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I PLEBISCITI DEL 1860

E IL GOVERNO SABAUDO

a cura di GIAN SAVINO PENE VIDARI

DEPUTAZIONE SUBALPINA DI STORIA PATRIA


TORINO - PALAZZO CARIGNANO
2016
INDICE

PREMESSA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . pag. 007

PARTE PRIMA
I PRIMI PLEBISCITI
(marzo-aprile 1860)

SILVANO MONTALDO, Dall’armistizio di Villafranca


ai plebisciti di marzo e aprile 1860 . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 013
ISIDORO SOFFIETTI, Una testimonianza di parte napoleonica
sulle vicende italiane del 1859-60. Un memoriale del
maresciallo di Francia Jean-Baptiste-Philibert Vaillant . . . . . . » 023
PAOLA CASANA, I trattati franco-subalpini tra il 1858 e il 1860 . . . . » 051
AURELIO CERNIGLIARO, La brochure parigina di Massimo d’Azeglio » 071
ENRICO GENTA, Prospettive istituzionali ed internazionali
per l’inserimento sabaudo nell’Italia centrale . . . . . . . . . . . . » 089
GIAN SAVINO PENE VIDARI, Accordi diplomatici e consenso popolare.
I plebisciti del marzo 1860 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 109
ROSANNA ROCCIA, I plebisciti della primavera 1860 nel dialogo
a più voci dell’Epistolario cavouriano . . . . . . . . . . . . . . . . » 123
LUIGI LACCHÈ, L’opinione pubblica nazionale e l’appello al popolo:
figure e campi di tensione . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 141
ELISA MONGIANO, I plebisciti dell’Italia centrale . . . . . . . . . . . . . » 167
MARC ORTOLANI, Le plébiscite de 1860 pour l’annexion de Nice à la
France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 187
BRUNO BERTHIER, Il plebiscito del 1860 in Savoia . . . . . . . . . . . . » 217
INDICE

FEDERICA PAGLIERI - MARCO CARASSI, La documentazione sui


plebisciti risorgimentali conservata in Archivio di Stato di
Torino . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 223

PARTE II
I PLEBISCITI AUTUNNALI
(ottobre-novembre 1860)

PAOLA CASANA, Il quadro politico-istituzionale


(aprile 1860 - febbraio 1861) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 239
ENRICO GENTA, Il liberalismo cavouriano a una svolta: i rischi dei
plebisciti meridionali tra bonapartismo e parlamentarismo . . . » 251
AURELIO CERNIGLIARO, Il plebiscito del 1860 a Napoli e nelle
province dell’Italia meridionale: “prova di senso civile e di
affetto alla causa nazionale” . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 271
ANTONIO CAPPUCCIO, L’ombra dell’aquila nera sul plebiscito
siciliano del 21 ottobre 1860 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 333
ELISA MONGIANO, I plebisciti meridionali, umbro e marchigiano . . » 355
MAURIZIO FIORAVANTI, Genesi e identità costituzionale dello Stato
liberale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 375
MARIO DOGLIANI, Un peccato originale del costituzionalismo
italiano: incertezze e silenzi sulla novazione dello Statuto
dopo i plebisciti . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » 387
PAOLA BRIANTE, Prima dei plebisciti autunnali:
la spedizione garibaldina nel regno delle « due sicilie » . . . . . . » 431
GIAN SAVINO PENE VIDARI, Considerazioni conclusive . . . . . . . . . » 455
MARC ORTOLANI

LE PLÉBISCITE DE 1860
POUR L’ANNEXION DE NICE À LA FRANCE

«– M’sieur le Maire, quoi donc qu’c’est un bibiscite?


– C’est un mot latin qui veut dire Oui! » 1.

1. Cadre général
Le plébiscite organisé en 1860 dans le cadre du processus d’an-
nexion 2 de Nice à la France 3 est à la fois un élément important de l’his-

1 Légende d’une lithographie de Daumier, citée par J. M. DENQUIN, Référendum et


plébiscite, essai de théorie générale, Paris 1976, p. 86.
2 Nous entendons par « plébiscite », le vote d’une population sur la question de son
statut international; concernant le terme « annexion », préféré aux termes de « rattache-
ment », « réunion » ou « union », P. ISOART, A propos de 1860, réflexions sur le destin de
Nice, « Nice Historique » (d’ora in poi « N.H. »), 2010, pp. 6-37 ; P. GUICHONNET, Le plé-
biscite d’annexion de la Savoie (1860). Une relecture critique, in « Chemins d’histoire al-
pine - Mélanges dédiés à la mémoire de Roger Devos », a cura di M. FOL, C. SORREL, H.
VIALLET, Annecy 1997, p. 383.
3 L’histoire événementielle de l’annexion de Nice à la France est aujourd’hui bien
connue: R. LATOUCHE, Histoire de Nice, tome II 1860-1914, Nice 1954, p. 23 ss.; un nu-
méro spécial de la revue « Nice Historique » de 1960; Histoire de Nice et de son comté, a
cura di A. COMPAN, Toulon 1973; P. GONNET, La réunion de Nice à la France, Breil sur
Roya 2003; H. BARELLI - R. ROCCA, Histoire de l’identité niçoise, Nice 1995; P. GUI-
CHONNET, Comment Nice devint française, in Histoire de l’annexion de la Savoie à la
France, Montmélian 2003, pp. 317-329; Nouvelle histoire de Nice, a cura di A. RUGGIE-
RO, Toulouse 2006, p. 171 ss.; parmi les synthèses plus récentes: O. VERNIER, Comté de
Nice, in La Savoie et l’Europe 1860-2010 - Dictionnaire historique de l’annexion, Mont-
mélian 2009, pp. 345-349; C. SORREL, Comment la Savoie et Nice sont devenues fran-
çaises, in « L’Histoire », 2010, n° 351, pp. 8-15; L’année 1860, chroniques de l’annexion,
numéro spécial de la revue « Nice Historique », 2010, p. 288; trois colloques organisés en
2010: Le comté de Nice, la France et l’Italie. Regards sur le rattachement de 1860, a cura
188 MARC ORTOLANI

toire politique européenne du XIX e siècle, et un événement dont la por-


tée mérite encore d’être précisée.
Pour ce faire, il faut d’abord rappeler que l’annexion de Nice se dé-
roule parallèlement à celle de la Savoie et que, sur le plan diplomatique,
les deux épisodes sont étroitement liés et présentent nécessairement des
similitudes. Toutefois, en raison de la situation propre à ces deux pro-
vinces, ils n’ont sur le plan local, qu’une faible influence réciproque 4.
Mais il est important aussi de préciser que ces événements se dé-
roulent dans un contexte dont il faut affiner les contours 5. L’image que
l’on se fait de Nice au milieu du XIX e siècle, présentée comme la petite
capitale d’un monde clos, survivant dans une situation de marasme et
d’abandon 6, mérite d’être nuancée. En effet, dès cette époque, sa pros-
périté liée à sa fonction d’accueil 7 ne cesse de croître et les capitaux fran-
çais continuent de s’investir 8. De même, la population de la cité a consi-
dérablement augmenté; elle double entre 1822 et 1860. Au recensement
du 31 décembre 1857, Nice compte 44.091 habitants, tandis que la po-
pulation du comté s’élève à 125.711 habitants 9. A plusieurs points de
vue, Nice est une ville attractive et commerçante 10. Mais en tant que
chef-lieu d’une division administrative qui englobe trois provinces (Ni-

di R. SCHOR e H. COURRIÈRE, Nice 2011; Consentement des populations et changements


de souveraineté en Europe au XIX e s., a cura di M. ORTOLANI e B. BERTHIER, Nice 2013;
1860, la Savoie, la France et l’Europe, a cura di S. MILBACH, Bruxelles 2012; pour les
sources archivistiques: S. TOMBACCINI-VILLEFRANQUE, Notes sur les sources d’archives
publiques et privées pour l’histoire de l’annexion du comté de Nice, in Aux sources de l’his-
toire de l’annexion de la Savoie, a cura di D. VARASCHIN, Bruxelles 2009, pp. 91-99.
4 P. GUICHONNET, Comment Nice devint française cit., p. 317.
5 M. ORTOLANI, Nice avant son annexion à la France 1848-1859, in 1860, la Savoie,
la France et l’Europe, a cura di S. MILBACH, Bruxelles 2012, pp. 47-70.
6 « Le comté somnole, monde clos, dont la langueur économique est un peu éveillée
par les première manifestations d’un tourisme mis à la mode par les étrangers »: P. GUI-
CHONNET, Comment Nice devint française cit., p. 318.
7 A. RUGGIERO, Nice port de transit éphémère, in Commerce et communications ma-
ritimes et terrestres dans les Etats de Savoie, a cura di M. ORTOLANI, Nice 2011, pp. 85-
92; W. CARUCHET, Relations économiques du comté de Nice à la France entre 1814 et 1860
d’après la correspondance des consuls de France, [Thèse droit], Aix, 1961, p. 258.
8 Nouvelle histoire de Nice cit., a cura di A. RUGGIERO, p. 180.
9 A. RUGGIERO, La population du comté de Nice de 1693 à 1939, Nice 2002, p. 443.
10 S. TOMBACCINI-VILLEFRANQUE, Nice et sa province à la veille de l’annexion, in
« N.H. », pp. 269-304.
LE PLÉBISCITE DE 1860 NIÇOIS POUR L’ANNEXION 189

ce, Oneglia et San Remo) 11, elle est aussi une ville administrative, une
véritable « capitale régionale », notamment sur le plan judiciaire 12 et mi-
litaire 13.
Pour autant, Nice se sent mise à l’écart des évolutions en cours
dans le royaume de Piémont - Sardaigne 14. « La Restauration met tout
en veilleuse » 15, par exemple en ce qui concerne l’amélioration des in-
frastructures routières et ferroviaires: dans ce domaine, tandis qu’est
projetée une voie ferré de Turin à Gênes, rien n’est prévu pour Nice.
Mais surtout, depuis que le traité de Vienne a permis l’intégration
au royaume de Piémont des anciens territoires de la République de
Gênes, la situation de Nice a profondément changé. Elle n’est plus le
seul débouché maritime de la partie continentale du royaume et son ac-
tivité économique se trouve menacée 16. En 1821 des franchises doivent
être rétablies pour tenter de renforcer le trafic face aux ports ligures.
Mais la nécessité de suivre les évolutions économiques conduit le
Piémont à modifier sa législation dans un sens plus libéral afin de favo-
riser les échanges. L’annonce de l’unification des tarifs douaniers et de

