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Avant-propos
Partie 1 - La Grèce
1. Histoire
2. Religions
3. Philosophie
4. Littérature
5. Arts
6. Sciences
2. Religions
3. Philosophie
4. Littérature
5. Arts
6. Sciences
2. Religions
3. Philosophie
4. Littérature
5. Arts
6. Sciences
Partie 4 - La Renaissance et l’époque moderne
1. Histoire _________
2. Religions
3. Philosophie
4. Littérature
5. Arts
6. Sciences
2. Religions
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4. Littérature
5. Arts
6. Sciences
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5. Arts
6. Sciences
2. Religions
3. Philosophie
4. Littérature
Bibliographie
© Armand Colin, Paris, 2009 pour la présente
édition
© Armand Colin, Paris, 1999
978-2-200-24525-2
Troisième édition revue, actualisée et augmentée
www.armand-colin.com
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés,
réservés pour tous pays. • Toute reproduction ou représentation intégrale ou
partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans le présent
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(art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle).
ARMAND COLIN ÉDITEUR• 21, RUE DU MONTPARNASSE •
75006 PARIS
Ouvrage publié initialement sous la direction de
Jacqueline Russ
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La fiche de lecture littéraire, M.-A. Charbonnier
Prolongements
La Grèce
1. Histoire
1.1 Repères
Les origines
La civilisation mycénienne
Développée par les Achéens durant le IIe millénaire av. J.-C., elle tire son
nom du site de Mycènes où ont été trouvés deux vestiges qui la caractérisent :
la forteresse et les tombes à coupole. Grâce au déchiffrement de tablettes,
trouvées à Pylos et écrites dans la forme la plus anciennement connue de la
langue grecque, le « linéaire B », on a essayé de préciser l’organisation de la
société mycénienne. La forteresse abritait le « roi » et ses serviteurs, parmi
lesquels des scribes. Les paysans de la campagne environnante entretenaient
avec la forteresse des relations relevant d’obligations économiques et
religieuses. À la fin du XIIe siècle av. J.-C. cette civilisation disparut, pour des
raisons inconnues, sans doute sous les coups des Doriens.
Le monde homérique
L’âge classique
Il s’agit des Ve et IVe siècle av. J.-C. qui ont, par l’intermédiaire des
Romains, légué un patrimoine artistique, intellectuel et politique encore très
actuel. Les exemples d’Athènes et Sparte sont les plus connus. Cependant, il y
avait de nombreuses autres cités, plus ou moins importantes, souvent opposées
les unes aux autres, mais se sentant toutes membres à part entière du monde
grec et différentes des non-Grecs, les barbares. Cette identité commune se
manifestait par la fréquentation des grands sanctuaires panhelléniques et la
participation aux concours, dont les jeux Olympiques. Cette période, pour
brillante qu’elle fût, vit se dérouler de multiples conflits entre les cités. Une
des raisons principales de ces affrontements fut l’antagonisme entre les cités
ayant un régime démocratique et celles qui préféraient un gouvernement
aristocratique. La guerre du Péloponnèse (– 431/– 404) fut le principal de ces
conflits et affaiblit durablement Athènes.
L’époque hellénistique
La cité
La cité fut un des modes d’organisation politique les plus répandus dans le
monde méditerranéen antique. Elle regroupait sur un espace civique,
comprenant une ville, sa campagne cultivée et des confins moins humanisés,
des hommes ayant choisi de vivre ensemble et de défendre leur territoire et
leur liberté contre toute ingérence extérieure. La cité apparut en Grèce sans
doute entre le milieu du IIe millénaire av. J.-C., voire plus tôt, et la fin du
premier tiers du Ier millénaire av. J.-C. La vie politique était l’apanage d’une
part variable des citoyens, selon le régime politique choisi. Elle avait ses
divinités poliades, c’est-à-dire propres à la cité, dont le culte était souvent
ouvert aux non-citoyens.
Les conflits entre cités donnèrent lieu à la constitution de coalitions, ou
ligues, plus ou moins étoffées. Au IVe siècle av. J.-C. la cité dut affronter une
grave crise. Une des conséquences majeures en fut l’affaiblissement
numérique du groupe social que nous qualifierions de classes moyennes. Ce
groupe fournissait les hoplites, les citoyens les plus attachés à la vie
démocratique et à la stabilité politique. Cela entraîna un durcissement des
rapports sociaux et une instabilité politique propice aux démagogues.
Finalement, les cités durent accepter des limitations de souveraineté, tout en
affirmant leur indépendance nominale et en restant toujours prêtes à intriguer.
Athènes
C’est par excellence le nom qui est associé à la Grèce antique. Comme la
plupart des cités, Athènes naquit d’un synœcisme, c’est-à-dire de la fusion de
villages et de bourgs, qui se produisit entre le Xe et le VIIIe siècle av. J.-C. Elle
connut d’abord la royauté, puis un gouvernement aristocratique dont les
magistratures étaient monopolisées par les familles les plus riches. Au début
du VIe siècle av. J.-C. une crise sociale particulièrement grave fut dénouée par
l’archonte de – 594, Solon, qui annula les dettes, interdit la contrainte par
corps et mit un terme à la situation de dépendance dans laquelle étaient
tombés de nombreux paysans endettés. Athènes connut ensuite la tyrannie de
Pisistrate, dans la seconde moitié du VIe siècle av. J.-C. Il favorisa le
développement de l’agriculture dans le cadre de la moyenne et petite propriété
et conduisit une politique de travaux publics et d’embellissement de la ville.
Son fils lui succéda et se maintint au pouvoir jusqu’en – 510, où ses
adversaires, aidés par l’armée spartiate, l’obligèrent à se retirer.
En – 508 Clisthène permit l’épanouissement de la démocratie en
réorganisant le corps et l’espace civique. Jusqu’à l’installation d’une garnison
macédonienne à Athènes, mise à part la courte période de – 411 à – 403, la
cité vécut en démocratie dans les structures héritées de Clisthène : c’est dans
ce cadre que s’inscrivit l’action de Périclès.
La société
La vie civique
Prolongements
• Le prestige de la civilisation d’Athènes conduisit Harold Macmillan,
excédé par l’attitude américaine à l’égard de la Grande-Bretagne, à
comparer son pays à Athènes, symbole de la civilisation raffinée, et
les États-Unis aux rustiques Romains.
• Sous la IIIe République l’Action française fit un grand usage du
terme de métèque pour désigner, de façon injurieuse, les étrangers
immigrés en France.
1.3 Sparte
Repères
La société spartiate
La vie politique
Repas des égaux Ce repas en commun était une obligation imposée aux hommes. Chacun
devait apporter sa participation à ce repas frugal, qui contribuait à renforcer la cohésion du
corps civique et marquait de façon tangible ce qui séparait le citoyen des autres habitants de
la cité. Les jeunes citoyens en formation y étaient admis, selon des modalités particulières et
y complétaient l’apprentissage de leur fonction civique.
L’enfant à Sparte Dès la naissance la vie lui était dure puisque c’étaient les vieillards de
la tribu, auxquels il était présenté, qui décidaient s’il méritait de vivre. Si tel n’était pas le
cas, l’enfant était exposé dans le ravin du Taygète. Jusqu’à huit ans son éducation ne relevait
pas de l’État, mais de la famille. À huit ans commençait le dressage (agogè) qui le faisait
passer successivement à travers trois groupes d’âges. Au moment du passage d’un groupe
dans un autre il devait affronter des rites initiatiques, dont celui de tuer des hilotes. L’objectif
était de développer le patriotisme et l’aptitude au combat chez les garçons. Chez les filles, il
s’agissait de fortifier leur constitution physique pour qu’elles puissent concevoir des enfants
vigoureux et viables.
Prolongements
• La France de la IIIe République faisait davantage référence à
Athènes, cité démocratique, alors que l’Allemagne de Bismarck,
comme de Guillaume II, évoquait plus volontiers Sparte, son
exaltation du corps et de la préparation physique. Les hommes
politiques français se réclamaient d’ailleurs plus facilement de la
République romaine que de la Grèce. Faut-il en chercher
l’explication dans le souci du droit, propre à Rome, alors que le
goût des Grecs pour la philosophie aurait séduit davantage les
Allemands ?
Alexandre le Grand
2. Religions
2.1 Le mythe
Définition du mythe
Le mythe est un récit fabuleux : il raconte une histoire et n’expose pas des
thèses argumentatives. En ce sens, le muthos s’oppose au logos, qui est un
discours rationnel et démonstratif. Les historiens et les philosophes grecs du
Ve siècle insisteront sur cette opposition entre des récits non confirmés par des
témoignages, qu’ils critiquent comme illusoires, et des démonstrations
authentiques, « logiques ».
Le mythe est un récit des origines : le mythe se situe au « temps fabuleux
des commencements » (Mircea Éliade). Il a lieu dans un temps primordial,
avant le temps et l’histoire. Il rend compte ainsi des racines de ce qui va
advenir.
Le mythe a une fonction explicative : ce n’est pas un récit gratuit ou qui
aurait pour seule fonction de divertir. Face à des questions essentielles et
mystérieuses, portant sur la nature des choses ou des hommes, des questions
dénommées aujourd’hui métaphysiques, le mythe donne une explication qui
se présente comme définitive.
Le mythe d’Œdipe Œdipe est le fils du roi de Thèbes, Laïos, et de Jocaste. L’oracle de
Delphes ayant prédit qu’il tuerait son père et épouserait sa mère, son père le fit abandonner
sur le mont Cithéron, après lui avoir fait percer les chevilles pour l’attacher (d’où le nom
d’Œdipe, qui signifie « pied enflé »). Recueilli par un berger du roi de Corinthe, Polybos, il
est adopté par celui-ci. À l’âge adulte, il quitte ses parents adoptifs. Rencontrant à un
carrefour Laïos qui l’insulte pour obtenir le passage, Œdipe le tue, sans bien sûr savoir de
qui il s’agit. Arrivé à Thèbes, il parvient à répondre à la question que lui pose le Sphinx,
monstre, mi-femme mi-lion aux ailes d’aigle, qui dévorait les habitants de la ville,
incapables de répondre à ses énigmes. Œdipe trouve la réponse à la question : « Qu’est-ce
qui marche tantôt à quatre pattes, tantôt à deux, tantôt à trois, et qui contrairement à la loi
générale est le plus faible quand il a le plus de pattes ? » Il s’agit de l’homme, enfant à quatre
pattes, adulte sur ses deux jambes et vieillard appuyé sur une canne. De dépit, le monstre se
jette du haut des rochers. Fêté par la population de Thèbes, Œdipe se voit offrir le trône et
épouse la veuve de Laïos. La prophétie se trouve ainsi réalisée. Œdipe le comprendra
lorsqu’à la suite d’une peste qui frappe Thèbes, il charge le frère de Jocaste, Créon, de
rechercher la cause du fléau. Ayant appris la vérité, Jocaste se tue ; Œdipe se crève les yeux
et part guidé par sa fille Antigone.
Le mythe de Prométhée Fils d’un des Titans, Japet, Prométhée (« le prévoyant ») est le
frère d’Épiméthée (« le maladroit ») et d’Atlas. Alors qu’Épiméthée est le créateur du règne
animal, Prométhée protège les hommes : pour ce faire il trompe deux fois Zeus. Une
première fois, au cours d’un sacrifice il fait choisir à Zeus la part la plus tentante de la bête
immolée, mais il ne s’agit en fait que d’os enrobés d’une graisse appétissante. Il laisse aux
hommes le meilleur, la chair recouverte de peau. Par mesure de rétorsion, Zeus refuse le feu
aux hommes. Prométhée dérobe alors le feu à la forge d’Héphaïstos, dieu du feu, de la terre
et des volcans. Il permettra ainsi aux hommes d’accéder à de nombreux arts comme la
métallurgie et à la civilisation. En punition Zeus l’enchaîne sur un rocher du Caucase où un
aigle vient dévorer son foie sans cesse renaissant. Prométhée est délivré par Héraclès qui tue
l’aigle. Pour punir les hommes, Héphaïstos leur envoie la première femme, Pandore (« dotée
de tous les dons »), séductrice qui apporte avec elle une jarre qu’elle ouvre et d’où tous les
malheurs s’échappent pour frapper l’humanité. Remettant vite le couvercle elle ne réussit à
préserver que l’espérance.
Ce mythe est exposé dans Hésiode ( Les Travaux et les Jours) et surtout dans le
Prométhée enchaîné d’Eschyle (vers 467 av. J.-C.). Platon dans le Protagoras attribue à
Prométhée la création de tous les êtres vivants.
Prolongements
• Exposé au chant IV de l’Iliade et XI de l’Odyssée, le mythe d’Œdipe
est surtout popularisé sous sa forme la plus connue dans Œdipe roi
de Sophocle (430 av. J.-C.), suivi d’Œdipe à Colone (401, qui
relate la vie d’Œdipe proscrit).
• Corneille (Œdipe, 1659) puis Voltaire (Œdipe, 1718) s’intéressent à
Œdipe sans grande réussite, comme le feront les romantiques avec
Hölderlin (Remarques sur Œdipe, Remarques sur Antigone, 1804).
Le mythe sera surtout popularisé par Freud qui prétend y voir des
constantes du désir humain, d’épouser sa mère et de tuer son père :
« Le mythe grec met en valeur une compulsion que chacun
reconnaît pour avoir perçu en lui-même des traces de son existence.
»
• Depuis le romantisme Prométhée est considéré comme le symbole
de l’humanité révoltée contre les dieux et l’obscurantisme, et de la
possibilité d’un progrès de l’humanité. C’est le cas dans le
Prométhée de Goethe (1773) et surtout dans le Prométhée délivré
de P. B. Shelley (1820), où il incarne la lutte de l’homme usant de
son savoir contre un Zeus qui symbolise le mal. Les adversaires des
progrès de la civilisation comme Rousseau, voient en lui celui qui,
en leur apportant la science et les arts, a fait le malheur des
hommes.
Prolongements
• Nietzsche regrette, dans la Naissance de la tragédie, que la création
artistique se soit éloignée de la Grèce, qui avait su concilier
l’apollinien, mesuré et raisonnable et le dionysiaque, ivresse et
délire. Par la suite, il se proclame « le dernier disciple » de
Dionysos , dieu de l’affirmation et de la vie, contre « le crucifié »,
c’est-à-dire le Christ, dieu du ressentiment.
Les Ioniens
Le premier d’entre eux est Thalès de Milet (VIIe-VIe siècle av. J.-C.)
astronome et mathématicien. Il serait à l’origine des mathématiques grecques,
qu’il aurait ramenées d’un voyage en Égypte. Astronome, il aurait prévu
l’éclipse de – 585, ce qui lui aurait permis de faire de fructueuses affaires en
anticipant une bonne récolte d’olives. Il estime que de l’eau procèdent toutes
choses et toute vie.
Anaximandre (610-545), disciple et successeur de Thalès, aurait mis au
principe de toutes choses, un principe abstrait, l’illimité, l’infini.
Anaximène (milieu du VIe siècle av. J.-C.), son élève, précise la nature de
l’infini d’Anaximandre, comme étant l’air, le souffle, qui peut être chaud ou
froid selon la forme que prennent les lèvres qui le projettent.
Le plus grand de ces philosophes ioniens est Héraclite d’Éphèse (576-480),
surnommé « l’obscur ». Pour lui le tout est en perpétuel devenir. La stabilité
des choses n’est qu’apparente. « Tu ne peux pas descendre deux fois dans le
même fleuve ; car de nouvelles eaux courent toujours sur toi ». L’élément
primordial est le feu, qui est en même temps matière et logos, raison. Il est le
lieu de la contradiction : naissance et conservation des êtres sont dues au
conflit des contraires. Les contraires trouvent leur unité dans la raison : « La
route, montante descendante, une et même. »
Il méprise profondément le vulgaire, la religion populaire et sa vénération
des images : « Et ils adressèrent des prières aux statues comme quelqu’un qui
parlerait avec des maisons, ne sachant pas du tout ce que sont les dieux et les
héros. » Quant aux sacrifices, c’est « comme si un homme ayant marché dans
la boue se purifiait avec de la boue ».
Anaxagore de Clazomènes, cité au nord de Milet (500-428) s’installe à
Athènes et y introduit la philosophie ionienne. Pour lui, la cause du
mouvement est l’intelligence ordonnatrice (nous). « Rien ne naît ou n’est
détruit, mais il y a mélange et séparation des choses qui sont ». Il porte une
attention particulière aux objets célestes : « le soleil est une pierre embrasée »,
« il y a des habitants sur la lune. »
Le principe n’est plus recherché dans la matière, mais dans les idées.
Nombre ou essence intelligible ont le pouvoir de faire exister toute chose en
lui imposant sa mesure.
Pythagore (570-fin VIe siècle av. J.-C.) passe pour avoir joué un grand rôle
dans l’évolution des mathématiques. Le nombre est l’essence de toutes choses
et toutes les choses sont des nombres, l’univers est gouverné par l’harmonie.
Mais il est aussi un chef de secte mystique, influencé par les doctrines
orphiques sur l’immortalité de l’âme et sur la vie ascétique nécessaire pour
éviter les réincarnations successives. Ses disciples reçoivent une longue
éducation, trois ans pour les acousmaticiens, qui reçoivent un enseignement
exprimé en formules (acousmates) destinées à être gardées en mémoire. Par
exemple : « Qu’y a t il de plus sage ? Le nombre, et après lui celui qui a donné
leur nom aux choses », ou bien « Qu’y a t il de plus beau ? L’harmonie. » Les
mathématiciens doivent garder le silence pendant cinq ans supplémentaires.
Empédocle d’Agrigente (milieu Ve siècle av. J.-C.) se serait jeté dans l’Etna
pour confirmer sa réputation d’être un Dieu : le volcan rejeta une de ses
sandales. Il fut à la fois mage-guérisseur et philosophe scientifique. Selon lui,
il n’y a pas dans le monde de transformation, de naissance véritable : rien ne
naît de rien. À la substance unique des Milésiens, Empédocle substitue quatre
éléments, qui devaient dominer la physique jusqu’à Lavoisier, l’emportant sur
les atomes démocritéens. Une certaine combinaison de ces quatre éléments
dans l’organisme produit la santé, le degré d’intelligence et les divers
tempéraments ou caractères. De même que les peintres n’ont besoin que d’un
nombre limité de couleurs pour représenter des personnages variés, de même
les quatre racines doivent suffire pour reconstituer la variété illimitée des
choses : en effet les grands peintres de l’époque se servaient seulement de
blanc, jaune, rouge et noir. Ces quatre éléments sont mus par deux principes,
haine et amour : « tantôt de par l’amour ensemble ils constituent une unique
ordonnance. Tantôt chacun d’entre eux se trouve séparé par la haine ennemie
».
Les Éléates
Prolongements
• Nietzsche appréciait beaucoup les présocratiques, en particulier
Héraclite, philosophe du devenir. Il les oppose à Socrate qui n’est
qu’une autre figure du « crucifié ».
• Heidegger refuse l’idée que les présocratiques ne feraient
qu’annoncer Socrate et Platon, comme s’il y avait un progrès en
philosophie. Ils sont au contraire supérieurs car ils ont un rapport
non métaphysique à l’être, défini comme physis.
