Discover millions of ebooks, audiobooks, and so much more with a free trial

Only $11.99/month after trial. Cancel anytime.

Stimuler le potentiel d'apprentissage des enfants et adolescents ayant besoin de soutien
Stimuler le potentiel d'apprentissage des enfants et adolescents ayant besoin de soutien
Stimuler le potentiel d'apprentissage des enfants et adolescents ayant besoin de soutien
Ebook614 pages5 hours

Stimuler le potentiel d'apprentissage des enfants et adolescents ayant besoin de soutien

Rating: 0 out of 5 stars

()

Read preview

About this ebook

Pour aider les intervenants actuels et futurs ainsi que les parents dans leur rôle d'éducateur, l'auteure présente une démarche d'enseignement-apprentissage développée pour répondre directement aux besoins des jeunes présentant une déficience intellectuelle ou des difficultés à apprendre. Celle-ci prend en considération les processus cognitifs impliqués dans l'apprentissage ainsi que la dimension émotionnelle qui influencent l'actualisation du potentiel des jeunes.
LanguageFrançais
Release dateNov 19, 2012
ISBN9782760534605
Stimuler le potentiel d'apprentissage des enfants et adolescents ayant besoin de soutien

Related to Stimuler le potentiel d'apprentissage des enfants et adolescents ayant besoin de soutien

Related ebooks

Special Education For You

View More

Related articles

Reviews for Stimuler le potentiel d'apprentissage des enfants et adolescents ayant besoin de soutien

Rating: 0 out of 5 stars
0 ratings

0 ratings0 reviews

What did you think?

Tap to rate

Review must be at least 10 words

    Book preview

    Stimuler le potentiel d'apprentissage des enfants et adolescents ayant besoin de soutien - Denise Normand-Guérette

    hommes.

    LISTE DES FIGURES

    ET DES TABLEAUX

    FIGURE 2.1. Types de mémoire et processus mentaux.................. 58

    FIGURE 2.2. Intégration des processus mentaux

    dans l’acte d’apprentissage........................... . 90

    FIGURE 4.1. Insécurité et volonté de puissance

    d’une personne en situation de besoin.................. . . 194

    FIGURE 4.2. Effets des interférences émotionnelles sur le jeune......... . 210

    FIGURE 4.3. Que vit le jeune qui se rejette lui-même ?.................. 211

    FIGURE 4.4. Comment le jeune en arrive-t-il à croire

    qu’il n’est pas à la hauteur ?........................... . 213

    FIGURE 4.5. Comment aider le jeune à croire qu’il est à la hauteur ?...... . 214

    TABLEAU I.1. Yannick danse au carnaval........................... . . 11

    TABLEAU I.2. Yannick patine....................................... 12

    TABLEAU I.3. Yannick répond à des questions sur des notions de temps... . 13

    TABLEAU I.4. À la suite d’une difficulté, Yannick met en valeur

    une autre capacité : la connaissance

    des mots « horizontal » et « vertical »..................... . 14

    TABLEAU 1.1. Caractéristiques cognitives des jeunes ayant besoin de soutien............... . 23

    TABLEAU 1.2. Caractéristiques cognitives des élèves

    ayant des incapacités légères à modérées................................. 24

    TABLEAU 1.3. Caractéristiques cognitives des élèves

    ayant des incapacités intellectuelles sévères.............................. . 25

    TABLEAU 1.4. Caractéristiques motivationnelles et affectives des jeunes

    ayant besoin de soutien............................................. . . 32

    TABLEAU 1.5. Éléments fondamentaux de la démarche

    d’enseignement-apprentissage élaborée par Normand-Guérette............... 40

    TABLEAU 2.1. Processus mentaux impliqués dans l’acte d’apprentissage.................. . . 47

    TABLEAU 2.2. Définitions des différents types d’attention................................. 55

    TABLEAU 2.3. Facteurs susceptibles d’influencer le fonctionnement mnésique............... . 74

    TABLEAU 2.4. Manifestations comportementales du domaine cognitif

    associées à différents syndromes....................................... . 79

    TABLEAU 2.5. Questions pour vérifier si les actions de l’intervenant suscitent

    l’activation des processus mentaux impliqués dans l’apprentissage............ . 94