11 M. BOTTIN, De la division de Nice au département des Alpes-Maritimes - Les mu-


tations administratives de l’espace régional niçois, in Nice au XIX e s. Mutations institu-
tionnelles et changements de souveraineté, (colloque 1985), Nice, pp. 7-35.
12 Elle est le siège de deux cours souveraines, un Sénat et un Consulat de mer: E.
HILDESHEIMER, La justice dans le comté de Nice sous le régime sarde et le passage à l’or-
ganisation judiciaire française 1814-1860, in Nice au XIX e cit., pp. 337-354; Les Sénats de
la Maison de Savoie, a cura di G. S. PENE VIDARI, Turin 2001; L. MENARD, La jurispru-
dence commerciale du Consulat de mer de Nice, thése, droit, Nice 2013.
13 « Nice est le siège d’une administration habituellement située au niveau régional,
en matière de justice, d’armée de terre, de marine militaire, de carabiniers, de douanes, de
sels et tabacs, de santé maritime, de service postal »: O. VERNIER, Comté de Nice, in Dic-
tionnaire historique de l’annexion cit., p. 346.
14 T. COUZIN, Originalité en politique - le cas du Piémont dans la naissance de l’Ita-
lie 1831-1848, Zurich 2001, p. 98 ss.: « l’apparente marginalisation du pays niçois »; A.
RUGGIERO, Une période d’incertitude, in Nouvelle histoire de Nice cit., pp. 171-172; ID.,
Aspects de l’économie niçoise 1814-1860, in « Annales de la faculté des lettres et sciences
humaines de Nice », 1975, pp. 29-49; A. COMPAN, Aperçu sur la vie économique niçoise
sous la Restauration sarde 1814-1848, in « N.H. », 1983, pp. 2-21; A. et M.-H. SIFFRE, Pé-
ripéties d’une croissance - le littoral de Cannes à Menton de 1815 à 1870, in « N.H. »,
1984, pp. 33-46.
15 E. HILDESHEIMER, La réunion de Nice à la France en 1860, in « N.H. », 1946, p. 44.
16 R. TRESSE, Les raisons du marasme économique du port de Nice 1815-1821, in
« Revue d’histoire économique et sociale », 1966, pp. 183-195.
190 MARC ORTOLANI

la suppression des franchises, auxquelles les niçois attribuent leur pros-


périté, provoque un mécontentement profond et une grave agitation. Le
15 mai 1851, le conseil municipal adresse à Turin un manifeste où l’on
rappelle l’attachement des populations à ce système que l’on considère
comme un privilège historique remontant à la dédition de 1388 17. A dé-
faut de le rétablir,
[...] le peuple de Nice, plaçant le droit au-dessus de la force, serait réduit à
considérer le contrat d’annexion comme rompu par le gouvernement lui-mê-
me, et à revendiquer son indépendance...

Trois délégués sont chargés de porter à Turin ce manifeste pro-


phétique signé par 11.306 personnes, près du tiers de la population de
Nice 18. La réaction du gouvernement est sévère et certains des auteurs
de ce texte font même l’objet de poursuites pour « excitation à la révol-
te » 19. Quant au projet du gouvernement, il est voté durant l’été 1851 et
entre en application en 1853, provoquant une diminution conséquente
de l’activité portuaire 20.
Face à cette désaffection progressive d’un état piémontais surtout
préoccupé par le Risorgimento et ses destinées italiennes, apparaît à Ni-
ce l’idée d’un possible changement de souveraineté 21.

171388, La dédition de Nice à la Savoie, Colloque de Nice 1988, Paris 1990.


18Quelques jours plus tard, la Chambre d’agriculture et de commerce s’élève éga-
lement contre cette mesure, estimant que c’est une façon de « donner à Gênes le mono-
pole exclusif de tout le commerce dans le royaume de Sardaigne » et de faire disparaître
ce qui n’était qu’une « compensation à une situation topographique »: délibération du 30-
5-1851 citée par A. SAYOUS, La réunion de Nice à la France (1860). Ses causes politiques
et économiques, in « Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques »
(séance du 30-6-1934), 1935, p. 260.
19 E. HILDESHEIMER, La réunion de Nice à la France en 1860 cit., p. 45.
20 E. BERI, Le port franc, in « N.H. », 1924, pp. 33-48; sur les origines du port franc,
J. M. BESSI, Le port franc de Nice-Villefranche, Saint Hospice aux XVII e et XVIII e siècles,
[Mémoire maîtrise], Histoire, Nice, 1971, p. 184; M. BOTTIN, Port franc et zone franche.
Les franchises douanières du pays niçois, in « Recherches régionales », 1976, pp. 2-16; voir
également, un numéro de la revue « Nice Historique », Commerce et port franc, 1998; H.
BARELLI, L’abolition du port franc éclairée par les débats parlementaires à la chambre des
députés de Turin, 1850-1851, in Le port de Nice des origines à nos jours, Nice 2004, pp.
103-108.
21 Pour une vision d’ensemble, A. SAYOUS, La réunion de Nice à la France (1860).
Ses causes politiques et économiques cit., pp. 246-266.
LE PLÉBISCITE DE 1860 NIÇOIS POUR L’ANNEXION 191

Le “parti français” (c’est ainsi qu’on l’appellera bientôt) a com-


mencé à se structurer dès la fin des années 1840, autour d’un journal
l’écho des Alpes-Maritimes, fondé par l’ingénieur Victor Juge et le ban-
quier Auguste Carlone, qui prendra ensuite le titre significatif d’Avenir
de Nice. D’abord républicain et proche de la gauche, le “parti français”
évolue vers le bonapartisme au cours des années 1850, en même temps
que se précise son assise sociologique, puisque ses membres sont
presque tous liés au monde du négoce ou de la banque. Il représente les
intérêts de la bourgeoisie d’affaires blessée par la suppression du port
franc 22, mais commence aussi à trouver des adeptes dans les milieux po-
pulaires urbains. Sur le plan des idées, il défend le libéralisme, le “prin-
cipe des nationalités” et, par voie de conséquence, l’espoir du rattache-
ment de Nice à la France. Ce parti trouve également un soutien actif au-
près du consul de France Léon Pillet 23.
Les raisons de l’attrait que la France exerce sur Nice sont diverses.
Elles sont d’abord économiques 24 et on insiste sur les « liens naturels »
existant entre la France et le comté, séparés par un fleuve qui n’a rien
d’une frontière. Or, les partisans de l’annexion soutiennent que les rela-
tions commerciales du comté de Nice avec la France sont entravées par
des barrières douanières qui empêchent le développement de l’agricul-
ture, de l’industrie et du commerce 25. S’y ajoutent également des raisons
historiques 26, ethnographiques et surtout politiques: Nice – proclame-
t-on – a été « abandonnée » par Turin et de par sa position géographique,
sera bientôt victime d’une unité italienne dont elle n’a rien de bon à at-
tendre. En revanche, la France peut lui offrir l’efficacité de son admi-
nistration, la supériorité de sa législation et de son système d’éducation

22 Les membres du parti français appartiennent presque tous au monde du com-


merce: les négociants Prosper Girard, Auguste Gal, Victor Tiranty, Maxime Sauvan ou
les banquiers Auguste Carlone et Jules Avigdor.
23 Sur son action, E. HILDESHEIMER, La réunion de Nice à la France vue à travers
la correspondance du Ministère des affaires étrangères, in « N.H. », 1960, pp. 92-140.
24 Voir notamment sur ce point, V. JUGE, Mémoire sur l’annexion du comté de Nice
à la France, Nice 1860, p. 63.
25 W. CARUCHET, Relations économiques du comté de Nice à la France entre 1814 et
1860 cit.
26 L’appartenance de Nice à la Gaule narbonnaise, puis à la Provence jusqu’en 1388,
et enfin son intégration à la République française sous la Révolution.
192 MARC ORTOLANI

et le dynamisme de son économie. Enfin, sur le plan religieux, les mi-


lieux catholiques, troublés par les lois anticléricales du gouvernement
piémontais, tournent volontiers leurs regards vers la France concorda-
taire.
Par ailleurs, cet attrait qu’exerce la France coïncide avec les orien-
tations de la politique européenne de Napoléon III qui porte un regard
nouveau sur Nice et à la Savoie. Espérant quelques compensations au
soutien qu’il apporte au Piémont dans sa lutte contre l’Autriche, il com-
mence à envisager l’annexion de Nice et de la Savoie comme une contre-
partie. Cette perspective semble d’ailleurs conforme au principe des na-
tionalités et à la nécessité de garantir les frontières naturelles de la Fran-
ce par l’intégration au territoire national des versants français des Alpes.
On peut y voir aussi la volonté de contrôler cette portion de la côte mé-
diterranéenne qui, depuis 1857, a vu s’installer au Lazaret de Ville-
franche une base navale concédée à la Russie, l’ancien adversaire de la
guerre de Crimée 27.
Pour faire face au “parti français”, les “anti-séparatistes” se sont re-
groupés autour de deux quotidiens: le Nizzardo, lié à Garibaldi, est pu-
blié en langue italienne depuis 1853. Partisan de l’unité italienne, il est
très hostile à la réunion de Nice à la France. La Gazette de Nice, fon-
dée par Gonzague Arson, est un journal de tendance libérale proche du
gouvernement de Turin, qui défend pour sa part des positions plus lo-
calistes. Bien que ne constituant pas un groupe très homogène, les ad-
versaires de l’annexion sont soutenus par l’administration 28, les italiens
installés à Nice 29, et les représentants de certains secteurs d’activité, no-
tamment les professions judiciaires, très influentes dans la cité 30. Ils ont
également l’appui de certains émigrés français, tels Alphonse Karr qui
s’en prend aux bonapartistes dans sa revue satyrique Les guêpes, ainsi

