront
distingués par des actes de bienfaisance , de vertu, par
des services utiles et par des talens supérieurs ; ils
pourront être par une délibération des états proclamés
très-dignes ou très-illustres citoyens.
, 3.Les principes de l'éducation publique seront puisés
dans la morale, l'histoire et les lois nationales.
4. Il y aura dans tous les théâtres et spectacles pu
blics , un jour chaque mois , destiné à célébrer la mé
moire des grandes actions et des hommes illustres de
la nation.
5. Il y aura une fête nationale célébrée annnelle
ment le jour où sera promulguée la constitution , et
des prix seront décernés dans toutes les classes de ci
. toyens aux pères et mères de famille dont les enfans
se seront distingués par leurs talens et leurs bonnes
Ill08 ll1'S.

6. Les hommes qui se feront remarquer par une con


duite déréglée , seront éloignés de toutes les charges
et emplois publics.
7. Il ne pourra être fait aucun changement à la cons
titution que sur la demande de la moitié dos états pro
vinciaux du royaume.

OPINION de M. Malouet, sur la déclara


ration des droits de l'homme, dans la séance
du 2 aoiit.

M E s s 1 E U R s,
I

C'est avec l'inquiétude et le regret du tems qui s'é


coule , des désordres qui s'accumulent, que je prends
la parole. Le moment où nous sommes exige plus d'ac
tion et de réflexiou que de discours. La nation nous at
- tend ;
( 65 ) -

tend ; elle nous demande l'ordre, la paix et les lois


protectrices. Que ne pouvons-nous , Messieurs , sans
autre discussion, les écrire sous la dictée de la raison
universelle , qui, après l'expérience de vingt siècles ;
devroit seule parler aujourd'hui ! car elle a tout ensei
gné , et ne laisse plus rien de nouveau à dire aux plus
éloquens, aux plus profonds publicistes.
Mais , lorsque dans des circonstances pressantes, en
présence de la nécessité qui" s'avance , des hommes
| éclairés semblent essayer leurs forces, on doit céder à
l'espoir, ou au moins au desir d'arriver à un résultat
précis; et d'accélérer votre travail. - -

La question qui vous occupe † éncore , et tel


est l'inconvénient de toutes les discussions métaphysi
ques ; elle présente, dis-je, une somme égale d'objec
tions et de motifs pour et contre. - -

On veut une déclaration des droits de l'homme, parce


qu'elle est utile, et le préopinant l'a démontrée en en
réduisant l'expression. Plus étendue, telle qu'on l'a
proposée, on la rejette comme dangereuse.
On vous a montré l'avantage de publier, de consacrer
toutes les vérités qui servent de fanal , de ralliement et
d'asyle aux hommes épars sur tout le globe. On oppose
le danger de déclarer d'une manière ahsolue les princi
pes généraux du droit naturel, sans les modifications du
droit positif. Enfin , à côté des inconvéniens et des mal
heurs qu'a produits l'ignorance , vous avez vu les périls
et les désordres qui naissent des demi-connoissances et
de la fausse application des principes. .
Des avis si différens se réunissent sur l'objet essen
tiel : car une différence de formule et d'expression , un
résumé plus précis ou une plus longue énumération des
principes , n'importent pas au bonheur, à la liberté des
Français. *. - -

Certes , je ne balance pas à dire qu'il n'est aucun des


droits du citoyen qui ne doive être constaté et garanti
par la constitution.
Les droits de l'homme et du citoyen doivent être sans
cesse présens à tous les yeux. Ils sont tout-à-la-fois là
lumière et la fin du législateur : car les lois ne sont
que le résultat et l'expression des droits º,des devoirs
( 66 )
naturels , civils et politiques. Je suis donc loin de regar
der comme inutile le travail présenté par le comité. On
ne peut réunir en moins de paroles , de plus profonds
raisonnemens, des idées plus lumineuses, de plus im
ortantes vérités. Mais convertirons-nous en acte légis
atif cet exposé métaphysique ? ou † les
principes avec leur modification dans la constitution
que nous allons faire ? Je sais que les Américains n'ont
pas pris cette précaution ;ils ont pris l'homme dans le
sein de la nature , et le préséntent à l'univers dans sa
souveraineté priinitive. Mais la société américaine nou
vellement formée, est composée, en totalité, de pro
priétaires déjà accoutumés à l'égalité, étrangers au luxe
ainsi qu'à l'indigence , connoissant à peine le joug des
impôts, des préjugés qui nous dominent, n'ayant trouvé
sur la terre qu'ils cultivent aucune trace de féodalité.
De tels hommes étoient sans doute préparés à recevoir
la liberté dans toute son énergie : car leurs goûts ,
leurs mœurs , leur position les appelloient à la démo
Crat1C.

Mais nous, Messieurs , nous avons pour concitoyens


une multitude immense d'hommes sans propriété, qui
attendent , avant toute chose, leur subsistauce d'un
travail assuré , d'une police èxacte , d'une protection
continue, qui s'irritent quelquefois , non sans de justes ,
motifs, du spectacle du luxe et de l'opulence.
| On ne croira pas , sans doute , que j'en conclus que
cette classe de citoyens n'a pas un droit égal à la li
berté. Une telle pensée est loin de moi. La liberté doit
être comme l'astre du jour qui luit pour tout le monde.
Mais je crois, Messieurs, qu'il est nécessaire , dans un
grand empire, que les hommes placés par le sort dans
une condition dépendante, voient plutôt les justes limi
tes que l'extension de la liberté naturelle.
Opprimée depuis long-tems , et vraiment malheu
reuse, la partie la plus considérable de la mation est
l,ors d'état de s'unir aux combinaisons morales et politi
ques qui doivent nous élever à la meilleure constitution.
Hâtons-nous de lui restituer tous ses droits, et faisons
l'en jouir plus sûrement que par une dissertation. Que
de sages institutions rapprochent d'abord les classes
•.
( 67 )
heureuses et les classes malheureuses de la société.At
taquons dans sa source ce luxe immodére, toujours
avide et toujours indigent, qui porte une si cruelle at
teinte à tous les droits naturels. Que l'esprit de fa
mille qui les rappelle tous, l amour de la patrie qui
les consacre , soient substitués parmi nous à l'esprit de
corps, à l'amour des prérogatives , à toutes les vanités
inconciliables avec une liberté durable, avecl'élévation
du vrai patriotisme. Opérons tous ces biens, Messieurs,
ou commençons au moins à les opérer avant de pronon
cer d'une manière absolue aux hommes souffrans, aux
hommes dépourvus de lumières et de moyens, qu'ils
sont égaux en droits aux plus puissans, aux
tunés. | . - • ••
plus for
· · ,, ,: !
"

C'est ainsi qu'une déclaration de droits peut être


utile , ou insignifiante ou dangereuse, suivant la cons
titution à laquelle nous serons soumis. - -

· Une bonne constitution est l'effet ou la cause du meil


leur ordre moral. Dans le premier cas, le pouvoir cons
tituant ne fait qu'obéir aux mœurs publiques, Dans le
second, il doit les réformer pour agir avec efficacité.
Car il faut détruire et reconstruire ; il faut élever le
courage des uns en leur marquant un terme qu'ils ne
doivent point dépasser; il faut diriger l'orgueil des au
tres sur de plus hautes destinées que celles de la faveur
et du pouvoir , assigner de justes mesures aux avanta
ges de la naissance et de la fortune, marquer enfin la
véritable place de la vertu et des dons du génie.
Tel est , Messieurs, vous le savez , le complément
d'une bonne constitution ; et comme les droits de l'hom
me en société doivent s'y trouver développés et garan
tis , leur déclaration peut en être l'exorde ; mais cette
déclaration législative s'éloigne nécessairement de
l'exposé métaphysique et des définitions abstraites
qu'on voudroit adopter. , ' . " · · · ·· · ·
Remarquez , en effet , Messieurs, qu'il n'est aucun
des droits naturels qui ne se trouve modifié par le
droit positif Or, si vous présentez le principe et l'excep
tion : voilà la loi. Si vous n'indiquez aucune restriction ,
pourquoi présenter aux hommes, dans toute leur plé
• . v I a
( 68 )
mitude, des droits dont ils ne doivent user qu'avec de
justes limitations ?
Je suppose que dans cette conception des droits nous
n'ayons aucun égard à ce qui est, que toutes les formes
de gouvernement soient des instrumens libres entre nos
mains; aussi-tôt que nous en auront choisi une, voilà
dans l'instant même l'homme naturel et ses droits mo
difiés. Pourquoi donc commencer par le transporter sur
une haute montagne , et lui montrer son empire sans
limites, lorsqu'il doit en descendre pour trouver des
bornes à chaque pas ? -

Lui direz vous qu'il a la libre disposition de sa per


sonne, avant qu'il soit à jamais dispensé de servir mal
gré lui dans l'armée de terre et de mer ? qu'il a la libre
disposition de son bien , avant que les coutumes et les
lois locales qni en disposent contre son gré, ne soient
| abrogées? Lui direz-vous que dans l'indigence il a droit
au secours de tous, tandis qu'il invoque peut-être en vain
la pitié des passans, tandis qu'à la honte de nos lois
et de nos mœurs, aucune précaution législative n'atta
che à la société les infortunés que la misêre en sépare ?
Il est donc indispensable de confronter la déclaration
des droits , de la rendre concordante avcc l'état obligé
dans lequel setrouvera l'homme pour lequel elle est faite.
C'est ainsi que la constitution française présentera l'al
liance auguste de tous les principes, de tous les droits
raturels, civils et politiques ; c'est ainsi que vous évite
rez de comprendre parmi les droits des articles qui ap
partiennent à tel ou tel titre de législation.
Telle est la considération qui m'avoit fait adopter
de préférence dans le projet : que j'ai présenté, un pre
mier titre des droits et principes constitutifs. Car, en
core nne fois, tout homme pour lequel on stipule une
exposition de ses droits, appartenant à une société, je
ne vois pas comment il seroit utile de lui parler comme
s'il en étoit séparé. - - * • - -- •

J'ajoute, Messieurs , une dernière observation : les


discussions métaphysiques sont interminables. Si nous
nous y livrons une fois, l'époque de notre constitution
s'éloigne , et des périls certains nous environnent. Le
( 69 )
gouvernement est sans forces et sans moyens, l'autorité
avilie, lestribunaux dans l'inaction; le peuple seul est en
mouvement.La perception des impôts, toutes les dépen
ses augmentent, toutes les recettes diminuent.Toutes les
obligations onéreuses paroissent injustes. Dans de telles ,
circonstances, une déclaration expresse des principes
· généraux et absolus de la liberté, de l'égalité naturelle,
peut briser des liens nécessaires. La constitution seule
peut nous préserver d'un déchirement universel. Je pro
pose donc pour l'accélérer, qu'en recevant comme ins
truction le travail du comité, et renvoyant à un dernier
examen la rédaction d'une déclaration des droits, on
Commence dès ce soir dans les bureaux, et demain dans
l'assemblée , la discussion des principes du gouverne
ment Français, d'après le plan de M. Mounier ou de
tout autre ; que la discussion soit fixée par titres et par
articles, que le comité de rédaction soit chargé de re
cueillir le résultat des discussions et des changemens
proposés à chaque séance, et qu'un jour de la semaine
soit assigné pour la délibération des articles discutés,
Tel est mon avis.
( 7o )

Nota. La discussion publique de cette motion pou


vant avoir des inconvéniens si l'exécution de l'établis
sement proposé rencontroit des obstacles , on a préféré
de la soumettre à l'examen de messieurs dans les
bureaux. -

Séance du 2 août, sur la mendicité et les


secours à accorder aux indigens.

M E s s I E U R s,

• r ::

C'est travailler à la constitution, c'est en assurer


le succès, que de fixer un moment votre attention sur
le nouvel ordre des choses qu'elle va opérer , et sur
la transition subite de l'état ancien de la nation à un
état nouveau.
Un plan successif d'amélioration et de réformes dans
un gouvernement, laisse le tems de remplir tous les
vides , de pourvoir à tous les déplacemens d'hommes
et de choses , et d'ordonner complettement chaque
artie à mesure qu'elle subit l'examen du législateur.
† lorsque sans autre préparation qu'une longue
suite de malheurs , sans autre précaution qu'une volonté
toute puissante , une grande nation passe subitement de
la servitude à la liberté , lorsque tous les abus et ceux
qui en profitent sont à la fois frappés du même coup ,
il se mêle nécessairement, messieurs , à ces nobles ef
forts du patriotisme , un sentiment d'inquiétude et de
terreur sur les périls et les désordres momentanés dont
un tel ébranlement menace les différentes classes de
la société,
( 71 )
Nous avons proscrit les fautes et les erreurs de plu
sieurs siècles; l'expérience et les lumières de tous les
âges vont présider à notre constitution. Mais l'exposi
tion des meilleurs principes, est la moindre partie des
devoirs et des talens du législateur : et lorsqu'il ne
laisse appercevoir que des motifs et des vues généra
les, il faut encore qu'il connoisse tous les détails inté
rieurs , et qu'il agisse sur tous les ressorts de la société
pour en régler le mouvement, en prévenir les écarts,
concilier le présent avec l'avenir , les institutions nou
velles avec les besoins du moinent , et la vie morale
de l'état avec son existence physique. Cette réflexion ,
messieurs, s'applique à notre position. \

L'état périssoit par la multitude et la gravité des


abus que vous allez réformer. Mais il n'est peut-être
pas un de ces abus qui ne soit actuellement la ressource
de ceux qui y participent, et † ne soit lié à la subsis
tance de diverses classes de salariés. " - -

Un grand nombre d'emplois ou de fonctions publiques,


de graces non méritées, de traitemens exagérés et de
moyens abusifs de fortune, doit être supprimé ou réduit.
Un nouvel ordre et plus de simplicité dans la régie des
finances, dans l'administration de la justice, dans la
représentation des grandes places , va influer graduel
lement sur tous les états, d'où résulteront deux effets
certains ; l'un, dont la perspective ne peut être que
consolante et salutaire , est la diminution du luxe :
l'autre, plus prochain, plus pressant , est le désœuvre
ment instantanée et la cessation des salaires ou profits
d'un grand nombre d'individus , domestiques; ouvriers
et employés de toute especce. Delà suit encore la
diminution des aumônes pour les pauvres , celle des
consommations pour les riches , ce qui occasionnera
aussi momentanément une réduction dans les proſits des
marchands et entrepreneurs. .
Un vice particulier à la France, rend toutes ces ré
formes aussi nécessaires que leur effet pourroit être dan
gereux , si on ne se hâtoit d'y pourvoir. Il n'existe
dans aucun autre état policé , et nous me trouvous
dans l'histoire d'aucun peuple, une aussi grande quan
tité d'officiers publics et d'employés de tous les gen
( 72 - --

res, à la charge de la société , qu'il y en a pafmi'


IlOllS. -

D'un autre côté, la diminution du travail et de


l'industrie dans les classes productives , fait depuis
quelques années des progrès effrayans : plusieurs ma
nufactures et grand nombre de métiers ont été aban
donnés dans plusieurs provinces ; des miliers d'ouvriers
sont sans emploi ; la mendicité s'est accrue sensibie
ment dans les villes et dans les campagnes. Le com
merce maritime est frappé de la même inertie. Les
étrangers partagent nos pêcheries et notre cabotage
es armemens diminuent quoique le fret de nos vaisseaux
| soit à haut prix. Soit que cet état de langueur du com
merce intérieur et extérieur dépende de celui de l'agri
culture trop imposée et desséchée par les spéculations
de l'agiotage , soit qu'il résulte du désavantage de
nos relations politiques avec les puissances étrangères ;
de cette multitude de réglemens et de droits fiscaux
qui obstruent tous les canaux de l'industrie , ou enfin
de la réduction des capitaux que les agens du com
merce y consacrent, parce que le luxe , la vanité , le
grand nombre de charges et d'emplois stériles, éloi
† malheureusement de tous les travaux productifs
es hommes qui s'y sont enrichis ; quelle que soit enfin
la cause du mal , il existe, et notre devoir pressant,
le grand intérêt national est de le ſaire cesser. Or, re
marquez , messieurs, que ce mal si funeste, ce dé
sœuvrement de plusieurs salariés, cette diminution de
travail et des moyens de subsistance dont nous nous plai
gnons aujourd'hui, va s'aggraver demain par une ces
sation de gages et de salaires d'une multitude d hom*
mes qui subsistoient hier directement ou indirectement
de la solde des abus ou des fonctions publiques , ou
des divers revenus que nous allons supprimer ou
réduire.
Ainsi , par la suite d'un mauvais systême de com
merce, par tous les vices de notre économie politi*
que et rurale, le désœuvrement, la mendicité, la
misère, affligent une portion considérable de la nation ;
et par la suite de vos opérations , messieurs, qui ten
dent au rétablissement de l ordre , si vous les séparez
des
( 73 ) +

mesures et des précautions de détails qu'il est en votre


pouvoir d'employer, vous augmenterez infailliblement
le désœuvrement, la mendicité et la misère.
Il ne s'agit point ici de vaines hypothèses ou seule- .
munt de probabilités. Ce sont des faits positifs que je
vous annonce. Aucun homme instruit ne peut contester
, l'état actuel du commerce et des manufactures. Le
spectacle des villes et des campagnes , les prélats , les
pasteurs charitables, tous les préposés du gouvernement .
déposent avec moi de la misère publique , et tout ob
servateur attentif des effets momentanés de la révolution
présente , en voit l'accroissement certain si vous n'y
pourvoyez. - , - - º

Sans doute la liberté vaut la peine d'être achetée


#plus,
des maux passagers ; mais ceux qui en souffriront
e en jouiront le moins ; et quand un sentiment de .
justice et d'humanité ne suffiroit pas pour nous décider
à voler à leur secours , un intérêt puissant, celui de
la liberté même, nous y oblige ; car elle a deux espèces
d'ennemis également dangereux , les hommes puissans
et les hommes foibles, les favoris et les victimes de la
fortune. Remarquez en effet, messieurs, que dans
tous les âges, dans tous les pays, ceux qui n'ont rien, .
ceux dont la vie est un fardeau , ont toujours vendu .
leurs services et souvent leur liberté à ceux qui peuvent
la payer. - · · · -

· Je me reprocherois, messieurs, de vous avoir affli


gés par ces tristes détails, si je ne voyois la réparation
possible et prompte de tant de maux ; et c'est alors
que mon cœur s'ouvre à l'espérance et à la joie , en
appercevant la génération qui nous suit, jouir sans
trouble et sans orage, du superbe héritage que nous lui
transmettons. - - - -

Avant de vous exposer les mesures que je crois in--


dispensables dans les circonstances actuelles, je dois .
vous rappeler les principes et les moyens qui en assu
rent le succès. - , *

Toutes les dépenses stériles épuisent les nations ,


comme les grands propriétaires. Toutes les dépenses
utiles les enrichissent. - -- . -
r• *
:: .
-

- Toute nation riche et libre peut disposer dans son


( 74 ) -

propre sein , et sans aucun secours étranger , d'un


crédit immense qui n'a d'autres limites que ses capi
taux , et l'emploi bien ordonné d'un tel crédit, allége
ses charges au lieu de les aggraver.
Toute † intérieure de l'état, qui aura pour
objet de multiplier le travail, et de répartir les subsis
tances à tous les indigens , ne sera jamais qu'une
charge fictive pour l'état, car elle multipliera effecti
vement les hoinmes et les denrées.
Je crois , Messieurs, que dans une assemblée aussi
éclairée, ces assertions peuvent être considérées comme
démontrées, et qu'il seroit superflu de leur donner plus
de développement.
Je regarde donc comme certain, que nous verrons
bientôt notre constitution appuyée sur un systême de
Finances raisonnable , et vraiment digne d'une grande
nation, que la ressource ruineuse des emprunts dispa
roîtra, et que les moyens des grandes opérations se dé
velopperont avec elles.
Je reviens maintenant à celles que j'ai à vous pro
poser ; et si je vous indique une dépense nouvelle ,
commandée par la nécessité la plus irrésistible, celle
ci a le double avantage d'être au nombre des dépenses
productives, et d'appartenir également aux devoirs les
plus sacrés de tous les citoyens Elle peut donc être en
partie prélevée sur leurs jouissances et sur le crédit na
tional, dont la régénération doit bientôt et nécessaire
ment multiplier le numéraire fictif et effectif.
Mais examinons d'abord les différentes classes d'hom
mes sur lesquels doivent frapper les réformes et tous les
changemens qui se préparent.
Je ne parle point des déprédateurs ; s'ils existent ,
s'ils sont convaincus, tout ce qu'on leur doit et à la
nation, c'est de les punir. Après eux viennent les hom
mes inutiles et largement payés. Il en est de tous les
rangs , que justice en soit faite !
Mais les salaires modiques des liommes mêmes inu
tiles, les emplois, les fonctions nécessaires qui subi
ront des réductions, réclament des égards, et la justice,
la raison , la dignité même de la législation , en réfor
mant les abus, commandent de sages proportions. L'or
( 75 )
dre et ses bienfaits ne se séparent jamais de la modéra
tIOn . ' -

· Dans cette première classe d'individus directement


attaqués, les réformes, les déplacemens n'occasionne
ront que de moindres jouissances , et ce n'est pas-là ,
Messieurs, que je veux porter votre attention et vos
seCours. -

Les marehands , fabriquans et divers entrepreneurs


éprouveront tout de suite une diminution de profits ,
et déja il est nécessaire de leur préparer de nouveaux
débouchés. -

Mais c'est la classe indigente et salariée , celle qui


ne vit que de ses services et de son industrie , qui mé
rite toute votre sollicitude. C'est pour-elle qu'il faut
assurer des subsistances et du travail ; et quelques cal
culs approximatifs , en réunissant ceux actuellement
désœuvrés à ceux qui doivent l'être incessamment ,
m'en font porter le nombre à quatre cents mille indi
vidus. Tel est , Messieurs , l'objet des deux proposi
- tions par lesquelles je finis , travail et subsistances
\
fondées sur les obligations de la société envers ceux qui
en manquent et sur les ressources immenses de la na
tion, pour assurer l'un et l'autre. - -

On propose, 1°. qu'il soit établi par les assemblées


p† et municipales dans toutes les villes et
bourgs du royaume, et dans chaque paroisse des gran
des villes, des bureaux de secours et de travail, cor
| respondans à un bureau de répartition qui sera formé
dans la capitale de chaque province.
Les bureaux de répartition correspondans à un bureau
général de surveillance, qui sera permanent à la suite
de l'assemblée nationale. Les fonds des bureaux de se
cours seront formés de la réunion de tous ceux qui com
ºposent les établissemens de charité autres que les hôpi
taux , et le supplément sera fourni sur les contributions
de la paroisse , lesquelles seront remplacées par une
taxe équivalente sur tous les contribuables , et par
les moyens résultans du crédit national. - -

Aussi-tôt que les bureaux seront institués , on fera


appeler dans chaque paroisse tous les individus dépour
vus de travail et de subsistances. Il en sera dressé un
- . K 2 ,
· ( 76 ) -

rôle exact, contenant le signalement, profession et


domicile de chacun , et il sera assuré dans l'instant, à
tous ceux qui se présenteront, une nourriture suffisante
en argent ou en nature, sauf à employer ceux qui se
ront eu état de travailler dans les atteliers de la pa
roisse. - -

Dans le cas où il n'y auroit point de travaux publics


ou particuliers, propres à occuper les indigens dans la
aroisse de leur domicile , il en sera dressé un état au
† de répartition, contenant leur nom , âge , qua
lité, profession , et ledit bureau les distribuera dans la
province aux divers entrepreneurs d'arts et manufac
tures qui voudront s'en charger, et s'adressera pour
l'excédent au bureau général de surveillance, dans le
quel seront classés, par signalement et profession , tous
les hommes sans emploi dans les provinces.
Le bureau général sera spécialement chargé de pren
dre, dans les places et chambres de commerce , toutes
les informations nécessaires pour le meilleur emploi des
hommes qui seront inscrits sans salaire et sans occupa
tion. Ceux qui , sans avoir de profession décidée , se
· roient susceptibles de servir sur mer ou sur terre , y
seront destinés, et les hommes que l'on feroit venir des
provinces , pour suivre leur destination , voyageront
· par étapes aux frais des villes par lesquelles ils pas
seront. Tous les indigens ainsi avoués par leurs parois
ses, seront traités avec les égards dus à des citoyens
, malheureux. Les secours seront gradués proportionnel
lement à l'état et profession. Tous ceux qui n'appar
· tiendront au rôle d'aucune paroisse, et seront surpris
sans passe-port , seront arrêtés comme vagabonds, et il
en sera formé des escouades a la disposition des entre
preneurs des travaux des grands chemins.
Pour augmenter le travail et les salaires dans le
royaume , on propose : -
2o. De consulter toutes les chambres de commerce
et villes à manufactures , pour connoître les obstacles
qui s'opposent à l'accroissement du commerce et de
i'industrie nationales , les réglemens et établissement
qui y nuisent, ceux qui y contribueroient , et notam
ment les moyens les plus propres à augmenter le travail
( 77 )
et conséquemment les salaires par l'établissement de
nouveaux métiers et manufactures, et la restauration
des anciennes en leur destinant des secours.
Qu'il soit à cet effet formé dans l'assemblée natio
nale un comité de correspondance avec toutes les cham
bres de commerce et villes à manufactures.

OPINION de M. Malouet , sur la sanc


tion royale, dans la séance du 1 septem
bre 1789.

M E s s I E U R s,

Quest-ce que la sanction royale ?Devons-nous l'accor


der? Comment doit-elle être déterminée ? La solution de
· ces questions doit être la conséquence des principes
que vous avez déjà consacrés, ou qui sont unanime
ment reconnus par le peuple François, sur la puissance
qui lui appartient, et sur celle qu'il a conférée à ses
TOlS .

Je remarque d'abord que de tous les pouvoirs, celui


de sanctionner les lois est le seul auquel le despotisme
ne sauroit atteindre, et qu'il l'anéantit, parce qu'il ne
· peut l usurper. Le despote veut : il agit : il opprime :
, sa volonté s'exécute ; mais il ne peut en ſaire une
loi; car aucun homme libre ne l'accepte volontairement :
aucune puissance publique ne la sanctionne. --- La
volonté du despote , toujours errante dans ses états,
comme un orage sur l'horizon, n'a point de caractère,
point d'asyle inviolable. - Seul au milieu de tous ,
rapproché de la société par ses besoins , il en est séparé
par ſa terreur : maître absolu par la force , il est es
· clave aussi-tôt qu'une force supérieure se déploie :
enſin sa condition malheureuse est de cesser d'être, par
|>
( 78 )
la volonté générale, tandis que le bonheur du monar
que, sa puissance et sa gloire, consistent à en être
l'organe.
• Cependant dans tous les pays où un homme s'est
dit maître de la loi, supérieur à la loi , la superstition,
l'ignorance, ont annoncé sa puissance, comme une
émanation de la puissance célcste. --- Alors des for
mules religieuses ont été imaginées pour sanctionner
ses volontés ; et cette doctrine impie a fait du gou
vernement despotique une vérîtable théocratie. Mais
· chez les peuples même qui y sont soumis, la souve
raineté primitive de la société s'est manifestée sans
· obstacle, toutes les fois que la multitude a pu se
réunir. --- Un instinct impérissable la porte par inter
valle à s'établir juge suprême de la tyrannie, à briser
la force oppressive qu'elle a créée sans savoir l'ordon
ner, pour s'y soumettre de nouveau aveuglément : car
les mouvemens impétueux du peuple rendent bien sa
volonté redoutable ; mais il n'y a que ses mouvemens
réfléchis qui puissent la rendre législative. Ainsi, en
Asie, en Aſrique , et sur les confins de l'Europe , des
révolutions imprévues ébranlent les trônes, et avertis
· sent , fréquemment les princes de leur foiblesse , les
peuples de leur ſorce.
ll est donc vrai que par-tout où le peuple veut être
libre , il l'est ou le sera par le seul acte de sa volonté
SOllVeralne,

Il est donc vrai que toute souveraineté réside dans


la nation ; et c'est le principe que vous avez consacré.
Or, d'après ce principe , messieurs , que peut être
la sanction royale ? C'est un acte de souveraineté, par
lequel la loi est prononcée ; c'est un pouvoir commu
niqué par la nation qui les possède tous.
Mais pour en mieux juger, il faut examiner dans
quelle fin a été institué le magistrat suprême , auquel
le droit de sanctionner les lois peut être confié.
Il seroit absurde de croire que † prérogatives de la
couronne ont pour objet la satisfaction et les jouissances
- personnelles du monarque. Il n'en est aucune qui ne
doive trouver son origine et sa fin dans l'utilité géné
$. · rale. . - N.
( 79 )
Ainsi il est utile et nécessaire au repos, au bonheur
d'une grande nation, qu'il existe au milieu d'elle une
dignité éminente , et dont les fonctions, les pouvoirs,
soient constitués de telle manière que celui qui en est
revêtu, n'ayant aucun des soins , aucnne des ambitions
qui tourmentent les autres hommes, ne puissent trou
ver d'accroissement à sa fortune personnelle, que dans
le bonheur général. -

T'elle est parmi nous l'origine et la fin de l'auto


rité royale. La nation, en l'instituant, n'a entendu
communiquer que la portion de sa souveraineté, qu'elle
, ne peut exercer par elle-même, et qui'il lui convient de
faire exercer par un seul : ainsi elle s'est réservée la
puissance § et en confie l'exercice à ses repré
sentans librement élus. -- Mais ces mandataires alliant
à l'auguste fonction qui leur est momentanément dépar
tie, tous les soins , toutes les ambitions qui tourmen
tent les autres hommes , leur volonté, leur interêt per
sonnel pouvant se trouver en contradiction avec la
volonté et l'intérêt général, il convient à la nation
d'en exiger la garantie , de la part de celui qui est seul
au-dessus de tous les intérêts privés, et qui a un in
térêt éminent au maintien de la constitution par laquelle
il existe comme monarque, qui 1ie peut rien sans elle,
et qui, s'il agissoit contr'elle, tomberoit sous le joug
de la volonté générale qui le domine et le surveille.
Il suit de là , messieurs , que la sanction royale est
un droit et une prérogative nationale , conférée au
chef de la nation par elle-même , pour déclarer et
garantir qu'une telle résolution de ses représentans est
ou n'est pas l'expression de la volonté générale.
· La définition de cette prérogative de la couronne en
démontre déja l'utilité et la nécessité ; mais l'une et
l'autre s'appuient sur d'autres considérations. -

Le peuple , messieurs, qui veut, qui détermine qu'il


lui est utile d'avoir un roi, qui l'institue comme centre
de tous les pouvoirs , comme conservateur de tous les
droits , a des précautions à prendre pour conserver dans
les mains d'un seul l'autorité qu'il lui déſère, et pour
empêcher qu'il n'en abuse. * | | | -

· Cette dernière intention est remplie, de la part du


( 8o )
peuple, en réservant à ses représentans l'exercice du
pouvoir législatif, et la surveillance du pouvoir exécu
tif ; mais † peuple a également intérêt de défendre
l'autorité royale de toute entreprise injuste de la part
de ses représentans : or , cette intention du peuple ne
peut être remplie qu'en admettant le prince à l'examen
et à la sanction des lois ; car si dans les pouvoirs dé
légués il en existoit un seul qui lui fût étranger, et
dont il fût personncllement dépendant, ce seroit un
pouvoir absolu auquel la nation, comme son chef, se
trouveroit asservie. -

Qu'auroit fait alors la nation par une distribution


aussi inconsidérée de ses droits prinitifs ? Au lieu d'en
combiner l'exercice de manière qu'ils se renforcent
tous , et se défendent l'un par l'autre, la nation auroit
confié exclusivement l'acte le plus éminent de la sou
veraineté à ceux qui, dépourvus du pouvoir exécutif,
seroient les maîtres de l'usurper. D'un autre côté, la
nation auroit confié la plus éclatante représentation de
la souveraineté à celui qui, n'ayant aucune part à son
exercice eſfectif, seroit toujours tenté d'employer le
pouvoir exécutif pour l'usurper.Ainsi le bonheur général
de la société ne pouvant exister que par l'harmonie des
pouvoirs qui doivent y concourir , seroit sans cesse
· troublé par leur discorde. Ainsi la nation qui veut un
gouvernement monarchique , n'auroit qu'un gouverne
ment incertain qui se précipiteroit altertativement vers
l'aristocratie ou la démocratie.
La sanction royale est donc le seul moyen de fixité
dans les principes de sûreté et d'inviolabilité dans les
formes du gouvernement ; et cette prérogative impor
tante qui met le chef de la nation dans l'indépendance
de ses représentans, ne peut jamais le rendre plus fort
† la volonté générale , aussitôt qu'elle s'explique.
)r, une nation qui s'assemble, s'explique ; et son vœu
formel se fait connoître directement par l'opinion publi
que, ou indirectement par les représentans : mais
comme dans ce systême, aucune volonté particulière .
n'est égale à celle du monarque , il n'a plus rien à con. ,
quérir , à usurper , pour être investi de toute la ma
jesté
( 81 )
jesté du chef suprême de la nation , et pour s'asseoir
avec gloire sur le premier trône du monde.
La sanction royale est donc utile au repos de la
nation ; elle est nécessaire au monarque pour diriger
paisiblement la puissance publique, mais elle n'est pas
moins importante à la sûreté des membres du corps
législatif. - -

Qu'est-ce en effet, messieurs, que l'exercice, par


représentation , de la puissance législative ? c'est une
mission momentanée pour agir au nom du souverain ,
vis-à-vis duquel on reste toujours responsable. Mais
cette responsabilité nécessaire dégénéreroit bientôt en
une véritable servitude, si le peuple pouvoit reprocher
arbitrairement à ses représentans d'avoir abusé de leur
pouvoir, d'avoir trahi ses intérêts. Il leur importe donc
d'avoir un garant révéré de leur fidélité. -

Ce garant naturel , c'est le chef de la nation , qui


étant partie intégrante du corps législatif, en sanctionne
les actes, et déclare par son acquiescement qu'ils sont
conformes aux principes de la constitution. Alors le
peuple reçoit la loi avec le respect qui lui est dû,
parce † présente tous les caractères de la volonté
générale : les représentans l'ont délibérée, selon le droit
qu'ils en avoient reçu ; et la sanction du monarque
annonce qu'elle est conforme aux vœux et aux intéréts
du peuple dont il est établi le conservateur perpétuel.
Ainsi, messieurs, les représentans du peuple , au
moment où ils cessent de l'être , ont un intérêt per
sonnel à se montrer investis de la sanction royale ; car
elle les défend contre les inquiétudes et les soupçons
du peuple. -

Mais, dira-t-on, en admettant cette sanction , on


s'expose à voir rejeter, par le prince, des lois justes,
nécessaires et desirées par le peuple, comme par ses
représentans.
Je réponds que ce n'est point par le veto , que la
constitution peut être violée par # monarque ; car si
elle est bonne , il n'y a plus de lois essentielles à faire
pour la liberté publique : tous les pouvoirs, leur exer
cice et leur limite étant réglés par la constitution, l'inté
rêt personnel dumonarque se trouve lié aux lois consti
( 82 )
tutives ; le corps législatif et le monarque ne peuvent
plus agir que sur leurs résultats, c'est-à-dire, sur les
lois d'administration. Alors la résistance du roi seroit
inutile contre un vœu formellement exprimé par la
nation. Le veto royal n'est efficace qu'autant qu'il si
gniſie que la loi proposée n'est pas l'expression de la
volonté générale. S'il s'agit d'une loi importante, c'est
un véritable appel au peuple ; et dans les cas ordi
naires, c'est un avertissement aux représentans, qu'ils
se sont mépris sur un principe d'administrateur.
Or, il est possible que le conseil du monarque ait
quelquefois, sur le corps législatif, l'avantage d'une
plus longue expérience , d'uite plus longue habitude des
affaires de détail, d'une connoissance plus approfondie
de celle dont il est question. -

Ainsi , messieurs , la sanction royale nécessaire aux


intérêts du peuple , à la dignité et à l'intégrité du
pouvoir exécutif, ne l'est pas moins à la sûreté des
représentans.
D'après ces considérations , la seconde question se
trouve résolue : devons-nous accorder la sanction
royale ? Ma réponse est affirmative; mais j'ajoute que
quand il ne seroit pas démontré que cette prérogative
de la couronne est toute à l'avantage de la nation ,
nous ne pourrions la contester; nous n'en avons pas le
droit , car nous n'exerçons qu'un pouvoir communiqué,
et nous ne pouvons l'exercer contradictoirement aux
vœux et aux instructions de ceux qui nous ont député.
Or , leur vœu formel est que le roi participe, par la
sanction, à la puissance législative. Cette intention ,
divisément exprimée, est essentiellement la même dans
la plus grande pluralité de nos mandats, et n'est con
tredite par aucun. - -

Comment donc et à quel titre prétendrions-nous


priver le monarque d'un droit qui lai est acquis et
confirmé par la volonté générale ?
Je conçois cependant la diversité d'opinions qui se
manifeste sur cette question ; en reconnoissant au roi un
droit préexistant de veto , il auroit celui d'empêcher la
consitution ! Cette objection , grave en apparence ,
s'évanouit en y réfléchissant.
( 83 ) -

Je réponds , messieurs, qu'un monarque n'a ni le


droit ni le pouvoir d'empêcher un peuple qui veut une
constitution, de la faire. Il n'y a point de veto , point
d'obstacle à une constitution demandée par la nation ;
mais s'il arrivoit que ses représentans en adoptassent
une évidemment contraire à la volonté et à †
général , ne doutons pas alors que le chef de la nation
n'ait le droit de suspendre une telle constitution, d'en
appeler au peuple, et de lui demander de manifester
sa volonté expresse par de nouveaux représentans. ---Tel
est , à mon avis , le seul droit de veto que le monar
que puisse exercer sur la constitution. Il ne la sanc
tionne pas comme une loi particuilère ; mais s'il la
trouve telle que la nation la desire, il l'accepte , y
souscrit , et en jure l'observation. --- S'il la trouve
contraire aux voeux et aux intérêts du peuple, il peut,
il doit refuser de l'accepter, jusqu'à ce que la nation
explique de nouveau sa volonté souveraine : car elle a
toujours , dans la volonté de son chef, le plus auguste,
le plus autorisé de ses représentans ; et c'est en ce
sens que j'ose désaprouver hautement la nullité à la
quelle le pouvoir exécutif s'est laissé réduire. Justement
réprimé, lorsque des hommes pervers ou inconsidérés
ont voulu en abuser , il devoit reprendre son action
tutélaire, aussi-tôt que le corps législatif a déclaré la
responsabilité des ministres. --- Car l'autorité du gou
vernement n'appartient point à ses agens ; elle est la
propriété et la sauve-garde du peuple , ainsi il ne leur
est pas permis de la laisser périr entre leurs mains. Et
nous, messieurs, qui avons le droit d'en surveiller
l'exercice, d'en empêcher les abus , il ne nous est pas
permis de la laisser avilir. --- Je pense donc que nous
ne pouvons nous soustraire à la sanction royale , pour
nos décrets antérieurs à la constitution , quand même
elle nous donneroit le droit de nous y soustraire, pour
nos décrets subséquens.
ll me reste , messieurs, à examiner comment la sanc
tion des lois doit être prononcée, si le roi aura un drôit
de veto absolu ou seulement suspensif. . -

Je dis d'abord que la forme la plus auguste, la plus


importante, doit être celle de la sanction royale.
- - 2
C'est
( 84 ) -

alors que la puissance, la majesté de la nation doivent


être concentrées sur le trône dans la personne du mo
narque qui déclare , au nom d'un § immense , que
les paroles qu'on vient d'entendre sont une loi invio
lable pour tous. -

Ah ! j'aspire au moment d'entendre, pour la première


fois, cette promulgation solemnelle : Peuples, obéissez,
voici la loi ! car aucun de-nous n'avoit encore vécu
sous son unique empire.
Quant à la nature du veto, la nation seule en ayant
un absolu, celui du roi , en dernière analyse, ne peut
être que suspensif. Car si le peuple persiste à desirer
la loi proposée , s'il charge avec persévérance ses re
présentans de la proposer encore , le monarque n'a plus
ni droit , ni moyen de résistance. Mais les limites du
veto royal étant posées par les principes, son expression
doit être simple et absolue, sans qu'il soit nécessaire
d'énoncer les motifs.
Je termine ici, messieurs , mes observations ; et je
conclus par admettre la sanction et le veto royal, comme
une garantie précieuse de la liberté et de la puissance
nationale, de la sûreté des représentans , et de l'indé
pendance nécessaire du monarque.

Séance du 6 Septembre.
Sur la permanence et l'organisation du corps législatif.

M E s s 1 E U R s,

J'avois résolu de ne participer que par mon suffrage


à la discussion actuelle ; mais les menaces qu'on a
osé me faire , relativement à mon avis sur la sanction
royale , la terreur qu'on veut m'inspirer, et à plusieurs
membres de cette assemblée , m'engagent à reprendre
$
( 85 )
la parole ; car dans les dernieres opinions qui vous ont
été présentées sur l'organisation du corps législatif,

j'adopte celle qui a le de défaveur, la compositîon
de l'assemblée nationale en deux chambres ; j'userai .
donc de mon droit de représentant de la nation pour la
défendre librement ; et si, dans cette affluence de spec
tateurs qui nous entourent , il s'en trouvoit qui atten
dent ici l'effet de leurs menaces , ils apprendront par
ma voix à quoi se réduit la puissance des méchans sur
les gens de bien : témoins de votre indignation contre
leur criminelle audace , ils apprendront que le citoyen
qui méprise et qui brave la fureur des factieux et leur
liste de proscription, qui les puniroit s'il en-avoit la
charge , supérieure à la crainte , ne l'est pas moins à
la séduction et aux faveurs des cours.
Je ne reviendrai sur la sanction royale , que pour
dire qu'aucune objection n'affoiblit la conviction où je
suis de sa nécessité : j'ai déclaré que le veto du roi dé
finitivement suspensif dans ses effets, doit être simple
et indéfini dans son expression , et je résume mon avis
, par cette formule : Le roi aura le droit de sanctionner
les lois proposées par l'assemblée nationale , ou de
les renvoyer à un nouvel examen. -

J'ai toujours regardé comme nécessaire la permanence


du corps législatif : le préopinant m'a prévenu dans le
développement d'un des motifs qui suffiroit seul pour la
déterminer.
J'ajouterai cependant que ce n'est pas seulement la
composition actuelle de quelques états provinciaux,
mais l'érection projettée de toutes les provinces en
pays d'états , qui auroient les plus grands inconvé
niens , pendant une longue absence du corps législatif.
Le plus sensible de ces inconvéniens seroit l'invasion
progressive du pouvoir exécutif, et l'invasion possible
du pouvoir législatif ; car toutes les assemblées , tous
les corps , ont une tendance naturelle a l'extension de
leur autorité. Les hommes réunis vont toujours en avant
quoiqu'il en puisse arriver : car aucun n'est responsa
ble pour tous. Ainsi pour maintenir la réunion de toutes
les parties de l'empire , et leur dépendance d'une auto
rité centrale, deux conditions sont nécessaires , la pre
( 86 )
mière, de limiter à des détails d'exécution , sous l'ins
pection du gouvernement , l'administration confiée aux
assemblées provinciales; la seconde, de ne les convo
quer que pendant la séance du corps législatif ; car il
faut bien que le pouvoir exécutif ait un intervalle et
un espace libre pour agir : s'il est toujours en présence
des pouvoirs indépendans, il perdra la vigueur, le res
sort , l'unité, nécessaires à l'administration générale :
il sera insensiblement effacé, et la confusion de tous les
pouvoirs arrivera.
Quant à l'organisation de l'assemblée nationale , on
vous a dit , Messieurs : la puissance législative est une ;
donc il ne doit y avoir qu'une seule chambre ! C'est
ainsi qu'avec des principes généraux on conclut ce que
l'on veut, et que des abstractions métaphysiques sont
une source d'erreurs en législation. |
Mais, Messieurs , la souveraineté est une ; et ses
fonctions , ses pouvoirs se subdivisent en plusieurs
branches : le pouvoir exécutiflui-même comporte trois
subdivisions principales : ainsi pourquoi ne distingue
roit-on pas trois tems dans un acte législatif, la discus
sion et la délibération provisoire , la révision et l'ar
rêté, la sanction et la promulgation # Pour moi, je
soutiens cette destination si naturelle , si nécessaire,
que je n'ai pas d'autre manière de concevoir, dans une
grande monarchie, l'action et le complément de la
uissance législative. Je suis donc d'avis de composer
#§ nationale de deux chambres, dont l'une ap
pellée chambre des représentans , et l'autre chambre
du conseil ou sénat , toutes deux électives sans véto
l'une sur l'autre , mais avec droit de révision par le
sénat, des décrets proposés par la chambre des repré
sentaIlS.

Avant d'en venir aux objections contre cette compo


sition , voici mes motifs pour l'adopter.
Je ne connois rien de plus dangereux qu'une seule
assemblée législative, qu'un hasard malheureux pour
roit composer une fois d'une pluralité de représentans
dépourvus d'expérience et de lumières sur la législation,
sur les ressorts politiques d'un grand empire. Que dans
une telle assemblée, de grands talens fassent prévaloir
| - ( 87 )
des intérêts, des passions particulières, que la terreur
s'empare des uns , et l'esprit de faction des autres : que
deviendroit alors la constitution ?
Nous aurions sans doute pour ressource le véto du
monarque : mais si les mauvaises lois proposées étoient
à l'avantage du pouvoir exécutif, si les chefs de l'as
semblée corrompus, égaroient ou faisoient intimider
leurs collègues , quel moyen d'empêcher une nouvelle
révolution ? La nation pourroit être asservie avant d'être
avertie qu'elle en court le danger.
Qu'au contraire, des sénateurs plus âgés, plus versés
dans la connoissance des affaires par les magistratures
qu'ils auront exercées , soient chargés de réviser , de
discuter de nouveau les décrets proposés par la cham
bre des représentans ; les §! de l'improbation du
sénat avertiront déja la nation, le monarque , et tous
ceux des représentans qui auroient été trompés de
bonne foi. Alors il est probable que la réunion des
deux chambres pour une délibération définitive, pro
duira la réforme du décret rejetté, sur-tout si l'on sta
tue qu'un décret rejetté par le sénat, ne peut être
adopté par les deux chambres , qu'aux deux tiers ou
aux trois cinquièmes des voix.
· On a dit contre cette proposition , qu'en supposant
une délibération de six cents représentans improuvée
par le sénat, l'amour-propre des premiers irrité, main
tiendroit en leur faveur la pluralité des voix. Mais
l'auteur de cette objection n'a pas fait attention que
dans ce cas, il n'y a d'amour-propre compromis, que
celui qui propose, qui rédige la loi , qui entraîne les
suffrages; et que la grande pluralité de ceux qui con
courent à une décision , ne demande souvent que des
lumières et un point d'appui pour y résister : or le sé
nat , dans de telles circonstances, seroit pour les hom
mes trompés , le point d'appui et la lumière. -

D'ailleurs, comme les mauvaises lois peuvent porter


sur toute autre chose que la prérogatiye royale, pour
la réduire ou l'étendre , le monarqne averti par l'im.
probation du sénat, useroit avec plus de confiance de
son droit de véto ; et c'est alors que personne n'en
| contesteroit plus l'utilité.
( 88 )
Ainsi , Messieurs , la plus grande facilité des discus
sions, l'utilité de la révision, la confusion possible dans
une nombreuse assemblée , les mouvemens que peu
vent y exciter l'éloquence , la prévention , l'impa
tience , et beancoup d'autres motifs qui nous ont dé
veloppés , me font adopter la proposition de deux
chambres également électives, avec la différence que le
sénat ne pourroit être renouvellé que tous les sept ans ,
et que les sénateurs seroient choisis sans distinction de
naissance , parmi les hommes qui se dïstingueroient
dans les magistratures civiles et militaires, et dans le
ministère ecclésiastique. -

Tel est mon avis.

OPINION de M. Malouet, sur la propriété


et la disposition des biens du clergé.

M E s s I E U R s ,

& J'entre dans la discussion qui vous occupe, sans


égard à aucune des circonstances qui nous euvironnent.
» J'examinerai non-seulement ce qui est utile, mais
encore ce qui est juste; car une assemblée législative
ne procède pas comme les conquérans , par le droit du
plus fort. Ses principes sont ceux de la plus austère
équité; et si dans des tems malheureux le salut du
peuple en exige la violation, ce ne sont pas des prin
cipes, mais la nécessité impérieuse qu'il suffit d'ex
poser ». ·
cc Nous ne sommes point réduits, messieurs , à cette
nécessité funeste : des combinaisons sages et mesurées ,
des plans sévères, mais équitables, peuvent concilier
les droits et les intérêts de l'église avec les droits et
les besoins de l'état. C'est dans l'espoir d'y †
· que j'ai pris la parole; et je crois avoir trouvé la vérité
e fl
( 89 ) -

en la cherchant de bonne foi , en ne compliquant point


la question , en laissant à leur place les faits et les
principes X2 » - -

» Je considère d'abord d'où proviennent les proprié


tés appelées biens du clergé, qui est-ce qui a donné,
qui est-ce qui a reçu , qui est-ce qui possède ? Je trouve
des fondateurs qui instituent, des églises qui reçoivcnt,
des ecclésiastiques qui possèdent sous la protection de
la loi. Je trouve que le droit du donateur n'est point
contesté, qu'il a stipulé les conditions de sa donation
avec une partie contractant l'engagement de les rem
|# que toutes ces transactions ont reçu le sceau de
la loi, et qu'il en résulte diverses dotations assiguées
aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres, et
au soulagement des pauvres.
« Je trouve alors que ces biens sont une propriété
nationale, en ce qu'ils appartiennent collectivement
au culte et aux pauvres de la nation ».
« Mais chaque bénéficier n'en est pas moins posses
seur légitime, en acquittant les charges et conditions
de la fondation ».