Socrate
Socrate est né à Athènes vers 470 av. J.-C. et mort en 399. Il a choisi de ne
rien écrire, car il préfère le recours à la parole, vivante et subtile, alors que
l’écrit serait toujours trompeur et figé. Ses propos nous sont retransmis par ses
disciples comme Xénophon, mais surtout par Platon, en particulier dans les
dialogues qualifiés de socratiques, comme le Phèdre, le Banquet, le Gorgias
ou le Phédon. Il s’agit, dans chacun de ces dialogues, de tenter de définir une
idée ou une vertu, sous une forme abstraite et générale. Cette recherche est
qualifiée par Socrate de « maïeutique », art d’accoucher les esprits des vérités
qu’ils ont en eux. On parle également d’« ironie » socratique (ironie signifie
interrogation).
L’originalité de Socrate par rapport aux philosophes qui l’ont précédé est de
ne plus se préoccuper de la question de savoir ce qu’est le monde, la nature,
mais de s’interroger sur ce qu’est l’homme. L’impératif « connais-toi toi-
même », qui était inscrit au fronton du temple de Delphes, devient la question
centrale de la philosophie.
Cette interrogation sur soi-même va de pair avec l’émergence d’un
sentiment d’intériorité, qui apparaît bien dans la manière dont Socrate parle de
son « démon », de la voix intérieure qu’il écoute en lui. C’est aussi cette
préoccupation de l’individualité qui sera une des principales causes de sa
condamnation par le tribunal d’Athènes.
Selon Socrate la philosophie ne doit pas servir à l’action politique. Elle est
une recherche totalement désintéressée, et qui n’aboutit à aucune solution
définitive, selon la célèbre formule : « Je sais que je ne sais rien. » La
philosophie est étymologiquement amour, recherche de la sagesse, plutôt que
possession de la vérité.
Les sophistes
Le Banquet et l’amour selon Platon L'amour platonique désigne cet amour qui s’élève
de l’amour des objets sensibles et des beaux corps à celui des belles âmes et enfin à l’amour
de la Beauté en elle-même. L’amour est l’intermédiaire qui fait s’élever les hommes jusqu’à
la divinité, et en ce sens « Amour est philosophe ». La philosophie est donc à la fois humaine
et divine.
Le mythe de l’androgyne, évoqué par Aristophane dans le Banquet donne une illustration
de ce que peut être l’amour ou le désir. Au début de l’humanité, les hommes étaient des êtres
doubles, à quatre bras, quatre jambes, avec une tête double. Il y avait alors trois genres,
mâle, femelle et mâle et femelle. S’étant révoltés contre les dieux, ils seront coupés par Zeus
en leur milieu. Depuis, chacun de ces hommes recherche son autre moitié et n’est apaisé que
lorsqu’il l’a retrouvée. L’importance accordée à l’amour (« Éros ») dans le Banquet inspirera
Freud dans l’opposition fondamentale qu’il établit entre les forces de vie (Éros) et les forces
de mort (Thanatos).
La mort de Socrate Critiqué par de nombreux Athéniens, ridiculisé par le comique
Aristophane dans les Nuées, Socrate fut condamné à mort par les tribunaux athéniens, sous
le prétexte qu’il ne reconnaissait pas les dieux de la cité et qu’il corrompait la jeunesse, en la
détournant de la vie politique. Le récit de son procès et de ses derniers instants fut donné par
Platon dans l’Apologie de Socrate et le Phédon.
Ses disciples, qui avaient soudoyé un gardien, le pressèrent de s’enfuir. Il refusa, arguant
qu’il devait obéir aux lois, même si celles-ci étaient injustes. À ses disciples en larmes, il
explique calmement que la mort n’est pas à craindre. En effet, le philosophe n’a jamais rien
cherché d’autre qu’à se séparer de ce corps (soma) qui est pour lui un tombeau (sèma), car il
l’empêche de contempler les Idées. La philosophie est donc en un sens une préparation à la
mort. Bien des raisons semblent d’ailleurs plaider en faveur de l’immortalité de l’âme.
Socrate va jusqu’à demander à ses disciples de sacrifier un coq à Asclépios, dieu de la
médecine, pour l’avoir guéri de cette maladie qu’est la vie.
Prolongements
• La mort héroïque de Socrate, condamné injustement, sera souvent
comparée à la mort du Christ sur la croix, qu’elle annoncerait.
Hegel les considère comme deux « martyrs de la vérité ». Bergson
voit dans l’un comme dans l’autre des personnages d’exception qui
annoncent une nouvelle « morale ouverte », contre la « morale
close » de la société de leur temps. D’autres enfin voudront voir
dans la mort de Socrate la marque du conflit toujours renouvelé
entre la philosophie et les pouvoirs.
• La cité platonicienne peut être considérée comme la première des
grandes utopies politiques, qu’illustreront Thomas More dans son
Utopie (1516) ou Rousseau dans le Contrat social ou l’Émile, qui
est très directement inspiré de la République. Elle est en revanche
critiquée en tant que telle par Machiavel ou Spinoza, qui souhaitent
que l’on considère les hommes tels qu’ils sont et non tels qu’ils
devraient être, ou, plus près de nous, par Karl Popper, qui y voit,
dans la Société ouverte et ses ennemis (1945), le premier exemple
d’une société totalitaire.
Un savant encyclopédique
Les écrits qui nous restent d’Aristote, d’accès souvent difficiles, sont ses
écrits ésotériques, c’est-à-dire destinés aux élèves de son école, et non au
grand public. Ils embrassent la totalité des connaissances de l’époque, suivant
l’idéal encyclopédique, selon lequel le philosophe est celui qui possède « la
totalité du savoir, dans la mesure du possible ». Ses écrits portent sur la
logique (L’Organon : l’instrument), la physique, la biologie (De l’âme, Parties
des animaux, Histoire des animaux), la politique, l’éthique (Éthique à
Nicomaque), la poétique mais aussi sur la métaphysique (ce qui est au-delà de
la physique, ou, chez ses premiers éditeurs, les livres qui ont été classés après
la physique). La métaphysique est en fait une science de l’être en tant qu’être,
ce que l’on nommera ensuite ontologie. Celui qui est le fondateur de la
métaphysique est tout le contraire d’un savant purement abstrait. Il est au
contraire, suivant une image courante, considéré comme celui qui ramena la
philosophie du ciel sur la terre. Il part en effet d’une critique de la doctrine
platonicienne des Idées qui, si elles sont vraiment séparées, soit ne sont pas
connaissables, soit ne peuvent expliquer la réalité. Selon lui, ce qui vaut ce
n’est pas seulement l’universel de l’Idée, c’est l’être singulier. La
connaissance ne consiste pas à rejeter comme fausse l’expérience sensible,
elle part de l’expérience au sens le plus simple du terme pour arriver ensuite,
par induction, au concept, à l’universel. Au lieu des idées séparées, il montre
que les formes sont inséparables de la matière qu’elles organisent. La
substance est une réalité qui ne cesse d’être tout en admettant le devenir, et qui
permet ainsi de dépasser l’opposition entre le « tout s’écoule » héraclitéen et
le « seul l’être est » de Parménide.
En physique, il rend compte des phénomènes par une étude de la causalité,
qui distingue entre quatre causes, cause matérielle, cause motrice, cause
formelle et cause finale. Pour ce qui est de l’âme, il en distingue trois parties,
l’âme végétative, que possèdent aussi les plantes, l’âme sensible, que
possèdent aussi les animaux et l’âme intellective, qui n’appartient qu’à
l’homme.
Éthique et politique
Prolongements
• Dans le Haut Moyen Âge seuls sont connus les écrits logiques
d’Aristote , transmis par l’intermédiaire de Boèce (480-524).
• Dante le nommera « le maître de ceux qui savent ».
• Toute l’œuvre de saint Thomas d’Aquin , au XIIe siècle, consistera à
concilier l’œuvre d’Aristote et les enseignements de l’Écriture.
• Le tableau de Raphaël, L’École d’Athènes, peint Platon et Aristote
discutant, l’un faisant signe vers le ciel, l’autre vers la terre.
Le cynisme
Le scepticisme
Cette école apparaît à la fin du IVe siècle av. J.-C. avec Pyrrhon d’Élis (365-
275), contemporain d’Alexandre et d’Aristote, pour qui le scepticisme est
surtout une attitude de vie. Ne pouvant discerner ce qui est bien et ce qui est
mal, il reste profondément indifférent à tout ce qui l’entoure. Il n’affirme
même pas que la connaissance n’existe pas, car il sait qu’il se contredirait par
cette affirmation même. Cette suspension du jugement (« épochè ») lui permet
d’atteindre la paix, l’aphasie (« l’absence de parole ») puis l’ataraxie («
absence de trouble de l’âme »). Après une longue éclipse, Énésidème renoue
avec l’école pyrrhonienne au Ier siècle av. J.-C. et polémique avec les stoïciens
et les épicuriens.
Avec Arcésilas (316-241) puis Carnéade (215-129) la Nouvelle Académie
emprunte des arguments au scepticisme pour critiquer la philosophie
dogmatique, c’est-à-dire qui prétend atteindre la vérité, des stoïciens et des
épicuriens. Ils lui opposent une doctrine probabiliste.
C’est le médecin Sextus Empiricus (fin IIe – début IIIe siècle) qui va
reprendre l’ensemble des arguments sceptiques dans ses Hypotyposes
pyrrhoniennes. Le qualificatif empiricus montre qu’il faisait partie de l’école
de médecine empirique, qui refusait toute théorie pour s’en tenir aux
observations de cas. L’empirisme avant d’être une doctrine philosophique est
d’abord une doctrine médicale.
Il utilise toute une série de tropes, ou d’arguments, pour prouver que le fond
des choses nous restera toujours caché. Seuls les phénomènes (« ce qui
apparaît ») peuvent être connus. L’argument de la relativité énonce que « tout
est relatif », toute connaissance est relative à un sujet connaissant et à l’objet à
connaître. Le miel peut paraître doux à l’un et amer au malade. Le grain de
sable est dur, le tas de sable est doux. Les illusions d’optique confirment cette
relativité de la connaissance sensible : la tour vue de près est carrée, vue de
loin elle est ronde. L’argument de la contradiction rappelle que sur le même
sujet des opinions contradictoires ont toujours déjà été soutenues. L’argument
de la régression à l’infini montre qu’il est impossible de s’arrêter dans une
démonstration.
Les sensations ne conduisent pas à la connaissance de l’être réel des choses.
Le miel peut nous paraître doux, mais nous ne pouvons pas dire qu’il l’est,
puisqu’il peut paraître amer, par exemple à un malade.
3.5 L’épicurisme
L’atomisme
L’éthique
Citations d’Épicure
« Je recommande l’étude constante de la nature, grâce à laquelle je jouis dans ma vie
d’une sérénité parfaite ».
« Rien ne naît de rien ».
Le quadruple remède : « Dieu n’est pas à craindre, la mort est privée de sensibilité, le bien
est facile à se procurer, la souffrance est facile à supporter. »
« Familiarise-toi à l’idée que la mort n’est rien pour nous, car tout bien et tout mal
résident dans la sensation ; or, la mort est la privation complète de cette dernière »
« Le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse ».
Prolongements
• Plus que par les écrits peu nombreux d’Épicure , sa doctrine nous est
connue par le philosophe latin Lucrèce, auteur du poème De la
nature (50 av. J.-C.).
• Les premiers chrétiens se sont violemment opposés à la pensée
d’Épicure , et à ses successeurs, qualifiés de « pourceaux ».
• Toute la pensée matérialiste depuis lors s’inspire de l’argumentation
épicurienne. C’est par exemple le cas de Gassendi ou Hobbes au
XVIIe siècle, de Diderot ou d’Holbach au siècle des Lumières.
Marx fera sa thèse de doctorat sur la Différence de la philosophie
de la nature de Démocrite et d’Épicure. Il note : « La philosophie
ne se lassera pas de jeter à ses adversaires le cri d’Épicure :
“L’impie n’est pas celui qui méprise les dieux de la foule, mais
celui qui adhère à l’idée que la foule se fait des dieux”. »
• Épicurien a désigné, avec une nuance péjorative, ceux qui ne sont
gouvernés dans leur vie que par la recherche de plaisirs sensuels.
En ce sens, il est à peu près synonyme d’hédoniste.
3.6 Le stoïcisme
TERMINOLOGIE • Ce terme vient du grec stoa (« portique »), sous lequel Zénon donnait
son enseignement à Athènes.
La logique
La physique
La morale
Prolongements
• Dans une première période des Essais, Montaigne semble se référer
surtout aux stoïciens, en particulier à Sénèque et à Plutarque, pour
apprendre à combattre la douleur et la crainte de la mort.
• Marguerite Yourcenar dans ses Mémoires d’Hadrien (1951) décrit la
vie d’un empereur philosophe et proche du stoïcisme.
• Dans la langue actuelle « stoïcien » est employé pour désigner
l’individu qui subit sans se plaindre les événements. Cela manifeste
bien l’importance historique de cette philosophie qui encourageait
l’homme à la sagesse, en se libérant des passions et en consentant à
la nécessité rationnelle de tous les événements du destin.
4. Littérature
Homère, dont l’existence est discutée, aurait vécu vers le milieu du IXe
siècle av. J.-C. Il est l’auteur de deux longs poèmes épiques, divisés en 24
chants, l’Iliade et l’Odyssée. Ces deux œuvres, souvent récitées, jouaient un
rôle essentiel dans la formation des jeunes gens et dans la culture grecque en
général. L’œuvre d’Homère est la première œuvre littéraire de l’Occident.
L’Iliade est le récit de la guerre des Grecs contre la ville asiatique de Troie,
l’Odyssée celui du long et difficile retour vers sa patrie d’un des héros grecs
de cette guerre, Ulysse.
L’Iliade
Ilion est le nom grec de la ville de Troie. Le sujet du livre est la guerre des
Achéens, les Grecs, contre la ville de Troie en Asie Mineure. La cause de la
guerre est que Pâris, roi de Troie, refuse, malgré les ambassades qui lui ont été
envoyées, de laisser partir la trop belle Hélène qu’il a enlevée à Ménélas, roi
de Sparte. Celle-ci semble d’ailleurs rester de son plein gré à Troie, où elle a
fort bien été accueillie par le vieux roi Priam, père de Pâris. Ménélas fait alors
appel aux anciens prétendants d’Hélène, qui avaient prêté le serment de venir
au secours de celui qu’Hélène prendrait pour époux.
Une armée grecque dirigée par le « roi des rois », Agamemnon, frère aîné
de Ménélas, roi d’Argos et de Mycènes, part pour Troie. Bloquée dans la rade
d’Aulis par la déesse Artémis, la flotte grecque ne peut partir qu’à condition
qu’Agamemnon sacrifie sa fille Iphigénie. Au bout de dix ans de guerre,
Agamemnon et Achille, puissant guerrier grec, se disputent à propos d’une
jeune captive, Briséis, fille d’un prêtre d’Apollon, qu’Achille refuse de rendre,
alors qu’il s’agit de la condition nécessaire pour que cesse la peste envoyée
sur l’armée grecque par Apollon. Furieux, Achille refuse de continuer à
combattre et se retire sous sa tente.
C’est la mort de son compagnon Patrocle, tué par Hector, fils de Priam, qui
va lui faire reprendre le combat. Armé par Héphaïstos, le rapide Achille « aux
pieds légers » poursuit Hector autour des murailles de la ville et le tue. Après
avoir profané sa dépouille, il accepte, contre rançon, de la rendre à son père,
Priam. Sa veuve, Andromaque, le pleure comme elle a pleuré son père et ses
sept frères massacrés auparavant par Achille. Achille sera lui-même tué par
Pâris, qui, guidé par Apollon, le vise au talon. Agamemnon, blessé, devra se
réconcilier avec Achille. Les Grecs déposeront devant la ville un cheval,
imaginé par Ulysse, dans lequel des guerriers sont cachés, et font semblant de
lever le siège. Les Troyens commettront l’erreur de le récupérer. Après la prise
de la ville, les Troyennes, dont Andromaque, sont réduites en esclavage.
Hélène est ramenée en Grèce par Ménélas.
L’Odyssée
Le voyage d’Ulysse
Des années après la guerre de Troie, Ulysse, retenu par la nymphe Calypso,
souhaite rentrer dans son île d’Ithaque où l’attend sa femme Pénélope, qui,
pour résister aux avances des prétendants, leur dit de patienter jusqu’à ce
qu’elle ait fini de tisser un linceul, qu’elle défait chaque nuit. Son fils,
Télémaque, part tenter de retrouver les traces de son père auprès de Ménélas
et de Nestor, anciens de la guerre de Troie. Les dieux prenant le parti d’Ulysse
obligent Calypso à le laisser partir sur un radeau qu’il a construit. Poursuivi
par la colère de Poséidon, il est jeté sur le rivage de l’île des Phéaciens, où il
est découvert par la jeune et belle Nausicaa, fille du roi Alcinoos. Admis à la
cour, Ulysse dévoile son identité et fait le récit de ses aventures. Il fut au pays
des Lotophages (« mangeurs de lotus »), puis chez les cyclopes : il leur
échappe en disant s’appeler Personne au cyclope Polyphème. Lorsque celui-ci
appellera à l’aide en disant avoir été aveuglé par Personne, on ne vint pas à
son secours. Il échappe ensuite aux anthropophages Lestrygons, il séjourne
chez la sensuelle magicienne Circé, qui avait changé ses marins en animaux,
mais qui lui donne un fils. Il va au bord des Enfers consulter le devin Tirésias
pour savoir comment rentrer chez lui. Il évite les rochers de Charybde et
Scylla, se bouche les oreilles aux appels des sirènes, évite les imprudences de
ses marins qui tuent les bœufs du soleil. De retour à Ithaque après vingt ans,
personne ne le reconnaît sauf son vieux chien Argos, qui meurt de joie en le
voyant, et sa nourrice Euryclée. Il se fait connaître du chef de ses porchers
Eumée et de son fils Télémaque et pénètre au palais déguisé en mendiant.
Pénélope ayant décidé d’accorder sa main à celui qui arriverait à bander l’arc
d’Ulysse, il est seul à y parvenir et massacre les prétendants et les servantes
complaisantes. Il se fait définitivement reconnaître de Pénélope en lui
décrivant leur chambre nuptiale.
4.2 La tragédie
La tragédie et le destin
Structure de la tragédie
Aux origines de la tragédie, il n’y a qu’un chœur qui chante des hymnes au
dieu. Puis l’importance du chef du chœur (choryphée) sera accrue et il
commence à dialoguer avec le chœur ; cette innovation est attribuée au
tragique Thespis vers 535. Eschyle portera le nombre des personnages à deux,
Sophocle à trois. Les rôles de femmes sont tenus par des hommes.
Les chœurs jouent un rôle très important et alternent avec le texte qui est lui
aussi en vers. Ils commentent les actions des personnages et tendent à en tirer
la morale. La pièce commence par un prologue, puis le chœur entre en scène
(parodos), ensuite il y a un certain nombre d’épisodes, de deux à cinq, coupés
par des chants du chœur, enfin l’exodos est la sortie du chœur. L’évolution de
la tragédie se caractérisera par l’importance déclinante du chœur et la place
croissante occupée par les acteurs.
Les termes servant à désigner les acteurs auront une large postérité hors du
théâtre. Ainsi l’acteur principal se nomme le « protagoniste ». Acteur en
général se dit hypocritès, celui qui répond. Les acteurs portent des masques,
que l’on appellera en latin persona.
Eschyle (525-456)
Sophocle (496-406)
Euripide (480-406)
La naissance de l’histoire
Prolongements
• Corneille et Racine prennent leurs sujets dans l’Antiquité, mais plus
à Sénèque qu’aux Grecs. Ils ne se réfèrent aux tragiques grecs que
réinterprétés par Aristote et Boileau et mettent davantage l’accent
sur l’étude des caractères que sur les situations dramatiques. Selon
La Bruyère, Corneille imite Sophocle mais Racine « doit plus à
Euripide ». Ainsi Racine reprend dans Phèdre l’Hippolyte
d’Euripide, mais en le modifiant.