    TABLEAU 4.1. Communication verbale et non verbale.................................... 198

    INTRODUCTION

    1. Une passion à communiquer.............................. 3

    2. Mon choix d’enseigner aux élèves en difficulté ou en situation de handicap.............................. . 4

    3. L’actualisation du potentiel des élèves..................... . 6

    4. Les dimensions cognitive et émotionnelle dans mes interventions auprès des élèves.................. . 7

    5. Ma motivation à m’engager dans la formation universitaire

    des enseignants spécialisés.............................. 9

    6. L’observation et l’analyse réflexive, des outils essentiels à développer chez les enseignants spécialisés............... . 9

    7. Recherche-action et expérimentation de la vidéoformation...... 15

    8. Intégration des savoirs théoriques et pratiques dans la formation des enseignants spécialisés.............................. 16

    9. Le chemin parcouru…................................. . . 17

    10. Une démarche de formation pour les enseignants spécialisés et une démarche d’enseignement-apprentissage pour les jeunes ayant besoin de soutien................................. . 18

    Les jeunes BES ¹ font face à de nombreux défis tout au cours de leur vie. Apprendre n’est pas chose facile pour eux et ils ont besoin de soutien pour y arriver. De nombreuses questions se posent aux intervenants qui interagissent avec eux, notamment : comment ces jeunes apprennent-ils ? Quels processus mentaux ont-ils de la difficulté à activer pour apprendre ? Quels moyens peut-on mettre en œuvre pour les aider à dépasser ces difficultés ? Quelle est l’importance de la dimension émotionnelle pour stimuler leur motivation à apprendre ? Comment peut-on éviter que l’interférence émotionnelle nuise à leur apprentissage ? Quelles attitudes éducatives et stratégies d’enseignement peut-on utiliser pour les aider à apprendre ? Ce livre apporte des éléments de réponse à ces différents questionnements en s’appuyant sur l’expérience que j’ai acquise en tant qu’orthopédagogue ainsi que sur les recherches que j’ai menées au cours des vingt dernières années dans le cadre de ma fonction de professeure responsable de la formation des enseignants travaillant avec des jeunes BES. « Travailler avec » signifie qu’intervenant et jeune investissent ensemble des efforts : l’intervenant accompagne le jeune et cherche avec lui des moyens pour le soutenir dans son apprentissage, et le jeune fait des efforts pour surmonter les difficultés qu’il rencontre et actualiser ses capacités.

    1. UNE PASSION À COMMUNIQUER

    J’ai choisi d’écrire ce livre en utilisant le « je » plutôt que le « nous » qui est habituellement utilisé dans les ouvrages scientifiques. En procédant ainsi, mon but est de communiquer aux lecteurs non seulement des connaissances tirées des recherches scientifiques, mais également d’exprimer ce que j’ai vécu émotionnellement à travers mes rencontres, mes expériences et mes recherches avec des jeunes BES ainsi qu’avec les adultes qui les entourent et interviennent avec eux.

    Au cours de ma carrière, j’ai été animée par une passion, celle d’aider des jeunes qui, au premier abord, apparaissent démunis à plusieurs points de vue. Or il est possible de les percevoir autrement en prenant en considération la dimension émotionnelle de leur vécu et de leur être. Cette dimension introduit une autre perspective et permet de découvrir l’autre non plus à travers des différences, mais à travers cette dimension qui pousse à l’action et qui est présente chez tout être humain.

    Tout au long de mon parcours professionnel, j’ai eu le plaisir de travailler avec des étudiants qui ont choisi de devenir enseignants en adaptation scolaire et sociale. Nous avons partagé une volonté de chercher et d’expérimenter des moyens d’aider des jeunes BES à se développer et à faire des apprentissages signifiants afin qu’ils puissent prendre leur place dans leur milieu de vie en ressentant une fierté personnelle d’agir par eux-mêmes. Ce livre est dédié à tous ces étudiants que j’ai côtoyés, à tous les enseignants, éducateurs, parents que j’ai rencontrés ainsi qu’à tous ces jeunes BES, qui ont été une source de motivation pour poursuivre et approfondir les recherches visant à les soutenir dans leur apprentissage. Travailler avec eux nécessite d’acquérir des connaissances, d’utiliser des techniques, méthodes et stratégies adaptées à leurs besoins et capacités, mais avant tout, il est essentiel d’adopter des attitudes qui permettent de développer une relation de confiance nécessaire pour les accompagner dans leur cheminement. Intervenir auprès d’eux implique de prendre en considération leurs dimensions cognitive et émotionnelle. Afin de mieux comprendre comment j’en suis venue à concevoir une démarche d’enseignement-apprentissage qui tienne compte de ces deux dimensions pour aider les jeunes BES, il m’apparaît nécessaire d’expliquer quelques éléments importants qui ont jalonné mon propre cheminement, en commençant par le choix de devenir orthopédagogue.