« Or, la possession, la disposition des revenus, est


la seule espèce de propriété qui puisse appartenir au
sacerdoce , c'est la seule qu'il ait jamais réclamée. --
Celle qui donne droit à l'aliénation, à la transmission
du fonds par héritage ou autrement , ne sauroit lui
convenir, en ce qu'elle seroit destructive des dotations
de l'église ; et parce qu'elle a des propriétés effectives,
il falloit bien qu'elles fussent inaliénables : pour qu'el
les ne devinssent pas excessives, il falloit † en li
miter l'étendue ; mais comme l'incapacité d'acquérir
n'est pas celle de posséder, l'édit de 1749 ne peut in
fluer sur la solution de la question présente ; et j'avoue
qu'il me paroît extraordinaire qu'on emploie contre le
clergé les titres même conservateurs de ses propriétés,
ainsi que toutes les raisons, tous les motifs qui en
composent le caractère légal ». -

« Un des préopinans a dit, que les corps étoient aptes à


acquérir, à conserver des propriétés, mais qu'elles dis
paroissent avec leur existeuce ; qu'ainsi le clergé ne
( 9o )
formant plus un ordre dans l'état, ne pouvoit être aux
jourd'hui considéré comme propriétaire ».
cc Mais il ne s agit point ici de biens donnés à un
corps : les propriétés de l'église sont subdivisées en
autant de dotations distinctes que ses ministres ont de
services à remplir. Ainsi, lors mème qu'il n'y auroit
plus d'assemblée du clergé, tant qu'il y aura des parois
ses, des évêchés , des monastères , clacun de ces éta
blissemens a une dotation propre , qui pent être modi
fiée par la loi , mais non détruite autrement qu'en dé
· truisant l'établissement ».
« C'est ici le lieu de remarquer que plusieurs des
préopinans établissent des principes contradictoires, en
tirant néanmoins les mêmes conséquences. Tantôt , en
considérant le clergé comme un être moral , on a dit :
les corps n'ont aucun droit réel par leur nature, puis
qu'ils n'ont pas méme de nature propre ; ainsi le clergé
ne sauroit être propriétaire. Tantôt on le considère
comme dissous, en qualité de corps , et on dit qu'il
ne peut plus posséder aujourd'hui de la même manière
qu'il possédoit pendant son existence politique , qui lui
donnoit droit à la propriété, --- Enfin, un troisième
opinant a dit dans une suite de faits, que le clergé n'a
jamais possedé comme corps ; que chaque fondation
avoit eu pour objet un établissement et un service par
ticulier, et cette assertion est exacte. Mais je demande
si l'on peut en conclure, qu'il soit juste et utile , que
cet établissement, ce service et ceux qui le remplissent,
soient dépouillés de leur dotation ? Or , c'est la vérita
ble et la seule question qu'il falloit présenter , car
celle de la propriété pour les usufruitiers, n'est point
-- roblématique. Le clergé possède : voilà le fait. Ses
itres sont sous la pºotection, sous la garde et la dispo
sition de la nation ; car elle dispose de tous les éta
blissemens publics, par le droit qu'elle a sur sa propre
législation, et sur le culte même qu'il lui plaît d'adop
ter ; mais la nation n'exerce par elle-même, ni ses
droits de propriété, ni ceux de souveraineté ; et de
même que ses représentans ne pourroient disposer de
la couronne, qui lui api artient , mais seulennent ré
gler l'exercice de l'autorité et des prérogatives roya
1es ; de mème aussi ils ne pourroient , sans un man
º ( 91 )
dat spécial , anéantir le culte public, et les dota
tions qui lui sont assignées, mais seulement en régler
mieux l'emploi , en réformer les abus , et disposer
pour les besoins publics, de tout ce qui se trouveroit
excédant au service des autels et au soulagement des
pauvres ».
« Ainsi , Messieurs , l'aveu du principe que les
biens du clergé sont une propriéte nationale , n'établit
point les conséquences qu'on en voudroit tirer. -- Et
comme il ne s'agit point ici d'établir une vaine théorie,
mais une doctrine pratique sur les biens ecclésiastiques,
c'est sur ce principe même que je fonde mon opinion et
un plan d'opérations diffèrent de celui qui vous est pré
senté ». - -

« Le premier apperçu de la motion de M. l'évêque


d'Autun, m'a montré plus d'avantage que d'inconvé
niens : j'avoue que dans l'embarras où nous sommes ,
dix-huit cens millions disponibles eu profit de l'état ,
m'ont séduit ; mais un examen plus réfléchi m'a ſait voir
à côté d'une ressource fort exagérée, des inconvéniens
graves, des injustices inévitables ; et lorsque je me suis
rappelé le jour mémorable où nous adjurâmes , au nom
du Dieu de paix , les membres du clergé de s'unir à
nous comme nos frères, de se confier à notre foi, j'ai
frémi du sentiment douloureux qu'ils pouvoient éprou
ver et transmettre à leurs successeurs, en se voyant
dépouiller de leurs biens par un décret auquel ils n'au
roient pas consenti. »
« Que cette considération , messieurs, dans les tems
orageux où nous sommes , soit auprès de vous de quel
que poids. C'est précisément paree qu'on entend dire
d'un ton menaçant : Il faut prendre les biens du clergé,
que nous devons être plus disposés à les déſendre, plus
circonspects dans nos décisions. Ne souffrons pas qu'on
impute quelque jour à la terreur, à la violence , des
opérations qu'une justice exacte peut légitimer, si nous
leur en imprimons le caractère, et qui seront plus pro
fitables à l'état, si nous substituons la réforme à l'in
vasion, et les calculs de l'expérience à des spéculations
lIlCertalI16S. >o - - -

La nation, messieurs, en nous donnant ses pouvoirs,


' M 2 :
( 92 )
mous a ordonné de lui conserver sa religion et son roi ;
il ne dépendroit pas plus de nous d'abolir le catholi
cisme en France , que le gouvernement monarchique ;
mais la nation peut, s'il lui plaît, détruire l'un et
l'autre , non par des insurrections partielles , mais par
un vœu unanime , légal, solemnel, exprimé dans toutes
les subdivisions territoriales du royaume. Alors les re
· présentans, organes de cette volonté, peuvent la mettre
à exécution. » -

« Cette volonté générale


général ne s'est
» point maniifesté
- eStée

· sur l'invasion des bicns du clergé ; devons-nous la sup


oser , la prévenir ? Pouvons-nous résister à une vo
§ contraire, de ne pas ébranler les fondemens du
culte public ? pouvons-nous tout ce que peut la nation,
et plus qu'elle ne pourroit ? »
« Je m'arrête à cette dernière proposition , parce
qu'en y répondant, je réponds à toutes les autres. »
| « S'il plaisoit à la nation de détruire l'église catho
lique en France, et d'y substituer une autre religion ,
en disposant des biens actuels du clergé, la nation ,
pour être juste, seroit obligée d'avoir égard aux inten
tions expresses des donateurs, comme on respecte en
toute société celle du testateur; or, ce qui a été donné
à l'église est, par indivis et par substitution, donné
aux pauvres ; aussi , tant qu'il y aura en France des
hommes qui ont faim et soif, les biens de l'église leur
sont substitués par l'intention des testateurs , avant
d'être réversibles au domaine national ; ainsi la nation,
| en détruisant même le clergé, et avant de s'emparer
de ses biens pour toute autre destination, doit assurer
dans tout son territoire, et par hypothèque spéciale
' sur ses biens, la subsistance des pauvres ».
« Je sais que ce moyen de défense de la part du clergé,
très-Iigitime dans le droit , peut être attaqué dans le
fait. Tous les possesseurs de bénéfices ne sont pas éga
lement charitables, tous ne font pas scrupuleusement la
| part des pauvres. --- Hé bien, messieurs, faisons-la
nous-mêmes. Les pauvres sont aussi nos créanciers dans
l'ordre moral comme dans l'état social et politique ;
le premier germe de corruption, dans un grand peu
ple, c'est la misère : le plus grand ennemi de la li
- ( 93 )
berté, des bonnes mœurs , c'est la misère ; et le dernier
terme de l'avilissement pour un homme libre, après le
· crime , c'est la mendicité. Détruisons ce fléau qui nous
dégrade , et qu'à la suite de toutes nos dissertations
· sur les droits de l'homme , une loi de secours pour
l'homme souffrant, soit un des articles religieux de
notre constitution ». - -

Les biens du clergé nous en offrent les moyens en


conservant la dîme, qui ne peut ètre abandonnée dans
le plan même de M. l'évêque d'Autun , et qui ces
seroit d'être odieuse au peuple , lorsqu'il y verroit la
perspective d'un soulagement certain dans sa détresse ».
Je ne développerai point ici le plan de secours pour
les pauvres, † que je le conçois dans toute sou éten
due ; je remarquerai seulement qu'en réunissant sous
un même régime dans chaque province, les aumônes
volontaires , à des fonds assignés sur la perception des
dîmes , on pourroit facilement soutenir l'industric lan
guissante , prévenir ou soulager l'indigence dans tout
le royaume ». -

« Et quelle opération plus importante , messieurs ,


peut solliciter notre zèle ? Cet établissement, de pre
miere nécessité, ne manque-t-il pas à la nation ? les
lois sur les propriétés remontent à la ſondation des
empires, et les lois en faveur de ceux qui ne possèdent
rien , sont encore à faire ».
« Je voudrois donc lier la cause des pauvres à celle
des créanciers de l'état, qui auront une hypothèque
encore plus assurée sur l'aisance générale du peuple
François , que sur les biens-fonds du clergé, et je
voudrois sur-tout que les sacrifices à faire par ce corps
respectable, fussent tellement compatibles avec la di
gnité et les droits de l'église, que ses représentans
pussent y consentir librement ».
« Ces sacrifices deviennent nécessaires pour satisſaire
à tous les besoins qui nous pressent, et je mets au pre
mier raug de ses besoins, le secours urgent à donner à
la multitnde d'hommes qui manquent de travail et de
subsistarſce ».
« Ces sacrifices sont indispensables sous un autre rap
port : si la sévérité des réformes ne s'étendoit que sur le
( 94 )
clergé, ce seroit un abus de puissance révoltant; mais
lorsque les premières places de l'administration et de
l'armée seront réduites à des traitemeus modérés, lors
que les graces non méritées, les emplois inutiles seront
réformés, le clergé n'a point à se plaindre de subir
la loi commune ; loi salutaire, si nous voulons être
libres ».
« Enfln, ces sacrifices sont justes ; car au nombre
des objections présentées contre le clergé , il en est une
d'une grande importance, c'est la compensation de
l'impôt, dont il s'est affranchi pendant nombre d'an
I16eS >> .

« La liberté, messieurs, est une plante précieuse qui


devient un arbre robuste, sur un sol fécondé par le
travail et la vertu, mais qui langit et périt entre le luxe
et la misère. Oui certes , il faut § nOS IIl Cº Il rS

encore plus que nos lois, 'si nous voulons conserver


cette grande conquête ». -

« Mais s'il est possible, s'il est raisonnable de faire


des-à-présent dans l'emploi des biens ecclésiastiques,
d'utiles réſormes , de dédoubler les riches bénéfices
accumulés sur une même tête , de snpprimer les ab
bayes à mesure qu'elles vaqueront, de réduire le nom
bre des évêchés, des chapitres, des monastères, des
prieurés, et de tous les benéfices simples; l'aliénation
générale des biens du clergé me paroît absolument im
possible. J'estime qu'elle ne seroit ni juste, ni utile.
Si l'opération est partielle et successive à mesure des
extinctions ou des réunions, je n'entends pas comment
elle rempliroit le plan de M. l'évêque d'Autun , com
ment pourroient s'effectuer le remplacement de la
gabelle, le remboursement des offices de judicature ,
celui des anticipations, des paiemens arriérés qui exi
gent, pour nous mettre au courant , une somme de
quatre cents millions. J'estime que toutes les ventes
partielles et successives ne pourroient s'opérer en moins
de trente années , en ne déplaçant pas violemment les
titulaires et les usufruitiers actuels , et en observant de
ne pas mettre à-la-fois en circulation une trop grandc
masse de biens-fonds, ce qui en aviliroit le prix ».
( 95 )
« L'opération sera-t-elle générale et subite ? Je n'en
conçois pas les moyens, à moins de congédier à-la-fois
tous les bénéficiers, tous les religieux actuels, en leur
assignant des pensions. Eh ! qui pourroit acheter ? com
ment payer une aussi grande quantité de biens-fonds ?
On recevra, dit-on, les porteurs de créance sur le roi ;
mais on ne fait pas attention qu'aussitôt que la dette
publique sera consolidée, il n'y aura point de capitaux
plus recherchés, parce qu'il n'y en aura pas de plus
productifs; ainsi, peu de créanciers se présenteront com
me adjudicateurs. Croit-on d'ailleurs que la liquidation
des dettes de chaque eorps ecclésiastique n'entraînera
† des incidens, des † et des délais dans
es adjudications, et que l'adoption d'un tel plan n'oc
casionnera pas très-promptement la dégradation de ces
biens , par le découragement qu'éprouveroient les pro
priétaires, fermiers , exploitateurs actuels » ? -

« Si dans ce systême il n'y avoit ni difficulté , ni in


justice , relativement au clergé, c'en seroit une, mes
sieurs , que de faire disparoître le patrimoine des pau
vres, avant de l'avoir remplacé d'une manière certaine».
« Qu'il me soit permis de rappeler ici toute la rigueur
des principes ; pouvons-nous anéanrir cette substitu
tion solemnelle des biens de l'église en faveur des
pauvres ? » · , - -

cc Pouvons-nous, sansêtre bien sûrs du vœu national,


supprimer généralement tous les monastères, tous les
ordres religieux , même ceux qui se consacrent à l'édu
cation de la jeunesse , au soin des malades , et ceux
qui par d'utiles travaux ont bien mérité de l'église et
de l'état ? Pouvons-nous , politiquement et moralement
ôter, tout espoir, tous moyens de retraite, à ceux de
nos concitoyens dont les † , ou les
préjugés ou les malheurs, leur ſont envisager cet asyle
comme une consolation ? --- Pouvons-nous et devons
nous réduire les évêques, les curés , à la qualité de
pensionnaires? la dignité éminente des premiers , le
ministère vénérable des pasteurs, n'exigent-ils pas de
leur conserver, et à tous les ministres des autels, les
droits ct les signes distinctifs de citoyen , au nombre
desquels est essentiellement la propriété ? » : . ::
( 96 ) -

« Je crois , messieurs , être en droit de répondre


négativement à toutes ces questions ».
ce 1o. L'aliénation générale des biens du clergé est
une des plus grandes innovations politiques, et je crois
que nous n'avons, ni des pouvoirs, ni des motifs suf
fisant pour l'opérer. -- On vous a déja représenté
qu'une guerre malheureuse, une invasion de l'ennemi
pourroit mettre en péril la subsistance des ecclésiasti
ques, lorsqu'elle ne seroit plus fondée sur des immeu
bles, et cette considération doit être d'un grand poids,
relativement à l'église , et relativement aux pauvres
qui lui sont affiliés ».
« On objecte que l'état ecclésiastique est une pro
fession qui doit être salariée comme celle de magis
trat, de militaire ; mais on oublie que ces deux clas
ses de citoyens ont assez généralement d'autre moyens
de subsistance ; que les soldats réduits à leur paye
n'en sauroient manquer tant qu'ils sont armés. Mais
qu'elle sera la ressource des ministres des autels, si le
trésor public est dans l'impuissance de satisfaire à
toute autre engagement qu'à la solde de l'armée ? et
combien de chances malheureuses peuvent momentané
ment produire de tels embarras ! »
cc 2^. En vendant actuellement tous les biens du
clergé , la nation se prive de la plus valeur-graduelle
qu'ils acquerront par le laps de tems, et elle prépare
dans uue proportion inverse , l'augmentation de ses
charges ».
« 3o. Je doute que l'universalité du peuple françois
approuve l'anéantissement de tous les monastères , sans
distinction.La réforme , la suppression des ordres iuu
tiles , des couvens trop nombreux, et nécessaires ; mais
peut-être que chaque province et même chaque ville ,
desirera conserver une ou deux maisons de retraite
pour l'un et l'autre sexe ».
« 4°. Il est impossible que chaque diocèse ne con
serve au moins un séminaire , un chapitre , et une
maison de repos, pour les curés et les vicaires qui ne
peuvent continuer leur service. --- Si on ajoutoit à
toutes ces considérations celle de l'augmentation néces
saires des portions congrues , et enfin , s'il vous ȼ
( 97 )
juste, comme je le pense, de ne déposséder aucun titu
† non-seulement la vente générale des biens du
clergé devient actuellement impossible, mais même dans
aucuns tems il ne seroit profitable d'en aliéner au-delà
d'une somme déterminée, que j'estime éventuellement
au cinquième, ou au quart ; et le remplacement de
cette aliénation doit être rigoureusement fait au pro
fit des pauvres dans des tems plus heureux ; car selon
tous les principes de la justice, de la morale et du
droit positif, les biens du clergé ne sont disponibles
que pour le culte public ou pour les pauvres ».
CC§ ces observations sont, comme je le crois, dé
montrées , il en résulte ,
cc 1°. Que quoique les biens du clergé soient une
propriété nationale , le corps législatif ne peut, sans
un mandat spécial, convertir en pensionnaire de l'état
une classe de citoyens, que la volonté intérieure et spé
ciale de la nation a rendu possesseurs de biens-fonds ,
à des charges et conditions déterminées ».
« 2o. Que l'emploi de ces biens peut être réglé
par le corps législatif, de telle manière qu'ils rem
plissent le mieux possible leur destination, qui est le
culte public, l'entretien honorable de ses ministres ,
et le soulagement des pauvres ».
« 3°. Que si par la meilleure distribution de ces
biens et par une organisation mieux entendue du corps
ecclésiastique, les ministres de l'église peuvent être
entretenus, et les pauvres secourus de manière qu'il y
ait un excédent, le corps législatif peut en disposer pour
les besoins pressant de l'état ».
cc Maintenant , messieurs, la transition de ces résul
tats à une opération définitive sur les biens du cler
gé , est nécessairement un examen réfléchi des éta
blissemens ecclésiastiques, actuellement subsistans, de
ce qu'il est indispensable d'en conserver, de ce qu'il
est utile de réformer ». -

« Il faut ensuite fixer les dépenses du culte et de


l'entretien des ministres , proportionnellement à leur
dignité, à leur service , et relativement encore à l'in
tention qu'ont eu les fondateurs des divers bénéfices.
Cette fixation déterminée doit être comparéesºus biens
- ( 98 ) •
effectifs du clergé , leur produit en terres , rentes ,
maisons, et à leurs charges d'après des états authenti
ques. Alors , messieurs , après un travail exacte et
un classement certain des rentes et des dépenses, des
individus , des établissemens conservés, après avoir
· assigné, dans de juste proportions, ce qu'il est conve
nable d'accorder aux grandes dignités et aux moindres
ministères de l'église , ce qui doit être réservé dans
| chaque canton pour l'assistance des pauvres ; alors seu
lement vous connoîtrez tout ce que vous pouvez destiner
aux besoins de l'état : mais ils sont actuellement si
pressans , que j'ai cru pouvoir , par des opérations
provisoires, déterminer une somme de secours , soit
pour les pauvres , soit pour les dépenses publiques ».
cc En estimant à cent soixante millions, y com
pris les dîmes , le revenu du clergé , je pense que les
réformes, supressions et rédnctions possibles , permet
tent de prélever une somme annuelle de trente millions
pour les pauvres, et une aliénation successive de quatre
cent millions d'immeubles, qui seroit, dès ce moment-ci,
le gage d'une somme pareille de crédit ou d'assigna
tion. --- Cette ressource étant estimée suffisante, d'après
le rapporr du comité de finances, pour éteindre tou
tes les anticipations et arrérages de paiement , et la
balance étant ainsi rétablie avec avantage entre la re
cette et la dépense , la vente des domaines libres, et
la surtaxe en plus-value de ceux engagés , faciliteroit
tous les plans d'amélioration dans le régime des impôts,
et suffiroit en partie au remboursement des offices de
· judicature. --- Je résumerai donc dans les articles sui
vans les dispositions que je crois actuellement pratica
bles , relativement aux biens du clergé ». -

cc J'observe que je n'entre dans aucun des détails qui


doivent être l'objet du travail de la commission ecclé
siastique, tels que l'augmentation indispensable des
portions congrues ; mais on ne concevra qu'elle ne peut
s'effectuer actuellement que par des réductions sur
les jouissances des grands bénéficiers. --- La manière
d'opérer ces réductions ne doit point être arbitraire
ni violente ; il me semble que sans déposséder aucuns
titulaires , on peut établir des fixations précises de
( 99 )
revenus pour toutes les classes du ministère ecclé-.
siastique , et tout ce qui excéderoit cette fixation ,
sera payé en contribution , soit pour le trésor public,
soit pour toute autre destination ».
Articles proposés.
: « ART. I. Les biens du clergé sont une propriété
nationale dont l'emploi sera réglé conformément à sa
destination , qui est le service des autels , l'entre
tien des ministres, et le soulagement des pauvres ».
ce II. Ces objets remplis, l'excédent sera consacré
aux besoins de l état , à la décharge de la classe
la moins aisée des citoyens ».
« III. Pour connoître l'excédent des biens du clergé,
disponible et applicable aux besoins publics , il sera
formé une commission ecclésiastique, à l'effet de déter
miner le nombre d évêchés , cures , chapitres , sémi
naires et monastères qui doivent être conservés , et
pour régler la quantité de biens-fonds , maisons et
revenus qui doivent être assignés à chacun de ces
établissemens ». 1

, « IV. Tout ce qui ne sera pas jugé utile au service


divins et à l instruction des peuples , sera supprimé ,
et les biens-fonds, rentes, mobiliers et immeubles
desdits établissemens , seront remis à l'administration
des provinces dans lesquelles ils sont situés ».
· «. V. En attendant l'effet des dispositions précéden
tes , et pour y concourir , il sera surcis à la nomi
nation de toutes les abbayes, canonicats et bénéfices
simples , dépendans des collateurs particuliers , jus
qu'à ce que le nombre des chapitres et celui des
prébendes à conserver soit déterminé ».
· « VI. Il est aussi défendu à tous les ordres reli
gieux des deux sexes, de recevoir des novices, jusqu'à
ce que chaque province ait fait connoître le nombre
de monastères qu'elle desire conserver ».
« VII. La conventualité de chaque monastère , de
l'un et de l'autre sexe , sera fixée à 12 proſés
- - - - -2 -
, et
W
V,

( 1oo )
il sera procédé à la réunion de toutes les maisons d'un
même ordre , qui n'auront pas le nombre de proſés
prescrit par le présent article : les maisons ainsi vacan
tes par réunion, seront remises à l'administration des
provinces ».
« VIII. Tous les bâtimens et terrains, autres que
ceux d'habitation , non compris dans les biens ruraux
des églises, monastères, hôpitaux et bénéfices quelcon
ques , seront dès-à-présent, vendus par les administra
tions provinciales, et il sera tenu compte de leur produit
à raison de cinq pour cent, à ceux desdits établisse
mens qui sont conservés : le prix des immeubles ainsi
vendu , sera versé dans la caisse nationale ; et lors
de l'extinction des rentes consenties pour raison des
dites aliénations, la somme en sera employée à la dé
charge des contribuables de la même province , qui
auront moins de cent écus de rentes ».
« IX. Aucun autre bien vacant par l'effet des
dispositions ci-dessus, ne pourra être mis en vente ,
jusqu'à ce qu'il ait été pourvu dans chaque province à la
dotation suffisante de tous les établissemens ecclésias
tiques , à l'augmentation des portions congrues , et
à la fondation, dans chaque ville et bourg, d'une
caisse de charité pour le soulagement des pauvres ».
« X, Aussitôt qu'il aura été pourvu à toutes les
dotations et ſondations énoncées ci-dessus, les dîmes
dont jouissent les différens bénéficiers , cesseront de
leur être payées, et continueront jusqu'à nouvel ordre,
à être perçues par les administrations provincia
les et municipales, en déduction des charges im
posées aux classes les moins aisées des citoyens ».
« XI. Il sera prélevé sur le produit des dîmes et
des biens du clergé réunis aux administrations †
ciales , une somme annuelle de vingt-six millions ,
pour faire ſace aux intérêts de la dette ancienne du
clergé , et d'un nouveau crédit de quatre cent millions,
lequel sera ouvert incessamment , avec hypothèque
spéciale sur la totalité des biens ecclésiastiques ».
« XII, Ledit emprunt s'effectuera par l'émission de
( 1o1 )
quatre cent millions de billets du clergé, portant inté
rêt à cinq pour cent , lesquels seront donnés et reçus
en paiement , même pour les contributions, et seront
admis par préférence en paiement , lors de l'adjudica
tion des biens ecclésiastiques et des biens domaniaux
qui seront mis en vente ».
« Telles sont les dispositions que je crois pratica
bles sur les biens du clergé. Mais quelque soit mes
sieurs, votre décision à cet égard, je vous demande
la permission de vous rappeler ma motion du 19 août ,
pour un établissement national en faveur des pauvres ,
et je vous prie de trouver bon que je la propose à
la discussion ».

OPINION de M. Malouet , sur la nou


velle division du royaume ; et sur les mu
nicipalités.

« La réunion en corps d'état , des représentans d'uue


† province , vous a § COmme † grands corps
e magistrature, inconciliable avec la constitution que
vous donnez à la France , laquelle ne peut se main
tenir que par sa supériorité à tous les moyens de résis
tance , par une
de l'cmpire ». harmonie durable entre toutes les parties
_ • -

cc Vous avez donc desiré une nouvelle division terri


toriale du royaume , pour distribuer plus également
tous les poids , dans la balance de la puissance pu
blique X2 »

« Tel est le véritable but auquel vous devez tendre :


diminuer les grandes masses, renforcer les petites ,
supprimer toutes les différences de régime , anéantir
les prétentions exclusives ; lorsque ces conditions est
( 1q2 )
sentielles seront remplies , votre division sera bonne ,
toutes les sous-divisions, toutes les bases de représen
tation lui seront appliquables ; l'esprit de corps, l'esprit
de province ne sera plus à craindre ; vous en aurez
détruit ce qu'il faut en détruire : mais un systême .
† tendroit à l'effacer complettement, s il n'étoit
angereux, seroit au moins d'une impossible exécution ;
car l'esprit de province, considéré sous le rapport des
habitudes, du sol , du climat, des coutuines , des
mœurs locales, du genre d'industrie et de culture ,
cet esprit se compose d'une multitude de combinaisons
qui échappent à l'autorité de la législation , et qu'elle
doit même respecter ». -

« Deux plans ont occupé principalement votre atten


tion ; l'un présente une idée vaste dans ses détails, et
plaît à l'imagination comme un tableau d'une belle
composition ; l'autre , en conservant des formes ancien
nes, semble s'nnir plus facilement aux innovations.
« Tous les deux, défendus avec une grande supé
riorité de talens , ne me laisseroit rien à dire , si
j'adoptois complètement celui du comité, ou celui
de M. de Mirabeau ; mais je vous dois compte des
motifs qui me déterminent pour une opinion rapprochée
de celle de M. Pison du Galland ».
« Je pense , messieurs, qu'en reconstruisant un édi
fice avec de vieux matériaux , on est obligé de con
server quelque chose des anciennes dimensions, et il
seroit peut-être plus facile d'operer subitement une
grande réforme dans nos mœurs, que d'attaquer partiel
lement toutes les habitudes d'un grand peuple ».
« Je suppose que les lois somptuaires vous parus
sent nécessaires au maintien de la liberté, et pussent
se concilier avec le commerce, l industrie et la situa
tiôn politique de la France. --- Je dis que la priva
tion des jouissances , du luxe et de l'opulence , rappe
lant dans tous les esprits de grandes pensées , un grand
intérêt moral et politique nous soumettroit, sans com
motion, à ce nouvel ordre de choses ».
ce Mais ordonner dans toutes les parties de l'empire
· ( 1o3 ) \

un véritable déplacement, sans que le peuple soit frappé


de sa nécessité, attaquer à-la-fois l'amour-propre, les
relations , les intérêts locaux des villes, bourgs et villa
ges , c'est exciter un grand mouvement , sans qu'il
puisse en résulter ni de grands , ni d'utiles effets ».
« Ainsi , messieurs, multiplier dans une même pro
vince les assemblées d'élection et d'administration , au
lieu de les réunir en un seul corps d'état , et soumettre
l'organisation à des règles fixes et proportionnelles au
· territoire , à la population , à la contribution , c'est
une opération vraiment utile au peuple de ces provin
ces et à l'universalité de l'empire. Mais multiplier inu
tilement les fractions , lorsque l'objet essentiel est
d'obtenir des quantités égales , changer absolument
dans tout le royaume le régime municipal, en com
posant, par la création des communes , une munici
palité de plusieurs, en enrégimentant, pour ainsi dire,
des villes , bourgs et villages qui avoient une exis
tence propre et indépendante de tout autre municipa
lité, cette innovation sera pour toute la France une
contrariété , une disconvenance sensible , sans aucun
avantage apparent ; car s'il est utile d'établir un point
central pour des intérêts communs d'un même district,
d'un même département, la police et la gestion des
affaires locales d'nne ville et d'un bourg doivent être
abandonnées à leurs propres officiers , et c'est-là ce
qui constitue le régime municipal qu'il s'agit aujour
d'hui de rendre universel et uniforme , mais non de .
circonscrire dans des lieux privilégiés ». • " -

« Ce régime étoit celui des Gaules avant et depuis


la conquête des Romains : il fut détruit par l'invasion
- des Francs , mais l'affranchissement des communes fut
pour nous la seconde époque du gouvernement muni
cipal ; et ce n'est que dans le dernier siècle , après la
prise de la Rochelle, que ce privilège , commun à
toutes les villes et bourgs du royaume, fut anéanti
dans plusieurs , et altéré dans tous ».
« Jusqu'alors , chaque communauté avoit ses repré
· sentans , qui élisoient leurs officiers , et composoient
le conseil municipal , chargé de la police, des recettes
( 1 o4 )
et dépenses locales, sous l'autorité et l'inspection du
roi. Voilà ce qu'il est question de rétablir ; et
lorsqu'on retrouve dans la simplicité primitive des muni
cipalités , le mode le plus raisonnable d'organisation ,
il me semble qu'on peut s'abstenir de toute innova
tion , telle que celle qui transporte dans un chef-lieu
le régime de plusieurs. -- Il me semble que c'est diviser
les citoyens au lieu de les réunir, C'est imprimer un
grand mouvement aux petites affaires, et mettre une
trop grande somme d'intérêts particuliers, en compro
mis avec l'intérêt public ».
« Je n'adopte donc ni la division de la France en
quatre-vingt départemens, ni celles des départemens
ca communes et cantons. J'emploi , contre le plan du
comité, les objections de M. de Mirabeau , qu'il
est inutile de répèter, et contre le sien sur la division
de la France en cent vingt départemens , voici mes rai
sons pour n'y pas déſérer » :
« Je ne veux conserver de l'ancienne distribution du
royaume , ni l'inégalité des masses , ni celle des rap
ports entre elles ; mais tout ce qui présente des
proportions raisonnables en se rapprochant des for
mes , et même des dénonciations anciennes, m'a paru
admissible de préférence ».
« Je préfere une division qui compienne dans une
même étendue de territoire , le ressort d'une cour de
justice et celui d'une assemblée provinciale , celui
d'un commandement militaire , et qui puisse s'adap
ter également aux bases de représentation proposées
par le comité, ainsi qu'à toutes les sous-divisions de
diocèse et de districts ».
cc Quatre-vingt départemens, ni cent vingt , ne
présentent point ces avantages ; et comme il existe
nécessairement un premier terme invariable, qui est
Paris , dont le département sera composé de sept a
huit cent mille ames , il m'a paru plus naturel d'en
faire une mesure commune , qu'une exception ».
« Paris , par sa consistance de métropole , a déja un
assez grand avantage sur le reste du royaume , sans y
ajouter
( 1o5 )
ajouter celui d'une disproportion énorme entre sa force
administrative, et toutes les autres. Paris, comme ville,
doit être la reine des cités ; mais comme corps admi
nistrant, il me paroît convenable , et peut-être néces
saire , que Paris ait des pairs dans le royaume , et
que les provinces ne se trouvent point, par une dis
tribution faite dans son enceinte , à une trop grande
distance de la capitale ».
« Je me range ici de l'avis de ceux qui pensent
que la représentation nationale ne peut avoir de base
plus solide que la population , parce qu'elle suppose
ou qu'elle compense toutes les autres , et que si elle
varie dans des lieux déterminés, elle reste à peu
près la même dans une grande étendue de territoire,
qui n'est exposé, ni à la dévastation d'une armée enne
mie, ni à la famine, ni à la peste. Mais si je prenois
pour mesure absolue , un département de huit cens
mille ames , j'éprouverois presque autant de difficultés
dans les grandes divisions, que dans celles de dix-huit
lieues carrées , qu'on entend subdiviser en neuf parties
égales, appelées communes, opération que je crois par
ſaitemeut impraticable ». -

« En évitant donc toutes les perfections idéales,


en ayant égard aux convenances et aux motifs déter
minans par une utilité réelle , je trouve que, de tou

tes les divisions , celle le mieux les condi
tions nécessaires, est la distribution du royaume en
quarante provinces , dont la plus petite ne pourra com
prendre moins de six cens mille ames, et la plus grande
plus de huit cens mille ».
« Je trouve que chacune de ces provinces peut-être
le ressort d'un tribunal souverain , d'une assemblét
provinciale , de deux départemens, et huit districts
d'administration , de deux diocèses et de six cents
paroisses ».
« Chaque district étant composé de soixante-dix à
cent milles ames , nommaroit deux ou trois députés à
l'assemblée nationale : cette latitude est nécessaire ,
jusqu'à ce que la formation et le dénombrement de
districts soient assurés ». O -
( 1 o6 )
« Vous remarquez, messieurs, que la distribution
que j'ai l'honneur de vous † se prête à tous
les établissemens , à toutes les réductions qui vous
paroîtroient convenables. --- Il est très-possible que
quatre-vingt diocèses et ving-quatre mille cures suffi
sent à la France, mais quarante cours souveraines lui
sont nécessaires pour rapprocher la justice des justi
ciables ».

« J'établis donc ainsi ma divison, qui se rapproche


de celle de M. Pison du Galland : elle m'a paru plus
favorable pour la section des grandes provinces, et
pour empêcher le morcellement des moyennes ».
« Je propose que le royaume soit distribué en qua
rante provinces , et qu'il y ait dans macune une assem
blée provinciale ».
« Chaque assemblée provinciale sera composé de
deux départemens ».
« Chaque département sera divisé en quatre dis
tricts ». -

· « Chaque district sera composé d'autant de munici


palités indépendantes entre elles, qu'il y aura , dans
sou arrondissement, de villes, bourgs et villages , ayant
des rôles séparés d'imposition.
« Les assemblés primaires se tiendront dans chaque
ville , bourg et village municipal , pour nommer les
représentans de la commune qui doivent former le con
seil municipal ».
« Les assemblées d'élection pour la représentation
nationale et provinciale , se tiendront au chef-lieu du
district, où les assemblées primaires enverront un député
par cent votans ».
« Lesdits députés éliront des membres des assemblées
provinciales, à raison de treize députés par district ».
« Les assemblées provinciales seront ainsi compo
sées de cent quatre membres, dont 12 seront destinés
à l'administration, par commission , de chaque dépar
tement , et trois à la correspondance de chaque dis
trict ». - º
( 1c7 ) -

« Si je n'adopte pas, messieurs, les assemblées se


condaires et communales, pour l'administration des
districts ; si je préſère des commissions intermédiaires
subordonnées , c'est parce que je suis convaincu que
l'ordre , l'économie, l'expédition des affaires , se con
cilient parfaitement avec une assemblée supérieure d'ad
ministration , qui prononce , qui inspecte , , et des
agens qui exécutent, mais qu'il n'est pas bon d'adopter
pour les détails d'exécution , une hiérarchie d'adminis
tration collective ».

LETTRE de M. Malouet, député de la


sénéchaussée de Riom , à ses commet
lal/lS.

M E s s 1 x U R s,

J'aurois voulu me dispenser de vous rendre un


compte détaillé de la dénonciation éclatante dont j'ai
été l'objet dans la séance du 21 novembre : mais ,
quoiqu'un décret de l'assemblée nationale soit le titre
le plus imposant dont l'innocence puisse s'armer con
§ calomnie, il a déja paru tant de récits diférens,
et quelques-uns si infidèles, que je dois à la con
ſiance dont vous m'honorez, l'exacte vérité : la voici.
Le comité des recherches annonçoit depuis long
tems un rapport intéressant : des bruits de complots
secrets, de trames perfides contre la nation, sans cesse
renouvelés , même dans l'assemblée , irritant son impa- .
tience, alimentant l'inquiétude du peuple, chacun de
nous desireroit vivement connoître les instigateurs des

-
-
( 1o8 )
forfaits et des troubles qui nous afHigent : quelle
qu'en soit l'origine et la cause , à quelque parti qu'ap
partiennent les coupables auteurs de tant de maux , il
importe fort au repos public de les connoître et de
les punir.
Le rapporteur du comité fit l'exposé de ses recher
ches : il annonça des preuves d'un zèle infatigable
pour la cause publique, un examen suivi et attentif de
tous les faits, de tous les indices qui avoient été admi
nistrés au comité, et quelques détails déjà connus ,
dont l'ensemble ni les résultats n'étoient pas concluans ;
« Inais il ſinit par motiver les réticences du comité
» sur la possibilité de trouver dans l'enceinte même de
» la salle , des personnes compromises par les recher
» ches du comité ». Ce soupçon vague, et dangereux
dans les circonstances actuelles , indisposa une partie
de l'assemblée, et je fus du nombre de ceux qui vou
loient demander de plus amples explications au comité ;
car il restoit à résoudre cette question douloureuse que
se font tous les bons citoyens : Quels sont ceux qui
met ſent le peuple en mouvement, qui soudoient des
brigands , qui produisent des émeutes et des disettes à
volonté, qui ont fait brûler les châteaux, menacer le
clergé, insulter et proscrire plusieurs députés , massa
crer des gardes du roi ? Quels sont ceux qui ont envoyé
dans le palais du roi , et dans la salle de l'assemblée
nationale, des hommes féroces et des femmes perdues 7

demandant du pain qui les suivoit sur des charettes 2


Quels sont les détestables auteurs de ces atrocités ? ---
Toutes ces questions n'étoient poiut résolues ; et comme
un très-grand nombre d'honnêtes gens et de bons esprits
^ne pensent pas que la nation toute entière étant sous
les armes, il y ait quelque péril à craindre pour la
nation , une grandea partie de l'assemblée mettoit plus
d'intérêt à la recherche , à la punition dcs crimes
consommés, qu'à celle des crimes possibles , des intri
gues obscures , et du ressentiment impuissant de l'aris
tocratie. -

Ces pensées m'agitoient pendant le rapport du com


mité , et j'étois prêt à prendre la parole , lorsque je
( 1o9 )
fus prévenx par plusieurs membres, dont les uns deman
doient la conſirmation des mêmes commissaires, attendu
l'importance des découvertes dont ils tenoient le fil ;
plusieurs au contraire s'y opposoient, et demandoient
une nouvelle élection. M. Dufraisse rappela le décret
qui l'ordonnoit : il s'expliqua avec énergie sur les dan
gers d'un comité de § indéfini ; il cita l'exem
le de celui du long parlement d'Angleterre ; et en
§ la poursuite rigoureuse de tous les crimes
publics , il insista pour qu'on déterminât celui de lèse
nation, dont la tyrannie pourroit faire des applications
arbitraires.
Je parlai après M. Dufraisse, et voici mes expres
sions telles que ma mémoire me les rappelle, et qu'elles
ont été recueillies dans quelques journaux. --- « Il est
triste, Messieurs, en posant les fondemens de la liberté
publique, d'être obligé d'emprunter les formes du des
potisme pour en anéantir les traces. --- Les circonstan
ees malheureuses qui ont motivé l'établissement de votre
comité des recherches, ne peuvent nous faire abandonner
les précautions nécessaires pour qu'il ne devienne pas
redoutable aux citoyens. --- J'ai entendu parler d'une
descente faite, pendant la nuit , dans un couvent de
filles. --- Des motifs importans ont sans doute déter
miné cette démarche de vos commissaires ; mais j'ai été
étonné qu'il n'en ait point été fait mention dans leur rap
port. Je demande donc qu'ils fassent connoître à l'as
semblée les raisons puissantes qui ont pu forcer les mem
bres du corps législatif à descendre aux détails subalter
nes des fonctions des officiers de police.
- • - -

Je m'attendois aussi à ce qu'il nous fût rendu compte


des recherches faites sur les causes et les émeutes popu
laires. --- Il a été commis,2 sous nos yeux,
veux, des crimes
publics, et de grands crimes ; je demande quelles mesu
res ont été prises pour en obtenir la punition ».
Cette observation de ma part n'avoit rien d'offensant
pour le comité des recherches ; car l'exercice d'un
droit n'est point une offense ; et le droit de tous les
membres de l'assemblée , droit dont on use tous les
jours, est d'interroger les différens comités, de leur
( 1 1o )
demander toutes les explications qu'on juge nécessaires.
Le comité des recherches a même, sur tous les autres ,
l'avantage de réduire ou d'étendre à volonté ses expli
cations ; et comme on ne peut l'inculper sur ses réti
cences , il faut au moins qu'on ait la liberté de lui de
mander s'il a celle de parler, ou s'il a des raisons de
se taire.

J'avois à peine ſini, que le rapporteur et deux autres


membres du comité vinrent à † tribune. Ils parois
soient irrités; j'étois fort calme : ils se trouvoient offen
sés, et je n'avois point d'offense à me reprocher ; car
il est très-différent de rejeter un principe, d'improuver
une démarche dont on ignore , dont on demande le
motif, ou d'en suspecter l'intention. La plus parfaite
droiture ne nous préserve pas d'une erreur. Le rap
porteur répondant avec plus d'ironie que de colère à
mes observations , me désigna sous le nom du généreux
ami de la liberté, et je crois fort que j'en mérite le titre
par mon respect pour son saint caractère , par ma ten
dre vénération pour ses vrais défenseurs, et mon horreur
pour la licence.
L'explication relative au couvent, fut que la police
ayant instruit le comité, qu'un personnage important
étoit caché dans le monastère de l'Annonciade , on en
avoit fait la recherche avec toute la décence et les
précautions convenables. --- Mais quel est le délit im
portant qui pourroit motiver son enlèvement , sans
décret, sans plainte rendue préalablement ? --- il est
possible que cela fût nécessaire à la sûreté publique :
je n'insistai point. - -

Relativement aux émeutes, aux crimes publics que


j'avois rappelés, le rapporteur annonça les efforts et les
espérances du comité d'en suivre la trace. --- Il repondit
au vºeu que j'avois marqué par de semblables vœux.
La facilité d'une telle explication suſſisoit pour déjouer
et réduire à l'impuissance ou le ſaux zèle , ou la mau
vaise intentipn qui l'auroit provoquée. M. Glézen se
crut obligé de faire plus, car il faut être irrésistiblement
commandé par sa conscience, pour annoncer , je ne
dis pas la mort, ce seroit peut de chose , mais un
( 1 11 )
opprobre éternel, et toutes les vengeances nationales à
un de ses confrères siégeant à ses côtés. M. Glézen
déclara donc que la discrétion du comité des recherches
seroit suffisamment justifiée, lorsqu'on sauroit que le
généreux ami de la liberté, qui se plaignoit des réti
cences du comité, étoit lui-même compromis dans ses
recherches ; que parmi les papiers relatifs à l'affaire
du sieur Augeard , se trouvoit une lettre de M. Malouet,
adressée à un homme puissant, à un grand personnage ;
et que cette lettre présentoit les caractères d'une cons
piration contre l'assemblée nationale ; qu'on y parloit
de scélérats qui mettent le feu dans le royaume, et que
cette épithète s'adressoit à des membres de l'assem
blée. A

A ces mots , un frémissement général saisit tout


l'auditoire ; la salle retentit d'un cri lugubre d'indigna
tion et de douleur. J'étois près de la tribune ; je m'y
élançai, et je présentai ma tête : l'impétuosité des
mouvemens contrastoit fort, j'ose le dire, avec la séré
nité de mon ame ; j'éprouvai, dans le premier instant ,
non de l'effroi, c'étoit un étonnement stupide qui
n'étoit pas encore de la douleur, mais qui devint une
douleur mortelle , lorsque dans ce tumulte funèbre ,
j'entendis les battemens de mains dont on accueilloit
ma cruelle position. J'aurois expiré sur l'heure, si je
n'avois pu parler ; et quoiqu'un bruit affreux m'empê
chât d'être entendu , je m'écriai : « Quoi ! Messieurs,
il est ici des hommes heureux de trouver un coupa
ble ? quoi ! l'on applaudit ici à la présomption du crime ?
Ah! j'espère vous faire éprouver bientôt un sentiment
plus doux; vous applaudirez aussi, je l'espère , à mon
1I1I1O C6I1C6 >> • -

Ces paroles, presque perdues, me soulagèrent au


point que je revins dans mon assiette ordinaire. M. Glé
zen parloit encore ; je descendis tranquillement à la
barre ; et la grande pluralité de l'assemblée, qui parois
soit déjà persuadée que ce n'étoit pas là ma place, jugea
ce mouvement ce qu'il étoit, la fierté de l'innocence.
Je fus applaudi. Les huissiers résistoient à mon entrée
à la barre ; je les ſis retirer , et j'y restai quelques
( 1 12 )
momens, mais je cédai aux instances de M. le prési
dent, qui me rappeloit à la tribune. Il y eut alors un
mouvement vif dans l'assemblée. Mes amis, et plusieurs
de ceux auxquels je suis indifférent, manifestèrent un
grand intérêt pour moi, Je craignois le tumulse ; je
demandois à être entendu : il se fit tout-à-coup un grand
silence, et je crois qne je parlai à-peu-près en ces ter
mes : « Messieurs , c'est en me plaçant à la barre que
j'ai dû marqner la gravité de l'inculpation qui m est
faite, et en demander la réparation ; c'est pour obéir
à M. le président, votre organe , que je reparois à
la tribune. J'ignore ce que contient la lettre qu'on vous
dénonce comme si coupable ; j'ignore à qui elle est
adressée : ce n'est donc pas d'après mes souvenirs, mais
d'après mon cœur, où il n'entra jamais un sentiment
indigne d'un homme de bien, que je vous annonce
qu'une lettre de moi est innocente et pure. Je déclare
qu'aucune de mes lettres ne peut être, je ne dis pas
coupable , mais même suspecte ; je déclare n'avoir
jamais écrit, même à mes amis, que d'après les prin
cipes et les opinions que j'ai hautement manifestés
dans cette tribune. --- On dit que cette lettre inculpe
des membres de l'assemblée. Si cela est, si j'ai fait une
injure à quelqu'un, elle sera réparée. ---- Il est possible
qu'accablé, depuis huit mois , de libelles, de calom
nies atroces, jugé corrompu aussi-tôt qu'on m'a vu
modéré, ayant entendu des membres dont le patriotisme
s'égaroit au point de noter sur des listes et de flétrir
ceux qui n'étoient pas de leur avis ; il est possible
que des mouvemens d'indignation, qui m'ont échappé
au milieu de vous, se soient reproduits dans mes let- .
tres ; il est possible qu'ayant devancé la révolution
† mon amour pour la vraie liberté, ayant eu, dans
es tems du pouvoir absolu , la contenance et le carac
tère d'un homme libre , j'aye , aux jours de licence ,
blâmé par écrit, comme je l'ai fait verbalement ,
l'exagération des principes et les désordres de l'anar
chie : mais une pensée, un sentiment anti-patriotique ,
un crime contre la nation ! Ah ! Messieurs , ma vie
toute entière, mes mœurs , ma conduite , ma résistance
même à l'autorité arbitraire , quand on pouvoit la
craindre ,
( II3 )
tout vous répond du contraire ; et si nous sommes main
tenant assez malheureux pour que les caractères et les
opinions modérées soient jugées anti-populaires, ce n'est
plus la liberté qui nous attend, c'est la tyrannie qui nous
menace ; car la liberté ne se trouve que là ou dominent
la raison, l'honneur et la probité....
Je parlai plus long-tems, mais les notes étrangères
dont je me suis aidé, finissent ici, et c'est assez.
J'oubliois de dire que j'avois demandé acte de la dé
nonciation de M. Glézen, et la production de ma lettre.
Plusieurs députés me rappeloient les paroles de l'hono
rable membre , qu'il devenoit important de recueillir.
On rapprochoit la première partie de sa phrase, ce géné
reux ami de la liberté, de celle qui me déclaroit l'au
teur d'une lettre coupable , cc portant de grands carac
» tères de conspiration contre plusieurs membres de
» l'assemblée, que je désignois par l'expression de scé
» lerats qui mettent le feu dans le royaume ; » et j'en- .
tendois déjà préférer ma triste position à celle de M.
Glézen. J'étois encore à la tribune; une foule de dépu
tés se pressoit autour de moi pour me défendre : je vis
sur-tout avec attendrissement plusieurs de mes compa
triotes, et M. Dufraisse, qui me serroit dans ses bras,
qui ne pouvoit me dire un mot, tant il étoit ému, mais
qui retrouva tout de suite et son courage et sa voix
pour parler à l'assemblée. Je ne m'attendois pas, dit-il,
en vous parlant du long parlement d'Angleterre, à
être si-tôt dans le cas d'en trouver ici l'application. --
Mon amitié pour M. Malouet ne m'aveugle point ; la
pureté de son cœur m'est connue ; il ne peut avoir écrit
une lettre coupable : mais cette lettre a été entre les
mains de la commune de Paris et du procureur du roi ,
dit-on ; ainsi l'on disposoit de l'honneur d'un de vos
membres , sans votre participation....
Je ne pus tout entendre, car vingt personnes me
parloient à-la-fois. M. le duc de Liancourt voulut mon yº

ter à la tribune ; M. Garat, M. Duquénoi demandoient


la parole , et je distinguai dans les deux bouts de la
salle, la voix dé M. le prince de Poix, celles de MM.
de Crillon, qui s'élevoient pour ma défense.Je n'avois
- ( 1 14 )
l† apperçu le comte de Virieu ; il étoit aussi à la tri
une, et j'eus la douce satisfaction d'y recueillir de
nouveaux témoignages de son estime et de son amitié ,
avant que ma lettre fût connue. --- Si je n'étois pas
dans cette scène le principal acteur, je dirois qu'elle
fut tout-à-la-fois et terrible et touchante ; mais je dois
le dire , car c'étoit la cause de tous les citoyens ; il
m'y sembloit voir le berceau de la liberté, entouré des
poignards de la tirannie.
Enfin ma lettre arriva ; on avoit été la chercher à
l'hôtel-de-ville ; et toutes les présomptions qui s'étoient
élevées en ma faveur, s'effacèrent un moment, quand on
vit paroître l'abbé Goutte, cette lettre à la nain. -- On
avoit dit qu'elle étoit écrite à un homme puissant; je
n'en connois point en France, car je n'avois point écrit
à M. le comte d'Estaing, commandant l'armée qui con
quit la grenade, mais commandant la milice nationale
de Versailles. Ce n'étoit point à un grand seigneur ,
à un courtisan, que cette lettre s'adressoit ; c'étoit au
chef des citoyens armés pour la garde de l'assemblée
nationale. Un silence d'effroi et d'intérêt succéda à tou
tes les agitations : je m'avançai près du lecteur; et quand
j'eus reconnu ma signature, je dis à l'assemblée . .. . .
# lettre
lettre,
est de moi ; je n'en désavoue rien. Voici la

Mo N s I EU R LE CoM T E ,

« J'ai l'honneur de vous prévenir que le sieur M....,


parfumeur , a dit à mon domestique, qu'aussi-tôt qu'on
auroit distribué à la milice les fusils qu'on attendoit, le
premier usage qu'elle en feroit seroit pour se débarras
ser des députés mauvais citoyens ; qu'ils étoient parfai
tement connus; qu'on étoit résolu d'aller les arrêter
chacun chez eux ; que les bourgeois assistoient à toutes
les séances, pour entendre et connoître ceux qui par
lent contre les intérêts du peuple ; que le premier arrêté
seroit l'abbé Maury. -
( 115 )
ut Comme cette fermentation du peuple est entretenue
par des scélérats qui calomnient de toutes les manières,
et qui proscrivent ceux qu'ils croient contraires à leurs
projets de subversion ; comme je suis l'une des victinies .
désignées,que les lettres anonymes,les libelles, les mena
ces directes ou indirectes me poursuivent journellement,
jai cru devoir vous dénoncer ce parfumeur, dont je
joins ici l'adresse. Si c'est un homme trompé de bonne,
foi, il peut faire connoître ceux qui échauffent ainsi le
peuple. --- Il n'est que trop vrai qu'il existe parmi nous
de mauvais citoyens, et je crains bien qu'ils ne viennent
à bout de tout perdre, avant que le peuple sache qu'il
leur doit tous § malheurs qui le menacent. -- Votre
vigilance, monsieur le comte, votre fermeté, votre
patriotisme, vous ont acquis la confiance universelle,
et je ne doute pas que vous ne préveniez tous les désor
dres qui pourront naître. -- Mais qui nous préservera de
la banqueroute, de la disette, de la guerre civile, qui
nous menacent ? --- Un génie malfaisant plane sur ce
beau royaume ; presque par-tout le peuple est fou et fu
rieux : ceux qui pourroient l'éclairer, l'égarent, et notre
position empire tous les jours , etc. . · ' # '...
« Recevez, monsieur le comte, les nouvelles'assu
rances du respéct et de l'âttachement avec lesquels j'ai
l'honneur d'être , etc ». · .: • . :

· Pour bien se représenter l'eſſet que produisit sur


I'assemblée la lecture de cette lettre, il faut se rappe
ler l'éclat de la dénonciation, les circonstances auxquel
les on l'avoit liée , l'affaire du sieur Augeard. On avoit
annoncé que la lettre présentoit un « caractère de cons
º piration contre plusieurs membres de cette assem
blée, etc . * . . · · · · · · · tºº : » -'• • •

L'indignation fut générale, et je jugeai dès-lors qu'il


étoit plus convenable de calmer, que d'exciterle mou
vement qui se manifestoit en ma faveur. --- Je songeai
plus, dans ma défense , au respect que je devois à l'as
semblée, qu'à la réparation qui m'étoit due.J'aurois pu
me borner à dire : « messieurs, que celui qui n'en a
» pas écrit autant à ses correspondans, me jette la pre
* mière pierre ! » car il n'est que trop ordinaire, dans
- P 2
( 1 16 )
les circonstances actuelles, de regarder réciproque
ment comme mauvais citoyens tous ceux dont les prin
cipes sont opposés aux nôtres ; c'est au moins l'injusti
ce dont je Ill6> plains pour mon compte : mais on peut
remarquer que dans ma lettre, la désignation de mau
vais citoyens n'a lieu que par occasion, et parce que
cette expression se trouve dans la bouche du sieur M....
Je ne la cherchois pas, je la laissois à sa place. Quand
aux scélérats, je ne crois pas que personne soit tenté
d'en nier l'existence. Nous avons vu tant de scélérates
se , qu'il faut bien qu'elle appartienne à quelqu'un
Je dis que presque par-tout le peuple est ſou et furieux
Certainement on ne peut pas croire que j'aie voulu
signaler ainsi l'universalité du peuple François. Dans
tous les coins du royaume, la saine partie du peuple a
gémi, a souffert des actes de folie et de fureur qui se
sont saultipliés. -- il n'y a surement rien de plus fou
que cette intervention de gens qui ne savent pas lire »
dans la discussion
par exemple des royal;
du veto grandes et
questions
j'ai vu de
desconstitution»
porteurs de
chaise, à la porte de i'assemblée nationale, dans une
grande agitation sur le veto. Quand à la fureur je n'en
rappellerai pas les preuves ; que ne pouvons-nous les
effacer de notre histoire ! Je dis qu'on trompe le peu
ple, qu'on l'égare ; ah ! j'en suis bien convaincu. C est
le tromper cruellement , que de l'accoutumer à la
licence, à l'immoralité, aux injustes soupçons; de lui
montrer comme ses ennemis les hommes droits et mo
dérés. --- Sans doute il ſaut lui parler de liberté , et
la lui faire aimer , mais en lui faisant respecter la jus
tice , les lois et les droits de tous. Je ne connois rien
de plus qui
diaires coupable querépandus
se sont les libelles et toutes
dans les prédicans incen
les parties du

royaume. --- Je sais que quelques amis de la liberté ,


en ayant pour eux tout le mépris qui leur est dû ,
trouvent cependant dans la fermentation qu'ils excitent,
ufie sorte d'utilité pour la révolution. --- C'est un prin
cipe faux, détestable. --- La corruption , le mensonge ,
ne produiront jamais rien de pur et d'honnête. --- Aux
armes, citoyens ! on nous opprime ! Voilà un mou
vement généreux qu'un homme de bien peut se per
( 117 )
mettre sur la place publique contre la tyrannie. Mais
les factieux, les libellistes, par leurs perfides séduc
tions, commandent au peuple d'être tout-à-la-fois escla
ve et tyran. Ils lui parl nt de sa puissance, et ils l'en
gagent à juger souverainement sur leur parole ; ils lui
parlent de vengeance, et ils l'engagent à exécuter ses
jugemens. --- Ils profèrent le saint nom de liberté, et
c'est pour en violer tous les droits.
Ils semblent faire deux parts du genre humain, dont
l'une doit être exterminée pour que l'autre soit
libre.
Je m'expliquai à-peu-près dans cestermes, et dans cet
esprit ; et je crois qu'on me rend la justice de convenir
que je m'arrêtai et finis au moment où je m'apperçus
que je faisois une impression vive sur l'assemblée.
M. de Rochebrune m'avoit succédé à la tribune, et
demandoit justice pour moi ; mais on appeloit M. Glé
zen , dont j'avois évité de prononcer le nom. Il eut
beaucoup de peine à se faire entendre ; on lui reprochoit
sévèrement cette dénonciation ; et lorsqu'il s'écria : Si
M. Malouet est innocent, est-ce donc , moi qui suis
coupable ? un grand nombre de voix prononcèrent ,
oui, oui. Sa position avoit changé, et il eut alors un
très-beau mouvement. --- Eh bien ! messieurs, dit-il,
puisqu'à mon tour je suis accusé, daignez m'entendre.
Vous avez décrété que tous les accusés auroient un con
seil, qu'ils seroient publiquement entendus dans leurs
défenses : refuserez-vous à un membre de cette assem
blée la justice due à tout citoyen ? --- M. Glézen
avoit raison ; mais il falloit ajouter : vous avez décrété
la libre communication des pensées, même par la voie
de la presse ; ainsi j'ai tort de condamner celles dépo
sées sous le sceau d'une lettre. · · -

: Pendant que M. Glézen parloit, j'entendis et j'apper


çus des dispositions : fàcheuses pour lui. Je demandai
alors la permission de l'interrompre, et je dis à l'as
semblée qu'espérant bien qu'elle ne me trouvoit suscep
tible d'aucune inculpation, je la suppliois de ne donner
aucune autre suite à cette affaire. ·· · ·
- - - - -- - - - - : -" : - J . -
- ( 118 )
M. Glézen continua son discours; et croyant sans
doute avoir besoin de se justifier à mes dépens, il
paraphrasoit, dans un sens défavorable , le texte de ma
lettre. Le procédé n'étoit pas généreux, sur-tout d'après
ma dernière déclaration. --- Je lui dis : monsieur, je
vous invite à finir , sans quoi je recommence.
| Il finit alors. J'avois tout simplement demandé à
étre honorablement déchargé. On me ſit remarquer
que cette formule sembloit donner quelque consistance
à l'accusation, et M. Duquénoi proposa celle-ci : Il
n'y a lieu à aucune inculpation, qui fut adoptée avec
les signes les plus touchans pour moi de l'intérêt qu'avoit
Pris à ma situation la plus grande pluralité des membres
de l'assemblée. - - - • •

Mais avant la conclusion , j'eus à repousser la pro


position d'un ajournement ; et lorsque celle-ci fut re
jetée, celle de la question préalable fut la dernière.
M. le duc de la roche-foucault, dont la loyauté et
le patriotisme sont connus , derhanda que le nom de
l'auteur fut inséré dans le procès-verbal, et M. de
Robersbierre se présentoit pour la défendre ; si l'as
semblée l'avoit permis. ' : º ! :
Tel est, messieurs, le récit fidèle des faits.Vous y
trouverez tout-à-la-fois unê preuve mémorable , et de
la pureté des principes de l'assemblée nationale, et du
danger effrayant dont la liberté publique et la sureté
· de chaque citoyen sercient menacées , si les écarts
et les , excès d'un faux patriotisme y pouvoient préva
loir. --- Il m'est bien doux de pouvoir vous offrir l'as
surance et l'exemple du coñtraire. Si vous me deman
dez maintenant , messieurs, corufnent et par [uel
motifs tant de calomnies m'ont pouisuivi , tant de
tentatives ont été faites pour me perdre ; comment
on m'a supposé des liaisons avec des personnes aujour
d'hui suspectes , que je n'ai jamais connues , je vous
répondrai : subordonné, comme doit l'être tout citoyen,
á la volonté générale , inviolablement soumis aux dé
crets de l'assemblée nationale , j'y suis arrivé, per
suadé que nous pouvions, sans convulsion , sans déchi
rement , poser les ſondemens de la liberté publique ,
z | ( 1 19 )
réformer les lois , les mœurs et les abus. --- J'avois
développé mes opinions dans les cahiers que vous avez
adoptés, dans le discours que vous avez applaudi le
neuf mars dernier (1) ; je les ai constamment défendues.
Voilà mes torts; mais ma correspondance ne présente
aucun signe de résistance aux principes adoptés par la
pluralité : confiance, respect et soumission envers le
corps législatif, fidélité au roi, justice et bienveillance
envers toutes les classes de citoyens, voilà le texte
et l'esprit de toutes mes lettres à MM. les officiers
municipaux ; aussi ai-je eu la consolation de voir ma
patrie calme et paisible au milieu des orages ; et
c'est avec cette sécurité d'une bonne conscience, que
je serai toujours prêt à vous rendre compte de la
mission dont vous m'avez honoré.

