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ACTES DU XLIl¢ CONGRES INTERNATIONAL DES AMERICANISTES Congrés du Centenaire Paris, 2-9 Septembre 1976 VOLUME 11 : Publiés aveo le concours du C.N.R.S. et de la Fondation Singer-Polignae LES FONDEMENTS DE L’°ORGANISATION SOCIALE DES INDIENS WITOTO ET LVILLUSION EXOGAMIQUE pan Jing GASCHE Les auteurs qui ont tenté avant moi d’analyser l’organisation sociale witoto dans son ensemble (Kirchhoff, 1931) ou en partie (Murdock, 1936) ct d’cn faire ressortir les traits caractéristiques qui la distinguent des sociétés voisines du Nord-Quest amazonien, ont cu l’inconvénient de n’avoir 4 leur disposition qu'un matériel ethnographique fragmentaire et des données méme inexactes et — eomme le remarque Kirehhoff, — contradictoires, qu’ils devaient aux voyageurs et ethnographes du début de ce siéele (Whiffen, 1915; Farabee, 1922; Preuss, 1924/23 ; Tessmann, 1930). A la lumitre de nouvelles informations que j’ai pu recueillir moi-méme sur Je terrain!, une bonne partie de l’argumentation de nos prédécesseurs se trouve privée de fondements. C’est pourquoi je renonce, dans le eadre de ce travail, & les discuter dans le détail. Quant & la méthode @interprétation utilisée par Kirchhoff, j’en reléverai deux traits : Kirchhoff, dans son essai sur « Organisation de parenté des tribus fores- tiéres d’ Amérique du Sud », adopte un point de vue éminemment évolutionniste quand il suppose chez les Witoto un type d’organisation sociale qui permettrait dexpliquer le passage d’une organisation sociale fondée sur la famille étendue (Grossfamilicnorganisation) & Vorganisation clanique (Sippenorganisation) : «Comme dans le cas des unités de résidence des Witoto-Bora, il s’agit selon tous les critares de clans exogamiques pairilinéaires localisés, et il serait du plus haut intérdt de voir si Yon peut démontrer qu'il s’agit d’un développement autonome du clan & partir de la famille étendue — cn quel cas, toutefois, il faudrait trouver le « primum agens »! — ou si l’organisation clanique de ces tribus ne peut étre comprise que par des rapports historiques avec des peuples a clans patrilinéaires (vaterreehtliche Sippen, p.175) »— c’est-&-dire par la diffusion. La préoccupation de trouver un « primum agens » comme responsable d'un changement culturel endogéne révélc le raisonnement fonctionnaliste de ]’auteur, fondé sur V'existence supposée de rapports de causalité entre les phénoménes sociaux. Ce méme mode de raisonnement apparatt dans son analyse du syst¢me de parenté witoto, qui a été reprise sous forme de citation par Murdock (4936 : 527) : le mode de résidence patrilocal et 'exogamie locale qui lui est associée expliqueraient cer- taines caractéristiques de Ja terminologie de parenté et d’alliance. « Les termes 142 SOCIAL TIME AND SPACE IN LOWLAND SOUTH AMERICA de parenté — 4 part ceux désignant les parents et enfants — se répartissent en deux groupes : ils désignent soit des personnes qui sont nées au méme lieu de résidence, soit celles qui sont nées dans d'autres lieux de résidence (e’est-a- dire celles avee lesquelles le groupe d’ go est en relation @alliance (Heiratsbe- zichungen) » (Kirchhoff, 1934 : 174). Nous verrons plus Join que les ragles de résidence et de mariage, les eatégo- ries de la terminologie de parenté, ne se recouvrent pas de fagon aussi simple et parfaite. Dans un méme ordre @idées, pour Kirchhoff, « le prineipe de lunilinéarité » (nous dirions « unifiliation », J. G.) apparait comme la conséquence de la co-rési- dence permanente (Zusainmenwohenbleiben) de fréres et de leurs descendants males dans une communauté de résidence fermée (gesehlossene Siedlungsge- meinschaft) alors que Ia patrilocalité, 8 elle seule, ne conduit pas & ce résultat, comme T'illustrent, par exemple, les tribus du Nord-Ouest brésilien » (p. 175). Tl confond ainsi — et avec lui Murdoek, et aussi Steward (1948) ? —- ou cherche a faire eoineider le groupe de résidence (ou groupe territorial), le clan et le groupe de parenté (groupe des consanguins), et il met les faits qui contredisent ce pro- eédé sur le compte d’une négligence ou dune crrour de la part des ethnographes qui ont mené l’enquéte sur le terrain et qui constituent ses sources, Ce n’est qu’en analysant & part chacun des phénoménes, sans préjuger a priori de Ja nature des relations entre eux, que nous saisirons pleinernent et de fagon adéquate Ja fonction que jouent dans l’organisation sociale witoto les faits tels que la résidence et Ja hiérarchie, le clan (ou lignage) et la territorialité, la parenté et alliance. La réstpENcE ET LA HIFRARCHIE. Traditionnellement — c’est--dire, avant D’arrivée des Blanes et eneore pen- dant les premiéres décennies de l’époque du eaoutchouc — l’unité de résidence était formée par ce que nous appellerons une « maisonnée » ; un ensemble de personnes abritées sous un méme toit, celui d’une « maloca », La maisonnée comporte d’une part un ensemble de personnes qui se considérent comme les « matitres de la maison », jofo nani, ct qui forment son groupe constitutif, celui sans lequel il n’y aurait pas de maisonnée (nous l’appellerons la « cellule »), @autre part des personnes qui sont considérées par les premiers comme étant de statut inférieur et qui ne sont pas constitutives de la maisonnée dans la mesure oui elles peuvent manquer dans certaines malocas. La composition de la cellule peut étre déduite d’une régle de résidence simple, qui comporte deux propositions, une concernant chaque sexe : les hommes résident avec leur pére, les femmes avec leur mari, done patrilocalité des hommes, virilocalité des femmes. I] s’ensuit que les fréres résident ensemble ct que leurs sceurs mariées résident séparément d’eux ; autrement dit, le groupe constitutif de la maisonnée (cellule) est formé par des hommes parents par la ligne pater- nelle (un patrilignage local) et leurs fernmes alliées, venues d’autres maisonnées, ainsi que leurs enfants eélibataires. Par cette formulation, nous ne préjugeons en rien de ce que sont la parenté L'ORGANISATION SOCIALE DES INDIENS WITOTO 143 et Palliance dans la société witoto ; leur définition sera donnée plus loin. Pré- cisons néanmoins dés maintenant que la parenté englobe plus d’une scule mai- sonnée et que l’exogamie est plus que locale. A la cellule des « maitres de la maison » peuvent s’ajouter des personnes qui, sans étre en relation d’alliance avee les premiers, sont néanmoins originaires de maisonnées étrangéres ott elles avaient elles-mémes été membres de la cellule, mais qu’elles ont dd quitter a la suite d’une guerre (ou d'une maladie) qui l’'a privée de son chef ct décimé sa population. Ces réfugiés occupent par rapport aux « maftres de la maison » un statut inférieur ; ils sont désignés par le terme jaieniki que les Witoto traduisent par « orphelin » et « gente ordinaria », gens du commun. La seconde traduction se référe au statut inféricur, la premiére a la cause de eelui-ci. Les prisonniers de guerre formaient oceasionnellement (?) une troisitme catégoric d’individus susceptibles d’habiter unc maloca, au moins pendant un certain temps, jusgu’au jour ow ils devaient étre tués et eonsommés rituelle- ment (Robuchon, 1908 : 458). Parmi les membres du patrilignage de la cellule, une différenciation est intro- duite, fondée sur Pordre de naissance : des lignées ainée, puinée et cadettes sont distinguées ct & chacune est assigné pour l’habitation un secteur particulier