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Sublime I - définitions

Définitions du sublime

Chapitre 1

Le sublime : entre élévation et intensif ication

Le terme recouvre plusieurs sens, selon qu’on s’intéresse à son histoire, à ses
connotations dans les différentes langues européennes et à ses multiples interprétations
au fil des siècles. Il n’est par conséquent ni possible ni souhaitable d’arrêter une
quelconque définition du terme. Nous serons ainsi contraints d’en envisager plusieurs,
différentes et non moins complémentaires. Comme l’indique Alenka Zupancic, le Sublime
est un concept-noeud, au croisement de concepts différents . Cette introduction à la notion
a donc vocation à se frayer un chemin dans un espace vaste et complexe, entre
étymologies, interprétations et croyances.

A/ Définition étymologique

Est Sublime ce qui est placé très haut, au premier rang dans la hiérarchie des valeurs
esthétiques, morales ou spirituelles, et suscite à ce titre l’admiration ou provoque une
émotion . Le terme vient de l’adjectif du latin classique Sublimis, dont le sens est
problématique puisqu’on le dérive de sub (qui marque le déplacement vers le haut) et de
limis, (oblique, de travers ), ou au contraire, de limen (limite, seuil). Quelle que soit
l’étymologie exacte du terme, sa signif ication première est « qui va en s'élevant » ou « qui
se tient en l'air ».

B/ Définition diachronique

Retracer scrupuleusement l’histoire de la notion serait difficile et fastidieux. Mieux vaut


aussi observer les glissements de sens d’une interprétation à l’autre, afin de saisir la
notion dans son aspect le plus riche et dynamique.

1. Ps.-Longin

Ps.-Longin est le premier, dans son essai intitulé Peri Hupsous, à sortir le sublime du
champ de la rhétorique et à s’interroger directement sur l’origine de ce sentiment. L'emploi
d'hupsos s’y fixe dans une relation privilégiée à la simplicité du discours, à la force de
conception et à la grandeur d'esprit. Mais hupsos n'est pas le seul terme qu'on puisse
rendre par « sublime » dans le Peri hupsous. Quatre notions viennent en effet enrichir le
terme : Megaloprepês qui désigne l'ampleur et la majesté du style, plutôt que sa sobriété ;
Megethos (la grandeur) ; Hadros, que Quintilien donne pour équivalent de sublimis, qui
désigne la première source du sublime, et signif ie « ce qui atteint son but avec force dans
les pensées » ; enfin Deinos (terrible, redoutable ), qui réfère au modèle du sublime
concentré et fulgurant. Se dessinent chez Longin les contours d’un sublime démesuré et
irrésistible. Un sublime sorti pour ainsi dire de ses gons, affranchi des prescriptions de la
stylistique, plus fort car plus polysémique.

2. Edmund Burke

À la suite de Ps.-Longin, Burke tente une genèse et une archéologie du sublime dans son
ouvrage de référence, Philosophical Enquiry into the Origin of our Ideas of the Sublime
and Beautiful. Il y conceptualise un plaisir négatif qui tient au recul et à la distance établis
par rapport au douloureux et au terrible. Ce plaisir, il le nomme « Delight », délice. Ce
sentiment accompagne de façon caractéristique la formation de l’idée du sublime. Le sens
du mot évolue, se voit adjoindre d’autres termes, notamment ceux d’étonnement
(astonishmment) et d’effroi (Awe). Tout en conservant la puissance que lui conférait Ps.-
Longin, le sublime gagne un aspect plus sombre, plus violent encore . Dans le même
temps, s’ajoute au sublime une nouvelle caractéristique, reprise ensuite par tous, celle de
la distance. Le terrible ne saurait en effet être délicieux, s’il n’était d’abord saisi à distance.