    2. MON CHOIX D’ENSEIGNER AUX ÉLÈVES EN DIFFICULTÉ OU EN SITUATION DE HANDICAP

    En 1969, j’avais 17 ans et je voulais être enseignante, mais je ne savais pas si je préférerais enseigner aux élèves ordinaires du préscolaire et du primaire ou aux élèves en difficulté. Une amie m’a proposé de faire du bénévolat avec un groupe de jeunes qui n’avaient pas accès à l’école en raison d’incapacités sévères sur les plans intellectuel et physique. J’ai alors rencontré le responsable des activités organisées pour ces jeunes. Cet homme avait lui-même surmonté de nombreux obstacles au cours de sa vie puisqu’il est né avec une paralysie cérébrale. À sa naissance, le médecin avait dit à sa mère qu’il ne marcherait pas, ne parlerait pas et qu’il valait mieux le placer en institution. Mais cette dernière ne s’est pas résignée et a fait tout ce qu’elle pouvait pour stimuler le développement de son fils. Malgré le pronostic très sombre établi par les médecins, il a appris à marcher, à parler et a fait des études. L’exemple du cheminement de cet enfant, qui avait un handicap physique mais non intellectuel, m’a montré qu’il aurait pu ne pas développer son plein potentiel si sa mère s’était fiée au pronostic, si elle n’avait pas cru que son fils pouvait progresser, si elle n’avait pas observé son mode de fonctionnement et si elle n’avait pas persévéré dans ses efforts pour le stimuler. Grâce aussi à sa propre persévérance et à ses efforts constants, cet enfant a atteint l’âge adulte et a pris sa place dans la société, et ce, malgré les préjugés auxquels il a dû faire face à cause de sa paralysie cérébrale. Entre autres, ses difficultés de prononciation et d’équilibre lui ont valu à plusieurs reprises d’être pris pour un homme en état d’ébriété. Conscient qu’il aurait pu être considéré comme ayant une déficience intellectuelle et qu’il a pu progresser grâce à la stimulation et au soutien reçus, il a choisi de s’intéresser aux enfants les plus lourdement handicapés. À la fin des années 1960, plusieurs de ces enfants ne fréquentaient pas l’école. Il a alors décidé d’en regrouper quelques-uns et de faire appel à des bénévoles pour animer des activités dans le but de stimuler leur développement. Ce fut mon premier contact avec des jeunes présentant des incapacités sévères sur les plans physique et intellectuel et vivant quotidiennement des situations de handicap limitant leur participation sociale. J’ai constaté que chacun à sa façon était présent au monde et répondait aux stimulations de son entourage, dans la mesure où ces stimulations avaient un sens pour lui et bien que ses réactions aient été parfois peu perceptibles. C’est alors que j’ai pris conscience que malgré leurs incapacités sévères, ces jeunes avaient un potentiel et qu’il était de notre responsabilité d’en soutenir le développement.