de la maloea (Gasché, 1972 : 199). On peut voir dans cette différenciation le prin- cipe d’un ordre hiérarchique qui trouve son expression coneréte dans lexercice de responsabilités politiques et oérémonielles subordonnées des lignées puinées et cadettes 4, Ala téte de la maisonnée, par contre, se trouve le pére, son fils ainé, ou le frére ainé du groupe lignager local. I est appelé jofo nama, «maitre dela maloca », ou ilaima, « chef »; ses descendants se considérent comme des illaini, « gens de la lignée du chef »® Le rapport d’aincsse relative est exprimé dans le cadre de la famille nueléaire par le terme erofene que nous traduisons, dans cc eontexte, par « puiné », avec son sens étymologique de « puis né », « né aprés ». Dans la conception witoto, le fils ainé est le « puiné », erofene, du pére, le second fils, le « puiné » du premier, le troisiéme, le « puiné » du second, ete. Dans une aceeptation moins propre du terme, selon les informateurs, le troisiéme fils cst aussi erofene du premier ; mais on dit correctement que le « benjamin » est erofene, le « puiné » de tous. Par contre, on ne désignera pas une sceur comme la « puinée », erofene, d'un frére ou d’une autre scour, ni un frére comme le « puiné » d’une scour; l'ensemble des filles n’est pas pris en considération dans la définition du rapport d’ainosse relative & Lintérieur d’une famille nucléaire; celui-ci ne s’établit, par conséquent, qu’entre ses membres miles. L’autorité de lainé, ehcf de la maisonnée, se fonde en grande partie sur sa fonction de « mattre de féte », rafue nama, qui fait de lui le premier ofliciant dans les fétes de Ja maloca, et sur son savoir rituel qui exige de lui une grande capa- cité de mémorisation pour retenir et réciter les longues incantations et oraisons lors des préparatifs d’une féte ; car seule une mémoire infaillible garantit le bon déroulement de la « carriére cérémonielle » et par la, le bien-ttre et la prospé- rité du groupe local. Par le terme espagnol de « carrera de baile », « earritre oérémonielle », rafue, 144 SOCIAL TIME AND SPACE IN LOWLAND SOUTH AMERICA en comparaison explicite avec une carriére professionnelle des Blanes, les Witoto évoquent le cycle de fétes qui marquent les différentes étapes de la vie d’un chef : succession au pére, premiers essais de fétes avec l’assistance du pére, construction d’une nouvelle maloca, inauguration de celle-ci, confection des insignes cérémoniels ct leur inauguration, fétes de la maturité (éventuellement en relation avec la guerre ?), présentation au public des fils ct fille ainés, trans- mission des noms, féte de vicillesse et succession du fils, Sans entrer ici dans Ie détail de Vorganisation cérémonielle, limitons-nous & évoquer les traits qui ont rapport & la maisonnée et 4 la hiérarchie. Les Witoto d’aujourd’hui distinguent trois carriéres cérémoniclles qui sont, dans l’ordre d’importance décroissant : Uadiko, « poutre de danse », zikii, « baton de danse en bambou » ct luai, « féte des fruits » (dont peut faire partie menizai, « tortue-roucou »}, Chaque maloea est le lieu de célébration d’une de ces trois carriéres qui, si elles se distiuguent entre elles par le degré de complexité et le détail de leur déroulement, suivent néanmoins un schtme fondamental iden- tique. Elles peuvent done étre comprises comme trois variantes d'une scule structure commune. Ces trois variantes sont entre elles dans un rapport hiérar- chique d’ainesse relative, ee qui s’cxprime par Videntification du maitre de fate de Uadiko, la carriéve la plus prestigicuse, A un pére (ou fils ainé) originel qui sont le Créateur et son successeur, et par Videntifieation des maftres de zikii & un puiné.ect de Iwai & un cadet originels, fils du Créateur. Comme chaque maloca est Ic lieu d’cxécution d’une seule de ces earriéres, celle qui a éé transmise & son chef, on peut distinguer dans I’ensemble des malocas witoto trois catégories hiérarchisées, selon la carriére qu’elles célébrent. Précisons en plus que toutes Jes malocas qui célébrent, par exemple, Uadiko, exécutent cn fait une variété de cette carriére, gue les carriéres du méme nom ne trouvent pas de réalisation identique d'une maloca 4 unc autre et que chaque maitre de maison insiste sur le fait qu’il est le maitre de « son » Uadike — celui qui lui a été transmis par son pére — ou de « son » zikii, Dans Ie cas du Huai, carriérc modeste, « cadctte », cette affirmation n’a pas été faite. Un chef de Uadiko ou de zikii ne saurait enfin expliquer les détails de la carritre du méme nom de tel autre maftre de fete, voisin ou éloigné, Nous savons peu de chose sur le processus de scission qui est & l’origine de la fondation de nouvelles maisonnécs. La technique architecturale witoto, liée aux matériaux de construction disponibles, devait imposer des limites & la dimen- sion des malocas, et par 1a, 4 la taille de sa population. Les Witoto d’aujourd’hui alfirment que les malocas d’autrefois étaicnt beaucoup plus grandes que les leurs et qu’il y vivait bcaucoup plus de gens. Les sources ethnographiques situent le chiffre de la population d’une maloca entre 50 ct 200 (et méme plus, cf. Ga- sché, 1972 : 178-79). Ce que nous pouvons allirmer, ¢’est qu’une scission pouvait étre Ja manifestation d’un acte politique, dans la mesure ot elle était planifiée par le chef de la maloca ; sans doute dans esprit de la « multiplication », jebuills, des gens, qui est un des concepts fondamentaux de l’idéologie et qui s’exprime dans les paroles rituelles constitutives de la carriére cérémonielle. Un de nos informateurs, parlant des temps anciens, nous a rapporté le cas d’un de ses oncles paternels, izo, et maitre de fate de ztkii, qui en dehors de son fils ainé avait enseigné sa carriére au fils d’un de ses propres fréres (nanola ama ; lequel ?) LD'ORGANISATION SOCIALE DES INDIENS WITOTO 445 et a un fils d'un de ses fréres classificatoires (jinofe ama) du patrilinage afin quils puissent chacun fonder leur propre maisonnéc. Celle-ci était composée, au moment de la sécession, cn principe, par la personne initiée, son pare, ses fréres, les épouses et enfants. La raison explicite avancée pour expliquer la scission était le surpeuplement de la matoca d'origine. La transmission du savoir cérémoniel est la condition premiére pour la eréa- tion de nouvelles malocas, et A cause du lien individucl trés marqué entre le maitre de féte ct sa carriére, un chef ne peut transmettre que sa propre carriére (cf. plus haut), Dans ce sens, une maloca de statut ainé ne peut donner nais- sanee qu’& unc maloca du méme statut, done une maloca ainée, ete. Appa- remment en contradiction avec ee fait, nous avons relevé affirmation qu’un puiné d’un maitre de féte de ladiko (carriére ainée) devait, s’il voulait fonder sa propre maisonnée, célébrer zikti (earriére puinée), tandis que la carriére de Ja maison d'origine, ladiko, était transmise et réservée au fils ainé, successeur du pare. Dans ce cas, comment le puiné obtenait-il le savoir spécifique de la carriére sikii qui n’est pas celle de sa maison doriginc ? Nous renongons ici a discuter les hypothéses que nous pourrions émettre et que seule unc nouvelle enquéte pourra vérifier. Retenons, par contre, que la transmission du savoir cérémoniel a des lignées collatérales est faite pour amorcer la scission de la maisonnée et non pas pour suppléer & un défaut de deseendance male dans la famille du chef. Si un tel cas se présente, le