3. Emmanuel Kant

S’intéressant tout au long de son œuvre à la notion de Sublime, Kant adopte une
démarche entièrement différente de celle de Burke. Plutôt que de déterminer l’origine de
ce sentiment, il s’agit pour lui de le légitimer. À l’approche génétique de Burke, il substitue
une approche juridique . Kant distingue deux formes du sublime : le sublime
mathématique, simple, immense, à la limite du beau ; et le sublime dynamique, informe,
sauvage, terrif iant. L’un et l’autre dépassent l’homme (dans le premier cas son
imagination, dans le second son intégrité physique), et le révèlent comme être spirituel.
Prenons l’exemple du sublime mathématique qui se traduit d’abord par un échec de
l’imagination. Pour illustrer cet échec, Kant évoque Savary qui, dans ses Lettres d’Egypte,
explique combien il est difficile de contempler les pyramides à une juste distance. Kant
pointe du doigt ce « sentiment de l’impuissance de son imagination pour présenter l’idée
d’un tout » et note immédiatement après : « en ceci l’imagination atteint son maximum et
dans l’effort pour la dépasser, elle s’abîme elle-même, et ce faisant est plongée dans une
satisfaction émouvante » . Peine et satisfaction sont les deux indices simultanés du
sublime kantien, qui conserve en cela l’héritage burkien. Mais pour légitimer le sublime,
Kant l’analyse dans une optique transcendantale. S’il est source à la fois de peine et de
satisfaction, ce n’est pas seulement parce qu’il fait entrevoir ce qui ne peut être imaginé,
mais plus fondamentalement parce qu’il nous révèle notre condition d’homme. En nous
faisant accéder à un infini, quelque chose de l’ordre du nouménal, il nous fait regarder
comme dérisoire ce qui appartient au phénoménal, c’est-à-dire l’ici-bas. Kant l’explique en
ces termes : « ce n’est pas dans la mesure où elle suscite la peur que la nature est
appréciée comme sublime dans notre jugement esthétique, mais parce qu’elle provoque
en nous la force qui nous est propre (et qui n’est pas nature) de regarder comme petites
les choses dont nous nous inquiétons (les biens, la santé et la vie) » . Le sublime est donc
affaire d’écart, entre ce que je perçois et ce qui me dépasse, sensible et intelligible,
esthétique et philosophie. Comme le formule très justement Baldine Saint Girons, « Le
sublime, pourrait-on dire, est ce dans quoi l’esthétique avoue alors la nécessité dans
laquelle elle se trouve de penser ses modes (même négatifs) d’accès à l’absolu (…). Avec
le sublime, l’esthétique devient philosophie» . Cette expérience transcendantale inspire
moins l’étonnement qu’une sorte de respect (Achtung) devant « cette force qui nous est
propre » que Kant nomme liberté.
Calquant son analyse sur celle de Kant, Schiller offre une définition relativement
synthétique du sublime : « Nous nommons sublime un objet à la représentation duquel
notre nature physique sent ses bornes, en même temps que notre nature raisonnable sent
sa supériorité, son indépendance de toutes bornes : un objet donc à l’égard duquel nous
sommes physiquement les plus faibles, tandis que moralement nous nous élevons au-
dessus de lui par les idées » . L’idée dynamique d’élévation, comprise dans l’étymologie
latine du mot, refait apparition dans son acception kantienne.

4. Edmund Burke et Emmanuel Kant : regards croisés et divergences de fond

Burke et Kant se retrouvent sur plusieurs attributs du sublime. La sécurité par exemple est
chez l’un comme l’autre considérée comme la condition sine qua non du sublime. Sans
sécurité, la peur l’emporte, la liberté si chère à Kant n’est plus garantie, pas plus d’ailleurs
que le delight Burkien. Mais au-delà des quelques conditions préalables - un spectacle
splendide ou terrif iant, une distance minimale -, les théories divergent. Il suffit de revenir
sur les termes : la liberté kantienne, le délice burkien : il est clair que les deux auteurs ne
partagent guère le même intérêt pour le sublime, du moins ne s’y intéressent-ils pas pour
les mêmes raisons. Kant l’analyse dans une optique métaphysique. Ne prenant pour objet
de son discours sur le sublime que la nature (sa beauté, sa fureur), il ne cache cependant
pas que le véritable sublime reste l’esprit se révélant à lui-même dans le spectacle de la
nature. En d’autres termes : « le sublime authentique ne peut être contenu en aucune
forme sensible » . Burke situe au contraire son analyse sur un plan strictement immanent
et n’hésite pas à l’ancrer dans le sensible. La grandeur suscite pour lui moins le respect,
que l’effroi, l’étonnement. Le sublime, résume Lyotard, n’est pas pour Burke affaire
d’élévation, il est affaire d’intensif ication .
Kant et Burke divergent plus radicalement encore sur la nature du sublime : au pire
naturel, au mieux spirituel chez Kant, le sublime relève au contraire chez Burke de
l’artif ice. Burke oppose à la nature Kantienne l’artif ice, arguant que la perception de l’infini
ne peut procéder que d’un leurre . Intégrant à son analyse les artif ices, Burke élargit
d’autant le champ du sublime. Ce dernier ne réside plus dans une grandeur ou une
puissance absolue - fut-elle naturelle ou abstraite -, mais également dans des œuvres
produites par l’homme.