• Voltaire reproche aux sujets antiques d’être « les plus ingrats et les
plus impraticables ; ce sont les sujets d’une ou deux scènes, tout au
plus, et non pas d’une tragédie ». Selon lui, « il faut joindre à ces
événements des passions qui les préparent ».
• Selon Hegel, le propre des héros tragiques, c’est d’être « tout à la
fois innocents et coupables ».
• Selon Nietzsche, dans la Naissance de la tragédie (1872) l’élément
dionysiaque, surhumain, demeure essentiel jusqu’à Euripide qui,
sous l’influence de Socrate, humanise la tragédie et la tue.
• Depuis le drame romantique au début du XIXe siècle, la tragédie est
un genre qui n'existe plus guère, malgré les tentatives de Giraudoux
, Montherlant, Sartre ou Camus, et qui est considéré comme étant
remplacé par le roman.
5. Arts
La sculpture et l’homme
La représentation du corps humain est alors considérée comme le modèle
de toute beauté possible. L’art grec ne manifeste en revanche que peu de
curiosité pour la représentation de la nature ou des animaux. L'homme en est
vraiment le centre. Il s’agit d’une beauté idéale, qui vise à atteindre l’universel
et l’intemporel. La Grèce est bien en ce sens un modèle d’humanisme, auquel
la civilisation occidentale ne cesse de revenir.
La représentation de l’homme étant rapidement devenue le sujet principal
de la sculpture, la progression de celle-ci peut se comprendre comme une
évolution vers une représentation plus fidèle et plus animée de la forme
humaine. Le modèle d’un corps humain idéal sera fixé par les sculpteurs, qui
proposent un canon, c’est-à-dire un modèle géométrique, des proportions à
respecter dans la représentation de l’homme.
L'architecture et le temple
5.2 La sculpture
Il convient tout d'abord de noter qu’il ne reste que peu d’originaux des
statues grecques, pas un seul de Phidias. La plupart de ces statues nous sont
connues par des copies romaines en marbre, alors que les originaux étaient
surtout en bronze.
Kouros et korè
Ce n’est que vers 700 av. J.-C. qu’apparaissent le kouros et la korè, la statue
du jeune homme et celle de la jeune fille. Ce sont les premières statues
vraiment humaines, car les anciennes statues représentant des hommes étaient
totalement figées, ressemblant à des colonnes. C’était, semble-t-il, le cas des
anciennes statues en bois (xoana).
Le kouros sera l’occasion d’une représentation de plus en plus exacte du
corps humain, même s’il reste figé et représenté d’une manière frontale. Le
kouros se libérera de cette frontalité d’abord par l’avancement de la jambe
gauche, puis par le déhanchement et le mouvement imprimés à la statue qui ne
surviendront qu’à l’âge classique.
La korè permettra un travail sur le plissé et le drapé des vêtements.
Kouros et korè de cette période sont également caractérisés par leur sourire,
qui apparaît pour la première fois dans la statuaire grecque. Sourire
mystérieux, qui sera à l’origine de bien des interprétations, mais qui marque
en tout cas l’humanité : comme le notera Aristote, ni les animaux ni les dieux
ne sourient.
La sculpture hellénistique
5.3 L’architecture
Phidias et le Parthénon L'ancienne Acropole (« ville haute ») fut détruite lors des guerres
médiques en – 480. Périclès décida de la reconstruire à partir de – 447 et fit appel pour cela à
son ami Phidias. Les travaux furent continués après la mort de Périclès et le début du déclin
d’Athènes. En quarante ans furent construits le Parthénon, les Propylées, l’Érechtéion et le
temple d’Athéna Nikè.
Phidias éleva d’abord sa statue d’Athéna promachos, pour commémorer la victoire sur les
Perses, qui se voyait de fort loin.
Puis, il fit construire par l’architecte Ictinos, le Parthénon, temple d’Athéna Parthénos («
vierge »), protectrice de la ville. Ce temple de très grandes dimensions était destiné à
recevoir la monumentale statue chryséléphantine d’Athéna. Le Parthénon est de style
dorique. Le fronton représente la naissance d’Athéna et le combat entre Athéna et Poséidon
pour la suprématie sur l’Attique. Les métopes représentaient les combats des Centaures et
des Lapithes. Une longue frise fait tout le tour du monument : elle représente les
Panathénées, où les jeunes filles de la cité entourées d’un important cortège, viennent offrir
des présents à Athéna. Cette frise gigantesque comporte de très nombreux personnages et
animaux : première représentation d’un élément historique et non mythique, elle rapproche
les dieux et les hommes.
Ensuite fut construit, à l’entrée de l’Acropole, le portique des Propylées, sur lesquelles
auraient figuré des œuvres de Socrate, qui fut d’abord sculpteur.
Après la mort de Périclès et le début du déclin d’Athènes, les travaux continueront avec le
temple d’Athéna Nikè et l’Érechtéion.
Le charmant petit temple d’Athéna Nikè (« victorieuse »), d’ordre ionique, est surtout
destiné à abriter une statue d’Athéna.
L’Érechtéion, d’ordre ionique, est le temple de Poséidon Érechtée (« qui ouvre la terre »)
et d’Athéna Polias (« qui protège la ville »). Le temple est édifié sur le lieu même de la
source salée que Poséidon aurait fait jaillir de son trident lors de sa dispute avec Athéna pour
la possession d’Athènes. Il abritait également une statue en bois d’Athéna datant de la guerre
de Troie. Dans ce temple se rendent de nombreux cultes, à la différence des anciens temples
doriques qui ne faisaient qu’abriter les dieux. Il est supporté par des jeunes filles qui font
office de colonnes, les caryatides.
Peinture et céramique Le seul témoignage indirect qu’il nous reste de la peinture
grecque nous est donné par les motifs décoratifs peints sur les vases. La peinture fut produite
en très grande quantité et servait pour la plupart des objets de la vie courante. Après des
vases de style géométrique vont apparaître vers le VIe siècle av. J.-C., des vases à figures
noires, sur fond blanc, surtout à Corinthe, et sur fond rouge, surtout à Athènes. Le style
athénien va l’emporter au point de faire totalement disparaître l’autre technique. Vers – 525
va apparaître à Athènes une nouvelle technique révolutionnaire, celle des vases à figures
rouges sur fond noir. C’est alors le vernis noir qui sert de fond : cela permettra de décorer le
vase avec plus de précision, en dessinant les figures au pinceau, alors qu’il fallait auparavant
les graver à la pointe.
La céramique représente des scènes de la vie familière, des dieux proches, et connaît, sans
doute sous l’influence de la peinture, une évolution progressive vers une représentation plus
fidèle avec l’introduction d’une certaine perspective et de dégradés de couleurs.
La peinture grecque ne nous est sinon connue que par les récits qui nous en sont faits. Le
plus grand peintre grec serait Apelle, peintre à la cour d’Alexandre le Grand. Il semble que
la virtuosité des trompe-l’œil ait été particulièrement appréciée : ainsi de l’anecdote fameuse
selon laquelle, lors d’un concours, Zeuxis aurait peint des raisins si ressemblants que les
oiseaux venaient les picorer, et qui aurait demandé qu’on écarte les rideaux recouvrant
l’œuvre de Parrhasios. Ces rideaux étaient en fait peints et Zeuxis aurait reconnu la
supériorité de Parrhasios, qui avait réussi à tromper un artiste, alors que lui n’avait trompé
que des animaux.
Prolongements
• Platon s’oppose à la révolution dont il est contemporain, qui libère
l’homme et le met en mouvement. Il se déclare en faveur du style
archaïque, voire égyptien, qui recherche l’uniformité et le respect
de la tradition.
• Tout l’art romain ne peut se comprendre qu’en rapport avec l’art
grec, qu’il l’imite ou qu’il le critique. Mais il convient de ne pas
oublier que cet héritage grec a déjà été transformé par les empires
hellénistiques.
• L’art grec a été assez largement oublié au Moyen Âge, et il ne sera à
nouveau apprécié en Occident qu’à la Renaissance, notamment lors
de la redécouverte du Laocoon dans les ruines de l’Esquilin en
1506.
• J.-J. Winckelmann, dans son Histoire de l’art chez les Anciens
(1766) voit dans l’art grec le modèle parfait d’un art équilibré et
d’un homme qui surmonte ses passions. Il insiste sur le lien entre
l’art et la liberté politique : « C’était la liberté qui avait fait fleurir
les arts. » Goethe fut largement influencé par Winckelmann.
• Un des principaux moments de retour au classicisme a été le néo-
classicisme de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle avec, en
architecture, Germain Soufflot qui construit l’église Sainte-
Geneviève, qui deviendra le Panthéon, et, en peinture, David, avec
son Serment des Horaces de 1784, puis ses tableaux
révolutionnaires.
• Une bonne partie des sculptures du Parthénon a été emportée par
lord Elgin en 1803 et est aujourd’hui au British Museum. La Grèce
en réclame régulièrement le retour.
• Ernest Renan a été un des premiers, dans sa Prière sur l’Acropole
(1883) à parler d’un « miracle grec », pour marquer le caractère
prodigieux et brutal de l’émergence de l’art grec classique. Il
adresse sa prière à Athéna : « Ô noblesse ! Ô beauté simple et
vraie ! Déesse dont le culte signifie raison et sagesse… le monde ne
sera sauvé qu’en revenant à toi. »
6. Sciences
Hippocrate, issu d’une famille de médecins, aurait vécu dans l’île de Cos en
Asie Mineure, au Ve siècle av. J.-C. Sous son nom nous est parvenu un
important ensemble d’écrits, la collection hippocratique. L’œuvre
d’Hippocrate constitue le premier exemple d’envergure d’une tentative de
pensée rationnelle et scientifique. Elle est, par ailleurs, restée le fondement de
toute la pensée médicale traditionnelle. On distingue dans les traités
hippocratiques ceux qui seraient l’œuvre d’auteurs de l’École de Cnide, plus
empiriques, et ceux de l’École de Cos, plus rationnels.
Le serment d’Hippocrate « Je jure par Apollon médecin, par Esculape, par Hygie et
Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin, que je remplirai,
suivant mes forces et ma capacité, le serment et l’engagement suivants : je mettrai mon
maître de médecine au même rang que les auteurs de mes jours, je partagerai avec lui mon
savoir, et, le cas échéant, je pourvoirai à ses besoins ; je tiendrai ses enfants pour des frères,
et, s’ils désirent apprendre la médecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement. Je
ferai part des préceptes, des leçons orales et du reste de l’enseignement à mes fils, à ceux de
mon maître, et aux disciples liés par un engagement et un serment suivant la loi médicale,
mais à nul autre. Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et
mon jugement, et je m’abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à
personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille
suggestion ; semblablement, je ne remettrai à aucune femme un pessaire abortif. Je passerai
ma vie et j’exercerai mon art dans l’innocence et la pureté. Je ne pratiquerai pas l’opération
de la taille, je la laisserai aux gens qui s’en occupent. Dans quelque maison que j’entre, j’y
entrerai pour l’utilité des malades, me préservant de tout méfait volontaire et corrupteur, et
surtout de la séduction des femmes et des garçons, libres ou esclaves. Quoi que je voie ou
entende dans la société pendant l’exercice de ma profession, je tairai ce qui n’a jamais
besoin d’être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas. Si je remplis
ce serment sans l’enfreindre, qu’il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma
profession, honoré à jamais parmi les hommes ; si je le viole et que je me parjure, puissé-je
avoir un sort contraire. »
Prolongements
• Dans les périodes de crise de la médecine, par exemple en France
autour de 1800, le « retour à Hippocrate » se présente comme un
retour à une médecine clinique (« au lit du malade »), attentive au
malade, et hostile à tout système médical.
• Pour Littré au XIXe siècle, l’édition d’Hippocrate sera un moyen de
donner un exemple d’une approche rationnelle et scientifique de
l’homme, telle que la proposait le positivisme triomphant.
• De la théorie des humeurs ont subsisté dans le langage courant les
expressions, être de bonne ou mauvaise humeur, la notion de
tempéraments (mélancolique, sombre : bile noire, ou flegmatique,
de sang froid : flegme), voire de rhume (écoulement, dans certains
cas à partir du cerveau) ou de « flemme » (phlegma, tempérament
froid et lent).
TERMINOLOGIE • Le mot grec mathèmata, désigne tout « ce qui peut être enseigné » et
pas seulement les mathématiques au sens moderne du terme. De même le terme physis
désigne toute étude sur la nature en général.
Le plus grand mathématicien grec est Euclide (330-270 av. J.-C.), qui est un
pur mathématicien. Il enseignait vers 300 av. J.-C. au Musée d’Alexandrie.
C’est dans cette ville récemment créée par Alexandre le Grand que se
déplacera le centre de la vie intellectuelle durant les trois derniers siècles av.
J.-C. Outre les mathématiques, l’astronomie y sera particulièrement
développée, avec Ptolémée, de même que la médecine avec les premières
dissections humaines, pratiquées par Hérophile et Érasistrate.
Les Éléments d’Euclide datent de 300 environ. Ils sont surtout célèbres pour
la manière déductive d’exposer des résultats à partir d’un petit nombre de
principes de départ, définitions, axiomes et postulats. Chaque théorème doit
être démontré à partir de ces éléments de départ, la démonstration ne pouvant
être poursuivie à l’infini. Les uns, les axiomes, sont des évidences premières,
du type : le tout est plus grand que la partie, les autres sont des postulats,
moins évidents, et que l’on demande (postule) d’admettre. Ainsi du cinquième
postulat d’Euclide, qui affirme l’existence d’une seule parallèle à une droite.
Ptolémée et l’astronomie
Prolongements
• La difficulté que soulève le cinquième postulat d’Euclide sera à
l’origine du développement au XIXe siècle des géométries non-
euclidiennes par Lobatchevsky et Riemann.
• Ptolémée serait également l’auteur d’un Traité de géographie qui
fait le point des connaissances géographiques des Anciens et
améliore grandement la cartographie.
• La remise en cause du système de Ptolémée est à l’origine de ce qui
sera qualifié de révolution copernicienne. Copernic redécouvrira
alors l’hypothèse héliocentrique d’Aristarque de Samos pour s’en
prévaloir.
Partie 2
1. Histoire
1.1 Repères
Les origines
Après le milieu du IIIe siècle apr. J.-C., l’empire romain fut réduit à la
défensive. Malgré l’organisation du « limes », c’est-à-dire du système de
défense des frontières, celles-ci étaient sous la pression constante des peuples
limitrophes. Rome associa ces peuples à son existence et trouva en eux un
moyen de compenser ses propres faiblesses, du moins pour un temps. La plus
grave était financière. Elle fit glisser la société romaine vers des structures
sociales très rigides, où chaque génération devait assumer des obligations au
moins aussi contraignantes que la précédente. À la fin du IVe siècle, sous
l’effet des migrations dans l’Est de l’Europe, les frontières furent incapables
de contenir la poussée et l’empire romain, en Occident, céda la place à ce qu’il
est convenu d’appeler les « royaumes barbares ».
Origines et organisation
Le Sénat Conseil des magistrats curules sortis de charge, dont la liste, l’album, était
établie par les censeurs. On siégeait au Sénat à vie. Le Sénat n’avait pas le pouvoir de
désigner les magistrats, mais leur attribuait les commandements et prorogeait les
magistratures. Il préparait les lois, conduisait la politique extérieure et en particulier
autorisait la levée des troupes. Instance la plus importante sur le plan religieux il décidait des
fêtes, autorisait les cultes nouveaux et, si la République n’avait pas de magistrats curules,
c’est lui qui prenait les auspices.
Les Gracques Les deux frères Tiberius et Caius, issus d’une grande famille, la gens
Sempronia, et apparentés à celle des Scipions, tentèrent dans le dernier tiers du IIe siècle av.
J.-C. de réaliser une réforme agraire. Pour les uns, ils tentèrent par là de redonner à Rome la
base sociale de ses institutions républicaines. Pour d’autres, ils étaient des démagogues
essayant de se constituer une large clientèle pour assurer leur pouvoir. Tous deux tentèrent de
conduire leur politique en utilisant le Tribunat de la plèbe. Tous deux échouèrent et payèrent
ce choix de leur vie.
Le Rubicon Fleuve qui marquait la frontière septentrionale de l’Italie républicaine. Un
promagistrat ne pouvait pas la franchir avec l’armée que lui avait confiée le Sénat. César
viola cet interdit lorsqu’il engagea les hostilités contre ses concurrents. Depuis lors
l’expression désigne la mise en œuvre d’un choix important de manière irréversible.
Prolongements
• La conception de la vie civique en France, après 1789, et
particulièrement sous la IIIe République, est fortement influencée
par la vision romaine du citoyen, qui fait vivre la République par
son droit de suffrage et la défend en portant les armes. Il en est de
même de sa conception ouverte de la citoyenneté qui, à l’inverse
d'Athènes, ne reposait pas sur le droit du sang mais au contraire
pouvait accueillir des étrangers , si Rome les considérait dignes
d’entrer dans le Peuple romain.
• La vie politique contemporaine a repris des noms romains pour
désigner certaines fonctions : dans les assemblées parlementaires,
les questeurs ont la charge des affaires financières.
• La culture classique dispensée par les lycées fut à l’origine de la
rhétorique parlementaire de la IIIe République, dont un des modèles
était Cicéron.
Le système politique tire son nom du sens large d’« imperium », c’est-à-dire
du pouvoir imposé par Rome aux terres qu’elle avait réussi à faire passer et à
maintenir sous son autorité.
L’Empire en crise
Au IIIe siècle l’Empire fut secoué par une grave crise. Non seulement les
frontières furent menacées, à l’Ouest par la poussée germanique et à l’Est par
l’empire sassanide, mais de profonds troubles intérieurs se produisirent,
accompagnés de règnes courts. De surcroît, des épidémies ravagèrent une
partie de l’empire et l’économie et les finances s’en trouvèrent fort dégradées.
Devant la gravité de ces périls l’armée prit une importance croissante et le
pouvoir dut trouver l’argent nécessaire pour financer les efforts militaires.
L’important accroissement des troupes fut accompagné de réformes, dont un
nouveau découpage des circonscriptions administratives, de façon à mieux
contrôler l’espace impérial. Sur les populations mieux encadrées, dont les
richesses furent minutieusement inventoriées, un impôt nouveau fut prélevé,
la capitation, et les autres furent majorés. Pour renforcer la cohésion morale,
les chrétiens furent persécutés. Constantin continua cette politique, sauf les
persécutions, après sa conversion au christianisme.
Colonie Il s’agit d’un fragment de Rome implanté dans une région soumise à l’autorité de
Rome. Le plus souvent Rome donnait des terres à des vétérans romains au terme de leur
service. Cela permettait de surveiller un territoire. Un certain nombre de colonies pouvait
finir par quadriller toute une zone. C’était aussi un moyen de romanisation par le
rayonnement des citoyens installés. Lorsque des éléments des populations indigènes étaient
suffisamment imprégnés de romanité, ils pouvaient recevoir la citoyenneté romaine.
Imperium Il reposait sur le droit d’auspices, le droit de consulter les dieux. De ce fait, il
donnait à qui le détenait efficacité et pouvoir. Sous la République, il s’ajouta à cette idée de
communication directe entre les magistrats et les dieux, la notion de domination de Rome sur
le monde. Dans un sens plus restreint l’imperium désigne le commandement militaire.