savoir et la charge cérésmoniclle peuvent étre transmis & Vépoux de la fille atnée. De cette fagon, un homme de statut inférieur, puisque puiné ou cadet (en tant qu’aing, il aurait suecédé A son propre pére) ou méme « orphelin » (done membre de la méme maisonnée, cas d’endogamie locale, Gasché, 1972 : 179) pouvait accéder par le mariage & un statut supérieur. Ce cas représente-t-i! une solution extréme, & laquelle on n’avait recours que si, & la fois la descendanee mile et les collatéraux males manquaient dans la cel- lule de la maisonnée, comme conséquence d'une guerre, par exemple ? I] est difficile de répondre car cette situation qui, dans la société traditionnelle était probablement rare, est devenue plus fréquente & la suite du génocide pratiqué par les caouteboutiers du début de ce siéele. Dans ee contexte historique, la transmission du savoir au gendre permettait d’assurer la continuation des pratiques rituelles, Il est & noter que, dans ce cas-Id, le gendre va habiter avec son beau-pére, jifai, et que, par conséquent, la régle de résidence concernant Jes hommes constituant la maisonnée, la patrilocalité, s’applique & défaut de ceux-ci & la fille ainée ct éventuellement & ses s@urs, surtout quand ces dernitres ont épousé des « orphelins », done des bommes n’ayant cux-mémes plus d’atta- chement & une propre unité cérémonielle. Nous obseryons d’ailleurs actuellement une tendance & l’uxorilocalité ehez les « orphelins », méme dans le cas oi leur épouse provient d'une maisonnée of il y a encore des fréres ; done sans que ce mode de résidence soit justifié par Vabsence de deseendance mile chez le maitre de féte et la transmission de la carriére & un gendre En résumé et en nous limitant au modéle traditionnel, nous earactériscrons Punité de résidence en insistant d’abord sur l’identité entre unité de résidence et unité cérémonielle : chaque unité de résidence constituée par une maloca 10 146 SOCIAL TIME AND SPACE IN LOWLAND SOUTH AMERICA est le licu du déroulement d’une carriére cérémonielle et d’une seule (par contre, la méme carriére est présente dans plusicurs maloeas) ; et tout individu est lié & une unité cérémonielle qui est celle ou il réside. Le lien fonetionnel entre unité de résidence et unité eérémonielle se manifeste au niveau-méme de la composition de la maisonnée par le fait que, si d’une part la patrilocalité des hommes constituc la cellule de la maisonnée avec, & sa téte, Yaing d'un groupe de fréres comme maitre de féte et maitre de maison, nous observons d’autre part la présence d’hommes originaires de maisonnées étran- gires, les « orphelins » ou «hommes du commun », qui sont le produit de la guerre, done de lordre eérémonic] dans lequel est intégré le rituel eannibale ; & plus forte raison, ceci vaut pour les prisonniers destinés & atre les victimes. La co-rési- dence des hommes est done déterminée a la fois par la régle de la patrilocalité — ce qui produit au fil des générations un patrilignage localisé, mais amputé des femmes mariées — et par l’ordre eérémoniel qui produit des « orphelins » et des prisonniers qui sont logés sous un toit étranger ot ils sont « assimilés » en tant que nourriture (les prisonniers) ou en tant que « travailleurs », « servi- teurs »?. Les femmes sont soit des sceurs célibataires des fréres de la cellule — leur présence est alors provisoire et dure jusqu’au mariage — soit des épouses des fréres de la cellule et faisant donc partie de celle-ei par leur statut ct leurs fonctions rituelles, soit des épouses ou sceurs, célibataires, des « orphelins », done des « servantes ». Le LIGNACE ET LE TERRITOIRE. Tout individu distingue dans l'ensemble de la population witoto des per- sonnes qu'il reconnait comme «nos gens », kai nairai, et des gens qui sont pour lui « d’autres gens », jtat natrat. Ii désigne comme « nos gens » tous ceux qui sont ses parents selon le principe de Punifiliation patrilinéaire (Dumont, 1971 : 48), qui forment done un patrilignage. Mais précisons dés maintenant que la catégoric des « parents » inelut plus que les gens du méme lignage (cf. ci-dessous). Tout patrilignage porte un nom qui le différencie de tous les autres ®. Plus exactoment, ce qui sert 4 distinguer les lignages les uns des autres constitue en fait tout un champ sémantique ou réseau d’associations qui est propre & cha- cun et of i] puise un certain nombre d’éléments pour marquer son identité et sa différence. Ainsi le nom du lignage ®, des noms personnels de ses membres 1, P « embléme », jekiraingo, auquel ses membres se référent par des proverbes ou des dictons, et le nom d’un « pseudo-aneétre », sont tous associés entre eux par de multiples procédés rhétoriques dont nous ne traiterons pas Par « pseudo-ancétre », nous entendons un personnage (ou élément) mythique auquel le lignage se référe par association avec son nom, mais avee lequel il n’existe pas de lien généalogique, pas de « Giliation » directe (dans le sens anglais du terme, cf. Dumont, 1971 : 47), étant donné que, dans la conception witoto, les étres et événements mythiques font partic dune humanité antérieure, celle de(s) jaiagat, « le fil ancien, histoire ancienne », !’actuelle étant née d’un nouvel aete de eréation du Pére originel. Nous avons vu que la cellule de Ia maisonnée est formée par les seuls hommes ORGANISATION SOCIALE DES INDIENS WITOTO AGT d'un patrilignage ct leurs épouses venues d’ailleurs. Le concept du patrilignage nommé établit, en les réunissant dans une catégorie particuliére, un lien entre les hommes ct les femmes issus d’un méme pére, mais que la régle de résidence a séparés. La signification de ce lien ne nous apparattra que lorsque nous ana- lyserons le phénoméne de la parenté ct de l’alliance witoto. Ty a des lignages nommés qui sont représcntés par une scule maloca ou plus exactement par les hommes de la cellule d’une seule maison (ct les seurs mariées dans d’autres) ; et il y en a d’autres quis’étendent sur plusicurs matocas voisines, auquel cas nous appellerons le groupe patrilingaire des cellules de chaque mai- sonnée une « fraction de lignage ». Ces lignages possédent une territorialité eohérente. Les maisonnées d’un tel territoire peuvent étre détentrices de carriéres cérémoniclles différentes. Il n’existe pas de chef lignager unique reconnu sur Pensemble du territoire. Les maisonnées appartenant & un méme lignage forment des unités politiques autonomes, dont les activités sont organis¢es sans l'inter- vention d’aucune autorité extéricure. Si ’'un des mattres de maloca jouit d’un prestige particulier grace a I’étendue, par exemple, de ses connaissances céré- monielles, ceci ne lui donne aucun droit d’ingérence dans les affaires d’une mai- sonnée voisine 1. Nous trouvons aussi le cas of un méme nam de lignage apparait sur deux, ou méme trois, territoires différents, éloignés les uns des autres et qui peuvent se situer dans des aires dialectales différentes. Ces groupes lignagers se consi dérent comme étant les « mémes gens », daa nairai, dans la mesure ou le souvenir dune scission s’est conservé. Si tel n’est pas le cas, ils s’attribuent des « origines > différentes, jiate komuilla, en se référant 4 des pseudo-ancétres de nom identique, éyentuellement différenciés par des surnoms, mais qui en tout eas apparais- sent dans des mythes ou épisodes de mythes différents. Malgré eela, malgré cette tendance A se considérer entre eux eomme des « gens différents », jtai nairai, ils se