Nous distinguons donc chez ces deux philosophes deux plans radicalement opposés de
l’analyse du sublime. Chez Kant, c’est la profondeur métaphysique qui prime, la
légitimation du sentiment par la révélation de l’homme à lui-même en tant qu’être libre.
Mais « la rançon de cette profondeur métaphysique, c’est l’absence de sensibilité au
leurre, à l’artif ice, à une espèce de perfection sensible qui conduit au vertige : chose qu’on
trouve, au contraire chez Burke » . Chez Kant, l’homme était un spectateur prenant
conscience, à travers un phénomène lui étant étranger, de lui-même. Avec Burke, l’homme
devient insidieusement juge et partie, à la fois producteur (d’un événement, d’un objet) et
spectateur. Un glissement s’opère, quelque peu hégélien : le sublime en l’homme se
manifeste pour ainsi dire dans l’artif ice burkien.

5. Jean-François Lyotard

Le sublime bénéficie d’un important regain d’intérêt durant la seconde partie du vingtième
siècle. En France, des auteurs tels que Gilles Deleuze, Jacques Derrida, Jean-François
Lyotard, Jean-Luc Nancy et Jacques Ranciére réfléchissent à la fois sur l’histoire et
l’actualité du terme. Lyotard y notamment consacre une réflexion signif icative, en
enrichissant notablement les définitions héritées de Burke et Kant. Il pose une question
essentielle en cherchant à identif ier les objets du sublime. Kant, nous l’avons vu, concède
à la nature le pouvoir de susciter le sublime (un immense ciel étoilé, une mer déchaînée),
mais le refuse à l’art. Quant à Burke, il considère le sublime comme une catégorie
esthétique à part entière, et intègre en conséquence l’art (un artif ice parmi d’autres) dans
son analyse. Lyotard choisi pour sa part d’étendre le terme à la sphère historique et s’en
explique en ces termes : « Le sublime de la nature (…) peut être comme informe et sans
figure (…) ; aucune forme particulière de la nature n’y est représentée (…). Il doit en aller
ainsi de la révolution, et de tous les grands bouleversements historiques : ils sont l’informe
et le sans-figure dans la nature humaine historique » . Loin de contribuer, comme Kant, à
l’auto-affirmation du sujet, le sublime Lyotardien subvertit ce dernier. L’homme se retrouve,
comme c’était déjà le cas chez Burke, partie prenante du sublime. La nature humaine
rejoint la nature, et devient de ce fait le spectacle d’elle-même, mais un spectacle tout
aussi obscur et indéchiffrable que lorsque la nature n’avait ni visage, ni voix. Relisant
Lyotard, Pierre V. Zima ajoute que « ce qui importe (…) c’est le caractère à la fois
irrationnel et sublime (…) de l’histoire lyotardienne. Elle apparaît comme une catastrophe
qui se déroule au-delà des hommes » . Si Lyotard étend le champ du sublime, il n’en
subvertit pas pour autant la nature, ou le caractère. L’histoire, comme la nature, nous
confronte à ce que nous ne pouvons ni penser, ni imaginer. Elle n’est pas non plus –
paradoxalement – du ressort des hommes, et s’impose irrémédiablement à eux.