- Je suis avec respect,

M E s s 1 E u R s,

Votre très-humble et très


obéissant serviteur ,
MALoUET.

(1) Ce discours dont je ne rapporterai qu'un para


graphe , est tel que je le prononcerois encore dans l'as
seuiblé nationale, et il annonçoit dès-lors qu'elle y seroit
ma conduite.

cc Nous ne dissimulons pas, messieurs, que le peuple


a plus besoin d'être gouverné et d'être soumis à une
autorité protectrice, qu'il n'a d'aptitude à la diriger--
: La circonstance importante où nous sommes , a
développé toutes les idées publiques ; une grande
| ( 12o )

Letre à l'auteur du Mercure.

Versaille, le 12 octobre, 1789

» J'ai l'honneur de vous adresser, monsieur , diffé


rentes pièces que je crois important de rendre publiques.
S'il y a quelque moyen d'éclairer le peuple sur les
écarts dangereux dans lesquels on l'entraîne, c'est
en produisant, en en publiant le témoignage. Il n'y
a point d'exemple dans l histoire d'aucune nation ,
de la perversité des principes et de la fureur aveugle
qui nous menacent d'une subversion totale ».
« Nous avons une grande tâche à remplir, celle
de faire une constitution conforme au vœu national. Il
est ou n'est pas exprimé dans nos cahiers. Dans le
premier cas, si la nation a unanimement manifesté
sa volonté , rien ne pouvoit nous empêcher de l'exécu
ter. Si , au contraire la diversité des instructions lais
soit aux représentans la liberté d'interroger et d'inter

2>
masse de lumières s'est élevée autour de nous ; tous
» les voiles sont déchirés ; on remonte à l'origine de
D
» toutes les institutions ; et quand on y est parvenu ,
» quand c'est le peuple en corps , ou la partie éclairée
» de ce peuple, qui découvre et définit les pouvoirs et
» D
les distinctions qu'il a créés ou tolérés, l'agitation
Xb
que produisent dans les esprits, ces hautes pensées,
>>
ne permet pas toujours de s'arrêter à ce qui est juste
CC
et utile. Au milieu de cette foule de maux , nés de
» l'état social , il est peu d'innovations qui ne parois
» sent être le vœu de la raison ; mais , si nous som
>

,)2
mes attentifs à sa voix , nous la trouverons toujours
D>
sévère , circonspecte , et non inconsidérée dans ses
2) IIlOllVeIll6 llS D>,

roger
N,

( 121 )
† l'opinion publique, eux seuls en avoient le droit.
• Survenoit-il un obstacle ? c'étoit à eux à le détruire,
en appelant, en contenant la force publique, et même
l'insurrection du peuple , dans le cas où elle seroit
provoquée par de nouveaux efforts du patriotisme ».
« Il étoit digne d'une grande nation de marcher
fièrement, mais avec ordre et mesure, à la liberté
qui venoit au devant d'elle; de nommer, de juger ses
ennemis ; d'être toujours précédée dans sa marche de
l'appareil imposant des lois et du respect qui leur est
dü, et d'envoyer au supplice les premiers brigands
qui auroient osé mettre au bout d'une pique, la tête
même d'un coupable, exécuté sans jugement ».
« C'est ainsi que dans un grand empire, où le mo
narque avouoit et proclamoit lui-même les principes
constitutifs, où aucun chef, aucun parti armé ne se
déclaroit contre la liberté; c'est ainsi, dis-je, qu'il
nous convenoit de la conquérir. Et si l'on découvroit
quelques intrigues obscures, quelques manœuvres per
· fides pour traverser les opérations du corps législatif,
un tribunal devoit s'élever sur-le-champ pour les re
chercher et les punir ». ' . -

« Mais qu'un millier de prétendus publicistes s'é


lève à-la-fois dans toutes les parties du royaume, et
répande comme des dogmes sacrés leurs assertions ,
leurs jugemens, leurs principes législatifs ; que des
libellistes, des auteurs faméliques prennent le mas
que du patriotisme , pour dénoncer, comme des traî
tres à la patrie, tout député, tout citoyen qui ne parle
•/
as comme leur feuille ;qu'un million d'hommes, dans
es villes et dans les vi11ages, s'agite et se soulève
en même tems contre tous les pouvoirs, les juge comme
les opinions, les détruise ou les modifie , brise tous
les ressorts de cette antique monarchie; que la pros
cription , la calomnie parcourent comme un ouragan
toute l'étendue du royaume, et qu'au même instant
où l'on dit, à la porte de la salle nationale : Il faut
pendre les calotins , il faut couper la téte à tel député,
on brûle les châteaux dans les provinces, on prenne
( I22 )
des arrêtés dans les villes, dans les bourgs, contre la
sanction royale..... »
« Je dis, monsieur , que dans cet état de choses ,
il faut pleurer sur les ruines de la patrie, et se met
tre sous la protection d'un pistolet ».
« Vous lirez aujourd'hui, dans la feuille intitulée :
Assemblée nationale , que l'auteur invite les bons citoy
·ens à persuader aux Auvergnats qui sont à Paris ,
qu'il ne faut pas m'assassiner, si je n'ai d'autre tort que
de n'avoir pas été de l'avis de la majorité ».
« L'auteur, qui connoissoit sans doute la délibéra
tion de la ville d'Ardes , a craint que cet acte célèbre
n'ait armé toute l'Auvergne contre moi. Je le prie de
rendre plus de justice à mes compatriotes : il est pos
sible qu'il y ait quelques scélérats, nés sous le même
méridien que moi ; mais ils seront connus tot ou tard,
et n'échapperont pas au sort qu'ils méritent ».
« Quant à moi , on peut placer mon nom dans la
listes des conjurés, ou dans celle des proscriptions, ou
dans la galerie des états-généraux. J'ai le plus profond
mépris pour ces nobles hostilités et pour les auteurs. -
Je ne vois dans aucun parti , ni des Sylla, ni des
Marius. On apperçoit de grands crimes , et point de
grands criminels. --- Des libelles, des poignards qui
se cachent, des petits persomages qui singent les
Cromvvel, des filles perdues, des misérables auxquels
on distribue de l'argent; voilà les moyens et les
talens des acteurs de cette tragédie. --- Si J'étois bien
sur de leur signalement, ils pourroient compter sur
moi pour les dénoncer, jusqu'à ce qu'ils me tuent par
derrière ». - r

J'ai l'honneur d'être , etc.


M A L o U E T.
( I23 ) A

Délibération de la ville d'Ardes , contre


M. MA LovET, député de la sénéchaus
sée de Riom. A.

—•m-EL - -m•

· t

, « Aujourd'hui treize septembre mil sept cent quatre


vingt-neuf Les habitans et corps communs de la ville
d'Ardes, se sont assemblés en la manière ordinaire ,
au son de la cloche , au lieu accoutumé , à laquelle
ont assisté messieurs, ( voyez ci-après les signatu
res ) ».
« Les habitans délibérant sur les nouvelles appor
tées par le courrier de vendredi dernier , et notam
ment sur l'importante question de la sanction royale
actuellement agitée dans l'auguste assemblée de la
nation ».
« Etonnés autant qu'indignés de voir consigné dans
tous les journaux, que , sur cette question, M. Malouet,
un des députés de la sénéchaussée de Riom, soutient
avec la dernière chaleur, que le roi doit avoir le véto
absolu ». ,
« Considérant que dans cette opinion, tout savant
que peut-être M. Malouet, il n'en est pas moins cou
pable d'un abus de confiance envers ses commettans ,
uisque suivant l'article premier des cahiers, généra
† adoptés par la sénéchaussée de laquelle il a l'hon
neur d'être député, le vœu impératif de ses commettans
est,que l'assemblée nationale soit reconnue solemnellement
la seule puissance compétente pour consentir et sanctionner
les lois et les impôts; qu'en conséquence, au lieu de
se livrer à des sentimens étrangers pour lui, M.
Malouet auroit dû avant de les hasarder, jeter les yeux
sur ses pouvoirs, dans lesquels il eût trouvé la solu
tion de † question proposée »- Q 2º
( 124 )
« Que M. Malouet est eucore d'autant plus repré
hensible de cet écart, que quoiqu'il ne soit mis au
cune restriction à ses pouvoirs, ce devoit être pour
lui un motif d'en mieux apprécier la valeur, et de
considérer que plus on lui accorderoit de confiance ,
plus il devoit étre jaloux de la mériter, en ne posant
rien contre le vœu et au préjudice de l'intérêt de ses
commettans ; que d'ailleurs lorsque ce vœu étoit ,
comme on vient de le voir, aussi clairement qu'éner
giquement exprimé, il ne devoit plus en être que le
pu et simple organe ».
« Sur quoi les délibérans ayant mûrement réfléchi,
il a été unaniment arrêté, que pour faire rentrer M.
Malouet dans les bornes de son devoir , et se préserver
à l'avenir de tous aiftres abus de confiance de sa part,
il lui sera adressé sans délai copie en forme de la pré
sente délibération, ainsi qu'à toutes les municipalités
du ressort de la sénéchaussée de Riom, pour par elles
- également aviser de rendre à l'avenir M. Malouet
plus circonspect dans ses opinions ; et n'entendant
néanmoins le gêner en aucune manière dans celles des
questions non prévnes par ses cahiers ».
» Fait et clos dans la salle ordinaire des assem
blées. Ceux qui ont su signer, ont signé lesdits jours
et an que dessus; et à la minute ont signé , Costel,
Puel , Derribes, Lugny de Maillargue, Monestier,
Chandorat, Bec, Petit, Julhe, Blanc, Berthelon , La
mirat, Nazary, Chastel, Balbon, Morin, Eregût, Du
rand, Fabre, Malon, Brugière, Balbon, et autres pré
sens, qui n'ont su signer ».
Par expédition, Aymet, greffier municipal»,
( 125 )

LETTRE de M. Malouet , député de la


sénéchaussée d'Auvergne, à M. Costel,
lieutenant général du baillage d'Ardes.

–m-→

« J'ai été fort étonné, monsieur, de trouver votre


nom dans l'acte insensé qui m'est parvenu au nom de
la communauté d'Ardes. — On ignore, sans doute ,
dans votre ville, ce que c'est qu'un représentant de la
nation, et le respect qui lui est du , jusqu'à ce qu'il
soit prononcé en jugement légal, qu'il a trahi les in
térêts qui lui étoient confiés.... Les bourgeois de la
ville d'Ardes osent me déclarer coupable d'abus de
confiance ! Et de quel droit trente | Habitans d'une
petite ville, ou même d'une grande, s'aviseroient-ils
de flétrir mes opinions, et l'obligation où je suis de
parler selon ma conscience et mes lumières dans l'as
semblée nationale ? Quelle idée avez-vous donc, mes
sieurs, du corps législatif, si vous vous croyez le
pouvoir de prescrire à chacun de ses membres la
manière dont il doit opiner ? et si la ville d'Ardes a
cette prétention à mon égard, pourquoi chacune des
huit cents paroisses qui ont concouru à mon élection,
ne l'auroit-elle pas ? pourquoi chaque ville, bourg et
villagé n'enverroient-ils pas aussi leurs ordres ou §
censure à l'assemblée que vous appelez auguste , en
outrageant ses membres ? Lorsque le peuple d'un grand
empire conçoit la liberté sous d'aussi faux rapports,
il travaille pour la tyrannie ».
« Vous me citez un article de mes cahiers : croyez
vous donc l'entendre mieux que moi, qui les ai faits?
Et vous, monsieur, ne vous souvient-il plus que lors
que ces instructions parurent et furent des premières
répandues dans le royaume , on en citoit l'auteur
( 126 )
comme un des plus fervens amis Se la liberté ? certes
je n'ai pas changé, mais bien les hommes et les cir
constances environnantes. J'étois l'ami de la liberté,
et l'ennemi de l'anarchie, du despotisme, quelqne part
qu'ils se rencontrent. --- Voilà ce que je suis dans ce
moment-ci, méprisant, détestant le fanatisme féroce
qui me menace, ainsi que d'autres honnêtes gens de
l'assemblée nationale. Vous prétendez , messieurs ,
que mes cahiers me prescrivoient de refuser au roi le
véto indéfini ! Et où avez-vous pris cette absurdité ?
Imaginiez-vous, à l'époque de l'élection des députés,
que la France, la nation , et l'autorité royale, devien
droient ce qu'elles sont aujourd'hui » ?
« Premièrement, monsieur, on lit dans trois arti
cles de mes cahiers, que le pouvoir législatif ne doit
· point être exercé par le roi, sans le concours des repré
sentans de la nation ; art. 8.
Que le roi, premier organe du pouvoir législatif, doi
avoir la plénitude du pouvoir exécutif, art. II.
« Ainsi donc , l'intention de mes commettans étoit
d'accorder au roi une plus grande part dans le pouvoir
législatif, que celle du droit de refuser la loi; car le
pouvoir de la faire et de la proposer est très-supérieur
au droit d'y consentir et de la suspendre. Le premier
laisse au monarque la fonction de législateur; le second
l'en dépouille : ainsi, je ne pouvois mieux faire, pour
obéir à mon mandat, que de diminuer le moins pos
· sible, la prérogative qu'il accordoit au monarque. --
Ainsi, le premier article de mes cahiers, que la
communauté d'Ardes m'oppose si victorieusement ,
prouve que les délibérans n'ont pas entendu la ques
tion. --- Si, en effet, l'assemblée nationale s'étoit bor
née, suivant mon mandat, à se déclarer la seule puis
sance compétente pour consentir et sanctionner les lois
et les impôts, il est claire qu'elle auroit donné au roi
le pouvoir qu'elle s'est réservé, et qu'elle auroit eu
celui qu'elle a donné au roi ».
« Il me parut, monsieur, que les communes d'Au
vergne, dont j'ai l'honneur d'être député, furent au
L ( 127 )
mois de mars dernier, très-contentes de cet arrange
ment ; mais vous verrez dans mes opinions, que je
joins ici , que j'ai été plus loin que mes cahiers, et
que je n'ai point balancé à attribuer aux yeprésentans
de la nation, l'exercice du pouvoir législatif ».
« Je ne suis donc pas coupable d'un abus de con
fiance, et ceux qui se permettent cette inculpation
par un acte authentique, me doivent une réparation. --
Je la demande, monsieur , très-expressément. —
J'exige que le promoteur de cette délibération soit
dénoncé, et je déclare que je le poursuivrai juridique
ment, non-seulement comme ayant manqué à un re
présentant de la nation dans ses fonctions, mais com
me perturbateur du repos public ; car c'est ainsi que
des esprits incendiaires agitent le peuple en l'égarant,
et le portent aux excès qui désolent la France. — Je
sais que dans votre canton on fait circuler, comme
ailleurs , toutes les feuilles absurdes et calomnieuses,
où les ignorans de bonne foi, et les méchans de pro
fession, vont puiser les argumens : c'est par de telles
manœuvres qu'on a essayé de me diffamer, et finale
ment de me faire assassiner. Mais j'usqu'à ce que cet
attentat soit consomné, les scélérats pâliront devant
moi : je les dénonce, je les poursuis dans l'anarchie
où nous vivons ; jugez, monsieur, si je leur ferai grace,
quand l'empire des lois sera rétabli ».
« J'adresse le procès-verbal de votre communauté
au présidial d'auvergne; je demande qu'on informe
contre le promoteur, car je ne pense pas que ceux
qui l'ont signé, aient participé à sa méchanceté : ce
pendant, comme les délibérans ont eu l'imprudence
de rendre publique leur délibération, j'ajouterai à
cette pnblicité , en la faisant insérer dans les papiers
publics ».
J'ai l'honneur, etc. signé MAzovET.
Paris, le 11 octobre 1789. |
( 128 )

AFFAIRE de Toulon : offîciers généraux et


principaux de la marine , conduits en
prison.

CoMPTE rendu de cette affaire au ministre,


suivi de l'opinion de M. Malouet dans le
rapport qui en a été fait dans l'assemblée
nationale le lundi 7 décembre 1789.
•---

Copre de la lettre de M. le marquis de la Roque


Dourdan à M. le comte de la Luzerne, en date du
2 décembre 1789.
–•- E2

M o N s I E U R.,

, C'EsT avec le cœur navré et plein d'amertume que


j'ai l honneur de vons rendre compte, de la part de
W§ § comte d'Albert, de la sédition la plus cruelle
qui soit jamais arrivée , et qui met dans la désolation
tout le corps de la marine. - -

Le 3o au soir, le général se décida à renvoyer de


l'arsenal deux maîtres d'équipage non-entretenus ,
ayant depuis long-tems à se plaindre de leur conduite.
Le premier décembre, craignant quelques mouvemens
dans le peuple , il avoit douné l'ordre de tenir toutes
les troupes de la marine armées , prètes à marcher.
A sept
( 129 ) -

heures et demie du matin il entra dans l'arsenal ; à


sept heures trois quarts il ordonna qu'il n'y eût plus
que cinquante hommes prêts à marcher; à neufheures
et demie il rentra dans l'arsenal; à huit heures on lui
| annonça qu'il y avoit une députation du conseil perma
nent à la porte de l'arsenal : il y envoya M. Pasquier,
lieutenant de port, pour les engager d'entrer : le peu
ple s'y opposa. Cet officiers vint en rendre compte au
général ; en même tems M. de Martignan, lieutenant
de vaisseau, eut ordre d'aller dans les casernes de la
marine, pour que les troupes ordonnées fussent prêtes
à marcher, et il envoya dire à ces messieurs qu'il al
loit se rendre à son hôtel pour y recevoir la députa
tion. Sur le champ les officiers de la marine et des
directions qui étoient dans le port, l'accompagnèrent,
et trouvèrent à la porte messieurs les députés entourés
d'un peuple étonnant qui les suivit avec des huées et
menaces : heureusement alors que M. Roubaud , con
sul, ayant déjà apperçu cette effervescence, précipita
le pas pour joindre le général; et un officier de la
milice nationale fit sonner la trompette pour annoncer
M. le consul ; ce qui fit diversion, et donna le moyen
de se rendre à l'hotel. Dès qu'ils y furent rendus, ces
messieurs réclamèrent la grace des deux maîtres ren
voyés du port, promettant qu'à cette condition tout
rentreroit dans la tranquillité. Le général fit observer
le danger d'une pareille grace; et ne se rendant par
tout de suite, M. Barthelemy, membre du conseil
permanent, prit M. le consul par le bras, et lui dit :
» Monsieur, retirons-nous; allons sauver la ville qui
» est en danger dans ce moment-ci;je change de carac
» tère». Mais M. Roubaud préféra d'insister, et obtint
la grace de ces hommes, qu'il fit publier aussi - tot
dans la ville , en même-tems le général donna ordre
de faire rentrer cinquante canoniers sous les armes au
champ de bataille. M. de Broves, major de vaisseau,
qui les commaudoit , avoit été insulté : on avoit mis
la main sur son épée, mais il s'en étoit rendu maître ;
il avoit ordonné au même moment à sa troupe de porter
les armes. Le premier rangles porta , mais une grande
partie des autres se posèrent sur leurs armes; dès
· · ( 13o ) . . •

lors, il fut accusé par le Peuple d'avoir fait le com


mandement de faire feu , ce qui n'est pas; mais mal
accueilli par la populace, il rentra avec peine dans
l'hotel du commandant. M. de Villaron, sous-aide
major de la sixième escadre, reçut ordre du général
de se rendre à l'hotel-de-ville peur réclamer la loi
martial ; M. le consul répondit qu'il ne le pouvoit pas,
et il envoya en même tems et successivement des cano
niers de la milice nationale, qui entourèrent l'hôtel ;
ce qui n'empêcha pas M. de Bonneval de recevoir un
coup de sabre à la tête et à la main, et plusieurs offi
ciers d'ètre blessés par la quantité de pierres qu'on
leur jetoit. Au refus de la loi martiale, le général
avoit fait venir pour la sûreté de l'hotel un piquet de
cinquante hommes du régiment de Barrois. Le major
de la milice nationale lui observa que c'étoit inutile
et même dangereux , qu'il répondoit de la sûreté ; le
général se décida à le renvoyer. M. de saint-Julien,
inajor de vaisseau, porteur d'un ordre du général, fut
attaqué et eut son épée cassée dans le fourreau. Il fut
chercher une autre arme; et voulant se rendre à l'hôtel
du commandant, il fut attaqué de nouveau , et n'eut
, que le tems de se rallier aux soldats de la marine
assemblée pour la garde du port, en leur disant :
« J'espère que vous ne laisserez pas assassiner un
» officier à votre tête ». Ils l'assurèrent qu'il n'avoit
rien à craindre, et néanmoins dans le même moment,
il fut assailli par la populance, sans que cette troupe
fit aucun mouvement pour le secourir, et il alloit êt
assassiné sans le secours de MM. Donde et Vaquier ,
officiers de la milice nationale, qui l'ont traîné à
l'hotel dans l'état le plus déplorable. Dans ce tems
critique , M. le comte d'Albert étoit sorti, accompa
gné d'une trentaine d'officiers de la marine, pour le
délivrer, et ils rentrèrent tout de suite. Le cri du
peuple contre cette officier, est de l'accuser d'avoir
· blessé à la main un garde-nationale avec son épée.Il
donne sa † d'honneur qu'il ne s'en est pas servi.
| Depuis ce ſhoment jusqu'à deux heures après midi , il
y eut assez de tranquillité pour permettre à quelques
officiers de la marine de sortir de l'hotel pour quelques
- ( 131 ) -

instans. Dès qu'ils se présentèrent pour rentrer, la


garde nationale leur # la porte, et il n'y avoit
qu'un petit nombre qui put rentrer. Vers les trois heu
res M. de Broves fut demandé par le major de la milice
natiouale pour le conduire au palais, avec promesse
de n'être pas maltraité. Cet officier, sûr de n'avoir
pas fait le commandement qu'on lui imputoit, se livra
généreusement : alors arriva une députation du con
seil permanent, accompagné de M. Carpilhet , com
mandant la garnison, qui annonça que le peuple étoit
satisfait , qu'on alloit faire rentrer la troupe natio
nale , à la réserve d'une garde de cinquonte hommes ,
que le général accepta, en demandant qu'il y fût
joint un détachement de pareille nombre du second
§ de Barrois, à ses ordres. Alors ces messieurs
dirent qu'ils avoient besoin du consentement du con
seil permanent, et qu'ils se flattoient de l'obtenir ;
mais la milice nationale s'y opposa. Le major fit battre
un ban devant chaque compagnie, pour engager ses
troupes à prendre l'hotel et les officiers qui s'y trou
voient sous leur sauve-garde. On n'en obtint que des
murinures ; l'anarchie fut complette, et l'hotel fut
forcé par la milice nationale, qui entrant en foule,
se saisit successivement de M. le éomta d'Albert, de
M. le marquis de Castellet, de MM. de Bonneval et
de Villages , qu'ils conduisirent au polais, où chacun
de ces messieurs fut mis séparément dans un cachot ;
· mais le consul les en fit sortir dès quiil en fut instruit,
et les fit passer ensemble dans une chambre. On cher
cha longtêms M. Gautier dans l'hotel, pour le conduire
également dans les prisons du palais; les recherehes
furent vaines ; il eut le bodneur d'échapper à leur
projet. -

Il me seroit impossible, monseigneur, de vous


rendre la situation actuelle du corrps de la marine :
j'entreprendrois vainement de vous en faire le tableau ;
cependant l'ordre est établi dans l'arsenal ; nous som
, mes au moment de recevoir la réponse de M. le eomte
·de Caraman, à qui un courier a été expédié.Nous
· nous flattons tous que vous daignerez prendre les mesu
- - - "

-
( 132 ) - ' ,

res les plus efficaces, pour rendre la liberté à nos


malhcureux généranx, à MM. _de Bonneval, de
Villages, et de Broves,
Je suis, etc.

Signé, de la Roque-Dourdan.

Copre de la lettre écrite par M. de la Roque


Dourdan à M. Roubaud, lieutenant de
Roi, commandant de la place à Toulon ,
le 2 décembre 1789. -

M o N s I E U R,

· Vous êtes commandant de la milice nationale, et


lieutenant-de-roi de cette ville : permettez qu'à ces
titres je réclame la justice qui ne doit pas être refusée
à M. le comte d'Albert, à MM. du Castelet, de Bon
neval, de Villages, et Broves, qui ont été arrêtés hier,
et conduits dans les prisons du palais, sans en connoî
tre la cause. Je se réclame, messieurs, que les simples
droits de l'homme et du citoyen , qui défendent de
gêner la liberté, à moins d'être accusé de quelques
crimes. Si ces messieurs ont des accusateurs, ils doi
vent être jugés; mais, s'ils n'en ont pas, ( comme
j'ai tout lieu de le présumer ) je vous prie d'avoir
égard à ma réclamation en faveur de nos malheureux
†* º MM. de Bonneval, de Villages, et de
I'OVeS«
J

J'ai de plus l'honneur de vous observer, monsieur,


que ne pouvant considérer M. le comte d'Albert comme
légalement arrêté; les officiers de la marine ne peuvent
discontinuer de le reconnoître pour commandant de la
marine, et je demande en conséqnence qu'il me soit
( 133 ) |
permis de prendre ses ordres ainsi qu'à tous ceux qui
en sa qualité, auront des comptes à lui rendre. -

J'ai l'honneur d'être, etc.

Je n'ai reçu, monseigneur, qu'une réponse verbale,


par le sergent d'ordounance porteur de ma lettre , qui
me dit de sa part, qu'il avoit donné ses ordres pour
laisser entrer les officiers qui avoient à prendre des
ordres de ce général. 4
- -

Oerwrow de monsieurMalouet sur l'affaire


de M. le comte d'Albert.

Je veux recueillir moins ce que j'ai dit hier, que


ce que je voulois dire, si des cris affreux ne m'eussent
vingt fois interrompu. Que signifient donc ces cris ? si
ce sont des menaces, elles s'adressent à celui qui les
brave. Mais comme ma voix ne peut en couvrir cin
quante, je veux publier aujourd'hui, sans fatiguer ma
oitrine, tout ce qu'on auroit entendu hier, si †
lée étoit aussi paisible que †
l'importance des
discussions et la gravité des délibérations; je veux
dire que c'est un sentiment bien cruel que celui qui
1mous fait traiter ainsi les uns les autres en ennemis ,
et qui affoiblit l'impression que doit produire une
violence criminelle pour chercher des desseins crimi
nels dans des actions innocentes. Tel est l'aventure de
M. d'Albert. Que les gazetiers séditieux, que les libel
listes s'emparent de cette affaire, la traduisent dans
leur langue, et l'empoisonnent ainsi que mes discours.
Les bons citoyens trouveront ici les faits et mes vrais .
sentimens. - - -

On commença d'abord, après la lecture de la lettre


de M. de la Roque, à faire le rapport d'une premiere
affaire que l'on prétend être liée à celle-ci, et voici
cette affaire, -- Un officier du Dauphiné sort de là
- ( 134 )
ville le 15 novembre pour allet à la chasse ; il avoit
une cocarde noir, et par-dessus une cocarde nationale
plus petite. Un factionnaire de la milice l'arrête à
cause de cette alliauce de, la cocarde noire à la rouge.
L'officier ne veut point se laisser arrêter; il menace.--
Il est puni, mis dans le fort ; et les officiers de la garde
nationale se trouveut assez satisfait pour aller le cher
cher eux-mêmes et demander sa grace, mais dans l'in
tervalle, les bas-officiers de la garnison , unis à
ceux de la marine, vont à l'hotel-de-ville, et repré
sentent aux consuls qu'ils ont fait serment de fidélité à la
nation , qu'ils n'y manqueront jamais , que ce serment
· étoit écrit dans nos cœurs avant d'être prononcé; mais
qu'ils demandent qu'on ne vexe pas leurs officiers, qu'ils
ne le souffriront pas.
Jusque-là M. le comte d'Albert est étranger à cette
affaire , et jusqu'à cette époque, 15 novembre , il
· avoit vécu dans la meilleure intelligence avec les
citoyens. Que fait-il alors pour la troubler ? il écrit au
consul pour savoir comment se sont conduits les bas
officiers de la marine, et s'il a à s'en plaindre. ---- Le
consul répond, que leur conduite ne mérite que des
éloges.- ·
Fa déclaration des bas-officiers, la lettre du consul
sont dénaturéés. Le corps des volontaires s'assemble et
veut une explication. On va en grand nombre chez M.
d'Albert, sans le prévenir; il étoit occupé ; il avoit
improuvé que les officiers mariniers et les ouvriers
de l'arsenal servissent dans la milice hors les momens
du besoin.,Il croit appercevoir, dans le grand nombre
de personnes qui se présentoient à lui, quelques-uns de
ceux dont il a à se plaindre, comme leur supérieur.
Il se plaint de cette visite nombreuse et imprévue. Il
lui échappe une expression qui ne pouvoit s'adresser
à un corps d'officiers et de citoyens avec lesquels il a
toujours bien vécu. Que me veulent ces gens-là ? je sais
le cas que j'en doit faire, --- Cette offense , réparée par
une lettre subséquente, est injustement présumée adres
sée à un corps de citoyens; et on envoie ici des députés
pour demander le déplacement de M. d'Albert. Quinze
( 135 )
jours eprès M. d'Albert chasse de l'arsenal deux offi- -

ciers mariniers insubordonnés , et l'on a vu dans la


lettre de M. de la Roque ce qui est arrivé. • • •

Tels sout les détails cruellenent commentés , que


j'ai# expliqués , justifiés; après quoi j'ajoutai ou
j'ajoute aujourd'hui, car je ne peux rappeler tout ce
que j'ai dit : - -

M E s s 1 x U'R s,

Après le détail que vous venez d'entendre, nous


sommes tous fondés à nous demander ce qu'est devenu
le gouvernement , l'autorité des lois, et sur quels fon
demens repose la liberté publique; qui commande
enfin dans cet empire. -

Certes, il est tems que l'on sache à qui l'on doit


obéir, et qui est-ce qui a le droit d'ordonner, quelle
est l'autorité qui nous protège, quels sont ses moyens,
quelles sont celles qui nous menacent. -

Deux officiers-généraux, commandans à Toulon ,


les, principaux officiers de ce département, sont
traînés dans des cachots par des citoyens armés, en
présence d'une nombreuse garnison.... Quelle peut
être l'issue de cette subversion de toutes les lois, de
tous les droits, de tousles.principes ? Quel est donc le
crime du comte d'Albert et de l'état-major de la
marine ? Comment se fait-il qu'un homme qui a vieilli
glorieusement dans les armées, qui n'est inférieur à
aucun citoyen par son patriotisme, par l'élévation et
la générosité de son caractère, mais qui a sur beau
coup d'autres l'avantage et l'éclat de ses # Ser

vices; comment se fait-il qu'un tel homme et les offi


ciers distingués qui sont sous ses ordres, soient traî
nés dans un cachot ? | . - - .

1
( 136 )
, Quelles sont les mains criminelles qui ont osé se
orter sur le représentant du roi , sur les honora
† défenseurs de la patrie ? Quelle violence de leur
art , quel crime public a pu motiver cet attentat ?
† violence ! un crime! ils en sont incapables.Vous
avez entendue, messieurs, les motifs de cette violence
du peuple, ou plutôt des scelérats qui le mettent en
mouvement : car je dois rendre témoignage de l'hon
nêteté du patriotisme des citoyens de Toulon et de
leurs magistrats ; mais les furieux, les séditieux ne
sont compris nulle part dans l'honorable liste des
citoyens ; ce sont leurs ennemnis.
Les motifs de cette insurrection, messieurs , les
voici. Le commandant chasse de l'arsenal des maîtres
d'équipage insubordonnés ; il veut maintenir une police
exacte parmi les ouvriers ; il veut préserver de toute
atteinte le dépôt des forces navalles qui lui est confié;
et les ennemis, les coupables ennemis de la nation ,
persuadent aux ouvriers que c'est à eux à faire la loi ;
, que tout acte d'autorité est désormais une injustice ;
que toute† est une insulte aux droits du peu
ple; que tout homme constitué en dignité, ne peut
avoir ni autorité ni dignité; que la liberté enfin , est
le droit de tout oser : et voilà le peuple si facile à
séduire, à tromper, qui ignore que tous les désordres,
tous les maux de l'anarchie finissent par retomber sur
sa tête; qu'il ne peut être un instant tyran, sans deve
nir bientot esclave : voilà le peuple en fureur, et le
commandant traîné au cachot. Eh! messieurs, j'y
serois dans cet instant avec lui, si j'étois à Toulon , ^
ou les coupables seroient déjà punis. M. d'Albert n'a
pas plus mérité que moi ées indignes traitemens, et
comme lui, j'aurois chassé de l'arsenal ceux qui pou
poient en compromettre la sûreté.
Mais je suppose que le commandant, le directeur
énéral, le major-général, le chevalier de Villages ,
e comte de Broves, que ſe connois tous pour des
hommes pleins d'honneur et de zèle pour la patrie.
Je suppose que ce que je n'ai jamais vu de leur part,
fût arrivé une fois à Toulon; qu'une injustice atroce,
- llIl6
| ( 137 )
une violenee criminelle eût été commise envers des ci
toyens : eh bien! messieurs, ce seroit encore un attentat .
inoui, un outrage aux lois, à la paix, à la liberté pu
blique, que d'avoir douté de votre justice, d'avoir puni
sans mission, sans tribunal, la violence, d'avoir ému le
peuple, et de l'avoir constitué juge de ses chefs.
• Peuple sensible et bon ! combien de noirceurs, de
calomnies, de bruits faux et alarmans sont employés
pour l'égarer, pour altérer son caractère ! , .. :
· Je suppose que les ouvriers dé l'arsenal aient de
justes griefs contre les officiers de la marine. " ººº
•, N'êtes-vous pas effrayés , mes •- º - º - º .. • » .
• •º s-

sieurs, de ces actes de


ces principes de dissolution dé toute société ? Qu#
parce qu'un homme et plusieurs sont offensés , ils
pourroient s'assembler , s'armer et se venger ! Les cor
porations , les milices viendroient impunément, malgré
leurs officiers, malgré leurs magistrats , viendroient
fondre dans la maison d'un commandant , l'attaquer 9

' l'insulter, l'arracher à ses foyers, le traîner en prison.


Eh ! qui voudroit être juge, administrateur, chef
d'une telle soçiété ? elle ne trouveroit que des tyrans ,
elle se précipiteroit elle-même , dans les bras des
.tyrans, et le ſer et le feu deviendroient les seules rela
tions des différentes classes de citoyens. -- Et-vous
mêmes, messieurs, vous les représentans de la nation,
quel sort vous attend, si, par-tout où les factieux
peuvent pénétrer, leurs attentats sont impunis, si les
• * _ - .. • • • , , ,-* ,, T * x * A - - f " , , _: * -

injures particulières acquièrent toute l'énergie, toute


la puissance des intérêts publics , si la liberté des
actions. des écrits, des paroles ; ne consiste que dans
la fureur, si les promoteurs de seditions, les auda
cieux libellistes, qui outragent autant l'assemblée par
leurs éloges que par leurs calomnies, sont plus long
tems tolérés ? ---- Si cette coupable cohorte des enne
mis publics n'est bientôt réprimée, craignez, ines
sieurs, que les violences faites à l'administration , ne
se répètent sur la législation ; craignez que tant d'at
teintes portées à l'ordre public, n'en détruisent les -

élémens; ou plutôt, messieurs, bannissons toute crain


te, et que le courage de l'honneur; # la vertu i du
\ · ( 138 )
patriotisme, qui s'est manifesté tant de fois dans cette
assemblée, devienne enfin redoutable aux méchans !
Que l'ordre et la paix se rétablissent dans cet empire,
par la toute puissance des lois! qu'elles frappent enfin
sur les têtes coupable! Que le peuple, tranquille dans
ses foyers, ne sépare plus la liberté de la justice; qu'il
apprenne à respecter ses chefs, à obéir à leurs com
mandemens , et à se reposer sur ses représentans, du
soin de la chose publique. Que toute audace se taise, ou
soit punie ! Que les mouvemens populaires se calment,
ou qu'ils soient réprimés!Que le pouvoir exécutif repren
ne son action et sa vigueur ! Qu'il existe par vos soins
†utorité protectrice de la liberté et de la sureté de
tOuS ! -

Croyez, messieurs, qu'il n'y a ni administrateur,


ni officier public qui puisse semplir ses devoirs et se
mêler, de gouvernement, tant que les faux principes
auront plus d'autorité que les saines maximes de la
raison et de la justice, tant que chaque partie du peu
ple se croira la nation, et autorisée comme elle a
exercer la souveraineté, qu'elle ne peut exercer elle
même que par représentans; et cette liberté qui nous
est si chère, n'existera que lorsqu'il y aura un gouver
nement, car la liberté des outrages et des violences de
toute espèce, est une affreuse servitude, qui avilit, qui
corompt tout ce que nous voulons régénérer.
· Eh! quelle erreur, quelle ivresse pourroit nous em
pêcher aujourd'hui d'avoir un gouvernement respecté ?
Qu'attendons-nous pour rendre au roi le pouvoir qui lui
appartient ? quel siècle, quel pays nous présente un
monarque plus ami de la justice , de l'ordre et de la
liberté! quels ministres voulez-vous plus dociles que
ceux-ci à la direction du corps législatif, et quelle
autre précaution desirez-vous contre les abus du pou
voir, que celle de la nation armée contre tous les
abus ? ---Arrêtons-nous donc enfin à un terme raison
nable; que l'experience de tous les siècles, que l'exem
ple de tant d'empires renversés par l'anarchie, ne nous
donnent pas de leçons inutiles : la législation est main
( 139 ).
tenant entre vos mains armée de toute sa puissance.,
Que le trône reprenne aussi sa véritable splendeur.
Que le roi des François soit véritablement un grand
monarque digne de tout notre amour; qu'il soit respecté
et obéi pour ñotre sûreté; que la confiance renaisse s
† nous quand la force est au milieu de nous ; que
es municipalités fléchissent avec respect sous le pou
voir législatif et sous l'autorité royale. Si nous ne nous,
hâtons, messieurs , de prendre ces mesures , nous
n'aurons embrassé que l'ombre de la liberté, nous au
rons tous les malheurs, tous les désordres de la licence,.
et la postérité nous reprochera les siens et ceux de la
régénératipn présente. . - · · · · •

Je conchus à ce que le roi soit supplié de procurer au


comte d'Albert et aux officiers de la marine arrêtés, la
plus prompte justice des outrages qu'ils ont reçus; et pour
le maintien de l'ordre public et de la sûreté de l'adminis
tion , je propose le décret suivant.

P R O J E T D E D E C R E T.

A 3 T 1 c 1 E P R E M 1 E R.

Le pouvoir exécutif suprême, étant, par la constitu


tion , déposé entre les mains du roi, ceux auxquels sa
majesté confie son autorité, n'en sont responsables -

- qu'au corps législatif et au monarque. \.

I I.

| Il est défendu à toutes les municipalités, et aux


différens corps de citoyens armés, d'intervenir dans
aucun cas, autrement que par une requête ou pétition.
au roi etroyale,
tration au corps législatif,
qu'ils §Ill, dans les"r
actes de l'admi
trpu
- - 2
- ( 14o ) -

bler , sous peine, contre les infracteurs , d'être punis


comme perturbateurs du repos public. ·
' I I I.

* Toute insurrection à main armée contre les officiers,


commandans ou odministrateurs préposés par le roi ,
sera punie suivant la rigueur des ordonnances.
I V.
Il est enjoint auxdits commandans et administra
teurs , de maintenir , de la part de leurs subordonnés ,
l'obéissance qui leur est due , et de faire exécuter
les ordonnances militaires et réglemens d'administra
tion concernant la discipline † police des corps et
des individus soumis à leur autorité. - -

DEFENsE du commandant, et des qfficiers (

de la marine , prisonniers à Toulon.

Deuxième opinion de M. Malouet,


-

M E s s 1 E U R s,

· C'EST un moment de deuil, c'est un malheur public,


que de voir traduire dans cette assemblée, en accusés,
les innocentes victimes d'une odieuse intrigue et d'une
violence coupable.
Le commandant et les officiers de la marine de
Toulon sont innocens : je me charge de le démon
trer. - - -

· Les droits de l'homme et du citoyen ont été violés


dans leur personne, vos décrets méconnus : les pºu
voirs législatifs et exécutifs sont offensés; l'humanité, i
· ( 141 ) , -

la justice , la sûreté publique, l'honneur national ,


| demandent qu'ils soient vengés. , , *

Il ne s'agit, messieurs, que de bien constater les :


faits et les époques, de laisser chaque chose à sa place,
et la vérité sortira de tous les nuages dont on voudroit
l'envelopper. . 1 # . ·. -

Il y a dans cette affaire trois époques et trois especes


de faits très-différens. .. · · · · · · · · · -

Les premiers griefs contre M. d'Albert sont anté


rieurs à la sédition du premier décembre. -

Avoit-il tort ou raison ? quel genre de tort poûvoit


lui être imputé? que pouvoit-il résulter de cette incul
pation ? c'est ce que nous allons examiner. º • r • • ° • • - ' - - ' : -

La deuxieme époque est celle de la sédition. M. d'Al


bert , bien ou mal à propos, chasse deux ouvriers
de l'arsenal ; il en résulte une émeute ; il est insulté ;
on s'attroupe ; on lance des pierres contre sa maison ;
cinquante soldats de la marine sont appelés pour la
· garder. .. - -

Les officiers municipaux emploient tous leurs efforts


pour appaiser le tulmulte ; ils ne peuvent y réussir ;
M. d'Albert est arrêté. " , , , , :
. Voici maintenant la troisieme époque.. • • . "

•· C'est après l'emprisonnement que s'élevent les suspi


.. ! " . .. # -- : - - •". • . .. :* - • • - - : -

cions, les accusatious, et qu'on fait entendre des


témoins. , , , ·
· Sera-ce donc pour justifier la violation de tous les
droiis, de toutes les ſormes, qu'on emploie maintenant
des formes judiciaires,
: ---
qu'ôn a reçu des dépositions
-
" . !
? -

Ah! c'est avant d'insulter ,»- de


es•. blesser ,
» d'emprison
p
ner les officiers de la marine , qu'il falloit faire inſor-s
mèr contr'eux : il est trop cruel aujourd'hui de les
accuser , de vouloir les rendre suspects à la nation ,
après les avoir ºoutragés
: s *
de toutes les manieres. …
* , - -- 1res ------ -----------
Mais je demande de quoi l'on accuse le commandant
et les officiers de la maririe de Toulon ? Qui est-ce qui
- - - • •^ • • • • • • ' -- . " *:* -• •2 ., -º: -T• #• •

les accuse ? Quels sont les chefs d'accusation ?'.va-s\ ºº º


-
( 142 ) -

Est-ce la municipalité de Toulon qui accuse ?


Je ne vois, dans ses arrêtés et dans ses lettres, aucu
titre, aucun chef précis d'accusation. -
(

Elle expose des faits , elle envoie un procès-ver


bal de dépositions ; elle annonce que le commandant
et les officiers ont été arrêtés à la clameur publique
Or , qu'est-ce que la clameur publique dans une sédi
tion ? C'est la sédition elle-même ; c'est la voix de ses
auteurs ou de ses complices.
Le premier fait à remarquer, est donc que la muni
cipalité n'a cru ni devoir, ni pouvoir donner aucun
ordre d'arrêter M. d'Albert et les officiers de la
marine ; que , jusqu'au moment de la sédition , elle
traitoit avec le commandant par ses députés ; qu'elle
demandoit la grace des ouvriers chassés de l'arsenal ;
qu'elle n'avoit pas même pris une part directe et offi
cielle aux plaintes antérieurement portées contre
M. d'Albert par le corps des volontaires, et à la dépu
tation qu'ils avoient faite de trois de leurs membres à
Paris, qu'elle a seulement approuvée à leur réquisi
t1On.

La municipalité ne se croyoit donc pas offensé avant


cette malheureusejournée du premier décembre; elle ne
regardoit pas davantage le corps des citoyens comme
offensé par M. d'Albert. Une expression vive , qui
ne s'adressoit évidemment qu'à un ou deux particu
liers, que M. d'Albert croit avoir apperçus dans le
nombre des volontaires , cette offense qu'il a réparée
ensuite , ne pouvoit être réputée collective pour tous
les citoyens avec lesquels M. d'Albert a toujours
bien vécu. D'ailleurs , un homme sensé n'insulte pas
· un corps, et M. d'Albert est au moins un homme très
sensé.
Cependant cette affaire de la cocarde se reproduit
aujourd'hui comme cause premiere, comme signe des
mauvaises intentions du commandant ; il faut donc
l'approfondir dans tous ses détails, et voir comment
on peut en faire naître un vœu prononeé contre la révo
lution , un projet d'attaque ou d'offense contre les
citoyens.
'( 143:) |

Je remarque d'abord qu'il n'y a rien de plus con


traire à la liberté, rien de plus tyrannique que
cette espèce d'inquisition , qui donne à la pensée
pour en faire un délit, en attachant l'idée d'un
projet eriminel à des actions , à des démarches
infignifiantes par elles-mêmes.
· On a remarqué , avec affectation , que M. d'Albert
n'aimoit pas la cocarde, et qu'il avoit déſendu de
· la porter : cela n'est pas , il l'a portée lui-même,
ainsi que toutes les troupes., Il a trouvé très-rai
| sonnable que les ouvriers de l'arsenal la portassent
'aussi ; mais il leur a défendu de s'enroler dans le
corps des volontaires , et d'en porter le signe, qui
est une aigrette. -

Pourquoi cette défense ?


