Le Club des gentlemen, 3ème partie: La série Le Club des gentlemen, #3

1

Chapitre un

Octobre

New York

Le matin suivant le gala de la Croix rouge fut le début d’un jour d’automne parfait. Par les fenêtres qui occupaient tout le mur de la pièce à vivre de l’appartement de Nick, au dix-huitième étage, le ciel bleu éclatant, sans un seul nuage à l’horizon, surplombait les immeubles du centre de Manhattan. Au-delà des fenêtres, le vaste paysage urbain s’étendait à l’horizon, les gratte-ciel d’acier et de verre réfléchissant et dispersant les rayons du soleil. Mais, alors que Nick et moi sirotions notre café matinal ensemble, le ciel ensoleillé et clair d’automne semblait nous railler par sa beauté harmonieuse, tant ce bleu continu et éclatant était aux antipodes des nuages menaçants qui pesaient sur nous.

Dès l’instant où la police avait trouvé la mallette pleine d’argent utilisée pour payer nos agresseurs, avec les empreintes digitales de Forbes Endicott dessus, l’enquête de la police sur l’attaque de la voiture de Nick s’était concentrée sur Endicott, en plus de quelques-uns de ses collègues et collaborateurs potentiels. Mais, la nuit dernière, au gala de la Croix rouge, Endicott avait été violemment tué et Nick croyait maintenant qu’Endicott n’avait été qu’une victime innocente du même tueur qui occupait nos moindres pensées, le tueur qui nous avait attaqués et qui continuait de nous menacer.

Après avoir terminé sa deuxième tasse de café, Nick disparut dans sa salle de sport, souhaitant sans doute brûler un peu de sa nervosité. Je décidai pour ma part qu’une longue douche brûlante m’aiderait peut-être à me détendre. Lorsque ma vie semblait hors de contrôle, la familiarité sans exigence des activités quotidiennes réussissait parfois à me calmer. Je réussirais peut-être à gérer ma tension interne en m’occupant comme s’il s’agissait d’un jour normal… malgré le fait indéniable que cette journée était tout sauf normale. La nuit dernière, à notre retour du gala, j’avais mal dormi, et Nick avait lui aussi été agité.

Je pris une douche et me séchai les cheveux, avant de choisir une jupe orange brûlé en velours côtelé dans mon placard. Malgré ma fatigue et les inquiétudes qui me tiraillaient, émoussant ma détermination à rester positive, je souris tout en laissant courir les doigts sur le tissu côtelé, me rappelant la petite boutique de Paris où je l’avais dénichée et ma joie lorsqu’elle s’était révélée de longueur parfaite, s’arrêtant suffisamment au-dessus de mes genoux pour mettre mes jambes en valeur sans franchir la limite d’une mini-jupe. Les petites choses me rendaient heureuse, décidai-je en enfilant la jupe et en refermant la glissière latérale, avant de choisir un chemisier en soie bleu foncé.

Alors que je terminais de boutonner mon chemisier, Nick entra dans la chambre, m’entoura de ses bras et déposa un baiser sur mes cheveux.

— Rocco vient de m’envoyer un texto, dit-il. Il sera là dans une demi-heure.

Je caressai la barbe naissante de Nick du bout des doigts et laissai courir une main sur le t-shirt humide qui épousait son torse musclé.

— Tu sembles avoir fait une sacrée séance d’entraînement.

Ses lèvres esquissèrent un sourire, mais la lueur troublée dans son regard ne mentait pas. Il essayait de rester fort pour moi, tout comme je m’efforçais de rester forte pour lui.

— Après une séance de poids et haltères et vingt minutes sur le tapis roulant, je dois probablement sentir le vestiaire, dit-il.

Je fis mine de humer son t-shirt.

— Tu es une véritable usine de testostérone, mais c’est étrangement attirant. Si nous avions un peu plus de temps, je t’arracherais ce t-shirt humide et je m’occuperais de toi.

Il m’embrassa rapidement avant de se détourner et de se diriger vers la chambre principale.

— Après notre rencontre avec Rocco, je te prendrai peut-être bien au mot.

Lorsque Rocco arriva vers dix heures, nous nous saluâmes, puis nous assîmes dans la pièce à vivre, Nick et moi côte à côte sur le grand canapé en cuir et Rocco sur un fauteuil adjacent.

— Par où veux-tu commencer ? demanda Nick.

— Par la mort d’Endicott, dit Rocco. Tôt ce matin, le médecin légiste a examiné le corps d’Endicott et sa conclusion préliminaire est un décès par empoisonnement au cyanure. Même si cette conclusion ne sera pas officielle avant l’arrivée des résultats de toxicologie, personne ne s’attend à ce qu’elle change.

Je regardai Rocco.

— Du cyanure ! C’est ce qu’a dit le médecin au gala.

— Selon le médecin légiste, c’est probable, dit Rocco. Les témoins ont révélé à la police qu’avant sa mort, Endicott vomissait et avait des convulsions ; ce sont des symptômes caractéristiques d’un empoisonnement au cyanure, mais nous en aurons la preuve formelle, une fois les résultats de toxicologie disponibles. Comme Nick et moi en avons brièvement discuté hier soir, nous devons envisager la possibilité qu’Endicott ait été tué par la même personne qui a tenté de vous tuer. Mais avant tout, nous devons nous tourner vers les personnes les plus proches d’Endicott, dont deux au moins profiteront grandement de sa mort.