6. Enjeux de définitions

Ce cours aperçu des diverses conceptions du sublime nous permet non seulement de le
saisir dans son aspect le plus riche et changeant, mais également d’attirer l’attention sur
les enjeux méthodologiques et théoriques liés à son analyse.
Le premier enjeu consiste à savoir comment le sentiment du sublime est possible, d’où il
vient et comment il se manifeste. Sur ce point, nous l’avons vu, les conceptions divergent
dans d’importantes mesures. Chacun s’accorde sur le fait que « le sublime n’est pas une
qualité, plus ou plus concrète, des choses, mais un sentiment lié à la présence de
certaines choses » . Au-delà de ce prédicat, l’origine comme la description du sublime
pose problème. Parfois la conceptualisation de la notion dépend d’une autre notion,
appelée à prévaloir dans l’analyse. C’est le cas chez Kant. Ailleurs, l’analyse procède d’un
souci de transcrire le sentiment, intègre en d’autres termes l’aspect subjectif de la notion,
tout en considérant de manière pratique les sources de l’expérience. Il ne s’agit
évidemment pas de prendre parti pour l’une ou l’autre des méthodes. Chacune permet
d’envisager les différents objets sur lesquels il est possible d’asseoir l’analyse. Mais est-il
seulement possible d’ériger une théorie du sublime, étant entendu qu’il s’agit d’un
sentiment éminemment intime, et difficilement verbalisable ? Comment faire, dès lors,
pour l’analyse du sublime au cinéma ? Trois choses, et de préférence en même temps :
rechercher de quoi le sentiment du sublime procède, comment il fonctionne, et par quoi il
se traduit. Ne pas s’attacher aux théories, mais déduire des définitions du sublime, des
outils permettant son analyse au cinéma. Ne pas se contenter de partir du sublime pour
aller vers le cinéma. Aller et venir constamment entre les deux. C’est-à-dire, partir de
scènes qui débordent l’intrigue, l’espace, le temps, les personnages, le spectateur, et
examiner leur rapport au sublime, aller et venir entre les images et les sentiments, de
manière à produire des idées adéquates, des idées en cinéma.

Second enjeu, d’un autre ordre, interne à la notion de sublime : la question du champ
d’étude du sublime : la nature, l’artif ice, l’histoire sont les quelques champs déjà
esquissés. Mais au-delà de la question du champ, réside une autre question, quant à elle
déterminante. Celle de la place qu’occupe l’homme par rapport au sublime, non pas du
point de vue de la réception (le sublime n’existe à proprement parler que dans le regard
qui reconnaît le sublime ), mais plus fondamentalement du point de vue de l’action. Cette
question est à nos yeux déterminante pour l’analyse du sublime au cinéma.

C/ Définition synchronique

1. Le sublime et le beau

C’est une distinction élémentaire, constitutive pour ainsi dire de la définition du sublime. Le
beau procure un plaisir positif, simple, partageable, entier. Il a partie liée avec l’harmonie,
la mesure, le fini. Le sublime se rapproche en certains cas du beau, qui est l’une de ses
limites. Un ciel étoilé par exemple pourrait être beau s’il n’était considéré comme
démesuré, impensable dans sa totalité. Le sublime déborde le beau : il n’est ni
présentable, ni dicible. S’il est le fait d’une représentation, ça n’est jamais que par le
truchement d’une illusion, une modulation de la perception. Touchant à nos limites intimes
(celles de l’imagination, de la connaissance, du corps), il nous surprend, nous apeure et
nous fascine, nous procure finalement un plaisir négatif, éminemment subjectif, brutal et
non communicable.
Le sublime est à la limite du beau certes, mais également du laid, étant entendu que le
laid, aussi, peut fasciner, s’offrir au regard comme le radicalement étrange, l’obscur, le
mystérieux. Avec le sublime, les antonymes se mêlent et les équivalences se brouillent. Le
terrible fait rire, choque et plaît dans le même temps. Les plaisirs s’inventent sous un jour
inédit. Tel est le grand pouvoir subversif du sublime, renverser les rapports préexistants et
socialement déterminés entre des phénomènes ou objets, des valeurs et des sentiments.

2. Sublime, respect (Achtung) et étonnement (Astonishment)

Au-delà du plaisir négatif engendré par le sublime, d’autres sentiments s’imposent. Le


respect pour la nature et finalement soi-même, ou l’étonnement devant ce qui paraît
étrange, irréductible à la connaissance comme à la pensée. Ici encore, l’homme trône au
centre du dispositif : il est celui qui perçoit, sent et juge, mais également celui qui se saisit
- ou pas - dans le reflet de ce qu’il regarde.
Le premier temps du sublime réside dans la perception, de la perception découle un
étonnement qui engendre un sentiment irrépressible et complexe. Dans la durée de ce
sentiment un jugement se constitue que Kant nomme le respect. L’étonnement est pour sa
part un attribut nécessaire du sublime, que l’on trouve en un sens déjà chez Ps. Longin. Il
traduit la prise de vitesse de la chose perçue sur la perception elle-même.
Contrairement à l’étonnement qui caractérise simplement un sentiment, le respect sous-
tend une certaine conception de l’homme. La philosophie kantienne du sublime est, par
exemple, une philosophie humaniste. Ceci constitue doit être prise en compte pour une
meilleure compréhension du sublime. De fait, il est nécessaire d’identif ier différents
paramètres pour l’analyse du sublime, à savoir : la méthodologie, et le champ d’étude, et
ce qui les sous tendent en partie l’anthropodicée.