reconnaissent une certaine parenté de lignage (« eompaieros de tribu », kai enefene nairai, « nos gens de l’autre cété »), ce qui s’exprime par Pemploi mutuel des termes de parenté « éloigné » (jinofe...). Comme conséquence des scissions successives intervenues & travers les géné- rations dans les maisonnées appartenant & un méme lignage, nous nous atten- dons 4 rencontrer des territoires lignagers assez étendus, c’est-&-dire un ensemble nombreux de malocas territorialement adjacentes, portant le méme nom ligna- ger et contenant chacune une fraction de lignage. Or il n’en est rien. Whiffen, qui était sans doute le mieux placé pour observer ou s’informer sur l'état tradi- tionnel de Ia société witoto, donne trois malocas comme chiffre maximal! de maisons appartenant A un méme lignage (p. 63). L’extermination totale ou particlle de certaines maisonnées par des faits de guerre (d’oi l’apparition des « orphelins » dans les maisonnées) et Pémigration du territoire a la suite de con- flits (sorcellerie ?) — ce qui est une des raisons de I’apparition d’un méme nom lignager sur différents territoires — expliquent partiellement ce bas chiffre. Il s’agit Ja de facteurs qui trouvent Jeur cause immédiate dans la superstrueture cérémonielle, auxquels peuvent s’ajouter, au moins pour expliquer certains cas d’émigration, des facteurs plus immédiatement économiques et écologiques : Pépuisement du gibier ou du poisson, la recherche de nouvelles terres (?) 2. Mais il y a d'autres raisons qui découlent des propriétés mémes du lignage 148, SOCIAL TIME AND SPACE IN LOWLAND SOUTH AMERICA witoto et du réle qu’y joue la généalogie ou plutat l’absence de cetle-ci: Nous avons dit que les noms personnels étaient dérivés du nom de lignage, ou plus précisément de son champ sémantigue. C’est le maitre de féte de chaque maisonnée qui, 4 la fin de sa carriérc, impose les noms & l'ensemble des per- sonnes de la maisonnée. Ces noms sont en partie eréés par lui, en partie ils sont empruntés au stock des noms déja existants ayant appartenu 4 des membres défunts du lignage. Le successeur du maitre de fate regoit le nom de eelui-ci, qui prend alors un nom d’age avaneé, tandis que son pére, s'il est encore en vie, prend un nom de vieillesse. A la création d'une nouvelle maisonnée par scis- sion, un nouveau nom de chef commence 3 étre transmis dans la lignée ainée de eclui-ci. Ce proeédé qui réunit les chefs d’une méme lignée sous un méme nom personnel est ineompatihle avee I’établissement d’unc généalogie qui permettrait de remonter A des ancétres précis d’ot les fractions de lignage fon- datrices de maisonnées seraient issues. Ceci paraft, par ailleurs, parfaitement con- gru avec le cas de seission traditionnelle cité, of celle-ci n’intervient pas entre des branches collatérales immédiates — ce qui aurait signifié une lignée généa- logique directe reliant les collatéraux fondateurs 4 un méme pére. Au contraire, nous avons vu que les deux hommes pressentis et préparés par le chef pour fonder deux nouvelles malocas étaient, l’un fils de frére, l’autre fils de frére classificatoire patrilinéaire. Bien entendu, les deux sont censés, comme tous les autres hommes de la cellule, deseendre d’un aicul male commun, mais comme eclui-ei a da porter le méme nom que le chef actuel (et comme le pire et le pére du pére, ete., de celui-ci) rien ne permet de formuler une liste généalogique retragant la filiation directe. Le rapport entre deux maisonnées dont l'une est issue de l'autre ne peut done étre exprimé en des termes généalogiques ; il est défini par la seule parenté patrilinéaire exprimée dans le nom lignager. Si la transmission d’un méme nom dans la lignée des chefs conduit a la confu- sion des générations des chefs et que la scission survient entre des lignées colla- térales sans lien généalogique formulable avec le chef, on devrait au moins pouvoir retracer une origine commune entre malocas d’un méme lignage nommé & travers les scissions successives, gu’on pourrait exprimer par la liste des noms de chefs apparus successivement 2 chaque nouvelle fondation de maisonnée : « Tel chef issu de la maisonnée de tel chef, lui-méme issu de la maisonnée de tel autre chef, etc. » Or, sur la foi des informations que nous avons pu recueillir récemment, nous ne saurions donner beaueoup de précisions a ce sujet. Un certain nombre d’éléments nous font néanmoins penser que la mémoire & ce sujet n’était pas longue. Nous avons dit que chaque nouvelle maloca représentait une unité politique indépendante et que, dans le eas cité, la méme carriére cérémonielle, donc le méme statut eérémoniel qui est celui de la maison-mére, était transmis aux deux maisons-filles ; par conséquent, la hiérarchie cérémonielle existant entre maison- nées possédant des carriéres différentes n'est pas lige au processus de seission, Par ailleurs, nous ne possédons aucune donnée qui nous indique qu'une maloca issue d’une autre soit dans un gucleonque rapport d’infériorité ou de dépendanee avee cette derniére, ce qui justifierait par une pratique concréte le souvenir des scissions successives. C’est la référence & un méme nom lignager qui semble, a la longue, prévaloir comme critére principal de l'unité et de origine commune L'ORGANISATION SOCIALE DES INDIENS WITOTO 149 entre maisonnées issues les unes des autres. Nous pouvons voir une confirmation de ceci dans le fait qu’é partir du moment ow un lignage comporte un certain nombre de malocas — 4, 5 ou 6 —, les maisonnées voisines, de lignages diffé- rents, commencent & les. différencier en ajoutant, pour désigner chacune de ces fractions de lignage, un nom supplémentaire & Pancien qu’elles ont en com- mun, et ceci sans distinction aucune quant & J'ordre de succession des scissions qui les ont produites. De leur cété, chaque fraction de lignage, indépendam- ment de toute considération quant au processus de scission et tout en admettant les noms nouveaux donnés aux fractions voisines, refusent le leur. Les membres de chaque fraction allirment ainsi qu’ils sont, eux seuls, le vrai lignage ancien et ils continuent & employer, pour se désigner eux-mémes, leur seul nom lignager originel, J’ai pu observer moi-méme une telle situation dans le lignage Aigrette, aimeni, de la région de La Chorrera, Igaraparand. Par contre nous ignorons les raisons ou conditions qui aménéraient finalement les maisonnées & accepter de s'identifier avec un nom nouveau et & en tenir compte, par exemple, dans la création de noms personnels. Dans le cas de la maisonnée, lc moment de la scission était imposé par les cri- tares architecturaux de la maison, Dans le cas du changement de nom de plu- sieurs fractions d'un méme lignage implanté sur un méme territoire, la raison de cette conversion progressive d’un groupe de « mémes gens » en plusieurs groupes qui, finalement, se considéreront comme « d’autres gens », ne peut tre trouvée qu’en analysant le systtme de parenté et d’alliance. La vanenté eT u’acurance #4, L’appartenance au lignage nommé est déterminée par Punifiliation patri- linéaire, la parenté — la qualité de consanguin — est transmise de fagon indif- férenciée aussi bien par le pére que par la mére : les descendants des germains de mon pére et des germains de ma mére (ainsi que les descendants des germains des quatre grands-parents, ctc.) sont tous mes fréres et scours (cf. le tableau 4). Done, quand un homme et une femme, non-parents entre eux, se marient, les