, Si le commandant croit qu'elle est nécessaire au
maintien de la subordination dans l'arsenal , que le
service de volontaire est incompatible avec celui de
l'arsenal , qu'il en résulte une perte de tems pour
· les ouvriers , qu'ils seront moins assidus, moins
soumis à leurs chefs , le commandant peut s'être
trompé ; un décret, de l'assemblée , un ordre du
ouvernement peut redresser cette erreur; mais comme
# n'étoit , sur ce point-là , contraint par aucune loi ;
que celle qui met à ses ordres toute la classe des ou
vriers n'est point révoquée , il a eu le droit de faire
une pareille défense, sans offenser personne , et sans
se rendre suspect de mauvaises intentions.
| Comment se fait-il qu'un hoinme, dont la conduite
a été droite et loyale pendant tous les orages qui se
| sont succédés depuis le mois de juin, se soit rendu sus
† pour avoir défendu aux ouvriers de porter non pas,
a cocarde, mais une aigrette de volontairé4 | | |
Mais il a tenu un mauvais propos aux volontaires. .
, , , M. d'Albert apperçoit dans le nombre un maçon qºi
s'étoit signalé par ses violences dans l'émeute du mois
dè mars , qui avoit même été décrété et condamué par
·la justice. . ' . ' .. -

M. d'André marque aux ministres qu'il a purgé


-
. . •* •- .
- -
( 144:)
ce corps des étrangers des gens suspects qui s'y étoient
introduits ;qu'il ne sera plus composé que de domiciliés
et d'honnêtes gens.... - º - c : · · · •
· M. d'Aibert est donc excusable d'avoir éprouvé et
manifesté un mouvement d'hùmeur qui ne .^IY , , , , , -
pouvoit
s'adresser aux volontairès citoyèiis. " ***--º
Mais on voit daiis sa pretnière lettre à M. Rouband
qu'il n'aime
· un signe point la cocarde, qu'il la· regarde
d'effervescence.... comine
t ::-inº e , • : • 3 .

.. •• • - , " ; - •«»« * · · · · · · · · • • -, * : *» , , .

, , On y voit aussi qu'il est persuadé qu'on ne la porte


plus en province quand on n'est pas sous les armes ; il
pouvoit étre à cet égard dans l'erreur. Mais cetté erreur
inême montre sa bonne foi ; et je ne crois pas que Séjan
ni 'l'ibere aient jamais fondé sur de tels prétextes un
titre d'accusàtion. : ºº ° -1 · : tc... ::::: : .
"Enfin , le dernier fait de la premièré époqué à la
charge de M. d'Albert , est la démarche des bas offi
ºciers de là marine arprès des ôfficiers municipaux. Il
est vraiment barbaré de ne pas distinguer ici ce qui
* àppartient à l'amour propre blessé, à l'esprit de corps,
" aux mœurs, aux habitudes, aux prétentions militaires,
· et de convertir une aventure de garnison en un ci'iine
º d'état. · · · · :: . : º º ºº -" · · · · · · · "
· ·· # # # # , -. .. éº !º , º . * • , , , .
. .. Que supposé,t-on! C'est tout de suite un compl6t
| contre la liberté, contre les citoyens , contre la révo
lution : mais si on n'ayoit
si cespas arrêté l'oſſicier ºu régi
| ment de Dauphiné,. camarades ne s'ètoient, as
crus injustement vexés dans sa personne , cétte démarche
· des bas-officiers de fà marine n'auroit pas eu lieu ; car
ils n'avoient fait que se réunir aux bas2officiérs dè la
garhison.Je veux bien que leur déclaratioii ait'été pro
•voquée par des officiers , c'est un acte indisci'ét , c'est
une bravade répréhensibie , mais non pas un complôt,
non une déclaration hostile. .. : | º | º | ºi i .
- Quoi ! ils commencent par rappeller leur serment ,
· par dire qu'ils y seront fideles : et qu'y a-t-il donc
· d'alarmant pour les» citoyens dans ime pareille décla
ration ? Ils disent qu'ils ne laisseront point vexer
leurs
.. • • officiers
• •• · · · : --
donc ils se croyoient vexés , donc ila
n'entendoient
( 145 ) -

n'entendoient point être aggresseurs ; donc ils ne vou


loient que n'être pas inqiiiétés ; donc ils ne vouloient
que la paix.
Eh ! pourquoi imputer au commandant une pareille
démarche ? S'il l'avoit suggérée , auroit-il pris l'enga
gement de la punir , dans le cas où les officiers muni
cipaux en auroient été mécontens ? auroit-il provoqué
- sur cela leur déclaration ? Donc M. d'Albert ne vouloit
que la paix.
Mais il vouloit aussi être obéi par ses subordonnés ,
et il avoit raison ; car tout homme qui ne sait pas se
faire obéir , n'est pas digne de commander ; et celui
qui craint le peuple, le trompe ou le corrompt , et est
hors d'état de le servir. Qu'on ne dise point que M.
d'Albert a fait une imprudence , en punissant dans
cette circonstance un acte d'insubordination : ce qui est
arrivé le premier décembre , seroit arrivé plus tard ,
ou il falloit renoncer à toute discipline. On vouloit
faire à Toulon ce qu'on a fait ailleurs , et par les
mêmes voies : par-tout, le peuple a été excité, non pas
à la liberté , mais à la licence , à la révolte. Personne
ne résistoit à Toulon à la constitution , aux décrets de
' l'assemblée nationale ; mais l'autorité militaire , celle
d'administration s'y étoit maintenue.Un homme ferme,
juste intrépide , y commandoit ; comment les factieux
n'auroient-ils pas été tentés de s'en défaire ?
Cet homme étoit populaire, charitable; il avoit la
simplicité de nos braves soldats, jointe à l'élévation et
aux talens d'un bon général ; il falloit bien en faire
un aristocrate, un conspirateur , un ennemi de la
nation. Voilà la détestable intrigue que ne soupçon
nent pas les généreux habitans † Toulon, mais dont
nous parviendrons peut-être à découvrir quslques fils.
Je ne range point parmi les faits de la premiere
époque les dispositions faites dans l'intérieur de l'ar
senal, et rendues suspectes par des dépositions que
nous examinerons, parce que ces dépositions n'ont pas
précédé, mais suivi l'emprisonnement de commandant
et des officiers de la marine, et qu'il n'y auroit point
- • • • -

T -
v,

( 146 ) -

de suspicions répandues contre eux, s'il n'y avoit en


une violence criminelle exercée sur eux. (

Je m'arrête donc à la seconde époque, premier dé


cembre. M. d'Albert congédie la veille deux officiers
mariniers dont il est mécontent depuis long-tems.
Qui est-ce qui peut avoir à Toulon le droit de
· demander compte au commandant de cet acte d'auto
rité ?

Qui est-ce qui peut juger, contradictoirement à l'as


seriion de M. d'Albert, qu'il a fait une injustice en
chassant ces deux hommes ?
La süreté de l'arsenal, l'ordre nécessaire du service
n'exigent-ils pas que les administrateurs aient toute
autorité pour exclure, même sans motif apparent, de
, l'intérieur de l'arsenal , les employés dont ils croient
avoir raison de se défier ?
Un habitant de Lyon, de Paris , de Toulon même ,
º ne peut, sans une permission par écrit, entrer dans
l'arsenal, monter sur un vaisseau. --- L'étroite enceinte
ou se trouvent renfermés dix-huit cents forçats, des
approvisionnemens immenses d'armes, de matieres
combustibles, le dépot le plus important de nos forces
navales, ne commandent-ils pas des précautions de
prudences, qu'on pourroit croire exagérées, des dispo
sitions rigoureuses qui pâroissent injustes ? et voudroit
on toujours juger des exceptions indispensables dans
l'ordre politique, par des principes non contestes dans
l'ordre moral ? --- Nul ne doit être puni sans motif,
voilà la règle ; mais, si vous en concluez que tout les
subordonnés d'un arsenal doivent être maintenus dans
leur emploi , à moins qu'on ne leur fasse leur procès,
il n'y aura plus d'armée navale. -

Or , quelle a été la conduité de ces deux hommes


renvoyés ? ils ont été, dans l'instant même , et des le
soir , échauffer le peuple. --- Des temoins déposent
qu'il y a eu , le 29 au soir, un attroupement sur le
quai ; ils ont été se plaindre aux consuls ; ils ont pré
tendu faire de leur cause la cause du peuple ; et ils y
sont parvenus, M. d'Albert instruit de ce mouvement
( 147 )
donne ordre aux troupes de la marine de se tenir prê
tes à marcher. C'est encore une condition nécessaire
du commandement militaire, de ses fonctions, de ses
devoirs, de se rendre imposant, et de prévenir les désor
dres publics par le spectaele d'une force aetive qui
oppose dans le premier moment, aux idées d'insurrec
tion , celle de l'autorité armée, et qui éloigne la
révolte par l'inquiétude de ses suites.
Mais c'est, dans un arsenal, une obligation invio
lable pour celui qui en a la garde, d'être toujours
armé , toujours menaçant contre les dix-huits cents
† qui y sont détenus , et dont un instant de
négligence et de confusion peut faire des incendiai
res à la disposition des ennemis du dehors, et des fac
tieux qui se glissent parmi les citoyens. -

L'ordre donné par M. d'Albert étoit donc sage et


nécessaire; il n'a excédé ni les limites de ses droits ,
ni celles de ses devoirs.
Le lendemain premier décembre, le corps munici
pal, mis en mouvement par les ouvriers , se †
par députation au commandant pour demander la grace
des ouvriers congédiés. M. d'Albert la refusa d'abord,
je ne dis point qu'il ait eu raison, mais je ne prononce
pas davantage qu'il ait tort : car une grande foule
entouroit les officiers municipaux ; et les huées , les
insultes commençoient déja à assaillir le eommandant :
or, la violence ne supplie pas, elle commende , et un
homme d'honneur commandé par la violence ne lui
obéit pas; il succombe ; mais son courage et son devoir
conservent la même ſierté.
Daignez donc remarquer, messieurs , qu'ici les offi
ciers municipaux négocient ; ils sont loin d'inculper ;
ils demandent une grace ;ils apperçoivent avec inquiétu
deun attroupement; ils tâchent de le dissiper; ils prote
gent la retraite du commandant; ils le conduisent dans
: sa maison ; et c'est lorsqu'il le croient en sûreté qu'ils
se retirent en commandant pour sa garde la milice
· nationale. - :,: · · .. · -

t.
- Cependant , au premier mouvement du peuple, deux
- - - - . - - "T 2 : º -
( 148 )
piqnets de cinquante canonniers sont aussi comman
dés : on insulte l'officier qui est à la tête : on veut lui
arracher son épée , on en t errasse , on en blesse un
autre, on le désarme. --- M. de Bonneval causoit
tranquillement sur un balcon avec deux capitaines de
la milice; on lui donne un coup de sabre sur la tête. --
La foule augmente à la porte de l'hôtel ; on lançoit
des pieries de toutes parts; c'est au milieu du tumulte
que † d'Albert réclame la loi martiale ; qu'il demande
cinquante hommes du régiment de Barrois. ---- Un
envoyé de l'hotel-de-ville demande de la part des
consuls que le détachement se retire, la garde natio
nale snffira pour rétablir le calme, et défendre de
toute insulte les officiers de la marine. Cette garde
arrive en effet , et le détachement de Barrois se retire,
celui de la marine reste seul , et dans le moment où
M. de Broves, qui le commande est menacé et assailli,
il donne l'ordre de porter les armes ; il n'est pas obéit
et rentre par le balcon dans la maison du comman
dant. La loi martiale est refusée ; mais on y supplée ;
on croit y suppléer par une proclamation qui défend
toute insulte, toute attaque contre M. d'Albert et les
officiers de la marine; ceux de la garde nationale pro
mettent d'obéir : le calme se rétablit un instant ; plu
sieurs personnes même de l'intérieur de l'hotel de la
narine en sortent pour aller dîner. -- C'est alors que
le trouble recommence, qu'on enfonce la porte, que
des volontaires entrent et disent qu'ils veulent s'assurer
de M. de Broves, comme ayant donné l'ordre de faire
feu. --- Cet officier se livre lui-même , un quart d'heure
après on en demande un autre, M. de Village. --
M. d'Albert s'y oppose ; il est lui-même arrêté et con
duit au cachot avec MM. du Castellet , de Bonneval
- et de Village. -

Ainsi, messieurs, je vous supplie de le remarquer ;


ce n'est point , comme on le dit , à la clameur publique
que le commandant et les officiers sont arrêtés ; c'est
après quatre heures d'attroupement et de tumulte; c'est
après avoir commencé par des huées et des menaces ;
après avoir blessé, terrassé, désarmé plusieurs offi
«iers; après une proclamation de paix et de retraite ,

*.
( 149 )
que la violence, toujours croissant, s'est convertie er
fureur, et s'est portée aux derniers excès. . . .- >

Nous voici arrivée à la troisieme époque. Quand on


a mis au cachot le représentant du roi, et les princi
paux officiers d'un corps distingué, il est très-probable
que l'on ne néglige rien pour y parvenir ; car les au
teurs d'un tel attentat ont tout à craindre pour eux
mêmes , s'ils ne s'assurent des victimes et des com
plices. - • • • • •

On a donc produit des témoins , et reçu des déposi


tions : il faut anticiper ici sur l'ordre des faits, et vous
produire aussi une déposition irrécusable, qui constate
que la municipalité de Toulon n'est pas libre ; que les
volontaires y commandent en maîtres; qu'excités eux
mêmes par une multitude séditieuse , les uns trompés,
les autres épouvantés, suivent à regret cette impulsion
violente, et qu'il résulte de ce mouvement désordonné
un appareil de terreur et de menaces, devant lequel
les honnêtes gens se taisent en gémissant. M. d'André
mande aux ministres que dans # conseils tenus en sa
présence, des volontaires, des gens armés entroient à
tout moment , et annonçoient la volonté du peuple.
C'est ainsi qu'il fut délibéré le 7 et le 8 , que les
· prisonniers seroient détenus jusqu'à l'arrivée des ordres
de l'assemblée. --- C'est ainsi que l'ordre donné par
M. d'André et par les consuls, de transférer M. d'Al
bert, malade, de la prison à l'hôpital, a été révoqué
ar la multitude, qui a, au contraire, transféré
MM, de Castellet et de Bonneval , quoiqu'alités,
blessés et très-souffrans, de l'hopital à la prison. ----
· C'est ainsi que M. d'André annonce qu'il est lui-même
† à vue; qu'il ne peut résister aux ouvriers de
l'arsenal ; qui demandent des armes, et qu'il a fa
leur en donner. - - · · · · · · · · - ; # •: •

Je suppose donc, messieurs, qu'en entendant le


compte qui vous a été rendu des dépositions, vous
n'avez pas oublié tous ces faits, desquels résulteiit
plusieurs conséquences; la première, que la munici
palité et les honnêtes citoyens2 # cédant# circonstan
# #:... l#s4 , & i $:i tº
· -- · · · --.---.- *: - . - E - c : ----
, ( 15o )
ces, ne peuvent avoir manifesté, ni parce qu'ils ont
fait, ni parce qu'ils ont écrit, un vœu et une opinion
libre.
La seconde est que le peuple, ému et mis dans un
état de fermentation violente par des bruits mécham
ment répandus, et par des intérêts privés, qui sont
confondus dans le mouvemeut général , le peuple ,
dis-je, a dû craindre, menacer, accueillir, et propa
ger les alarmes et les fables les plus extraºaeantes.
La troisième conséquence enfin , est que les vrais
criminels, les instigateurs de cette émeute, qui sont
peut-être étrangers, et qu'on a vu distribuer de l'ar
gent, les ouvriers mécontens, ceux qui avoient déja
montés, ou qui se préparoient à l'insubordination, les
ennemis personuels de M. d'Albert et les officiers pri
sonniers, ont dû influer avec plus ou moins d'activité
sur ce désordre. | .
Ce n'est jamais par une seule cause , par un seul
moyen , que les émèutes populaires et les crimes qui
les suivent s'exécutent : tel homme qui n'y auroit pas
songé , profite de l'occasion pour se venger, pour ac
créditer une calomnie utile ; car la société ressemble
alors à un vaste laboratoire de chimie, où des végétaux,
des minéraux inactifs n'attendent que le feu qui les
divise et les sublime, pour devenir des poisons.
C'est au milieu de ces circonstances, c'est, si j'ose
1e dire, à travers les tourbillons de flammes et de fumée
qui marquoient encore l'incendie, qu'ont été reçues les
dépositions. - - - -

Et cependant, qu'ont-elles constaté ? Que prouvent


elles ? Rien. Non , messieurs, le plus ardent inquisi
teur , le plus habile criminaliste ne sauroit composer
la preuve d'un délit, d'un dessein même criminel de
cette multitude , de dires vagues ou positifs , mais con
· tradictoires ou insignifians : la méchanceté même a
oublié ici sa perfidie et ses moyens ; et quand tous ces
mensonges se convertiroient en vérités, le commandant
et les officiers de la marine resteroient ce qu'ils sont,
purs et innocens ; mais victimes d'un attentat atroce.
| Je ne reviendrai plus sur les dépositions relatives à
( 151 )
la cocarde , ce seroit manquer au respect dû à une
assemblée législative ; ee seroit montrer devant vous,
messieurs, cette crainte servile que repousse les loix
et leurs organes , que de se défendre plns long-tems
contre le reproche tyrannique qui s'adresse à l'in
tenilOIl. .

La premiere dépositiou , marquante pour les gaze


tiers incendiaires et pour le peuple crédule , est celle
des préparatifs qui se faisoient depuis trois semaines
dans l'arsénal : On travailloit à des cartouches à mi
trailles, à des artifices , on transportoit des caisses à cou
lisses d'un lieu à l'autre.
Je réponds que c'est le travail de tous les jours dans
les atteliers et les magasins de l'artilierie; ou si ce tra
vail a été interrompu pendant quelques-tens pour s'oc
cuper d'objets plus instans , c'étoit une raison de le re
prendre avec plus d'activité; car, indépendamnent des
consommations qui ont lieu pour les armemeus, et nous
avons dans ce moment-ci plusienrs bâtimens à la mer,
on prépare pendant la paix tous les ustensiles, toutes
les munitions d'artillerie nécessaires à l'universalité
des bâtimens du port, en cas de guerre. ·

Il n'y a donc rien de plus ridicule que les alarmes


ou les soupçons qu'on voudroit induire d'une telle allé
gation; elle ne mérite pas d'être autrement combattue.
On a déposé que le 29 décembre on avoit fait char
ger les canons de l'amiral : cela devoit être ainsi.Aussi
tot que le commandant a quelqu'inquiétude pour l'ar
senal, son intention principale doit se porter sur le port,
et sur le bagne des forçats --- Dans ces tems-là , on
| fait plus que d'armer les batteries de l'amiral , on en
dresse vis-à-vis du bagne ; on charge à mitraille, et
tout est disposé pour foudroyer le bagne si les forçats
se révoltent , et si l'on ne peut les réduire autrement.
On a déposé en plusieurs lieux de la cote , comme à
Toulon, qu'on avoit dressé depuis peu des mâts de
signaux sur les montagnes (1) ; et cette innovation,

(1) Extrait des registres des délibérations du conseil de


la marine, séance du 29 septembre 2788. - - _ -

D'après les délibérations du conseil de Toulon, un


( 152 )
combinée avec la nouvelle d'une escadre étrangère dans
la Méditerrannée , a donné lieu aux bruits les plus
absurdes, aux plus odieux soupçons. -

Rien n'est plus vrai que le renouvellement et la mul


tiplication des mâts de signaux ; mais on ignore sans
doute à Toulon que cette innovation résulte d'une pro
position faite il y a dix-huit mois au ministre, pour
changer la tactique des signaux de terre , depuis An
tibes jusqu'à Toulon : M. de Bonneval en a fait le plan,
qui fut agréé dans le tems , et que j'aurois fait exécuter
alors, si j'avois eu des fonds disposibles ; on les a
assignés depuis, et les mâts ont été dressés sur les hau
teurs désignées. Il étoit bien plus facile de vérifier le
fait, que de le rendre répréhensible ou suspect.
Deux autres articles , si je ne me trompe (1), ter
minent le premier titre des griefs, ou des reproches
relatifs aux dispositions préparatoires d'une attaque
· supposée. --- Le premier est la demande faite par
M. d'Albert, d'un régiment suisse ; le second est un ,
ou même plusieurs témoins, qui déclarent que les offi
ciers sont venus le 29 dans les cazernes engager les
soldats à être fidèles à leur général. -

Lorsque nous jouirons, messieurs, de la protection


des lois, lorsque la liberté sera affermie , si un déla
teur, si un témoin osoit produire de tels griefs, on se

projet de signaux de jour, donné par M. le comte de


Bonneval, pour l'entrée de ce port, et cotes adjacen
tes, ayant été présenté au cousin par M. de Fleurieu,
a été examiné et approuvé. -

Pour copie,conforme àl'original; signé LA BoULAYE,


secrétaire du conseil.

Pour copie ; signé LA LUZERNE.


(1) J'ai parcouru très-rapidement le procès - verbal
des dépositions ; je peux ne tromper sur quelques
détails, mais non sur les faits essentiels.
- borneroit
( r53 ) -

à lui dire : Est-ce un crime, que de demander un régi•


ment suisse ? Est-ce un crime que d'exorter les soldats à
être fideles à leur général ? Et le témoin, le délateur
seroient confondus. --- Mais, puisque dans les cir
constances actuelles il faut tout justifier , tout expli
quer , et les pensées et les paroles, voici ma réponse :
--- Le régiment suisse d'Ernest a passé plusieurs amnées
à Toulon , il y a vécu dans la meilleure intelligence
avec la marine; il servoit dans l'arsenal , les soldats
de ce corps avoient particulièrement l'entreprise du
transport des bois. Dans l'émeute qui eut lieu à Toulon
au mois de mars dernier, contre les offieiers munici
aux , il fut question d'augmenter la garnison. --
. d'Albert demanda le régiment d'Ernest , le mi
nistre de la guerre le promit ; il l'a demandé plusieurs
fois depuis, et ce régiment seroit arrivé ; il fut contre
mandé , précisément pour ne pas donner d'ombrage
aux mécontens de Toulon.
Quant à l'exhortation faite aux soldats, comme les
témoins ne disent pas qu'on les ait eugagés à attaquer
les citoyens, je ne crois pas devoir m'y arrêter.
Mais après toutes les dépositions , toutes les com
binaisons préparatoires, viennent des déclarations pré
cises de plusieurs témoins, qui déposent de l'ordre
donné de faire feu sur le peuple ; il me semble qu'il
y en a douze sur vingt-cinq. C'est ici que les contra
dictions doivent être rendues sensibles, et que l'évi--
dence doit l'emporter sur des oui-dires. -

Un grand nombre de témoins déposent que les armes


n'étoient pas chargées, et qu'on n'a pas donné l'ordre
de charger , ainsi, ceux-lá constatent qu'on a jamais
pu ordonner de tirer.
Tous ceux qui assurent qu'on a ordonné de tirer,
déposent qu'au premier commandement de,harger on .
a jetté les armes à terre; que l'ordre même de porter
les armes, et
de tirer n'aabsurde
pas été d'en
exécuté.Ainsi il étoit impossible
donner l'ordre. . V.

Les dépositions à charge se contrédisent sur l'ex


pression même du comunaudement et sur persºunº#
- ( I54 )
qui l'a fait. Les uns disent que M. de Bonnevat eu
a fait le signe avec la main ; d'autres , que c'est M. de
Broves qui a prononcé le mot féu ; d'autres, que l'ordre
est parti du balcon, et tous déclarent qu'aucun ordre
n'a eté exécuté.
Que résulte-t-il donc de cette diversité, de cette
eontradiction de témoignages ? la vérité, qui est que
les armes n'ont pas été chargées ; --- une seconde
vérité , qui est qu'il n'y avoit aucun projet , aucune
combinaison même de défense ; car c'est par hasard
et sans être commandé , qu'un major de vaisseau se
trouve à la tête du détachement , il sortoit de chez
lui , il le rencontre sur la place.
Mais la plus concluante de toutes les vérités est
dix-sept cents hommes à
celle-ci : M. d'Abert avoit
ses ordres ; s'il s'étoit cru obligé d'en imposer aux
séditieux , s'il u'avoit compté pour cela sur la garde
nationale, sur les consuls, il auroit fait prendre les
armes à toutes les troupes. --- Il ne commande que
deux piquets de cinquante hommes ; il fait retirer
celui de Barrois aussi-tot que le consul le propose ; est
il possible , est-il probable qu'un officier à la tête de
cinquante hommes, entouré d'une foule immense et de
la garde nationale, ait donnê l'ordre de faire feu ? ---
Et si cet officier , assailli , attaqué personnellement
au moment même désarmé, avoit blessé , tué l'assail
lant , ne seroit-il pas dans l'exercice d'une légitime
' défense, du droit acquis à tout citoyen de résister à
J'oppression ? --- Car enfin , messieurs, si daus une
émeute la loi martiale est refusée, que faut-il faire ?
les officiers , les soldats doivent-ils se laisser assorn
mer ou emprisonner par compagnie, par bataillon. ---
Les dépositions reçues à l'hotel-de-ville, ne disent pas
que cette loi martiale a été réclamée et refusée ; mais
tous les officiers , M. de Villaron , chargé de ce mes
sage, l'affirment unanimement, et votre décret rend
les officieºs municipaux responsables du refus. --- Je
sais bien qùe ceux de Toulon n'ont pas douté que la
proclamation, la défense de tonte violence ne produisît
Je même effet ; que les commandans et officiers de la
garde mationale n'ont pas pu se faire obéir. --- Mais
-
• ,

dans un tel désordre, lorsque les agresseurs sont les


plus forts, lorsqu'ils abusent de la force, le droit na
turel de se défendre seroit-il interdit à l'officier , au
soldat sous les armes ? ce ne peut être l'esprit de la
loi , et votre sagesse y pourvoira sûrement pour
l'avenir. - - -

Je crois, messieurs, avoir rempli la tâche que je


m'étois imposée, et avoir démontré sans réplique la
rfaite innocence du commandant et des officiers de
J† De cette multitude de pièces, lettres et
mémoires, dépositions remises à votre comité de rap
port , il résulte un seul fait important et vraiment
criminel. --- C'est une cruelle sédition, quelles qu'en
soit les causes étrangères ou intestines, soit qu'un ins
tigateur secret fasse mouvoir des ouvriers mécontens,
soit que l'esprit de licence et d'insubordination, qui
a pénétré par-tout, ait eu à Toulon une plus violente
explosion, à raison de la fermeté avec laquelle M.
d'Albert vouloit le réprimer : il sort de cette éprenve,
au milieu des outrages qu'il a reçus, aussi pur, aussi
digne de l'estime publique , qu'il l'a toujours été. ---
Ses braves compagnons, oiitragés comme lui, innocens
comme lui , ont le même droit à votre justice : et si
une multitude égarée a pu jetter des pierres, et traîner
au cachot des hommes qu'a respectés le fer de l'ennemi,
elle pleure peut-être déja sur cette horrible victoire ;
- elle pleurera du moins un jour, en se rappellant les
bienfaits , les secours que M. d'Albert, et le corps
de la marine procurent aux pauvres marins pendant
la paix, et les exemples qu'ils leur ont donnés pendant
la guerre. .

· Vous avez vu, messieurs, qu'il n'existe aucun chef


d'accusation , aucun accusateur ; car je ne pense pas
que les députés de Toulon persistent à demander sé-.
rieusement le déplacement de M. d'Albert , ou de
tel autre officier, et à désigner, comme ils l'ont offert,
ceux qui seroient agréables au peuple. -- Je ne peñse
pas qu'aucun officier voulût céder, dans une telle cir
constance, à la bienveillance, même aux instances du
( 156 )
peuple , et dater son élévation du jour de l'emprisonne
ment de M. d'Albert.
J'estime donc , messieurs , et je vous demande de
† qu'il n'y a lieu à aucune inculpation contre
- d'Albert et les officiers de la marine emprisonnés
à Toulon , lesquels se retireront pardevant le roi et
les tribunaux , pour obtenir les dédommagemens et
réparations qui leur sont dus,
Mais si votre justice est satisfaite par cette décision,
elle ne suffit point à la sollicitude que vous impose
votre caractère et vos fonctions législatives; car vous
avez, messieurs, de semblables désordres à prévenir ,
ou à réparer dans tout le royaume.
J'attaquerai d'abord cette opinion trop répandue, et
dont les conséquences peuvent devenir bien funestes ;
c'est qu'il est utile pour le succès de la révolution de
maintenir le peuple dans un état de fermentation, de
lui laisser même une explosion de licence qui le pas
sionne pour la liberté, qu'ainsi il y a des circonstances
actuelles , des maux , des désordres inévitables qui
disparoîtront sans effort.
Je trouve, messieurs, cette erreur de principes d'une
immoralité eruelle ; d'une politique dangereuse, si
toutefois ou peut allier quelque espèce de politique à
la plus absurde inconséquence.
Qu'est-ce en effet qu'une révolution ? c'est le passage
d'un état ancien à un état nouveau, opéré par la force ,
au profit de la tyrannie ou par une volonté générale,
qui est elle-même une force légale , et qui appelle »
protége la liberté et la loi.
La première espèce de révolution favorise tous les
crimes, tous les genres de violence ; c'est celle de
Comwell en Angleterre; la seconde, celle du prince
»l'Orange , s'exécute, au contraire , avec un ordre
imposant, et la force ne se montre un nºtant °
pour faire place à la loi. Or, je vous le demande ,
messieurs, dans quelle position sommes-nous , et com:
ment nous convient-il de consommer la révolution qui
( 157 )
s'opère dans cet empire, où est l'ennemi, où sont les
armées que nous avons à combattre ? --- Des préjugés,
des habitudes , des intérêts contraires à l'intérêt gé
néral ont résisté quelques instans à une lutte fort
inégale ; --- mais du moment que la voix des ci
toyens s'est fait entendre , que le pouvoir législatif
s'est développé, que les principes de la constitution ont
été proclames, quelle puissance invisible auroit atta
qué une puissance qui eouvre toute la surface de cet
empire ?
C'étoit donc le moment de l'ordre et de la paix , et
d'un respect religieux pour les droits de l'homme et
du citoyen, qui , pour la première fois, étoient con
sacrés ; -- c'étoit à chaque article proclamé de la
constitution un besoin pressant d'en établir l'empire ,
d'en essayer la force, d'étendre par-tout le sceptre
de la justice, de la raison, et de purifier , pour ainsi
dire , l'air que nous respirons de toutes les souillures
de la licence et des mauvaises mœurs : que dis-je ? il
falloit se hâter de montrer la liberté dans toute sa
splendeur, qui est la majesté même de la loi ; tous
les soupçons, toutes les inimitiés devoient s'éteindre,
et l'équité distinguant ce qu'il y a de naturel dans les
regrets, les souvenirs de l'orgueil, de ce qu'il y a
de crimiuel dans ses intrigues , une bienveillance
universelle , une noble confiance devoit s'étendre sur
toutes les classes de citoyens ;t le pauvre dans sa chau
mière , les grands dans leurs palais , tous devoient
être § et heureux : aujourd'hui que voyons
nous au contraire ? une inquiétude universelle agite
lous les esprits, les uns fuient, les antres s'arment ;
ici des complots prétendus renouvellent toutes les
fureurs de l'inquisition; là, des citoyens dans leurs
foyers, des magistrats sur leurs sièges sont assassinés ;
ailleurs, c'est un commandant, des officiers distingués,
qu'on traîne au cachot. --- Par-tout on murmure , on
accuse , on s'alarme à votre porte; dans cette enceinte
on vend sans pudeur des § où la sédition, l'assas
sinat sont conseillés, où l'on excite le peuple contre
vous-mêmes.--- Les outrages, les calomnies, ne sont
plus qu'un aliment de la curiosité.
( 158 ) - -

Messieurs, qui peut donc voir dans ces sombres


couleurs les enseignes de la liberté ? Ah ! ne vous
y trompez pas; le mal produit le mal ; il en est tems
encore , mais si vous ne tendez au peuple une main
. seconrable , si vous ne le retirez de l'ivresse où on
l'a plongé, si vous ne contenez dans la plus exacte
discipline les milices armées , si on n'en eloigne les
· hommes non domiciliés, s'ils contractent les habitudes
des janissaires , si ces corps délibèrent et prennent
• -;
pari à i'administration, si toutes les violences ne sont

#- -!
· e è ( n , t réprimées, si enfin l'autorité royale n'est
: : p : | | établie dans ses justes limites, la liberté
-

º, a ès sa aissance, les loix resteront sans vigueur,


# • • iiuiion devienºra , comme nous-mêmes , le
,| - º s libellistes , l'avilissement de tous les pouvoirs
- -
- - •• • * • -

, epsr º le retour du despotisme, et il s'élèvera sur


: s , ai ºs de la monarchie : que votre sagesse , votre
courage nous preserve de ce malheur ! --- Unissons
no s , messieurs, pour terminer paisiblement notre
orageuse carrière ; faisons respecter les loix , ſaisons
les craindre à ceux qui ne savent pas les aimer : et,
après avoir dégagé le trone de tous les pièges qui l'en
vironnoient, rendons le roi puissant pour faire le bien ;
donnons à cet excellent prince la consolation et les
rnoyens de concourir au bonheur de ses sujets et que
la paix , la confiance habitent enfin au milieu de nous.
J'ai l'honneur de rappeller à l'assemblée le projet
· de décret que je lui avois présenté relativement à l'in
surrection de Toulon, et je demande la permission d'en
présenter un autre pour réprimer la licence de la
presse. . -

P. S. J'apprends pue l'on imprime dans ce moment


ei une réponse à mon premier discours , et qu'en rap
· prochant mes observations et les dispositions, en oppo
sant uiie assertion à une autre , en ccncluant d'un fait
isolé une intention qni lui est étrangère , on se flatte
de présenter des résultats embarrassans pour les offi
ciers de la marine, et leur défenseur. Quand on aura
bien déposé , commenté et argumenté , il restera dé
aiontré à toate la France qu'il y a eu à Toulon une
( 159 )
horrible sédition; que les scélérats en sont les instigateurs ;
que des innocens en sont les victimes, et que justice dois
étre faite, ou qu'aucun homme soigneux de son honneur ou
de son repos, ne peut se mêler d'administrer et de com
mander d'autres hommes.
Du reste, je le répète , j'ai lu très-rapidement, une
seule fois, et avec plus d'indignation que d'attention ,
toutes les dépositions ; et plus on voudroit y mettre
d'importance, plus il seroit facile de les en dépouiller,
et de les ranger dans la classe de ces moyens d'oppres
sion que la justice proscrit, que la tyrannie emploie
lorsque la liberté expire, ou fuit dans les déserts.
º

* Je ne répliquerai rien à cette réponse, quelle qu'elle


soit ; car je ne la connois pas encore.

· Réunion des citoyens.

4 Janvier 279o.

| Point de réunion praticable, si les anciens abus, les


rétentions exclusives, les principes vraiement aristo
cratiques conservent quelque influence : c'est le mêlange
d'intérêts et de passions contraires qui a tout pérdu,
qui a discrédité la modération, la saine raison. Il n'y a
que la vertu la plus pure, l'exacte équité, la sagesse
éclairée qui puissent tout réparer. -

· Ce seroit une criminelle folie que d'essayer de réta


blir l'autorité arbitraire, les distinctions d'ordres, les
privilèges exclusifs et tout ce qui composoit l'ancienne
tyrannie. C'est un malheur sans doute que la consti
tution ne soit pas posée sur des bases plus monarchi
ques, qu'il n'y ait qu'une seule chambre, que le roi
n'ait qu'un veto suspensif. Le contraire de tout celà
est décrété, et la nation en paroît satisfaite : ainsi il
n'y a point de motifs , point de moyens légitimes
d'en revenir autrement que par l'expérience des incon
vºie . , s'ils existent, comme je le crois , que des
( 16o )
observations calmes, modérées, éclairent Ia nation ,
et que sa volouté plus réfléchie se manifeste paisi
blement. Voilà, sur la constitution, tout ce qu'on
peut espérer et tenter.
Mais le pouvoir exécutif suprême est conservé au
roi; et, dans le fait, ce pouvoir est absolument effacé;
il n'a plus de place, plus d'espace pour agir. Les fac
tieux troublent, agitent par-tout le peuple, et le tien
nent dans un état d'alarmes et de guerres perpétuelles ;
des bruits calomnieux , incendiaires se répètent et se
succèdent dans tous les coins du royaume. On dit sans
cesse au peuple qu'il y a une conspiration, un complot
contre la liberté, et ce sont des scélérats qui excitent
et qui paient les émeutes, qui produisent les diset
tes , et qui nous menacent des plus grands malheurs si
nous ne les prévenons.
Or, pour cela que faut-iI faire ? le voici.
Il faut dans l'assemblée un grand calme, et un
concert soutenu de principes et d'opinions. Il faut
donc n'avancer ni défendre que des principes et des
opinions qui tendent véritablement à la la liberté, à
la paix , à l'ordre public.
C'est sur ce plan-là qu'il faut rétablir et défendre
l'autorité royale, sans laquelle il ne peut y avoir de
paix durable dans un grand empire.
Lorsque les principes contraires, les opinions exagé
rées se présentent avec violence, et que les claneurs
commencent, il faut y opposer un profond silence.
Qu'un seul prenne la parole , discute , conclue froi
dement , et ensuite un autre, jusqu'à ce qu'on aille
gallX VOlX »

Il faut convenir des principes des articles qu'on


n'abandonne jamais, et en convenir publiquement ,
afin d'éviter toute apparence d'intrigue.
Il faut demander justice sévère du premier tumulte,
et en désigner les auteurs sans ménagement ; mais
en parlant tons à la fois , en s'emportant même con
tre une injustice ; on perd sa force, on se lasse, on
s'isole ,
( 159 )
s'isole; et les meilleurs poumons, les plus emportés
finissent par être les plus forts.
Il est déplorable, après huit mois d'expérience ,
d'être obligé de faire une telle recommandation.
Il faut ne faire grace à aucune espèce de scélé
ratesse : les libellistes, les distributeurs, les calom
niateurs et tous les perfides inventeurs de complots doi
vent être soigneusement recherchés, et sans en fati
guer l'assemblée, dix, douze députés doivent se char
er de dénoncer au châtelet le Dénonciateur, l'ami du
#. , le journal Patriotique, la chronique de Paris ,
et toute cette horde d'assassins qui empoisonnent le
peuple et entretiennent la fermentation. Si le procureur
du roi, provoqué par des députés, ne faisoit pas son
devoir, il faut alors le dénoncer à l'assemblée; et
lorsqu'on prend un tel parti , il faut en venir à la
délibération ; mais sans tumulte, sans clameurs, en se
levant en assez grand nombre pour que le président ne
doute pas que le vœu de l'assemblée se manifeste , et
qu'il faut lui obéir. -

Il faut tendre à la prompte expédition des affaires


sans précipitation, et pour cela imprimer les articles
à discuter, et nommer quelques menbres pour porter
da parole. - -

Il faut avoir soin de remarquer et de rendre sensi


1bles toutes les supercheries, tous les faux principes à
l'aide desquels on trompe le peuple, en l'excitant à la
licence, et la perfidie avec laquelle on lui présente ses
intérêts blessés, là où il n'y a que la vanité et l'intérét
· personnel de certaines gens compromis. Par exemple ,
dans la grande question de l'éligibilité, il est inconce- .
vable que personne n'ait su dire au peuple : « Bonnes
gens, ouvrez les yeux ; ceux qui parmi vous paient
54 liv. d'imposition, et il y en a un très-grand nom
bre, ne sont pas tous en état de défendre Ies intérêts
de la nation dans le corps législatif; mais ceux qui
ne paient pas cette somme d'imposition, les pauvres
artisans, les pauvres paysans, seroient-ils plus capa
bles d'être représentans ? Ceux dont toute l'occupation,
X
( 16o )
toute l'inquiétude est de pourvoir à leur subsistance,
ont-ils le desir et les moyens d'arriver à la représenta
tion nationale ? Ce n'est donc pas la cause du pauvre
peuple, mais celle des gens d'une classe moyenne,
# , avec quelques connoissances acquises , manquant
de propriétés, de fortune, ont un desir ardent d'en
·obtenir, et veulent ainsi s'ouvrir la porte des emplois
† : mais vous pauvre peuple, est-il de votre
intérêt d'être représenté par des hommes qui ont leur
fortune à faire, ou par ceux qui ont leur fortune faite ?
Ouvrez donc les yeux, et jugez ce que signifient les
belles phrases : on outrage le peuple; on exclut les deux
tiers du peuple de la représentation nationale.
Il est très important, dans de semblables occasions,
de parler clair, et d'écrire, d'imprimer, de publier
dans les provinces les explications. Voilà la conduite
à tenir hors de l'assemblée : on enivre le peuple ,
on l'agite; il faut le caliner, lui montrer les suites
funestes de l'anarchie; comment tout périt par la
licence, par l'absence de l'ordre. Il faut que tous les
citoyens paisibles se réunissent dans toutes les parties
du royaume, pour contenir les séditieux et les bri
† que les gardes nationales reconnoissent pour
eur propre sûreté, la nécessité de la discipline, de
l'obéissance au magistrat, de la soumission au roi ;
car si le chef du pouvoir exécutif est sans autorité sur
la milice, sa fonction est nulle, dérisoire, le gouver
nèment se convertit en une démocratie extravagante.
Il faut donc tendre, dans l'assemblée et au-dehors,
à remettre à leur place tous les ressorts de l'adminis
tration, à la subordonner inviolablement à l'autorité
royale, à rétablir la discipline parmi les troupes, et
a paix parmi les citoyens. -
( 161 5

MOTION de M. MA zoUET, sur le discours,


adressé par le roi à l'assemblée mationale,
dans la séance du jeudi 4 février.
6

CE matin, à l'ouverture de la séance, M. le prési


dent a rendu compte à l'assemblée de la députation
faite hier au roi et à la reine , des discours adressés à
leurs majestés, et de leurs réponses. Ces discours ont
été vivement applaudis. M. Malouet a demandé alors
1a parole ; il a dit : « Messieurs, je partage la satisfac
tion qu'éprouve l'assemblée, du compte qui vient de
lui être rendu ; mais je ne pense pas qu'il ne doive
rester d'autres traces de la séance d'hier , que des
applaudissemens stériles. La démarche du roi a été
déterminée par de grands motifs; il en doit nécessaire
ment résulter de grands effets : je demande donc qu'il
soit fait une seconde lecture du discours du roi, et que
cette séance soit consacrée à traiter les objets princi
paux sur lesquels sa majesté s'est expliquée ; sur quoi
je demande la permission de faire part à l'assemblée
de mes observations. . . . . . - . - . »,
On a réclamé l'ordre du jour.
· M. Malouet a insisté pour obtenir la parole.
- r_ •_ ". - • sº

On a dit que c'étoit concourir aux vues du roi qué


d'accélérer la division du royaume.
« Il a observé que les commettans dans les provin
ces, en apprenant la scène intéressante qui avoit si
vivement attendri l'assemblée, et en lisant le discours
du roi, concevroient diffieilement qu'aucun objet plus
important pût l'occuper de préférence ».
On a pris les voix ; l'ordre du jour a été décrété.
M. Malouet a annoncé alors qu'il renouvelleroit sa
motion à une autre séance. En attendant, il a cru
devoir communiquer à messieurs, le résumé de ce qu'il
se proposoit d'exposer à l'assemblée. .. . . . -
© - 9 © e> 9 • s - e © © • , • - e. - -
( 162 )
, , « Trois objets principaux, messieurs, m'ont frappé
dans le discours du roi. Sa majesté s'est associée d'une
manière plus intime aur travaux de l'assemblée nationa
le, à la constitution, c'est-à-dire, que tous les pouvoirs,
toutes les forces de la nation concomrent aujourd'hui à
la même fin , qui est la liberté, le bonheur de tous,
l'empire unique de la loi.
Dès-lors, messieurs, toutes les défiances sont désor
mais contraires au but que vous vous proposez, toutes
les divisions, toutes les axagérations dangereuses.
Quel doit donc être le premier et le plus salutaire
effet de la déclaration du roi ? C'est de rétablir la con
fiance dans tous les cœurs, comme elle doit y porter
l'espérance. C'est d'étouffer tous les germes d'inimitié
et de ressentiment ; c'est d'effacer les soupçons, et de
faire disparoître au milieu de nous les barrières qui
nous séparent de la vraie liberté de son esprit, de ses
principes et de ses mœurs ; je veux parler de ces for
mes inquisitoriales qui alarment une partie des citoyens,
sans faire le bonheur d'aucun; car aucun de nous ne
s'intéresse au bonheur des méchans.
Le second objet remarquable dans le discours du
roi, ést la touchante exposition des désordres qui affli
gent le royaume, et la nécessité d'y pourvoir.Je sais que
la liberté vaut la peine d'être achetée, mais vous savez,
messieurs, que son plus illustre défenseur, Rousseau ,
la croyoit trop payée par le sang d'un senl citoyen.
Sans doute la liberté commande des sacrifices ; mais
ce n'est pas celui de l'ordre, des mœurs , des droits les
plus sacrés de la société. Les sacrifices qu'elle exige,
ceux qui lui sont utiles , participent au caractère augus
te qui lui appartient : elle ne retranche de nos jouis
sances que pour y ajouter , et ses bienfaits les plus pré
cieux sont toujours à coté des privations qu'elle solli
cite. --- Mais la licence , Inessieurs, les violences de
la cupidité, celles de l'orgueil, de la vengeance, la
violation de tous les droits. Ah ! tous ces fiéaux, qui
désolent plusieurs de nos provinces, ne sauroient être
les précurseurs nécessaires de la liberté des François.....
•. - - - - - -
( 163 )
Et qu'il me soit permis de vous le dire, messieurs t
il n'entre ici que des hommages; mais l'inquiétude est
à la porte, et cette tribune doit être l'asyle de
toutes les vérités. Si le calme ue se rétablit prompte
ment , si les lois éternelles de l'ordre et de la justice
| sont plus long-tems méconnues, en vain vous en feriez
de nouvelles. -- Il me semble que nous sommes tous
pénétrés à cet égard du même sentiment, et tenus aux
mêmes devoirs ; car en appercevant le mal , nous ne
pouvons nous dissimuler que le remède est dans nos
IIla ll1S ,

Jamais l'autorité royale dans sa pureté, et l'excel


lent prince qui en est dépositaire, ne vous ont été sus
pects.Ce sont les agens du pouvoir exécutif que vous
avez redoutés ; ce sont leurs anciennes habitudes, leurs
prétentions, leurs usurpations que vous avez voulu
effacer, et cela est fait aujourd'hui. Mais convient-il
à la nation, à son bonheur, à son repos , au succès
de vos travaux, de prolonger cette nullité du pouvoir
exécutif; et serions-nous excusables de le faire, lors
que le chef suprême de ce pouvoir se plaît à montrer
des dispositions aussi conformes aux principes que
vous avez consacrés ? --- Non , messieurs, je vous en
conjure au nom de la liberté même, ne nous permet
tons pas de plus longs délais pour rétablir l'action de
la force publique, -

Et si l'ordre du travail du comité de constitution


ne met point encore en délibération les divers articles
constitutionels de pouvoir exécutif, hâtons-nous de
livrer au roi , qui se livre à nous axec tant de candeur,
tous les moyens de mettre en action l'autorité pour le
rétablissement de l'ordre et le maintien des lois.
Ici, je cherche les difficultés, j'appelle les objec
tions, je demande ce que la prudence nous conseille,
ce que la nécessité des circonstances commande ; j'exa
mine enfin le vœu de nos commettans, leurs instances
répétées pour obtenir une autorité protectrice ; ------
par-tout! je vois le nom du roi, chéri et invoqué à
coté de la liberté dont il est aujourd'hui le garrant ,
comme il eù fut le premier promoteur; par-tout je
- ( 164 )
vois le besoin de cette autorité. et la liberté com
promise, si elle ne se manifeste.
La troisième partie du discours du roi , qui m'a
paru solliciter toute votre attentiou, est ce que le roi
vous dit et vous conseille sur l'état des finances.
Si nous ne mettons la recette de niveau avec la
dépense, point de crédit, point de circulation, moins
d'activité dans les échanges, dans toutes les spécula
tions du commerce ; et de-là tous les maux , tous les
désordres qui tiennent à la disparution du numéraire,
à la diminution du travail et des consommations, aux
alarmes des capitalistes et des créanciers de l'état.
Or, qu'avons-nous fait de réel jusqu'à présent pour
rétablir les finances, et pourquoi différer de poser les
bases d'un meilleur régime ?
Nous sommes accablés de mémoires et de projets
sur les finances, il en est peu, il n'en est point peut
être qui présente un systême complètement admissible ;
mais on trouve, dans plusieurs , les notions et les
principes qui peuvent nous conduire à en adopter un.
Je sais que le comité des finances, livré à un tra
vail infatigable, s'est constamment occupé de remplir ^
la missiou qui lui est confiée ; mais je ne peut dissi
muler mon étonnement, qu'il ne nous ait pas encore
présenté un état exact et précis de notre situation et
de nos ressources.

Nous avons la certitude d'un nouveau deficit dans la


recette des impositions indirectes, telles que la gabelle,
les aides et les traites. --- A combien se monte-t-il ,
Quels moyens sont préparés pour y suppléer, sur quels
calculs se fonde la recette de cette année ?
La solution de ces questions est indispensable pour
fonder le crédit et rétablir la circulation ; mais l'ordre
dans les finances et le retour du crédit dépendent
essentiellement, comme le roi vous l'a dit , d'un gou
vernement bien ordonné, d'une perception exacte des
revenus, de la protection des propriétés, de la sûreté
des personnes, et d'une autorité active pour la surveil
lance et la conservation de l'intérêt général.
ſ( I65 )
C'est d'après ces considérations , messieurs , que
je crois rendre hommage à nos principes, à nos devoirs,
au vœu de nos commettans , à la bienfaisance et à la,
sollicitude du monarque, en soumettant à votre examaa.
le projet de décret suivant :

A R T I C L E P R E M I E R.

V.

L'assemblée nationale croyant devoir à la natiout


l'exemple de la plus entière confiance dans les senti
mens paternels et les principes patriotiques que sa
majesté lui a manifestés dans sa séance du 4 ; par
tageant les justes sollicitudes du roi sur les désordres
qui affligent le royaume, et ne voulant point atten
dre, pour y pourvoir, la discussion et la délibéra
aion des divers articles constitutionels qui régleront.
toutes les parties du pouvoir exécutif, supplie le roi
de donner tous les ordres, et de prendre les plus effi
caces pour la protection des propriétés, et la sûreté
des citoyens.
I I.

L'assemblée nationale ordonne , en conséquence,


que tous les corps administratifs et militaires exécu
tent ponctuellement les ordres qui leur seront adressés
par sa majesté, contresignés par un secrétaire d'état.
I I I. . -

L'assemblée nationale déclare que toutes résistance


aux ordres du roi , ou leur inexécution non-notivée
sur la violation constatée des décrets constitutionnels,
seront punies comme forfaiture, et que toute insubor
dination dans l'armée de terre et de mer , doit être
jugée et puuie conformément aux ordonnances mili
taire8. " -

f
166 )
I V.

L'assemblée nationale, indissolublemcnt uni à la


constitution et au roi , par le serment que tous ses
membres ont renouvellé, n'ayant plus rien à craindre
pour la liberté publique, qui est désormais sous la
arde du monarque et du peuple françois, révoque
et abolit son comité des recherches, et tous ceux qui
pourroient être établis dans différentes villes du
royaume.

Je propose , par un décret particulier , l'article


suivant :

La paix et la prospérité du royaume , dépendant


essentiellement du rétablissement du crédit public, et
d'un ordre constant dans les finances , l'assemblée
nationale ordonne à son comité des finances de lui
rendre compte incessamment du deficit constaté dans
la recette des impositions, pendant les six derniers
mois de 1789, et des moyens préparés pour assurer la
balance des recettes et des depenses.

5 Février 179o. MALoUET.

OPINION
( 167 )
OPINION de M. Malouet,prononcée dans
la séance du samedi 2o février, sar le
projet de décret proposé par le comité de
constitution , relativement au rétablisse
ment de l'ordre public dans le royaume.

M z s s r E U R s,
V.

! .