3. Sublime et terreur

Burke se plaît à rappeler, tout au long de sa recherche philosophique, la place centrale


qu’occupe la terreur dans sa définition du sublime : « La terreur est en effet dans tous les
cas possibles, d’une façon plus ou moins manifeste ou implicite, le principe qui gouverne
le sublime » . La terreur est une notion intéressante car elle appartient à différents champs
souvent peu compatibles. Si l’on s’en tient aux définitions, la terreur est une « peur
extrême, une angoisse profonde, une très forte appréhension saisissant quelqu'un en
présence d'un danger réel ou imaginaire » . Le terme s’applique aussi bien à l’individu
qu’au groupe, auquel cas il qualif ie une « peur collective qu'on fait régner dans une
population, un groupe de personnes » . La terreur appartient ainsi à plusieurs registres,
elle définit un sentiment personnel ou collectif, et parfois une situation politique (la Terreur
durant la Révolution française, ou encore la terreur rouge). Le sublime, tel qu’il est analysé
dans la philosophie allemande, appartient également à différents registres, esthétique et
transcendantal. La bibliographie elle-même existant sur le sublime nous permet de
constater que cette notion, certes « attrape-tout », riche et d’autant plus pratique, est
utilisée dans d’autres registres que celui de l’histoire de l’art, où elle semblait quelque peu
confinée. Le fait que des expressions telles que sublime nucléaire ou encore totalitarisme
sublime aient été proposées indique la portée hautement politique du terme. De fait, et
comme l’a souligné Michael Halberstam en avançant le terme de totalitarisme sublime, la
terreur et le sublime ressortent de catégories à la fois esthétiques et politiques . Burke lui-
même attachait une grande importance à l’étude de la terreur dans le champ politique,
comme l’une des expressions privilégiées du pouvoir .

4. Sublime et apathie

Le sublime se traduit par un plaisir particulier, en cela qu’il n’est possible que par la
médiation d’un déplaisir. Le plaisir du sublime est donc un plaisir négatif : « La peine,
explique Jean-Luc Nancy, est ici le plaisir, c’est-à-dire la limite touchée, la vie suspendue,
le cœur battant » . De l’effroi, du délice, le sublime est pétri de sentiments contradictoires.
Il est également brutal et impératif : sa manifestation, dans le temps, est instantanée. Il est
ce choc qui saisit et dessaisit, accapare toute l’attention, tout le temps de l’être. Il le
dessaisit c’est-à-dire l’affecte à son insu, lui fait toucher aux limites du pathos, mais aussi
de l’apathie. Il instaure un suspend du souffle, de la pensée, du temps. Il fait irruption dans
le regard, bouleverse les affects qu’il finit par éclipser. Une douce stupeur s’en suit,
impénétrable mais plaisante. On retrouve les traces de cette apathie jusque chez Kant,
pour lequel l’affection sublime va jusqu’au suspens de l’affection.
L’apathie sanctionne tout aussi bien l’aporie que l’éveil : elle est une forme possible du
sublime, éventuellement extrême. L’analyse de ces sentiments (effroi, délice, apathie, etc.)
permet d’identif ier plus clairement les symptômes ou indices superficiels résidant dans les
films. L’apathie notamment revêt un intérêt particulier : à la fois tout et rien, elle est le point
limite de l’excès et de l’ascèse, le lieu possible d’une tension maximale entre pensée et
non pensée.