Le culte impérial Depuis Sylla s’était implantée l’idée que les succès, surtout militaires,
étaient dus à des interventions divines. Auguste bénéficia en outre de l’héritage de César,
qu’il sut exploiter : du vivant de César, le Sénat avait décidé l’érection de sa statue dans le
Capitole auprès des anciens rois de Rome et des prières publiques chaque année pour sa
personne. Fils adoptif et héritier de César, Octave se fit appeler « fils du divin ». Dans la
guerre civile, qu’il gagna, il concentra sur lui la théologie de la Victoire : Victoria Augusti
devint sa déesse personnelle. Mais, au moins au début, l’Empereur n’était dieu qu’après sa
mort et par l’apothéose ; de son vivant, il ne recevait que des hommages de piété. Dans les
provinces, surtout orientales, il fut plus vite divinisé mais son culte fut toujours associé à
celui de Rome.
Prolongements
• Un certain nombre d’empereurs ont fini par devenir des symboles :
ainsi être qualifié de Néron n’a rien de bien flatteur. L’Église, dans
ses nombreuses compromissions avec le pouvoir politique a
souvent abusé du qualificatif flagorneur de « Nouveau Constantin
», dont les deux Bonaparte furent gratifiés.
• Certains termes du vocabulaire politique ont une origine romaine. «
Garde prétorienne » a gardé une dimension péjorative. Le terme de
« proconsul » désignait dans l’empire colonial français un
fonctionnaire de rang élevé et disposant de larges pouvoirs, comme
à Rome le consul sorti de charge recevait le gouvernement d’une
province, avec des pouvoirs également très larges.
• L’usage, très courant sous la IIIe République, d’ériger en hommage à
un homme politique une statue représentant une vertu ou une
qualité morale reprend la tradition des Romains qui élevaient leurs
statues sur le forum.
2. Religions
Par la suite, les dieux grecs et romains vont être rapprochés, les Romains
reprenant les mythes, généalogies et histoires de dieux, que ne partageaient
pas leurs divinités, plus abstraites. Comme les Grecs, ils distinguent douze
dieux principaux. Certains de ces dieux sont empruntés à d’autres traditions
(Minerve), certains dieux grecs n’ont pas leur équivalent chez les Romains
(Apollon).
Ils accueillent également dès le IVe ou le IIIe siècle av. J.-C. des cultes
orientaux, dont celui de Cybèle, la « Grande Mère », divinité de la nature,
venue d’Asie Mineure, ou celui d’Isis et d’Osiris, venu d’Égypte,
particulièrement populaire chez les femmes et les esclaves. Vers la fin de
l’empire et en réaction à la montée du christianisme, le culte de Mithra,
ramené de Perse par les armées d’Orient, dieu du soleil, dieu de la lumière,
connaîtra un particulièrement grand succès à la fin de l’Empire. Ces cultes
orientaux sont des religions qui proposent une participation plus personnelle
au culte et promettent un salut individuel et une vie future. La plus importante
de ces religions orientales est, bien sûr, le christianisme.
Les dernières résistances au christianisme seront le fait des paysans,
attachés aux cultes agraires ancestraux (pagani : paysans), d’où le nom de «
païen » donné par les chrétiens à leurs adversaires.
Lucrèce contre la religion Disciple fidèle d’Épicure, Lucrèce (-98 -55), dans son poème
De la nature, entend démontrer que la religion est à l’origine de bon nombre des maux de
l’humanité. La crainte des dieux conduit les hommes à vivre dans l’angoisse, et à des
pratiques superstitieuses pour éloigner ces dangers imaginaires. En fait l’homme n’a rien à
craindre, en particulier pas la mort, puisque tout bien et tout mal résident dans la sensation.
Or, quand nous sommes vivants la mort n’est pas là, et quand la mort est là nous ne sommes
plus présents. Citations de Lucrèce :
– tantum potuit religio suadere malorum : la religion est responsable de tant de maux.
– suave mari magno turbantibus aequora ventis e terra magnum alterius spectare
laborem : Il est doux, quand, sur la haute mer, les vents soulèvent les flots, de regarder, de la
terre ferme, les terribles périls d’autrui.
En revanche, pour l’historien grec Polybe (fin du IIe siècle av. J.-C.), Rome est grande car
elle a réussi à inculquer à son peuple les deux erreurs combattues par l’épicurisme, la peur
des dieux et la croyance à la vie d’outre-tombe.
Prolongement
Les dieux romains, en particulier la première triade capitoline, illustrent bien la thèse de
Georges Dumézil, selon laquelle trois fonctions principales sont honorées dans l’Antiquité,
la première étant la souveraineté, la deuxième la guerre, la troisième la production. Ces trois
fonctions seraient d’origine indo-européenne.
2.2 Le judaïsme
Histoire
La doctrine
Une Alliance est conclue entre Dieu et le peuple juif, peuple élu. D’un côté
le Dieu unique, transcendant et tout puissant et de l’autre, le peuple élu, qu’il
soumet à sa loi. Dieu révèle son nom à Moïse : « Je suis celui qui suis. » Ce
nom est le tétragramme imprononçable, les quatre lettres hébraïques, YHWH,
déformé par la suite en Yahvé, puis en Jéhovah. Par la suite, après l’exil, le
peuple juif n’ose même plus le prononcer et le désigne par diverses
périphrases, dont Adonaï (« seigneur ») ou Ha-shem (« le nom »). Il n’est plus
prononcé qu’une fois par an, par le grand prêtre, le jour du Grand pardon. La
volonté divine se manifeste dans la Loi, éternelle, que Dieu révèle lui-même à
Moïse, dont les Dix commandements sont l’essentiel.
Ce Dieu est un Dieu créateur, qui fait exister toutes choses à partir de rien,
idée profondément originale, qui n’existe en particulier pas dans la pensée
grecque, où le cosmos a toujours existé et se contente de changer de forme.
De l’autre côté, le peuple juif, dont l’élection fait un peuple séparé, ce que
marquent les traditions vestimentaires ou alimentaires (repas kasher : pur) et
le repos du sabbat. La circoncision est le premier signe de cette alliance.
Les prophètes (« nabis »), dont Abraham est le premier, et Moïse le plus
important, celui à qui Dieu a parlé « de bouche en bouche », sont des
interprètes de la volonté de Dieu. Ils s’adressent au peuple juif et à ses chefs
pour qu’ils n’oublient pas la parole de Dieu, et sont prêts à souffrir pour faire
entendre leur message. Il y a cinquante-huit prophètes depuis Abraham
jusqu’à Malachie.
Après la destruction du temple, ce ne sont plus les prêtres, mais des
docteurs de la loi, les rabbins (« maîtres »), qui étudient la Loi et la tradition
orale et président aux cérémonies religieuses, qui ont lieu dans la synagogue
(« assemblée »).
Torah et Talmud. La Torah, la Bible juive, appelée par les chrétiens
Ancien Testament, comprend vingt-quatre livres répartis entre trois séries de
textes, écrits soit en hébreu, soit en araméen :
1 La Loi, la Torah au sens strict (« instruction ») (le Pentateuque des
chrétiens = livre en cinq rouleaux) qui contient : la Genèse,
l’Exode, qui fait le récit de la fuite des Juifs hors d’Égypte, le
Lévitique (du nom de Lévi, fils de Jacob, suite de préceptes moraux
et cultuels), les Nombres (récit du séjour des Juifs dans le désert), le
Deutéronome (la seconde loi, où Moïse avant sa mort répète la Loi
qui lui a été enseignée).
2 Les livres historiques des Prophètes, où sont distingués les premiers
prophètes (Josué, les Juges, Samuel I et II, les Rois) et les derniers
prophètes (Isaïe, Jérémie, Ézéchiel) ainsi que les douze petits
prophètes (Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahoum,
Habaquq, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie).
3 Les Hagiographes ou Écrits, composés de trois ensembles :
- les Psaumes (poèmes chantés), Job (sur le sens de la
souffrance), les Proverbes (recueil de préceptes
destinés aux jeunes gens et attribué au roi Salomon).
- « les cinq rouleaux » : le Cantique des Cantiques
(superbe poème d’amour), Ruth, les Lamentations
(où Jérémie déplore le destin de son peuple),
l’Ecclésiaste (« celui qui enseigne », recueil de
réflexions sur la vanité du pouvoir et des richesses),
Esther ;
- Daniel, Esdras, Néhémie, Chroniques I et II.
Mais, aussi importante que la Torah, quelquefois plus, est la tradition orale,
le Talmud (« enseignement »), qui sera transcrit, avec les commentaires du
texte sacré par les rabbins, dans les derniers siècles avant notre ère et jusqu’au
Ve siècle de l’ère chrétienne. Le Talmud donne des règles juridiques pour la
vie pratique (la halakha) et des récits et commentaires symboliques,
historiques et moraux (la haggadah). Il existe deux versions du Talmud, l’une
de Jérusalem, l’autre, plus importante, de Babylone.
Prolongement
Moïse est le personnage le plus important de l’histoire juive, son père, à la fois libérateur
et législateur. On conçoit qu’en tentant de le démystifier dans Moïse et le Monothéïsme,
Freud avait conscience de commettre un parricide.
Moïse est souvent représenté avec des cornes, du fait d’une erreur du texte latin ayant
traduit cornatus (cornu) au lieu de coronatus (couronné).
Cabale et mystique
Prolongements
• Le judaïsme, première religion monothéiste, est une des sources de
la civilisation occidentale. Selon le christianisme et l’islam,
l’enseignement du judaïsme ne serait véritablement accompli que
par la venue du Christ ou du Prophète, ce qui sera l’origine de longs
et persistants malentendus, et de haines, entre ces trois religions.
Les Juifs ont été, jusqu’à une date récente, accusés par les chrétiens
d’être un « peuple déicide ».
• La naissance du sionisme et la création de l’État d’Israël en 1948,
sur le modèle des nationalismes européens du XIXe siècle, verra
son importance accrue du fait de l’holocauste, mais ne solutionnera
pas, contrairement aux espoirs de Theodor Herzl , le problème de
l’antisémitisme qui se mêlera désormais à l’antisionisme.
• Toute une pensée juive sécularisée, mais attachée à ses sources, se
développera avec des auteurs comme Spinoza au XVIIe siècle,
Mendelssohn dans l’Allemagne des Lumières ou Martin Buber et
Emmanuel Lévinas au XXe siècle.
• L'art juif se consacrera essentiellement aux objets du culte, en partie
du fait des continuelles expulsions qui donnent un caractère
précaire aux établissements juifs en Europe. Un peintre comme
Chagall donne une interprétation onirique de cette mémoire juive.
Histoire
Les débuts du christianisme
La diffusion du christianisme
La doctrine
« Heureux les pauvres en esprit ; car le royaume des cieux est à eux.
Heureux ceux qui pleurent ; car ils seront consolés.
Heureux ceux qui ont faim et soif de justice ; car ils seront rassasiés.
Heureux ceux qui ont le cœur pur : car ils verront Dieu.
Heureux les pacifiques ; car ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice ; car le Royaume des cieux est à eux. »
La Bible des chrétiens C'est au IIe siècle av. J.-C., à Alexandrie, que pour la première
fois l’ensemble des écrits juifs est appelé biblos, le livre en grec.
La traduction de l’hébreu au grec de ces écrits s’appelle la Septante, car elle aurait été
réalisée par soixante-douze traducteurs de la communauté juive d’Alexandrie au IIIe siècle
av. J.-C. Au IIIe siècle apr. J.-C., une nouvelle version de la Bible traduite par saint Jérôme
en latin (347-420) sera dénommée la Vulgate, et déclarée seule authentique par le concile de
Trente (1546) qui interdit de mettre en doute l’inspiration divine de la Bible.
La Bible des chrétiens est composée de l’Ancien testament, reprenant pour l’essentiel les
textes sacrés juifs, et du Nouveau testament, propre au christianisme.
Les livres canoniques (« conformes à la règle ») du christianisme sont les suivants :
1 L'Ancien Testament (terme employé pour rendre le terme «
alliance »). Il reprend les textes juifs : le Pentateuque (ce que
les Juifs appellent la Loi) : Genèse, Exode, Lévitique,
Nombres, Deutéronome ; les Lois ; les Prophètes. Les Livres
Deutérocanoniques (Tobit et Judith, femme juive qui séduit et
décapite le général ennemi Holopherne, Sagesse, Siracide ou
Ecclésiastique, Baruch, Maccabées I et II, sur l’histoire des
révoltes juives) ne figurent pas dans la Torah juive, et ne sont
pas acceptés par les protestants.
2 Le Nouveau Testament. Il comporte 27 textes :
Les quatre Évangiles (« bonne nouvelle »), trois évangiles
synoptiques (« qui voient du même œil »), ceux de Matthieu,
Marc et Luc, et, à part, l’Évangile de Jean. L'Évangile de
Matthieu est placé en tête du Nouveau Testament, car il fait le
lien avec l’Ancien en s’adressant directement aux Juifs.
L'Évangile de Marc s’adresse plutôt aux Romains. Les Actes
des Apôtres qui fait le récit des événements qui se sont
produits après la mort de Jésus. 21 Épîtres, de saint Paul et
d’autres apôtres, dont les quatre célèbres Épîtres aux Romains,
aux Corinthiens (I et II) et aux Galates. L'Apocalypse de saint
Jean (en grec, dévoiler ce qui est caché) qui est un ensemble de
prophéties et qui décrit la fin des temps et le retour du Christ
au dernier jour.
Quelques mots ou expressions célèbres
« Amen » : mot hébreux signifiant « en vérité » ou « ainsi soit-il » qui termine les prières
juives et chrétiennes.
« Ave » : mot latin qui signifie « salut ». « Ave Maria », je vous salue, Marie, est la
formule employée par l’ange Gabriel qui vient lui annoncer la naissance du Christ. « Ecce
homo » : voici l’homme. C'est par ces paroles que Ponce Pilate présente Jésus prisonnier au
peuple juif.
« Fiat lux » : que la lumière soit. Formule prononcée par Dieu lorsqu’il sépare la lumière
et les ténèbres.
« Mea culpa » : c’est ma faute. Au cours du Confiteor, le croyant reconnaît ses péchés.
« Noli me tangere » : ne me touche pas. Paroles adressées par Jésus ressuscité à Marie de
Magdala qui ne le reconnaît pas.
« Vade retro satanas » : va en arrière Satan. Formule prononcée par Jésus pendant sa
tentation au désert.
Les sept sacrements Ce sont les pratiques rituelles qui permettent de sanctifier celui qui
les reçoit. Ils sont au nombre de sept chez les catholiques, depuis le concile de Trente (1546),
qui répond aux critiques faites par les protestants.
1 Le baptême (« plonger ») est une pratique de purification et de
repentance qui fut pratiquée sur Jésus lui-même, baptisé par
Jean-Baptiste. C'est une cérémonie qui marque la naissance à la
vie de la grâce, l’entrée dans l’Église.
2 La confirmation signifie l’accomplissement de la formation
chrétienne, commencée par le baptême. Par l’onction d’huile,
elle assimile le chrétien au Christ.
3 L'eucharistie (« bonnes grâces ») a été instituée par le Christ
lors de la Cène. Le pain, représenté par l’hostie, et le vin, qui
sont consommés par le prêtre ou les fidèles, sont réellement,
selon le dogme de la transsubstantiation, la chair et le sang du
Christ.
4 La pénitence est la reconnaissance des péchés, qui sont alors
pardonnés, dans la confession, autrefois publique, aujourd’hui
privée.
5 L'extrême onction (aujourd’hui onction des malades) est donnée
aux mourants. Elle procure la grâce et le pardon des péchés.
6 L'ordination est le sacrement que reçoivent ceux qui deviennent
prêtres ou évêques.
7 Le mariage sanctifie le couple humain. En tant que sacrement il
est indissoluble.
Les fêtes chrétiennes
Noël (du latin « natale Diem » : le jour de la naissance) commémore depuis 353 la
nativité, la naissance de Jésus.
L'Épiphanie (« apparition ») commémore la venue des rois mages et le baptême du Christ.
La Chandeleur, fête des chandelles, commémore la présentation de l’enfant Jésus au
Temple.
L'Annonciation commémore l’annonce faite à Marie de sa future maternité de Jésus. Le
Temps du carême (qui dure quarante jours) est un temps de jeûne et d’abstinence préparant
Pâques.
Les Rameaux, le dimanche qui précède Pâques, commémore l’entrée triomphale de Jésus
à Jérusalem, où la foule jetait des rameaux sur son chemin.
Jeudi saint, commémore la Cène et le lavement des pieds par le Christ.
Vendredi saint, jour de deuil, commémore la mort de Jésus sur la croix.
Samedi saint, jour de la veillée pascale, dans l’attente de la résurrection.
Dimanche de Pâques, sommet de l’année, commémore la résurrection du Christ.
Ascension : quarante jours après Pâques, montée de Jésus au ciel.
Pentecôte : descente du Saint-Esprit sur les apôtres réunis.
Assomption : commémore depuis l’an 600 la montée de la Vierge Marie au ciel.
Toussaint : fête de tous les saints, la veille de la fête des morts.
Paradis, enfer, purgatoire La première évocation du Paradis (du grec paradeisos : jardin,
Eden en hébreu) est celle du jardin, à l’Orient du monde, où vivaient Adam et Ève avant la
chute. Au centre de ce jardin se trouvaient l’arbre de vie et l’arbre de la connaissance, dont
Ève croquera la pomme, commettant ainsi le péché originel. La vision du paradis s’inspire
des descriptions du Cantique des Cantiques. Au paradis, jardin perpétuellement fleuri, il n’y
a ni jour ni nuit, ni séparation entre le ciel et la terre.
Les Enfers (du latin infernum : en bas) sont une prison ténébreuse sous la terre, dévorée
par les flammes des passions, de la haine et de la jalousie, où sont suppliciés les méchants.
Plus tard apparaîtra l’idée d’un Purgatoire, lieu intermédiaire où les morts subissent
diverses épreuves, et où ils peuvent être aidés par les prières des vivants. Il deviendra un
dogme au concile de Florence en 1439.
Le jugement qui conduit dans l’un ou l’autre de ces lieux est un jugement provisoire, le
jugement dernier et la résurrection des corps interviendront à la fin des temps, lors du retour
de Jésus sur terre.
Prolongements
Ils sont innombrables. Le christianisme est une des principales sources de la
civilisation occidentale, même lorsqu’elle s’en démarque.
• La philosophie va tenter de concilier l’héritage de la pensée grecque
avec les enseignements de la Bible. Saint Augustin tente de
l’accorder à la pensée de Platon, saint Thomas d’Aquin à celle
d’Aristote. Toute une controverse tentera de déterminer si, oui ou
non, la philosophie doit être « ancilla theologiae » (« servante de la
théologie »). La séparation radicale de la philosophie et de la
théologie a lieu dans l’œuvre de Pascal .
• Du point de vue artistique, le christianisme fournit l’essentiel de ses
thèmes à l’art occidental jusqu’au XIXe siècle : représentations du
Christ, de sa Passion, de la Vierge Marie. L'art n’est même
longtemps considéré que comme un moyen de propagande ou un
simple ornement de la religion et de ses édifices : basiliques,
cathédrales, églises. De même la musique sera fort longtemps
essentiellement musique sacrée.