JE ne vous propose point, comme les derniers


p† , de conférer au roi la dictature, mais
ien d'établir le pouvoir exécutif sur sa véritable
bases, qui est, dans une monarchie, l'autorité royale. --
Il n'en est point fait mention, ni dans le premier, ni
dans le second décret qui vient de vous être lu; ainsi,
avant d'en discuter les détails, qu'une lecture rapide ne
me permet pas de bien saisir, j'en examinerai les prin
cipes; car c'est des principes de cette loi que dépend
absolument laforme de gouvernement sous laquelle nous
allons vivre. La constitution, par cette loi, sera ou ces
sera d'être monarchique. --- Le pouvoir exécntif va
être mis en-dedans ou en-dehors de sa sphère d'activité.
Lors donc que des citconstances graves nous pressent de
toute part, lorsque le poids des événemens va se placer
sur nos têtes, et nous livre incessamment au jugement
de la génération présente et de la postérité, quelles
que soient les # ns dominantes, les inquiétndes,
les passions, ou les préventions qui nous environnent,
chacun de nous doit déployer ici sa conscience et ses
efforts, pour établir des principes qui survivent à
· l'agitation et aux intérêts du moment.
Le projet de loi qu'on vous propose est provoqué
par des désordres précédés de tant d'autres excès, que
nous avons eu le tems et l'obligation de nous occuper
des remèdes. Ils doivent sans doute se trouver dans la
constitution; et les dispositions insuffisantes que vous
avez déja décrétées n'excluent point • # qui vous
( r68 )
restent à adopter pour rétablir l'ordre et en assurer Ix
stabilité, pour mettre en harmonie la loi et ses moyens,
qui sont tous les ressorts du pouvoir exécutif.
Le second décret proposé remplit-il complêtement
cette fin ? je vais essayer de vous démontrer ce qu'il
est indispensable d'y ajouter.
Comment doit se mouvoir, et jusqu'où peut s'éten
dre, dans un grand empire, le pouvoir exécutif ? com
ment le concilier avec la liberté ? comment servira-t-il
à sa défense et point à sa destruction ? voilà le pro
blême politique que nous avons à résoudre.
Je n'en trouve la solution dans aucun des deux pro
jets. -

Je vois bien ce qui est prescrit, en cas de sédition


ou de violence, aux officiers municipaux , aux chefs
militaires d'une ville ou d'un bourg ; mais hors de
l'enceinte des municipalités, je ne vois point de direc
tion supérieure qui rallie, contienne, ordonne toutes
ces forces et ces volontés éparses. Il semble que le
décret, ne considère qu'un ville, fasse abstraction da
toutes les autres et des campagnes; il semble que les
désordres, dans un grand royaume, ne puissent s'y
déployer que partiellement et dans une juste propor
tion avec les forces locales..... Si les officiers munici
aux ou la milice ne font pas leur devoir, le projet
de loi dit bien qu'ils sont responsables, mais en atten
dant qu'ils soient punis et que l'ordre se rétablisse ,
la loi se tait, et je ne trouve point la place ni la fonc
tion de l'ordonnatenr suprême du pouvoir exécutif.
C'est cependant ce qu'il faut nettement exprimer, et
voici le moment de le dire. Ce n'est point en jettant
un voile sur le trone, que nous en seront protégés ; et
si son influence n'a une activité protectrice, ou elle
s'effacera tout-à-fait et réduira la royauté à un vain
simulacre, ou les premiers mécontentemens du peuple
rappelleront le despotisme sous des formes nouvelles.
J'observerai d'abord que c'est une erreur, aujourd'hui
familière, que de donner le même nom à l'autorité
( 169 ) -

royale et au pouvoir exécutif; l'une représente l'em


pire et la souveraineté, l'autre en est l'instrument. .
· Tout ce qui est nécessaire à la sûreté, à la protec
tion de tous, à l'exécution inviolable des lois, com
pose le pouvoir executif distribué en plusieurs magis- .
tratures dans les republiques.
La réunion de toutes ces forces sous la direction
d'un seul,2 distingue
C le $
gouvernement monarchique.
Le pouvoir d'empêcher l'emploi iàlégal de ces forces
appartient à une nation libre, exerçant par ses repré
sentans l'autorité legislative. - :

Ainsi la liberté nationale ne consiste † à atténuer .


ou a transposer le pouvoir exécutit sans l'unité duquel
elle ne peut exister ou se maintenir ; mais à prévenir
sa disection arbitraire ; ce qui est éminemment le droit
et le devoir du corps legislatif.
Or, lorsqu'une nation a investi ses représentans de
ce droit, elle ne peut plus le perdre qu'en renonçant à
la volonté de le con erver.
Et lorsque la responsabilité des agens du pouvoir
exécutif est devenue une loi constitutionnelle, , leurs
écarts peuvent être des délits plus ou moins graves ;
mais ils ne pourroient devenir des † sur la
liberté que par la faute du pouvoir législatif qui est
toujours en état de prononcer que la loi est violée,et
la peine encourue -1 - -

Cette surveillance active des représentans de la


nation, est l'unique contre-poids legal et efficace de
la force publique et de la puissance qui la dirige.
Que tout autre corps ou individu participe à l'exerci
de ce droit souverain, les différentes parties, #
société politique doivent alors se trouver fréquemment
dans un état de guerre et d'anarchie, et il y a plus
de gouvernement , car le pouvoir de gouv§ner doit
être actif et irrésistible dans les routes qui lui sont
tracées, puisqu'il n'est autre qué la loi agissante,
· Je n'appliquerai pas ces principes à l'étät äqtuel de
nos provinees qui ne représente aucune ſbrûne de gou*
- - - Y 2.
( 17o )
vernement, mais au moyen constitutionel de faire
cesser d'aussi grands maux.
Vous avez reconnn, messieurs, que le gouverne
ment françois est monarchique, et que le pouvoir
exécutif suprême réside dans les mains du roi.
C'est aussi un principe constitutionnel de toutes les
sociétés du monde que la violence doit être réprimée
par la force.
Examinons maintenant dans le plan proposé quelle
est l'intervention et l'influence du chef suprême du
† exécutif, et comment il l'emploie à maintenir
'ordre et la réparation des violences. La loi, qui les
réprouve, § son appui, voilà le principe! La
conséquence ne peut être que les corps intermédiaires
agissent, disposent, arrêtent le pouvoir exécutif par
leur volonté propre et absolue ; car alors je ne vois
lus le chef suprême : et la force publique, subdivi
sée en autant de parties qu'il y a de municipalités, se
trouve en effet dans leurs mains.
| Ce n'est pas que j'improuve la loi qui leur donne
le droit de requérir les troupes réglées et met celles-ci
aux ordres du magistrat civil : dans les cas ordinai
res, cette mesure est sage et nécessaire ; mais lors
qu'elle devient insuffisante le pouvoir exécutif suprême
doit-il être inactif, et son emploi n'est-il pas légal ,
lorsqu'il répare ou qu'il empêche les désordres réprou
vés par la loi ? -

Le nouveau décret proposé ne statue rien sur ces cas


ordinaires, et il n'indique point celui où le recours
au monarque devient nécessaire, où la désobéissance
à ses ordres seroit une forfaiture. Ce décret s'adresse
à chaque municipalité séparée; on n'y voit point le
lieu commun qui les unit à la puissarice publique et
sa direction supérieure : le pouvoir exécutif se trouve
séparée du monarque, et agit sans son intervention
directe ni indirecte, de telle sorte que s'il n'y avoit
peint de roi, mais seulement des troupes soldées et
des : apitaines dans les provinces , les municipalités
u'autoient à faire ni plus ni moins que ce qu'on leur
·s ?
( 171 )
prescrit, et les capitaines pourroient aussi, sans autre
supérieur que les assemblees administratives, remplir
la mission de confiance qui leur est imposée.
Cependant si le gouvernement françois cessoit d'être
monarchique; qui de nous pourroit croire que nous
serions libres long-tems, et que l'empire se maintien
droit dans son intégrité ? --- Mais nous perdrions,
messieurs, tous les avantages de ce gouvernement ,
nous n'en n'aurions que les charges , si l'autorité royale
ne rallioit, en les dirigeant, toutes les branches du
pouvoir exécutif, et si elle n'avoit, pour l'exécution
des lois, toute l'activité qui résulte du commandant
d'un seul. -

Je vous rappellerai ici que la surveillance continuelle


du corps législatif, suffira toujours pour prévenir ou
arrêter les formes arbitraires et oppressives, et que le
pouvoir exécutif ne s'exerçant que par des agens inter
médiaires, leur responsabilité satisfait aux exigeances
de la loi, et aux réclamations des opprimés.
J'ajouterai qu'il seroit plus raisonnable que le corps
législatif se réservât, dans certains cas, le droit d'or
donner une désobéissance formelle au gouvernement,
que de transporter toute sa puissance aux corps inter
médiaires. - -

C'est, messieurs, n'en dontez pas, entre l'unité de


direction et la responsabilité des agens du pouvoir
exécutif , que résident la sûreté et la liberté des
c1toyens. -

Les Romains et tous les peuples modernes, nous


ont donné successivement l'exemple des tristes résul
tats de la confusion des pouvoirs. «

| Mais nous, peuple immense, placé sur un vaste


territoire, si cette multitude de rayons n'aboutit à un
centre, nous avons tout à craindre de la divergence
des intérêts et des volontés. - - •-º-

Vous êtes, messieurs, les organes de la volonté


générale; mais son action tutélaire doit se développer
Par un mouvement central, qui se communique dausº
- - - >
( 172 )
une même direction à toutes les parties de l'empire : et
lorsque notre position, notre population, nous soumet
tent nécessairement aux formes monarchiques , nous
devons bien en effacer les abus, mais non les avantages :
or, il ni a plus que trouble et péril dans cette forme
de gouvernement , si toutes les subdivisions du pouvoir
executif ne sont pas dans une dépendance immédiate
du chef supréme, si un corps militaire ou civil, autre
que le corps législatif, peut s'élever à la hauteur du
gouvernement , suspendre sa marche et rompre son
unité : --- ses ordres, ou assurent l'exécution des lois,
ou les violent, ou suppléent à ce qu'elles n'ont pas
prévu, et à ce qu'exige l'urgence du besoin : -- C'est
au corps législatif seul à détèrminer ces differens cas ;
car la nation suspend pour elle-ineme l'exercice des
pouvoirs qu'elle confie # ses représentans. ---
J'ose dire que tout autre principe nous égare, qu'une
plus grande latitude dans la liberte la restreint, et
nous soumet à une multitude de volontés et de pouvoirs
redoutables pour chaque citoyen, mais insuffisans pour
en protéger un contre plusieurs -

D'après ces observations, il me semble que l'unité


et l'activité du pouvoir exécutif ne peuvent être solide
ment établis, qu'en statuant préalablement à toute
autre disposition, que tous les corps administratifs et
militaires sont tenus d'obéir ponctuellement aux ordres
du monarque. - -

C'est au corps législatif à faire en sorte que ces


ordres ne puissent ni contrarier , ni renverser les lois ;
mais si les corps intermédiaires pariicipent , dans tous
les cas, au droit de suspendre et de résister, il s'elève
alors dans le sein de la nation autant de gouvernemens
qu'il y a de cités.
| Alors, une municipalité disposera exclusivement ,
dans son territoire, de la circulation des grains et du
numéraire ; favorisera une insurrection ; relâchera, à
(
son gré, la discipline militaire ; retardera la percep
tion des impots; une ville pourra en affamer une autre ;
des réquisitions contradictoires, par diverses munici
Apalités, pourroieut armer différentes troupes les unes
( 173 )
contre les autres. --- L'autorité des magistrats, celle
des officiers militaires, sans bases fixes, sans point
d'appui, seroit incertaine et precaire ; il n'y auroit de
puissant, de redoutable, dans la capitale et dans les
provinces, que les passions et les erreurs de la multi
tude, le corps législatif même perdoit bientot son au
torité , et nous verrions reparoître les horreurs de
l'anarchie.
Ce n'est pas sur ce qui se passe maintenant dans
lusieurs parties du royaume que se fondent mes con
jectures; c'est sur l'ordre naturel des choses qu'elles
s'appuient , sur l'expérience , sur les principes et lea
conditions nécessaires de la liberté, qui ne peut jamais
exister dans un état de stagnation du gouverne
ment : il faut qu'elle en soit incessammont protégée,
s'il est fort, ou qu'elle périsse avec lui , s'il est foible.
Ainsi, tout ce qui ne concourt pas à l'ordre dans un
systême politique, l'altère, et finit par le désorga
n1ser. -

Encore une réflexion, messieurs ; c'est la dernière ,


je la recommande à votre attention.
Lorsqu'une nation reconnoît un chef suprême, qu'elle
fasse révérer sa puissance, qu'elle se garde bien de
travailley à le rendre inutile ! S'il cessoit d'étre
nécessaire à son bonheur , il deviendroit redoutable
à sa liberté.
Si au contraire le monarque, dans ses augustes fonc
tions, est environné d'un grand pouvoir pour faire le
bien ; s'il ne rencontre de barrieres que celles qui le
séparent du mal, quel prince alors seroit tenté de regar
der en errière , de regretter le despotisme, de rappel
ler sur son trone resplendissant de gloire et de féli
cité, les sombres terreurs de la tyrannie.
Je conclus, messieurs, par vous proposer les bases
fondamentales du pouvoir exécutif dans une monarchie,
et je demande que ces articles précedent ceux du nou
veau décret, que'je me réservé particulierement de
discuter, - - -

- - " v
« 745
Articles préposés , en addition, au décret
présenté ar le comité de constitution.

A R T I C L E P R E M I E R.

Tous les corps administratifs et militaires sont dans


la dépendance immédiate du monarque , et doivent
exécuter ponctuellement ses ordres.
I I.

Toute désobéissance aux ordres du roi non motivée


sur une violation constatée des lois constitutionnelles
sera punie comme forfaiture.
I I I.

Tout acte d'insubordination dans ' l'armée de terre


et de mer , sera jugé et puni conformément aux ordon
nances militaires.

I V.

Il appartient au roi de pourvoir, prévenir et empê


cher, par l'emploi de la force publique, que la sûreté
et la propriété des citoyens ne soient violées : Tous les
, ordres que sa majesté donnera à cette effet seront
contresignés par un secrétaire d'état qui en sera res
onsable, ainsi que les autres agens du pouvoir exécu
tif qui abuseroient desdits ordres.
V.

Si , dans une sédition violente, le salut des citoyens


• menacé et le rétablissemeut de la paix publique, exi
gent des inesures contraires aux formes légales, et
qu'eiies aient été prises par les agens du pouvoir §
Clltlï
| ( 175 ) -

cutif sans la réquisition des magistrats , ils seront


tenus d'en rendre compte au corps législatif, qui ,
dans ce cas seulement, prononcera en leur faveur un
décret d'absolution. -

V I.
*

Si , dans une sédition, les officiers municipaux et


magistrats civils sont arrêtes, mis en fuite ou empê
chés par la multitude, l'officier, commandant la force
militaire, sera tenu de promulguer
de la faire exécuter. -
la loi
|
martiale et
. -- '' •

Réponse de M. Malouet aux objections


, faites dans l'assemblée , contre son 'opi
nion et son projet de décret sur le pou
voir exécutif. - -

C'est un devoir précieux à remplir que celui de jus


i tifier, de développer les motifs d'une opinion irrépro
chable; c'est un devoir sacré que de défendre le peuple
eontre cette horde de libellistes qui inonde la capitale
et les provinces, et nous représente par ses ravages,
l'irruption des barres en Italie.
Il ne m'a pas été permis de répondre à la tribune
aux cinq orateurs qui ont successivement attaqué mon
opinion; et elle est traduite aujourd'hui par les journa
listes, par les écrivains, prétendus patriotes , comme
anti-populaire. Nous sommes parvenus à un tel excès
d'ivresse, qu'on ne peut plus defendre les principes
constitutionnels du gouvernement monarchique, sans
être signalé comme fauteur du despotisme. Ainsi, la
plus atroce des tyrannies , celle qui ne permet de
· repos,2 de succes et d'hônneur qu'à ses esclaves, celle
qu'on appelle amour de la liberté, et que la liberté
appelle son implacable enneinie, le despotisme le plus
absurde fait étinceller de toute part son e#º IIlena
( 176 )
rant ; il faut fléchir devant les opinions dominantes,
si l'on ne veut être annoncé comme l'ennemi du peuple
et de la liberté, l'agent des ministres, etc. (1).
O li berté si méconnue, si outragée , dévoile donc
à leurs yeux les traits augustes de ton saint caractère !
qu'ils sachent qu'à côté de ta noble fièreté repose la
douce humanité, la justice, la générosité ; qu'il n'est
point de vertu qui te soit étrangère ; qu'il n'ést point
de violence et de mensonge qui puisse s'allier à toi !
/
Je ne reponds point aux personnes, mais aux dis
cours , aux objections principales qui m'ont été faites,
et comme elles se présenteront sous ma plume , sans
en établir l'ordre chronologique,
Je commancerai d'abord par m'élever contre cette
étrange opinion, « que les desordres qu'il s'agit de ré
parer sont exagérés; que jamais il n'y eut de révolu

(1) Ce seroit une grande platitude , s'il n'y avoit


encore plus de mauvaise foi de dire et de laisser croire
que les ministres confient leurs intérêts et leur cause
à défendre à l'homme de l'assemblée eontre lequel
il s'est manifesté le plus de prévention et de défaveur.--
Je n'ai jamais reçu qu'une seule recommandation d'un
ministre, et c'étoit pour ne pas parler le premier dans
une affaire qui intéressoit l'administration de la
marine, tant il est naturel de prendre en toutes choses,
les voies les plus sûres pour réussir ; et comme je pense
sur cela comme les ministres, je ne parle dans l'as
semblée que lorsque je crois qu'il seroit honteux et
coupable de me taire. --- Je n'ai pas dit un mot sur
les finances, parce qu'il n'est personne qui ne sente les
affreuses conséquences de nos délais, de notre défaut
d'ordre et de plan, de la non-perception des impôts,
de la suppression de la dîme, etc. parce que tout cela
a été dit et répété sans succès; parce que la première,
la principale ressource des finances est un gouvernement
actif, bien ordonné, et leur ruine total un gouverne
ment dissous.
( 177 )
tion plus douce et qui coûtât moins de sang ; que l'on
calomnie le peuple sensible et bon , qu'il est cruel de
proposer de déployer contre lui toute la force du pou
voir exécutif, lorsque l'instruction, la confiance, la
douceur peuvent si facilement le calmer ».
Quoi, les séditions, les incendies, les massacres qu1
ont eu lieu dans toute l'étendue du royaume sont exa
gérés ! les preuves, les détaiis, les plaintes qui nous
arrivent de toute part, nos commettans, nos amis qui
nous instruisent comme témoins, les comptes rendus
† les ministres , l'expression si touchante de la dou
eur du roi sur tous les excès, les soupçons, les déla
tions, les emprisonnemens injustes; et cette infatigable
inquisition des comités de recherches, ce zeleredoutable
qui poursuit les innocens comme suspects, les hommes
soupçonnés corhme coupables, mais qui laisse un voile
impénétrable sur les crimes réels, ce spectacle de dé
solation, ces scènes sanglantes sont exagérées! ces
émissaires qui parcourent les provinces pour armer les
brigands, ces brigands qui les dévastent à des époques
déterminées; de tels désordres n'exigeroient pas l'em
ploi de la force publique ! - .

Mais plus le peuple est sensible et bon, plus il faut


le protéger. Ce bon peuple n'est pas celui qui brûle les
· châteaux, qui porte des têtes au bout d'une pique ;
pourquoi donc ne pas appeller séditieux, scélérats
· ceux qui commettent de tels atrocités ; pourquoi ne
pas les traiter comme tels ? L'orsqu'il y a eu une sédi
tion dans Paris, cinq cents mille hommes ou femmes
étoient paisibles dans leurs foyers, dans leurs ateliers ;
voilà le peuple ! voilà le peuple sensible et bon qu'il
faut protéger : c'est véritablement une injnre au peu
ple, que de désigner par le mot peuple, un attrou
·pement séditieux : --- quatre ou cinq mille hommes
attroupés dans les rues, dans les places publiques ,
s'irritant à la voix d'un ou plusieurs brigands qui les
excitent, voilà les hommes qu'il faut contenir et punir
si on aime le peuple , si on respecte ses droits et ses
mœurs : --- mais c'est, à mon avis, un cruel abus de
mots, c'est une funeste confusion d'idées et de princi
Z 2
( 178 )
» - Y r

pes, que d'appliquer à des attroupemens, formés le


plus souvent d'hommes sans aveu, les égards dus au
peuple, pris collectivement, ou aux citoyens honnêtes,
considéres individuellement. --- Jamais, jamais dans
les lots tumultueux d'une multitude furieuse ou éga
rée , on ne rencontre les bons laboureurs , les utiles
artisans, qui ne connoissent , qui ne désirent apres
le travail, que le repos et la douce paix de leur ménage.
Ah! que nos respects s'adressent à cette précieuse
partie de la nation , que la justice , la bienfaisance
nous lient à tous les hommes; mais ne profanons pas
la vertu, le patriotisme, en leur supposant une alliance
possible avec les desordres. C'est consommer le crime
des hpmmes prêts à s'y livrer, que de leur parler
alors de liberté, que de l'invoquer pour eux. --- Que
la loi les effraye , par l'appareil de la force ; que la
loi les punisse, tel est le vœu d'un peuple libre et qui
veut continuer à l'être ; voilà ses vrais intérêts , ses
droits et les devoirs du législateur. Malheur à ceux
qui ſlattent une multitude effrénée , et dont l'ambition
se couvre d'un voile de popularité ! malheur au peuple
même qui se livre à ceux qui le flattent! il aura la
destinée des grands et des rois qui se laissent cor
rompre. -

Je ne suis donc pas de ceux qui vous louerai , ô peu


ple français! du peu de sang qu'a coûté la révolution.
Je dirai, au contraire , qu'elle a été marquée par les
traits les plus odieux d'une cruauté inutile.
Parmi les peuples modernes, qui ont recouvré leur
liberté , nous sommes sans doute celui qui a répandu
le moins de sang ; mais, avions-nous affaire à Philippe,
au duc d'Albe, à ses légions, sans cesse renaissantes ?
Ah! certes , il étoit glorieux de braver la mort, et
d'immoler les satellites du farouche Christiern, de
Pierre-le-Cruel ; et c'a èté de nos jours un magnifique
spectacle, que de voir les laboureurs, les marchands,
les matelots de l'Amérique, se réunir en corps d'armée .
sous le grand VVasington , et combattre, triompher
des soldats aguerris , et des meilleurs capitaines
· de l'Angleterre. --- Mais , pour nous, paisiblement
-

( 179 )
et loyalement appellés par le monarque, à exprimer
le vœu de la nation, à réformer le gouvernement , à
faire une constitution libre et sage , ou étoit le tyran,
· les ennemis et l'armée que nous avions à combattre ?
quel sang avoit coulé pour la cause de la liberté et
demandoit vengeance ? quel obstacle , enfin , avions
nous à surmouter ? et quelle force étoit pour cela
nécessaire ? -

Je sais tout ce que des mesures indiscretes, insen


sées, ont fait supposer de projets sanguinaires, et
comment cet imprudent rassemblement de troupes a
pu réveiller, exalter même l'inquiétude de la capitale
et des provinces; c'étoit alors un beau mouvement que
celui de la nation, prête à défendre sa liberté et ses
représentans. Ah ! si nous nous étions reposés sur nos
armées ! si cette masse de force, à laquelle aucune autre
ne pouvoit resister, avoit presenté , tout-à-la-fois, le
spectacle de la puissance et de la paix , de l'ordre et
de la protection ; si, lorsque tout a fiéchi, tout a cédé
à la volonté nationale; si , au milieu des recherches
et des accusations multipliées ; qui n'ont pas produit
la preuve d'un attentat ou d'un plan criminel, on
s'étoit abstenu de toutes violences ; si les personnes et
les propriétés avoient été respectées ;si tous les pouvoirs
n'avoient été dissous ; c'étoit alors une grande et glo
, rieuse révolution , qui transmettoit à nos neveux , avec
la liberté , un temoignage éclatant du courage , de la
sagesse et de la modération de leurs pères. Mais, lors
que le bien qui se prépare est encore dans l'avenir, et
qu'il existe sous nos yeux des traces de sang et d'in
cendie, des soupçons , des murmures et des haines
atroces; lorsque l'histoire nous attend pour peindre ,
des plus sombres couleurs, les attentats de Versailles,
et tant de fureurs inutiles ; lorsque les cris de la
misère, les plaintes du commerce languissant, des
manufactures abandonnées , des navigateurs inactifs ,
des colonies épouventées, font encore plus de bruit
que les éloges que nous nous donnons à nous-mêmes :
· ah! dans une telle position louer le peuple; que dis-je ,
le peuple! louer des hommes féroces du peu de sang
( 18o )
qu'ils ont versé; ne pas s'indigner des outrages, des
violences accumulées sur la nobiesse et le clergé, sur
les deputes memes qui ont condamné tous ces crimes !
ah ! cette faute ne sera pas la mienne ! Que la calomnie
me reproche de defendre cette autorité royale, qui
ne peut plus me protéger , je lui réponds, en bravant
des pouvoirs et des passions , qui agiront contre moi ,
mais qui ne m'arracheront pas un hommage.
J'ai demandé le rétablissement de l'autorité royale
dans les justes limites, et on n'a pas craint de quali
fier de motion insidieuse cette réclamation conforme
à nos sermens, au vœu solemnel de la nation , aux
principes constitutifs (1).
J'étois, a-t-on dit, hors de la question ; « il
s'agit de pourvoir à des troubles, et je veux donner
au pouvoir exécutif toute l'énergie, qu'il ne doit rece
voir que du complément de la constitution : ce sera
la clef de la voute ». --- Je suis hors de la question ?
quelle est-elle ? pourvoir à des troubles ? --- Il s'agit
donc d'un acte, et d'un mode de gouvernement ; or,

(I) Il n'y aura jamais de discussion utile et éclairée


dans l'assemblée, lorsqu'on ne pourra#répliquer sur
le-champ à des assertions hasardées, lorsque celui qui
attaque parle à un homme condamné au silence par le
tour de rôle. Cette liste d'inscription, pour la parole,
est repoussante pour celui qui pourroit, qui voudroit
parler à propos, éclaircir un fait, proposer ou résou
dre une objection ; mais qui n'a pas toujours une ha
rangue prête à opposer à une harangue. La suppression
des bureaux, si utiles pour la discussion des affaires;
et l'établissement d'une liste, où les plus heureux ont
les premieres places, nous ont conduit à ne traiter à
ſond aucune affaire , à n'en discuter aucune de finance,
à n'avoir, ni ordre ni méthode dans nos débats, à subs
tituer des dissertations , qui ne répondent point les
unes aux autres , à une exacte controverse ;de-là ,
l'impatience, le tumulte etc.
/ ( 181 )
qui est-ce qui nous gouverne ? Si c'est le roi, je vous
· demande de lui en laisser les moyens, et de les pro
noncer constitutionnellent. --- Mais nous avons déja
décrété que les corps administratifs sont dans la dépen
dance du roi.

La proposition que je vous fait est donc conséquente


à ce que vous avez décrété; il n'y a donc rien d'insi
dieux à demander que les ordres du roi soient exécutés
par les corps qui lui sont subordonnés.
Il n'y a qu'un moment pour établir l'empire de la
liberté ; c'est lorsque tous les pouvoirs anciens sont
dissous. -

Qni est-ce qui les a dissous ? où est la loi , la


volonté nationale, qui a anéanti l'autorité royale ? Si
c'est le peuple qui y résiste, sans l'autorisation de la
loi , vous devez , pour son propre intérêt et pour le
vôtre, vous hâter de le ramener à l'obéissance. ----
Si ce sont des factieux qui la bravent, pourquoi ne
sont-ils pas réprimés ? --- Il n'y a qu'un moment, dites
vous,pour établir l'empire de la liberté. --- Il seroit plus
vrai de dire qu'il n'y a qu'une manière : les lois et les
mœurs ; car, faute de cette double action, votre moment
remplit déja une année, et nous ne connoissons que la
licence. -

Il seroit dangereux, au moment des élections de l'orga


nisation des corps administratifs, de donner à l'autorité
royale une trop grande influence dans les provinces et sur
les troupes , les ministres pourroient en abuser pour atta
- quer la liberté. -
Ne sont-ils pas responsables ? ne sont-ils pas liés
par un serment, ainsi que les chefs militaires et les
troupes ? --- Si votre confiance ne peut s'établir sur
le respect dû aux loix , sur la foi du serment , la
nation toute entière n'est-elle pas sous les armes ; a
t-elle méconnu son chef supréme ; en demande-t-elle
un autre ; peut-elle n'en avoir point ? Je ne vous ai
\ donc proposé, dans le premier article de mon décret,
† la condition nécessaire du gouvernement monar
*chique, l'application littérale de vos principes cons
( 182 )
titutionnels; j'ai répété, dans un moment de troubles,
ce que vous avez décrété dans un moment de troubles :
car toûtés les provinces n'étoient pas tranquilles, lors
que vous avez dit que les corps administratifs étoient
dans la dependance dn roi.
Ils n'eristent pas encore , ces corps administratifs ;
attendez que les assemblées de département de districts
soient fôrmées, et la hiérarchie du pouvoir exécutif s'éta
blira naturellement , attendez que l'armée soit organisée,
et l'autorité du monarque sur l'armée sera définie ; at
tendez que l'ordre judiciaire soit décrété, et les relations
du monarque sur les tribunaux seront établies , attendez
que le corps politique soit complétement ordonné ; et le
pouvoir exécutif, qui en est l'ame et la vie , aura toute
son action. .. .. Qu'il se nomme , celui qui n'est pas
satisfait de ces explications. -

A ces mots , je me suis levé et nommé ; mais mon


mon tour de parole.étoit passé, et il ne revient plus.
-- J'avois prévenu, dans mon premier discours cette
d'objections, en narquant la différence qui existe entre
l'autorité royale et le pouvoir exécutif : il m'étoit
donc facile de répliquer,
Je sais fort bien qu'il sortira de la nouvelle orga
nisation un nouveau pouvoir exécutif , une force
publique quelconque , et un moyen de la mettre en
action. AZurich, à Saint-Martin, comme à Londres,
il existe un pouvoir exécutif , et mon inquiétude
n'est pas qu'il ne s'en établisse point en France ; -

c'est son action ét sa direction que je desire ramener,


dès-ce moment-ci, aux principes constitutifs du gou
vernement monarchique , que vous avez consacré.
Je sais fort bien qne vous avez brisé les anciens
instrumens de ce pouvoir ; mais ce qui en reste , et
que vous allez y substituer, est et doit être dans la dé
pendance du chef suprême que vous avez reconnu.
Ainsi, je ne vous demande pas que l'autorité royale
agisse sur les dépariemens , et les districts , avant
avant qu'ils soient formés , mais sur les municipali
tés qui le sont. C'est précisément parce qu'elles n'ont
au-dessus
· cº, ,/
au-dessus d'elles aucun autre corps intermédiaire 2

qu'il est plus essentiel qu'elles reçoivent immédiate


ment du monarque tous les ordres conservatoires, tous
ceux de protection et de haute police.
Examinez, je vous prie, ce qni résulte de l'ordre
inverse. --- Si la division des pouvoirs suprêmes lé
gislatif et exécutif, seul rempart de la liberté, est
encore subsistante, si ce n'est pas le corps législatif
qui gouverne, le gouvernement françois est mainte
nant divisé en quarante-quatre mille sections indépen
dantes les unes/des autres , et sans aucune dépendance
effective d'une autorité centrale. --- Si nous deve
nons , nous représentans de la nation , cette autorité
centrale , il n'y a plus de liberté en France ; et tant
qu'il existera dans notre sein un comité des recher
ches et un comité des rapports qui attirent à nous
toutes les affaires d'administration, tous les détails de -
haute police , il n'y aura ni rectitude ni sûreté dans
les principes de la division des pouvoirs, ni tranquillité
pour les citoyens, ni stabilité pour la constitution ;
IlOllS S6>I'OIlS toujours incertains et flottans entre nos
pouvoirs et leurs limites, entre nos droits, nos devoirs
et nos passions. ,
Quarante-quatre mille pouvoirs exécutifs dans un
royaume !
On n'a pas manqué de me reprocher, à cette occa
sion, de m'être opposé à la réduction du nombre des
municipalités, lorsque le comité de constitution nous
proposa ses districts municipalisés, c'est-à-dire, la
réunion de plusieurs municipalités en une seule. -- Je
m'y opposai sans doute, parce que je ne considérois
que l'injustice qu'il y auroit à soumettre plusieurs
villes, bourgs et villages à l'influence d'une seule com
munauté, pour la gestion de leurs affaires domestiques,
de leurs impôts, de leur police locale, et je ne pré
voyois pas alors que chaque communauté pût devenir
une république. J'approuve très-fort qu'elles en aient
tous les avantages, et que l'administration municipale
soit assez sagemement combinée pour que la direction
supérieure du gouvernement n'ait presque jamais
3.
rien .
( 184 )
à faire. --- C'est ainsi que dans les pays libres et sage
ment constitués, la loi agissante a une telle puissance,
qu'on est rarement tenté de la provoquer et de lui
résister; ét de même que les corps célestes font leurs
révolutidns sans qu'on apperçoive la main qui les lança
et les retient dans leurs orbites, de même dans un
empire bien ordonné tous les citoyens, tous les corps,
tOIlS les pouvoirs sont tellement en harmonie, qu'on
apperçoit plutot la régularité du mouvement que la
puissance qni l'imprime.
Mais c'est par un premier développement de force
et d'autorité que s'établit ce parfait équilibre, c'est
dans les momens de trouble et de désordre que la puis
sance publique doit être active et imposante, qu'elle
doit se montrer redoutable , et se réduire à une sur
veillance paisible, lorsque le calme est rétabli.
C'est dans de telles circonstances qne vous convenez
que le pouvoir exécutif est sans force, et que vous ne
voulez pas le lui rendre. --- Poursuivons, nous dit-on,
le travail de la constitution, voilà le véritable moyen de
établir l'ordre et la tranquillité, et ne nous ari étons pas
à des motions étrangères à l'objet qui nous occupe.
Permetiez-moi, messieurs, d'y revenir, et de m'ar
rêter à tous vos argumens. --

Une motion étrangère à la constitution, n'est pas


celle de fonder le pouvoir executif sur des principes
constitutionnels déja décrétés. --- C'est vous qui voulez
faire une loi provisoire; c'est moi qui vous rappelle à
l'esprit et à la lettre de la constitution; elle nous assure
un gouvernement monarchique ; c'est-là ce que j'ai
jure de maintenir , c'est donc ce que je vous demande
d'accomplir : quel inconvénient y trouvez-vous ? Ou
vous finirez par dire comme moi, que tous les corps
administratifs et militaires doivent obéir aux ordres du
,- oi, ou cela ne sera jamais nettement prononcé.
Si cette conclusion devient un jour la vôtre ; pour
qnoi pas tout-à-l'heure ? Vous reconnoissez qu'il faut
une loi pour réprimer les désordres, vous vous en occu
pez : la loi martiale n'a pas suffi; les officiers munici
( 185 )
paux, en divers lieux, ou n'osent, ou ne veulent, ou
ne peuvent la promulgser. --- Vous cherchez un nouvel
expédient; il est tout trouvé : le roi est le chef suprême
du pouvoir exécutif, qu'il le dirige, qu'il puisse l'em
ployer à protéger les opprimés; que, d'après l'impuis
sance, ou la peur, ou la négligence des officieys
municipaux, ceux du roi puissent agir comme se
cours (I); que la surveillance obligée du prince ne
soit pas empêchée; il n'est plus rien dans l'état , s'il
ne peut secourir, protéger les citoyens, car ni vous,
ni moi ne voulons pas qu'il ait la puissance de les
asservir. --- Il n'est plus rien dans l'état s'il n'est le
chef actif de l'administration et de la milice ; et
comme vous l'avez reccnnu chef suprême du pouvoir
exécutif, vous ne pouvez le réduire à un role passif.

(I) M. Dupont a fort bien prouvé, dans son opinion


sur cette question , que par-tout où il y a violence, est
un flagrant délit, et qu'alors toute troupe armée et
celui qui la commande , n'a besoin que du délit même
† être autorisé à en arrêter la suite, d'abord par
es voies les plus douces, et ensuite par les voies les
† « Il seroit absurde, dit-il, que la garde
implorée par un citoven en danger. ou qui ne peut pas
§ #, § : † il § †
j'aille consulter M. le maire , pour savoir si je dois
vous protéger. --- Il est clair que le crime pourroit
être consommé avant que l'officier municipal eût donné -

des ordres; il est clair que l'officier municipal n'est


tenu de donner des ordres que par le méme principe
† oblige l'officier militaire de donner du secours,
ès que le besoin de ce secours est urgent et indispen
sable ». - -

Je ne crois pas qu'il y eùt rien de satisfaisant à

répliquer aux raisonnemens simples, mais concluans ,


et aux excellens principes développés dans cette opi
nion de M. Dupont. C'est cependant là ce qu'on appelle
du despotisme. - -

· · · - · A a 2.
( 186 )
yIl n'y a donc pas de raison pour qne vous retardiez
"activité de ses fonctions ; et les circonstances les plus
Pr#santes en exigent aujourd'hui la plénitude.
1'outes vos défiances, toutes vos inquiétudes doivent
º calmer aujourd'hui , ou elle ne cesseront jamais.
Jamais les municipalités, les gardes nationales ne
ººº Plus précautionnées qu'elles ne le sont contre les
abus du pouvoir : si cependant vous craignez encore en
cette instaut l'influence de l'autorité royale, dans quel
tems la trouverez-vous salutaire ? etsi sa nullité actuelle
ºe Perpétue ; qu'elle forme de gouvernement irous est
destinée * seroit-il monarchique ? seroit-ce-là la cons
ºon que nous avons juré de maintenir ? J'ai fait
º# #ºrment sans scrupule, parce que le pouvoir lé
gislatif d'une part, et l'autorité royale de l'antre réu
ºssant toutes les branches du pouvoir exécutif m'ont
Paru une constitution libre et monarchique, que l'ex
Périence et les lumières de nos successeurs pourroient
Perfectionner. Mais si les corps intermédiaires dispo
soient seuls de la force publiqne, si le monarque étoit
sans pouvoir, je ne verrois plus dans cet ordre de
chºses , la constitution que j'ai juré de maintenir : en
vain vous m'avez dit que l'organisation de l'armée alloit
établir l'influence du monarque sur l'armée. Si c'est de
Votre aveu que cette influence est un instant suspendue,
expliquez-moi vos motifs, comment la liberté, la féli
cité publique et la constitution pourroient-elles se
ººncilier un instant avec l'indiscipline des troupes ?
Comment les insurrections, les désordres auxquels il
s'agit de pourvoir seront-ils réparés, si, comme je l'ai
Prºposé , tout acte d'insubordination dans l'armée de
terre et de mer, n'est jugé et puni conformément aux ordon
nances militaires ? Et lorsque la discipline se relâche ,
y a-t-il un instant à perdre pour la rétablir ? lorsqu'il
s'agit de repousser des brigants, d'empêcher des pilla
ges , des massacres , d'arrêter des séditions , y a-t-il
d'autres moyens que l'autorité des chefs, et l'obéissance
des troupes ? Quoi vous attendriez une dissertation et
les conclusions d'un orateur pour prononcer que les
soldats doivent obéir à ceux qui les commandent, et
ºeux-ci au monarque; que les gardes nationalcs sont
"

- - - ( 187 ) · · · · .
égalemen à ses ordres, et vous comptez sur vos lois,
provisoires pour le rétablissement de l'ordre et de la
tranquillité ! ah ! si nous en jouissons, s'il n'arrive pas
· de uouveaux malheurs, ce sera véritablement à la
bonté du caractère national qne nous en aurons l'obli
gation, et non à de telles dispositions. --- Mais ne
sentez-vous pas qu'elles sont inconséquentes dans toutes
les hypotheses, et qu'il vous étoit aussi facile d'affer
mir le gouvernement en le modifiant par la constitu
tion, qu'il est dangereux pour la constitution même
d'anéantir par elle toute l'action du gouvernement ?
Remarquez que nous sommes aujourd'hui dans la posi
tion d'un homme qui pendant qu'on lui bâtit une mai
son , détruit celle qu'il habite ; car, de votrè aveu ,
la constitutiou n'est pas faite, et tous les pouvoirs
sont dissous. Cependant il n'en est aucun dont nous
puissions être privés un instant sans péril; et aussi-tot
que le pouvoir législatif a été rendu à la nation , la
direction de celui-là suffisoit pour aligner tous les
autres, sans en anéantir aucun, sans en suspendre
même le mouvemeut. ,

• Mais je ne dois pas oublier de placer ici une asser


· tion contradictoire aux précédentes, et qui fut effacée
bien-tot par une autre. -- C'est que le pouvoir exécutif"
n'est pas détruit, que les ministres trop accoutumés à leur
ancienne autorité, ont cru n'en plus avoir quand ils en ont eu
moins, que rien ne les empêchoit d'ordonner, de pourvoir à
la chose publique. «, » ,* -

). Je réponds que si l'on m'a reproché dans la tribune,


· de vouloir rétablir le pouvoir † » par les six arti
cles proposés sur l'āctioii et l'interventîon de l'autorité
royale dans le gouvernement, je n'entends pas quels
sont les moyens qu'on a dit être à la disposition des
ministres, pour administrer ; ét la seule chose qui
m'étonne, est qu'ils se reconnoissent responsables d'une
autorité qui n'est plus dans leurs inains. Cette observa
tion disparut, comme je viens de le dire, en présencé
d'une objeétion en sens contraire , qui s'adressoit direc- .
tement à moi. Vous demandez, me dit-on, vous deman
- dez tout à l'heure le rétablissement du pouvoir exécutif, et
( 188 )
le roi lui-même, dans son discours, nous annonce qu'il
n'en attend l'organisation qu'à la fin de la constitution.
Ah ! je n'avois pas besoin qu'on me rappellàt cette
phrase du discours du roi , elle m'avoit fait une assez
profonde impression ; et, s'il m'est permis de le dire,
je ne pense pas, sur ce point-là, comme sa majesté
Q# sa modération , sa bonté ne s'offensent point de
l'effacement absolu de l'autorité légitime qui appar
tient au trone, c'est une raison de plus pour nous de la
défendre ; et quand il n'y a eu qu'un avis unanime pour
| enchaîner le despotisme ministériel, il est cruel qu'il
y en ait deux sur l'influence protectrice de l'autorité
royale.
Il me reste à répondre à ce qui a été dit , dans la
même séance, sur le gouvernement anglois, sur cette
inquiete jalousie de la liberté qui empêche le peupleAnglois
d'avoir une police active et des maréchaussées, encore que
les grands chemins soient infectés de voleurs.
Premièrement, ce n'est qu'aux environs de Londres
qu'on apperçoit l'effet inévitable du luxe et de la cor
ruption d'une grande ville ; et c'est moins l'inquiète
jalousie de la liberté qui laisse errer quelques vagabonds
dans les avenues de Londres, qu'une sorte d'insouciance
sur des délits qui n'ont presque jamais le caractère
de l'atrocité, qui ne blessent que les gens riches et
point les modestes voyageurs. --- Il est très-rare que
· les voleurs commettent un assassinat, qu'ils dépouillent
même les passans ; ils demandent , ils exigent une con
tribution ; mais ils se contentent de ce qu'on leur
donne. --- Dans toute autre partie de l'Angleterre on
voyage avec la plus grande sureté , et il n'est pas de
pays au monde où la liberté individuelle soit plus en
tière, plus efficacement protégée. La police y est donc
aussi active qu'elle doit l'être, puisque son objet est
rempli ; car, dans un systême politique, les forces
doivent être combinées sur les résistances, et il ne
doit y avoir rien de superflu.
· Qu'y a-t-il donc de commun entre cet état de vie ,
de richesses et de puissance, où une industrie prodi
|

( 189 ) -

gieuse entretient tous les hommes, toutes les cités


de l'Angleterre, et la foiblesse, l'inertie la misère de
nos villes et de nos campagnes. --- Je dis, avec l'hono
rable membre, que l'esprit public est parfaitement déve
loppé en Angleterre; et j'observe que cet esprit est une
raison supérieure qui agit sur la législation, sur le
gouvernement, sur les corporations et les simples ci
toyens; qui gouverne les uns, et qui fait que les autres
suivent naturellement la même impulsion, met à tout
une juste mteºure, et repousse sans cesse de l'enceinte
de la chose publique toutes les passions , tous les
intérêts qui l'abordent; et c'est d'une telle comparaison
qu'on fait sortir la nécessité de donner en France
moins d'énergie au pouvoir exécutif qu'il n'en a en
Angleterre. ---
Quoi ! parce que les Anglois ont moins de désœu
vres, mo1ns de mécontens que nous à contenir , moins
de malheureux à secourir; parce que leur corps poli
tique est dans une telle vigueur qu'il marche sans
appui , vous en concluez qu'il vous faut moins de
moyens de gouvernement, 1noins de force et d'unité
dans leur direction; nous, dont l'esprit public consiste,
suivant M. Pitt , à avoir passé au travers de la liberté ;
nous, qui n'avons aucune confiance les uns dans les
autres, qui manquons de travail, de numéraire, de
circulation et de crédit, à qui tout manque à la fois ,
justice, police et perception des impôts, qui , épou
vantés de conspirations imàginaires, dormons, comme
on l'a dit, sur les bords d'un volcan !
Mais ce pouvoir exécutif, dont on exalte le mini
mum, on ne nous dit pas que dans toutes les crises
violentes l'Angleterre a dû son salut au maximum.
Dans la derniere sédition de 178o, Londres n'étoit
plus qu'un Inonceau de cendres sans la proclamation
du roi, sans l'intrépidité du lord Ainerst, qui atta
qua les incendiaires, malgré le refus des Aldermans
de l'y autoriser. -

Au surplus, ce n'est pas à raison des incendies seu


lement des châteaux et des titres que j'insiste si fort
sur le rétablissement de l'autorité royale ; on nous
- ( 19o ) -

assure que cette espèce de fiéau va cesser : mais com


bien d'autres nous menacent !
Le premier, dans mon opinion, est la subversion
de toutes les idées sur la direction du pouvoir exécutif
dans un aussi vaste empire que celui-ci, et dans les
circonstances critiques où nous sommes; je suis loin
d'attaquer la bonne foi des contradicteurs de mon
opinion , car l'injustice que j'éprouve très-constam
ment, ne me désaccoutumera pas des égards que les
hommes se doivent réciproquement, mais je déclare
que je ne conçois rien, absolument rien au systême
que l'on paroît suivre avec persévérance. --- Dans
tout ce que nous avons fait, changé, détruit, recréé
dans la constitution, enfin ; il n'est point d'avantages,
présens ou avenir, qui n'aient besoin d'ètre consolidés
par un gouvernement sage, ferme et tranquille ; il
n'est point d'inconvénient , de plaintes, de dangers
que l'anarchie n'aggrave et ne puisse rendre désas
treux : ainsi , tous les intérêts raisonnables , toutes
des pensées justes se réunissent pour faire désirer ce
que nous appellons le rétablissement de l'ordre. Je
n'entends point par là les moyens d'appaiser une sédi
tion localé. --- Une municipalité peut y pourvoir ;
mais cet ordre constant, qui naît d'une confiance uni
verselle, dans des mesures générales et des moyens
uniformes, comment s'établira-t-il entre quarante
quatre mille puissances, qui se pressent et s'abordent
perpétuellement , et qui n'ont pas un centre commun
d'activité et de direction supérieure (I). ,
-

- •

| (I) On répond que les municipalités auront pour centre


· commun les districts et les départemens ; mais, I°. ceux
ci n'existent pas.encore ; en second lieu, je n'entends
pas pourquoi le monarque, pour se faire obeir dans
une ville, lorsque l'ordre public l'exige, sera obligé
de s'adresser au département. La marche du pouvoir
exécutif doit être en jigne droite , et son activité pro
· portionnelle au besoin , et cependant, si vous donnez
all
( 19r )
Si dans ce défaut d'harmonie et d'autorité supé
p
rieure, les finances de l'état étoient bien ordonnées,
je dis qu'elles se dérangeroient, et très-rapidement,
par une suspension intermittente de crédit et de circu
lation , l'un et l'autre se trouvant soumis à une multi
tude d'incidens , de volontés et d'influences dispara
t6S, ---- " -

Mais dans l'état où sont nos finances, lorsque le


retour de la confiance, la sûreté individuelle, l'unani
mité des vues et des effets sont indispensables, pour le
succès d'un plan, pour son exécution ; lorsque dans
notre agitation actuelle, les uns ont besoin d'être con
tenus, les autres protégés, que chacun cherche des .
motifs de sécurité, que ceux-ci ont tout à craindre .
des soupçons , des inimitiés, que ceux-là osent tout ce
qu'ils peuvent. --- Dans cette cruelle position, je
demande quelle opération praticable, quel moyen de
salut pour nos finances, si préalablement les inquié
tudes des bons citoyens et les tentatives des mauvais,
ne s'effacent devant une force active et une autorité
suprême. - - -

Je demande, par exemple, si le pouvoir municipal


suffit pour inspirer confiance dans les assignations sur
les aides, sur les gabelles (1), et même sur les biens
du clergé. - -

pouvoir législatif la plusgrande énergie qu'il puisse


& tlI

avoir dans un seul corps, et qu'au lieu de balancer .


par une égale force du pouvoir exécutif, vous ne cher
chiez qu'à atténuer celui-ci par des subdivisious, vous
en préparez infailliblement l'invasion, c'est-à-dire,
le despotisme. -

(1) La gabelle est jugée; c'est un impôt odieux ; mais


ne devions-nous pas prescrire un remplacement, avant
d'en permettre la destruction ?-- Entre les lois vicieuses
· et celles qui les réforment, il n'y a que l'anarchie ou
le despotisme. Les biens du clergé auront le sort de
B b
( 192 )
Examinez, je vous prie, combien le crédit public
suppose de combinaisons dans ceux qui y coopèrent
par leurs avances, ou par leur sécurité; et remarquez
qu'il n'est pas une seule de ces combinaisons qui ne
s'appuie sur la force, l'unité et la stabilité du gou
vernement. Il faut d'abord que chacun puisse se dire
à soi-même : « je n'ai rien à craindre pour ma per
sonne , pour mes propriétés ; les revenus de l'état sont
assurés , ses engagemens inviolables, sa puissance au
dessus de toute atteinte ; les volontés particulières ne
peuvent rien contre moi; ma liberté, mon industrie,
mes spéculations ont toute la latitude qu'elles peuvent
avoir, car elles sont protégées par toutes les forces de
la monarchie, contre celle qui deviendroit offensive .
à mon égard. - -

Considérez maintenant si toutes ces conditions peu


vent se rencontrer sans l'unité du pouvoir exécutif.
- Mais si les créanciers de l'état prennent l'alarme ,
si ses débiteurs ne paient pas, si les spéculations des
négocians et des capitalistes se restreignent de plus en
plus, s'il y a malheureusement une suspension de paie
ment dans un tems où le sixième de la population du
royaume est dans un état de mendicité, sera-ce assez
de désordres et de malheurs, et votre loi provisoire
suffit-elle pour nous en préserver ?
Ce n'est pas tout, et tandis qu'une injuste défiance
vous expose à d'aussi grands dangers , quelle funeste
sécurité vous ferme les yeux sur vos relations politi
ques avec les puissances étrangères, avec les colonies?--
Nous pouvons être , d'un instant à l'autre , obligé
d'armer sur terre et sur mer, sous peine de perdre nos
possessions en amérique , et de voir attaquer nos fron
tières : cependant , si les mouvemens qui se préparent
dans le Nord, si ceux qu'on annonce dans les Antilles

ceux des jésuites, si on en dispose autrement que du


consentement des provinces, et lorsque la tranquillité
6cra rétablie. - -
( 193 )
·acquéroient plus de consistance, il faudroit bien réta
blir le pouvoir exécutif dans toute son étendue , ou
s'attendre à la dissolution de la monarchie : mais êtes
vous sûrs d'en avoir le tems, les moyens? et cette
transition subite de la nullité absolue de l'autorité
royale à la plus grande activité, n'auroit-elle pas alors
quelques dangers ?.,...
C'est d'après toutes ces considérations que je ne
conçois rien à votre systême, et que je persiste à trou
ver urgent, indispensable le décret que j'avois proposé,
et que je répète ici.

A R T I C L E P T E M I E R.
-

Tous les corps administratifs et militaires sont dans


la dépendance immédiate du monarque et doivent
exécuter ponctuellement ses ordres.
I I.
\• - - ·r
Toute désobéissance aux ordres du roi non motivée
sur une violation constatée des lois constitutionnelles
sera punie comme forfaiture.
I I I.

Tout acte d'insubordination dans l'armée de terre


et de mer,
nances sera jugé
militaires. et puni conformément aux ordon

I.V.

Il appartient au roi de pourvoir, prévenir et em


pêcher, par l'emploi de la force publique que la sûreté
et la propriété des citoyens ne soient violées : tous les
ordres que sa majesté donnera à cet effet seront con
tresignés par un secrétaire d'état qui en sera respon
sable, ainsi que les autres agens du pouvoir exécutif
qui abuseroient desdits ordres. . · .. , , , .
B b 2
« 194 )
V.

Si dans une sédition violente, le salut des citoyens


menacé et le rétablissement de la paix publique exi
gent des mesures contraires aux formes légales ; et
qu'elles aient été prises par les agens du pouvoir exé
cutif sans la réquisition des magistrats , ils seront
tenus d'en rendre compte an corps législatif, qui ,
dans ce cas seulement , prononcera en leur faveur
un décret d'absolution.