    Une des expériences marquantes que j’ai vécues avec eux a été un week-end passé dans une auberge au bord du lac Memphrémagog. Je me souviens des repas au restaurant, de notre attitude en tant qu’accompagnateurs et de l’étonnement des serveuses ainsi que des clients. Par exemple, les serveuses s’adressaient à nous plutôt qu’aux jeunes pour savoir ce qu’ils mangeraient et nous, nous demandions alors aux jeunes ce qu’ils préféraient. Nous n’utilisions pas un langage infantilisant et notre attitude était empreinte de considération et de respect à leur égard. Nous profitions de l’occasion pour expliquer que, malgré leur handicap, ces jeunes étaient capables d’exprimer des préférences et qu’il était important d’en tenir compte. Nous savions que les sons inarticulés, les intonations non contrôlées et les gestes mal coordonnés étaient les seuls moyens que certains d’entre eux pouvaient utiliser pour communiquer avec nous. Par exemple, lorsque que nous arrivions à comprendre ce qu’un jeune tentait d’exprimer, celui-ci manifestait sa satisfaction par des cris d’excitation et nous lui exprimions notre fierté d’avoir réussi à le comprendre. Une forme de complicité s’installait entre nous. Par notre comportement, nos attitudes et nos explications aux serveuses, nous transmettions également un message aux clients qui nous écoutaient et nous observaient. Notre façon d’être avec ces jeunes démontrait qu’ils avaient leur place dans un lieu public et l’atmosphère qui se dégageait de ces moments était sereine.

    Les différentes expériences vécues avec ce groupe de jeunes ont été très stimulantes et enrichissantes et m’ont aidée à préciser mon choix de m’inscrire au baccalauréat en orthopédagogie. Ma motivation d’enseigner à des jeunes ayant des handicaps physique et intellectuel aussi importants était d’abord émotionnelle, car je voulais donner une voix à des jeunes qui n’en avaient pas. Je voulais acquérir des compétences et disposer de moyens pour les aider à se développer et à apprendre.

    Pendant mes études en orthopédagogie, j’ai aussi vécu une autre expérience en tant que monitrice dans un camp de vacances organisé par l’Association de paralysie cérébrale. J’y ai rencontré un jeune homme en fauteuil roulant qui portait un corset à cause d’une importante scoliose et qui ne pouvait effectuer aucun mouvement volontaire, sauf celui de ses paupières. Ses parents avaient découvert que malgré ses limites physiques, leur fils était capable d’apprendre. C’est ainsi qu’il a appris à utiliser ses paupières pour épeler des mots et pouvoir communiquer : lorsqu’il baissait ses paupières, l’interlocuteur énumérait les lettres de A à L et lorsqu’il les levait, c’était au tour des lettres de M à Z. En accumulant les lettres, on formait des mots, puis des phrases. C’est ainsi que ce jeune homme a pu écrire un article de trois lignes dans le journal du camp et qu’il m’a permis de réaliser que ses incapacités physiques très sévères auraient pu empêcher son entourage de voir son potentiel intellectuel. J’aimerais préciser que cet homme s’appelle Robert Jean et que, grâce aux nouvelles technologies, il a pu, à l’âge de 55 ans, écrire un livre intitulé Des yeux pour le dire (publié en 2001 aux éditions Lescop) afin de partager ce qu’il a vécu au cours de sa vie.

    Ainsi, les expériences vécues entre l’âge de 17 et 21 ans m’ont permis de rencontrer deux adultes ayant des limitations physiques si importantes qu’il aurait été facile de penser qu’ils avaient aussi des difficultés sur le plan intellectuel, alors que ce n’était pas du tout le cas. J’ai également travaillé avec des jeunes ayant des incapacités sévères sur les plans intellectuel et physique. Toutes ces rencontres et expériences ont contribué à renforcer ma conviction qu’il ne fallait pas s’arrêter aux apparences et que tout être humain, malgré ses limitations physiques ou intellectuelles, peut apprendre et progresser.

    3. L’ACTUALISATION DU POTENTIEL DES ÉLÈVES

    Après avoir terminé mon baccalauréat en orthopédagogie, j’ai travaillé dans une école primaire où j’ai occupé, entre autres, la fonction d’orthopédagogue en soutien à l’intégration auprès d’enfants en difficulté d’apprentissage intégrés dans les classes ordinaires ainsi que d’enfants d’une classe spéciale ayant des incapacités intellectuelles associées à des déficiences multiples. Avec ces derniers, j’ai travaillé en étroite collaboration avec l’enseignante titulaire ; ma responsabilité était d’enseigner le français et les mathématiques à des sous-groupes d’enfants et d’apporter un soutien à l’intégration de quelques-uns d’entre eux en classe ordinaire pour certaines matières. L’expérience vécue avec ces élèves a également été marquante, car, sur une période de trois ans, certains ont progressé de façon suffisamment importante pour que le diagnostic soit modifié, passant de déficience intellectuelle moyenne à déficience légère dans un cas et de déficience légère à lenteur intellectuelle dans un autre cas. J’expliquerai au chapitre 4 comment l’intervention leur a permis d’actualiser leur potentiel.