• La littérature s’inspirera largement de l’héritage chrétien. La
question de la supériorité du merveilleux chrétien sur le
merveilleux païen sera une des origines de la Querelle des Anciens
et des modernes aux XVIIe et XVIIIe siècles. John Milton reprendra
un sujet chrétien dans le Paradis perdu (1667) comme Friedriech
Klopstock dans la Messiade (1748), ou Paul Claudel dans
l’Annonce faite à Marie (1912). François-René de Chateaubriand,
dans le Génie du christianisme (1802), expose les « beautés de la
religion chrétienne » et estime que la Bible est le seul moyen de
dépasser Homère.
Les pères de l’Église sont les écrivains chrétiens des premiers siècles de
notre ère (fin Ier-VIIIe siècle) qui ont été officiellement reconnus par l’Église
comme ayant contribué à fixer sa doctrine. Saint Augustin est celui dont
l’influence fut la plus grande.
L'élaboration de la doctrine catholique
L'Église qui était simple assemblée (« ecclesia ») de fidèles va, au cours des
premiers siècles de l’ère chrétienne, devenir une véritable institution
organisée, dont la doctrine sera progressivement fixée sous forme de dogme, à
l’occasion de la lutte contre les diverses hérésies. Ce sont les conciles qui
décident de l’orthodoxie en matière de foi. Les principales questions abordées
sont celle de l’héritage de la philosophie grecque, mais surtout celles de La
Trinité et de la nature du Christ, le caractère trinitaire de la divinité étant
l’aspect le plus original de la doctrine chrétienne, mais aussi le plus difficile à
comprendre.
Le mystère de La Trinité
Prolongements
• Luther et Calvin reprennent les arguments d’Augustin contre le
pélagianisme en refusant la justification par les œuvres.
• Jansénius, en publiant en 1641 l’Augustinus, est à l’origine du
jansénisme qui estime que seule la grâce de Dieu sauve, et que cette
grâce est fixée dans la prédestination.
• Les Confessions de J.-J. Rousseau font évidemment référence à
l’œuvre du même nom de saint Augustin.
3. Philosophie
C'est en 155 av. J.-C. qu’une délégation de trois philosophes grecs serait
venue à Rome pour y introduire la philosophie. Ces trois philosophes
représentaient les trois principales écoles philosophiques grecques de
l’époque. Carnéade représentait la Nouvelle Académie platonicienne, Diogène
de Babylone l’école stoïcienne, un troisième l’école aristotélicienne. Carnéade
scandalisa certains de ses auditeurs en démontrant alternativement le pour et
le contre sur toutes les valeurs qui fondaient la république romaine. Caton
l’Ancien fit promptement renvoyer ces ambassadeurs.
Par la suite, après sa conquête, les études en Grèce, en particulier en
philosophie, joueront un rôle central dans la formation des élites romaines. La
question du rapport à la Grèce, de savoir ce qu’il convenait d’emprunter à ces
vaincus, fut essentielle à Rome. Ce qui apparaît, c’est l’infléchissement des
courants philosophiques grecs dans un sens plus directement pratique, qu’il
s’agisse du stoïcisme avec Sénèque, ou de l’épicurisme avec Lucrèce. Cicéron
proposa une synthèse originale des différents courants philosophiques grecs,
adaptée au génie romain.
Cicéron et l’humanisme
La théorie oratoire
La philosophie politique
La philosophie morale
Citations de Cicéron
« Cedant arma togae » : que les armes le cèdent à la toge (les magistrats) : (contre la
dictature militaire).
« Summum jus, summa injuria » : comble du droit, comble de l’injustice (le droit ne doit
pas être appliqué sans considérer les circonstances).
« Otium cum dignitate » : le repos dans l’honneur (idéal du Romain retiré des affaires
publiques)
« O tempora, o mores » (Catilinaires) : Ô temps, Ô mœurs (déplore la dégradation des
mœurs).
Citations de Sénèque
« La preuve du pire, c’est la foule ».
« Ils vomissent pour manger, ils mangent pour vomir ».
« Ventre affamé n’a pas d’oreilles ».
« La plus grande partie de la vie passe à mal faire, une grande partie à ne rien faire, toute
la vie à ne pas penser à ce qu’on fait ».
Prolongements
• Le XVIIe siècle, souvent qualifié d’âge de l’éloquence, a pu
également être appelé « aetas ciceroniana » (« âge cicéronien »)
tant la présence de Cicéron y est forte. Le style cicéronien, élégant
et naturel, y est distingué du style « coupé » de Sénèque , dont la
brièveté peut aller jusqu’à l’obscurité.
• La Rochefoucauld, dans ses Maximes (1665), attaque violemment
Sénèque, coupable de duplicité. Il « n’eut pas d’autre vertu » que
celle « de bien cacher ses vices ». Il est représentatif de l’hypocrisie
de celui qui jouit de tous les biens et les plaisirs en affectant de
prêcher la modération et la pauvreté.
• Sénèque fut en revanche qualifié de « précepteur du genre humain »
par Diderot .
4. Littérature
Les premiers auteurs latins sont très largement influencés par la littérature
grecque qu’ils se contentent de traduire et d’adapter aux conditions de Rome.
Ils se consacrent surtout à glorifier la grandeur de Rome, sa naissance
légendaire et ses guerres victorieuses.
La grande époque de la littérature latine sera celle d’Auguste. Il encourage
une production littéraire originale qui exalte la grandeur de Rome. Il est aidé
en cela par l’action de Mécène, riche romain et ami d’Auguste, qui protège et
subventionne des poètes, et dont le nom deviendra un nom commun.
Les premiers contacts avec la culture grecque datent du début du IIIe siècle,
avec la prise de l’Italie du Sud, alors peuplée de Grecs. Les premiers auteurs
latins traduisent les textes grecs classiques, ainsi de l’Odyssée, traduite par
Livius Andronicus. Naevius fait également le récit de la première guerre
punique à la manière grecque.
La comédie est introduite à Rome sur le modèle de la comédie nouvelle
grecque de Ménandre. Mais les comédies qui ont le plus de succès sont des
comédies populaires, des farces, quelquefois assez vulgaires, n’hésitant pas à
recourir à des bouffonneries, des quiproquos à la manière du vaudeville. Le
personnage typique en est l’esclave effronté et habile au service des amours de
son maître.
Plaute (254-184), lui-même d’origine tout à fait populaire, est le type de ces
auteurs comiques.
Plus raffiné dans la peinture des caractères, et plus proche de l’original
grec, le théâtre de Térence (190-159) ne connaît pas le même succès. Térence
était un ancien esclave affranchi. Il nous reste six de ses comédies dont
l’Héautontimoroumenos (titre grec signifiant « le bourreau de soi-même »). Il
nous laisse deux formules célèbres : « quot homines, tot sententiae » (autant
d’hommes, autant d’opinions), et « homo sum : humani nihil a me alienum
puto » (je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger).
Horace et la poésie
L'autre grand écrivain de l’époque d’Auguste est Horace (65-8), lui aussi
ami de Mécène et d’Auguste. Il est l’auteur de poèmes plus courts, moins
cérémonieux. Ses Odes fourniront bien des formules éternelles. Sa bonne
humeur tient pour une part à son inspiration épicurienne. Il est aussi un
théoricien de la littérature qui sera très apprécié de Boileau.
Le poète
Le théoricien de la littérature
Ses Épîtres sont aussi des causeries en vers. La plus longue, l’Épître aux
Pisons est connue depuis Quintilien sous le nom d’Art poétique. Ce sont des
conseils à deux jeunes gens qui veulent devenir écrivains. Horace y insiste sur
l’importance du travail : « Reprenez vos vers tant que vous n’aurez pas passé
de longues journées à raturer, à élaguer, à repolir vingt fois votre ouvrage. » Il
convient également de s’inspirer des modèles grecs, plutôt que de s’inspirer,
ce qui était alors à la mode des anciens auteurs latins. Horace souligne qu’il
conviendrait de créer une tragédie latine sur le modèle grec, qui n’existe alors
pas.
La poésie lyrique Une poésie lyrique inspirée de sources grecques se développera au Ier
siècle av. J.-C. avec surtout Catulle et Ovide. Les thèmes amoureux y sont essentiels.
• Catulle (87-54)
Il passe pour être le premier poète d’amour en latin. Il raconte
dans ses Poésies ses amours contrariées pour une femme
mariée, infidèle à son mari et à lui, Lesbie. Il y fait aussi le
récit de sa vie à Rome et en province, ou se moque de certains
de ses contemporains, comme Cicéron. Il est très influencé par
la poésie raffinée et formelle des poètes grecs de l’école
d’Alexandrie plus que par des auteurs romains.
Il influencera des poètes comme Tibulle (50-19) et Properce (47-
15). Tibulle fait partie du cercle d’écrivains réunis autour
d’Auguste. Dans ses Élégies, amoureux lui aussi d’une femme
mariée émancipée, il chante son amour pour Délie. Properce
fait partie du cercle de Mécène et fut l’ami d’Horace. Poète
érudit, également auteur d’Élégies, il se flatte de son
inspiration alexandrine.
• Ovide 43 av. J.-C. -17 apr. J.-C.
Après une vie très mondaine à la cour d’Auguste, Ovide fut exilé
par lui sur la mer Noire, c’est-à-dire chez les Barbares, pour
des raisons obscures, peut-être en raison de ses poésies
licencieuses. Il écrit des poèmes d’amour inspirés par Tibulle,
comme l’Art d’aimer. Il fit le récit des transformations
miraculeuses de la mythologie dans sa plus grande œuvre, Les
Métamorphoses. Il entreprit également de rédiger des Fastes,
c’est-à-dire un commentaire poétique du calendrier romain. («
fasti dies » : calendrier des jours fastes). Enfin, dans son exil, il
écrivit les Tristes et les Pontiques sur sa vie dans le Pont-
Euxin.
Citations latines d’Horace
« Exegi monumentum aere perennius » : j’ai achevé un monument plus durable que
l’airain. À la fin de ses Odes, pour indiquer que par cette œuvre il s’est procuré
l’immortalité.
« Aurea mediocritas » : médiocrité dorée. Une situation moyenne, tranquille, est
préférable à toute autre (Odes).
« Bis repetita placent » : les choses répétées plairont. On ne se lasse pas de quelque chose
qui plaît (Art poétique).
« Dulce et decorum est pro patria mori » : il est doux et honorable de mourir pour la
patrie. Exhorte à imiter le courage de nos ancêtres (Odes).
« Non omnis moriar » : je ne mourrai pas tout entier. Car mon œuvre survivra (Odes).
« Carpe diem » : cueille le jour, jouis de l’instant présent (Odes).
« Laudator temporis acti » : celui qui fait l’éloge du temps passé (Art poétique), éternel
conservateur.
Citations latines indispensables d’autres auteurs
« Omnia vincit amor » : l’amour vainc tout (Virgile, Églogues).
« Timeo Danos et dona ferentes » : je crains les Troyens même lorsqu’ils viennent avec
des cadeaux : (Virgile, L'Énéide), toujours se méfier de ses ennemis. « Panem et circenses » :
du pain et des jeux de cirque (Juvénal, Satires), contre les Romains de la décadence qui ne
réclament que cela.
« Qualis artifex pereo » : quel artiste périt en moi (Néron avant de se suicider).
« Sutor, ne supra crepidam » : cordonnier, pas plus haut que la chaussure (le peintre
Apelle à un cordonnier qui ayant jugé une sandale représentée se mêlait de juger tout le
tableau).
« Veni, vidi, vici » : je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu (César).
« Alea jacta est » : le sort en est jeté (César) avant de franchir le Rubicon.
« Acta est fabula » : la comédie est terminée, paroles qui servaient à clore une pièce de
théâtre, prononcées par Auguste sur son lit de mort.
Prolongements
• Virgile sera le guide de Dante dans l’Enfer. Dante dit de lui : « Tu es
mon maître et mon père : à toi seul je dois le beau style qui m’a
honoré. »
• Ovide fut le poète latin préféré au Moyen Âge et à la Renaissance,
des poètes de l’amour courtois aux grands rhétoriqueurs et à
Clément Marot.
• Boileau s’inspire très largement et très expressément de l'Art
poétique d’Horace, faisant l’éloge du travail, de la raison, de la
seule confiance dans les gens de goût.
• Molière trouve les sujets de bon nombre de ses comédies chez Plaute
comme Amphitryon et l’Avare, inspiré de l’Aululaire. De même, le
sujet de la Comédie des erreurs de Shakespeare est repris aux
Ménechmes et à l’Amphitryon de Plaute.
• André Chénier, à la fin du XVIIIe siècle, tentera de renouveler le
genre des bucoliques. Goethe dans ses Élégies romaines s’inspire
de Tibulle et Properce.
• Claudel dit de Virgile qu’il est le plus « plus grand génie que
l’humanité ait produit, inspiré d’un souffle vraiment divin, le
prophète de Rome ».
5. Arts
L'architecture
La coupole et la brique
L'architecture triomphale
L'urbanisme
L'architecture utilitaire
Le portrait
Prolongements
• Il y eut un renouveau du genre de la statue équestre à la Renaissance
avec le Gattamelata de Donatello (1453), reprise du monument
équestre de Marc Aurèle . La Renaissance se réclame aussi de la
peinture romaine, mais d’une manière assez théorique, celle-ci
n’étant pour l’essentiel connue que depuis la découverte de Pompéi
au XVIIIe siècle.
• L'arc de triomphe et la colonne connaîtront une longue éclipse avant
d’être repris par Napoléon pour l’Arc de triomphe et la colonne
Vendôme, qui fut détruite durant la Commune de Paris, puis
reconstruite. Leurs équivalents à Londres sont Marble Arch et la
colonne Nelson.
• Selon l’historien de l’art Élie Faure la vraie construction romaine est
le mur : « Le mur romain est une des grandes choses de l’histoire »,
pour son caractère solide et massif.
• Selon André Malraux (Les Voix du silence, 1951), il n’existe pas
d’art romain : « Jamais sans doute grand peuple n’avait été aussi
profondément, aussi constamment, privé de style plastique que le
peuple romain. »
6. Sciences
La Rome antique se caractérise par son peu d’intérêt pour les questions
proprement scientifiques, qui ne connaîtront pas d’avancées marquantes à
cette période. Le centre du monde scientifique reste alors Alexandrie, et les
Romains se contentent de reprendre ce qui, dans ces travaux alexandrins, peut
avoir un usage pratique.
Le Moyen Âge
1. Histoire
1.1 Repères
• 476. Fin de l’Empire romain d’Occident
• 498. Baptême de Clovis
• 711. Les musulmans entreprennent la conquête de l’Espagne
• 732. Victoire de Charles Martel à Poitiers
• 800. Couronnement impérial de Charlemagne
• 843. Traité de Verdun, qui partage l’empire carolingien
• 910. Fondation du monastère de Cluny
• 987. Avènement d’Hugues Capet
• 1066. Victoire normande à Hastings ; début de la conquête de l’Angleterre
• 1095. Prédication de la première croisade à Clermont
• 1215. La Grande Charte concédée par le roi d’Angleterre
• 1271/1275. Voyage de Marco Polo en Chine
• 1337. Début de la guerre de Cent Ans
• 1347/1350. Peste noire en Occident
• 1453. Fin de la guerre de Cent Ans
• 1478. Introduction de l’Inquisition en Espagne
Les invasions barbares ou, comme disent les historiens allemands, les «
grandes migrations de peuples » qui firent disparaître l’Empire romain en
Occident s’étendent sur plusieurs siècles. Jusqu’en 406 aucun peuple barbare
n’avait franchi en force le limes du Rhin et du haut Danube, mais Rome avait
laissé entrer, de manière contrôlée, des populations qu’elle utilisait pour
assurer la protection des frontières. Après le franchissement du Rhin en 406,
hors de tout contrôle romain, le limes ne fut plus refermé. Aussi, quand en 476
Odoacre, chef de « l’armée romaine » d’Italie, déposa Romulus Augustulus,
l’Empire dans sa partie occidentale ne représentait plus grand-chose. Dès 407
la Bretagne avait vu partir l’autorité romaine ; au milieu du Ve siècle il ne
subsistait en Gaule que des îlots romains séparés par des implantations
barbares. Et en Espagne les Barbares occupaient les trois-quarts du territoire.
Cet effacement de l’Empire romain et l’installation des royaumes barbares
eurent pour conséquence un morcellement de l’espace dont la souveraineté
romaine assurait l’unité. En Angleterre, par exemple, on compta après le
départ des Romains jusqu’à une douzaine de petites royautés.
L'Empire de Charlemagne
L'époque féodale
À la fin du IXe siècle l’élection des rois fut souvent à nouveau pratiquée
dans de nombreux royaumes d’Occident. Ces souverains avaient, dans les
régions menacées par les dangers extérieurs, organisé de grands
commandements militaires regroupant plusieurs comtés. Au Xe siècle, qui
passe pour un siècle de fer, le pouvoir se fragmenta. Le roi ne pouvait se faire
obéir dans une de ces principautés que si celui à qui il l’avait confiée
l’acceptait. Le prince territorial lui-même voyait son autorité limitée par celle
de ses vassaux et ainsi de suite jusqu’au petit sire qui, à partir de son château
en bois construit sur une éminence, sa motte castrale, contrôlait un petit
territoire sur lequel il avait confisqué le « ban », c’est-à-dire le pouvoir
d’ordonner et de contraindre. Longtemps envisagée comme un désordre, la
période féodale est plutôt perçue aujourd’hui comme une remise en ordre.
Pour indisciplinés qu’ils fussent, ces sires avaient l’avantage de pouvoir
maintenir un ordre sur leur petit territoire. Il ne restait plus qu’à reconstituer
une chaîne hiérarchique d’autorité qui liât ces sires au roi pour parvenir à
l’ordre royal. C'est dans ce cadre que les rois, en usant de toutes les ressources
du droit féodal, rétablirent leur autorité et leur pouvoir. Cela n’alla pas sans
difficultés ni rechutes.
Le dynamisme de l’Occident
La seconde vague d’invasions passée, l’Europe occidentale entra dans une
longue période de croissance démographique et économique. Les
défrichements se multiplièrent et furent l’occasion pour les rustres d’arracher
à leurs seigneurs des garanties juridiques et financières consignées dans des
chartes. L'Église, en particulier avec les monastères, joua un très grand rôle
dans cette dilatation de l’espace agricole. Parallèlement se produisit un essor
urbain lié au développement de l’artisanat et à l’intensification des échanges, à
l’origine des grandes foires. Les rois trouvèrent dans ces populations urbaines,
surtout parmi les plus entreprenants et les plus riches de leurs membres, de
précieux appuis contre l’indocilité des seigneurs. Cette prospérité et la
vigoureuse croissance démographique donnèrent à l’Occident chrétien un
dynamisme conquérant. Une série de croisades fut entreprise contre le monde
musulman. Sans résultats extraordinaires dans le domaine religieux, elles
entraînèrent de multiples et durables conséquences sur le plan culturel ou
économique. Parmi les manifestations de ce dynamisme il faut mentionner les
implantations normandes en Sicile et en Italie méridionale. L'expansion de
l’Occident se ralentit à la fin du XIIIe siècle et fut brutalement interrompue en
1347 par la « grande peste » dont les ravages furent considérables.