membres des deux ¢ parentéles », constituées par l’ensemble des personnes que chacun des deux appelle par des termes de parenté, sont des parents pour leurs descendants. Des parentéles non-parentes entre elles sont ainsi continuellement converties en parents, par l’alliance ct & travers les générations. Dans Ja logique dune tel systéme, on peut postuler que tous les individus d’une génération donnée sont des germains ; il suffit, pour |’établir, de remonter un nombre suilisant de générations. En contradiction avec une telle logique apparatt ’affir- mation qu’on se marie « de préférenee » avec un(c) non-parent(e), e’est-a-dire avec Une personne qui ne soit pas frére ou sceur. Une question se pose alors : comment, dans un systéme qui ne produit que des parents, obtient-on des non- parents pour le mariage ? Et la réponse paradoxale sera : par l’institution du lignage nommé. Dans la perspective diachronique, sous laquelle nous sommes en train d'envi- sager le systéme, il faut qu’un oubli s'opére dans les relations généalogiques collatérales, qui oblitare & un niveau synchronique donné un certain nombre fat, ArpQ@ane yer pHPoine see = A ae wei nS Ds, Sse vate ane £ pistage oh | atstico ofARER oneSPSTS bed Ok Sd ae as ony A. oF + jceuiee Shoe a BRST cata QS" Jakite ¢ ores te o=cA. Inge kota one he “chal LL ‘Ss , 6 . - / ore “2 Eibe| obo. A b| Seb apie to Sork, L ore, a oe ork ay , ae ciflan czars onsPeatn fico oko S, rifSte ensisato $y enktzo Qo eiktteo onktaato Mears Fre. 1, — Tableau de Ia parenté, go masculin. Ost. “EVID0S. VOIUENV HLAOS GNVIMOT NI doVdS GNV AKL +2 dO yO byO bey A g fend ak Bhs Lt enatietio endtza cnatie enatrctfo ‘A rises emtietls ensize onatzafio fosere in? exclsnca? Fic. 2. — Tableau de Ia parenté, Ego féminin, Remarque : Aux générations +1, +2 et—2, les termes omployés par EGO féminin sont les mémes que ceux qu’emploio EGO masculin. On remarquera qu’d la génération —1 de s@ur no sont pas distingués des fils/filles do fréres comme c'est le cas pour EGO maseulin. les. ils/filles OLOLIM SNFIGNI SHC ATVIOOS NOLLVSINVONO.T ¥S5 BAL jpluanna, pBresepiro, te0. Sale are ace ‘wens frdres preckes du pire a1B00 fréreo prochea do 1a ctro.4'2G0 bidLena wot gat wtre $a "Etat, abet, Ba "6" sDERL"Slotgns® feta “BLotonste,, 200 Erbe Oey, Lrdrerelotgnsy a*500 Fi, 3. — Lignages. ost VOIMANVY HLAOS GNVYTMOT NI 3oVdS GNV AIL T¥IDOS L'ORGANISATION SOCIALE DES INDIENS WITOTO 453 de relations de parenté, eréant ainsi 1a eatégorie des non-parents, celle avec laquelle on noue Valliance préférée. La distinction entre parents — et alliés — « proches » et parents (resp. alliés) « dloignés », faite par l’adjonetion au terme de parenté de nanoka, « véritable », ou jinofe, « du e6té extérieur »}5, montre que Ie lien de parenté tend 4 s’affaiblir dans les branches ¥ collatérales et alliées au fil des générations, ce qui va de pair avee une certaine tolérance du mariage dans la parentéle éloignéc (ef. plus loin). Dans Ja produetion des parents éloignés, institution du lignage nommé opére un triage dans la parentéle en assurant, d’une part, & travers les généra- tions, la mémoire de la filiation patrilinéaire ontre « mémes gens » issus de fréres, tout en faisant passer, d’autre part, au moyen de Punifiliation (patrilinéaire) les descendants de swurs dans la eatégorie d’ « autres gens», La parentéle, dans sa totalité des « proches » et des « dloignés », s’étend ainsi sur tout un ensemble de lignages. Les degrés de parenté & partir desquels on passe de parent proche & parent Aloigné ne se distribuent pas de fagon symétrique pour Ego sur le tableau de parenté, et e’est la précisément — bien que notre enquéte n’ait pas rapporté des informations complétes — que nous voyons opérer institution du lignage : les relations de parenté patrilinéaire maintiennent dans la catégorie des parents proches un plus grand nombre de degrés de parenté sur les branches patrila- térales maseulines (issues de fréres) que sur les branches patrilatérales {émi- nines (issues de scours du pére, etc.) — par exemple, FsFsFP = « neveu proche », namoka enaize, mais FsF'sSP = « neveu éloigné », jinofe enaize), et plus sur les branehes patrilatérales féminines que sur les branches matrilatérales fémi- nines — par exemple, FsSP = « frére proche », nanoka ama, F'sSM = « frére Aloigné », jinofe ama. En revanehe ct comme s’il s’agissait de souligner la parenté bilatérale et Punion de deux lignages produits par le mariage des géniteurs d’Ego, la répar- tition des degrés proche et éloigné se fait de fagon symétrique sur les deux branches collatérales masculines des lignages des géniteurs : FP : nanoka izo — « proche » — nanoka billama : FM FsFPP : jinofe iso — « éloigné » — jinofe billama : FsFPM FsFP : nanoka ama —« proche » — nanoka ama: FsFM FsFsFPP : jinofe ama — « éloigné » — jinofe ama + FsFsFPM Il faut done trois générations au-dessus d’Ego pour’ produire des parents éloignés dans les branches collatérales masculines des lignages des géniteurs. Mais trois générations impliquent quatre lignages — ccux des quatre grands- parents « proches » d’ Ego —si bien que e’est sur les branches maseulines (= issues du PP, du FMP, du PM, du FMM) de ces quatre lignages que les degrés de parenté proche ct éloigné se répartissent de fagon symétrique (ef. fig. 3) : Lignage A PP : nanoka uzuma PM : nanoka uzuma L. C B MP : nanoka uzungo MM : nanoka uzungo D A BPP: jinofe uzuma FPM : jinofe usuma c B FMP; jinofe uzuma FMM : jinofe uzuma D 154 SOCIAL TIME AND SPACE IN LOWLAND SOUTH AMERICA Lignage A FP : nanoka izo FM : nanoka billama c A FsBPP : jinofe izo FsFPM : jinofe billama® = C B FsFMP : jinofe izo” FsFMM : jinofe billama D A FsEP : nanoka ama FsFM : nanoka ama c A FsFsFPP : jinofe ama FsFsFMP : jinofe ama c B FsFsFMP ; jinofe ama FsF'sFMM : Jinofe ama D On peut voir une des conséquences pratiques de l'implication de ces quatre lignages (A, B, C, D) dans la répartition symétrique des degrés de parenté, dans le fait qu’Ego évitera de se maricr dans ces quatre lignages (cf. ci-des- sous). : Il faut done un minimum de quatre générations pour que s'estompe Ie lien de parenté avec les lignages alliés a cclui d’Ego dans les deux générations ascon- dantes de géniteurs. Dans le lignage d’Ego, le lien de parenté semble, & premiére vue, durer plus, car e’est la transmission patrilindaire du nom du lignage, impli- quant la parenté patrilinéaire, qui conserve la mémoire de Ja parenté entre ses membres. Mais nous avons vu aussi que, méme & I'intérieur d’un méme lignage, cette mémoire peut étre affaiblic, puis interrompue — cette fois-ci par laction des gens extérieurs au lignage, car avee I’extension territoriale du lignage par les scissions suecessives des fractions et la multiplication des malo- eas, les « autres » lignages commencent a distinguer les fractions par des noms nouveaux, avec lesquels les fractions eoncernées ne s‘identifient toutefois qu’a long terme. Quatre générations, 14 aussi, semblent suffisantes pour provoquer assez de scissions pour qu'intervienne cette difléreneiation par les « autres gens », & moins que des guerres ct. hostilités, exterminant ou faisant émigrer un certain nombre de maisonnées (fractions), n’aient en quelque sorte inhibé l’extension territoriale du lignage. En résumant ee que nous venons de montrer ct en nous plagant dans une perspective synchronique, nous pouvons dire que, si la parentéle est constituée par un ensemble de