    Aussi, un autre jeune âgé de 11 ans a pu faire ses premiers pas en lecture. Cet enfant était capable de recopier des mots avec une calligraphie soignée, mais il n’avait pas réussi à apprendre à lire avec une méthode globale. Il a fallu plus de six mois de travail soutenu avec une méthode gestuelle et syllabique pour qu’il puisse lire ses premiers mots. L’utilisation de gestes permettant d’associer la forme de la lettre à son phonème est un moyen mnémotechnique qui a facilité l’activation du processus de codification. Ce processus sera expliqué aux chapitres 2 et 3. Après six mois de travail avec lui, l’enseignante et moi nous sommes demandées si notre persévérance était une forme d’acharnement inutile et si nous devions persévérer dans l’apprentissage de la lecture. Nous avons pris la décision de poursuivre encore un peu et les efforts investis ont porté fruit quelques semaines plus tard. Je me souviendrai toujours du regard de cet enfant lorsqu’un matin, il est venu me dire avec beaucoup de fierté qu’il avait lu des mots devant son père, notamment le mot « papa ». Il est important de préciser que cet élève avait un frère jumeau qui suivait une scolarité régulière et il était très difficile pour le père d’accepter qu’un de ses fils apprenne plus lentement. L’expérience vécue a montré à ce jeune qu’il lui était possible de surmonter une difficulté grâce à sa persévérance et au soutien reçu, et ce, même si sa difficulté persistait depuis plusieurs années.

    Les résultats obtenus avec ces jeunes m’ont permis de constater qu’une intervention qui tenait compte à la fois des dimensions cognitive et émotionnelle avait stimulé l’actualisation de leur potentiel.

    4. LES DIMENSIONS COGNITIVE ET ÉMOTIONNELLE DANS MES INTERVENTIONS AUPRÈS DES ÉLÈVES

    Précisons d’abord que ma formation universitaire m’avait bien outillée en matière de méthodes et techniques permettant de stimuler les processus mentaux impliqués dans l’apprentissage. Cependant, j’ai constaté que j’avais des lacunes dans mes attitudes et dans ma façon d’intervenir, sur le plan relationnel et émotionnel. Pour compléter ma formation, j’ai alors cherché et expérimenté différentes approches qui pouvaient m’aider à développer ce qui était lacunaire chez moi. L’approche multidimensionnelle de Moncef Guitouni est celle qui m’a le plus soutenue dans mon intervention auprès des élèves, car elle me permettait d’intervenir en conjuguant les dimensions cognitive et émotionnelle. À travers cette approche, j’ai d’abord réalisé que pour tenir compte de la dimension émotionnelle dans l’intervention, il fallait que je fasse un travail sur moi-même afin d’être capable de reconnaître mes propres émotions, les raisons de mes comportements et de mes choix d’intervention, les motivations non seulement rationnelles mais également émotionnelles à l’origine de mon choix de carrière ainsi que l’influence de tous ces éléments dans la relation et l’intervention avec les jeunes au quotidien.