27 Nouvelle histoire de Nice cit., a cura di A. RUGGIERO, p. 180.


28 On peur rappeler, en janvier 1860, l’expulsion d’Albin Mazon, rédacteur de l’Ave-
nir de Nice, en raison de ses positions annexionnistes: A. MAZON, Notes inédites pour ser-
vir l’histoire de l’annexion de Nice à la France, in « N.H. », 1960, p. 196.
29 Environ 5500 personnes en 1860 d’après le Messager de Nice.
30 Ces trois catégories sont clairement identifiées par le consul de France: E. HIL-
DESHEIMER, La réunion de Nice à la France vue à travers la correspondance du Ministère
des affaires étrangères cit., pp. 96-97.
LE PLÉBISCITE DE 1860 NIÇOIS POUR L’ANNEXION 193

que de la colonie étrangère, anglaise et russe en particulier 31. Ils tirent


enfin bénéfice de la haute figure de Garibaldi, et de l’activité du député
niçois Charles Laurenti-Robaudi.
Les arguments défendus par les adversaires de l’annexion sont éga-
lement divers 32. Ils reposent d’abord sur l’italianité historique de Nice 33
et l’attachement de la population, notamment des milieux populaires,
pour son histoire, ses traditions et sa fidélité à l’égard de la Maison de
Savoie; les figures héroïques de Catherine Ségurane et de Garibaldi sont
évidemment largement mobilisées.
A cette opposition grandissante s’ajoute un argument, ignoré en
Savoie, et qui est pour le moins délicat: il s’agit de la question linguis-
tique 34. La langue parlée par la grande majorité des habitants dans leur
vie quotidienne, n’est ni le français ni l’italien, mais le niçois (ou nissart)
qui se dote progressivement d’une grammaire et d’une littérature 35. Bien
entendu, les interprétations divergent quant à l’aire linguistique dont fait
partie le niçois: pour les uns, il ne s’agit que d’un dialecte provençal, tan-
dis que pour les autres, c’est un idiome spécifiquement transalpin, plus
proche du ligure que du piémontais. De son côté, l’italien reste la langue
administrative, celle des fonctionnaires, de l’école, de la justice et des re-
lations avec la capitale. Quant au français, il est surtout employé dans la
presse et le commerce, ce qui incite une partie de la bourgeoisie locale à
envoyer ses fils étudier en France, à l’exception des juristes qui doivent
poursuivre leur formation à Turin.

31 P. LOUVIER, L’annexion de la Savoie vue de Londres (été 1859 - été 1860) et V.


AVDEEV, La diplomatie russe face à l’annexion - opinions, appréciations, pronostics, in
« 1860, la Savoie, la France et l’Europe », colloque de Chambéry cit., à paraître; P. GON-
NET, La réunion de Nice à la France cit., pp. 304-205.
32 On les trouve notamment dans Nice et l’Italie, dont les auteurs sont Eugène Ema-
nuel, rédacteur du Nizzardo, et H.G. Montferrier, rédacteur de la Gazette de Nice.
33 On insiste sur la libre dédition de 1388 et on minimise l’accident historique de
1792.
34 P. GONNET, La réunion de Nice à la France cit., p. 70 ss.
35 Grâce notamment à Joseph Rosalinde Rancher, François Guisol et Joseph Micèu
pour la grammaire: C. BAILET, Joseph-Rosalinde Rancher et le dialecte niçard, Aix-en-
Provence 1956, p. 206; M. L. GOURDON, La grammatica nissarda de Joseph Miceù, Nice
1975, p. 197; M. L. GOURDON, Le premier grammairien niçois, Joseph Miceù (1796-1877),
in « N.H. », 1975, pp. 58-68; Anthologie des écrivains du comté de Nice, a cura di R.
SCHOR, Nice 1990, p. 499.
194 MARC ORTOLANI

Forts de ces multiples arguments, les deux partis opposés conti-


nuent de confronter leurs positions au moyen de leurs journaux respec-
tifs au risque de troubler plus encore une opinion publique indifférente
ou partagée. Un témoin français résume ainsi la situation:
Tous les jours la Gazette de Nice déclare urbi et orbi que la population est
italienne et qu’elle ne cessera d’être fidèle au roi Victor-Emmanuel. Tous les
jours à la même heure, l’Avenir de Nice affirme que la population est fran-
çaise et qu’elle appelle de tous ses vœux l’annexion à la France...

Mais si les perspectives de l’annexion provoquent localement une


agitation croissante, ce n’est pas au niveau local, mais bien sur le plan
diplomatique que le problème sera résolu. Or, dès la rencontre de Plom-
bières, le 21 juillet 1858, Cavour, a accepté, contre la promesse françai-
se de l’aider à unifier le nord de l’Italie, d’abandonner la Savoie, en
conformité avec le principe des nationalités. Il exprime en revanche des
réserves sur le sort de Nice, « ce joyau qui embellit le diadème de l’Ita-
lie » 36: en agissant ainsi, il donne satisfaction à l’opinion publique et à
l’opposition particulièrement sensibles sur ce point, mais probablement
aussi il tente de conserver Nice comme marge de manœuvre pour les né-
gociations à venir 37.
Mais dès le mois de décembre, une convention secrète signée entre
Napoléon III et le roi de Sardaigne, « prévoit explicitement la remise à
la France de la province de Nice » 38, et un accord secret du 24 janvier
1859 confirme cet engagement. D’ailleurs, au printemps suivant (le 14
mai 1859), le passage à Nice des troupes françaises qui partent combattre
les Autrichiens donne lieu à des manifestations très chaleureuses de la
part de la population, ce qui peut apparaître comme une prise de
conscience et un encouragement au processus de changement de souve-
raineté. Le Consul de France à Nice écrit à ce propos: « c’est une idée
fixe maintenant chez trois quarts des Niçois qu’ils deviendront Français
à la fin de la guerre » 39.

36 « Il exprime des réserves pour Nice qu’il tient pour italienne en invoquant le prin-
cipe des nationalités »: C. SORREL, Comment la Savoie et Nice sont devenues françaises
cit., p. 11.
37 P. GUICHONNET, Comment Nice devint française cit., p. 322.
38 O. VERNIER, Comté de Nice, in Dictionnaire historique de l’annexion cit., p. 347.
39 E. HILDESHEIMER, La réunion de Nice à la France en 1860 cit., p. 46.
LE PLÉBISCITE DE 1860 NIÇOIS POUR L’ANNEXION 195

Après les victoires franco-sardes de Magenta et Solferino (4 et 24


juin 1859), la France se retire du conflit: l’armistice de Villafranca (11
juillet 1859) puis la paix de Zurich (10 novembre) mettent fin aux opé-
rations militaires. Mais cet accord ne permet au Piémont d’obtenir que
la Lombardie, la Vénétie restant toujours sous le contrôle de l’Autriche.
Face à ce demi-échec, et suite à la démission de Cavour, la cession de
Nice n’est plus à l’ordre du jour.
Cependant, dès le début de l’année 1860, avec le retour au gouver-
nement de Cavour (20 janvier) le processus est relancé et le 3 février
1860, Victor-Emmanuel se déclare favorable à la cession de Nice
moyennant un vote des populations concernées, et même si ce sera avec
le sentiment d’un « grave sacrifice » 40. De son côté, le 1er mars, Napo-
léon III exprime clairement devant le corps législatif sa volonté d’inté-
grer le versant français des Alpes 41 et les négociations s’accélèrent, d’au-
tant que les 11 et 12 mars le plébiscite des provinces d’Italie centrale
donne une forte majorité pour l’union au Piémont. Dès les 14 mars,
l’Avenir de Nice peut annoncer « avec certitude » à ses lecteurs que l’an-
nexion du comté de Nice et de la Savoie est « définitivement consentie »
par le gouvernement piémontais 42. Le 24 mars 1860 est signé le Traité
de Turin qui prévoit officiellement la cession de ces territoires. Comme
il ne reconnaît quelques jours plus tard, Cavour n’a pas réussi à « sau-
ver Nice » 43:

40 Expression de Théodore Derossi di Santa Rosa, ancien intendant du comté, cité


par P. GUICHONNET, Comment Nice devint française cit., p. 323; voir également sur ce
point: J. B. LACROIX, Santa Rosa et Carlone - deux visions du destin niçois (1848-1860),
in « N.H. », 2009, pp. 226-267.
41 « En présence de la transformation de l’Italie du Nord, qui donne à une Etat puis-
sant tous les passages des Alpes, il est de mon devoir, pour assurer la sûreté de nos fron-
tières, de réclamer le versant français de nos montagnes »: cité par J. LEVROT, L’annexion
de Nice à la France en 1860, in « N.H. », 1910, p. 213.
42 A ce moment, la municipalité est encore très divisée puisque le 15 mars, sur pro-
positions de l’un de ses membres, Gonzague Arson, et avec le soutien du syndic Ma-
lausséna, la junte municipale décide d’envoyer au roi une députation et une adresse pour
le prier de renoncer à la cession de Nice et d’envisager plutôt pour la ville une solution
de neutralité; cette solution assez peu vraisemblable est soutenue en particulier par la Ga-
zette de Nice.
43 Le Genevois Tourte, représentant extraordinaire de la Suisse, écrit le 19 février:
« Cavour ne voudrait rien céder et résister jusqu’au bout au sujet de Nice... »: cité par P.
GUICHONNET, La réunion de Nice à la France cit., p. 150.
196 MARC ORTOLANI

J’aurais espéré pouvoir éviter encore la cession de Nice à la France. Je comp-


tais sur l’appui des grandes puissances. Celui-ci nous ayant manqué, il a fal-
lu se résigner à ce sacrifice, qui est pénible 44.

Mais comme le note Robert Latouche, « le traité public signé, il


s’agit de passer aux actes et la route est encore pleine d’obstacles et
d’embûches » 45. En effet, une fois le changement de souveraineté déci-
dé par les gouvernements respectifs, il faut obtenir sa légitimation par la
consultation des populations concernées 46. Autrement dit, « le plébisci-
te n’est pas une condition de la cession, mais un aval donné par les élec-
teurs à leur changement de souveraineté », après qu’il ait été décidé par
l’accord des souverains, indépendamment de la volonté des habitants 47.
Si dans ce contexte particulier, le recours au « plébiscite » (cfr. in-
fra, n. 2) apparaît donc comme une nécessité, il présente aussi des
risques qu’il faudra réduire, en obtenant une forte majorité en faveur de
l’annexion. Tel est le désir de la France, mais aussi celui de Cavour qui
souhaite que, devant l’opinion internationale, le traité de cession ne soit
pas désavoué par le vote des niçois. Le 27 mars il l’écrit d’ailleurs à Ni-
gra: « le traité de cession de la Savoie et Nice est signé [...] Maintenant il
reste à assurer par des mesures habiles le succès du vote » 48. C’est vers
cet objectif que la “votation” est orientée.