— Nous t’écoutons, dit Nick.

Rocco poursuivit :

— Avec la mort d’Endicott, Beardsley Fripp devrait être le prochain PDG d’Endicott Trumbull. C’est un mobile puissant. Il y a aussi l’aspect du tempérament de Fripp. Nous savons qu’il prend des libertés avec les lois et qu’il a fait montre de penchants violents par le passé.

Nick secoua la tête.

— Je suis d’accord avec tes arguments pour ce qui est du mobile, mais il est difficile de croire que Fripp ait tué Endicott. Endicott était son ami depuis toujours, son meilleur ami. Tu aurais dû voir Fripp la nuit dernière au gala lorsqu’il a réalisé qu’Endicott était mort. Fripp était sous le choc et anéanti. Il était submergé par la souffrance.

— C’est vrai, acquiesçai-je, en me rappelant les larges épaules de Fripp secouées par les sanglots, alors qu’il gémissait, à genoux, devant le corps sans vie d’Endicott. Au début, il a refusé de croire à sa mort. Il a affirmé qu’Endicott avait besoin de réanimation cardiaque et il était sur le point de placer sa bouche sur celle d’Endicott lorsqu’un homme près de lui l’a arrêté, affirmant que cela pouvait être dangereux.

— Fripp paraissait vraiment ravagé par la mort d’Endicott, dit Nick. Si ce n’était qu’une simulation, alors sa performance mérite un oscar.

— En plus de Fripp, il y a également la femme d’Endicott, Elizabeth, dit Rocco. Selon mes sources, leurs soucis conjugaux étaient notoires et, comme leurs deux enfants sont adolescents, son testament laisse probablement à Elizabeth la plus grande partie de sa fortune sur-le-champ, en plus de lui laisser le contrôle de l’argent en fiducie pour leurs enfants. Vu le montant en jeu, il ne fait aucun doute que la police se penchera de plus près sur le cas d’Elizabeth Endicott.

Je me rappelai la lueur dans les yeux d’Elizabeth alors qu’elle se tenait, droite comme un piquet et les lèvres pincées, aux côtés du corps de son mari, sa robe de soirée éclaboussée de vomissure. Elle n’avait pas semblé surprise, encore moins désolée, par la mort de son mari. Au contraire, son regard m’avait fait croire qu’il ne lui manquerait pas le moins du monde.

— Elizabeth ne m’a pas paru choquée par la mort de son mari, dis-je. Je dirais même qu’elle semblait satisfaite. Elle nous a aussi dit qu’elle finançait la branche new-yorkaise de la Croix rouge. Et si elle avait une connaissance chez le traiteur qui s’est occupé de l’événement hier ? Aurait-elle pu payer quelqu’un pour qu’il ajoute du poison au verre de son mari ?

— Dans la loterie cosmique, Elizabeth Endicott a remporté gros hier soir, dit Nick. Elle est débarrassée d’un mari qu’elle n’a jamais aimé et qu’elle ne semblait même pas apprécier. Je ne crois tout de même pas qu’Elizabeth ait tué son mari, peu importe combien elle souhaitait sa mort. Cette femme est une mondaine ignorante de la pire espèce. Le responsable de l’empoisonnement d’Endicott possède des compétences et des relations qu’elle n’a pas.

— Comment le poison a-t-il pu être ajouté au verre d’Endicott ? demandai-je à Rocco. La sécurité au gala semblait stricte et Nick m’a dit que le musée est aussi protégé par un système de surveillance de pointe.

— Des détecteurs de métal et des appareils à rayons X n’auraient pas relevé une fiole de plastique ou un sachet de poison, dit Rocco. Il aurait été facile pour quiconque de passer la sécurité avec le poison.

— Comment crois-tu que ça se soit déroulé ? demanda Nick.

— Je crois que c’était un boulot pour deux, dit Rocco. Un serveur se tient près du groupe d’Endicott et attend que Forbes Endicott commande son cocktail habituel. Un barman est prêt, le poison dans sa poche. Le serveur s’approche du barman et lui fait un signe. Puis, le barman laisse tomber en douce le poison dans un verre, dissimulant ses gestes derrière le bar, avant d’ajouter les liquides et de mélanger le cocktail. De nombreux poisons sont solubles dans l’eau et la couleur rouge du Campari aurait permis de camoufler toute opacité, tout comme le faible éclairage pendant la partie danse et cocktail suivant le dîner.

— Manipuler le poison n’était pas dangereux pour le barman ? demandai-je.

— Pas forcément, dit Rocco. Si nous prenons le cas du cyanure, puisque c’est le poison supposé avoir causé la mort d’Endicott, l’ingestion d’un gramme tuera un homme, mais toucher la poudre ou recevoir quelques gouttes d’une solution au cyanure sur la peau ne sera pas assez puissant pour faire quoi que ce soit. Manger des amandes ou fumer une cigarette laisse une petite dose de cyanure dans le corps, mais ce dernier est parfaitement capable de la gérer.