relations symétriques organisécs autour d’Ego et que le lignage « accentue » les relations de parenté patrilinéaires, le réseau asymétrique {par rapport & Ego) des degrés de parenté peut ttre considéré eomme un effet de la eo-existence des deux et ]’expression de lour efficacité commune et simul- tanée, Vu de fagon diachronique, le systéme du lignage retient plus longuement la parenté proche selon le eritére de Punifiliation, et eeci autant dans le patri- lignage du pére que dans le patrilignage de la mére, tout en aceélérant la pro- duetion de parents éloignés dans les lignages alliés A des collatérales (« sours », «sceurs du pére », «sceurs de la mére », ete.). Puisque, par le mariage des «sceurs », des lignages supplémentaires sont introduits dans la parentéle, nous voyons que Yinstitution du lignage witoto contribue, la encore, 4 produire, dans un systéme de parenté donné, des parents éloignés déja épousables sous certaines conditions (cE. plus loin) et, & Jong terme, des non-parents. C'est dans Jes considérations sur le ehoix du conjoint que efficacité de ce type de lignage et de systéme de parenté se manifeste de fagon & orienter un comportement — celui du choix — dont les conséquences sont econgrues avec Jes deux systémes de référence. Formulée de fagon catégorique, la régle « préférenticlle » peut s'exprimer L'ORGANISATION SOCIALE DES INDIENS WITOTO 155 par la proposition suivante : on va se marier Join (souvent les conjoints parlent des dialeetes, ou méme des langues, différents) chez d’ « autres gens ». Dite sous, cette forme, la régle de mariage énonce un idéal exogamique. C’est ee que disent certains informateurs de nos jours et ce que confirment les fragments de généa- logie que nous avons pu relever. «Loin » et « chez d'autres gens » signifie un idéal exogamique par rapport au lignage local propre d’Ego ct A ses implications diachroniques, c’est-i-dire qu’en allant « loin », on n’exclut pas seulement les gens du lignage propre (territoire), mais aussi les lignages différents adjacents au territoire qui, par le processus historique des scissions et des conversions en « autres gens » par V'imposition d@un nouveau nont, remontent a une origine commune qui est d’autant plus éloignée dans le temps que Je lignage se trouve éloigné dans Iespacc. Finale- ment, la contradiction de la formule devient évidente : en disant « autres gens », on prétend « exogamie »; en ajoutant « loin », on en révéle Villusion, ear on admet implicitement Je rdle de extension spatiale, done une parenté lointaine — dans le temps et dans espace — comme conséquence ultime du systéme et de l’histoire. . J'admets de mon cété que c’est l’ethnologue qui a développé ce raisonne- ment et qu’aueun Witoto ne m’a jamais manifesté avoir entrevu les conséquences de ce que je viens de développer, Je pense néanmoins que la cohérence que jai pu montrer dans un ensemble de faits et d’affirmations n’cst pas gratuite. Pajoute aussi que, si les Witoto n’empruntent pas la forme de mon raisonne- ment pour rendre compte de leur société, ils poss¢dent néanmoins leur propre langage, constitutif de leur culture, par lequel ils pensent et commentent leur société. Et c’est précisément & ee niveau-l4 que nous trouvons des indices qui nous permettent d’étayer la logique qui fonde Vilusion exogamique. II s'avére que le langage mythique (jaiagai) d'une part, rendant compte du monde étendu de la forét et des choses et événements distinets dans ce monde (unités diserétes, «espaces », a instar de ce que veulent étre les lignages), et «1a parole de la créa- tion » (komuilla uai) d’autre part, qui est propriété du maitre de féte, done du noyau de la lignée (ou de la fraction de lignage), et qui représente un catalogue de termes énoncant la suite des choses eréées, issues d’une méme origine, sont tous les deux, par le rapport d’exclusivité dans lequel ils se manifestent dans la pratique, une représentation raisonnée coneréte de Fillusion exogamique, cest-a-dire de la contradiction entre le « lointain », « contigu » et « les autres gens », groupés en unités qui se veulent discrétes, non-parentes, done « non- contigués ». A Lheure actuelle, les garcons ct filles apprennent généralement 4 se con- naitre loin des structures familiales traditionnelles, 4 l'internat catholique ob ils passent leur seolarité obligatoire. La morale chrétienne enseignée & l’inter- nat professe la liberté du choix du conjoint, mais dans les limites de la notion dinceste valable dans notre culture. C’est ainsi qu’en principe, Finitiative du ehoix revient aux jeunes gens ct Je euré ne consent au mariage — le sacrement de Péglise est obligatoire — que si la jeune fille se déclare d’accord, Or Pinter- nat réunit des enfants provenant a la fois des mémes régions ct de régions trés dloignées, ainsi que d’ethnies voisines (Bora, Muinani, Ocaina). Ceci fait que Ja distanee géographique qui était autrefois un critére valable pour orienter 156 SOCIAL TIME AND SPACE IN LOWLAND SOUTH AMERICA son choix afin d’accomplir la régle idéale du mariage se trouve abolie, Malgré la iberté admise par les curés, les choix de conjoints parents qu’on peut obser- ver & une date récente se sont fixés sur des personnes parentes d’un degré plus Sloigné que eelui que prohibe la régle de mariage catholique. De 1A on peut conclure qu’ cdté de la régle idéale simple que nous avons énoneée, il existe des critéres qui tragent les contours minimaux de la parentéle permettant un mariage. Les eritéres qu’on nous a fait valoir relévent tantét de organisation lignagére, tantot du systéme de parenté, Au cours de discussions avec les infor- mateurs, impression s’est dégagée que si, d’un cété, il y a des eriléres nets interdisant le mariage, il y en a d’autres qui le sont moins et qui deviennent Vobjet d’évaluations individuelles et de manipulations. Ceei apparait de fagon particuligrement évidente quand, & cause de la chute démographique, des mariages entre parents ont déja été conclus 4 une génération précédente, ce qui a proyoqué un empiétement de deux parentéles ct la possibilité, pour leurs membres, d’interpréter certaines relations comme proches ou éloignées, parentes ou alliées, au gré des intéréts personnels. Les eritéres qu’ont évoqués les informateurs pour expliquer Vimpossibilité de certains mariages sont les suivants : — la parenté proche : on ne se marie pas avee un(e) parent(e) « proche », nanoka ; — le lignage : on ne se marie ni dans son propre lignage, ni dans eelui de la mire ; les lignages qui portent le méme nom que celui d’Ego, mais qui sont territorialement séparés ainsi que les lignages de la mire du pére et de la mére de la mére sont évités (tableau 2). Pour le premier cas, lignage du méme nom, Linformateur s’est exprimé ainsi : « Le mariage est possible, mais on n’a jamais vu un tel mariage », Le degré de parenté witoto (nanoka — jinofe) ne suffit done pas & déterminer la prohibition minimale du mariage, puisqu’en nous référant A des lignages entiers, nous incluons des parents éloignés. Il subsiste d’aillcurs certains points & éclaireir. Si je ne puis me marier avce la FeFP, puisqu’elle est une « scour proche », nanoka miringo, il semble possible de pouvoir se marier avec une « sceur proche » de eelle-ci, dans le lignage de la nanoka miringo (qui est celui du mari de la seur du pére). Ce qui coineiderait avee le fait que Ie lignage du mari de Ja SPP n’est pas évité, comme Pest celui de la mére de