- V I.

Si, dans une sédition, les officiers municipaux et


magistrats civils sont arrêtés, mis en fuite ou em
§chés par la multitude , l'officier, commandant la
force militaire sera tenu de promulger la loi martiale
et de la faire exécuter.

OprNrox de M. Malouet, sur le remplace


ment de la gabelle, dans la séance du
Mardi 16 Mars.

M E s s I E U R S ,

La répartition de deux millions d'impôt sur les


pays rédimés pour tenir lieu des denx tiers des droits
- de traites sur les sels a été l'objet des réclamations
de plusieurs députés de ces provinces ; et quoi
qu'elles n'aient pas été favorablement accueillies, je
· présume, Messieurs, que vous ne leur refuserez pas
· même un soulagement plus considérable s'il n'en ré
sulte aucun désavantage pour les pays de grandes et
petites gabclles. Je ne peux développer mon opinion
-( 195 ) . -

sur cet article sans traiter complettement ſ mode


de remplacement de la gabelle qui vous est proposé
par le comité des finances. --- Je trouve cette opéra
tion vicieuse et iusuffisante. Je crois voir les moyens
de mieux faire , et je commence par prévenir deux
objections. --- La première, est qu'il ne s'agit point
ici d'une opération générale sur les impots, mais seu
lement du remplacement provisoire de celui que vous
supprimés. --- La seconde , que le mode le plus
prompt , le plus facile, est celui qu'il faut pré
férer dans ce moment-ci. --- A cette seconde ob
† messieurs, je réponds que c'est par cette faci
ité funeste que les impots directs se sont accrûs à
nn point intolérable ; c'est parce qu'il étoit tout sim
ple d'imposer additionnellement deux sols , quatre
sols pour livre , qu'on a attaqué tout-à-la fois l'ai
sance et l'industrie du peuple. Lorsqne les impôts
ne portent pas uniquement sur le superflu des contri
buables, ce n'est que par de sages combinaisons qu'on
peut en prévenir les funestes effets.
Quant à la première objection que j'entends même
à présent répéter dans l'assemblée , il n'est point
question d'une opération générale, il s'agit de prononcer
sur la répartition de la somme imposée en remplacement
de la gabelle. --- Je dis, messieurs, que la conversion
d'un impot de soixante millions est un objet assez
important pour que le systême général des impostions
en soit modifié en bien ou en mal, suivant le parti
que vous prendrez, et il n'est pas moins essèntiel
que la première opération de ce genre, faite par l'as
semblée nationale, réunisse tous les caractères de jus
tice, et présente au peuple les princines et les avan
tages d'un plan raisonnable dans toutes ses parties.
Remarquez d'abord, messieurs, que nous ne sommes
embarrassés sur le mode de remplacement de la gabelle
que par l'excès des impôts dont le peuple est déja ac
cablé; et les impôts ne sont devenus accablans que
parce qu'à la violation de toutes les règles d'une sage
répartition on a ajouté celle de la proportion qui doit
exister entre les facultés des contribuables et les
( 196)
besoins de l'état, entre les impôts directs et les impöts
indirects.

Je ne renouvellerai point la discussion qui a eu lieu


sur ce dernier article, je me permettrai seulement une
observation qui n'a point été faite et qui peut éclairer
votre décision.

Les impôts de l'Angleterre comparés à ceux de la


France, en compensant la différence de territoire et
de population, sont de près de deux ciuquièmes au
dessus des notres, et cependant tout prospère en Angle
terre ; l'agriculture et le commerce y sont dans la plus
grande splendeur, le peuple y est dans une grande
aisance; l'artisan, le paysan, le soldat, y sont infini
ment mieux nourris que les notres, mieux vêtus,
mieux logés. --- En France tout languit par l'effet
désastreux de l'impôt, parce que douze millions d'hom
mes y sacrifient une partie de leur subsistance au
moment où ils payent, et en sont tourmentés chaque
jour de l'année jusqu'à ce qu'ils l'ayent payé. Grande
et cruelle différence entre l'impot direct qui pèse
incessamment sur nos têtes, et l'impot indirect auquel
il semble qu'on ait la liberté de se sonstraire.
Or, messieurs, qui pourroit douter que l'Angleterre
ne doive l'avantage de sa situation , relativement à
l'impot, à la sage proportion qu'elle a établie et
conservée depuis cent quarante ans , entre l'impot
direct et l'impôt indirect, et sur-tout, à la parfaite
combinaison des droits qui n'attaquent jamais les
sources de l'industrie et du travail; tandis que parmi
nous, l'un et l'autre ont été plus d'une fois cruellement
sacrifiés à l'avidité et à l'ignorance du fisc. En Angle
terre, le tarif de la taxe sur les terres n'a pas été re
nonvellé depuis Cromwel ; et les impots réels sont ,
aujourd'hui, relativement aux impôts indirects, dans la
proportion d'un à huit. --- Chez uous, au contraire,
les impots réels, y compris celui de la gabelle, le plus
accablant de tous , montent à deux cent quarante
millions, c'est-à-dire, à plus de la moitié de la masse
totale.
( 197 )
Voilà, messieurs, le régime monstrueux que vous.
pouvez modifier aujourd'hui, par le décret qui statuera
le remplacement de la gabelle.
On vous propose de répartir les deux tiers du produit
sur les pays qui y étoient soumis, et de substituer ainsi
un impot direct à un impot du même genre. -- Quand
au remplacement de l'autre tiers, parmi les moyens
indiqués par M. Dupont, celui d'un bénéfice au profit
de l'état, présumé de dix millions, a été fortement
attaqué, et une augmentation projettée de trois mil
lions, sur la ferme des postes, me paroît d'une diffi
cile exécution, par l'arrangement proposé. Enfin, les
deux millions répartis sur les provinces rédimées, sont
une nouvelle charge sur les terres déja trop imposées;
et si ce qui nous a été dit sur cela par un député d'Au
vergne ue peut être contesté, je pourrois y ajouter des
faits qui exciteroient votre pitié. --- Qu'on prenne tous
ce que nous avons, mais qu'on nous nourisse, telle étoit
l'expression des cahiers et l'unique vœu des députés de
deux paroisses dans l'assemblée où j'ai été élu. ---
' Ce n'est donc pas une surcharge mais une diminu-'
tion que ces provinces ont droit d'attendre ; comme :
celles des grandes et petites gabelles, au moment où,
nous nous occupons de la conversion de l'impôt. :
Et cependant, je n'ai garde de vous proposer une t
réduction dans la masse des revenus de l'état, la situa
tion de nos finances ne le permet pas. -

, Tout ce que nous pouvons et devons faire en cet ins


tant, est de distribuer plus également les poids , de
manière que tous ceux qu1 supportoient cet impot de
soixante millions en soient soulagés, sans aggraver le
sort de ceux qui ne le supportoient pas. -

· Cette condition ne sera pas remplie par le plan qu'on


vous propose. --- Quarante millions répartis en addi
tions aux impots directs des provinces des grandes et
· petites gabelles, produiront une surcharge excessive
pour les petits propriêtaires. Je vais vous en rendre la
preuve sensible. --- Cette imposition nouvelle sera
répartie au mârc la livre des ancieunes, c'est-à-dire,
t -
º,
( 198 )
à raison de quarante pour cent; ainsi la classe des
journaliers, qui ne paie d'autre impôt qu'une capitation
de deux, trois et six journées de travail, et qui, sous
le régime de la gabelle, payoit deux et trois fois le
montant de cette capitation, par l'impot du sel, cette
classe sera véritablement soulagée ; car celui dont la
capitation est fixée à cent sous, sera, moyennant qua
rante sous, affranchi d'un impot de six ou sept francs.
Cet † ne peut être contesté, et je suis bien loin
de vouloir le réduire ; mais il est évident que ce qui
sera payé en moins par cette classe sera reversé en
plus sur celle très-nombreuse des petits propriétaires,
dont la situation relative approche déja, par l'effet des
impots, de la classe des indigens. En effet, si l'homme
imposé à cinq livres ne supporte que deux livres de
supplément, en remplacement de la gabelle, l'homme
imposé à cent livres sera taxé à cent quarante livres.
Or, personne n'ignore que dans les pays d'élection les
contribuables taxés à cent livres d'imposition n'en ont
pas six cents de revenu net. L'excès des contributions
produit donc pour eux une diminution sensible de la
somme nécessaire à leur subsistance et entretient, et
le nouveau mode de remplacement ajoute pour eux
quarante pour cent à cette charge, car il faut qu'ils
supportent la compensation des moins imposés , pour
la classe des journaliers.
Je répète encore une fois qu'en rendant cette injus
tice sensible, mon interition n'est pas de la réparer
aux dépens de la classe indigente dont il est aussi juste
qu'urgent d'améliorer le sort. . -

" Je sais que, d'après les explications données par


M. Dupont, d'après le tcxte même du décret, une
partie des quarante millions de remplacement doit être
imposée en augmentation des droits d'entrée sur les
villes ; mais outre qu'il y a fort peu de villes mûrées
où la perception des droits d'entrée soit praticable,
l'inconvénient que je viens d'exposer est dans toute sa
force pour les campagnes.
Ainsi de grandes injustices sont inévitables par ce
mode de remplacement.
La
- - ( 199 )
, fa même observation s'applique aux deux millions
imposés sur les pays redimés, qui sont tous, à l'excep
tion de la Bretagne, dans un état d'oppression qu'il
ne nous est pas permis de prolonger un instant, lorsque
nous avons un moyen actuel d'y remédier; et ce moyen
seroit, non-seulement de les affranchir des droits de
traite en totalité, mais de leur accorder, même sur
leur taille réelle et personnelle , une diminution de
trois millions cinq cents mille livres,
Me voici arrivé au développement du mode de rem
placement que je voudrois substituer à celui qui vous
est proposé. -

Je considère, et personne ne le voit autrement ,


l'impot de la gabelle comme direct et personnel dans
le régime actuel.
Il est supprimé.
De cette suppression, je fais résulter poar les pro
vinces de grandes et petites gabelles un soulagement
de vingt millions dans leurs impots directs, et de
six millions cinq cents mille livres pour les pays
vrédîmés. -

Sur les soixante millions de produit, je n'en remplace


que vingt en addition aux impots réels et droits d'en
trée dans les provinces de grandes et petites gabelles
Vingt autres millions seront perçus dans toute l'éten
due du royaume, par un droit de timbre, dont le pro
duit sera calculé dans cette proportion, et de manière
à ne pas excéder celle de vingt-quatre millions. ---
Sur quoi je remarque que la diminution de six mil
lions cinq cents mille livres, accordée par mon plan
aux pays rédîmés, sur leur taille et droit de traite,
sera la compensation de leur contribution au droit de
timbre , dont la dixieme partie tout au plus seroit sup
portee par la classe des journaliers, artisans et petite
proprietaires. --- Heste maintenant vingt millions à
repartir sur les pays de grandes, petites gabelles et
quart-bouillon. -

J'ai besoin ici, messieurs, de solliciter votre atten


tion, et même votre § , car j'ai à combattre
0
( 2oo )
nne opinion qui a obtenu et mérité des applaudissemens,
celle de M. l'archevêque d'Aix. Mais lorsque cet
honorable membre a censuré aussi vivement toute es
pèce de bénéfice réservé par l'état sur la vente du sel ,
je ne peux être de son avis, et je vous fais remarquer
d'abord qu'il n'a pu suppléer à cet expédient que par
un autre qui ne sera probablement pas admis, savoir,
la faculté accordée aux départemens de remplacer ,
† cette année, par un emprunt , l'impot de la ga
elle,
Je vous rappellerai ensuite que votre comité des
finances s'est cru obligé de réserver une part quel
conque au trésor public dans les bénéfices de la
vente du sel qu'il accorde sans privilège aux fermiers
actuels.
• Il ne s'agit donc que de savoir jusqu'où peut s'é
tendre le bénéfice sans vexation pour les † , et
sans laisser parmi nous aucune trace de l'odieuse et
cruelle inquisition dont vous avez voulu délivrer la
France.
Or , je soutiens que tant que les droits imposés sur
une denrée quelconque † se confondre, pour les
consommateurs , avec les bénéfices légitimes du mar
chand, tant qu'ils n'occasionnent pas dans les prix de
surhaussement plus sensible que celui qui résulte des
chances ordinaires du commerce et de cet état moyen
entre la plus grande et la moindre abondance , dan»
cette proportion, dis-je, les droits du fisc ne grèvent
ni n'inquiêtent les consommateurs. C'est alors le mode
d'imposition le plus doux , le plus léger, le plus pré
cieux à conserver : les droits, ne deviennent odieux et
oppressifs, que lorsqu'ils nous représentent, par l'aug
mentation du prix des denrées, un état de disette , et
lorsque les moyens de perception ne peuvent être sépa
rés de l'appareil de la force et de la tyrannie.
Ce n'est plus là ce que nous avons à craindre , en
arrêtant un nouveau plan de vente par les fermiers
généraux ; il n'est plus question pour les peuples , de
sºrdes, de saisie, d'oppression. -- Le seul avantage
( 2or ). - " .

des établissemens actuels, des moyens de transporº e


d'approvisionnemens, assure aux fermiers celui d'une
réference décidée sur tout autre concurrent, et la
† graduée du prix du sel proportionnellemen»
aux distances des marais salans, assure aux consom
mateurs, à des prix modérés, un approvisionnement de
bonne qualité , qui ne peut-être garanti ni quant à la
modération du prix , ni quant à la qualité par tout
autre COnCurrelat,

M. l'archevêque d'Aix a repoussé toutes ces consi


dérations par une comparaison que je ne crois pas
applicable au commerce du sel ; c'est celle du com
merce des blés. ---
La liberté de ce commerce, a-t-il dit, produit-elle
des accaparemens; expose-t-elle les consommateurs à
être apprivisionnés de blés de mauvaise qualité ?
1°. On recueille du blé dans toutes les parties du
royaume, et du sel sur les bords de la mer seulement
et dans quelques parties de nos cités. - • -

2°. Rien n'est plus apparent que la bonne ou mauvaise


qualité des grains, et l'on ne peut s'appercevoir , que '
par l'usage , de la bonne ou mauvaise qualité des
sels. - - -

3°. Let blés ont déja payé par l'impot établi sur la
terre qui les produit une forte contribution ; et les
sels se trouvant déchargés tout-à-fait de la portion
considérable qu'ils supportoient dans la contribution
générale, il sera très-difficile, très-onéreux de la
rendre reversible sur toute autre denrée. -

| Le meilleur mode d'imposition , je l'ai déja dit, est


celui qui se confond , par sa quotité modérée, avec le
prix naturel de la chose ; et le plus productif des impôts,
observant cette condition, est celui qui se perçoit sur
les consommations les plus habituelles. -

Je pense donc, messieurs, que vous regretterez un


jour de n'avoir point réservé à l'état une portion rai
sonnable dans les bénéfices de la vente du sel.Je pres
sentois avec peine la défaveur qu'éprouve cette propo
C c 2.
( 2o2 )
sition ; mais je me crois obligé d'y insister, et je con•
clus, 1°. à ce que les provinces rédimées soient affran
chies du droit de traite , et qu'il leur soit fait en sus
une remise de trois millions cinq cent mille livres sur
les tailles.
2°. Que les pays de grandes, petites gabelles et
quart-bouillon soient tenus de supporter les deux tiers
seulement du produit de la gabelle, savoir, en un im
pot de vingt millions par addition aux impots réels et
aux droits d'entrée sur les villes, et en une retenue
au profit du trésor public, sur les bénéfices de la vente
du sel, caleulée d'après le plan présenté par les fer
miers-généraux.
3°. Que pour le remplacement du troisième tiers du
produit actuel de la gabelle, il soit établi dans toute
l'étendue du royaume un droit du timbre, dont le pro
duit sera combiné de manière qu'il ne puisse excéder
de vingt à vingt-quatre millions (I).
-

(1) En transcrivant ici mon opinion, telle à peu près


que je l'ai prononcée, j'observe uu'on m'a àinterrompu,
parce qu'on vouloit que je me bornasse discuter le
troisième article seulement. Je n'ai donc pu développer
mon plan, qui auroit compris dans un seul décret les
huit proposés par le comité des finances ; il seroit inu
tile d'y revenir aujourd'hui. Mais je n'entends paa
comment on n'a pas voulu regarder comme une opéra
tion générale le remplacement et la conversion de
soixante et trois millions d'impositions ; car la sup
pression très-raisonnable des droits sur les fers, sur les
cnirs,somme
cette les fabricatiou
et sur la produits à des huiles, fait
remplacer. monter à
J'aurois donc
proposé de prononcer dans le méme décret toutes les
suppressions, et aprés les trois articles de remplace
ment par lesquels je conclus. J'aurois proposé une aug
mentation de quinze cents mille francs et non de trois
millions sur la ferme des postes, en indiquant un autre
arrangement que celui présenté par le comité. ---
( 2o3 )

OPINION de M. Malouet sur l'établisses


| ment des Jurés.

Séance du jeudi 8 Avril.

M E s s 1 E u R s»

L'attention de l'assemblée étant fatiguée, je ne traf


terai la question qui vous occupe que sous un seul rap
port, celui qu'elle doit avoir avec les autres parties
de la constitution ; et comme c'est en Angleterre, en
Amérique que nous puisons nos exemples et nos motifs
pour l'établissement des jurés, j'examinerai si le pou
voir législatif et exécutif étant constitué en Angleterre
et en Amérique tout autrement qu'ils ne le sont parmi
nous, nous devons constituer, comme en Angleterre ,
le pouvoir judiciaire. -

Je sais que la hiérarchie des tribunaux actuellement


subsistans ne sauroit trouver place daus le nouvel or

Enfin, j'aurois proposé une augmentation de deux mil


lions cinq cents mille livres sur les droits perçus à
l'entrée du royaume, sur toutes les marchandises étran
gères , ouvrées dont les tarifs ne sont pas convenus
entre la France et les pays étrangers ; c'étoit une prîme
accordée à nos propres manufactures qui en ont besoin
dans ce moment-ci. --- Mais la discussion calme et
réfléchie des grandes affaires est impossible dans l'as
semblée ; il ne faut pas se lasser de la demander, de
proposer son avis, de renouveller ses efforts; tel est
notre devoir, le succès ne dépend pas de nous,
( 2o4 )
dre de choses qui s'établit; il ne s'agit plus d'un ordre
judiciaire, tel qu'il devoit être pour défendre les inté
rêts du peuple contre les grands vassaux, ou les inté
rêts du peuple contre l'autorité absolue. --- Il s'agit
de trouver l'ordre le plus pur, le plus impartial pour
l'administratiou de la justice, celui où l'application
de la loi est le moins arbitraire, et l'établissement des
jurés semble remplir toutes ces conditions. ---
A quelque distance que nous soyons du premier âge
des sociétés politiques , on ne peut nous en présenter
les institutions dans toute leur pureté, sans qu'un
charme involontaire n'y arrête nos vœux et nos re
gards. --- Delà l'intérêt avec lequel vous avez écouté
les orateurs qui ont défendu cet usage antique de nos
pères, considéré encore aujourd'hui par les Anglois
comme le plus sûr rempart de leur liberté. ---
J'avoue cependant que j'avois toujours été frappé
d'une réflexion profonde de Montesquieu, en parlant
de la différence de nos tribunaux à ceux d'Angleter
re; il remarque que les Anglois, étant privés de ces
grands corps de magistrature qui servoient parmi nous
de barrière au despotisme, ont grande raison d'être
très-jaloux de leur liberté; car, ajoute-t-il, s'ils ve
noient à la perdre, ce seroit le peuple le plus esclave
de la terre. ---
Et cependant leur chambre haute, composée de
† innamovibles, héréditaires, peut être assimilée
ces cours souveraines que nous allons détruire.
Pour nous, dont le corps législatif est composé d'une
seule chambre fréquemmeut renouvellée, qui avons
brisé ces grandes masses qui subsistoient encore sous
le nom d'états dans quelques provinces, qui avons
multiplié les assemblées du peuple et de ses réprésen
tans, nous convient-il également de transporter dans
tous les cas à des jurés la principale autorité des ju
gemens ? --- -

· Dans une constitution mixte, où des prérogatives et


des pouvoirs héréditaires s'élèvent au-dessus des autres
classes de citoyens, il est très-important que cett in
( 2o5 ) l
#luence soit balancée par celle du pouvoir judiciaire,
et qu'il soit alors très-rapproché du peuple (I); mais
dans une constitution où il n'y a plus rien de grand,
rien de fort que la loi , il faut qu'elle ait une force ir
résistible, et que ses ministres participent à sa digni
té; -- car lorsque l'influence du peuple est prépondé
rante, lorsqu'il agit perpétuellement sur la chose
•publique par ses représentans, lorsqu'il les tient dans
sa dépendance par de fréquentes élections, il doit y
avoir une force quelconque indépendante de ses pas
sions et de ses erreurs, et comme de tous les pouvoirs
celui des tribunaux peut le moins s'élever au-dessus de
la constitution, il doit être le plus réprimant et le plus
redoutable -

Le pouvoir législatif peut altérer la constitution, le


pouvoir exécutif peut l'enfreindre ; de-là la nécessité
de préserver le peuple des excès de l'un et de l'autre ;
mais comme la liberté ne peut exister, si on ne la
préserve aussi des excès de la multitude, il faut lui
montrer une force imposante dans l'autorité et la ma•
jesté des jugemens. -

Or, voyons comment l'établissement des jurés peut


remplir cette fin dans notre constitution, et comparons
sur-tout
être sesnous.
parmi effets en. Angleterre, à ce qu'ils peuvent
• A

En France, comme en Angleterre, le jugement par


jurés défendra un citoyen de l'oppression des grands et
de l'influence du prince, de la volonté arbitraire des
magistrats ; cet avantage est incontestable ; mais il ne
- me suffit pas, pour être libre, d'être à l'abri des capri
ces et du despotisme d'un seul ; il faut aussi que je sois.
efficacement protégé comme particulier et comme ma
gistrat contre les violences, les ressentimens, les pas
sions de la multitude. --- Or, ce genre de protection

· De là rien de plus impolitique et de plus injuste


dans une monarchie, que de n'admettre que des nobles
dans les cours souveraines,
# ( 2o6 ) :

ne m'est point assuré en certain cas par les jurés ; car


ils sont trop habituellement dans la dépendance du
peuple ; ils sont trop pres de ses mouvemens , et c'est
avec peine que j'ai entendu regretter dans cette tribu
ne, qu'au moment de la révolution des jurés ne soient
pas etablis.Je demande si un homme soupçonné d'acca
paremens de grains , ou exposé même par ses opi
nions à l'inimitié du peuple, seroit en sureté, lorsque,
poursuivi par la caloinnie, par la fureur de ses accu
sateurs, il seroit traduit devant des jurés prévenus des
memes 1mpressions. ---
Ainsi , dans le cas dont parloit hier M. Thouret, de
cette ins irrection redoutable de l'opinion publique en
cas d'attroupement , de sedition , de violence commise
par un corps armé, ou par un corps administratif, je
rejette lejugement par jurés, comme pouvant favoriser
l'oppression, et je sens le besoin d'un tribunal supé
rieur, independant, et dont l'autorité ne puisse être
bravée impunement.
En Angleterre, l'étendue de la prérogative royale ,
l'indépendance de la chambre haute, la non-existence
des assemblées de département et de district, la nomi
nation par le roi des officiers de justice, l'action im
médiate du gouvernement royal , qui n'a d'autre inter
mède que les officiers de la couronne, toutes les causes
réprimantes pour le peuple sont tenues en équilibre par
l'influence du peuple sur le pouvoir judiciaire.
En France, tontes nos dispositions, dirigées jusqu'à
présent contre le despotisme, ne doivent pas nous faire
abandonner celles nécessaires pour entretenir la paix
publique, pour prévenir l'anarchie.
Or, le pouvoir législatif étant le seul que le peuple
ne paisse aliéner sans danger, celui-là et tous les autres
doivent être combines de maniere qu'ils se balancent
sans s'effacer, et qu'ils protegent la liberté en assu
rant l'obéissance à la loi. - -

Ainsi, plus le peuple jouira dans son intégrité du


ouvoir législatif, moins il doit avoir part au pouvoir
exécutif. --- Mais il n'a aucune infiuence par ses re
présentans
i

· ( 2e7 ) .
, présentans, sur l'administration, c'est par l'établisse
· ment des jurés qu'il pourra se défendre de tout excès .
d'autorité de la part de ceux qui le gouvernent.
Si, au contraire, le peuple exerçant, par ses repré
· sentans son droit législatif, se réserve une influence
· égale snr l'administration; s'il dirige aussi par ses
officiers l'emploi de la force armée; et qu'il garde
|
• '
enfin, par l'élection
principalle des juges
dans le pouvoir et des jurés,
judiciaire, une part
je vois entre les
Inains du peuple l'exercice effectifde tous les pouvoirs
publics, je n'y trouve plus d'équilibre, je crains qu'un
tel peuple ne soit plus occupé de ses droits que de ses
devoirs, qu'il ne s'accoutume plus facilement à com
mander qu'à obéir ; je crains que ses passions ne soient;
plus souvent que ses intérêts, la règle du gouverne
ment, et que la liberté pnblique et individuelle ne
soient compromis dans un tel ordre de choses.
Et, remarquez, messieurs, comment dans vos dé
crets constitutifs, prononcés, et dans ceux qui se pré
l# , plusieurs causes peuvent concourir à affoiblir ^
a considération et l'autorité des juges. Vous les avez
exclus pendant leur exercice des fonctions administra
· tives. Il est question de les rendre amovibles ou de les
| · soumettre annuellement à un scrutin d'épreuve. Quels
· hommes pourroient donc se dévouer à un état aussi
précaire, tandis qu'il seroit si essentiel de ne voir assis
sur les tribnnaux que les hommes les plus intègres et
· les plus éclairés ? - -

| . Si à des juges médiocres vous associez des jurés


inhabiles § et l'application des lois èt
, des coutumes diverses qui régisseut la France, corn
- | ment obtiendront-ils la confiance des peuples dans
cette multitude de questions obscures, qui naissent de
nos lois, sur les substitutions, les communautés , les
testamens, les partages et successions, et de l'influence
de nos lois fiscales, sur toutes nos transactions ?,---
On propose de composer les jurés, de gens de loi,
mais, cet expédient est-il praticable dans les districts?
· Ce n'est que dans les capitales qu'on trouveroit une !
assez grande quantité de légistes pour que les récusä
/ D d
· ( 2o8 )
- tions de droit et leur service alternatif, comme jurés,
passent avoir lieu sans leur interdire toute autre ſonc
tion.

L'intervention des jurés dans les affaires civiles,


me paroît donc impossible, jusqu'à ce que nous ayons
changé, simplifié nos lois et établi une jurisprudence
uniforme dans tout le royaume , telle qu'elle existe en
Angleterre et en Amérique. -

Dans les affaires criminelles ; j'ai déjà dit , et je


· me plais à le répèter, que, dans tous les délîts com
mnuns, le jugement par jurés est la sauve-garde de
- l'innocent accusé, et cette considération doit suffire
pour le faire adopter; mais si je considère la liberté
et l'ordre public daus les atteintes qu'ils peuvent rece
voir des passions , des violences, des préventions, des
mouvemehs impétueux du peuple , je ne vois plus, en
certains cas, une garantie suffisante contre l'oppres
sion par le jugement des jurés; et je sens alors le besoin
- d'un tribunal supérieur, indépendant, responsable au
· corps législatif, mais plus fort que ses justiciables. Je
ne m'explique point dans cette séance sur l'organisa
· tion d'un tel tribunal. parce qu'il fait partie d'un
systême complet de l'ordre judiciaire, dont je ne pré
· tends point analyser aujourd'hui tous les plans. En
1ne bornant donc à la seule question des jurés, d'après
les considérations que je vous ai exposé, je demande,
- pour les affaires civiles, que la question soit ajournée
à dix années. Dans les affaires criminelles j'admets
le jugement par jurés, pour tous les délits communs et
dans toute plainte où il y aura moins de co-accusés
, auquel cas et dans tous ceux qui résulteroient d'at
troupemens séditieux , violence commis par un corps
· armé (I) , ou par un corps administratif , je demande

(1) J'ai parlé à la fin de la séance, après six heures


de discussion, ce qui m'a forcé d'abréger mon opinion
et de m'interdire tous les développemens qu'elle exi
geoit : mais je me reproche de n'avoir pas fait remar
- - ( 2o9 ) - -

que de tels délits soient poursuivis à la requête du


ministère public, par devant un tribunal supérieur,
indépendant, aux ordres duquel seroit la force armée,
pendant l'exercice de ses fonctions.
--- C'est à ces conditions seulement que je vois la
liberté publique et individuelle assurée par l'établis
sement des jurés. . "

RAPPORT fait à l'assemblée nationale ,


sur les dépenses et le régime économique
de la marine.

Par M. MALoUET , membre du comité de la marine,


Imprimé par ordre de l'assemblée.

N o T E P R É L 1 M 1 N A 1 R E.

· L'assemblée nationale , en ajournant lé décret sur :


les classes, a voulu connoître le plan général du comité
sur l'organisation de la marine; et un honorable mem
bre a dit, à cette occasion, qu'il étoit d'autant plus.

quer, que si la France devoit être toujours.distribuée


en corps armés comme elle l'est aujourd'hui, et si ces.
corps avoient le droit qu'ils exercent et que l'on paroît
confirmer, de se confédérer, de délibérer, de requérir,
d'avoir des comités dirigeans, non-seulemens le juge
ment par jurés seroit dangereux et oppressif, mais on
ne pourroit prendre confiance dans aucune espèce de
tribunal. -- M. Pitt, a dit une grande vérité dont
nous devrions profiter. — Nous passons au travers de la
liberté, où arriverons-nous ? - -

D d 2,
( 21o ) ,
nécessaire d'attendre, qu'on étoit divisé d'opinion dans .
le comité. ' ,

Puisqu'on a divulgué notre secret, il n'y a plus rien


à dissimuler, Il est certain que nous cherchons tous la
vérité de bonne-foi ; mais que nous ne sommes pas
d'accord sur son signalement. Chargé du travail rela
tif aux dépenses et à l'administration, j'en ai fait le
rapport : c'est après des discussions multipliées que
j'ai desiré de rendre un avis commun, sans pouvoir y
parvenir. Mon travail n'a point obtenu l'approbation
de la pluralité des membres du comité; et si l'adhésion
de la moitié ne m'autorisoit pas à le présenter comme
rapport, ce seroit mon opinion personnelle que je sou
mettrois à l'assemblée nationale. Cependant, si j'avois
dû parler en mon noin, je n'aurois présenté ni les ob
servations , ni les faits dans l'ordre auquel je me suis
astreint , en croyant suivre ou prévenir les intentions
du comité. -

Peut-être aurois-je osé présenter un plan d'adminis


tration plus précis, mais on en trouvera dans le rapport
et le projet de decret, les principes et les bases. Il pour
roit même se faire qu'on me demandât pourquoi j'ai
lié à des détails économiques, des principes constitu
tifs. Pourquoi ? parce que tout ce qui compose l'armée
navale étant objet de dépense, il faut bien dire ou au
moins indiquer sa meilleure composition, pour en ré
gler l'administration qui comprend également les hom
mes et les choses, qui atteint à tout par les dépenses ;
parce qu'enfin le meilleur ordre économique se lie nalu
rellement au meilleur ordre politique.
Je veux prévenir, puisque j'y suis, une autre obser
vation. Quoique j'aie réuni à la fin du rapport tous les
états énonciatifs des diverses dépenses, avec des notes
sur quelques erreurs du premier rapport du comité des
finances , on trouvera peut-être que je n'ai point assez
détaillé chaque partie; et àssurément j'aurois pu , à
· peu de frais , faire un volume d'explications sur les
approvisionnemens et les consommations des ports.
Mais, outre que ce rapport est déjà assez long pour
que j'eusse de la peine à le lire à haute voix dans la
-

-
( 211 )
tribune, j'ai pensé que ce seroit inutilement †
l'attention de l'assemblée, qui ordonne, quand elle le
juge à propos, l'examen et la vérification des détails,
mais qui ne peut entendre que des observations et des
résultats.
, Je n'ignore pas que j'aurai des contradicteurs dans
l'assemblée et hors de l'assemblée ; mais, quand mes
opinions ne seroient pas appuyées par celles de plu
sieurs membres du comité, je crois que je n'en serois
pas moins obligé de les produire : ainsi, quel que
soit le succès de mon zèle, j'aurai rempli mon devoir

Ce 2o Avril 179o.

M A L o U E T.

M E s s I E U R s,

Le rapport publié par le comité des, finances vous


expose, dans le plus grand détail, toutes les dépenses
de la marine et celles des colonies ; ce travail , dont
nous relèverons quelques inexactitudes, vous fait con
noître les différens objets de dépenses qui s'élèvent
pour la marine à 31,236,366 livres , pendant l'année
1786 , non compris les dépenses extraordinaires , et
pour les colonies à ro,484,416 livres, non compris
celle de 7,173,333 livres, provenant des impots per
çus dans les colonies. Nous pensons donc qu'il convient
de commencer notre rapport là où finit celui du comité
des finances, et comme il ne vous a rendu compte que
des dépenses estimées de l'ànnée courante, telles qu'elles
ont été réduites par le ministre actuel, au commence
, ment de l'amnée, nous avons dû rechercher d'abord à
combien s'élevoit dans les années antérieures , cettè
( 212 )
masse de dépenses, et ée qui reste dû par le départe
ment de la marine.

A partir du premier janvier 1784, époque adoptée


par le comité des finances, pour distinguer celles de
la paix , celles occasionnées par la guerre , jusqu'au
premier septembre 1789, nous trouvons que la marine
a dépensé 38o,683,137 livres ; ce qui donne une année
commune de 63,447,172 livres. Nous apperçevons que
dans cettesomine, les colonies ont annuellement absorbé
seize à vingt millions (1), et la marine quarante à
quarante-six, et qu'il restoit dû au premier septembre
dernier, par le département, la somme de 73,oo8,665 l.
--- Mais ceste detté, par le paiement fait jusqu'au
premier janvier 179o, se trouvoit réduite , à cette
époque, à 49,923,345 livres. Ces résultats n'ont d'au
tre authenticité que celles des borderaux et des états
qui nous ont été communiqués par l'adminstration; car
les comptes sont arrièrés de onze années.
D'après ce premier apperçu, nous avons dû entrer
plus avant dans les détails économiques de cette admi
nistration, en examiner la forme et les principes, com
parer le passé au présent, et vous mettre en état de
prononcer sur l'avenir. -

Le plan de notre travail se trouve donc déterminé par


l'ordre naturel des objets que nous avons à traiter, les
quels se divisent en deux parties.
La première présentera la situation de la marine ac
· tuelle, et de son administration; dans la seconde, nous
indiquerons les changemens et les améliorations dont
elle nous a paru susceptible. }

L'état des forces navales doit être en proportion avec


les moyens naturels qui peuvent y fournir.
Le premier de ces moyens n'est pas l'argent, c'est
le nombre des hommes de mer, qui consiste en soixante

(1) On n'a pu obtenir des états distincts de la dépense


des colouies par chaque année.
( 213 ) ' ,

· mille effectifs (1), dont moitié ne sont pas constam


ment occupés à la pêche et à la navigation mâr
· chande. - /

On peut donc compter pour une année de guerre


trente-cinq mille hommes disponibles pour l'armée na
· vale, auxquels associant vingt-cinq mille recrues ou
novices engagés et la garnison des vaisseaux , on peut
· armer söixante-dix à quatre-vingt vaisseaux de ligne,
soixante frégates , et autant de corvettes et fluttes.
Tel est l'état relatif des forces navales que la France
peut entretenir pendant la guerre, sans'anéantir la
· course et la navigation marchande. . · . -

Cette somme de force peut être accrue par lun èmort


· momentané, mais nous ne devons déterminer ici que
· des bases fixes et non des combinaisons accidentelles
dont les rapports et les proportions nous sont incon
nues. --- Il n'y a que l'extension de la pêche et de la
· navigation marchande qui puisse produire un accrois
sement progressif de la force navale. Les mesures que
· je viens d'indiquer ont été celles de nos opêrations pen
· dant la dernière guerre. - -

Depuis la paix nous n'avons pas eu constamment


' soixante vaisseaux de ligne en état de tenir la mer ;
--- ils y sont maintenant, il y en a même soixante
trois , et douze sur les chantiers, ce qui excède la
| proportion de vaisseaux qu'il convient d'entretenir à
flot pendant la paix. Le comité a cru devoir la fixer à
soixante , et le nombfe des bàtimens inférieurs dans
cette proposition; mais il est nécessaire d'avoir en sus
les bois travaillés, et tous les approvisionnemens rela
tifs à une augmentation subite de vingt vaisseaux au
moment de la guerre (2).

• (1) L'état général des classes présente 73 mille hom


mes classés , y compris les novices.
(2) Cette mesure est d'une grande importance pour
le succès, sur-tout des premières campagnes ;- car la
- ! -
( 214 )
Or, en fixant l'état de paix à soixante vaisseaux de
ligne, en entretenant le nombre actuellement existant
de bâtimens à trois ponts de quatre-vingt, et soixante
quatorze canons , et les bâtimens inférieurs dans cette
proportion, en mettant chaque année en activité trois
vaisseaux de ligne, trente frégates ou corvettes, la
somme de dépense qu'exige le département de la
marine, sans y comprendre les colonies, ne doit pas
s'élever à plus de trente millions (1).
' Cependant il a été dépensé, année commune depuis
1784. de quarante à quarante-six millions, sans y
comprendre les colonies ; et l'on avoit fait chaque
année des projets de dépense et des demandes de fonds
qui annonçoient une moindre dépense : il faut donc se
préserver pour l'avenir de semblables erreurs de cal
· culs, et chercher; I°. pourquoi la dépense effective a
toujours excédé les projets et la proportion,qu'elle de
voit avoir avec les forces navales entretenues ;2°: com
ment la dépense peut être invariablement ramenée à
- de plus ]justes propor
proportions.
ºo 2 sans nuire à la force navale

qu'il convient d'entretenir, et au service qu'elle doit


remplir ; 3°. pourquoi la comptabilité de ce départe
ment est aussi arriérée, et comment elle peut être sou
mise à l'ordre et à l'exactitude desirable.

France tirant du dehors la majeure partie des muni


tions navales, on conçoit qu'au moment d'une déclara
tion de guerre, si nos approvisionnemens etoient iu
terceptés, nous serions dans l'impossibilité de pourvoir
tout-à-la-fois à la défense des cotes et des eolonies, de
· protéger le commerce et de déterminer aucune des
opérations offensives et défensives qui exigent , sinon
la supériorité, au moins l'égalité des forces combi
l1e6S. - *

(I) C'est le terme auquel on se réduit aujourd'hui,


mais les dépenses extraordinaires sont encore en dehors,
et il faudroit les ramener en dedans, sauf les accidens
·imprévus. " . ! - ;
Il
( 215 )
Il convient d'abord de vous présenter une idée nette
de l'administration de la marine, de son objet, de ses
moyens et de ses formes,
La preparation et l'entretien des forces navales, le
gouvernement des hommes et des choses qui y contri
buent, leur conservation, leur réparation dans les ports,
et ravitaillement à la mer, voilà en quoi consiste l'ad
ministration de la marine.
L'ordre, la clarté, l'économie , la responsabilité
des agens d'un tel régime, voilà ce qu'on doit en at
tendre,
Colbert le détermina d'après ces principes, qui lui
ont survécu plus d'un siècle. Il crut devoir éloigner les
consommateurs de la direction des consommations ; il
institua un ordonnateur civil dans chaque port, pour
diriger les approvisionnemens et les dépenses ; et les
officiers de port, les constructeurs , les chefs des
travaux , étoient responsables à ce premier agent ,
qui l'étoit lui-même de toutes les opérations, L'armée
navale, et tout ce qui la compose , n'étoient en actiou
et en service qu'à la mer. La police, le régime et la
comptabilité des ports, furent absolument séparés, par
l'ordonnauce de 1689, du service, des pouvoirs et des
fonctions militaires.
Tels sont les principes de l'administration de la
marine en Angleterre, de celles de la Hollande , de
toutes les compagnies des Indes, de tous les armateurs
particuliers.
Cette opinion a souffert de grandes contradictions
, dans les ports et dans votre comité, et quels que soient,
· dans une telle controverse, les préjugés d'état, les in
·térêts personnels, on ne doit pas croire facilement que
les hommes appelés à discuter les grands principes de
l'administration, défendroient obstinément ceux que
leur conscience réprouve ; on ne doit pas douter que des
,officiers, distingués par leur expérience et par leurs
lumières, ne parlent d'après leur propro conviction,
en soutenant qu'il faut être homme de mer pour diriger
ees travaux des ports, qu'ils n'ont jamais été mieux
E e
( 216 ) |
conduits que depuis qu'ils en ont été chargés; que l'an
cienne administration, dont on cite les ſautes et les
abus , dépensoit peu, parce que la marine étoit sans
emploi ; que s'il est vrai que le corps militaire de la
| marine Angloise n'est chargé d'aucun service dans les
ports, c'est presque toujours un officier de ce corps
qui est le principal administrateur; que les marines
d'Espagne, de Suède, de Dannemarck et de Russie 2

ont à peu-pres le régime que nous avons substitué à


celui de 1689; qu'en éloignant, ainsi que les Anglois,
nos officiers de toutes espèce de service dans les arse
naux, c'est les priver d'un grand moyen d'instruction,
remplacé en Angleterre par une † plus acti
ve, plus continue, et par le spectacle habituel de tous
les travaux, de tous les intérêts maritimes qui compo
sent les occupations principales des Anglois,
Les partisans de l'ordonnance de 1689, parmi les
quels il se trouve aussi des militaires estimés, répon
dent que la comparaison d'un régime à un autre, ne
peut se faire que par celle des principes et des effets.
--- La comparaison des principes est de tous les tems ;
celle des effets exige des circonstances et des époquea
analogues : ainsi§ faut pas opposer le système de
Colbert dans le long intervalle où la marine a été
abandonnée en France, au systême de M. Sartine , à
i'époque où les projets de guerre en Amérique, ont
dirigé tous nos efforts vers le rétablissement de l'armée
navale. Dans les tems d'inertie, les bonnes lois sont
comme les forces physiques, sans action et sans déve
loppement. Dans les tems d'activité, les passions, les
intérêts peuvent faire, à quelques égards , l'office des
| bonnes lois, dont on ne reconnoît l'empire et la néces
sité que lorsqu'il s'agit de comparer, non pas le mou
vement au mouvement, mais l'ordre au chaos, le pro
duit à la dépense. -

· En revenant maintenant à la comparaison des deux


#poques du grand éclat de notre marine, nous trouvons
que la première embrasse un intervalle de vingt-sept
ans depuis 1679 jusqu'en 1697 ; et la seconde ne date
que de la dernière guerre, C'est dans cette premiere
. " . ( 217 ) -

époque que tout a été créé , les ports, les arsenaux ,


les magasins, l'armée navale et ses succès. --- On sait
que d'autres dépenses beaucoup moins utiles surpassé .
rent celles-là; et cependant Colbert, en mourant, ne
laissa point les finances dans l'état d'épuisement où elles
se trouvèrent dans la guerre de la succession. -- La
seconde époque ne nous présente en administration que
des vaisseaux réparés et construits, des campagnes
glorieuses , et jusqu'à nos revers attestent le zele et la
valeur de notre armée navale, mais le trésor public
épuisé par cette guerre maritime, dont il est aussi dif«
ficile d'appurea que de classer les dépenses. -

Quand aux principes des deux régimes, Colbert et


nos plus illustres marins, consultés pour la rédaction
de l'ordonnance de 1689. --- Les Duquesne, les d'Es
trée, les Château-Renaud, pensèrent, comme Colbert,
qu'il falloit séparer l'administration économique de
l'action militaire.
· Il est en effet très probable que la direction continua
d'une multitude de détails méchaniques, de travaux
sédentaires, exige des hommes permanens dans le
même lieu, qu'ils n'aient d'intérêt éminent de distinction
possible, que par les succès de l'administration qui
leur est confiée. Qu'au contraire, on charge de travaux
économiques des hommes dont toutes les espérances et
, les vœux se dirigent sur les opérations et les succès mili
taires, il est naturel que leur zèle et leurs talens se dé
ploient là où ils peuvent avoir le plus d'éclat, et qu'ils
mettent moins de suite etd'importance à des occupations
obscures et paisibles.
Enfin, la destination d'un officier de la marine étans
ou les fatigues de la mer, ou le repos qui doit leur suc
céder, il y a une sorte d'inconséquence à leur assigner
dans les ports un service permanent, qui paroît incom
patible avec leur service ambulatoire. -

Cependant, l'administration des ports ne pouvant


s'exécuter sans une antorite active d'inspection et de
police de la part des ordonnateurs , cette jurisdiction
des officiers civils devint de plus en plus désagréable .
aux officiers de marine résidens dans les ports. -

E e 2
- ( 218 5
A mesure que les prétentions des corps privilégiés
se développoient avec plus de force et d'avantage ,
J'influence de toute autorité qui leur étoit étrangère ,
s'effaçoit sensiblement , et le ministère du duc de choi
seuil fut la première époque de cette révolution , dont
ses progrès rapides n'ont pas peu contribué à celle qui
s'opere aujourd'hui.
L'état militaire avoit toujours eu en France une
préeminence d'opinion , il acquit alors une prépondé
rance effective; et ce que Louis XIV , le plus absolu
de nos rois , avoit soigneusement évité, ce que la no
blesse de son tems auroit peut-etre dédaigné, l'inva
sion de tous les pouvoirs, de toutes les places d'admi
nistration et magistratures supérieures, et ensuite de
tous les emplois militaires, s'est exécutée de nos jours,
et étoit devenue le partage d'une seule classe de ci
toyens. -

L'ordonnance de 1765 fut pour le corps militaire de


la marine l'exorde du nouveau systême qui devoit chan
ger l'administion des ports. A cette époque, le com
mandant et les officiers militaires devinrent coopéra
teurs des officiers civils; de ce mélange de fonctions ,
de toutes les prétentions respectives, et de l'inexpé
rience de la marche incertaine des ministres, naquirent
les conſiits d'autorité, la confusion , les embarras, qui
s'accrurent par les nouvelles ordonnances de 1772 ,
mais qui devoit s'accroître encore par celle de 1776 ,
laquelle a subi de nouveaux changemens en 1786. Le
corps militaire de la marine étoit parvenu, depuis plu
sieurs années, à un degré d'instruction et de connois
sances qui présageeit le zèle et l'eclat de ses services
dans la gucre d' Amérique ; et si les places d'adminis
tration devoient être le prix d'une grande supériorité
dans les sciences exactes, dans les talens militaires ,
les officiers de la marine méritoient sans doute toute
référence ; mais l'obscurité même de ces détails, l'as
siduité qu'ils exigent, les occupations de bºreau , les
habitudes d'ordre et de ménage auxquelles il faut se
voumettre pour les remplir avec succès, contrarient
( 219 ) - -

une perspective plus brillante, et semblent dès-lors


réclamer d'autres conditions.
On ne pent revenir sur les tems antérieurs, sur cette
mobilité de † et de formes, sans se rappeler
que nos ministres étoient des vice-rois, dont le pouvoir
sétoit très-étendu; mais, avec la facilité de nos mœurs ,
il n'y a rien de si vacillant, rien de moins imposans
que l'autorité arbitraire ; rarement nous l'avons vu
ferme et conséquente.
Un ministre pouvoit, à son gré, bouleverser son dé
# augmenter les dépenses, faire de nouvelles
ois, accorder de nouvelles prérogatives; mais il étoit
moins puissant pour maintenir l'ordre, l'économie, la
discipline; car, à mesure que le gouvernement s'éloi
gne des bons principes, le bien ne se fait que par ex
ception, et l'influence de tous les désordres s'accroît de
toute la puissance publique qui les favorise.
L'ordonnance de 1776 détruisit toutes les bases de
celle de 1689, et par des principes inverses établit une
hiérarchie militaire d'administration, à laquelle fut
transférée la direction des travaux et conséquem
ment des dépenses de la marine ; mais les erdonnateurs
et les directeurs de ces travaux n'en ſurent point comp
tables, et pour conserver les formes de l'ancienne comp
tabilité, on laissa subsister les administrateurs civil»,
avec le droit apparent de concourir à toutes les dépenses
sans aucuns moyens de les modérer. -

Les motifs de cette ordonnance sont, qne la meil


leure éducation des officiers de la marine, leurs études
obligés des sciences exactes, s'unissant à la pratique
de la mer, les rendent infiniment plus propres que
toute autre classe d'hommes, à la direction des travaux
des arsenaux. Il est en effet de toute impossibilité que
les travaux s'exécutent sans le concours des hommes
versés dans les sciences mathématiques , des officiers
et des maîtres exercés à la manœuvre des vaisseaux , et
au mouvement des ports et des artistes les plus distin
gués dans leur art : mais l'intervention des ingénieurs,
officiers de port, dés officiers d'artillerie et des maî
( 22o )
tres les plus experts des divers atteliers, a toujours été
nécessaire dans les arsenaux, et l'ordonnance de I689
les avoit institués. Il s'agit de savoir si l'agence de ces
différens chefs d'ouvrage doit avoir pour point de réu
nion et de direction un administrateur général des
dépenses et des approvisionnemens, qui surveille et
réponde des consommations, des magasins et des atte
liers , ou un commandant militaire qui n'entre dans
l'administration que pour ordonner les consommations,
et qui s'en sépare lorsqu'il s'agit de la comptabilité.
On pourroit concevoir l'inspection de l'officier com
mandant sur l'administration comptable, mais celle du
comptable sur l'administrateur-commandant ne peut
être que fictive et dérisoire : aussi la surveillance réci
proque des deux autorités, établie par l'ordonnance de
1776, n'est elle considérée aujourd'hui par les parti
sans de ce systême, que comme une disposition incom
plette qui se perfectionneroit en faisant disparoître
tout-à-fait le partage de l'autorité , en la concentrant
dans un seul administrateur militaire, qui auroit sous
ses ordres un comptable. Mais il est, je crois, démon
tré que dans toute administration, celui qui ordonne
une dépense doit en rendre compte et en répondre, car
la comptabilité, ne peut être que l'exposé, le résultat et
les motifs de cette action.
Il résulta donc du systême de 1776 une multiplica
tion d'agens, et une complication de formes sans res
ponsabilité. Le pouvoir d'administration devint une
prérogative pour les officiers militaires, et l'obligation
de rendre compte une vaine formule pour les officiers
civils. -

Un prince qui veut être absolu peut, avec quelques


succès, rendre son administration militaire; et s'il est
éclairé dans son choix, sévère dans ses principes, les
habitudes et les mœurs des gens de guerre, rendent
les formules du commandement et de l'obéissance plus
actives et plus imposantes. L'ordre et l'économie sont
très-compatibles avec une telle administration, il ne
s'agit que de faire compter et de rendre responsables
ceux qui dirigent.
( 221 ) .
' Ainsi, la seule considération, dans une monarchie,
qui doive empêcher l'infiuence de l'autorité militaire
sur une police et un régime économique, est de ne point
associer l'armée au gouvernement. . -

Mais ce qui contrarie tous les principes politiques


et tous les intérêts publics, c'est de séparer, dans une
administration quelconque, la responsabilité de l'in
fluence et de l'action immédiate sur les dépenses, d'ins
tituer des officiers administrans sans comptabilité , et
des officiers comptables sans'responsabilité. J'observe
ici que je n'appelle pas comptabilité les monceaux de
papiers, de registres et d'états que l'on trouve par-tout,
et dans lesquels on inscrit des chiffres et des valeurs :
comme on ne devroit point appeller chambre des com
tes le dépot de toutes ces pieces, dans lequel se vérifie
des calculs toujours justes quand on lee présente à
l'examen. Ce n'est-là qu'un exposé des sommes dépen
sées bien ou mal-à-propos. -

La comptabilité exigible de la part de tout adminis


1rateur, consiste en deux points essentiels; I°. la com
paraison authentique des fonds assignés à chaque nature
de depense, et la justification de leur emploi ; 2°. l'in
dication des motifs de tout excès de dépense sur les
fonds assignés, et la preuve de leur nécessité,
· Une telle comptabilité n'existe point encore en
France, et c'est ainsi que la nation doit près de qnatre
milliards sans pouvoir mettre en jugemens aucun
comptable, aucun administrateur, quoiqu'une telle
masse de dette n'ait pû s'élever sans un gaspillage af
freux, ou sans déprédation. -