44 Lettre de Cavour à l’amiral Corporandi d’Auvare, citée par P. GUICHONNET,


Comment Nice devint française cit., p. 324.
45 R. LATOUCHE, op. cit., p. 23; sur cette période, S. TOMBACCINI, VILLEFRANQUE,
Vers le rattachement de Nice à la France - Etude d’un trimestre décisif (février-avril 1860),
in 1860, la Savoie, la France et l’Europe, colloque de Chambéry cit., à paraître.
46 J. R. BÉZIAS, Qu’est-ce qu’un plébiscite au XIX e siècle? Le vote niçois de 1860 en
perspective, in Le comté de Nice, la France et l’Italie cit., pp. 25-38.
47 H. COURRIÈRE, L’Etat, la nation, la petite patrie - la vie politique à Nice et dans
les Alpes-Maritimes de 1860 à 1898 - Genèse d’un département français [thèse, histoire],
Nice 2008, vol. 1, p. 29; H. COURRIÈRE, Le comté de Nice et la France. Histoire politique
d’une intégration 1860-1879, Rennes 2014, pp. 29-44. H. COURRIÈRE, L’annexion de Ni-
ce à la France en 1860: proposition de relecture d’un événement fondateur, in Le comté
de Nice, la France et l’Italie cit., pp. 11-24; P. GONNET, La réunion de Nice à la France
cit., p. 230: « l’adhésion des populations et la sanction du Parlement sont apparemment
des éléments d’une liturgie diplomatique, un coup de chapeaux aux principes du fonc-
tionnement politique des Etats constitutionnels occidentaux, plus qu’une condition de la
cession [...]; nous retrouvons la conception bonapartiste du plébiscite, qui est celle de la
sanction diplomatique d’un fait déjà réalisé ».
48 Lettre de Cavour à Nigra, 27-3-1860, citée par P. GUICHONNET, Comment Nice
devint française cit., p. 324.
LE PLÉBISCITE DE 1860 NIÇOIS POUR L’ANNEXION 197

2. Les conditions du recours au plébiscite


Tel qu’il est annoncé par les souverains, le plébiscite est une pra-
tique conforme à la politique des Etats européens du milieu du XIX e
siècle qui se prétendent respectueux du principe des nationalités et du
libre consentement des populations. Sur le plan politique, il constitue
évidemment un moyen de légitimer aux yeux des chambres et de l’opi-
nion le traité d’annexion. Il est aussi, sur la scène internationale, une
condition de l’acceptation du changement de souveraineté de Nice et de
la Savoie, de la part des puissances européennes. Or, si l’issue du scru-
tin qui aura lieu en Savoie inquiète peu les autorités, à Nice, les élections
récentes (municipales en janvier 1860 et législatives en mars), ont vu la
victoire d’adversaires de l’annexion. Le plébiscite constitue donc un en-
jeu politique considérable: sans doute, la majorité sera acquise en faveur
de l’annexion, mais demeure la question de la proportion des votes fa-
vorables au changement de souveraineté. La nécessité de réduire le
risque d’une trop faible majorité en faveur de l’annexion rend indispen-
sable une véritable mobilisation de l’opinion et de l’électorat.

2.1. L’enjeu politique du plébiscite niçois


Si la décision des monarques, qui conduira au traité du 24 mars
1860, suffit à enclencher le changement de souveraineté, ceux-ci consi-
dèrent que la cession doit être réalisée librement:
[...] il est entendu entre Leurs Majestés que cette réunion sera effectuée sans
nulle contrainte de la volonté des populations, et que les gouvernements du
Roi de Sardaigne et de l’Empereur des Français se concerteront le plus tôt
possible sur les moyens d’apprécier et de constater les manifestations de cet-
te volonté 49.

L’empereur, pourtant adepte du plébiscite en politique intérieu-


re , ne semble pas très favorable à cette solution pour un changement
50

49 Art. 1 du traité du 24 mars 1860.


50 J. M. DENQUIN, Référendum et plébiscite, essai de théorie générale cit., pp. 55-87;
Le prince, le peuple et le droit - Autour des plébiscites de 1851 et 1852, a cura di F.
BLUCHE, Paris 2000: dès 1832, dans ses rêveries politique, Louis-Napoléon Bonaparte
198 MARC ORTOLANI

de souveraineté, mais Cavour défend cette solution pour les Niçois et


les Savoyards comme pour les populations d’Italie centrale. Selon lui, el-
le est la plus efficace pour faire céder les opposants au parlement de Tu-
rin 51 et rassurer les puissances européennes, mais également plus cohé-
rente avec la politique menée en Italie centrale: le 2 mars 1860, il écrit
en effet à Thouvenel, ministre français des affaires étrangères:
[...] au moment où nous réclamons hautement pour les habitants de l’Italie
centrale le droit de disposer de leur sort, nous ne saurions, sans encourir le
reproche d’inconséquence et d’injustice, refuser aux sujets du roi qui habi-
tent au-delà des Alpes, le droit de manifester librement leur volonté 52.

De même – estime Cavour – le plébiscite servira à convaincre les


intéressés eux-mêmes:
Nous ne pouvons pas leur dire que nous les cédons à la France parce qu’il
convient d’arrondir ses frontières. Nous devons nous borner à leur parler de
leurs intérêts modifiés et de leurs aspirations nouvelles 53.

Il suffira alors de les faire s’exprimer et, par « des mesures habiles »,
« réussir la votation » afin de légitimer a posteriori le changement de sou-
veraineté.
La position définie par Cavour semble finalement admise, puisque
le 27 janvier 1860, l’Empereur écrit à Victor-Emmanuel, afin d’énumé-
rer les « mesures à prendre pour trancher les difficultés présentes ». Or,
parmi ces mesures, figure la nécessité de « laisser en Savoie et à Nice la
même liberté qu’en Toscane et se conformer au vœu des populations li-
brement consultées » 54. Le roi de Sardègne répond par voie télégra-

écrit: « il y a un juge suprême qu’est le peuple. C’est à lui de décider de son sort [...] c’est
à lui de proclamer hautement et librement sa volonté suprême ».
51 Le Ministre français des Affaires étrangères, Edouard Thouvenel, écrit au ministre
de France à Turin, Charles de Talleyrand: « plus la démonstration sera éclatante dans
notre sens, moins la tache de M. de Cavour sera difficile devant le Parlement ».
52 E. MONGIANO, Il voto della nazione. I plebisciti nella formazione del regno d’Ita-
lia 1848-1860, Turin 2003, p. 208.
53 C. SORREL, Comment la Savoie et Nice sont devenues françaises cit., pp. 14-15.
54 M. MESSIEZ, A qui doit-on d’avoir voté au suffrage universel en 1860?, in « 1860,
la Savoie choisit son destin - L’histoire en Savoie », 2009, n°18, p. 51; il faut souligner éga-
lement l’insistance de Londres pour que le changement de souveraineté se fasse moyen-
nant l’expression de « la volonté des populations concernées »; la France adhère finale-
LE PLÉBISCITE DE 1860 NIÇOIS POUR L’ANNEXION 199

phique que « son gouvernement ne s’opposera pas à la libre manifesta-


tion des vœux de la Savoie et de Nice » 55.
Ce n’est que très tard en revanche que l’on semble opter pour le
mode et la date de suffrage. C’est le 4 avril que Thouvenel, adresse à son
ambassadeur, le baron de Talleyrand, un télégramme relatif à la consul-
tation lui indiquant: « nous adoptons le suffrage universel en Savoie et à
Nice. Dites-le à M. de Cavour et priez le de transmettre des instructions
par le télégraphe aux gouverneurs intérimaires, de façon à ce que le vo-
te ait lieu vers le 15 avril ». La légation répond le lendemain: « M. de Ca-
vour est très satisfait de l’adoption du suffrage universel. Il désire com-
me vous que le vote ait lieu du 15 au 20 avril » 56. Cavour est d’autant
plus favorable à cette échéance, qu’elle précède la date où le traité sera
soumis au parlement:
Ce terme serait convenable sous tous les rapports – écrit-il à Nigra – car il
éliminerait en grande partie les difficultés que la discussion du traité pour-
rait susciter dans le Parlement. Si, au moment que nous présenterons le trai-
té, les populations se seront déjà prononcées, on ne saurait plus objecter que
les vœux du pays n’aient pas été sérieusement et loyalement consultés 57.

Entre temps, c’est dans de contexte de tractations diplomatiques


que deux consultations électorales successives sont organisées à Nice et
dans le comté en janvier puis en mars 1860.
Les élections municipales se déroulent à Nice les 15 et 22 janvier
au suffrage censitaire, et sont l’occasion d’une première confrontation
entre les partisans de la France et ceux de l’Italie 58. L’Avenir de Nice,
journal séparatiste, considère que cette consultation ne peut avoir de
portée politique et qu’on ne peut tirer de ses résultats un argument
contre l’annexion. Aussi, il demeure peu actif au cours de la campagne
et les résultats (avec une participation d’à peine 46%) sont finalement

ment à la proposition anglaise « sous la réserve que la consultation se déroule au moyen


du suffrage universel direct »: E. MONGIANO, Il voto della nazione cit., p. 205.
55 Ivi, p. 53.
56 Cité par E. HILDESHEIMER, La réunion de Nice à la France vue à travers la cor-
respondance du Ministère des affaires étrangères cit., p. 121.
57 Ibidem.
58 P. GONNET, La réunion de Nice à la France cit., p. 185 ss.; H. COURRIÈRE, La vie
politique à Nice cit., pp. 52-55.
200 MARC ORTOLANI

largement favorables aux partisans de l’Italie, puisque, sur les 45


conseillers élus, seuls trois étaient patronnés par l’Avenir de Nice, la plu-
part des autres appartenant à la mouvance anti-annexionniste 59.
D’ailleurs, le 12 février, c’est François Malausséna, à cette époque enco-
re hostile au rattachement, qui est élu syndic pour trois ans. Sans doute
le suffrage censitaire ne reflète pas les tendances de l’ensemble de la po-
pulation et la participation a été en outre très faible, mais il n’en de-
meure pas moins qu’une majorité d’élus reste très réservée à l’égard de
l’annexion.
Les élections destinées à désigner les députés au Parlement de Tu-
rin on lieu le 25 mars dans une ambiance particulièrement tendue où
s’opposent adversaires et partisans de l’annexion 60. Mais étant donné
que le traité d’annexion est déjà signé, ces derniers considèrent que
prendre part au vote est inutile et ne désignent pas de candidats. A Ni-
ce, les seuls candidats, Joseph Garibaldi et Charles Laurenti-Robaudi,
sont tous deux opposés à l’annexion 61. Le parti italien fait activement
campagne pour que la participation soit suffisamment élevée, de maniè-
re à valider les élections 62, tandis que l’Avenir affirme que le seul devoir
des partisans de la France est l’abstention. Garibaldi obtient finalement
407 voix sur 436 votants et 1598 inscrits; Laurenti-Robaudi 273 voix sur
285 et 1098 inscrits, ce qui est insuffisant et nécessite d’organiser un se-
cond tour la semaine suivante. Ces candidats sont finalement élus mais
avec un fort taux d’abstention, ce qui conduit chacun des deux partis à
considérer ce résultat comme une victoire. Toutefois, sur les quatre dé-
putés élus au parlement de Turin pour représenter légitiment le comté
de Nice, trois au moins sont clairement opposés à l’annexion.
Sans doute les élections municipales et provinciales sont des élec-
tions strictement locales, et les législatives se déroulent dans un contex-