    Une de mes prises de conscience concerne ma conception de l’autorité et la façon de gérer et d’appliquer cette autorité avec mes élèves. J’étais influencée par l’autorité que j’avais « vécue » ou, comme je le disais à l’époque, que j’avais « subie » au cours de mon éducation. Je considérais que cette autorité était dogmatique et qu’elle m’avait brimée. J’étais donc en réaction contre l’exercice de l’autorité et je ne voulais pas adopter une telle attitude avec mes élèves. De plus, au cours de ma formation universitaire pour devenir enseignante spécialisée, j’avais opté pour une approche non directive avec les jeunes. Afin d’illustrer mon propos, voici un exemple. Je me souviens très bien de la difficulté que j’éprouvais en classe à gérer le groupe d’élèves qui n’avaient que 6 ans. Lorsque je les rassemblais pour l’accueil et la communication du matin après qu’ils eurent défait leur sac et échangé avec leurs camarades, je m’adressais à eux avec une attitude très amicale, qui leur laissait croire qu’ils pouvaient agir avec beaucoup de liberté. J’ai pris conscience que mon attitude était animée par deux besoins personnels. Le premier était celui d’être aimée des enfants et je croyais que pour être aimée par eux, je devais être leur amie. Le deuxième était d’adopter une attitude amicale et non autoritaire, afin de ne pas reproduire un comportement que je rejetais en raison de ma frustration et de ma réaction face à l’autorité que je considérais avoir subie injustement au cours de ma propre éducation. En adoptant une attitude amicale, je ne reproduisais pas le comportement autoritaire que je rejetais. C’est au cours des séminaires de formation pour les professionnels de l’éducation animés par Guitouni au cours des années 1970 que j’ai pu analyser mes comportements, mes émotions, mes attitudes et mes valeurs éducatives, et réaliser leur influence dans l’exercice de mon rôle d’enseignante. J’ai compris qu’il me fallait faire la distinction entre une autorité « aveugle » et une autorité « compétente » et que dans l’exercice de mon rôle, je pouvais exercer une autorité compétente sans nuire au développement de l’identité des enfants. J’ai également compris que dans la construction de son identité, l’enfant a besoin d’une certaine liberté pour expérimenter et permettre à sa volonté de puissance de s’exprimer. Il a aussi besoin qu’on lui fixe des limites pour le sécuriser et guider sa volonté de puissance. Je reviendrai sur ces deux mécanismes au chapitre 4, pour expliquer leur importance et leur rôle dans le développement de l’identité, et de quelle façon leur compréhension peut aider l’intervenant à adapter ses interventions en tenant compte des émotions vécues par les jeunes BES.

    Je crois important de donner un autre exemple. C’est au début de ma carrière d’enseignante spécialisée que j’ai expérimenté l’utilisation d’enregistrement vidéo pour observer mes élèves et m’observer moi-même dans le feu de l’action. Il s’agissait d’un exercice fait dans le cadre des séminaires mentionnés précédemment. Cette première expérience a été difficile pour moi émotivement. C’était la première fois que je me voyais en action et mon insécurité était grande. Je me demandais ce que j’allais voir, mais surtout, j’avais peur de constater que je n’étais pas à la hauteur de ce que je voulais être comme enseignante. Avant de visionner la séquence filmée, ma perception de la situation vécue était que le climat de la classe était très bruyant, que mes élèves étaient indisciplinés et que je n’avais pas réussi à animer la situation d’enseignement-apprentissage pour atteindre les objectifs pédagogiques que je m’étais fixés. Lors du visionnement, j’ai été étonnée de constater qu’il y avait une grande différence entre ma perception avant de visionner et ce que je voyais à l’écran. En effet, il y avait du bruit dans la classe, mais ce bruit était acceptable compte tenu du contexte de la situation d’enseignement-apprentissage. De plus, les élèves bougeaient, mais on ne pouvait pas dire qu’ils étaient indisciplinés. À certains moments, il fallait ramener à l’ordre certains d’entre eux, mais globalement, l’ensemble du groupe accomplissait la tâche demandée. Cette prise de conscience m’a servi tout au long de ma carrière d’enseignante spécialisée et d’orthopédagogue, mais aussi dans ma fonction de chercheure et de formatrice au niveau universitaire. C’est en utilisant l’approche multidimensionnelle de Guitouni que j’ai pu prendre conscience de l’influence des perceptions et des émotions ainsi que de l’importance pour tout intervenant de faire un travail sur lui-même pour développer non seulement la dimension rationnelle de son intelligence, mais également la dimension émotionnelle. En ce sens, l’approche de Guitouni est exigeante, car il ne s’agit pas d’appliquer des méthodes ou des techniques, mais d’intégrer pour soi-même les dimensions émotionnelle, rationnelle et instinctive de l’identité personnelle afin de pouvoir en tenir compte dans la façon d’intervenir, ainsi que dans l’analyse et la compréhension des comportements, attitudes et émotions des jeunes. Le chapitre 4 approfondira les explications sur cette approche multidimensionnelle.