La marine a donc participé au désordre général des


| finances. Mais, d'une part, on avance qu'elle auroit
pû s'y soustraire si on avoit conservé les formes an
· ciennes, ou si les formes nouvelles , au lieu de déten
dre tous les ressorts économiques, les avoient resserrés ;
· si enfin un systême de prérogatives et de pouvoirs in
· dépendans n'avoit prévalu au commencement de la
dernière guerre, sur la nécessité et les moyens de la
plus sévère écouomie, - - •
( 222 )
D'une autre part, les défenseurs du régime actuel
n'imputent qu'aux accidens et aux circonstances de la
guerre l'épuisement du trésor public. Les convois pris
par l'ennemi , les approvisionnemens renouvellés à des
prix excessifs dans l'Amérique ou dans l'Inde, la lon
ue station de nos escadres dans les parages éloignés ;
† morts, les désertions, les changemens d'équipage
d'un vaisseau à l'autre, et la difficulté de tenir des
notes exactes dans uu mouvement continuel en présence
de l'ennemi ; voilà, disent-ils, les causes du désordre
dont on se plaint.
Quoi qu'il en soit, les dépenses de cette guerre ont
été énormes : on en dit autant de celles de l'Angleterre ;
mais cette puissance a eu pendant plusieurs campagne
jusqu'à huit cents bâtimens de guerre ou de transports,
et deux cent mille hommes à sa solde en Amérique. Ce
développement de forces, à une telle distance de la
métropole , est sans exemple dans l'histoire du monde,
et les Anglois ont réglé tous leurs comptes : les notres
ne peuvent l'être que par la dispense et l'impossibilité
d'en rendre d'exacts; car les dépenses des escadres
étant faites par les officiers, il n'étoit ni facile ni juste
de soumettre à toutes les précautions, à toutes les for
mules d'économie, des hommes que toutes les fatigues
et tous les périls assailloient à-la-fois.
Cette considération a fait rétablir à la paix les com
missaires d'eseadres, mais ce n'est point par des mesu
res partielles que se répare une administration désor
ganisée dans ses principes et dans ses formes : et ,
comme depuis douze ans les dépenses de la marine
ont excédé toutes les proportions qu'elles doivent
avoir avec leur objet , il faut rétablir les bases sur
lesquelles elles doivent être invariablement détermi
nées. -

J'observe donc d'abord que la force de l'armé•


navale doit être la mesure de la dépense annuellement
nécessaire à son entretien, sous quelque dénomina
tion de dépenses fixe ou variable qu'on considère l'em•
Ploi des fonds, - -

Org
( 223 )
On conçoit en effet que, dans l'administration des
ports, tout est relatif aux vaisseaux : la somme des ap
provisionnemens nécessaires pour les entretenir et les
armer, le nombre des officiers, des ouvriers, des ad
ministrateurs , l'entretien des magasins, des atteliers,
des employés de toute espèce, les vivres, les hopi
taux , tout doit être en proportion avec le nombre
des vaisseaux et le service auquel ils sont destinés ; ou ,
si cette proportion est violée, si les frais surpassent les
produits , il est constant qu'il y a une faute de combi
naison et de régime. -

Or, en calculant la valeur totale des vaisseaux,


frégates et bâtimens de guerre actuellement existans
dans nos ports, on l'estime de cent deux millions. Et
comme la durée moyenne d'un vaisseau est estimée à
dix années (I), et celle des frégates à quinze, l'entre
tien de l'armée navale, en construction et radoub, peut
être déterminé à un dixieme de sa valenr, c'est-à
dire , de dix à onze millions.
Le service actif de la marine pendant la paix se ré
duisant à la protection des colonies dans l'Océan, et
du commerce dans la Méditerranée, on peut en esti
mer la dépense sur le pied qui a été réglé pour l'année
1789 à 4,8oo,ooo livres : et les dépenses fixes qui
comprennent le corps militaire, l'administration , les
Chiourmes, vivres, hopitaux, consulats, les bâtimens
civils , tous les entretenus n'excédant pas treize mil
lions (2), la dépense totale de ce département ne paroît
pas devoir passer trente millions, en ne supposaut au
cun approvisionnement mis en réserve chaque année,

(I) Des vaisseaux construits avec des bois de bonne


qualité, et bien entretenus, doivent durer vingt ans. .
(2) On considère ici ces évaluations dans toute leur
latitude, que l'on croit susceptible de réduction, com
3me on le verra ci-après,
F f
à
( 224 )
pour le temps de la guerre. Cependant depuis 1784 ,
la dépense a été annuellement de quarante à quarante
six millions, sans y comprendre les colonies, portées
aujourd'hui dans l'état pour (I) Io,5oo,ooo liv. , ce
qui forme, en total, une somme de 4o,5oo,ooo liv. ;
et nous voyons dans les états remis au comité, qu'en
I784 , le département a dépensé 63,724,996 l.
* En 1785, . . .. . . . 62,9II,62o
En I786, . . . . . . 52,726,829
En I787, . . . . .. . 69,272,986
En 1788, . . . . . . 82,525,475
En 1789, . . - . - . 49,287,186
Si l'on considère que sur toutes ces sommes il
n'y a rien à imputer aux dettes arrièrées de la der
nière guerre, et que dans ces six années il n'y a eu
qu'un moment de préparatifs hostiles en I787, pour
lesquels on a fait un fonds extraordinaire de quatorze
millions , on sera, sans doute, étonné de cette masse
de dépense que dirigeoit cependant un ministre intègre
et vigilant,
Il est juste d'observer que, si l'armée navale étoit
à la paix à-peu-près dans l'état où elle se trouve au
§ quant au nombre des bâtimens , les maga
sins étoient dépourvus, les vaisseaux avoient besoin
d'être réparés, et ils sont tous en état maintenant
d'être armès au premier ordre. Il n'est pas moins
essentiel de remarquer que jamais la marine, pendant
la paix, n'avoit été dans une aussi grande activité
quant au nombre de bâtimens en commission : ainsi

(1) Il paroît que l'excès des dépenses a eu lieu


principalement aux colonies, et sur-tout dans celles
de l'Inde. -
( 225 )
les fonds assignés au département ont au moins pro
duit un service et un entretien effectif; il auroit pû
sans doute s'effectuer à moins de frais ; mais , lors
qu'on manque d'une mesure exacte et de moyens ré
primans dans les détails économiques, dans les dis
positions qui en résultent, l'ordre ne peut être main
tenu, et des ineidens multipliés déconcertent tous les
calculs. -

Il est indispensable de connoître tous les moyens ,


tous les couloirs d'une grande dépense, pour être en
état d'en déterminer la fixation raisonnable ;. ainsi ,
en en présentant la somme , je dois indiquer les cau
ses de l'excès, pour arriver ensuite aux moyens de
réduction. : . . . -

Il y a toujours excès dans les dépenses, lorsque


l'administration locale n'est pas armée d'une autorité
résistante, lorsque celui qui ordonne n'est pas celui
qui compte, lorsque plusieurs ont influence sur une
même chose et se reposent l'un sur l'autre du soin
d'agir ou d'empêcher. C'est ainsi qu'on consomme plus
devivres, d'ustensiles, de marchandises et de munitions
· qu'une surveillance sévère n'auroit permis d'en consom
mer et qu'on paye plus d'agens de toute espèce qu'il
n'est nécessaire : le prix dès constructions, des muni
tions de toute espèce augmente, non-seulement dans la
proportion du cours du commerce, mais plus encore
par l'inexactitude des paiemens. -

J'ai vu fréquemment dix et quinze pour cent de diſ


férence des paiemens comptant au crédit, parce qu'un
engagement contracté avec un ſournisseur n'exprimoit
autre chose que la reconnoissance de son titre , et qu'il
étoit obligé de solliciter, d'attendre comme une grace
l'argent qui lui étoit dû.
- •
-

Les dépenses d'armement ont eu des variations.


plus étranges dans les colonies , et l'on conçoit que
cela doit arriver, si les approvisionnemens de toute
espèce dout les bâtimens sont munis pour un laps de
tems déterminé, peuvent , être remplacés à volonté
E f 2.
( 226 )
rvant terme, et si les achats se font dans les colonies
à des prix toujours supérieurs à ceux d'Europe. Les
dépenses d'armement augmentent, si les vivres et les
munitions embarquées sont légèrement mis au rebut ,
si les rechanges d'agrêts et apparaux se renouvellent
trop fréquemment, si les aménagemens et distributions
intérieurs des bâtimens sont changés arbitrairement ,
si le séjour dans les rades se prolonge avant le départ
et à l'arrivée , si les frais de conduite se multiplient
d'un département à l'autre. Toutes ces causes réunies,
qui tiennent absolument au régime économique, peu
vent facilement doubler la dépense des consommations.
Quant aux individus soldés il n'y a encore qu'une sage
économie qui puisse en déterminer utilement le nombre
et l'emploi. Il est à remarquer que l'ordonnance de
1776 présente l'économie comme motif principal du
nouveau régime. On réſormoit, disoit-on, une partie
de l'administration civile comme trop dispendieuse ;
il y avoit alors dans les ports et dans les classes 459
employés civils de tous grades : il y en a aujourd'hui
663, et on y a ajouné 74 administrateurs miliiaires.
JLes apointemens de cette administration coûtcient en
1776,749,53oliv., ils coûtent aujourd'hni 1,272,677 l,
et tous les frais possibles augmentent dans cette pro
portion. On peut dire que ce n'est pas l'ordonnance de
1776 qui a produit l'augmentation des officiers civils,
puisqu'elle tendoit à les réduire ; mais ici le fait a
prévalu sur l'intention, parce que le doublement des
agens supérieurs ayant produit celui des registres, des
écritures de toute espèce, a occasionné l'augmentation
du nombre des subalternes. -

Enfin le défaut de fixité dans la mesure des fourni


tures de toute espèce , le défaut de résistance aux de
mandes exagérées , la facilité avec laquelle on a
multiplié les places et les postes soldés, doivent être
considérés comme les premières causes de l'accroisse
ment successif des dépenses --- Mais ce ne sont pas
les seules; le concours et l'influence d'nn grand non
bre d'agens sur ces dépenses ſont que chacun d'eux
( 227 )
se livre plus facilement aux considérations de faveur,
de protection et d'amitié qui peuvent le déterminer,
tandis qu'aucun ne prend jamais sur son compte la
force négative de tous.
On remarquera toujours dans l'administration les
traits caractêristiques des passions qui tiennent à ses
vices : ainsi, de même qu'un homme désordonné daus
ses affaires est tout à-la-fois avare et dissipateur,
difficultueux et inconsidéré, s'embarrassant sans cesse
de petits détails et perdant de vue ses intérêts majeurs,
de même le département de la marine est depuis long
tems un abyme de papiers, de bordereaux et d'états
où l'on trouveroit les plus grands détails pour les plus
petites dépenses , sans principes et sans moyens pour
en régler l'ensemble et pour en apprécier les résultats ;
parce qu'on a toujours dépensé à crédit et presque tou
jours acheté au moment du besoin, parce que les dé
penses d'une année se mélent à celles d'une autre, parce
que la surabondance des formes produit ûne sécurité
funeste sur les mouvemens d'argent et de consomma
tions, parce què des subalternes experts dans toutes
les formes d'écriture et de langue financière en ont
formé un code mystérieux, que les ministres et les
administrateurs ont toujours respecté comme le palla
dium de l'économie. - - r

Exposer les causes de l'accroissement des dépenses,


c'est indiquer les moyens d'une juste appréciation ;
mais, avant de m'y arrêter, je dois faire connoître en
quel état se trouve la comptabilité de la marine ,
pourquoi elle est arriérée, et comment on parviendra
à la mieux ordonner. •:'i · ·

La somptabilité, qu'on a si mal-à-propos compli


qûée , n'est antre chose que les pièces justificatives
d'une dépense. | . - -

Il faut que ces pièces soient authentiques ; voilà ce


que prescrit la raison : mais leur nombre, leurs for
mes, la multiplicité des états et des signatures au-delà
du nécessaire, voilà ce qui n'importe point au maiu
( 228 ) •

tien de l'ordre, et ce qui y nuit le plus surement ; car


l'absence d'uue signature très-souvent inutile, le vice
textuel d'un état qui n'ajoute rien à la preuve d'une
dépense , retarde la reddition d'un compte; la trop
grande pluralité des signatures qui se garantissent l'une
l'autre, attenue la surveillance et la responsabilité de
chacun.
Ensuite la diversité des pièces nécessaires à la dé
charge du trésorier, nuit à la prompte expédition
des comptes. Il faut, pour tel genre de dépense, rap
porter une décision du ministre, pour tel antre un
ordre du roi : trois, quatre, cinq officiers différens
doivent signer un état; et cependant on paie provisoi
rement sur l'ordre de l'ordonnateur, de sorte que ce
n'est qu'après la dépense faite qu'on y applique les
formes, et qu'on y supplée par d'autres formes, par
des ordres du roi, par des lettres ministérielles, quand
il y a impossibilité de remplir les premières : ainsi ,
toute cette science se réduit à mettre une grande
importance aux formes, mais à les violer quand on le
juge à propos, et à multiplier les simulacres de preu
ves, lorsqu'il seroit si raisonnable et si utile de s'en
tenir à celles qui suffisent.
· La chambre des comptes a adopté et consacré tou
tes ces formules : cette cour, qui devroit avoir, pour
être utile, l'inspection effective des dépenses , et juris
diction sur les administrateurs qui les ordonnent , dé
ploie toute son autorité, non pas sur la conduite des
comptables, mais sur la forme nominale arithmétique
des pièces qu'ils produisent ; et tel compte de la
marine qui coûte cent mille francs d'épices pour la
chambre , et qui l'occupe pandant un an, ne produit
pas quelquefois pour cent écus de remarque et de
radiation : car la chambre ne peut ni vérifier , ni
connoître un marché onéreux , une dépense exagérée ,
lorsque les pièces qui les justifient matériellement, sont
revêtues des formes exigées. -

. .. Ainsi, l'institution de la chambre des comptes,


sagement motivée daus son origine pour surveiller les
( 229 ) - -

négligences et les déprédations, a été tellement alté


rée , et se réduit aujourd'hui à des fonctions si déri
soires , qu'on auroit lieu de s'étonner qu'elles puissent
convenir à des magistrats, si l'on n'avoit compensé
leur nullité par des distinctions , des prérogatives
et des émolumens correspondans à la finance de ces
charges. -

On conçoit parfaitement que l'administration supé


rieure , attirant tout à elle , et ne voulant être res
ponsable qu'au monarque , avoit autant de prétextes
que de facilités pour annuller la surveillance de la
chambre des comptes ; mais, quels que soient aujour
d'hui les formes et les principes adoptés pour le ré
gime économique des départemens, et pour les tribu
naux de justice, je crois cette jurisdiction très-impor
tante à rétablir dans toute son étendue.
Il n'est pas moins essentiel de fixer la comptabilité,
et de la rappeler à ses principes primitifs, qui doivent
être l'authenticité, et, autant qu'il se peut, l'évidence
des recettes et des dépenses.
Les payemens arriérés y nuisent infiniment ; car
c'est alors que les doubles emplois, les confusions de
-
noms, les erreurs des dates , nécessitent les délais et
les explications.
Les payemens par à-comptes ont aussi l'inconvénient
de multiplier les écritures, et de favoriser les erreurs ;
ainsi tout est lié, tout se tient dans un bon systême
d'économie. L'exactitude suit la simplicité; l'une et
l'autre sont les compagnes de l'ordre, qui produit seul
l'économie. Dans l'état actuel , il n'y a rien de tout
cela ; les comptes sont arriérés de dix années. Ceux de
la dernière guerre sont inextricables ; on a dû peudant
cinq ou six ans la solde des matelots; et les comptes
d'armement, ceux de la régie des vivres, ne peuvent
être définitivement arrêtés que par des ordres du roi,
qui valident les pièces informes qui suppléent à celles
qui manquent.Tout cet échafaudage est nécessaire pour
que les comptables
shambre paroissent
des comptes, -- s -- ,avec
-- :sécurité
- -- ºº devant
i, ::: - i
la'
-# | ----
( 23o )
Le parti le plus sage à prendre pour l'avenir, est
d'adopter les formes commerciales, qui sont les plus
simples, les livres à parties doubles, certifiés par les
comptables. Les extraits authentiques de ces livres
doivent former le compte présenté à la chambre, et
cette cour, si elle est conservée, doit envoyer des
commissaires dans les ports, quand elle le juge à pro
pos, pour vérifier les marchés, les registres et les dé
penses de toute espèce.
Mais ces réflexions appartiennent à la seconde partie
de ce travail ; c'est en reprenant chacun des objets de
dépenses que nous apprecions les changemens et les
améliorations, dont les détails et l'ensemble de l'admi
nistration sont susceptibles. Le résumé de cet examen
sera celui des principes constitutifs.

s E C O N D E P A R T I E.
· LE tems est arrivé où il faut convertir les paroles
en effets , où des comptes rigoureux seront exigés des
administrateurs, où l'on »e pourra plus se tromper .
impunément sur les principes et sur les conséquences,
où enfin les ordonnances et les réglemens d'administra
tion seront plus immuables que les ministres.
Plus , de quarante ordonnances depuis trente ans ,
plus de six cents décisions qui les commettent ou qui
y dérogent, composent aujourd'hui le code de la
iIlar'1I18 .

L'ordonnance de 1776, qui en forme encore le


cadre apparent, est presque effacé par les ordonnances
de 1786. - -

De cette multitude de systêmes et d'ordonnances


diverses, une seule parviendra peut-être à la posté
rité comme elle est parvenue jusqu'à nous : c'est celle
de I789, dont toutes les nations maritimes ont extrait
leur réglement ; il se présente cependant , dans l'ap
plication de ces principes, dcs différences ºrp#
t,!ºl làS
( 231 ) - -

dans lesformes d'administration adoptées en Angleterre


et celles que nous suivons dans nos ports.
Les Anglois n'ont ni corps, ni hiérarchie d'admi
nistration. L'amirauté, composée d'officiers : de la
marine et d'hommes étrangers à cette profession , em
ploie différemment dans ses arcenaux , ou d'anciens
officiers qui deviennent dès-lors des administrateurs
civils, ou des hommes civils dont l'expérience et les
lumières sont susceptibles de cette direction. Un très
petit nombre de constructeurs, de maîtres d'ouvrages,
de commissaires , d'officiers de ports et de commis ,
compose la liste des employés de chaque port, Il n'y a
pas de noviciat, point de grades successifs dans cette
administratisn; elle est extrêmement simple et peu
dispendieuse ; nous n'avons dans aucun tems, dans
aucunqui
sons systême, atteint cette perfection. Voici les rai
s'y opposent. - ' • -- •

Deux cents mille matelots , vingt mille vaisseaux


marchands, un nombre infini de manufactures , un
commerce immense , tels sont les moyens et l'aliment
de la navigation angloise. Dans cette isle célèbre,
tous les travaux, tous les efforts , toutes les issues
du travail et de l'industrie, aboutissent, à la mer,
et l'on y voit une si prodigîeuse activitée qu'aucun
homme n'est sans emploi, et qu'un seul homme par
ticipe fréquemment aux ressources et aux occupa
tions de plusieurs.Ainsi l'agriculteur est intéressé dans
les fabriques, le fabricant dans les armemens mariti
mes ; l'homme de guerre, les employés de l'adminis
tration ont des § dans le commerce. L'arti- .
san, le citadin , le campagnard, sont dans un mou
vemens continuel de spéculation et d'entreprises ;
l'administration tronve rarement des hommes libres
de tout outre soin qui se dévouent exclusivement à
celui-là. Une aisance générale dans toutes les classes
du peuple, annonce.par-tout la facilité, l'habitude
et la récompense du travail.Tels sont, messieurs, les
fruits de la liberté, telle est la perspective qui s'offre
à nous; ah! quand on envisage le terme , quand on
G g
( 232 )
voit au bout de la carrière, la gloire, le bonheur, le
repos; on oublie, sans doute, les fatigues et les périls
de la route.

Mais tous les effets d'un gouvernement vicieux sub


sistent encore parmi nous , et avant même les circons
tances difficiles où nous nous trouvons, nous avions un
sol riche .. et un peuple pauvre ; une industrie active ,
mais enchaînée ; des manufactures languissantes, une
multitude d'hommes manquant de travail; une navi
vation bornée et quatre Inille vaisseaux marchands,
dont la moitié encore est occupée par le commerce di
rect ou indirect des colonies.
Ainsi les arts et les travaux productifs ne pou
vant entretenir en France tous ceux qui ont besoin
d'emploi pour subsister, ils s'attachent comme le lierre
au tronc et aux branches du corps politique , ils af
fluent dans toutes les avenues de l'administration , et
il faut bien, sous peine de plus grands maux, que les
erreurs des gouvernemens se réparent même par d'autres
erreurs, et que lorsqu'ils ne savent pas protéger et mul
tiplier les classes productives, ils occupent et fassent
vivre les classes stériles. -

Cette considération générale seroit applicable dans


ses développemens aux employés de tous les dépar
temens du royaume, et eIle ne doit pas vous échap
er, messieurs, au moment d'un nouveau régime ; les
réformes qu'il sollicite dans toutes les parties ne sau
roient être trop adoucies, trop combinées avec les res
sources vont se multiplier à l'infini pour la génération
qui nous suit , par la seule action d'une libre indus
trie; mais celle qui s'avance avec nous vers la fin de sa
carrière, faisons en sorte qu'elle bénisse la révolution
qui s'opère ! - -

Je reviens au rapprochement de deux administra


tions maritimes de Prance et d'Angleterre, es déjà
vous concevez, messieurs, avec quelle facilité on
trouve tous les agens, tous les moyens, toutes les four
uitures des arsenaux chez un peuplé né au sein de
( 233 )
l'Océan, dont la capitale immense est un port de mer
et le plus riche entrepôt de commerce qu'il y ait sur
le globe. Là, des compagnies puissantes sont aux or
dres de l'amirauté pour faire parvenir dans les ports
les munitions et les denrées de foute espèce, et ce qui
forme dans notre administration un des objets de cor
respondance et de sollitude continuelle, s'exécute en
Angleterre par de simples mandats, sur les fournis
seurs attitrés qui traitent aux prix courant toujours
plus facile à vérifier.
Les constructions s'exécutent par de riches entre
preneurs, qui se chargent de tous les frais, et dont le
compte se règle par un seul arrêté. Rien de semblable
n'existe parmi nous : on ne voit dans nos arsenaux que
de pauvres charpentiers, hors d'état de faire l'avance
de trois mois de solde à leurs ouvriers.
Enfin l'aptitude qu'ont presque tous les Anglois
pour le commerce et la navigation leur feit trouver, au
moment du besoin, tous les supplémens nécessaires en
des agens extraordinaires , soit pour les bureaux, soit
pour les chantiers, ou pour les fiottes ; et la cessatiou
de ce service momentané rend les mêmes hommes à
d'autres occupations et à d'autres salaires : il en est
tout autrement parmi nous. - -- -

Telles sont les raisons pour lesquelles il y a dans


les arsenaux anglois un moindre nombre d'administra
teurs, d'ingénieurs, de commis et de maîtres entretenus
que dans les nôtres. -

Les mêmes causes , c'est-à-dire la diversité des


moyens de lucre, font que celui qui accepte à Ports
mouth un traitement modique, le considère comme un
accessoire à son aisance, fondée sur d'autres genres
d'industrie (I).

J'oserois citer ici ce que j'ai vu dans un petit port


d'Angleterre, à Veymouth ; . c'est peut-être un des
exemples les plus marquaus d'une aisance
- , • G g 2.générale
*.
- ( 234 ) -

Toutes ces différences de mœurs et de situation


n'empêchent qu'il n'y ait dans nos ports un trop grand
nombre d'agens, en ayant même egard à la nécessité
où nous sommes d'en entretenir plus que les Anglois,
et de les former pour le service auquel on les destine ;
mais en indiquant les principes d'une réduction con
venable, nous espérons que l'assemblée approuvera que
la prudence et l'équitè la dirigent par des opérations
successives' N

On demande la somme de trente millions assignée


comme dans l'état joint aux dépenses fixes et variables
de la marine (I).
Les approvisionnemens , les travaux et les arme
mans , c'est-à-dire l'entretien et le service actif de la
flotte ; entré dans cette somme de 3o millions, pour
16,718,254 liv., dont 4,875,776 liv. pour les arme
II1GI) 8.

Nous pensons que le calcul de cette dépense ayant


été fait avec plus de soin et plus de recherches de
toutes les parties qui la composent, que dans les an
nées antécédentes, le service qu'elle présente est à
v
peu-prè- estimé à sa juste valeur. Dans ce calcul ne

Le domestique de l'auberge où je logeois étoit proprié


taire d'une petite maison qu'il louoit aux êtrangers
quatre louis par semaine, et il étoit en même tems pro
priétaire de deux bateaux pêcheurs. Son salaire comme
domestique étoit peu de chose, mais ses relations avec
les étrangers , et le débit plus sûr de son poisson , en
troient dans ses calculs ; et cet homme à six louis de
gages, gagnoit au moins deux mille écus par an.
| (I) Nous devons remarquer d'abord que dès l'année
dernière les dépenses de la marine ont subi une forte
réduction, et que toutes les dispositions d'approvision
nement, construction, et armement pour l'année cou
l'ante , sont actuellement arrêtées,
( 235 )
sont pas comprises les augmentations de paye qui sont
accordées, et qui, dans le compte de l'année prochai
ne, feront un article de supplément. -

Les 11,844,478 liv. demandées pour constructiou ,


radoub et entretien des bâtimens contenant le prix des
matières et main-d'œuvre, ainsi que le remplacement
de tous les objets dépéris, sont aussi calculés sur des
états détaillés dans chaque partie de dépense, et il se
roit téméraire d'en fixer précisément la moins-value,
d'autant que le prix des marchandises et munitions
variant annuellement, dépend aussi de l'exactitude
des payemens, de la confiance qu'inspire l'administra
tion, de son intelligence, à choisir les époques d'ap
provisionnemens, et à en déterminer les conditions.
Mais, quand on considère que nous sommes réduits
à employer dans les arsenaux, un sixième d'ouvriers
inutiles, parce qu'ils ne trouveroient pas d'emploi
ailleurs, on conçoit qu'une .r-":

plus ogrande activité dans
-

les chantiers et dans la navigation du commerce , di


minueroit déjà cet article de dépense des construc
tions.
Si l'on ajoute que des fournitures de bois mieux as
sorties, des hangards plus spacieux pour les conserver,
un plus grand nombre de bassins ou de demiformes
†y remiser les vaisseaux à l'abri des injures de
'air, prolongeroient de moitié leur durée; on restera
alors convaincu que la diminution des dépenses an
nuelles d'entretien, dépend absolument de celles faites
à propos pour l'é1ablissement complet de l'armée na
vale , et d'un régime bien conçue pour son administra
tlOll . - -

On estime, au surplus, que les différentes évalua


tions des frais de construction pour chaque rang de
bâtimens, exigent de nouvelles vérifications, et qn'il
n'en a pas été fait depuis long-tems qui permettent
une fixation précise et absolue. -

On u'a pas de données plus positives pour la dé


pense des radoubs ordinairement divisés en grands et
petits radoubs : indépendamment de l'entretien journa
( 236 )
lier, qui est compté pour 96o,ooo liv. les radoubs sont
compris pour quinze à dix-huit cents mille livres ;
mais il semble que des soins assidus et des réparations
· répétées aussi-tot qu'elles sont nécessaire, prévien
droient les grands radoubs, et en réduiroient la dé
pense à celle d'un entretien journalier , autrement
calculé qu'il ne l'est dans nos ports ; car on n'y
comprend que la peinture, le calfaitage , le renou
vellement des tentes, et autres menus frais.
| C'est aux soins journaliers qu'est attachée la con
servation de la flotte; c'est en réparant, en préve
nant les plus petits dommages, qu'on empêche le dé
périssement d'un vaisseau; car lorsqu'il a été négligé
au point d'exiger un grand radoub, il est très-souvent
incertain s'il ne seroit pas plus économique d'y re
noncer et de constrnire un vaisseau neuf, que d'en
treprendre de grandes réparations.
On peut en dire autant des petits radoubs des
bâtimens à armer ; car, en supposant les vaisseaux
entretenus dans le meilleùr état, ils doivent être tou
jours prêts à mettre en mer (1).
Enfin le renouvellement des agrêts et apparaux
compris dans cet article, est susceptible des mêmes
réflexions, en indiquant ce qu'il en coûte pour cha
que chose ; on ne sauroit indiquer avec la même pré
cision, ce que l'on peut gagner par une plus sur
veillance.
Dans le même chapitre se trouve compris l'entre
tien de 14oo petits bâtimans pour le service inté
rieur des ports, coûtant 6oo,ooo liv. ; nous pensons
que cet objet peut et doit être réduit d'un cin
quième.

(t) On ne détaille point ici tous les articles énon


cés dans le premier rapport du comité des finances ,
et rappellés dans l'état , no. I.
( 237 )
C'est ici le lieu de fixer l'attentiou de l'assem
blée sur deux objets d'une haute importance, soit pour
l'entretien de la marine à moindres frais , soit pour
la prospérité intérieure du royaume.
Nous sommes, comme je l'ai déjà dit , dans la
dépendance des étrang rs pour la majeure partie des
approvisionnemens de la Marine. Nous tirous de la
Baltique , de la Méditerrannée et même de la Mer
Noire, une grande quantité de bois et de chanvre ;
les productions de l'Ukraine , de la Pologne , de
l'Italie, de la Livonie, arrivent à grands frais dans
nos arsenaux. Le prix des matures est devenu excessif.
Nous consommons des bois d'Italie et d'Albanie à
6 liv. le pied cube; des chanvres de Russie à 45 et
48 liv. le quintal; et cependant la France eût été,
par un meilleur régime sur la culture des bois et
des chanvres, sur l'aménagement des forêts, en état
de fournir avec avantage à sa propre consommation.
La Corse , depnis que nous la possedons, pouvoit
aider merveilleusement à cette économie intérieure
par l'étendue de ses forêts, par la qualité précieuse
de ses bois de pin, propre pour mâture et bordage.
Mais faute d'un plan général et sagement combiné
pour cette police, nos propres forêts ont été dévas
tées ; un luxe dissipateur a détruit nos futaies sans
proportion dans les remplacemens. La réproduction
des bois n'a point été encouragée ; et l'exploitation
de ceux de Corse , livrée à des entreprises mal con
gues, faute de chemins et de canaux pour en faci
diter l'exploitation, a produit une destruction pro
digieuse de bois convertis en charbon , ou sacrifiés
sans ménagemens pour l'extraction du brai et du
goudron. -

| D'un autre côté nous avons dédaigné les chanvres


de notre crû ; au-lieu d'en améliorer la culture et
la manipulation , nous avons préféré la meilleure
qualité des chanvres étrangers , et cette branche de
commerce national a été négligée.
Il est important de revenir sur l'un et l'autre
( 238 )
point aux vues sages dont nous n'aurions pas dû nous
écarter : la culture , l'exploitation et l'emploi des
chanvres de notre crû doivent être encouragés ; une
moindre perfection dans la qualité ne doit pas nous
soumettre aux inconvéniens de la disette en tems de
guerre , et à une plus forte dépense d'approvision
nemens dans tous les temps. Le soin des forêts, des
dispositions plus actives pour leur conservation et
leur aménagement , ne sont pas moins pressantes ,
et je présume que l'assemblée, dans l'aliénation des
biens ecclésiastique , trouvera juste de réserver les
forêts qui se trouvent à la proximité des ports ou
des rivières navigables, de les réunir au domaine
national, de les soumettre à une inspection vigilante,
et d'en destiner uniquement les coupes aux besoins
de la Marine. -

Le eomité de la marine, en vous présentant à cet


égard ses réclamations, n'oublie point que c'est au
comité de commerce et d'agriculture à les apprécier
et à vous proposer un plan ultérieur ; il se borne
donc à le solliciter.
Mais ce qui nous regarde plus particulièrement )

ce dont nous devons vous rendre compte , c'est la


manière dont les approvisionnemens des ports s'exé
Cutent .

Les ordonnances des eaux et forêts , celles de la


Marine , ont attribué au roi le droit de faire mar
quer dant les forêts même des particuliers les bois
propres à la constrnction des vaisseaux; ils sont alors
reservés jusqu'au tems de la coupe, et payés au pro
priétaire au prix courant ou à dire d'arbitres. Les
droits de propriété ne pouvant être protégés que par
la force publique, tout ce qui est nécessaire à son
entretien semble devoir lui être destiné par préfé
rence à tout autre usage , en indemnisant le pro
priétaire ; et les bois dé construction sont devenus
si rares et si précieux, qu'en abrogant sur ce point
là les anciennes ordonnances, les entrepreneurs seroient
hors d'état de faire les fournitures auxquelles ils se
SOnt
( 239 ) -

sont engagés. Ce régime doit donc être maintenu en


évitant toute lésion , toute autre servitude pour les
propriétaires de bois , que celle de la préférence à
donner aux prix courans aux fournisseurs de la
Mais. -

La seconde partie des dépenses de la Marine , est


celle qu'on appelle dépeuses fixes; elle va à 13,281,746
liv. , et comprend tous les objets détaillés en l'état
ci-joint ; elle s'applique principalement aux indivi
dus, officiers , soldats, maîtres entretenus, adminis
tuateurs , et agens de toute espèce employés dans
les arsenaux .
Le corps d'officiers militaires y est compris pour
2,9oo,879 liv., formant la solde de 1,975 officiers,
y compris les élèves : leur nombre ne s'élevoit en
1776 qu'à mrille soixante-dix-sept, et ne coutoit que
1,689,58o liv.
En remontant à une époque plus reculée qui est
celle du plus grand éclat de la puissence navale de
la France , en I692 , Louis XIV avoit 13o vaisseaux
de ligne , dont 97 armés , et I9o frégates ou moin
dres §, dont 84 étoient armés : à cette épo
que , le corps militaire étoit composé de 1,o2 I offi
ciers, dont 849 étoient embarqués.
Mais la dernière guerre ne peut être comparée à
aucune autre, ni pour l'activité, ni pour la durée
des campagnes qui se sont prolongées presque sans
interruption pendant six années dans l'Inde et en
Ainérique. Il étoit donc nécessaire d'avoir an plus
grard nombre d'officiers pour suffire à tant de fati
gues , et ceux qu s'y sont dévoués avec zèle, ne
méritoient pas à la paix de perdre leur état. Il étoit
même linpossible de mesurer sur le service de paix
le nombre d'officiers à eutretenir tant qu'elle dure,
car on s'en trouveroit dépourvu au moment de la
guerre ; mais l'abrogation des titres exclusifs d'ad
mission dans ie corps de la Marine , donnant à cet
égard plus de facilité, et ouvrant cette carrière à
| . ( 24o )
tons les navigateurs dont l'éducation et les études
se dirigeront vers les mathématiques, il en résulte
nécessairement pour l'avenir un nouveau systême de
composition pour le corps des officiers de vaisseaux ,
dont les combinaisons seront plus économïques, ear
l'alliance naturelle entre la navigation marchande et
celle des bâtimens du roi, assure un renouvellement
facile d'officiers ; et en rêduisant à cinq ou six années
de navigation , et à un examen au eoncours les con
ditions d'admission aux premiers grades d'officiers ,
tous les navigateurs du commerce qui auroient l'ins
truction et le service suffisant pourroient être reçus
sous-lieutenans de vaisseaux sans appointemens lors
qu'ils ne serviroient pas sur la flotte. Ainsi on pour
roit supprimer les élèves entretenus et les colléges
où ils sont admis aux frais du roi , mais non les
écoles établies dans les ports. Une partie des lieu
tenans pourroit avoir la liberté de servir pendant la
aix dans les armemens du commerce , et la dépense
totale de ce corps éprouveroit ainsi une grande ré
duction ; elle en est même susceptible dans l'état
actuel, mais , en pourvoyant aux indemnités et aux
pensions de retraite. Un plan plus détaillé sur cette
partie de service devant être présenté à l'assemblée,
nous nous dispensons d'un plus grand développement ;
nous pensons seulement que, dans tous les systêmes,
le corps militaire de la Marine doit être maintenu
dans une proportion telle qu'il s'y trouve un nom
bre suffisant d'officiers au moment d'une déclaration
de guarre ; mais qu'il ne doit pas y en avoir une
telle quantité, qu'ils perdent pendant la paix l'ha
bitude de la mer. En supposant donc que 15o offi
ciers soient annnellement embarqués pendant la paix,
et I3oo pendant la guerre , il paroîtroit suffisant
d'avoir 1ooo officiers de tout grade pendant la paix.
L'usage des demi-soldes, établi en Augleterre, où
les officiers ne sont tenus à aucun service lorsqu'ils
ne sont pas à la mer , présenteroit encore une plus
grande économie. --- Mais nous ne pensons pas qu'il
( 231 ) nt
puisse être établi parmi nous, avant les changeme
successif que produiront la nouvelle composition du
corps et l'extention de la navigatiou marchande ,
qui fourniroit alors des ressources de
et de l'emploi à
i
ceux des officiers dont la demi-sol seroit insuff
sante ; et le nombre en peut-ê tre considérable. ---
En gé né ra l on do it re ma rq ue r que si le nombre des
officiers de la marine est trop considérable, il n'en
est pas de même de leur traitement dans aucun

Ene.présentant à l'assemblée une perspective d'amé


gard -

liorations , sans les déterminer maintenant d'une ma


nière absolue, nous nous trouvons arrêtés autant par
les considératione ci-devant exposées, que par cellcs
des fonctions et de la surveillance du pouvoir exé
cutif, qui doivent exercer dans un espace libre pour
ir pe
agCe utnd t,t.en considérant les changemens opérés
emen
ilan -

dans le corps militaire pant r l'ordonnance de 1786,


on trouve qu'ils occasionue un excédent de dépense

3,ir
99vo
de Sa , pour les officiers de Marine, soit à rai
963. -

son des nouvsaux grades , de leur distribution en


escadres, et des supplémens d'applointemens attribués
aux états majors de chaque escadre, 761,o88 liv.
Pour la direction des ports . . - 44,72o
Pour la direction de l'artillerie . . 25,2oo
Pour la direction des constructions . 26,4oo.
Pour les officiers militaires des classes. 12o,3oo
Pour la direetion de l'école des élèves
de la Marine - - . . . ° . . . II6,2oo .
993,9o8 .
Nous pensons que les avantages de cette nouvelle (1)

(I). Mon opiniou personnelle est que la division


du corps de la Marine en escadres, † bonne
- - 2e
- ( 242 ) -

formation n'en compensent point la dépense ; qu'il


est possible de la réduire et de la ramener, par des
réformes successives, à la somme de 2,ooo,ooo.
Au surplus, nous avons déja remarqué que nous
ne considérions, en cet instant, le corps militaire
que sous des rapports économiques et en nous rap
prochant des vues les plus généralement approuvées
pour sa cemposition.
La même observation s'applique au corps des
canoniers-matelots, composé de 6o51 canoniers et
162 officiers , coûtant ensemble . . I,819,o7o liv.
Lors de cet établissement qui date aussi de 1786,
on n'approuva pas généralement que l'ancien corps
très-distingué des maîtres et aides-canoniers des
classes , fut remplacé pour le service de l'artillerie
des vaisseaux par des soldats d'infanterie, dont le
zèle , la bravoure et l'application même aux exercices
de l'artillerie, ne peuvent dans tous les cas suppléer à
1'expérience des canoniers marins, qui étoient consi
dérés dans nos équipages comme les hommes les plus
essentiels de l'armée navale, et les premiers canoniers
de l'Europe.
Mais soit que la dernière formation subsiste , ou
qu'on se rapproche de l'ancienne, comme cela seroit
desirable , il n'y auroit aucun inconvénient à réduir
d'un sixième lë corps d'infanterie des canoniers
matelots actuellement existant , ce qui produiroit
sur cet objet de dépense une économie de cent mille
écus (I).
Nous voici arrivés à un article de dépense qui
exige plus de détails : é'est celui de l'administration

opération ; mais je sais que ce n'est pas l'opinion


générale- r

" (1) L'augmentation de paye récemment accordée


vendroit l'économie presque nulle. -
( 243 ) -

des ports et des classes ; on a remarqué dans la pre


mière partie de ce rapport, que dans le systéme
actuel , cette administration etoit double, de telle
sorte que dans chaque détail des ports et des classes,
il se trouve deuxagens , l'un militaire , l'antre civil.
On a dit (I) que ce partage de fonction avoit été
motivé sur la distinction récemment imaginée entre
la direction et la comptabilité des dépenses , mais
comme il n'y a jamais eu de véritablement comptable
que celui qui dispose de l'objet et de la matiere d'un
compte, et non celui qni en transcrit les pieces et
les calculs, le principe d'une double agence militaire
et civile dans chaque détail d'administration, ne peut
être plus longtems soutenu * et ce n'est qu'en soumettant
à une inspection efficace et à une responsabilité rigou
reus , les préposés de l'administration, qu'onr emplira
le but auquel n'a pu atteindre l'ordonnance de 1776.
La dépense de la direction millitaire dans las ports
et dans les classes, s'éleve à 64o,466 liv., qui servent
à payer quatre-vingt trois officiers de la direction .
des ports et de l'artillerie , cinquante-quatre ingé
nieurs, trent et un officiers Inilitaires des classes , et
deux cent soixante-douze maîtres attachés aux diffé
rentes directions.
Les appointemens de l'administration civile mon
tent à un million , trente cinq mille huit cent quatre
vingt trois livres, qui servent a payer soixante et
dix neuf officiers d'administration des poris, soixante
huit commissaires aux classes, cent vingt-huit syndics
des classes, quatre cent vingt-quatre commis. . "
A cet article de dépense , composé de parties dou
bles , l'administration militaire et civile des ports ,
l'administration militaire et civile des classes; il faut
ajouter 15o,ooo l. de frais de bureaux, et 57,ooo de
ports de lettres.

(I) Voyez l'état détaillé.


| ( 244 )
La somme totale s'élève a 1,883,389 liv. de laquells
il convient de déduire les gages ei appointemens de
deux cent soixante et douze maîtres entretenus dans
les différentes directions; car outre que leurs services
sont utiles, cette perspective d'entretieu, quelque soit
le régime des ports, est un objet d'emulation néces
saire pour les officiers mariniers et principaux ouvriers
attachés au service des arsenaux.
Les frais d'administration dans les ports et dans
les classes doivent donc être estimés dans l'état actuel
à I,67I,563 livres. Nous pensons que cette dépense
peut être réduite à douze cents mille livres, en rame
nant les principes et les formes de l'administration
à la simplicité qui peut seule en assurer l'ordre et
l'économie.
Cette simplicité consiste à placer dans chaque détail
des hommes propres à les diriger, et à les subordon
ner à un administrateur responsable, soumis lui-même
à une inspection annuelle.
L'homme le plus essentiel dans un arsenal, c'est sans
doute un ingénieur, et après lui les ouvriers par les
quels s'exécutent les ouvrages. Il est évident qu'avec
des ingénieurs, des ouvriers et des matières, on peut ,
sans autres intermédiaire, construire, réparer des
vaisseaux , et rassembler tous les ustensiles de guerre
nécessaires à une armee navale, tandis que le plus
grand général , et le plus habile intendant , peut
même être hors d'état de construire une chaloupe.
On croiroit donc qu'il ne faut que des chefs d'ouvra
ges et quelques commis pour régir un arsenal.
Ainsi c'est une espéce d'usurpation, mais une usur
pation nécessaire de l'administration , de s'élever au
dessus des hommes et des choses qui consºituent toute
son importance. - -

En considérant cette multitude de travaux et de


mouvemens dont se compose le spectacle d'un arsenal,
on voit tout de suite qu'il y a un grand nombre d'hom
mes à solder , des matières à convertir en ouvrages ,
( 245 )
des approvisionnemens à renouveler, des consomme
tions journalières à suivre et à régler; et c'est en cela
que consiste l'administration ; mais pendant qu'elle
dirige l'ensemble en coordonnant les détails, l'ingé
nieur dirige les constructions; l'officier de port, les
manœuvre et les mouvemens du port; le chef de l'ar
tillerie fait fabriquer ou réparer les armes; le garde
magasin reçoit et délivre les munitions; le chef des
vivres les prépare. On enregistre ailleurs les hommes
destinées à s'embarquer, ceux répartis dans les atte
liers; on règle leur solde et leur décompte; la recette
des marchandises, la police des chiourmes et des
· hopitaux, la revue des troupes et des ouvriers, la
confection des marchés et des pièces comptables exi
gent d'autres préposés; et la diversité de ces soins, de
ces combinaisons, tendantes au même but , exige un
ordonnateur unique. Plusieurs membres de votre co
mité pensent que cet ordonnateur devroit être, par pré
férence, un officier de marine retiré, et je suis moi
même convaincu que tel homme de mer ou ingénieur
feroit un excellent administrateur , et devroit être
préféré à tout autre; mais je pense aussi, avec une
partie du comité, qu'on ne peut se dispenser d'em
ployer dans les ports et sur les escadres, des commis
saires chargés de tous les détails économiques, et qu'il
doit naturellement se trouver dans cette classes des
hommes capables de les dirige ren chef, si leur avan
cement et leur instruction se trouvent combimês par des
grades et des emplois successifs sur les vaisseaux,
ainsi que dans les arsenaux et attaliers du port. Il est
donc raisonnable de n'admettre pour cette destination
ancun principe exclusif, et d'assurer à tous les hom
mes doués de quelque talent, une perspective satisfai
sante : ainsi celle de parvenir aux places supérieures,
doit être commune à ceux qui débutent dans les bu
reaux, ou comme écrivains sur les vaisseaux, de
même qu'aux officiers subalternes qui servent dans les
différens détails du port. Mais ce qu'il est impor
tant de déterminer, c'est le nombre des employés en
tout genre; il doit être réduit d'un cinquîeme sur
- ( 246 ) .
l'état actuel, lorsque les comptes arriérés auront été
rendus, lorsqu'on aura supprimé les écritures et les
formes abusives. -

A la suite des frais d'administration des ports,


nous avons remarqué deux articles de dépense de
quatre cents mille francs chaque , que nous croyons
susceptibles d'une réduction de cent mille francs :
l'un est ponr conduite, vacations, gratifications, etc.
l'autre comprend les gages des gardiens, portiers, ca
non 1ers , etc. -

La régie des vivres présente une plus forte écono


mie, en la faisant cesser et en déterminant par un
traité le prix fixe de la ration. Nous estimons à plus
de quatre cents mille francs le bénéfice net de cette
opération. -

Nous n'avons reçu aucun renseignement positif qui


puisse nous faire apprécier sûrement le prix auquel la
ration revient à la régie ; mais nous pensons qu'il
n'est pas au-dessous de dix - sept à dix huit sols ,
tandis qu'on pourroit traiter par contrat de quinze à
seize (I).
Les appointemens du ministre, de ses bureaux et du
conseil de marine, s'élèvent à 77o,9oo livres, à quoi
il faut ajouter 4oo,ooo livres de frais de bureaux.
Nous sommes prévenus que Vi. le comte de la Luzerne
s'est , volontairement soumis à une reduction de
7o,ooo livres dans son traitement, et nous avons pensé
qu'il en feroit une proportionnelle dans ses bureaux ,
ainsi que dans un autre article de 26o,78o livres por
té en dépense pour traitement de divers officiers ,
employés, et bureaux tant à Paris qu'à Versailles.
Ces diverses sommes réunies forment un total de
2,13I,68o liv.
Nous pensons que cette dépense peut-être réduite
# 9co,oco liv.
nº- - - •- •e

(1) Le bail de la régie finit en 179o.


Le
- ( 247 ) • , "

Le conseil de la marine s'y trouve compris pour


cinquante mille écus. Nous ne croyons pas que l'as
semblée approuve l'existence de ce conseil , tel qu'il
est institué, parce que la pluralité des membres qui
le composent étant chargés, sous les ordres du minis
tre, des principaux détails de l'administration , en
exercent fictivement l'inspection qui devroit porter
sur leurs propres opérations, et diminuent d'autant par
leur influence collective, la responsabilité de l'ordon
· nateur effectif, qui est le ministre.
Mais en proposant la suppression de ce conseil,
nous pensons qu'il peut être très-utilement remplacé
_par un autre qui, sans avoir aucune part active à la
direction et à l'emploi des forces navales, auroit l'ins
pection effective de toutes les opérations des ports et la
surveillance de l'exécution des ordonnances ; il exerce
roit en outre, sous le nom de conseil d'amirauté, une par
tie des fonctions du grand amiral, dont la jurisdiction
ne peut plus exister, si, comme cela est probable, les
tribunaux actuels d'amirauté sont supprimés. En sup
posant donc que les affaires contentieuses de cette ju
risdiction soient renvoyées aux tribunaux de commerce
et d'administration maritime , le conseil d'amirauté
resteroit chargé de l'expédition des congés et passe
ports qui appartiennent au grandamiral; et tous lesdroits
° | _, X; - • -

· utiles perçus à son profit, et à la charge du commerce,


seroient supprimés moyennant de justes indemnités ;
dont on pourroit abandonner l'arbitrage à la vertu émi
nente du prince titulaire de cette charge.
Nous réunirons dans un projet de décret , par des
déterminations positives, les vues générales que nous
vous présentons, à mesure que les différens détails
d'administration et de dépense sont mis sous vos yeux :
nous avons préféré cette méthode successive , parce
qu'après avoir posé les principes d'un régime économi
que, ce n'est que dans les détails successifs qu'on peut
en faire une utile application. : -

Nous ne devons point passer sous silence †


de dépense fixe, qui sont presque nuls "ºgº erre 3
#
| ( 248 )
etqui s'élèvent pour nous a plus de cent mille écus par
an : ce sont les officiers de la prévoté de la marine, et
les officiers de santé (I). -

L'assemblée a déja jugé convenable d'excepter les


jugemens prévôtaux de la marine, du sursis prononcé
sur ceux des autres prévotés ; et cette disposition étoit
nécessaire , car la présence d'un très-grand nombre
de forçats dans les arsenaux , y rendant les délits
très-fréquents, exige une surveillance continuelle, et
un tribunal toujours en activité dans l'enceinte des
RI"St21la LIX .

Le prévôt de la marine n'est, dans le fait, que le


juge d'instruction, et rappporteur des procès crimi
mels qui s'instruisent dans les arsenaux. Lorsqu'il s'agit
de les régler à l'extraordinaire, le tribunal est alors
composé de sept magistrats présidés par l'Intendant (2).
Ce n'en est pas moins un tribunal d'exception ; mais la
nécessité d'une police sévère dans les arsenaux et sur
les vaisseaux, permettra-t-elle l'attribution à la justice
ordinaire des délits qui s'y commettent ? C'est sur quoi
nous pensons que l'assemblée voudra entendre l'avis
de son comité de constitution.
Les medecins et chirurgiens de la marine coûtent
226,ooo liv. - |

C'est beauconp en temps de paix, mais il est si im


portant d'avoir pendant la guerre d'habiles chirur
giens qui puissent soutenir les fatigues de la mer, que
1'on ne doit point regretter la dépense de cet établis
sement, qui se trouvera réduite, par les réformes déja
faites, à moins de 2oo,ooo liv. Nos écoles de chirur
gie, dans les ports , sont parfaitement montées, et

(1) Voyez l'état No. I.