5. Sublime et épochè

Entre pensée et non pensée, il y a, quelque part, le doute. Epochè - du grec épikhein,
suspendre - renvoie depuis les sceptiques grecs à la notion de suspension du jugement.
L’épochè, au sens cartésien du terme, est définie de manière plus radicale, puisqu’elle
consiste véritablement en une négation universelle, laquelle aboutit au cogito ergo sum.
C’est ce mouvement qui nous intéresse, cette négation fondatrice du sujet, avec laquelle
le sublime, notamment tel que l’entend Kant, entretient des liens privilégiés. Dans le
sublime dynamique kantien, l’être ne nie pas le monde, mais se voit lui-même nié dans
son existence physique, et fondé dans son existence morale. Ainsi observe-t-on à l’œuvre
dans les deux notions le même mouvement de négation et de fondation du sujet.
L’épochè tolère d’autres définitions, devant moins à Descartes qu’aux sceptiques. La
définition phénoménologique du terme qu’en donne par exemple Husserl, met moins
l’accent sur la négation du monde, que sur sa mise entre parenthèses. L’épochè
phénoménologique laisse le monde tel qu’il se donne, en suspendant néanmoins les
discours s’y rapportant. Il ne le conteste ni ne l’atteste, laissant à l’expérience le soin de le
découvrir réellement. L’expérience se voit légitimée, placée – comme dans le sublime – au
cœur d’un processus de découverte d’un lien entre soi et le monde. L’épochè nous
intéresse par son fonctionnement dynamique, mais également, parce qu’elle permet
d’approcher des situations limites de questionnement, d’apories, de saisir en un sens les
aspects d’un sublime constitutif de la fondation du sujet. Fondé dans l’expérience, dans le
surcroît et l’absence de sens, aussi solidement que mystérieusement.

6. Sublime et extase

Le sublime n’a pas de lieu assignable : il advient dans la rencontre entre ce qui est vu, et
celle ou celui qui voit. Le sublime en d’autres termes transporte, nous fait accéder à un
seuil que nous ne concevons ni n’entendons véritablement. Ce seuil est celui du possible,
du dicible, du fini, de l’humain. Cette expérience du seuil, on la retrouve dans l’extase ( du
grec ekstasis), cette action d’être hors de soi, d’égarer son esprit . Le sublime partage
avec l’extase deux mouvements : d’abord une diminution de l’être, la perception est
abîmée dans la contemplation d’un objet transcendant ; ensuite une élévation, l’être est
transporté en dehors du monde sensible (chez Kant, essentiellement). Diminution, puis
accession à une autre modalité de l’être, on retrouve le même mouvement déjà identif ié
dans l’épochè. L’extase instaure dans l’être une scission, récupère la notion de transport
vers le haut présente dans le sublime, en en tirant les conséquences jusqu’au bout,
jusqu’à faire de l’être, un être double, dans lequel intérieur et extérieur s’imbriquent et se
répondent, et trouvent leur prolongement. Dans l’extase, je suis moi et la part dissimulée
en moi, si secrète qu’elle m’est étrangère, si proche qu’elle m’est intime. Cette étrangeté
est propre à l’extase comme au sublime, elle touche fondamentalement à l’homme qui,
saisi par le monde, se retourne sur lui-même, et s’y perd.

7. Sublime et épiphanie

Consacré à l’épiphanie chez Antonioni, notre mémoire de maîtrise s’était conclu sur une
remise en cause de l’épiphanie entendue comme forme ou formule. Il s’était avéré plus
aisé de décrire les conditions de son avènement et les signes de ses manifestations,
plutôt que de la saisir dans une formule close et arrêtée. L’analyse du sublime présente de
grandes similarités avec celle de l’épiphanie.
Les deux notions font tout d’abord pareillement référence au surgissement de la lumière.
Le mystère du sublime réside dans le « Fiat lux » biblique, l’acte fondateur et originaire,
incommensurable, de la création. L’épiphanie quant à elle désigne chez les païens, la fête
de la lumière, et chez les chrétiens la fête de la naissance, de la manifestation de Dieu sur
terre. Sublime et épiphanie sont liés, par leur références et leur sens, à la lumière et au
religieux. Mieux, dans leur manifestation même, ils s’avèrent tous deux violents et
complexes, irréductibles à une quelconque définition. Comme le rappelle Baldine Saint
Girons « il n’y a pas de formule du sublime et l’on ne saurait définir a priori la cause de
l’éblouissement qu’il produit .» Dans le sublime comme dans l’épiphanie, la lumière
engendre l’être, ou du moins une intensif ication de l’être, soit dans le dévoilement d’un
autre être – supérieur -, soit dans la révélation d’une pensée aussi forte qu’impénétrable.
C’est dans cette lumière même que résident la solution et le problème, la caractérisation
de la révélation, mais aussi, faute de mots, sa métaphorisation.
À la suite de l’épiphanie donc, le sublime offre des perspectives plus larges. Il nous permet
également de conceptualiser plus profondément l’épiphanie, de la fonder d’un point de vue
esthétique et philosophique contemporain. Ce travail est donc, à sa manière, une sorte
d’introduction seconde à l’étude du sublime dans le cinéma, cette fois-ci sous le prisme le
l’histoire.

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