59 Les élections provinciales qui ont lieu à la même date donnent des résultats simi-
laires.
60 Sur ces « élections inopportunes, paradoxales mais révélatrices », P. GONNET, La
réunion de Nice cit., p. 221 ss.; H. COURRIÈRE, La vie politique à Nice cit., pp. 81-83.
61 Sont également candidats Henri de Montezemolo (frère de l’ancien gouverneur)
à Sospel et Désiré Niel à Utelle.
62 La Gazette de Nice, dans son numéro du 24 mars, exhorte ses lecteurs à voter:
« c’est demain que vous devrez prouver que vous êtes des citoyens sans peur et sans re-
proche et non de vils et timides esclaves ».
LE PLÉBISCITE DE 1860 NIÇOIS POUR L’ANNEXION 201

te bien particulier et n’expriment le choix que d’une faible partie de


l’électorat censitaire. Mais force est de constater que les deux consulta-
tions électorales qui précèdent immédiatement le plébiscite ont permis
l’élection d’opposants à l’annexion. Cette situation rend d’autant plus
nécessaire la mobilisation de l’électorat pour qu’à quelques semaines
d’écart le plébiscite traduise de manière indiscutable l’option inverse 63.

2.2. La nécessaire mobilisation de l’électorat


Afin de garantir au plébiscite le succès nécessaire, est de s’en pré-
valoir pour légitimer l’annexion, toutes les autorités concernées, natio-
nales ou locales, piémontaises ou françaises vont peser sur l’opinion et
les électeurs 64, dans un esprit qui et typique des consultations électo-
rales du second Empire 65.
Le 1er avril, Victor-Emmanuel II adresse une proclamation officiel-
le aux habitants de Nice et de la Savoie qu’il informe des conditions de
l’annexion. Il exprime certes son regret de devoir se séparer de provinces
qui ont si longtemps fait partie de ses Etats et auxquelles le rattachent
tant de souvenirs 66. Mais il estime que les revendications de Napoléon
III sont justifiées, d’autant que s’y ajoutent de multiples arguments éco-
nomiques ou culturels, ainsi que « des affinités de race, de langage et de
mœurs ». « Toutefois – ajoute-t-il – ce grand changement dans le sort de
ces provinces ne saurait être imposé ». C’est pourquoi il doit reposer sur

63 U. BELLAGAMBA, La construction du consentement: acteurs et instruments à tra-


vers l’exemple du plébiscite niçois, in Consentement des populations et changement de sou-
veraineté en Europe au XIX e s., cura di M. ORTOLANI e B. BERTHIER, Nice 2013, pp.
329-344.
64 H. COURRIÈRE, La vie politique à Nice cit., p. 57 ss.
65 J. TULARD, Elections, in Dictionnaire du Second Empire, a cura di J. TULARD, Pa-
ris 1995, pp. 476-477; J. S. YVON, Le Second Empire, politique, société, culture, Paris 2004.
66 Garibaldi pourra bien demander au Roi, par l’intermédiaire du colonel Türr, si la
triste nouvelle de l’abandon de Nice est confirmée. Le souverain lui répondra non sans
une certaine cruauté: « Oui, mais dites au général que c’est non seulement Nice mais la
Savoie. [Et] dites-lui aussi que si je m’accommode d’abandonner le pays de mes aïeux, de
toute ma race, il doit s’accommoder à perdre le pays où, lui seul, est né »: le Roi fait al-
lusion à l’origine ligure des parents de Garibaldi qui seul est né à Nice en 1807: son pè-
re, Domenico, est né à Chiavari en 1766 et s’établit à Nice à l’âge de 4 ans; sa mère, Ro-
sa Raimondo est une piémontaise née à Loano.
202 MARC ORTOLANI

un plébiscite qui confèrera à ce changement de souveraineté une légiti-


mité populaire. « Avec l’adhésion des populations et la sanction du Par-
lement », il sera « le résultat du libre consentement » des populations. Et
dans cette perspective, il délie ses sujets de leur serment de fidélité à son
égard. Afin d’assurer la liberté du vote, il annonce aussi qu’il va « rap-
peler les principaux fonctionnaires qui n’appartiennent pas au pays » et
les remplacer par des autochtones « entourés de l’estime et de la consi-
dération générale ». Mais surtout il met en garde les électeurs: « si vous
devez suivre d’autres destinées, faites en sorte que les Français vous ac-
cueillent comme des frères qu’on a depuis longtemps appris à appré-
cier ». Il leur demande donc, à l’heure où leur destin est déjà tracé par le
traité du 24 mars, de ne pas contrarier par leur vote ce « lien de plus
entre deux nations [qui travaillent] de concert au développement de la
civilisation ».
Etrange coïncidence, le jour même, les troupes françaises entrent à
Nice et sont accueillies par la population et de nombreux partisans de
l’annexion, dans un décor à la fois francisé et « impérialisé ». Bien que
cette chaleureuse manifestation soit marquée, en raison de sa date, par
l’absence des autorités officielles, on peut rétrospectivement la considé-
rer comme la « première des fêtes de l’annexion » 67 et comme une prise
symbolique de la ville. Toutefois, il ne faut pas croire que l’enthousias-
me des niçois ait été unanime: aux drapeaux français et aux cris « Vive
l’empereur », s’opposent encore des sifflets et des drapeaux italiens 68.
L’administration provisoire composée de niçois est mise en place
sans attendre. Le 2 avril, Louis Lubonis, ancien avocat fiscal général, ral-
lié au principe de l’annexion, est nommé gouverneur provisoire de la
province de Nice 69. Dès le 5 avril, dans une proclamation « aux peuples
de la ville et du comté de Nice », il confirme la tenue du plébiscite:

67 H. COURRIÈRE, Fêtes et changement de souveraineté à Nice en 1860, in « Cahiers


de la méditerranée », 2008, n° 77, pp. 77-93.
68 L. IMBERT, Autour de l’annexion - Souvenirs du capitaine Segretain sur Nice
(avril-mai 1860), in « N.H. », 1949, p. 35.
69 L. IMBERT, Louis Lubonis, gouverneur provisoire de la province de Nice, in
« N.H. », 1960, pp. 141-179; Prosper Girard et Auguste Gal, conseillers municipaux et
principaux représentants du parti français, sont nommés respectivement vice-gouverneur
et conseiller de gouvernement.
LE PLÉBISCITE DE 1860 NIÇOIS POUR L’ANNEXION 203

Le sort des peuples ne doit pas ressortir de la seule volonté des princes. Aus-
si le magnanime Empereur Napoléon III et le loyal Victor-Emmanuel ont-
ils désiré que le traité de cession fut fortifié par l’adhésion populaire.

Mais surtout, il appelle les électeurs à accepter une annexion déjà


actée parce qu’elle est conforme à la volonté du souverain. Plus précisé-
ment, le vote favorable à l’annexion est requis comme l’accomplissement
d’un devoir, et toute manifestation opposée serait considérée comme
contraire à la volonté du roi:
Toutes les oppositions doivent se briser, impuissantes contre les intérêts de
la patrie et le sentiment du devoir. Au surplus, elles trouveraient un obstacle
insurmontable dans les désirs mêmes de Victor-Emmanuel.

Aussi, les légitimistes comme les patriotes italiens sont-ils invités à


exprimer leur fidélité à la dynastie et leur patriotisme... en se pronon-
çant pour que Nice ne partage pas le destin de l’Italie.
Cette position exprimée par Lubonis fera d’ailleurs l’objet d’une
assez vive réaction de Turin, d’autant qu’à la Chambre, Garibaldi accu-
se le gouvernement de mettre le traité d’annexion en exécution avant de
l’avoir soumis au vote du parlement sarde. « Cavour et son ministre de
l’intérieur, Farini, n’évitent un blâme de la chambre qu’en acceptant un
ordre du jour qui recommande de sauvegarder la liberté du plébiscite et
désapprouve la proclamation du gouverneur provisoire » 70, considérée
trop ouvertement favorable à l’annexion. Le gouverneur, stupéfait et
blessé par ce désaveu, cherchera à justifier sa prise de position en bros-
sant un tableau très sombre de la situation, illustrant une véritable frac-
ture politique:
[...] une population profondément divisée entre deux partis, même à l’inté-
rieur des familles, l’ordre public troublé par des manifestations de plus en
plus violentes, les esprits agités par des excitations réciproques et les excès
d’une presse intempérante; incertitude, inquiétude, haine, tel était le triste
état du pays.

Son intention était alors simplement de:


[...] rétablir la confiance dans l’autorité, faire disparaître préoccupations et
incertitudes chez les hésitants, amortir l’irritation des opposants, calmer la

70 R. LATOUCHE, op. cit., p. 28.


204 MARC ORTOLANI

fougue des partisans de l’annexion, préparer enfin dans la tranquillité et


l’ordre l’acte solennel auquel ces populations sont appelées 71.