(2) Ce sont dans chaque port les juges de la séné
chaussée ou du bailliage royal, qui en se réunissant à
l'intendant et au prévot de la marine , composent ce
tribunal, - -
( 249 )
ont produit des sujets distingués dans leur art. Ils de
sireroient réunir le titre de médecin , et ils en font vé
ritablement le service sur les vaisseaux. Peut-être
même seroit-ce donner une plus grande consistance à
la profession de médecin, que de l'unir inséparable
ment à celle de chirurgien, qui est, plus sûrement que
la première, la science des corps. Nous pensons , au
surplus, que ce n'est pas le moment de prononcer sur
cette prétention. • .
J'ai dit que ces deux objets de dépense étoient à-peu
près nuls en Angleterre, parce qu'il n'y a pas de for
çats dans les ports, et qu'il y a trois ou quatre mille
chirurgiens navigans : ainsi on en trouve à volonté
pour la flotte , tandis que nous sommes obligés, pen
dant la guerre, d'en faire venir à grands frais de la
capitale.
Dans le reste des articles de dépense dont nous al
lons vous faire l'énumération, il ne nous en reste que
trois à discuter, et sur lesquels nous pensons que l'as
semblée doit prononcer ; tous les autres nous ont paru
peu susceptibles de discussion. -

La garde et l'entretien des forçats , au nombre de


six à sept mille, coûtent annuellement 165,ooo liv., sur
quoi il est juste de déduire la valeur des services qu'on
en retire dans les arsenaux, où la moitié , tout au plus,
est employée aux ouvrages de force; car ils ne sont en
voyés qu'alternativement aux corvées de fatigue ; et
indépendamment des jours de repos, ceux qui , par la
nature de leurs délits , sont renfermés dans le bagne,
ceux qu'on occupe au service intérieur de la chiourme,
et les malades à l'hôpital, ne permettront pas journel
· lement la disposition libre de la moitié des forçats. Or
le département de la marine ne doit supporter que la
portion de cette dépense véritablement applicabIe à ses
travaux ; le surplus rentre dans la classe des frais de
l'administration générale du royaume ; et lorsque pour
la première fois le compte des dépenses de la marine
sera suivi d'une responsabilité rigoureuse, il convient
d'autant plus que celle-ci soit divisée , que c'est déja
une tres-grande charge pour rºd . de la
- - - , l 2,
( 25o )
marine, que d'avoir, dans l'intérieur des arsenaux, le
dangereux dépot d'une multitude de criminels qui y
sont envoyés de toutes les parties du royaume : triste
et cruel speciacle qui nous a présenté plus d'une fois
celui de l'innocence opprimée, mais bientot flétrie et
corrompue par l'entourage du crime et de la misère !
Nous avons donc trouvé juste de ne comprendre
dans les dépenses de la marine que la moitié de
celles du traitement , et vous proposer de comprendre
à l'avenir l'autre moitié dans les fonds extraordi
naires accordés à ce département : nous remarquerons
ici que la cessation de la contrebande du sel opérée
par vos derniers decrets , et l'abolition des peines
qui en étoient la suite , diminueront à peu-près d'un
septième le nombre des forçats et produiront aussi ,
mais dans une moindre proportion , une diminution
dans la dépense, les frais généraux de garde , de
police et d'établissemens restans les mêmes, La dé
pense relative à l'entretien des consuls de la nation
dans les pays étrangers, comprise aussi dans les comptes
de la marine, n'ayant aucun rapport avec l'entre
iien de la fiotte et des arsenaux , semble aussi devoir
être séparée ; elle s'élève à la somme de . . . , . .
qui nous a paru devoir être classée parmi les fonds
extraordinaires, et qui est aussi susceptible d'une
réduction. -

Enfin , nous avons trouvé juste de déduire des


frais généraux de l'administration de la marine une
somme de 462,918 liv. , formant à peu près le quart
du total , et de l'imputer sur la dépense des colonies
qui doit être désormais distincte absolument de celle
de la marine. D'après toutes ces observations , le
comité a reconnu que pour le service de la présente
année , les dépenses fixes s'élèveroient -

à . . . , . . . . . . . . 16,718,254 liv.
l'entrctic n , le renouvellement et -

l'activité des forces navales , à . . - 12,281,746 liv.


Total. 3o,oco,ooo liv.
•n

#$ #Si#
' | ( 251 )
· Desquelles il faut déduire la dépense etrangère à la
marine, et acquittée par ce département, qui monte,
en y comprenant I2,ooo liv. pour J'entretien des
phares d'Ouessan, à 1,897,898 liv. ; ce qui réduiroit la
dépense effective de la marine à 28,Io2, Io2 liv. Un
fonds de supplément à employer en approvisionne
mens de réserve pour les cas de guerre, a été estimé à
2oo,ooo liv. Total des fonds ordinaires pour la ma
rine 32,ooo,ooo.
Nous ne diminuons point de cette somme celle des
réformes et économies que nous avons indiquées, parce
qu'un arrêté définitif ne peut être que le résultat
d'une constitution complette civile et militaire. Le
comité a cru devôir se borner à en présenter les
principes , présumant que si l'assemblée les adopte
tels qu'ils sont exposés dans ce projet de décret, le
travail subséquent du ministre de la marine rem
plira vos intentions.
Résumant donc les recherches et les observations
dont nous venons de vous rendre compte, nous trou
vons que depuis 1784 jusqu'en 1789, la dépense réu
nie du département de la marine et des colonies a
été , année commune, de 6,3oo,ooo liv., qu'il ne
nous a pas été possible de distinguer exactement dans
chaque année ce qui appartient dans cette dépense
à la marine proprement dite, et aux colonies ; que
cette division très-nécessaire n'est bien déterminée
que l'année dernière ; qu'il étoit dû au premier jan
vier 179o , sur les exercices antérieurs, 49,923,345 l.
La reddition des comptes arriérés de onze années et
l'excès des dépenses en ont fait rechercher les causes ; .
celles à la décharge de l'administration sont , qu'à
aucune époque de ce siècle, et dans aucun intervalle
de paix , la marine n'avoit été entretenue ni pour les
armemens, ni pour les constructions, dans une plus
grande activité ; que tous les bâtimens qui composent
la fiotte sont en état de tenir la mer ; que les maga
sins , à l'exception de ceux de l'artillerie, qui ne
' º'º : x-: - -
( 252 )
sont pas complets (1), sont approvisionnés pour une
campagne ; que toutes les marchandises et munitions
navales ont augmenté dans l'espace de dix ans , de
quinze à dix-huit pour cent. Mais, en examinant le
régime §l'et toutes les variations qu'il a su
bies, nous avons trouvé que la division d'autorité et d in
fluence sur les dépenses, la séparation marquée entre
la direction qui les détermine et la comptabilité qui
les expose , annulloient la responsabilité ; que la mul
tiplication des places et des agens, celle des formes
illusoires , des écritures surabondantes , nuisoient à
l'ordre ct à l'économie ; que les consommations n'a
voient pas été réduites à des règles précises ; que les
frais de toute espèce s'étoient accrus par-delà les pro
portions raisonnables ; que le retard dans les paiemens
avoit contribué au renchérissement dans les marchan
dises ; que le nombre des officiers militaires et des
agens de l'administration étoit trop considérable ; qu'un
régime plus simple et rapproché de celui de 1689, de
voit être invariablement établi.
Considérant enfin i'administration supérieure, nous
avons trouvé qu'elle étoit anciennement attribuée à la
charge de grand-amiral , qui avoit la sur - intendance
des mers et des arsenaux ; que l'inconvénient sensible
d'un ministère inamovible a fait réunir aux fonctions
du secrétaire d'état toute la partie active de ce dépar
tement ; qu'il n'est resté au grand-Amiral que des ex
péditions en commandement, qu'une jurisdiction con
tentieuse , exercée par ses officiers, et des droits utiles
perçus à son profit ; que de telles attributions d'une
dignité militaire, paroissent inconciliables avec la cons
titution ; qu'elle peut être utilement remplacée, quant
allX. expéditions en commandement , par un conseil

d'amirauté, qui auroit en même temps l'inspection


générale du département , et des détails d'exécution
dans les ports.

(1) Il manque 9oo canons pour l'armement des vais


seaux. Il sera ſait un travail particulier pour l'artillerie,
( 253 y \

Revenant ensuite à l'examen de toutes les parties de


la dépense, nous avons apperçu et indiqué les réfor
mes et les améliorations possibles par des opêrations
· successives. Mais la nécessité de les lier à un plan gé
néral de constitution civile et militaire , la facilité
d'en tenir compte à mesure qu'elles s'opéreront, nous
ont déterminés pour cette année à vous proposer d'ac
corder la somme de trente millions, demandée pour
les dépenses ordinaires de la marine , et en extraor
dinaires celle de 3,679,548, dont mous vous expose
rons particulièrement les détails. -

C'est d'après toutes ces considérations que votre


comité a l'honneur de vous proposer deux décrets ,
l'un pour la détermination des principes , l'autre pour
la fixation des dépenses du département de la marine.

JPROJET de décret, sur l'établissement et


l'administration de l'armée navale et des
CZ7"S€/ZCZZ/3C, -

L'assemblée nationale s'étant fait rendre compte de


l'état des forces navales, et voulant en soumettre l'ad
ministration
décrété et l'emploi
et décrete ce quiàsuit
des principes
: eonstitutiſs, a
, •

- ſ%
A R T 1 c L E P R É M I E R.

L'armée navale est instituée pour la défense des


côtes , la protection du commerce et des possessions
nationales dans les deux Indes. · · · ·

' I I. (

• Il appartient au roi de pourvoir au commandement,


à la discipline et à l'administration de l'armée navale
et des arsenaux , conformément aux principes consti
· tutifs , et aux fonds assignés par le corps légiſlatif.
r •--- . -
-
( 254 )
I I I.

Le service de l'armée navale sera rempli par les


hommes de mer classés et commandés à tour de rôle,
et par les officiers préposés par le roi.
I V.

(1) Tous les navigateurs pourront être admis au


grade d'officier , après avoir fait le nombre de cam
pagnes et subi les examens prescrits par les règlemens.
V.

L'armée navale sera fixée en temps de paix à soi


xante vaisseaux de lignes , dont sept à trois ponts, et
cinquante-trois de 74 ou 8o canons, soixante frégates
et autant de corvettes, flutes ou avisos. Elle sera por
tée en temps de guerre à quatre-vingt vaisseaux de
ligne, et l'augmentation des frégates et corvettes sera
, proportionnelle.
V I. \

La charge de grand-amiral ne pourra être qu'une


dignité militaire, sans aucun des droits d'adIninistra
tion et de jurisdiction qui lui étoient attribués.
V I I.

Les fonctions du grand-amiral pour l'expédition des


congés et lettres de marque aux armateurs , pour la
police des ports, en ce qui concerne l'exécution des
règlemens et ordonnances sur la pêche et la naviga
l

· (1) Il y aura un rapport particulier sur l'organisa


tion du corps militaire, et l'on pourra réuuir dans un
seul décret tous les articles constitutifs sur les classes,
l'armée navale, et l'administration. .
tion 7
-

#
( 255 )
tion, seront confiées à un conseil d'amirauté , dont
les membres seront nommés par le roi.
V I I I,

Le conseil d'amirauté sera chargé, sous les ordres


du Roi , de maintenir les principes et les formes de
1'administration , de proposer les règlemens nécessai
res, de faire poursuivre par-devant les tribunaux qui
seront déterminés , les prévarications , et il, enverra
annuellement des commissaires dans les arsenaux pour
en inspecter l'administration et la police. - -

l .

| I X. .
Le ministre du département sera seul chargé et
responsable de l'expédition des ordres d'armement ,
approvisonnement , travaux , et de ceux relatifs aux
opérations de guerre. |. , r

Le conseil de la marine actuellement subsistant ,


sera supprimé. . - -

- · X I.
l

La direction des travaux et des dépenses des arse


naux ne sera plus séparée de la comptabilité. Un seul
administrateur en chef dans chaque port en sera res
ponsable, et tous les agens de l'administration lui se
ront subordonnés. - - · .. :
Si un officier de marine est destiné à l'administra
tion d'un port, il cessera dès lors d'appartenir au
corps et au service militaire : les commissaires et em
ployés inférieurs de cette administration, seront aussi
susceptibles des emplois supérieurs, s'ils en sont res
connus capables. /
---- : - X I I.
Le commandant des armes, dans chaque départe
ment de marine , vérifiera tous les mois l'état des
, k
|
( 256 )
vaisseaux et des magasins; il inspectera les construc
tions , radoubs et carènes des vaisseaux, et il ren
dra compte de ses observations au conseil d'ami
rauté.
X I I I.

La comptabilité de la marine s'exécutera par des


livres à parties doubles , dont les extraits certifiés
seront les pièces justificatives des dépenses. Les comp
tes de chaque année seront clos et arrêtés dans les
ports , dans les six piemiers mois de l'année suivante.
X I V.

Il sera établi des écrivains sur les vaisseaux, et


des commissaires sur les escadres , pour tenir compte
des approvisionnemens et des consommations.
I

x v.
Les dépenses de la marine seront vérifiées et arrê
tées chaque année par les commissaires du conseil
d'amirauté, et par tels autres commissaires que le
roi jugera à propos de leur adjoindre , l'assemblée
nationale se réservant à prononcer sur la forme dans
· laquelle seront rendus les comptes définitifs de tous
les départemens.
| x v I.
Tous les emplois de l'administration des ports,
dont les fonctions ne sont pas évidemment utiles ,
seront supprimés , et le nombre des agens en tous
genres sera successivement réduit à ce qui est né
cessaire. . -

' - - . X V I I. .

Le roi sera supplié de faire rédiger un plan d'éta


blissement civil et militaire de la marine , d'après les
principes constitutifs du présent décret.
* • - -
( 257 )
Note sur le second projet de décret.
Je répète encore, que de grandes réductions dans
les dépenses , ont été ordonnées et opérées depuis un
an ; et c'est parce qu'on ne peut pas trancher brus
quement d'anciennes opérations d'armement, d'appro- ,
visionnement , de transport de troupes ou de garnison
dans les colonies, qu'il doit y avoir des reliquats à payer
sur les dépenses extraordinaires. |

2°. Les économies indiquées dans le rapport portent


essentiellement sur les vivres , appointemens , solde et
frais d'administration ; leur fixation précise exige un
plan détaillé, et le comité a cru que ce plan devoit
être proposé par le ministre.
3°. Il n'y a rien de si facile que de réformer et de
réduire tout ce qui tient aux personnes ; on peut en
employer moins ; mais il faut cependant se déterminer
par des considérations de justice , et par celle des
moyens de service nécessaires. Or, c'est au pouvoir
exécutif à déterminer le nombre d'agens dont il a be
soin pour remplir le service ordonné. Ainsi, les cal
culs présentés sur les frais d'administration , appointe
ment et solde, n'ont pû être arbitrairement réduits
comme ils le sont, dans plusieurs plans communiqués
au comité. Nous estimons à quatre cents mille francs
la diminution actuellement possible sur tous les frais
d'administration ; ce qui ne peut se faire qu'en rédui
sant le nombre des places et la quotité des traitemens,
mais pour les emplois supérieurs seulement, car les
emplois inférieurs ont, en général , une solde modique.
Il a donc paru suffisant d'indiquer ces changemens, ee
de demander que le ministre en fasse connoître les dif
ficultés ou les moyens. ·
Il en est de même des dépenses relatives aux cons
tructions et radoubs, aux armemens , approvisionne
mens et consommations de toute espèce. Un vaisseau
construit coûte tant, un vaisseau armé coûte tant. Il
n'y a pas de réformateur en état d'assurer que cela
2
/ --
( 258 y
n'est pas vrai , parce qu'il ne sçauroit garantir en con
noissance de cause, ce que l'on peut réduire sur les
prix des matières , à raison des circonstances anciennes
et nouvelles, sur le nombre des ouvriers, leur salaire ,
leur bonne ou mauvaise volonté, la nécessité momen
tanée d'en employer au-delà du besoin , la bonne ou
mauvaise qualité des approvisionnemens ; mais un
homme sage peut répondre qu'au moyen de toutes les
combinaisons qui concourent à la véritable économie,
l'entretien de l'armée navale peut se faire à moins de
frais que par le passé ; et c'est dans les anuées sui
vantes qu'une administration surveillante , et suffisam
ment autorisée, peut présenter des bases d'apprécia
tion exactes pour tous les genres de dépenses possibles.

SECOND PROJET de décret, portant


assignation des fonds au département de
la marine.

A R T 1 c L z P R E M I E R.

Les constructions nécessaires au renouvellement de


la flotte seront fixées , pendant la paix , à six vais
seaux de lignes, dont un à trois ponts et cinq fré
gates. -

- I I. ,

Pour satisfaire à cette dépense et à celle de l'entre


tien et radoub de tous les bâtimens flottans , il sera
accordé au département de la marine, pendant la pré
sente année, une somme de 1 1,844,478 liv.
I I I

Il sera accordé pour la solde des armemens or


· donnés par le roi , pour la présente année , une somme
de 4,873,776 livres.
' ( 259 )
I V.
Les dépenses fixes telles qu'elles sont énoncées en
l'état arrêté au conseil du roi pour la présente année ,
seront allouées à la somme de 13,28),744 livres.
, V.

Les sommes ci-dessus formant en total celle de


3o,ooo,ooo, pour les dépenses ordinaires , seront mi
ses, à raison d'un douzième chaque mois, à la dispo
sition du ministre de la marine , dont les mandats se
ront reçus et acquittés sans difficulté au trésor public.
V I.

Les dépenses de la marine seront séparées de celles


des colonies , et les fonds assignés à l'un de ces deux
services ne pourront dans aucun cas être employés A°

à l'autre.
V I I.

Les dépenses extraordinaires de la marine pour


la présente année seront allouées à la somme de
3,679,548 livres, dont les fonds seront également re
mis à la disposition du ministre, à raison d'un dou
zième chaque mois.
V I I I.

Il sera rendu compte de l'emploi de ces différentes


sommes, et des économies qui pourront être opérées
à raison des réformes et réductions qui auront lieu
par la nouvelle organisation de l'établissement civil
et militaire de la marine.
( 26o )

RAPPoRT fait à l'assemblée nationale dans


la séance du 12 juin , au nom des comités
des finances et de la marine , sur les
dépenses extraordinaires qu'occasionne
l'armement ordonné par le roi.
PAR M. MALoUET , commissaire des deux comités.
Imprimé par ordre de l'assemblée nationale.

M E S S I E U R s,

Le rapport que j'ai fait hier n'étoit point écrit ;


j'ai eu l'honneur de vous rendre compte verbalement
des divers articles de dépense énoncés dans l'état du
ministre , qui ne présente que des résultats ; j'ai ex
pliqué tout ce qui me paroissoit susceptible d'ex
plication. L'assemblée en décrétant provisoirement
trois millions d'à-compte sur la dépense de l'armement,
et en ordonnant l'impression du rapport, desire sans
doute plus de développement dans les détails : ainsi ,
en rappellant ce que j'ai dit , j'ajouterai quelques
observations relatives à celles qui ont été faites ; mais
je vous prie , messieurs, de remarquer qu'il ne sagit
point ici de discuter le systême général des dépenses
de la marine ; c'est dans l'examen du régime écono
mique , de ses principes et de ses formes , que vous
reconnoîtrez si les dépenses peuvent être réduites à un
moindre terme. J'ai commencé cette tâche dans un
remier rapport , imprimé il y six semaines ; et
† l'assemblée aura arrêté des bases d'adminis
tration pour le département de la marine , si elle
juge à propos d'en examiuer à fond toutes les parties ;
# lui plaît d'entrer dans les détails et de se faire
rendre compte de tous les objets de dépense , ils
seront successivement mis sous ses yeux. --- Les
· · ( 261 )
moyens les plus économiques lui seront présentés,
non avec cette assurance qui imprime à une simple
opinion le caractère d'une démonstration , mais avec
le desir sincère de parvenir au meilleur ordre possible
dans cette administration. - |
Aujourd'hui , messieurs , il s'agit de vous faire
connoître à quelle somme le ministre de la marine
porte la dépense de l'armement ordonné par le roi ,
et quel sera l'emploi de cette somme. --- Les soldes,
traitement des officiers et gens de, mer , les vivres et
munitions à embarquer sur chaque espèce de bâtiment,
sont réglés par les ordonnances. --- Si la dépense
proposée par le ministre de la marine , et qui s'exé
cute déjà d'après les ordres du roi, est conforme aux
réglemens , l'état qui vous a été présenté, ne paroît
à vos comités susceptible dans ce moment-ci d'aucune
autre observation : car ce n'est point de ces régle
mens , ce n'est point du régime économique de la
marine , dont vous m'aviez ordonné de vous rendre
compte aujourd'hui , mais d'un ſait particulier , d'une
demande de fonds , et des motifs qui la déterminent.
Ainsi , lorsqu'on a paru improuver l'article de dé
pense relatif à la table des capitaines et état major ,
je n'ai pas cru avoir, quant à présent, autre chose
à répondre , si ce n'est que l'état est conforme aux
tarifs subsistans. --- Lorsque , l'assemblée jugera à
propos de les réduire , ce ne sera probablement
qu'après avoir comparé le traitement des officiers des
différentes marines de l'europe , et avoir examiné
s'il ne convient pas de déterminer les cas de guerre
et de paix , de relâche dans les colonies , dans les
pays étrangers, qui , établissant des différences sen
, sibles dans le prix des denrées , en exigent aussi dans
le mode de réduction. -

L'état du ministre dont vous avez ordonne l'im


pression, s'élève au total à la somme de 13,782,34o l.
Il est divisé en douze principaux articles, sur chacun
desquels je vais vous présenter les détails qui peuvent
être considérés comme les élémens des calculs que
l'état ne contient qu'en masse.
( 262 )
Le premier sous le titre de réparations à l'arme
ment , monte à 15o, 1oo l. - -

Il a été évalué d'après les bases que voici :


Pour un vaisseau de 1oo canons. . . .. 12,ooo l.
Pour un de 8o , 8ooo l. ; et pour deux 16,ooo (1}
Pour un de 74, 7ooo l. , et pour 11 , 77,ooo
Pour une frégate portant du 18,
3ooo l. et pour trois. . . . . . . . 9,ooo
Pour une portant du 12 , 2ooo l. , et
pour t 1 . . . . . .. • . . . - . . . 22,ooo
Pour une corvette, 1ooo l., et pour 4, 4,ooo
Pour un aviso, 8oo l, et pour 6 . . . . 4,8oo
Pour une flûte , 18oo l. , et pour 2 3,6oo
Pour une gabarre , 135o , et pour 2 27ooo
-*

151,1oo l.
Cette dépense a pour objet les emménagemens
intérieurs, cloisonnages et distributions ; les répara
tions de vitrerie , serrurerie , peinture etc. Il n'est
pas inutile d'observer qu'en prenant pour base les
sommes ci-devant indiquées, on ne doit point les
regarder comme fixes et invariables; elles sont cer
tainement susceptibles de réduction ou d'extention ,
suivant que la visite exacte qui précède l'armement
d'un vaisseau, fait reconnoître le plus ou le moins
de nécessité de ces réparations , qui dépendent elles
mêmes de l'âge des bàtimens, du nombre de campa
gnes plus ou moins fréquentes , plus ou moins ré
centes qu'il a faites. Je présume donc que, dans cette
évaluation , on a , d'un côté, consulté l'expérience,
et de l'autre cherché le moyen de ne pas rester au
dessous d'une dépense que sa nature inévitablement
variable , ne permet pas de fixer avec une extrême
précision. -

Le second article est celui des eonduite d'équipages


et journalier d'armement.
(1) L'état ne porte que 15,ooo livres : c'est une
erreur de calcul. -
R A P º o n T sur les Dépenses extraordinaires de l'Armement, par M. MA z o v e r, page 263. .

Etat-Major, Elèves Officiers- A- A• • T o T A T,


compris et Canoniers. | Timonier. | Matelots | Pétaehemenº | Mousses. ººººººº- |#
les officiers voiontaires.1 Mariniers . - de Troupes. et Valets, du nombre #
des roupes. . - - - - d'Hom rr es,
— •--(

r Vaisseau1 º # IO C21: C11S. • . 2.I - 9 77 62 8 6oo I7o 75 36 I,o58


- 2 ---- de 8o canons.. , ... ,. , 34 I4 I2.O 99 I4 r,oo6 · 26o I2O 54 - I,712
,
| -
|
-

II ---- de 74 canon - -- -
187 77 6o5 462 66 4,443 I, IOO 552 | 286 7,777
| 3 ººgººº Pºrt du º 33 I 2. Io8 66 I2, 48o 136 78 | ;r | 975

| | ---- portant du 12........ J. IO 44 33o 2.2O 44 I , 44 L 385 242 165 2,98r


* ººº … 32 I2 8o 56 8 248 I OO 56 44 636
6 ººººº … 42 I2 - 84 6o T2, 288 6o 66 48 - 672
2 Flûtes....................... I6 4 22 C> 4 96 , O 22 22, I86

2 Gabares...................... | r4 4 2O C 4 8Q O ^- I8 IO 158

489 I6, I 55
#,
( 262 )
Le premier sous le titre de réparations à l'arme
ment , monte à 15o, 1oo l. -

Il a été évalué d'après les bases que voici :


Pour un vaisseau de 1oo canons. . .. 12,ooo l.
Pour un de 8o , 8ooo l. ; et pour deux 16,ooo (1)
Pour un de 74, 7ooo 1. - e+ ------ -

- #ſ*- º rtue l & C /

(1) L'é:: I5,ooo livres : c'est une


erreur de c
( 263 )
Je puis, messieurs, vous présenter un développe
ment détaillé de cet article ; et si je ne me rencontre
pas exactement pour la somme totale avec le rédac
teur de l'état , j'indiquerai les causes de la différence.
L'ensemble de cet article se compose de trois parties
distinctes, sur chacune desquelles je vais tâcher de
vous donner des notions justes.
1o. La conduite , c'est-à-dire la somme payée à
chaque homnte de mer pour ses frais de route , de
puis le lieu de sa résidence habituelle, jusqu'au port
où il est embarqué ; cette conduite est payée à raison
de 5 s. par lieue à chaque officier marinier , et de
4 s. à chaque Matelot. Comme ces marins sont levés
en divers lienx plus ou moins distans du port de
l'armement , on a pris pour distance moyenne 5o
lieues par homme ; et l'usage adopté dans le dépar
tement de la marine , et de calculer, dans la dépense
d'armement , la conduite pour l'aller et le retour,
attendu qu'il ne demande point de fonds pour la
conduite au désarmement. Il s'ensuit donc qu'il faut
compter sur cent lieues par homme, ce qui exige
une dépense de 25 livres pour chaque matelot.
2°. La demi - solde accordée a chaque homme
pendant la durée du journalier ; laquelle durée est
communément établie sur le pied d'un mois.
3°. La valeur des rations fournies , aussi pendant
un mois, aux hommes employés à l'armement. .
Pour vous mettre, messieurs, complettement en état
de faire l'application des trois données que je viens
d'avoir l'honneur de vous indiquer , je crois devoir
vous présenter un tableau qui vous fera connoître le
nombre de l'espèce d'individus qui composent les
états majors , les équipages , et les garnisons des
· bâtimens compris dans l'armement dont il est ques
tion aujourd'hui , en distinguant ceux qui reçoivent
la conduite , la demi-solde et la ration. Voir le
: tableau ci-joint. - -

1o. Les états majors, les élèves et volontaires ne .


: reçoivent ni conduite , ni demi-solde , ni rations.
2*.- La moitié du nombre des canoniers étant
L. l
( 264 )
fournie par le Corps-Royal des canoniers matelots,
il n'y en a que 5o8 qui reçoivent la conduite comme
matelots , ainsi que la demi-solde.
3o. Les timoniers sont traités, pour leur conduite ,
comme les matelots. /

| 4o. Les troupes destinées à fournir les garnisons


des vaisseaux , ne reçoivent point de conduite, non
plus que les mousses, les surnuméraires et les valets.
Sous ces dernières dénominations , on comprend les
seconds et aides-chirugiens , les apothicaires , les
commis des munitionnaires , les bouchers, boulan
ers et tonneliers. Quant aux valets, ce sont cenx
† officiers, ils sont au nombre de 17 sur le vais
seau de 1 1o canons , et en proportion dégradative
sur les bâtimens de rangs inférieurs. -

D'après ces observations préliminaires, voici de


quelle manière il me paroit convenable d'établir le
calcul de cet article.

1o. Pour conduite de 1446 officiers


mariniers , à raison de 25 livres pour
chacun , . . . . - . - - . . . . - . 36,15o l.
2°. Pour celle des timoniers , cano
niers des classes et matelots. . . . .. . 187,26o
3o. Pour la demi-solde , pendant un
mois , des officiers-mariniers , cano
niers des classes , timoniers, matelots et
mousses , en tout 1 1,864 hommes. 147,991
4o. Pour le prix des rations à four
mir, pendant un mois, au même nombre
d'hommes, à raison de 17 s. par chaque
ration. , ... . - . - - . . . . . . . . .. 3o2,532

Total · · · · · · · · · · · · .. 673,933 l
L'état adressé par le ministre présente , pour cet
article , une somme de 818,1ooo livres , ce qui me
fait présumer qu'on a compris dans ce chapitre un
mois de solde entière pour le journalier , au lieu de
( 265 )
la demi-solde seulement qu'il étoit autrefois d'usage
d'allouer en pareil cas. Peut-être a-t-on prévu que les
circonstances actuelles pourroient faire naître des
difficultés ou donner lieu à des prétentions extraordi
maires , auxquelles il étoit prudent de se mettre en
état de pourvoir provisoirement , par le moyen d'un
fonds disponible au besoin.
Le troisième article , ayant pour titre : Dépéris
sement de la mâture, des agrès , voiles , poulies, fu
tailles , etc. , s'élève , pour les 42 bâtimens, à
145,o32 livres par mois. Il me paroît, ainsi que
plusieurs de ceux qui le suivent, susceptible des obser
vations que j'ai faites au premier article ; c'est-à-dire
qu'il est physiquement impossible de déterminer avec
une précision mathématique la mesure de cette con
sommation pour chaque mois. Il est aisé d'appercevoir
qu'elle est plus marquée dans les derniers que dans
les premiers mois d'une campagne ; que des combats
et des coups de vent ont une grande influence sur
ce dépérissement. Il a donc fallu encore , à cet égard ,
substituer les leçons de l'expérience , à l'instruction
qu'aucune méthode sûre n'auroit pu procurer , et fixer
spéculativement une dépense que nulle prévoyance
ne peut calculer justement d'avance. -

Au surplus , l'évaluation ne paroîtra pas exagérée,


lorsqu'on fera attention qn'un an de campagne ordi
naire exige souvent le renouvellement total du re
change en gréement et en voilure , ainsi que de la
majeure partie des futailles , que leur position , dans
la calle , expose à un prompt dépérissement. Les
événemens de la guerre , et les accidens plus ou moins
communs à la mer , ont, à l'égard de la mâture ,
des causes d'altérations, ou même de perte totale , sur
lesquelles on ne parviendroit pas encore à prendre
une idée juste , en prenant pour base le taux dcs
assurances du commerce.
Le quatrième article présente l'évaluation du dépé
rissement du doublage en cuivre. Il est indiqué avec la
mesure déterminée d'un trente-sixième par mois,
c'est-à-dire qu'on a estimé la durée d'un doublage à
trois ans. . - : L l 2
( 266 )
Il a été fait à cet égard une observation que je dois
rappeller.
On a remarqué qu'à l'expiration des trois ans , le
cuivre , bien qu'il ne fût plus propre à servir au dou
blage , conservoit encore une valeur quelconque qu'il
paroîtroit juste de déduire du montant du dépérisse
II1ent.

Le doublage d'un vaisseau de 1 1o canons emploie


333,75o livres en feuilles , et 4,8oo livres de cloux ;
les unes au prix de 27 s. 6 d. la livre, les autres à
celui de 38 s., ce qui s'élève au total à 55,526 livres ,
non compris la main-d'œuvre.
(1) Le vieux cuivre hors de service, se vend en
viron 16 s. la livre ; mais à l'époque du dédoublage ,
le poids ne s'en trouve pas , à beaucoup près le même ,
et cette altération de poids est variable comme les
causes qui la produisent ; ensorte qu'il est presqu'im
possible d'établir le rapport qui existe entre le prix
de revente et celui d'achat. Il est donc difficile de
déterminer la proportion dans laquelle ce prix de
revente devroit entrer en compensation dans le mon
tant du dépérissement pour chaque mois.
Enfin , il en est de même de la dépense de cons- .
truction qui se calcule en entier sans en déduire la
valeur des bois et des fers qui pourront être vendus
lors de la démolition. Mais les vieux cuivres , comme
les bois et ſers de démolition, font partie des recettes
extraordinaires de la marine , dont l'administration
est comptable, comme de tout autre objet de recette.
Les cinquième et sixième articles sont encore établis,
d'après l'expérience , et sans qu'on en puisse produire
les détails avec précision : l'un , journees d'hôpitaur,
plus-value de la viande fraîche, et autres dépenses im
prévues , a pour objet les secours à donner aux ma
lades , soit en cas de relâche aux Colonies , ou en

(1) Il y a peut-être dans ce moment-ci pour 4oo,oool.


de vieux cuivre dans les arsenaux, qu'on livre aux
entreprencurs à mesure qu'ils les demandent.
,• • ( 267 ) . .. · -

pays étranger, soit qu'il existe, à la suite de l'armée ,


un vaisseau hôpital. -

L'autre, consommations journalières de diverses mu


nitions et marchandises , a pour objet le remplacement .
successif d'un très-grand nombre d'articles autres que
ceux nécessaires aux gréement , équipement et arme
ment : la nomenclature en est infiniment étendue.
Mes précédentes observations sont applicables à cet
article. -

Les sept , huit et neuvième sont déterminés d'après


les dispositions des ordonnances et réglemens.
Dixième. Les appointemens des aumôniers sont
fixés sur le pied de 5o livres par mois pour chacun ;
les ferremens des chirurgiens leur sont payés sur le
pied d'un sol pour chaque homme par mois.
h Uu honorable membre a conclu du rapprochement
| de ces deux articles disparates, que l'état étoit mal
rédigé, et qu'il y avoit # d'articles. S'il
| avoit voulu faire attention à la somme de 1 13 liv.
pour les deux objets, il auroit reconnu que les menus
frais s'expriment plus communément en masse que
par § séparés ; et au lieu de s'offenser du rap
prochement apparent d'un aumônier et d'un instru
ment de chirurgie, il n'auroit vu que celui de deux
petites sommes comprises en un seul article.
Onzième. La solde des équipages doit être évaluée
plus haut, au moyen de l'augmentation que vous avez
décrétée , messieurs , en faveur des marins. Je ne crois
pas que la répartition personnelle en soit encore
faite : je l'évalue donc provisoirement, et j'estime que
cet article doit être porté à 3o7,847 l. -

Je remarquai ici relativement à cette augmentation


de solde , que celle qui s'applique aux maîtres peut
être snsceptible d'une nouvelle discussion, dont le
résultat pourroît leur être plus avantageux.
Le douzième et dernier article présente le montant
de la subsistance. Il n'est porté qu'à 356,71 1 I. et
devroit l'être à raison de 41 1,957 l. , en y comprenant
l'augmentation de 2 s. au prix de chaque ration de
mer , laquelle augmentation forme le montant d'un
article additionnel de 588,484 livres pour douze mois,
( 268 )
J'observerai que l'énonciation de cette derniêre
somme est une légère erreur de calcul , et qu'elle
n'auroit dû être estimée qu'à 581,58o l. -

Cette plns value de la ration ne me paroît pas esti


mée trop haut. Le prix en avoit d'abord été calculé
à raison de 15 s. ; -- en le montant à 17 s. c'est
l'augmenter de deux quinzièmes ; mais il est à obser
ver que le bled qui coûtoit, les années dernières , de
13 à 14 livres le quintal , a été payé récemment plus
de 18 livres; l'augmentation de prix de cette denrée
est donc de deux septièmes ; mais, comme elle n'est
pas la seule qui entre dans la composition de la ration
de mer ; que le prix des salaisons , des légumes, des
vins , etc. , n'a † reçu un accroissemeut proportion
nel, on n'a évalué qu'à un septième l'augmentation
de la valeur totale de la ration ; ce qui semble suffisant,
mais non pas exagéré. | -

Il ne me reste plus , messieurs , qu'à vous rendre


compte de la somme de 2oo,ooo livres évaluée pour
le traitement , pendant un an , des officiers supé
rieurs qu'on a supposé devoir être employés dans l'es
cadre : elle est susceptible d'augmentation ou de réduc
tion , suivant les grades et le nombre de ces officiers
qui seront employés , dont on n'avoit pas connois
sance au moment de la rédaction du projet de dépense.
Voici , au surplus, les principes d'après lesquels elle
a été provisoirement calculée , et qui sont établis par
le réglement du premier janvier 1786.
Au vice-amiral , par mois , . . . . . . 48oo I.
Au lieutenant-général commandant en
chef , idem. . - . - . . . . . .. • . . ... . 36oo
Au chef d'escadre commandant en chef. 3ooo
--- Commandant une divison. . . . . . . 24oo
Au capitaine de vaisseau, commandant -

une escadre de six bâtimens. . . . . . . - 2 1oo


--- Commandant une division de six bâ
timens. .. .. : . : . .. · · · · · · · · ºoo.
· On fait une évaluation estimative de cette
dépense, en partant de ces différentes fixa-.
tions. -
| ( 269 ) - -

Il résulte , messieurs , de ces expHcations , que


J'état qui vous a été présenté par le ministre , expose
les dépenses effectives qui ont lieu pour l'armement
ordonné , d'après les réglemens et tarifs subsistans :
car la différence en plus que j'ai établie ci-dessus sur le
calcul des demi-soldes ne peut être une erreur , soit
par les motifs que j'ai supposés, soit parce qu'il est aussi
ossible que cet excédent soit employê en avances de
† aux matelots au moment de leur arrivée ; et
lorsqu'une dépense quelconque est tariffée par des
réglemens : il n'y a point d'erreur qui ne puisse être
facilement apperçue et réparée ; il n'y a point de
compte qui ne puisse être vérifié et rigoureusement
jugé. Ainsi , messieurs, les trois millions qne vous
avez décrétés provisoirement , doivent paroître main
tenant sous une forme comptable , et j'ai indiqué dans
mon premier rapport comment la comptabilité peut
être plus simple , plus régulière , plus accélérée que
par le passé. -- Quant à l'économie , j'ai dit et je suis
convaincu que les dépenses de la marine sont suscep
tibles de réduction ; mais la volonté du corps législatif,
qui suffit pour réformer , pour supprimer, doit être
aussi éclairée qu'elle est puissante ; et comme l'écono
mie s'applique aux dépenses relatives aux hommes et
aux choses, c'est-à-dire aux agens entretenus et aux
consommations , il faut, avant de réformer, connoître
et déterminer le nombre d'hommes nécessaire à un
service quelconque ; le traitement qu'il est juste de
leur allouer , pour qu'ils trouvent dans leur état une
compensation satisfaisante de leur dévouement; il faut
apprécier les consommations nécessaires et celles qu'on
exagère ; et il faut , par-dessus toutes choses , que
l'administration soit conçue et ordonnée de manière
que son bon esprit et sa surveillance supplée à l'insuffi
sance de ces calculs approximatifs, que des évènemens
imprévus déconcertent, et que l'expérience seule peut
rectifier. -- C'est par ces considérations , messieurs ,
que j'ai pensé que lorsque vous auriez fixé les prin
cipes et les bases du régime économique de la marine,
de sa constitution , toutes les réductions , tous les dé
( 27o )
tails et les motifs des dépenses devoient être discutés
contradictoirement entre la direction active de ce dé
partement et votre comité , pour en être rendu compte.
Les diverses dépenses dont on a rendu compte ,
élèvent celle d'un vaisseau de 1 1o canons ,
par chaque mois , à . . . . . . . . . . . 58,363 l.
D'un vaisseau de 8o , à . . . . -
. 5o,814
e © ©

D'un vaisseau de 74, à . . . . . . . . . 44,o39


D'une frégate portant du 18 , à . . . . 22,897
D'une , idem , portant du 12 , à . . . . 19,537
D'une corvette, à . . . . . . . . . . . 9,944
D'un aviso, à . . . . . . . - . . . . . 8,o14
D'une flûte, à . . . . . . . . . . . . . 9,348
D'une Gabarre , à . . . . . . . . . . . 7,467
.

©. ſ"
Page 27o.
ETAT des frais d'armement de I4 Vaiſſeaux, I4 Frégates, 4 Corvettes, 6 Aviſos, 2 Flûtes
& 2 Gabarres, dont l'équipement vient d'être ordonné par SA MAJESTE. E - I E # : º, -"

NoMs DEs PoRTs


-
-

N O M S D E S M A T I É R E S. - #| -

14 V A l S S E AU X. 14 F R É/, G A T E S. - -

où les bâtimens NOMIS DES BATIME N S. ## - _-^-- 4 CORVETES. 6 A V I S O S. |2. F L U T E S. | 2.GABARRES. | T o T A U X.


F et des autres dépenses d'armement. -

SerOnt armés. # 1 de 1 1o can. | 2 de 8o can | r 1 de 74 can. | 3 port. du 18. | 1 1 port. du 12

V A I S S E A U X. D É P E N S E P R É A L A B L E

Le Majestueux . . . I I C CalIlOIlS .

L'auguste. . . . . " 8o canons.


durée des campagnes.
Les deux freres. . .
L'américa. . . . . . —-xmEE#x-ºm

B R EST . . . 9 (Le Dugay-Trouin. .


Le Ferme. . . . . .
† . li , d' ° ° ° ° ° ° ° ° # 12,ooo I. 15,ooo l. 77,ooo l. # l. 2ººooo l. 4,ooo l. 4,8oo l. 3,6oo l. 2,7oo 1. 1 5o, 1 oo !.
Conduite de l'équipage et journalier d'armement . . - 47,ooo 78,ooo 4o4,8oo 52,5oo 156,2oe 32,8oo 28,8oo Io,4oo 7,6oo 818,1oo.
Le patriote . . . . .
Lc superbe . . - . .
Le téméraire . .. . .
74 canons. D E P E N S E
- -
C O U R A N T E ,| 59,ooo l. 93,ooo l. | 481,8oo l.
-

61,5oo l. | 178,2oo l. 36,8oo l. 33,6oo 14,ooo 1. | 1o,3oo 1. 968,2ool.


Le Borée . . . . . .
L'OR IEN T . . 3 { | • • • pour un mois de campagne.
- | * Le fougueux . . . --m-xxx# ,m

ROCHEFORT. * L'Orion.
tLe . . .. .. .. ..
Générenx de la mâture , des agrès , voiles, pou- -

A.

- lies, futailles , . . . . . . . . . . 6,8oo 12,8oo 66,ooo 1o,5oo 31,9oo 5,ooo 6,9oo 22932 2,2oo. 145,o32.
| 4 Vaisseaux Dépérissement<(du doublage en cuivre, estimé au tier
F R É G ATE S. de la valeur pour un an, et consé
quemment au 36me pour un mois. J. , 72O 2,53o 1 1,946 2,2 458 1, 152 I , 2OO 1 , 242 , 5o, 2 5,
B R E ST . . . . La Cibelle . . . . . " | " 2 ) 3277 7, 2 3 124 4 9397
L'ORIENT . . 4 3 # Proserpine. . . 3Po . 18. | Journées
LUranie . . . . . .
d'hôpitaux, plus value de la viande fraîche , #
et autres dépenses imprévues. - - - - - - - - - - - | 3,5oo 3,2oo 26,4oo 4,5oo 13,75o 2,832 3,96o 75o. 5oo, 61,392.
- #†| | | | : Consommations journalières de diverses munitions et $ - -

La Danaé. . . . , . marchandises. . . . . , . . . . . • • • . . . . . . # 2, 1oo 3,584 18,326 2,748. 9,163 3, 164 2,4oo 542. 418. 42,445.
# RE ST . . . . 8 §§
La Fine. . . . . . . - Tables ( du #pita • •
: · · · · · · · · · · · · · · #
• 1,35o 2,7oo 1 4,85o 3,6oo 13,2oo 3,36o 5,o4o 1,38o. 1,38o. 46,86o.
| |'* †, ' * ? .* °.) Port. du 12.
La Surveillante. de l'Etat-Major. . . . . . . . - . . . . . #
| 1,7
37 IC 2 ,77
r7OO 14,85o
) 2,7oo 8,o1o
»9 ° 2,52o
2 3.24
224O 1,26o
2-ºv-' - 1,o8o
} -
38
90,97C.
L †º
L'Amphitrite . . . . Subsistance en argent des éleves et volontaires. . .
- - - - # 27o 42o 2,31o |
36o 1,32o 36o 324
•)
1o8. 1o8. 5,58o.

ROCHEFORT . 3 # L'embuscade
: - - -
Appointemens des aumôniers et ferremens des chirur- |.
glens. - • • • • • • • • • • • • • - - - C - c - < > 1o3 186 946 2O I 7o4 228 33o 1 1 2. 1o8.
-

2,918.
La Capricieuse . . . ! Solde des équipages . . - . - . . . .. • • • • • • • . # 17,o74 27,768 $o,361 16,9o2 52,25o 1o,o8o 1o,974 3,612. 3,234. 272,255.
1 4 Fregates. Subsistance des équipages . • • • . . . - . • • • • • 27,o26 43,713 198,47o 24,877 76,o12 1o,2 1o 13,363 6,7o6. 5,374- 4o5,761 .
C O R V E T T E S. Traitement
mois , à • des
• • •officiers
• • •| - généraux. ,. évalué
• • • ,pour
. . .un. ## | » »
o o ° o • D>
-

2X
-

5> >> D2 >2 X2 ,) XD Y» º) X) )2 x> D2 X2 16,667.


La Cérès . . , . . . -

B R E ST 3 La Fauvette. . . . . -

º !
de Cas- 61,653 l, 1o1,6o1 l. 484,459 l. 68,665 l. 214,667 I. | 38,9o6 1. 47,731 l. 18,644 l. 14,852 l. | I,o67,845 l.

ROCHEFORT . 1 La Favorite. - . . . | -- 7 - . - - EEE , | -

4 Corvettes- - - -
- S O M M A T R E
E
A V IS O S.
La Levrette LEs DÉPENsEs coURANTEs détaillées ci-dessus , montent, pour un mois ordinaire , à . · · · 1,o67,846
- - - - - - ->

liv,
Le Papillon. . . . . - , 9 r / X • -

6 )Le § • • • • • | A ajouter pour la dépense préalable, à payer une fois seulement · · · · · · · · · · · · · · _9º°
le Cerf . . · · · . • i T o T A L de la dépense du premier mois . . - . - . - 2,o36,o45 l.
(# Serin . . . . . - -

B R EST . . L'Espiegle . . . . . | A -

F L U T E S. | -
Nota Il sera nécessaire de donner sur cette somme de 2,o36,o45 liv. celle de 5oo,ooo liv. en espèce
pece pour
p la dépense des
Le Marsouin . . . . : · conduite et solde des équipages et appointemens des officiers embarqués.
* ) La Normande. . . . - A
G A B A R R E S. LA L U z E R N E.

L'ORIENT . . 1 L'Espérance. . . . .
ROCHEFORT. 1 La Truite. . . . . .
2 Gabares.
~=--~~~ -…….…. --~~
~~=
( 271 ) -

===ENE,

M É M O I R E
A consulter chez les Nations étrangères,
par M. MA Lover.
–•º ,m•

GC EN lisant le Mémoire justificatif de M. d'Orléans,


j'ai été très-étonné de me trouver jugé par ses conseils ,
anti-patriotique. l)ois-je m'en plaindre , ou m'en féli
citer ; Tel estl'objet de ma consultation. Mais comme ,
dans ce moment-ci, il y a plusieurs espèces de patrio
tisme en France ; bien décidé à n'échanger le mien
contre aucun autre , je désirerois savoir ce que signifie,
chez tous les peuples de l'Europe, le mot anti-patriote.
Si c'est le synonime d'anti-factieur, je remercio les
trois avocats patriotes de m'avoir rendu justice. Il est
certain que je ne connois, et ne veux connoître d'autre
manière d'aimer et de servir mon pays , qu'en y res
pectant l'ordre public et les autorités légitimes. J'ai
autant d'aversion que de mépris pour toutes les fureurs
et les vanités dominantes. Leurs succès , leurs éloges ,
ni leurs menaces ne me détourneront pas de la voie
droite où j'aime à marcher : de quelque côté qu'arrive
la tyrannie , je la hais , et je la brave. Je sais bien
qu'avec des injures et des menaces on se flatte d'en
imposer ; mais j'ose dire, que c'est du tems et de la
peine perdus vis-à-vis-de moi ».

Si on entend par anti-patriote, un mauvais citoyen ;


*. , lYi m
( 272 ) -4

je demande aux nations étrangères, si elles regardent


comnie mauvais citoyens , les hommes qui n'élèvent la
voix que pour s'opposer à la licence et à l'injustice :
qui , ayant le droit et le devoir de manifester leur
opinion et leurs principes politiques , défendent avec
courage ceux qu'ils croient conformes à la raiseu, à
l'expérience et aux véritables intérêts du peuple.
Je demande aux hommes sensés de tous les pays ,
s'il peut y avoir une véritable liberté , une législation
équitable et respectée , là , où trois avocats peuvent
s'arroger le droit , dans une consultation , de qualifier
d'une manière infamante les opinions d'une portion
considérable du corps législatif ? -

« Je demande aux publicistes des nations étrangères,


ce qu'ils pensent , constitutionnellement, de la liberté
dont jouissent ces trois avocats , de m'insulter impu
nément , et de l'impossibité où je suis d'obtenir aucune
réparation légale ; car j'ai essayé mes forces et celles
du chàtelet, contre les Marat , les Besmoulins , et
toute la puissance des loix est venue se briser aux pieds
de leur patriotisme ». -

» Ces trois avocats , dont je suis bien aise de faire


connoître les noms et le patriotisme aux nations étran
gères , sont MM. Bonhomme - Comeyrus , Hom et
Rogier ».
» Je voudrois leur demander pourquoi ils ont si fort
distingué, ainsi que M. le rapporteur , ma déposition,
qui n inculpe pas leur client. Je crois que c'est pour
· avoir le plaisir de me sigualer comme anti-patriote ,
attendu la profonde horreur que m'ont inspiré les at
tentats du 5 et du 6 octobre. Hé bien , Messieurs ,
revenez-y ; car je persiste.
MA L o U E r.
OprNzoN de M#. Malozzet sur le Discozurs
de M. de Mirabeau dans la séance de #
samedi soir, 14 Novembre 179o.

Un décret m'empêche d'être entendu ; mais quand


même un autre décret défendroit qu'on me lût , j'écri
rois encore ce que je pense de ces scènes horribles où
l'abus de la force se déploie avec tant d'audace et d'im
prudence.

Il a donc fallu se résoudre à entendre , sans presque


répliquer, l'apologie de la sédition et des fureurs de la
multitude ; et tandis que la juste indignation d'un dé
puté est punie par trois jours de prison , ceux qui vont
violer, dévastrer la demeure d'un autre député, briser
ses meubles , menacer sa vie , sont loués de leur géné
rositê ! On apprend , on rappelle au peuple qu'il peut
tout oser et qu'il peut tout impunément; qu'il est chargé
de faire justice , et de qui ? des hommes qu'on outrage
et qu'on opprime ! Ah certes je suis bien persuadé que
la loyauté de M. de Lameth s'indigne d'être ainsi dé
fendu ; qu'il est bien loin de regarder M. de Castries
comme un assasin ou comme un injuste aggresseur.

Non ce n'est pas à ceux qui peuvent obtenir, même


sans les solliciter , d'aussi éclatantes , d'aussi terribles
vengeances, à les légitimer. Qu'ils sont insensés , les
hommes qui espèrent fonder une constitution sur la
terreur et l'anarchie ! Sans doute les hommes vils su
biront encore quelque tems toutes les impulsions qu'on
voudra leur donner ; mais ceux qui ont quelque énergie,
les hommes paisibles qui ne demandent que la justice ,
qui obéiroient aux loix avec transport , si elles les pro
tégoient, ah ! ils se révolteront contre les outrages et
- ( 274 )
les violences ; ils éveilleront tôt ou tard la nation qui
se tait. Quoi qu'on en disc , elle nous regarde , elie
nous écoute, tandis qu'un petit nombre d'hommes ardens,
inconsidérés , furieux , parlent et agissent, et que les
brigands massacrent et dévastent. Oui, je crois au si
lence de la majorité de la ration : car les clubs , les
motionnaires ct la foulc qu'ils rallient autour d'eux ne
sont pas la nation. Dans les villes , les bons citoyens
se sont unis aux mesures , aux noyens légitimes de la
liberté ; inais tout ce qu'il y a d'honnêteté recule avec
eſfroi devant le spectacle dégoûtant de fureur et de li
cence. Dans les campagnes on espère la paix et l'aisance ;
on attend. Vingt millions d'hommes n'entendent rien à
la métaphysique de la constitution : ils la jugent par ses
effets : si le commerce et l'agriculture fleurissent, si la
sécurité , la liberté sont égales pour tous , sans doute
on nous béniroit ; car nous aurions véritablement sauvé
l'état. Mais si le contraire de tout cela arrive, si les
inimitiés, les soupçons , les vexations de toute espèce
s'étendent sur une portion nombreuse de citoyens ; si
si les uns fuient , si les autres souffrent ; si toutes les
relations sociales s'attirent et se dissolvent ;si en parlant
toujours de la nation, de l'amour qu'on a pour elle, on
déchire ses entrailles, qu'espère-t-on de ce cruel délire,
de ce tocsin perpétuel ! Ne sait-on pas que tous les hon
nêtes gens, les pères de famille retirés dans leurs foyers,
réſléchissent avec amertume sur un tel ordre de choses ,
qu'ils n'y reconnoissent ni la liberté, ni le bonheur qu'on
leur promet , et qu'à la fin un concert unanime d'indi
gnation et de raison le fera chercher ailleurs !

Tristes et cruelles parades de nos tribunes, vains


applaudissemens , indécentes huées , pourrez-vous ja
mais être les élémens, les précurseurs de bonnes loix?Et
vous , qui punissez Il ſ] G apostrophe et VOUlS en permettez
mille; qui étouffez la voix de ceux qui vous déplaisent ,
que voulez-vous de moi ? que je me taise ? Soit ; mais
eroire la France libre, non. MALovET,
-
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