Ja mére, bien que les Fs/FeSPP soient pour mon pére des germains proches, tout comme le sont le Fs/FeFMM pour ma mere. Le mariage est également possible — et & plus forte raison — dans le lignage de Fs/FeSM, qui eux sont déja jinofe amafjinofe maringo ¥. Si Ego se référe aux époux et épouses de ses fréres et sceurs par les termes oima, « beau-frére » et ofaifo, « belle-sceur », il distingue les gens des lignages de ceux-ci par le terme collectif ilaraint qu’on peut traduire par « alliés » (un homme : illaraima, une femme : illaraino) ; préeisons qu’il s’agit 14 non seule- ment d’alliés du lignage d’Ego, mais d’alliés de la parentéle d’Ego & la généra- tion o, c’est-d-dire d’alliés ohtenus par le mariage de tous ceux qu’Ego appelle « frére » et «sceur ». Nous venons de voir que les alliances des sceurs n’entrainent pas pour les descendants d’Ego limpossibilité de se marier dans ces lignages alliés, bien que les enfants des sceurs leur appartiennent (eeci parait lié au LIORGANISATION SOCIALE DES INDIENS WITOTO 457 caractére centré sur Ego du systéme de parenté et & la valeur descriptive de ses termes). De méme, les lignages alliés d’Ego par le mariage des fréres ne sont pas exelus des possibilités de mariage du fils d’Zgo; ou, autrement dit : les lignages des femmes des oneles patrilatéraux, appelées eikango, ne sont pas exelus des possibilités de mariage d’Ego ; ct comme le mariage du pére d’Ego et de la mére ne signific pas seulement Valliance de deux lignages (eomme le dit la régle exogamique minimale), mais aussi l’union de deux parentéles, la méme chose vaut pour les lignages des femmes des oncles matrilatéraux, appelées par Ic méme terme d’eikango. Par la ‘figure 4, nous tachons de résumer graphiquement les éléments prin- cipaux des méeanismes sociaux qui réglent le temps et l’espace de la société witoto. : maloca d’Ego : malocas appartenant aux lignages A, B... H, I... lignage @’Ego : lignages territorialement contigus du lignage d’Ego : lignages « lointains » du lignage d’Zgo np Hp ' BEEP OE : lignage du méme nom que eelui d’Ego, mais territorialement séparé ; quant au mariage, évité par les gens d’A : lignage de MP, évité par Ego : lignage de MM, évité par Ego : lignage de M, évité par Igo ct ses descendants de G — 1 : lignage allié d’ Ego, évité par les descendants d’ Ego de G — 4 et —2 lignage allié d’Ego par le mariage d'un frére, illaraint : lignage allié d’Ego par le mariage d’une sceur, illaraint <6 2 R VE + lignage co-allié d’Ego, celui-ci ayant pris femme dans S, le lignage allié P' Ego, Les fléches symbolisent la durée de Pévitement observé (resp. 'affaiblisse- ment du lien de parenté ressenti) par les générations issues d’ Ego. I: Lien de parenté implicite dans la contiguité territoriale, s’affaiblissant avec la distance augmentante, évité par le mariage « loin », « chez d’autres gens » IL : Evitement durant deux générations III : Evitement durant une génération IV : Evitement durant une génération V_: Aucun évitement, sicen’est qu’a la génération 0 méme, ot on n’observe jamais plus de deux mariages alliant deux lignages (deux fréres mariés & deux sceurs, ou un frére et une scour mariés 4 un frére et une sceur}. Ceci nous fait dire que le groupe local de fréres (cellule de la maisonnée) pratique une politique d’alliance diversifiée trés poussée, dont les béné- fices sont ressentis au moment de l’exécution des fétes, quand les alliés par mariage contribuent, par leur travail et leur apport-en produits 158 SOCIAL TIME AND SPACE IN LOWLAND SOUTH AMERICA hortieoles, & l'augmentation de la masse des biens que le maitre de féte investit dans les prestations eérémonielles offertes aux invités. Fic. 4. Cette politique de Valliance diversifiée (& laquelle on pout ajouter l'évite- ment par Ego de quatre lignages) exige l’existence d’un nombre relativement Glevé de lignages différents. Le dessin veut montrer qu’ la périphérie du cerele formé autour du lignage d’Ego, le nombre des lignages est plus élevé qu’au centre (voisinage immédiat du lignage d’Zgo), puisque espace est plus étendu. La régle de mariage « Jointain », impliquant aussi le nombre élevé de lignages différents (groupes d’ « autres gens »), parait ainsi logiquement lige a la poli- tique de lalliance diversifiée. LIORGANISATION SOCIALE DES INDIENS WITOTO 159 aire culturelle witoto peut s’inscrire, en gros ct en y incluant les ethnies voisines, dans un cerele d’un diamétre d’environ 200 km. Le modéle graphique permet de comprendre les resorts de Porganisation sociale qui promeuvent extension ct la multiplication des relations sociales d'une maisonnée —- méme dune famille — & plusieurs maisonnées éloignées dans espace, et qui assurent par ces relations et a travers les générations l’échange continu ct & longue dis- tance des informations culturelles, qui ont produit une remarquable homo- généité culturelle. NOTES 1. Jai enquété chez Jes Witoto du moyen Igaraparana, Amazonie“colombienne, au cours de deux missions (13 mois ct 14 mois, de 1969/70, et de 1973/74). La, premiere était subven- tiomnée par Ie Fonds National Suisse de la Recherehe Scientifique, la « Werner Reimors Stif- tung fOr anthropogenctische Forschung », B-F.A., le Gentre National de la Recherche Seicnti- fique, Paris, ct In « Smithsonian Lustitution », Washington. La seconde était effectuée dans le endre du programme do recherche pluridisciplinaire « Culture sur hralis et évolution du milieu forestier en Amazonie du Nord-Ouest », finaneé par le Fonds National Suisse et le CNRS. 2. « Inconsistent with a true sib organization is the apparent failure of any « kin » to extend a single community and to carry with it exogamy which is more than local exogamy » (Sr=- wand, 1948). 3. Le mode d’habitation actuel en village groupé autour d'une maloca (ou sans celle-ci !) a été déerit dans un article antérieur (Gasciré, 1972). Nous n'y revenons plus dans ce travail-ci dont le but est de donner un apergu de l'organisation sociale traditionnelle afin de permettre aux ethnologues de « situer » ectte société dans l'ensemble des sociétés amazoniennes autoch- tones, Bien que seg structures opérent de nos jours de fagon souvent réduite ct que certains éléments on aient été amputés, A cause surtout de Ja diminution démographique considérable conséoutive au « boom » du caoutehoue, elles présentent encore 4 !"enquéteur actuel une eohé- renee suffisante (manifeste soit dans la pratique sociale, soit dans le discours explicatif des informatcurs agés ct dans lours références au pass¢) pour nous permottre de constituer unc «image » de ce que a di, ou pu dtre Pancienne société witoto. Les sources ethnographiques aident 4 compléter cette image. 4. A ce sujet, les autours du début de ce sitele nous disent pen de chose. Notre propre enquéte a fourni quelques indices auxquels il est difficile de donner un corps précis. Les groupes Joeaux actuels (villages) ont une importance numérique bien moindre (25 personnes, cn moyenne} que Jes maisonnées du passé. I] ost done difficile de savoir dans quelle mesure et de quelle fagon la dilférenciation dans les réles sociaux qu’on observe aujourd’hui au niveau des individus (ainé, puiné, cadet) se manifestait autrefois 4 un niveau plus collectif, celui des lignées ainée, puinde et cadettes. L’existenco d'activités collectives de plus grande cnver- gure dans le passé que dans le présent — guerre avec chef de guerre, fairirama, et deux caté- gories de gucrriers, chasse collective au filet, grandes péches collectives —~ pcrmettent de penser que certaines responsabilités et réles étaient distribués selon le clivage des lignées et en accord avec leur statut. 