— Je suppose que la police interroge les barmans et les serveurs, dit Nick. Vu le nombre de personnes présentes, en plus de la vidéo de surveillance, il devrait être assez simple d’établir qui a préparé le verre d’Endicott et qui le lui a servi.

La nuit dernière, au gala, la police avait retenu tous les gens pendant plus d’une heure. Comme les autres invités, nous avions passé la majorité de ce temps dans le hall, près des squelettes de dinosaures, la police ayant rapidement délimité Milstein Hall, la pièce où Endicott avait trouvé la mort, comme scène de crime potentielle. Après avoir parlé à plusieurs témoins, la police avait envoyé un jeune policier pour prendre les noms des autres témoins potentiels, dont Nick et moi, et pour nous informer que nous pourrions recevoir des demandes de la police dans les prochains jours, pour des entretiens ou des déclarations. Vers vingt-deux heures trente, nous avions enfin tous pu quitter le Musée d’histoire naturelle.

— Selon mes sources, la police a permis aux invités et à l’orchestre de quitter le musée hier soir, mais a retenu les serveurs et les barmans, dit Rocco. L’interrogatoire du personnel de service a commencé immédiatement, et je m’attends à recevoir des nouvelles de ces interrogatoires plus tard aujourd’hui. Comme tu l’as dit, les personnes responsables de l’empoisonnement d’Endicott devraient être identifiées rapidement.

— Ce qui pourrait mener à la personne qui les a embauchés, dis-je.

Rocco me regarda.

— C’est possible. Mais si Nick a raison et si le responsable de la mort d’Endicott est la même personne qui vous a menacés, Nick et toi, et qui a tenté de vous tuer, alors ce ne sera peut-être pas aussi simple.

— Tout à fait d’accord, dit Nick. Notre agresseur s’est révélé extrêmement malin. Pour l’instant, il a réussi à échapper à notre enquête et à celle de la police.

— Si tu as raison et si Endicott n’était pas responsable de l’attaque contre nous, échapper à l’enquête n’est pas le seul tour de force du tueur, dis-je. Il a aussi piégé Endicott. Il a volé sa mallette avec ses empreintes digitales et lui a fait porter le chapeau pour notre attaque.

— Sans compter l’empoisonnement d’Endicott, dit Nick. Peu importe l’identité de notre adversaire, il est intelligent et possède des contacts et des ressources financières importantes. Il n’aurait pas pu faire tout ça, sinon.

— Nous ignorons s’il s’agit d’un homme ou d’une femme, dis-je. Nous ignorons même s’il s’agit d’une seule personne. Ça pourrait tout aussi bien être deux personnes ou plus.

— Tout ce que nous avons évoqué est possible, dit Rocco. Mais pour l’instant, évitons de tirer des conclusions. Selon mes sources, Centerpost n’est pas la seule acquisition sur laquelle travaille Endicott Trumbull et les actifs de l’entreprise sont considérables.

— C’est un bon point, dit Nick. Plus d’une personne pourrait profiter de la mort d’Endicott. Même s’il faut admettre que le timing de son meurtre est étrangement opportun, avec le conseil de Centerpost prêt à voter l’acquisition dans moins de deux semaines.

Rocco s’adossa au fauteuil.

— En raison de ce timing, il est tentant d’établir ce lien, mais pour l’instant, nous n’avons aucune preuve en ce sens.

— Que nous recommandes-tu ? dit Nick.

— Pour l’instant, nous attendrons, dit Rocco. Plus tôt ce matin, j’ai appelé Bill Garcia, le détective responsable de notre enquête et je lui ai fait part de nos soupçons concernant le lien entre la mort d’Endicott et l’acquisition de Centerpost, en plus des menaces et de l’attaque contre vous. Dès que Garcia en saura plus, il communiquera avec moi.

— Crois-tu avoir de ses nouvelles aujourd’hui ? demanda Nick.

— Oui, dit Rocco. Ce que nous apprendrons dans les vingt-quatre prochaines heures pourrait tout changer.

2

Chapitre deux

Une fois Rocco parti, Nick me lança un regard de frustration avant de se prendre la tête à deux mains et de jurer à voix basse.

— Rocco ne veut pas que nous tirions des conclusions trop rapides, mais je suis convaincu que la mort d’Endicott est liée à l’acquisition de Centerpost.

— Que tu aies raison ou non, la mort d’Endicott aura très probablement laissé une tonne d’indices, dis-je. La police identifiera les serveurs impliqués dans l’empoisonnement et les interrogera sur leur mobile. Nous saurons s’ils ont agi de leur propre chef ou si quelqu’un les a embauchés. S’ils ont été embauchés, nous découvrirons peut-être le nom du responsable. Et il pourrait aussi y avoir des preuves matérielles. Le poison se trouvait probablement dans une fiole ou un sachet. Il pourrait s’y trouver des empreintes digitales ou bien le contenant pourrait être identifiable et nous pourrions découvrir d’où il vient