Église et pouvoir
L'Église fut durant les quelque mille ans du Moyen Âge, un interlocuteur
permanent et souvent un allié du pouvoir politique. Elle accepta de légitimer
le pouvoir monarchique des royaumes barbares en affirmant qu’il était confié
par Dieu à son détenteur. Elle prit une part active à l’administration de ces
royaumes. Ainsi dans l’Espagne wisigothique les conciles de Tolède
regroupaient évêques et hauts responsables laïcs pour débattre des affaires du
royaume. Dans la monarchie carolingienne c’est l’Église qui prit en charge, et
ce jusqu’à l’époque moderne, la chancellerie royale. Les couples de missi
dominici, envoyés en tournées d’inspection par Charlemagne, étaient
composés d’un comte et d’un évêque. À l’époque féodale les clercs firent de
gros efforts pour rendre la guerre moins présente et, sous le nom de « trêve de
Dieu », imposèrent des moments sans guerre. Cependant l’Église s’était aussi
profondément engagée dans la société féodale au point que de nombreux
seigneurs intervenaient dans les désignations des clercs. Aussi au XIe siècle
Grégoire VII décida-t-il de réformer l’Église et surtout de mettre un terme à
l’investiture des évêques par la crosse et l’anneau effectuée par des laïcs. La
papauté alla jusqu’à affirmer sa supériorité sur les souverains et prétendit se
poser en chef temporel de la chrétienté. Cela entraîna le conflit entre pape et
empereur qui dura jusqu’à ce qu’au XIIIe siècle la papauté perdît ce combat.
La culture chrétienne
La victoire du christianisme
Sacre Dans l’Ancien Testament le prophète Samuel sacre Saül puis David, marquant par
là que le pouvoir vient de Dieu. Les Carolingiens ne furent pas les premiers rois barbares à
pratiquer le sacre : au VIe siècle le roi wisigothique Wamba avait reçu l’onction. Au début de
la dynastie capétienne, pour affermir le pouvoir royal, les souverains associèrent leur fils,
appelé à leur succéder, au pouvoir et le firent sacrer de leur vivant. Philippe Auguste (1180-
1223) fut le dernier Capétien à être oint du vivant de son père. L'onction était faite avec le
saint chrême conservé dans une ampoule qui, selon la légende, aurait été apportée par une
colombe lors du baptême de Clovis. Par le sacre, tous les rois de France se trouvaient placés
au-dessus du commun des mortels et étaient de surcroît réputés capables de guérir les
écrouelles. Ils touchaient les scrofuleux le jour du sacre et une ou deux fois par an lors des
fêtes religieuses avec la célèbre formule : « Le Roi te touche, Dieu te guérit. »
Maire du palais Il s’agit du chef des services domestiques et d’un proche collaborateur
du roi à l’époque mérovingienne. À la fin de la dynastie mérovingienne, la médiocrité des
rois et la brièveté de leurs règnes leur donnèrent une très grande importance. Il y en avait
deux : un pour la Neustrie et un pour l’Austrasie. Les maires du palais ont parfois traîné une
image de soudards incultes et hostiles à l’Église, qui est très excessive : Charles Martel,
maire du palais franc, soutint, après son père, l’évangélisation de la Germanie et tint à
confier l’éducation de son fils Pépin aux moines de Saint-Denis.
Grande charte C’est la charte de 63 articles qui fut imposée au Roi d’Angleterre en 1215
par l’alliance des barons, du haut clergé et du peuple de Londres, associés pour lutter contre
les abus royaux en matière fiscale et ecclésiastique. Pour lutter contre l’arbitraire royal, elle
instituait le contrôle de l’impôt par le Grand Conseil et une Cour des plaids communs. Très
vite, elle nourrit une sorte de mythe quant à sa portée politique. Si quelques articles ont
survécu, il ne faut pas perdre de vue qu’elle renforçait la féodalité anglaise, à l’époque où le
roi de France disciplinait la sienne. Il s’agit avant tout de la confirmation des vieilles libertés
anglaises.
Cluny À l’origine de l’histoire de Cluny il y eut la volonté d’un noble bourguignon,
Bernon, de contribuer à la réforme de l’Église. Lorsqu’en 910 il fonda l’abbaye, il décida
que sa fondation observerait strictement la règle bénédictine, que le pouvoir laïc serait tenu à
l’écart de l’élection de l’abbé, de la direction et de la gestion du monastère. Pour assurer le
respect de ces principes il plaça l’abbaye sous la protection du Saint-Siège. Ce fut l’abbé
Odilon qui transforma Cluny en chef d’un ordre, grâce à une bulle du pape en 1027. Ses
deux successeurs furent aussi deux abbés énergiques, qui eurent la chance de vivre
longtemps, ce qui permit d’assurer une continuité avec seulement trois abbés en 122 ans.
Échappant à l’autorité de l’ordinaire, riches de vastes domaines fonciers, Cluny était
devenue une véritable puissance. La dernière église construite à Cluny, et qui enrichit un
acheteur de biens nationaux à la Révolution, fut jusqu’à la construction de Saint-Pierre de
Rome la plus grande église de la chrétienté.
Prolongements
• L'unité chrétienne du monde médiéval et la capacité de l’Église à
influencer le pouvoir politique furent longtemps pour les chrétiens
et surtout pour l’Église catholique une sorte de situation idéale à
restaurer. On vit parfois des résurgences d’attitudes de l’époque
médiévale jusqu’à la caricature : ainsi durant la guerre civile
espagnole les rebelles franquistes présentèrent leur combat comme
une croisade contre les nouveaux infidèles qu’étaient les marxistes.
Notre vocabulaire comporte de nombreuses expressions qui
renvoient à cette époque médiévale : « taillable et corvéable », «
rendre hommage », « être sur la sellette », « mettre au ban ». Le
terme de « banlieue » vient également du territoire d’environ une
lieue sur lequel s’étendait le ban, c’est-à-dire le pouvoir de
contrainte du seigneur.
• Dans le domaine de l’économie, le Moyen Âge a apporté des
techniques avec lesquelles le monde a fonctionné très longtemps.
Sans prétendre à l’exhaustivité on peut citer le collier d’attelage et
l’attelage en file ou le gouvernail d’étambot pour les transports. Les
contrats mis au point dans les villes italiennes du Moyen Âge pour
constituer les sociétés de marchands étaient encore largement
utilisés par les négociants français à la fin du XVIIIe siècle, avant
que le siècle suivant n’apportât un nouveau droit des sociétés.
Quant à la lettre de change pour les transferts de fonds, elle
bénéficia d’une très belle longévité jusqu’au XXe siècle. La quête
des racines aujourd’hui entraîne l’organisation de fêtes autour de
labours à l’ancienne, voire de tournois qui sont autant de façons de
faire revivre le Moyen Âge. Sans compter en Espagne ou dans le
sud de la France la présence, lors de fêtes religieuses, des confréries
de pénitents qui n’ont jamais disparu.
• Le Moyen Âge connut une grande popularité dans la première moitié
du XIXe siècle. Sur le terrain de la réflexion politique l’époque de
la monarchie féodale, où le roi, bien conseillé par ses grands barons
évitait de faire de mauvais choix pour le pays comme pour la
monarchie, fut exaltée.
• On avait également la nostalgie de l’époque où la France était
profondément chrétienne. D’aucuns n’hésitaient pas à dire que si
les rois de France n’avaient pas éliminé cette monarchie féodale, au
profit de la monarchie absolue, la Révolution n’aurait probablement
pas eu lieu.
• Le courant romantique se prit de passion pour les ruines, de
préférence médiévales. Le Moyen Âge fut également une source
d’inspiration pour la littérature. En 1806, l’Institut choisit les
croisades comme sujet de concours. En 1821 fut fondée l’École des
Chartes, qui devint un des lieux de formation des plus grands
médiévistes français. On peut aussi évoquer la publication, en 1840,
des Récits des temps mérovingiens d’Augustin Thierry.
• Depuis le vote des lois de décentralisation réapparaissent dans le
vocabulaire politique des termes empruntés à l’époque féodale :
fief, baron, vassaux ou fidèles.
2. Religions
2.1 L'Islam
Histoire
Cette religion est apparue dans la péninsule arabique au VIIe siècle apr. J.-
C. Elle est révélée à Mahomet (« le loué ») (572-632), né à La Mecque, dans
un clan puissant mais pauvre. Caravanier au service d’une riche veuve, de dix
ans plus âgée, qu’il épouse à 29 ans, Khadija, il a une fille, Fatima, future
femme d’un de ses premiers disciples, Ali. En 612, sur le mont Hira, lors de la
« nuit bénie », l’ange Gabriel (« Jibril ») lui ordonne « prêche au nom du
seigneur », « récite ». Au début, il ne rallie que les déshérités (artisans,
ouvriers, esclaves, chrétiens et Juifs). L'aristocratie mecquoise le combat car il
prêche le monothéisme et part en guerre contre les idoles, et elle le contraint à
l’exil (« hégire ») en 622, date qui marque le début de l’ère islamique. Il
s’enfuit à la clarté du croissant de lune (d’où l’importance de ce symbole)
avec ses premiers disciples. Il se réfugie dans une ville qui sera nommée
Médine (Madinat al Nabî : ville du prophète). Là, il organise la communauté
musulmane (« oumma »), qui est une communauté de croyants, fondée sur le
seul lien religieux. La religion est très simple, reposant sur les « cinq piliers »
de l’islam. Il n’y a pas d’intermédiaire entre l’homme et Dieu, pas de clergé.
Déçu par la communauté juive de Médine, Mahomet l’expulse et change
l’orientation de la prière : alors qu’auparavant elle se faisait vers Jérusalem,
elle se fera désormais vers La Mecque. Mahomet livre diverses batailles
contre les Mecquois et s’empare de La Mecque en 630. Il détruit les idoles,
mais conserve la pierre noire (« kaaba », cube), qui est aujourd’hui encore
lieu de pèlerinage. Il meurt en 632 à Médine, auprès d’Aïcha, son épouse
préférée, âgée de 18 ans. Après la mort de Mahomet, la parole qui lui a été
révélée va être retranscrite dans le Coran. Les 114 sourates (« chapitres »)
sont classées par ordre de longueur décroissante, à l’exception de la première,
qui proclame l’unicité de Dieu.
En un siècle, de 632 à 732, les successeurs de Mahomet vont s’emparer
d’un territoire qui s’étend des Pyrénées à l’Himalaya, et dépasse en superficie
celui de Rome au temps de sa plus grande expansion. Les premiers califes («
successeurs de l’envoyé de Dieu ») sont à la fois des chefs temporels et
spirituels. Les quatre premiers, les « califes bien dirigés » sont des proches du
prophète : Abou Bakr, Omar, le « commandeur des croyants », Othman, Ali.
Les trois derniers sont assassinés. Leur succède la dynastie des Ommeyades
(660-750), qui délaissent La Mecque pour Damas, et renforcent le caractère
temporel de leur souveraineté. Puis les Abbassides (750-1258), dont la
capitale fut Bagdad, avec notamment Haroun al Rachid (786-809), le calife
des Mille et Une nuits. Il encourage les travaux de nombreux savants,
mathématiciens ou astronomes, qui traduisent et commentent les textes de
l’Antiquité grecque. La grande époque de l’Islam médiéval s’étend du IXe au
XIe siècle. À partir du Xe siècle se développe une civilisation arabico-
andalouse, autour de Cordoue, qui rivalise alors avec Bagdad. Mais, en 1236,
Cordoue est prise par le catholique Ferdinand III de Castille, et en 1258
Bagdad l’est par les Mongols.
Les obligations personnelles que chaque croyant doit respecter pour faire
partie de la communauté des croyants sont d’une assez grande simplicité, et
sont couramment résumées sous le nom de cinq « piliers de l’islam ».
Outre ces obligations personnelles, il existe des prescriptions
communautaires qui obligent l’ensemble des musulmans, et qui sont fixées
par la loi islamique, la charia (« voie à suivre »). La loi islamique ne reconnaît
pas de distinction entre religieux et profane, entre éthique et politique. Ainsi
du « djihad », ce que les Occidentaux appellent la « guerre sainte », et qui
peut aussi être interprété comme « effort » sur le chemin de Dieu. À l’époque
coranique il s’est surtout agi d’un combat armé pour faire prévaloir les lois
divines. Les peuples infidèles doivent être appelés à se convertir avant d’être
combattus.
Les sunnites
Les chiites
L'islam et les autres religions L'islam est la dernière des grandes religions monothéistes,
et Mahomet se présente comme le « sceau des prophètes », après Adam, Abraham, Moïse et
Jésus. Il vient apporter la parole divine aux Arabes, descendants d’Abraham par Ismaël.
Jésus n’est pas considéré comme le fils de Dieu, il n’est pas mort sur la croix pour racheter
les péchés des hommes : il est l’envoyé de Dieu et il présidera le Jugement dernier des
morts. Sourate 4. La table servie :
« Ô détenteurs de l’Écriture ! Ne soyez pas extravagants, en votre religion ! Ne dites, sur
Allah, que la vérité ! Le Messie, Jésus, fils de Marie, est seulement l’apôtre d’Allah, son
Verbe jeté par Lui à Marie et un Esprit émanant de Lui. Croyez en Allah et en ses apôtres et
ne dites point : « Trois ! » Cessez ! Cela sera un bien pour vous. Allah n’est qu’une divinité
unique. À lui ne plaise d’avoir un enfant ! À lui ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la
terre. Combien Allah suffit comme protecteur ! »
Le prophète considère donc chrétiens, juifs et zoroastriens comme des « gens du Livre »
avec lesquels il est possible de s’allier, à condition qu’ils se soumettent et payent un tribut
(dhimma : dîme). Ils ont un statut personnel particulier, ne peuvent pas participer pleinement
à la vie de la cité, doivent porter un habit distinctif, certains métiers ou fonctions
administratives leur sont interdits, ainsi que l’expression de leur religion (processions,
cloches). Sous ces importantes réserves, il ne leur impose pas la conversion et ne les
persécute pas.
Pour ce qui est, en revanche, des polythéistes et des athées, ils n’ont le choix qu’entre la
conversion et la mort.
Islam et mysticisme : le soufisme Ce courant trouve son origine au IXe siècle en Irak.
Son nom vient du vêtement de laine blanche (« souf ») que portent ses adeptes. Il est fondé
sur l’initiation personnelle d’un disciple par un maître, qui doit permettre de se dépouiller de
toute attache sensible et d’établir une communication directe, amoureuse, entre Dieu et la
créature. Le Coran est interprété de manière allégorique. Les soufistes s’appuient sur une
série de techniques menant à l’extase, comme la récitation d’un des noms de Dieu, ou la
danse, dans le cas des derviches tourneurs de Turquie. Ils prétendent ainsi dépasser le
formalisme de la loi, et sont donc considérés comme hérétiques. Le représentant le plus
éminent en est Hallaj, supplicié à Bagdad en 922, qui proclame : « Je suis devenu Celui que
j’aime et Celui que j’aime est devenu moi. Nous sommes deux esprits confondus en un seul
corps. »
L'art islamique Même si le Coran n’est pas explicitement hostile à la production
d’images, les hadiths l’interpréteront rapidement en ce sens, retrouvant là une tradition
iconophobe propre à la péninsule arabique. Dès lors, la représentation de toute figure vivante
sera proscrite, dans la majeure partie du monde musulman. L'essentiel de cet art se
consacrera donc à des décorations à motifs géométriques, avec notamment des plantes et des
animaux très stylisés, que l’on nommera « arabesques ». En raison du même interdit, la
sculpture en ronde bosse n’existe pas dans l’art islamique, qui est un art en deux dimensions,
avec, par exemple, l’art des tapis, ou des calligraphies. Celle-ci, qui est aussi monumentale,
est un art hautement religieux. Les mosquées reprennent l’art de la voûte à la Mésopotamie
et à l’Iran, en utilisant en général des constructions en briques, avec décor plaqué.
Prolongements
• Les pays islamiques au Moyen Âge ont constitué les conservatoires
de la pensée scientifique et philosophique de la Grèce ancienne, qui
a ensuite été réintroduite en Occident par l’intermédiaire des
traductions de l’arabe. Les zones frontières entre l’Islam et
l’Occident (Espagne, Sicile) sont des hauts lieux de la culture
médiévale. Les croisades elles-mêmes ont joué un rôle dans cette
découverte de la pensée arabe.
• Pour toute la tradition libertine et athée du XVIe au XVIIIe siècle,
Mahomet n’est que le « troisième imposteur », après Moïse et
Jésus. Voltaire dans Le Fanatisme ou Mahomet le prophète (1741)
attaque toutes les religions et dédie ironiquement sa pièce au pape
Benoît XIV.
• Le renouveau actuel de l’islamisme se présente comme une volonté
de revenir aux premiers temps de l’Islam, en particulier à l’époque
des premiers successeurs de Mahomet, les « califes bien dirigés »,
où la société était strictement régie selon les principes du Coran.
Cet islamisme, d’abord d’obédience sunnite, avec les Frères
musulmans, fondés en Égypte en 1920 par Hassan al Banna , qui
proclame qu’« il n’y a pas de constitution si ce n’est le Coran », est
surtout, depuis le succès de la révolution iranienne en 1979,
d’inspiration chiite.
Le schisme d’Orient
L'Église d’Orient fut marquée par la « querelle des images » qui oppose les
empereurs iconoclastes (« destructeurs d’images »), venus d’Asie, qui pensent
qu’il n’est pas acceptable de figurer la divinité, que c’est de l’idolâtrie, et les
moines et le peuple grec défendant les icônes, très attachés au culte de ces
images (iconodoules), qu’ils embrassent et devant lesquelles ils font brûler des
cierges.
Le culte va alors même jusqu’à supposer que certaines icônes n’ont pas été
réalisées par la main de l’homme (icônes acheiropoiètes). En réaction aux
empereurs iconoclastes, comme Léon l’Isaurien en 727, le second concile de
Nicée en 787 admet la légitimité de leur culte. Il le justifie en montrant que
l’adoration des icônes n’est pas une fin en soi mais un moyen de s’élever vers
Dieu par la beauté : au-delà de l’image, c’est le prototype qui est vénéré. Si
l’on accepte l’incarnation du Christ, on doit accepter aussi l’image, car « le
Fils est l’icône vivante du Dieu invisible ». Il est possible de représenter le
Christ, car il a pris forme humaine. Cette querelle se termine par la victoire
des défenseurs des icônes, reconnue en 842.
L'art byzantin Comme l’a montré la querelle des icônes, l’art byzantin est un art qui sera
toujours méfiant à l’égard de la représentation réaliste de la figure humaine. Les sculptures y
sont très rares. Quant aux peintures, qui représentent pourtant des personnages, elles ne sont
absolument pas réalistes. Ce qu’elles recherchent c’est la représentation de types : de ce fait,
elles sont volontairement figées et hiératiques, et les portraits sont même souvent
accompagnés d’inscriptions qui permettent de les identifier. Il ne s’agit pas de représenter les
hommes, mais de représenter les personnages sacrés et donc d’être le plus conforme possible
aux images antérieures. L'usage important de fond d’or doit permettre également de marquer
la lumière, la beauté immatérielle du monde surnaturel.
L'œuvre d’art dont la production est la plus importante à Byzance est celle des icônes (en
grec : image), images saintes portatives, qui donnent une représentation frontale, stéréotypée
et hiératique des saints. Les plus anciennes icônes conservées datent du VIe siècle mais leur
existence est attestée deux siècles plus tôt.
L'art de la mosaïque est également très développé dans les églises, avec des mosaïques
dorées et très colorées comme à Saint-Vital de Ravenne. Une des représentations les plus
courantes est celle du Christ Pantocrator (« Tout Puissant »), qui orne souvent les coupoles
des églises.
Ces églises sont souvent construites sur un plan en croix dominé par une coupole. L'église
Sainte-Sophie de Byzance, avec son immense coupole en croix fut construite sous Justinien
par des architectes asiatiques.