Farini tentera par la suite d’amoindrir l’amertume du gouverneur


en lui expliquant que son désaveu était politiquement nécessaire, mais
en lui rappelant aussi que « le roi, son gouvernement et le pays tout en-
tier voulaient que la volonté de la population de la province s’exprime
dans la plénitude de sa liberté » 72.
Quoi qu’il en soit, ces proclamations ont obtenu l’effet escompté
et le représentant de l’Empereur à Nice s’en réjouit: « la proclamation
du roi et du gouverneur ont été successivement publiées à Nice. Elles
ont produit un immense effet » 73.
Quelques jours plus tard, le 8 avril, François Malausséna, syndic de
Nice, qui a jusque là affiché une « prudence mesurée » 74 adresse à son
tour une proclamation à la population. « En présence du traité du 24
mars [et] en présence de la proclamation du roi », il appelle « tous ceux
qui aiment véritablement leur pays » et qui sont « sincèrement dévoués
au roi et à la cause italienne », à agir en sorte que « la haute volonté des
deux souverains, acceptée par le libre consentement du peuple, ne ren-
contre ni difficulté ni obstacle » 75. Autrement dit, il demande aux élec-
teurs de faire preuve de patriotisme et de ne pas contrarier la volonté des
souverains, ce qui doit les conduire à un choix pour le moins paradoxal:
par amour de sa patrie, choisir de la quitter! Mais l’unité de l’Italie et
« l’alliance des deux grandes nations » est au prix de ce sacrifice...

Dès lors, le ralliement des notables s’accélère, à l’image de l’évêque


de Nice, Monseigneur Sola, qui estime que,

71 L. IMBERT, Louis Lubonis, gouverneur provisoire de la province de Nice cit., p.


150.
72
R. LATOUCHE, op. cit., p. 28.
73
Télégramme du Sénateur Pietri, cité par E. HILDESHEIMER, La réunion de Nice à
la France vue à travers la correspondance du Ministère des affaires étrangères cit., p. 121.
74 O. VERNIER, Comté de Nice, in Dictionnaire historique de l’annexion, op. cit., p.
347; Malausséna a démissionné des ses fonctions de Syndic après le traité de Turin puis
revient à la demande de Cavour: C. A. FIGHIERA, Gloires et traditions du canton de Le-
vens - A la mémoire de, François Malausséna, Nice 1960; voir également, J. BASSO, Les
élections législatives dans le département des Alpes-Maritimes, Paris 1968.
75 J. LEVROT, L’annexion de Nice à la France en 1860 cit., p. 219.
LE PLÉBISCITE DE 1860 NIÇOIS POUR L’ANNEXION 205

[...] quand nous serons admis à faire partie du glorieux Empire français, nous
pourrons jouir des précieux avantages que l’équité des lois, l’opulence de son
trésor, la sagesse de son administration, l’intégrité des officiers de la nation,
répandent sur toutes les classes qui la composent 76.

Le 9 avril il publie une circulaire adressée aux curés dans laquelle


il se prononce également en faveur de l’annexion 77. Il souligne l’exis-
tence entre Nice et la France d’affinités incontestables, une « commu-
nauté des mœurs, de langage et d’intérêts », mais rappelle aussi que les
conditions matérielles des ecclésiastiques sont meilleures en France
qu’au Piémont. Mais il souligne surtout que « par l’effet de la renoncia-
tion du 24 mars dernier, les Niçois [...] sont invités [...] à émettre leur
vote sur l’union de l’arrondissement de Nice à la France, union déjà
consentie par leur roi bien-aimé ». Aussi, il demande aux curés de re-
commander à leurs fidèles un vote favorable à un changement de sou-
veraineté qui, dans les esprits, sinon en droit, est déjà accompli par le
souverain 78. Parallèlement, de nombreuses communautés d’habitants de
l’arrière-pays envoient des adresses à Napoléon III, signées par les no-
tables et le curé, pour l’assurer de leur adhésion.
Enfin, peu avant la consultation électorale, arrive à Nice celui qui
doit assurer le succès du plébiscite et de la transition de souveraineté. Le
sénateur Pietri, ancien préfet de police de Paris, est un homme à poigne,
qui jouit de la totale confiance d’empereur 79. Mais Pietri présente aussi
de multiples qualités qui vont compter dans ces moments décisifs: cor-
se, italophone, il est aussi connu pour son adresse politique et ses talents
de diplomate. Arrivé à Nice le 26 mars, il se rend à Turin puis revient à
Nice le 31: dès lors, il se met en rapport avec toutes les “personnalités
notables” du comté, et multiplie les efforts et les promesses pour

76 Cité par P. GONNET, La réunion de Nice à la France cit., p. 239.


77 G. BOUIS, Monseigneur Jean-Pierre Sola et le clergé niçois face à l’annexion de
1860, in « N.H. » 2010, pp. 74-91.
78 De son côté, la communauté juive, par l’intermédiaire du Président de l’Univer-
sité israélite, Septime Avigdor, souligne également que la condition des juifs est meilleur
en France qu’au Piémont.
79 U. BELLAGAMBA, Pierre-Marie Pietri - l’homme dans le clair-obscur de l’annexion,
in « N.H. » 2010, pp. 92-109.
206 MARC ORTOLANI

convaincre les opposants et rallier les indécis. Il ne fait pas de doute que
son rôle aura été déterminant pour le résultat du plébiscite 80.
De son côté, l’opposition anti-séparatiste se concrétise surtout par
des manifestations qui ont lieu en février et mars au théâtre royal 81 où
l’on joue des hymnes patriotiques et où les entractes sont ponctués de
cris: « Viva Nizza italiana ». La plus importante est organisée le 11 mars,
lorsqu’une messe est célébrée à Nice « pour obtenir que Dieu délivre
notre chère patrie de la terrible catastrophe qui la menace » et qui n’est
autre que l’annexion. Après l’annonce de la signature du traité du 24
mars, l’opposition change d’attitude: il ne s’agit plus pour les anti-sépa-
ratistes, réunis dans un « Comité national de Nice » (appelé “comité ita-
lien” par ses adversaires), de manifester contre une annexion désormais
quasiment acquise, mais de dénoncer ses partisans (en particulier l’Ave-
nir de Nice) et d’attester encore leur attachement à l’Italie, notamment
lors du départ des troupes piémontaises le 30 mars, où plusieurs milliers
de personnes (selon La Gazette) manifestent les mêmes « sentiments de
douleur et de regrets ».
Comme une alternative à l’opposition, se dessine aussi un courant
favorable à la neutralité de Nice sur l’exemple de la principauté de Mo-
naco, solution assez peu vraisemblable proposée par la Gazette de Gon-
zague Arson, mais à laquelle – dit-on – le ministre sarde Des Ambrois
et Cavour lui-même pourraient adhérer 82.
Mais de manière générale, et dans un contexte relativement confus,
ce sont les arguments des annexionnistes qui semblent bien prévaloir. Et
dans ces conditions, face à d’aussi pressantes invitations à épouser la
cause de l’annexion, les habitants du comté de Nice n’ont guère le choix.

80 Lubonis rappellera par la suite: « il faut avouer qu’à l’effet d’assurer le résultat du
vote, et surtout pour avoir une manifestation éclatante de la volonté populaire, des pro-
messes assez nombreuses et dans l’intérêt public, comme le maintien de la Cour d’appel,
et dans l’intérêt personnel, avaient été faites par les agents français et surtout par M. le
sénateur Pietri. Le mécanisme du suffrage universel introduit tout à coup parmi nous
d’un côté, les circonstances spéciales du pays de l’autre, et surtout la disposition des es-
prits, expliquent suffisamment ces promesses comme un élément du succès »: cité par L.
IMBERT, Au lendemain de l’annexion. La France et le particularisme niçois, in « N.H. »,
1961, p. 102.
81 H. COURRIÈRE, La vie politique à Nice cit., p. 74 ss.
82 P. GUICHONNET, Comment Nice devint française cit., p. 323.
LE PLÉBISCITE DE 1860 NIÇOIS POUR L’ANNEXION 207

Comment peuvent-ils voter « non » après une telle succession d’encou-


ragements venant des plus hautes autorités, nationales et locales?
Mêmes ceux qui restent attachés à la Maison de Savoie ne pourront
que suivre le conseil de leur souverain comme un devoir patriotique, et
accepter que Nice ne partage pas le destin de l’Italie. Mais pour que la
consultation des populations joue pleinement sa fonction de légitima-
tion du changement de souveraineté, aux yeux des niçois eux-mêmes,
mais aussi aux yeux du monde, encore faut-il que le résultat soit massif
et incontestable 83. C’est vers cet objectif que le plébiscite est orienté.

3. La mise en œuvre d’un plébiscite orienté


Afin que le plébiscite atteigne son objectif, il s’agit d’abord pour
les signataires du Traité de Turin d’organiser dans les meilleures condi-
tions l’expression du consentement des populations. Cette fonction in-
combe au gouverneur provisoire 84 en accord avec le représentant de
l’Empereur, Pietri, et on peu estimer que si le décret du 7 avril organi-
sant le vote est signé Lubonis, le plébiscite a été en réalité préparé par
l’administration impériale 85.
Il faut également souligner que l’on appelle à voter une population
qui accède pour la première fois au suffrage universel et qui, d’une part
est considérée par le pouvoir comme devant être guidée dans ses choix
et, d’autre part, admet difficilement que l’on puisse voter « non » alors
que toutes les autorités lui demandent de voter « oui »...
Une fois le plébiscite achevé, il s’agira ensuite d’en exploiter le ré-
sultat et d’en tirer le meilleur parti politique.