5. Nous utilisons un systéme de transcription adapté 4 Valphabet espagnol : {, spirante bilabiale, 2, fricative apicodentale sourde, #l, occlusive prépalatale sonore, 7, nasale prépa- latale, ng, nasale vélaire, j, spirante glottale sourde, b, d, g, sont toujours occlusives, f, voyelle darritre aux lévres rétractées et d'ouverture moyenne. 6. Tl existe également 4 hcure actuclie et comme une conséquence des événements histo- siques cités, des villages constitués imiquement par des « orphelins », qui sont des survivants (isolés ou groupes de fréres) d’ancicnnes maisonnées ou des descendants de ceux-ci, sons ratta- chernent & un inattre de fete. Is regroupent selon le mode traditionnel des fréres autour d'un pare, cclui-ei étant dépourvu de carriére cérémonielle, ct ils ne comportent de ce fait pas de maloca. Dans certains cas, deux groupes patrilinéaires de fréres en relation d'allianee duc aun scul mariage, et éventuellement d'autres hommes isolés mariés & une sur de ces groupes, cohabitent dans un snémne village. Il est alors significatif que, si un membre d’un de ees groupes de frézes désire commencer une carriére cérémoniclle et fait, dans ce but, un apprentissage auprés d'un individu — par exemple un vieillard isolé mais qui posséde un certain savoir traditionnel qui est ainsi récupéré et renait dans une nouvelle pratique eérémonielle, il aura 160 SOCIAL TIME AND SPACE IN LOWLAND SOUTH AMERICA tendance & aller fonder un village A part, Ini tout seul avee sa famille nucléaire ou en entrai- nant avec 1ui l'ensemble ou une partie de ses fréres, prenant ainsi A nouveau distance par rapport aux alliés avec lesquels il cohabitait jusque-la. 7. Preuss, 1924/23 : 70%, traduit le terme haienike (= jaienikt dans ma transcription) par « servitour, valet, subordonné, par opposition au chef »; Wutrres, 1915 : 69-70, confond prisonniers de guerre et esclaves cn une scule catégoric, sans toutefois donner le terme witoto qui les désigne, 8. Les ethnies voisines de la méme airo géographique et culturelle mais linguistiquement différentes des Witoto — les Bora, Ocaina, Mfuinane, etc. — sont distinguées globalement en tant qu’ethnies : Borat, okainafai, muinané, ete. sans que les Witoto prennent en considéra- tion leur organisation lignagére, qui est fort semblable, sinon identique, & la leur. 9, Ainsi nous comprenons micux « pourquoi » les noms des lignages signifient des choses tris diverses : « sarigue », « palmicr cumaré », « (espéee de) poisson », « grand fleuve », « pierre > «soleil », « are en ciel », « exeréments », « curare », « marmite 2, « esprits des eaux », « diables », «doux », ete. etc, La littérature cite plus de cinquante noms lignagers. 10. Les noms personnels sont aussi quelqucfois ddrivés d’dléments associés & la earrizre eérémonielle : c'est ie cas, en particulier, de membres (pas tous!) de lignées ainées, sclon ee que j'ai pu observer. 11. La plupart des auteurs (Fananzr, 1922 : 37; Preuss, 1921-23 : 162; Wurrren, 1915 : 84) parlent d’une assez forte autorité du chef, tout'en précisant que chaque maloca avait son propre chef tout A fait indépendant. Whiffen cite pourtant le cas qu'il dit Ini-méme exception nel d’un chef de lignage qui exergait son antorité sur I’cnsemble des lignages de son cthnic, le groupe linguistique nonuya apparenté probablement au witoto, Il mentionne aussi un chef deguerre resigaro {ethnic avawal do la memo région, ef. Iyer, 1951) qui avait réussi A réunir sous ses ordres une troupe de guerricrs pour punir les maisonnées qui collaboraient avec les eaoutchouticrs, 12. Ces arguments sont parfois avancés aujourd’hui alors que 1a population, autrefois dispersée dans la forét, vit coneentrée ct en voisinage presque continu sur le hord de certains segments du fleuve. Ceci est déja Ie résultat d’ume premiére vague de déplacements qui ont cu lieu pendant ces derniéres déconnies et qui gont dis 4 lattrait 4 Ja fois de l’'axe commercial « blane » ct de la réserve de poissons que représente l'Igaraparand. 43. Le phénoméne inverse. pont également étro observé ; une maisonnée qui a émigré et gnis’est installée sur le territoire d'un autre lignage, « pris le nom de celui-ci, Nous n’en connais- sons pas la motivation. Le souvenir de ancien nom est pourtant gardé par certains noma personnels que le chef de In maisonnée a continué 4 imposer. Dans Je processus actucl de diversification du grand lignage Aigrettc, la fraction de lignage assimilée est traitée de la mime fagon que toutes les fractions originellos : les lignages Voisins Ini ont donné un nom sup- plémentaire, qui est done lo troisiéme qu'il ait rogu au cours de son histoire (esprits d'eau, aigrette, crevette). 14. Une analyse plus compléte du systéme de parenté fera l'objet d’un autre travail. Je ne mentionne ici que certains traits qui nous permettent d’élucider des problémes évoqués plus haut, en particulier la fonction du lignage, ct de compléter le tableau global de Ia struc~ ture sociale witoto, 15, Par son sens premicr, étymologique, jinofe, « du cété extérieur » s'oppose A eroje-ne, « vers le edté intérieur >, terme qui, nous Favons vu, exprime Pordre hiérarchique fondé sur Vaineese relative des fréres, resp, fils. 16. Dans un systéme de parenté indifférencié ct contré sur Ego comme eclui des Witoto, nous entondons par « branche » (en empruntant l'image de arbre généalogique) : 1) un ensemble de personnes issues d’un germain (branche collatérate), par opposition aux personnos faisant partic du « trone » d'Eigo, e’est-a-dire, étant en relation de s filiation » généalogique directe (PP, MP, MM — P, M, Ego, Fs, Fe, FsFe, Fes, FsF's, FePo} ; 2) un ensemble de personnes issues d'un allié d’Ego, c'est-4-dire d’un germain du conjoint d'Ege (« branche alliée ») par opposition aux personnes de In parentéle consituée par les alliances conclues dans les générations ascendantes, 17, Ces termes montrent que c'est Ja relation de germanité qui est transitive, ot non pas colle de la doscendance {géniteurs-enfants} ; Je FMP est pour mon pére billama (oncle matri- Jatéral}, alors que son fils (FsFMP) est pour moi ézo, [oncle matrilatéral) parce qu'il est ama, «frére >, de mon pire. L’inverse vaut pour le FsFPM, qui est fils d’izo de ma mire, done ama de ma mére, donc billama d'Ego. 18. Ge lion de parenté avec Ps/FeSM est le plus proche qui implique trois lignages : celui Ego, colui de sa mére ct celui du mari de la scour de celle-ci. La relation dalliance qui le fonde — c’est-A-dire, la relation entre deux hommes de lignage différent mariés avec deux sceurs d’un méme lignage — est exprimé par le terme & valeur réofproque rifema, dont le fémi- “nin rifefio est utilisé entre denx femmes de lignages différents, mais mariées dans Ic méme lignage (voir fig. 1). Les Witoto le traduisent en espagnol par « socio », « socia », je choisis, en frangais, le terme de « co-allié(e) », LORGANISATION SOCIALE DES INDIENS WITOTO 164 REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES Dumont L., 1974. Introduction 4 deux théories d'anthropologie sociale, Paris-La Haye. Fananee W.C., 1922, Indian tribes of Eastern Peru”, Papers of the Peabody Museum of American’ Archaeology and Ethnology, 10. 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