La plus grande période de l’art byzantin est celle qui s’étend du IXe au XIIe siècle. Elle est
contemporaine du recul arabe et se termine par le sac de Constantinople par les croisés en
1204. C'est la période des dynasties macédonienne (867-1056) et comnène (1081-1185).
Prolongements
• L'art de l’icône se poursuivra jusque fort tard en Russie. Le plus
grand peintre d’icône est le russe Andreï Roublev (1360-1430).
• L'influence de l’art byzantin sur l’art roman, ou sur Giotto, a été
longuement discutée, par exemple par André Malraux dans Le
Musée imaginaire, qui conclut à l’indépendance de l’art roman par
rapport à Byzance. En revanche Ernst Gombrich, dans son Histoire
de l’art, estime qu’avec l’art roman l’art européen « n’a jamais
approché d’aussi près certains idéaux de l’art oriental ».
• L'église Saint-Marc de Venise fut reconstruite en 1063 sur le plan en
croix d’une ancienne église byzantine.
• Aujourd’hui, l’Église orthodoxe n’est pas unifiée et est divisée en
plusieurs Églises autocéphales (« autonomes ») ayant chacune leur
chef et leur hiérarchie.
Sous les traits des moines et des mystiques apparaissent deux formes
particulières d’expérience religieuse, en marge de l’Église sous ses formes les
plus traditionnelles, qui manifestent la même recherche de sainteté qu’avait pu
présenter, dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, le martyre («
témoignage ») des chrétiens persécutés.
Le monachisme
Certains chrétiens ont très tôt commencé à avoir une vie solitaire, dans les
déserts du Moyen-Orient et en particulier d’Égypte. Dès le IVe siècle il est fait
mention de ces pères des déserts d’Égypte. Lorsque les persécutions cessent,
la vie solitaire du moine apparaît comme une nouvelle forme de sainteté,
remplaçant le martyre. Leur vie est faite de solitude, d’ascèse contre les
passions, et de contemplation.
Certains vivent totalement solitaires, ermites (d’eremos : désert) et
anachorètes (« séparés »). Quelques-uns accentuent même leur isolement en
vivant dans le ciel, au sommet d’une colonne, dont ils ne descendent jamais :
on les nomme « stylites », comme saint Syméon l’Ancien.
D’autres vivent en groupe, mais à l’écart du monde : les cénobites (« vivant
en commun »).
Les plus célèbres sont saint Antoine (vers 230-356), le « père des moines »,
dont la vie fut écrite par saint Athanase, et saint Pacôme, le « père des
cénobites ». Saint Antoine, contre le christianisme intellectualisé des villes,
affirme le primat d’un christianisme des simples. Il entend suivre à la lettre le
précepte du Christ : « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu
possèdes, donne-le aux pauvres, viens et suis moi. » Il lutte contre les
tentations de la chair, qu’il se représente comme envoyées par le diable.
Le mysticisme
Prolongements
• Le combat de saint Antoine contre les tentations diaboliques est
représenté dans un célèbre tableau de Breughel, et dans la Tentation
de Saint Antoine de Flaubert (1874), qui s’en inspire.
• L'Extase de sainte Thérèse est une des plus célèbres statues du
Bernin (1644-1652, à Rome, église Sainte-Marie de la Victoire) et
l’une des manifestations les plus réussies de l’esprit baroque.
3. Philosophie
La raison et la foi
La question des rapports de la raison et de la foi est la plus cruciale, car elle
pose le problème de la possibilité de l’existence d’une philosophie
indépendante. Elle est aussi vieille que le christianisme, qui, dès ses débuts,
dès les Pères de l’Église, a cherché à savoir ce qu’il convenait de faire de
l’héritage de la philosophie païenne. Devait-il être totalement abandonné ou
réinterprété à la lumière des nouvelles croyances ? Le débat se poursuit au
Moyen Âge.
Pour les uns, comme saint Pierre Damien (1007-1072) la foi n’a que faire
de la philosophie. Il note que si la philosophie avait été nécessaire au salut,
Dieu aurait fait appel à des philosophes et non à des hommes simples pour
porter son message. La philosophie est même une invention du diable, comme
la grammaire. Reprenant une vieille image, Pierre Damien explique que si la
foi doit se servir de la philosophie, ce doit être comme l’Israélite qui, dans
l’Ancien Testament, ne peut épouser la captive qu’après lui avoir fait couper
cheveux et ongles. La philosophie doit accepter de « servir, de se soumettre
comme une servante à sa maîtresse » : c’est la formule fameuse « philosophia
ancilla theologiae ». En revanche, pour d’autres, comme saint Anselme
(1033-1109) la foi n’exclut pas la philosophie. La foi constitue bien un point
de départ, mais elle peut être complétée par la raison. Elle est « à la recherche
de la raison » (« fides quaerens intellectum »). Ou bien, selon une autre
formule d’Anselme, « je crois pour comprendre » (« credo ut intelligam »).
On est désormais loin du « credo quia absurdum » (« je crois parce que c’est
absurde ») de Tertullien.
L'exemple le plus célèbre de cet usage de la raison au service de la foi est
donné par Anselme dans son Proslogion, avec la fameuse preuve ontologique
de l’existence de Dieu, qui sera reprise par Descartes. Si l’on accepte la
définition de Dieu comme « quelque chose tel que rien de plus grand ne peut
être conçu », on prouve nécessairement son existence. En effet, même
l’insensé, qui ne croit pas, peut comprendre cette définition. Or, « ce qui est tel
que rien de plus grand ne peut être conçu ne peut exister seulement dans
l’intelligence », sinon on pourrait le concevoir comme existant aussi dans la
réalité, ce qui serait plus grand. Donc, Dieu existe. Le plus grand philosophe
du Moyen Âge, saint Thomas d’Aquin (1225-1274) va clarifier ces rapports
entre la raison et la foi. Il est l’auteur d’une Somme contre les gentils (« les
païens »), de commentaires sur les livres d’Aristote et surtout de la Somme
théologique (1267-1273), véritable encyclopédie du savoir philosophique et
religieux de son temps.
Pour ce grand lecteur d’Aristote, la raison a ses propres moyens d’accès à la
vérité. La connaissance empirique permet de remonter des créatures à Dieu,
mais en accordant une pleine réalité à ces créatures. Il parle de « raison
confirmée par la foi » (« ratio confortata fide »). Ainsi, l’existence de Dieu
peut se connaître par la foi, mais aussi par la raison. Thomas voit donc « cinq
voies », cinq preuves rationnelles de l’existence de Dieu. Par le mouvement, il
est nécessaire d’en venir à un premier moteur immobile. Par la cause
efficiente, il est nécessaire de poser une première cause efficiente. Par le
possible et le nécessaire, il faut un être nécessaire par lui-même. Par des
degrés dans les choses, il y a un être qui est souverainement être, Dieu. Par le
gouvernement des choses, il existe un être intelligent par lequel toutes les
choses de la nature sont ordonnées à une fin.
Héloïse et Abélard Abélard, très brillant logicien et philosophe, enthousiasme les foules
d’étudiants, lors de ses disputes avec Guillaume de Champeaux. Il soutient des thèses
nominalistes radicales dans la querelle des universaux : pour lui les genres sont de simples
signes, des « bruits de voix ». Dans le Sic et Non (Oui et non, 1122), il montre que les
contradictions des Pères de l’Église ne peuvent être résolues que par le raisonnement
dialectique, c’est-à-dire rationnel. Au faîte de la gloire, il s’établit sur la Montagne Sainte-
Geneviève pour donner ses cours. Il séduit la jeune Héloïse, nièce d’un confrère, le chanoine
Fulbert. Tous deux sont en fait très amoureux. Elle tombe enceinte et accouche d’un fils,
Astrolabe. Mais il répugne à l’épouser, alors qu’il aurait pu le faire, n’étant pas clerc mais
tonsuré, car il craint que sa carrière intellectuelle n’en souffre. Le mariage est néanmoins
célébré mais reste secret. Pour continuer sa carrière, il fait entrer Héloïse au couvent et
refuse de reconnaître qu’il a donné réparation à l’oncle outragé. Celui-ci, croyant que le
mariage est rompu, organise la mutilation célèbre, qui fait scandale. Abélard va cacher sa
honte d’être eunuque à l’abbaye de Saint-Denis. Néanmoins ses disciples l’assiègent pour
qu’il reprenne ses cours. Persécuté par saint Bernard de Clairvaux, hostile à cette figure
d’intellectuel, il songe à s’enfuir à l’Est chez les païens. À la fin de sa vie il écrit un
Dialogue entre un Juif, un philosophe et un chrétien, où il montre l’unité des religions
monothéistes et déclare sa volonté de les comparer « de façon à choisir les meilleures ». Ses
ouvrages sont condamnés par le pape et il finit ses jours à Cluny. Il raconte sa vie dans un
ouvrage intitulé Historia calamitatum (Histoire de mes malheurs).
Prolongements
• Thomas d’Aquin fut qualifié par l’Église de « docteur angélique ».
Sa doctrine constitue la philosophie officielle de l’Église
catholique.
• Un auteur comme Descartes prétend rompre radicalement avec tout
l’édifice de la scolastique. Il en est cependant beaucoup plus
dépendant qu’il ne veut bien le reconnaître.
• Pendant toute une période les auteurs rationalistes nient qu’il existe
une philosophie médiévale, « tout étant à l’époque théologie »,
selon la formule du philosophe Bertrand Russell.
• Aujourd’hui logiciens et linguistes redécouvrent le Moyen Âge, en
particulier dans le domaine de la sémantique et de la logique
modale.
3.2 Universités
Prolongements
• L'université médiévale restera le modèle des universités modernes
jusqu’à ce qu’elle soit détrônée dans ce rôle par l’université
allemande du XIXe siècle et son idéal, formulé par le philosophe
Humboldt, de « formation par la science », indépendamment de
toute considération utilitaire.
• Le sociologue Émile Durkheim voyait dans l’origine chrétienne de
l’université la marque de ce qu’elle devait rester : un « organe
international de la vie intellectuelle » indépendant des contingences
nationales.
4. Littérature
La chanson de geste
Le premier genre littéraire qui ne soit plus chanté mais lu, à voix haute bien
sûr, est le roman. « Roman » car écrit en langue vulgaire. Les premiers romans
français portent sur des sujets de l’Antiquité gréco-romaine, comme le Roman
d’Alexandre ou le Roman de Thèbes : c’est ce que l’on appelle la « matière
antique ». D’autres portent sur les contes bretons, situés au temps d’Arthur de
Bretagne, chef breton transformé en roi légendaire de la Grande-Bretagne du
VIe siècle. C'est la « matière de Bretagne », avec en particulier le cycle
arthurien et la quête du Graal. Le cycle arthurien raconte les aventures des
douze chevaliers de la table ronde, ces compagnons du roi Arthur qui siègent
avec lui à égalité autour d’une table ronde, et vont chacun à leur tour à la
quête du Graal, atteint seulement par Perceval et accompli par Galaad.
Ce Graal est une coupe mystérieuse promenée en cortège dans le château du
roi Pêcheur avec une lance qui saigne. Mais Perceval ne sait pas poser les
questions qu’il faudrait. Il sera par la suite proposé des lectures gnostiques de
ce Graal, qui deviendra la coupe où aurait été recueilli le sang du Christ, par
Joseph d’Arimathie, ancêtre du roi Pêcheur.
Le principal auteur de ce cycle est Chrétien de Troyes, le plus grand
romancier du Moyen Âge, qui écrit entre 1160 et 1180. Il est en particulier
l’auteur du Conte du Graal, connu aussi sous le nom de Perceval le Gallois,
resté inachevé, et qui sera à l’origine de toute une série de suites.
Ces romans arthuriens sont des aventures merveilleuses comme les
chansons de geste mais où la psychologie des personnages occupe une plus
grande place. D’autre part ils sont plongés dans le monde fantastique de la
Bretagne païenne, peuplée de loups-garous, de sangliers magiques, de
chevaux et de chevaliers verts. Féeries et sortilèges menacent toujours le
preux chevalier chrétien. Dans cet univers celte, le monde réel et le monde
fantastique ne cessent de communiquer.
Ils manifestent également la naissance du sentiment de l’honneur et de
l’esprit chevaleresque. De preux chevaliers errants volent au secours de la «
pucelle déconseillée », de la jeune fille ou de la femme en danger. Ainsi
Lancelot reprend la reine Guenièvre, femme d’Arthur, à Méléagant, qui
l’emmenait au pays « d’où l’on ne revient pas ».
Prolongements
• Le Roman de la Rose est à l’origine du roman précieux au XVIIe
siècle, de d’Urfé ou de Mademoiselle de Scudéry.
• La satire la plus célèbre des romans de chevalerie, de la matière
bretonne en particulier, sera donnée par Cervantès dans Don
Quichotte (1605-1615) qui conservera le souvenir de ces
romans dans la littérature européenne.
• Le Roman de Renart inspirera les Fables de la Fontaine.
• Villon sera le seul poète du Moyen Âge à être sauvé par Boileau
, et sera célébré comme un grand poète par les romantiques.
La Vita nuova (qui ne veut pas dire seulement « jeunesse », comme dans le
langage courant de l’époque, mais « vie nouvelle ») fait le récit des amours
impossibles de Dante pour Béatrice Portinari. Rédigé après la mort de
Béatrice, en partie inspiré par la tradition de l’amour courtois et des
spéculations mystiques sur les nombres, ce poème fait l’éloge du renoncement
amoureux comme source de poésie.
Dante raconte avoir pour la première fois rencontré Béatrice alors qu’ils
avaient tous deux neuf ans, puis, neuf ans plus tard, elle le rencontre à
nouveau et le salue d’une manière exquise. Il lui fait alors sa cour mais,
comme le veut la tradition courtoise, en faisant mine d’adresser ses poèmes
d’amour à d’autres. Il le fait si bien que Béatrice croit qu’il l’a trahie et ne le
salue plus. Il perd tout espoir de voir son amour satisfait. Dante comprend
alors que l’essentiel sera désormais la transfiguration poétique de cet amour. Il
se contentera de « ce qui ne peut venir à lui manquer », la célébration de
Béatrice, « la très gentille ». C'est ainsi que cet amour sera préservé dans son
authenticité.
Dante crée alors ce qu’il appellera lui-même dans la Divine Comédie le «
dolce stil nuovo » (« le doux style nouveau »), qui serait écrit sous la dictée de
l’amour.
Ce qui a quelquefois été appelé le masochisme de Dante, son renoncement
volontaire à la possession de la femme aimée, la délectation de la souffrance
sont peut-être un des traits de l’âme italienne, qui se complaît à la séparation
de l’homme et de la femme et aux amours malheureuses.
La Divine comédie
Premier à écrire une grande œuvre en langue vulgaire (le toscan) et non en
latin, Dante est considéré comme le père de la langue italienne, qu’il enrichit
d’ailleurs de nombreux néologismes dans la Divine Comédie. Il se justifie de
cet usage de la langue vulgaire dans son traité inachevé De l’éloquence
vulgaire, qui est paradoxalement écrit en latin. Le fait que cette langue soit «
non stable et corruptible », à la différence du latin, n’est pas pour lui un
handicap, c’est au contraire le signe qu’elle est plus proche de la vie et du
Dieu créateur.
Quant à la Divine Comédie, son ampleur épique, la puissance de ses
évocations, quasi hallucinées, son mélange réussi de foi chrétienne et
d’héritage de l’Antiquité en feront la plus grande œuvre de la littérature
italienne.
Le théoricien de la monarchie
Prolongements
• Marsile de Padoue dans son Défenseur de la paix (1324) reprend les
idées de Dante sur la nécessaire suprématie temporelle de
l’empereur.
• Longtemps oubliée en France l’œuvre de Dante sera redécouverte au
XVIIIe siècle, en particulier grâce à la traduction de Rivarol . Louis
XVI, la veille de son exécution, aurait demandé le Paradis à son
gardien.
• Balzac emprunte le titre de la Comédie humaine à Dante, et il
apparaît dans sa nouvelle Les Proscrits.
• En Italie Dante fut également longtemps oublié et ne fut redécouvert
qu'au XIXe siècle, pendant le Risorgimento.
• Shelley voit en Dante « le premier éveilleur d’une Europe tombée en
extase », « le rassembleur de ces grands esprits qui présidèrent à la
résurrection du savoir. »
5. Arts
L'art roman
Architecture
Le décor roman
L'art gothique
La cathédrale
La sculpture gothique
Prolongements
• L'âge classique n’appréciera guère l’art gothique. Ainsi Molière
déplore le « fade goût des ornements gothiques ».
• Chateaubriand, dans le Génie du christianisme (1802), compare
l’architecture gothique à la forêt : « Ces voûtes ciselées en
feuillage… La fraîcheur des voûtes, les ténèbres du sanctuaire…,
tout retrace les labyrinthes des bois dans les églises gothiques, tout
en fait sentir la religieuse horreur, les mystères de la divinité ».
• Michelet voit « le souffle de l’esprit » à l’œuvre dans les cathédrales,
mais en même temps il les sent « maladives » : elles ne tiennent que
grâce à « cette armée d’arcs-boutants, ces énormes contreforts, cet
éternel échafaudage qui semble oublié du maçon ».
• L'écrivain Prosper Mérimée, inspecteur général des monuments
historiques en 1833 et l’architecte Viollet-le-Duc joueront un rôle
important dans la protection du patrimoine médiéval. Viollet-le-
Duc démontre que l’architecture gothique est une « architecture
rationnelle », qu’il a tendance à dégager, peut-être à l’excès, de ses
ornementations.
• Dans La Colline inspirée (1913) Maurice Barrès fait de Vézelay en
Bourgogne l’un de ces « lieux où souffle l’esprit ». Il publia en
1914 La Grande Pitié des églises de France pour défendre ces
églises, qui incarnent l’âme française, et sont menacées par
l’indifférence ou l’anticléricalisme de son temps.
• Rodin associe également la France à ses cathédrales : « Le pays ne
peut pas périr tant que les cathédrales sont là. Ce sont nos muses, ce
sont nos mères. »
6. Sciences
Prolongements
• Les interrogations des philosophes arabes, comme Averroès , sur l’«
intellect agent », c’est-à-dire la partie la plus haute de l’âme selon
Aristote , seront au cœur de la philosophie du Moyen Âge tardif.
• Ernest Renan soutint en 1852 une thèse sur Averroès et l’averroïsme,
où il estime que son œuvre résume l’ensemble de la philosophie
arabe au moment de son déclin.
• Aujourd’hui on insiste sur la coexistence des religions, catholique,
juive et musulmane, qui aurait caractérisé l’Espagne islamique au
Moyen Âge, par exemple dans une ville comme Tolède. Il convient
cependant de ne pas exagérer le caractère idyllique de cette
tolérance mutuelle.
Partie 4
1. Histoire _________
Réforme et politique
La dilatation du monde
Durant ces trois siècles l’Europe occidentale vit se succéder trois puissances
dominantes. Forte des richesses de l’immense empire colonial délimité par le
traité de Tordesillas, l’Espagne fut la principale puissance au début de
l’époque moderne. Elle fut un voisin menaçant pour la France car durant la
première moitié du XVIe siècle, Charles Ier d’Espagne était aussi Empereur du
Saint-Empire sous le nom de Charles-Quint. Cette puissance espagnole servit
largement la cause catholique. L'Espagne attaqua les Turcs en Afrique du
Nord, où elle acquit des points d’appui, et en Méditerranée, où elle remporta
la bataille de Lépante. Elle prétendit aussi s’immiscer dans les affaires
françaises au moment le plus grave des guerres de religion. Enfin, elle lança
contre l’Angleterre l’Invincible Armada, qui fut un échec. Parce qu’elle était
la plus menacée, mais aussi parce que sa propre puissance lui permettait de
relever le défi, la France se trouva longtemps, directement ou indirectement,
en guerre contre l’Espagne et l’Empire. Au grand dam du camp catholique, le
très chrétien roi de France n’hésita pas à s’allier aux princes protestants
d’Allemagne et même au Sultan pour prendre les Impériaux à revers.