    5. MA MOTIVATION À M’ENGAGER DANS LA FORMATION UNIVERSITAIRE DES ENSEIGNANTS SPÉCIALISÉS

    Le développement de mes compétences pour intégrer la dimension émotionnelle dans ma pratique pédagogique m’a amenée à obtenir des résultats intéressants avec les jeunes ainsi qu’avec leurs parents, car dès le début de ma carrière, j’étais convaincue de la nécessité de travailler en partenariat avec eux. Petit à petit, j’ai pris conscience de l’importance, pour les futurs enseignants, d’acquérir dès la formation initiale les compétences que je développais alors dans l’exercice de ma profession. De plus en plus, je souhaitais apporter ma contribution à la formation des maîtres, pour développer les compétences des futurs enseignants non seulement sur le plan des méthodes et techniques d’enseignement, mais également par rapport aux dimensions émotionnelle et relationnelle. Je voulais les aider à diminuer le sentiment d’impuissance qu’ils pourraient vivre en début de carrière et que j’avais moi-même éprouvé à cette période, alors que je constatais que ma formation universitaire ne m’avait pas préparée à établir une relation de confiance avec mes élèves, relation pourtant essentielle afin de pouvoir les soutenir dans leur apprentissage.

    Au cours de mes études, j’avais également fait une autre constatation qui m’incitait à vouloir enseigner au niveau universitaire. Mes professeurs étaient issus de différentes disciplines, telles que la psychologie et la sociologie, dont l’apport est indéniable dans la formation des enseignants. Toutefois, aucun n’avait de formation en orthopédagogie, car il s’agissait d’une nouvelle discipline. En poursuivant des études supérieures dans ce domaine, je voulais me préparer à former les futurs enseignants en adaptation scolaire et sociale. Mon objectif était d’utiliser l’expérience acquise en milieu scolaire auprès des élèves en difficulté ou en situation de handicap ainsi que les connaissances acquises en recherche afin de les intégrer dans la préparation des cours universitaires. De cette manière, je souhaitais apporter ma contribution pour atténuer certaines des lacunes que j’avais moi-même constatées durant ma propre formation.

    6. L’OBSERVATION ET L’ANALYSE RÉFLEXIVE, DES OUTILS ESSENTIELS À DÉVELOPPER CHEZ LES ENSEIGNANTS SPÉCIALISÉS

    Après avoir été enseignante spécialisée et orthopédagogue pendant douze ans, je suis devenue professeure à l’université et j’ai développé des cours visant à préparer les futurs enseignants spécialisés à travailler avec les jeunes BES. Étant donné mon expérience directe auprès de ces jeunes et de leurs enseignants, j’ai favorisé dans mes cours les liens entre les contenus théoriques, leur mise en application et la réalité vécue par ces jeunes. J’ai utilisé des moyens didactiques favorisant la réflexion critique et la participation active des étudiants. Cela exigeait beaucoup d’efforts et d’engagement personnel de leur part, car ils devaient aller sur le terrain et interagir avec des jeunes BES, ce qui représentait pour plusieurs d’entre eux un premier contact. Les cours étaient structurés de façon à ce qu’ils prennent conscience de l’importance de leurs interventions non seulement par rapport aux processus mentaux impliqués dans l’apprentissage, mais également par rapport à ce que vivent ces jeunes émotionnellement. L’ensemble de la démarche pédagogique a permis aux étudiants d’acquérir des connaissances ainsi que de développer des habiletés et des attitudes et de changer certaines perceptions par rapport aux jeunes BES, à leur façon d’apprendre et à la façon d’intervenir avec eux.

    L’observation et l’analyse réflexive sont deux habiletés auxquelles j’ai accordé beaucoup d’importance dans l’ensemble de mes cours. Par exemple, pour faire l’étude des caractéristiques cognitives, langagières, motrices, sociales et affectives des jeunes BES, les étudiants devaient utiliser différents outils d’observation afin de faire le portrait d’un jeune avec lequel ils travaillaient durant toute une session. J’ai introduit la technique de la vidéoformation dans les travaux axés sur l’observation et l’intervention. Les étudiants devaient effectuer des enregistrements vidéo afin d’observer les caractéristiques des jeunes et leurs interventions auprès d’eux, puis ils présentaient et analysaient ces vidéo en classe. Ainsi, tous les étudiants avaient la possibilité d’observer et d’analyser les caractéristiques de jeunes d’âges variés ayant des capacités et des difficultés différentes.