83 « [Cavour] désirait que la plébiscite en faveur de la France eût un caractère mas-


sif afin de désarmer les critiques tant à l’étranger que dans sa propre patrie »: R. LA-
TOUCHE, op. cit., p. 25.
84 L. IMBERT, Louis Lubonis, gouverneur provisoire de la province de Nice cit.,
p. 148.
85 « Ce fut Pietri qui organisa le plébiscite et dans cette tâche délicate, il fit preuve
d’une grande adresse »: R. LATOUCHE, op. cit., p. 29.
208 MARC ORTOLANI

3.1. L’expression du consentement des populations


Concernant l’organisation du plébiscite, il repose sur le principe du
suffrage universel masculin: sont électeurs tous les citoyens âgés au
moins de 21 ans, appartenant par leur naissance ou leur origine au cir-
condario de Nice, habitant la commune depuis six mois et n’ayant pas
été condamnés pénalement. Les six mois de résidence ne sont pas obli-
gatoires pour les « Niçois notoirement connus qui rentreront pour se
faire inscrire et prendre part au vote ». Dans l’esprit de Pietri et de Lu-
bonis, il s’agit donc de réserver le vote aux seuls “vrais Niçois”, en ex-
cluant tous les éléments allogènes pouvant, d’une manière ou d’une
autre, troubler le résultat. Le Consul de France à Nice, fait part au Mi-
nistère de la même position: « il faut éloigner de l’urne tous les étrangers
sans exception » 86.
La date du scrutin est fixée au dimanche 15 et au lundi 16 avril
1860 87, les bureaux de vote étant ouverts dans chaque commune de 9
heures du matin à 4 heures de l’après-midi. Dans chaque commune, est
institué un comité présidé par le syndic et composé d’au moins quatre
conseillers municipaux désignés par le gouverneur ou son délégué. Ce
comité a pour mission de dresser dans des délais très brefs les listes élec-
torales et veiller à la régularité du scrutin. Dans les communes où figu-
rent plus de 5.000 inscrits on établira plusieurs sections électorales; ce
sera le cas à Nice où quatre sections seront formées, les électeurs étant
répartis par ordre alphabétique. Le décret du 7 avril prévoit également
que le vote se fait par ordre alphabétique et par bulletins secrets, impri-
més ou manuscrits, portant la mention « oui » ou « non ».
Dans les jours qui précèdent le scrutin, se constituent des “comités
annexionnistes”, dont les sections locales sont dominées par les notables
et les curés, et qui ont pour fonction de réunir et conduire les électeurs
jusqu’aux bureaux de vote et veiller à ce que ces manifestations conser-

86 E. HILDESHEIMER, La réunion de Nice à la France vue à travers la correspondan-


ce du Ministère des affaires étrangères cit., p. 112.
87 Pietri a insisté pour que la consultation se fasse au plus tôt, sans attendre les élec-
tions de Savoie qui ont lieu le 22: « Il n’y a jamais rien à gagner à laisser traîner les choses
en longueur [...] Si l’on est prêt à Nice, il n’y a pas nécessité d’attendre jusqu’à cette da-
te »: cité par E. HILDESHEIMER, ivi, p. 122.
LE PLÉBISCITE DE 1860 NIÇOIS POUR L’ANNEXION 209

vent un caractère d’ordre et de dignité 88. En même temps, divers no-


tables s’improvisent agents électoraux et participent financièrement à la
campagne, n’omettant pas, après l’annexion, de demander le rembourse-
ment des frais avancés.
Parallèlement, l’Avenir dénonce l’action « d’italianissimes » et
« d’affiliés de société secrètes » qui seraient les instigateurs de manifesta-
tions italiennes 89. Mais en réalité, l’attitude des anti-annexionnistes a
beaucoup évolué à l’approche de la consultation électorale et glisse ra-
pidement de l’opposition à l’abstention. D’ailleurs, le 11 avril, le Comi-
té national de Nice, composé de libéraux loyaliste à la dynastie, préfère
mettre un terme à ses activités:
En présence de la pression morale et matérielle résultant de l’occupation de
fait des troupes françaises et de la proclamation du gouverneur provisoire,
où il est déclaré que toute opposition rencontrera un obstacle insurmontable
dans les désirs mêmes de Victor-Emmanuel II, [le comité] déclare que sa mis-
sion est empêchée par ces faits et s’ajourne indéfiniment 90.

Dans l’imminence du plébiscite, et considérant que la liberté du vo-


te n’est pas garantie, en raison notamment de l’attitude du gouverneur,
il conseille aux électeurs de s’abstenir. Ce n’est donc pas une opposition
aux principes du plébiscite mais une manière de dénoncer l’illégalité
dont il est entaché. La Gazette de Nice dénonce également le choix de
la date du plébiscite (les 15 et 16 avril) dont l’imminence rend difficile
l’organisation de la campagne électorale: on veut – dit-elle – « enlever la
votation par surprise ». De même, elle dénonce les « pressions intolé-
rables » exercées sur les syndics et « les citoyens réputés jouir de quelque
influence », et alimente le bruit selon lequel seront dressées « des listes
de proscription » 91.
Pour ce qui est de son déroulement, le plébiscite d’annexion est un
“vote encadré”, comme c’est la règle sous le Second Empire: la « vota-
tion » a beau se dérouler dans une atmosphère de liesse populaire, les
électeurs sont accompagnés par les curés, syndics, notables et “capitaines

88 H. COURRIÈRE, La vie politique à Nice cit., p. 65.


89 Ivi, p. 76.
90 P. GUICHONNET, Comment Nice devint française cit., p. 327.
91 H. COURRIÈRE, La vie politique à Nice cit., p. 86.
210 MARC ORTOLANI

de quartiers” qui dirigent les défilés de votants jusqu’au bureau de vo-


te. Le tout se déroule dans une ambiance de fête, les électeurs marchant
en cortège au son des tambours, portant des drapeaux et des cocardes et
arborant fièrement, enfilé dans le ruban de leur chapeau, leur bulletin de
vote, ce que le Messager salue comme une expression de « franchise dans
l’expansion de leurs vœux ». De la même manière qu’à Nice, le vote est
encadré par les autorités sociales traditionnelles dans les communes de
l’arrière-pays.
Les résultats, selon l’expression du consul de France Pillet, « dé-
passent toute espérance », et Pietri peut télégraphier à Paris que « les pré-
visions les plus favorables ont été dépassées ».
Pour une population de 125.711 habitants, 30.706 ont été inscrits
sur les listes électorales dans l’ensemble du comté 92, ce qui représente
24,43% de la population. Les 15 et 16 avril, on enregistre 25.933 votants,
soit une participation de 84,44%. Le « oui » l’emporte à une écrasante
majorité: 25.743 voix (soit 99,27% des votants); 160 ont voté « non »
(soit 0,62% des votants), et 30 bulletins nuls ont été enregistrés (0,12%
des votants). Toutefois, dans le cadre d’un plébiscite tel qu’il est organi-
sé sous le Second Empire, rapporter le nombre des suffrages exprimés
au nombre de votants, n’est pas très significatifs 93. Il faut tenir compte
également du taux d’abstention relativement élevé: 4.779 électeurs se
sont en effet abstenus, soit 15,56% des inscrits 94. Sans entrer dans le dé-
tail des résultats par communes, une certaine opposition à l’annexion se
manifeste dans les villages de l’est du comté le long de la route royale et
à proximité du Piémont et de la Ligurie (La Brigue, Tende, Breil, Saor-
ge), ainsi que dans certaines communautés du pays mentonnais (Men-
ton, Gorbio, Castellar, Sainte-Agnès). En revanche, le centre du comté
et l’ouest, proche de l’ancienne frontière avec la France, ont voté unani-

92 A Nice, sur une population de 44.091 habitants, on compte 7.912 inscrits et 6.846
votants: A. VIANI, Les abstentionnistes dans la votation du 15 avril 1860, in « Lou Sour-
gentin », 1990, n. 94, p. 24.
93 F. BLUCHE, L’adhésion plébiscitaire, in Le prince, le peuple et le droit - Autour des
plébiscites de 1851 et 1852 cit., pp. 9-10.
94 Si l’on considère que ces abstention sont des votes négatifs, conformément aux
consignes des anti-annexionnistes, et qu’on les ajoute aux bulletins blancs et nuls, 16,8%
des inscrits se sont opposés à l’annexion.
LE PLÉBISCITE DE 1860 NIÇOIS POUR L’ANNEXION 211

mement en faveur de l’annexion 95. Le vote des militaires, qui est orga-
nisé de manière distincte, donne des résultats proches de ceux de la po-
pulation civile 96.
Malgré ces quelques nuances, les résultats sont donc globalement
très positifs et le taux de participation suffisamment élevé, indiquant
qu’une large majorité des électeurs approuve le changement de souve-
raineté. Les tenants du plébiscite vont donc pouvoir exploiter ce résul-
tat afin de légitimer le traité d’annexion.

3.2. L’exploitation politique du plébiscite


L’exploitation politique du plébiscite apparaît clairement à travers
deux démarches parallèles, qui consistent d’abord à minimiser (et fina-
lement écraser) la contestation sous le poids du résultat, et ensuite à ac-
centuer certains aspects du plébiscite pour en accroître la force de légi-
timation.
Après les résultats du vote, les opposants à l’annexion font état de
multiples pressions et d’irrégularités dans le déroulement de la consul-
tation électorale 97: « on voit que la contrainte, la pression ou toute autre
influence sont les souffleurs de cette représentation par ordre », consta-
te la Gazette. Concernant les pressions, outre celles des autorités poli-
tiques et religieuses déjà évoquées 98, la Gazette stigmatise à Nice le rô-
le des “commissaires (ou capitaines) de quartier”, dans les villages, celui

95 Pour une étude détaillée des résultats des élections faisant apparaître les « zones
de refus », H. COURRIÈRE, La vie politique à Nice cit., pp. 92-95.
96 H. HEYRIÈS, Les militaires savoyards et niçois entre deux patries 1848-1871,
Montpellier 2001, pp. 235-240.
97 H. COURRIÈRE, La vie politique à Nice cit., p. 95 ss.; de son côté, l’Avenir fait état
de pressions de l’administration piémontaise: A. MAZON, Notes inédites pour servir l’his-
toire de l’annexion de Nice à la France cit., p. 204.
98 La Gazette de Nice du 13 avril 1860 les résume ainsi: « C’est toujours la même
chanson: notre Roi, leur dit-on, a cédé Nice à l’empereur, c’est une affaire faite. Il faut
que vous veniez dimanche reconnaître le nouveau gouvernement en déposant dans l’ur-
ne un bulletin portant: oui! Ceux qui ne se rendront pas à l’appel, il leur arrivera mal-
heur; pour ceux qui se rendront, les cailles tomberont rôties, toutes les bénédictions de
la terre se répondront sur eux. A preuve, voilà les manifestes du gouverneur, des syndics
et de Mgr l’évêque ».
212 MARC ORTOLANI

des cantonniers et de gardes champêtres, et dans l’ensemble du comté,


l’influence des notables et des curés. A ces pressions et intimidations,
s’ajoutent des déficiences qui étaient inévitables dans un vote organisé
en quelques jours sur des terres qui découvrent pour la première fois le
suffrage universel. On note ainsi des irrégularités dans les inscriptions
sur les listes électorales (des habitants du Var s’étant « présentés en mas-
se » pour voter, disent les opposants), des absences d’isoloirs, des ab-
sences de bulletins blancs ou portant la mention « non », les électeurs
voulant s’exprimer dans ce sens devant établir eux-mêmes un bulletin
manuscrit. En revanche, les bulletins imprimés portant la mention
« oui », largement distribués les jours précédent le vote, sont ornée d’un
aigle impérial, entretenant une confusion bien opportune avec l’aigle de
Nice.
Garibaldi, dénonce « la violation manifeste de la liberté et de la ré-
gularité du vote », et « l’âme en deuil », se sentant désormais « étranger
dans sa patrie », il démissionne avec éclat de son mandat de député pour
protester contre « le troc de Nice », fondé sur un « pacte illégal et frau-
duleux » 99. Avec Laurenti-Robaudi, il en informe ainsi le président de la
Chambre:
Attendu que cette votation a eu lieu dans un pays nominativement apparte-
nant encore à l’Etat sarde et libre de choisir entre celui-ci et la France, mais
en fait au plein pouvoir de cette dernière puissance, dans un pays occupé mi-
litairement et soumis à toutes les influences de la force matérielle et de la
pression morale [...]; Attendu que cette votation a eu lieu quant au mode
avec de graves irrégularités [...], nous soussignés, croyons de notre devoir de
déposer notre mandat de représentants de Nice, en protestant contre l’acte
de fraude et de violence qui a été accompli 100.