    L’expérience que j’ai acquise au cours des années ainsi que ma capacité à tenir compte de la dimension émotionnelle et à la mettre en relation avec les observations effectuées par rapport aux aspects cognitif, langagier, moteur et social, m’ont permis d’utiliser les enregistrements vidéo pour amener les étudiants à développer leurs propres capacités d’observation et à approfondir leur analyse réflexive en allant au-delà des premiers faits observés et en tenant compte de la dimension émotionnelle. Lors des présentations orales, je les questionnais sur ce qu’ils observaient et je leur faisais remarquer des éléments qu’ils n’avaient pas vus au premier abord.

    Afin d’illustrer de quelle façon il est possible d’aller plus loin dans l’observation et la compréhension des comportements et attitudes des jeunes, voici un exercice que je propose dans mes cours à partir de l’exemple d’un adolescent de 16 ans nommé Yannick. J’ai sélectionné quatre des quatorze séquences d’un enregistrement vidéo d’une durée de vingt minutes. Chacune de ces quatre séquences est ici présentée dans un tableau incluant, d’une part, les faits observés et, d’autre part, les caractéristiques qui s’en dégagent, classées par domaine de développement. À la suite de la présentation de chaque séquence, j’analyse comment j’amène les étudiants à approfondir leurs habiletés d’observation et d’analyse pour identifier avec précision la nature des capacités et des difficultés du jeune en relation avec ce qu’il vit émotionnellement.

    TABLEAU I.1. Yannick danse au carnaval

    Lors du visionnement en classe de la séquence du tableau I.1, les étudiants remarquent d’abord ce qui est le plus évident, soit ce qui concerne la motricité globale. Une question telle que « Qu’est-ce que vous observez aux plans social et affectif ? » les amène à porter attention à ces dimensions et à constater que Yannick aime interagir avec les autres et être la vedette. En poursuivant l’analyse, on formule des hypothèses sur ce qui peut inciter Yannick à adopter un comportement de vedette. Il peut être animé par le besoin de démontrer ses capacités motrices ou par le désir que les autres les reconnaissent. Dans cet exemple, j’amène les étudiants à faire la distinction entre une caractéristique affective qui est liée à un besoin que le jeune éprouve par rapport à lui-même (il sent le besoin de démontrer ses capacités) et une caractéristique sociale qui est davantage liée à une interaction avec les autres (son besoin est de recevoir des autres une rétroaction exprimant qu’ils apprécient et reconnaissent ses capacités). C’est en comparant les comportements observés dans cette séquence à des comportements observés dans d’autres situations qu’il sera possible ultérieurement de vérifier les hypothèses émises.

    TABLEAU I.2. Yannick patine

    Lors du visionnement en classe de la séquence du tableau I.2, les étudiants remarquent à nouveau ce qui est le plus évident et qui touche la motricité globale. Par contre, le comportement langagier passe souvent inaperçu et mon rôle est de leur demander ce qu’ils ont observé sur le plan du langage. C’est alors qu’ils constatent que Yannick répond à une question en exécutant l’action plutôt que de répondre verbalement. L’analyse permet à nouveau d’approfondir la compréhension de ce comportement et de formuler des hypothèses qu’il faudra vérifier ultérieurement en le comparant à d’autres observations. Confiant en lui, Yannick trouve-t-il plus efficace de passer à l’action pour démontrer ses capacités ? Cherche-t-il à mettre en évidence ses capacités motrices aux yeux des autres ? Est-il gêné de s’exprimer verbalement face à la caméra ? A-t-il des difficultés à s’exprimer verbalement et préfère-t-il utiliser l’action pour se faire comprendre ? Il est important de préciser que, dans les premières séquences de l’enregistrement vidéo, Yannick ne parle pas, il agit. Ce n’est que plus tard qu’on pourra observer ses difficultés de prononciation et comprendre les stratégies qu’il utilise pour s’exprimer et se faire comprendre.

    TABLEAU I.3. Yannick répond

    Enjoying the preview?
    Page 1 of 1