Cavour ne nie pas l’existence d’irrégularités, mais en minimise la


portée:

99 Il « aurait songé à organiser une expédition [...] débarquer à Nice pour s’emparer
des urnes, brûler les bulletins et faire campagne pour le maintien de Nice dans le Royau-
me. [Mais] il abandonne vite cette chimère... »: C. BIDÉGARAY, Sur un Niçois mythique,
Joseph Garibaldi 1807-1882, in Les Alpes-Maritimes 1860-1914 - Intégration et particu-
larismes, colloque de 1987, Nice 1988, p. 314.
100 Rapporté par A. MAZON, Notes inédites pour servir l’histoire de l’annexion de
Nice à la France cit., p. 207.
LE PLÉBISCITE DE 1860 NIÇOIS POUR L’ANNEXION 213

Tous les peuples libres – affirme-t-il – sont exposés à ces anomalies, à ces
exagérations, à ces inconvénients. Je veux bien admettre qu’à Nice il y en ait
été fait un usage plus important qu’à l’ordinaire; mais pouvez-vous croire
que ces moyens un peu excessifs auraient eu une puissance telle qu’elle eût
produit la quasi-unanimité en faveur de la réunion à la France, si le senti-
ment des populations et ses intérêts ne les eussent portées vers la France? 101.

En d’autres termes, même si quelques irrégularités ont été com-


mises, elles n’entachent pas la validité d’une consultation marquée par la
volonté quasi-unanime des votants d’approuver l’annexion 102. Par
ailleurs, aucune preuve n’est apportée quant à d’éventuelles pratiques de
“bourrages d’urnes” ou de corruption, et si la campagne a donné lieu à
certains engagements financiers, ils ont été orientés vers des pratiques de
propagande ordinaire, sans que l’on puisse attester d’éventuels “achats
de voix”. Quant aux prétendus “agents” que Pietri aurait envoyés dans
le comté, Albin Mazon, rédacteur de l’Avenir de Nice, indique qu’il ne
s’agissait que de « messagers pour porter des médailles, des rubans et de
bulletins de vote » 103.
Mais ce qui retient surtout l’attention, est que dans toutes les étapes
de l’annexions qui se succèdent à partir du plébiscite, ceux qui en ex-
ploitent le résultat vont avoir tendance à insister sur le libre consente-
ment des populations et présenter la “votation” comme un préalable né-
cessaire à l’annexion, alors qu’elle n’a été que la confirmation d’un ac-
cord diplomatique antérieur.
Dès le 1er mai, l’adresse envoyée à l’Empereur par le conseil muni-
cipal de Nice, s’appuie d’emblée sur le résultat du plébiscite: « Sire. Les
habitants de la ville de Nice ont exprimé eux-mêmes leur volonté. A
l’appel qui leur a été fait, 6810 vois sur 6846 votants ont librement ré-
pondu: oui, nous voulons être français ». Et dès lors, « le conseil muni-
cipal vient déposer aux pieds du trône l’hommage de son dévouement et
de sa fidélité » 104.

101 Cité par P. GUICHONNET, Comment Nice devint française cit., p. 328.
102 « Il est fort possible, [...] que des Provençaux aient été portés sur la liste des élec-
teurs et que, dans la montagne, des maires eussent touché les urnes, mais cela n’a pu mo-
difier que faiblement les résultats du vote »: A. SAYOUS, op. cit., p. 251.
103 P. GONNET, La réunion de Nice à la France cit., p. 239.
104 Cité par J. LEVROT, L’annexion de Nice à la France en 1860 cit., p. 222.
214 MARC ORTOLANI

Le 26 mai 1860, à Turin, lors du débat à la chambre pour la ratifi-


cation du traité de cession, celui-ci est focalisé sur l’italianité de Nice 105.
Face à l’opposition de la droite dynastique et de la gauche garibaldien-
ne, on ne manque pas de tirer argument du résultat du plébiscite pour
obtenir ensuite l’approbation des députés et des sénateurs. Cavour, qui
avait jadis affirmé l’italianité de Nice, peut désormais affirmer le
contraire en s’appuyant sur le résultat de la consultation 106. Aussi, le 29
mai, la Chambre ratifie le traité par 223 voix contre 36 et 23 abstentions;
le 10 juin, le Sénat l’approuve par 92 voix contre 10 et 16 abstentions 107.
Le 12 juin dans une circulaire aux syndics de l’arrondissement de
Nice, le gouverneur rappelle ce « vote libre, secret, universel [qui] a eu
lieu sous les yeux de tous [et] a été l’une des plus imposantes démons-
trations populaires que rappelle notre histoire » 108.
Deux jours plus tard, lorsque a lieu la cession officielle du territoi-
re, entre le commissaire sarde Piniroli et le sénateur Pietri, ils ne man-
quent pas non plus de rappeler, en toute logique, qu’elle se fonde sur le
traité de Turin et « l’arrêté rendu le 28 avril 1860 par la Cour d’appel
portant recensement du vote de la population ».
Enfin, à l’occasion du voyage de l’Empereur, les 12 et 13 septembre
1860, qui vient consacrer le changement de souveraineté et clore le cycle
de festivités auxquelles il a donné lieu 109, l’accueil que la population ni-

105 R. RAINERO, De bien tristes nécessités: Cavour et la discussion au Parlement de


Turin sur l’annexion de Nice, in Le comté de Nice, la France et l’Italie cit., pp. 41-60.
106 On peut remarquer cependant que l’argument du libre consentement des popu-
lations au changement de souveraineté a ses limites, et qu’il sera notamment occulté par
des considérations diplomatiques et militaires pour refuser l’annexion à la France de Ten-
de et La Brigue: M. ORTOLANI, Consentement ignoré et annexion manquée - Tende et La
Brigue en 1860, in Consentement des populations et changement de souveraineté en Eu-
rope au XIX e s. cit., pp. 345-372.
107 Côté français, le 12 juin 1860, le Sénat adopte à l’unanimité des 126 votants un
sénatus-consulte qui proclame l’incorporation au territoire français des pays annexés; le
15 juin, le corps législatif vote lui aussi, à l’unanimité des 232 voix, la loi qui forme le dé-
partement des Alpes-Maritimes: L. IMBERT, Formation et organisation du département des
Alpes-Maritimes en 1860, in « N.H. », 1940, pp. 97-118.
108 Arch. Dép. A.M. 1 M 364, circulaire du gouverneur provisoire L. Lubonis, 12-
6-1860.
109 M. ORTOLANI, La visite de Napoléon III à Nice - Une consécration symbolique
de l’annexion, in « N.H. », 2010, pp. 154-189.
LE PLÉBISCITE DE 1860 NIÇOIS POUR L’ANNEXION 215

çoise réserve à Napoléon III est tout simplement présenté comme une
réitération du plébiscite 110. C’est ainsi que les autorités locales le
conçoivent: « cette manifestation franche, cordiale, populaire – explique
le sous-préfet de Puget-Théniers – sera la consécration vivante du vote
de l’annexion » 111. C’est également de cette façon que la presse présen-
te l’événement à ses lecteurs: « il va nous être permis, par l’expression de
nos sentiments, de donner une consécration nouvelle au vote populaire
du 15 et du 16 avril » 112. Aussi, l’enthousiasme de la population – certes
parfaitement organisé par les autorités – apparaît comme une preuve
supplémentaire de l’adhésion des Niçois et clôt le processus de légiti-
mation populaire de l’annexion de Nice à la France.
Ces exemples suffisent à montrer qu’en utilisant le plébiscite à des
fins de légitimation, s’opère une évolution de la signification de la
consultation électorale, en tous cas telle qu’on la présente et telle qu’el-
le est perçue par les Niçois.
En effet, dans le discours qui suit la votation, ce qui n’est, au sens
juridique, qu’un “plébiscite de confirmation” 113 ou de “ratification” 114,
a tendance à acquérir la valeur d’un “plébiscite d’autorisation”.
En d’autres termes, dans l’esprit des contemporains, la lecture po-
litique des événements tend à occulter sa réalité juridique en accentuant
une conception volontariste de l’annexion et en échafaudant déjà le
mythe du plébiscite fondateur.
Ce glissement sémantique est évidemment de nature à renforcer la
fonction de légitimation du plébiscite puisqu’il n’apparaît plus comme
la simple confirmation d’une annexion déjà actée, mais comme libre ex-

110 « En accueillant avec enthousiasme ses souverains, la population niçoise avait


voulu que les journées des 12 et 13 septembre consacrassent le vote du 15 et 16 avril »: R.
LATOUCHE, op. cit., p. 46.
111 Arch. Dép. A.M., 1 M 492, circulaire du sous-préfet de Puget-Théniers, 29-8-
1860.
112 Le Messager de Nice, 10-9-1860, p. 1; dans la proclamation qu’il fera afficher le
14 septembre, Malausséna reprend la même analyse: « le vote du 15 et du 16 avril a eu sa
consécration dans les journées du 12 et 13 septembre ».
113 Ou plébiscite « de fortification » selon l’expression du gouverneur Lubonis.
114 Sur ces notions, H. DUVAL - P. Y. LEBLANC DECHOISAY - P. MINDU, Référen-
dum et plébiscite, Paris 1970, p. 22 ss.
216 MARC ORTOLANI

pression de la volonté des populations constituant la condition indis-


pensable au changement de souveraineté.

Torino, 2016
Finito di stampare
presso la s.r.l. - Stabilimento Tipografico - Cuneo
nel mese di novembre 2016
ISBN 978-88-97866-19-0

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