Avec le XVIIe siècle la prépondérance revint à la France. La couronne
d’Espagne ne sut pas surmonter les faiblesses dues à l’absence d’unité du
royaume et ne sut ni retenir ni utiliser sur son propre sol la fortune tirée des
Amériques. Le traité de Westphalie, qui mit fin à la guerre de trente ans,
débarrassa la France du danger de voir apparaître, sur sa frontière orientale,
une Allemagne unie et de ce fait menaçante. Cette « prépondérance française
», qui correspond au règne de Louis XIV, permit à la France de constituer son
pré carré mis en défense par Vauban, mais au prix de nombreuses guerres.
Au XVIIIe siècle l’Angleterre disputa à la France nombre de positions : en
particulier, elle enleva aux Français une partie de leurs possessions coloniales.
Cette rivalité ne fut pas pour rien dans la faillite financière de la monarchie
française, faillite qui accula le Roi à convoquer les États Généraux.
Ces redistributions de puissance se réalisèrent dans un continent qui, en
trois siècles, avait profondément changé. Les pays s’étaient très sensiblement
urbanisés, surtout au XVIIIe siècle. L'artisanat hérité de l’époque médiévale
était au XVIIIe siècle en passe de devoir affronter la première révolution
industrielle. Dans l’ordre religieux, non seulement l’Église n’avait pas réunifié
la chrétienté, mais elle devait faire face aux attaques de la philosophie des
Lumières. À l’est de l’Europe occidentale ces trois siècles avaient vu s’opérer,
dans ces États qu’on qualifie le plus souvent de secondaires, d’autres
transformations. Mise à l’école de l’Occident par Pierre le Grand, la Russie
restait un État despotique mais devenait un acteur du jeu européen. Héritière
de l’ordre des chevaliers teutoniques la Prusse se posait également en
partenaire avec qui il faudrait compter. Associés à l’Autriche ces deux pays
avaient, à la fin du XVIIIe siècle, fait disparaître la Pologne de la carte de
l’Europe.
Prolongements
• Depuis les conquêtes espagnoles, l’Amérique est synonyme de
richesse, sans même faire précisément référence au Pérou.
Aujourd’hui encore dans l’Espagne du Nord-Ouest, de Béhobie à
Vigo, s’étendent les grandes propriétés des « indianos », partis faire
fortune en Amérique et revenus s’installer richement au pays.
• Bien avant la Révolution ou l’Empire, la politique conquérante de
Louis XIV explique que certains étrangers n’aient pas forcément de
la France l’image la plus flatteuse et parlent spontanément de «
l’arrogance française » lorsque la politique française leur déplaît.
• De la lutte pour l’hégémonie entre France et Grande-Bretagne il
reste, encore bien vivant, le problème posé par le Québec qui
entend envers et contre tout maintenir son identité francophone.
• Le basculement de la Méditerranée sur la Manche du centre de
gravité économique de l’Europe n’a pas été remis en question : il
faut simplement aujourd’hui classer l’Atlantique Nord dans cet
ensemble des « mers étroites ».
2. Religions
Historique
En crise au XVIe siècle, l’Église catholique est critiquée pour son oubli des
valeurs évangéliques et sa vénalité. La papauté semble ne plus être qu’un
pouvoir temporel, dont l’autorité est de plus en plus mal supportée à une
époque de naissance du sentiment national. Certains souverains acceptent de
moins en moins la domination de Rome.
La Contre-Réforme
3. La prédestination
La redécouverte de l’Antiquité
Humanités et humanisme
De la Renaissance à la Réforme
TERMINOLOGIE • Machiavel est l'un des très rares auteurs qui ait donné
son nom à une altitude fortement dépréciée, « machiavélisme » désignant
l’attitude de celui qui utilise la ruse, la mauvaise foi pour parvenir à ses fins.
Un diplomate à Florence
Après avoir occupé des fonctions relativement importantes dans la
diplomatie de la république de Florence, Nicolas Machiavel (1469-1527) en
est chassé lorsque les Médicis reviennent au pouvoir en 1512. Il est
emprisonné, puis condamné à l’exil. Désireux de servir Florence, il s’efforce
de se faire engager par les Médicis comme conseiller, mais n’y parvient qu’en
1525. Il est surtout connu aujourd’hui comme l’auteur du Prince (1513), mais
il est aussi l’auteur d’importants Discours sur la première décade de Tite-Live
(1513-1519), qui exposent son idéologie républicaine. Il écrivit également une
Histoire de Florence, un Art de la guerre et des œuvres littéraires comme la
Mandragore.
Le « Galilée de la politique »
Du Bellay, Ronsard et la Pléiade Quelques années après Rabelais, qui a encore des
sonorités médiévales, les poètes de la Pléiade ont manifesté leur volonté de créer de toutes
pièces une poésie en langue française.
Joachim Du Bellay (1522-1560) écrivit en 1549 une Défense et illustration de la langue
française. Il rencontre Ronsard (1524-1585) avec qui il réunit un groupe de jeunes poètes
qui se fait appeler d’abord la Brigade, puis en 1556 la Pléiade, du nom d’une constellation de
sept étoiles dont s’étaient parés des poètes alexandrins. Autour de Ronsard et du Bellay sont
réunis de Baïf, Pontus de Tyard, Jodelle, la Pérusse et des Autels. Leur idée est de produire
en français une grande poésie qui soit un art à part entière à l’égal de la poésie ancienne
grecque et latine, et qui ne soit pas un art de commande. Ils rejettent les formes poétiques
françaises, mais acceptent en revanche d’introduire le sonnet italien inspiré de Pétrarque.
Leurs modèles anciens sont Pindare ou Horace. Du Bellay exprime sa nostalgie de son pays
lors de son séjour en Italie, à la manière des Tristes d’Ovide dans ses Regrets. Il y chante la «
France, mère des arts, des armes et des lois » ou, dans un sonnet célèbre et plus intimiste,
son village :
Michel Eyquem de Montaigne fut élevé par son père selon les principes
d’Érasme, et le latin lui fut enseigné comme une langue vivante. Il fit ensuite
des études au très réputé collège de Guyenne à Bordeaux et des études de
droit. Il reprend la charge de magistrat de son père à la Cour des Aides de
Périgueux puis travaille au parlement de Bordeaux. C’est là qu’il rencontre La
Boétie, auteur du traité De la servitude volontaire, publié en 1574, dont
l’amitié sera d’autant plus déterminante que La Boétie meurt précocement en
1563. Montaigne s’attachera à publier ses œuvres et à conserver son souvenir.
À partir de 1563, il se retire sur ses terres, dans la bibliothèque de son
château et, après la mort de son père, en 1568, il rend sa charge de conseiller.
En 1569, pour répondre à un souhait de son père, il édite la Théologie
naturelle de Raymond Sebond, un théologien catalan du XVe siècle.
Il voyage en France et en Europe et en fait le récit dans un Journal de
voyage en Italie par la Suisse et l’Allemagne, qui sera publié après sa mort.
C'est en 1572 qu'il commence la rédaction des Essais, pour soigner son «
humeur mélancolique ». Les deux premiers livres sont publiés en 1580, le
troisième en 1588. Il est élu maire de Bordeaux en 1581 et réélu en 1583, en
pleine guerres de religion. Lorsque la peste s’y déclare en 1585, il reste
éloigné de Bordeaux.
Une édition posthume enrichie des Essais est publiée par les soins de son
amie Mademoiselle de Gournay en 1595.
Prolongements
• Pierre Charron présente sous forme systématique et rigide la
doctrine de Montaigne dans ses Trois livres de la sagesse (1601) et
radicalise maladroitement son scepticisme en remplaçant la formule
« que sais-je ? » par la formule « je ne sais ».
• Pascal, dans son Entretien avec M. de Sacy sur Épictète et
Montaigne, critique « le sot projet » que Montaigne « a de se
peindre ». Pour Pascal « le moi est haïssable ». Il voit dans
Montaigne un exemple de la « misère » de l’homme, et dans
Épictète un exemple de son « orgueil ».
• Montaigne eut un grand succès en Angleterre. Bacon est le premier à
reprendre le titre d’Essais en 1597. Shakespeare reprend un passage
des « Cannibales » dans la Tempête.
• Voltaire répond à Pascal en parlant du charmant projet qu’a eu
Montaigne de se peindre naïvement, comme il l’a fait ; car il a peint
la nature humaine.
• Élie Faure écrit en 1926 un livre sur Montaigne et ses trois premiers-
nés, Shakespeare, Cervantès, Pascal, où il souligne l’influence de
Montaigne sur ces trois auteurs qui l’ont suivi de peu.
• La photographie officielle de François Mitterrand , président de la
République française de 1981 à 1995, le représente devant une
bibliothèque, les Essais de Montaigne ouverts à la main.
Il s’agit d’une satire des romans de chevalerie, très populaires de son temps
dans toute l’Europe, et plus précisément de l’Amadis de Gaule, dans sa
version espagnole, dont le héros est le chevalier parfait, à la manière de
Lancelot. Cervantès s’amuse à faire se heurter le monde chevaleresque des
romans et le monde trivial de la vie quotidienne. Son héros, un petit
propriétaire terrien, l’hidalgo don Alonso Quixano, ayant abusé des lectures
de romans de chevalerie, en devient fou et ne vit plus que dans ses rêves, dont
rien ne peut le distraire.
Ayant ressorti l’armure d’un ancêtre, donné le nom de Rossinante à son
piteux cheval et choisi son propre nom de chevalier, Don Quichotte de la
Manche, il part à l’aventure en trois sorties, comme faisaient les héros de
chevalerie, dédiant ses aventures à Dulcinée, son amoureuse imaginaire.
Dans sa première sortie, il se rend dans une auberge qu’il prend pour un
château et se fait adouber chevalier par le patron de l’auberge. Puis il fait une
seconde sortie et part au hasard avec Sancho Pança, paysan du village qu’il
choisit comme écuyer. Il charge des moulins à vent qu’il prend pour des
géants à combattre, attaque deux moines bénédictins qu’il croit être des
enchanteurs, ou fait s’évader une chaîne de forçats, fidèle à son objectif de «
secourir les malheureux ». Le curé et le barbier qui ont essayé de guérir leur
ami en brûlant ses livres vont ensuite se servir des méthodes des romans de
chevalerie pour lui faire comprendre qu’il a été victime d’un enchantement et
le faire retourner à la maison.
Dans la deuxième partie du livre, Don Quichotte fait une troisième sortie
pour retrouver sa Dulcinée. Lorsque Sancho Pança lui montre qu’il s’agit
d’une paysanne quelconque, il suppose qu’elle a été victime d’un maléfice. Il
est moqué par un monde sans cœur, par exemple dans le château dont il est
l’hôte. Il est finalement vaincu par le bachelier Carrasco, qui avait lu la
première partie du livre, et le contraint par serment à rentrer chez lui et à
abandonner ses rêves. Don Quichotte meurt désillusionné.
Peu d’éléments de sa vie nous sont connus, hormis qu’il vécut d’abord à
Stratford-on-Avon, il se maria en 1582, puis quitta Stratford en 1585. On
retrouve sa trace à Londres en 1592. Il y fut d’abord comédien avant d’être
auteur dramatique. Il fait partie de la troupe royale qui possède son propre
théâtre, inauguré en 1599, « Le Globe », qui peut accueillir trois mille
spectateurs. Par la suite il achètera un théâtre privé. En 1612 il choisit de
retourner à Stratford où il meurt en 1616.
On ne dispose que de peu de renseignements sur la vie de Shakespeare, ce
qui a donné lieu aux suppositions les plus fantastiques, son existence étant
même quelquefois mise en cause. Il a également été prétendu qu’il n’était que
le prête-nom de Francis Bacon. En fait il n’existe pas beaucoup plus
d’informations sur les autres auteurs de l’époque. L'énigme de Shakespeare
tient au contraste entre sa vie, modeste, et son œuvre, extraordinaire et à tous
points de vue très bien informée.
Le théâtre élisabéthain
Outre ses poèmes, il nous reste trente-six pièces de Shakespeare. Les dates
en sont assez incertaines, mais il est possible de les réunir par genre. Dans
toutes ces pièces les sujets sont empruntés à des auteurs antérieurs, anglais ou
étrangers, mais ils sont profondément remaniés.
Il composa d’abord, dans le goût de l’époque, toute une série de pièces
historiques. D’abord Henri VI qui aurait été représentée en 1591, puis Richard
III en 1593, Richard II en 1595, Henri IV en 1596-1597, enfin Henri V en
1599. Ces pièces peuvent soit exalter le sentiment national anglais contre les
Écossais, Irlandais ou Français, comme Henri V, soit faire le récit de la
jeunesse tumultueuse du prince de Galles en compagnie du personnage
comique de Falstaff dans Henri IV. D’autres pièces mettent en scène des
personnages complexes : Richard II est un roi faible mais inspiré qui annonce
Hamlet, Richard III est un personnage machiavélique, hanté par les ombres de
ses victimes, mais qui ne manque pas de grandeur.
Les comédies
Les tragédies
Après avoir à ses débuts écrit une pièce ultra-violente dans le style de
l’époque, avec meurtres, viols et amputations, Titus Andronicus, Shakespeare
rédige en 1595 Roméo et Juliette, fameuse histoire d’amour impossible entre
Capulets et Montaigus à Vérone. C'est après 1600 qu'il écrit ses plus grandes
tragédies, qui s'assombrissent progressivement.
Outre des tragédies antiques comme Antoine et Cléopâtre, Coriolan, Timon
d’Athènes, c’est l’époque de ses plus grands chefs-d’œuvre : Jules César en
1599, Hamlet en 1601, Othello en 1604, Macbeth en 1606 et le Roi Lear vers
1606.
• Dans Hamlet, le héros devrait venger son père, le roi du Danemark,
en tuant son assassin, Claudius, qui a en outre épousé sa mère sans
attendre. Malgré la rencontre du spectre de son père, Hamlet hésite,
recule, craint de se tromper et se fait passer pour fou. Il fait jouer
une pièce de théâtre reproduisant les circonstances de l’assassinat
de son père pour démasquer Claudius. Convaincu de sa culpabilité,
Hamlet tue par erreur le père de celle qu’il aime, la douce Ophélie,
qui devient folle et se noie. Le frère d’Ophélie et Hamlet s’entre-
tuent, mais Hamlet a le temps de tuer Claudius avant de mourir. Sa
mère boit le poison préparé par Claudius pour Hamlet. Tout se
termine dans le sang. Il y avait effectivement « quelque chose de
pourri dans le royaume de Danemark ».
Hamlet est totalement égaré par le meurtre de son père. Il ne veut plus
croire à rien : « Quel chef-d'œuvre que l'homme !... C'est la
merveille du monde ! L'animal idéal ! Et pourtant qu’est à mes
yeux cette quintessence de poussière ? L'homme n'a pas de charme
pour moi. » Pourtant Hamlet n'est pas assez résolu pour décider de
remettre de l’ordre dans le monde qui l’entoure.
• Othello met en scène la folie que peut être la jalousie. Othello, le
Maure vénitien qui combat les Turcs à Chypre vient d’épouser
Desdémone qui est la pureté même. Mais Iago, son second,
méchanceté incarnée, lui fait croire à son infidélité. Othello, fou de
jalousie, étouffe Desdémone puis, comprenant la machination de
Iago, se tue.
• Avec Macbeth Shakespeare bascule dans l’horreur absolue,
l’angoisse et la nuit. Macbeth, tenté par une prophétie, mais aussi
poussé par sa femme, s’enfonce dans le crime et en « oublie le goût
de la peur ». Ainsi il tue son fidèle ami Banquo, dont il voit le
spectre revenir. Lady Macbeth ne peut effacer le sang de ses mains.
La conclusion en est célèbre : « La vie n’est qu’une ombre qui
passe », une « fable racontée par un idiot, fable pleine de bruit et de
colère, et qui ne signifie rien ».
• Le Roi Lear donne une dimension cosmique au désordre et au crime.
Lear se trompe et préfère ses deux filles criminelles Regan et
Goneril à sa fille aimante Cordélia. Il abdique à leur profit. Elles se
déchirent et contraignent Lear à l’errance, sur la lande, avec son
bouffon. Il perd la raison, est renversé par la tempête. Cordélia
vient lui porter secours avec l’armée du roi de France qu’elle a
épousé. Mais elle meurt sous les yeux de Lear qui retrouve sa
lucidité. Ni la vertu, ni la vieillesse ne sont épargnées.
• La Tempête écrite en 1611, pièce de beaucoup plus sereine a souvent
été perçue comme une sorte de testament de Shakespeare. C’est une
féerie : Prospero, détrôné par son frère Antonio, échoue sur une île
déserte avec sa fille Miranda. Grâce à ses talents de magicien, il
s’attache les services d’un esprit, Ariel, et de Caliban, moitié
homme, moitié animal. Au cours d’une tempête provoquée par
Prospero, Antonio échoue sur l’île. Miranda trouve un mari,
Antonio et Prospero se réconcilient. Prospero renonce à la magie et
retourne parmi les humains, laissant l’île à Caliban. La conclusion
est optimiste : Miranda, lorsqu’elle voit les premiers humains
s’exclame : « Comme l’humanité est belle ! Ô monde splendide et
neuf qui contient de pareils habitants ! »
La tirade d’Hamlet « Être, ou ne pas être, c'est là la question. Y a-t-il
plus de noblesse d’âme à subir la fronde et les flèches de la fortune
outrageante, ou bien à s'armer contre une mer de douleurs et à
l'arrêter par une révolte ? Mourir, dormir, rien de plus ; et dire que
par ce sommeil nous mettons fin aux maux du cœur et aux mille
tortures naturelles qui sont le legs de la chair ; c’est là un
dénouement qu’on doit souhaiter avec ferveur. Mourir, dormir,
dormir ! Peut-être rêver ! Oui, là est l’embarras. Car quels rêves
peut-il nous venir dans ce sommeil de la mort, quand nous sommes
débarrassés de l’étreinte de cette vie ? Voilà qui doit nous arrêter.
C’est cette réflexion-là qui nous vaut la calamité d’une si longue
existence. Qui, en effet, voudrait supporter les flagellations et les
dédains du monde, l’injure de l’oppresseur, l’humiliation de la
pauvreté, les angoisses de l’amour méprisé, les lenteurs de la loi,
l’insolence du pouvoir, et les rebuffades que le mérite résigné reçoit
d’hommes indignes, s’il pouvait en être quitte avec un simple
poinçon ? Qui voudrait porter ces fardeaux, grogner et suer sous
une vie accablante, si la crainte de quelque chose après la mort, de
cette région inexplorée, d’où nul voyageur ne revient, ne trouvait la
volonté, et ne nous faisait supporter les maux que nous avons par
peur de nous lancer dans ceux que nous ne connaissons pas ? Ainsi
la conscience fait de nous tous des lâches ; ainsi les couleurs
natives de la résolution blêmissent sous les pâles reflets de la
pensée ; ainsi les entreprises les plus énergiques et les plus
importantes, se détournent de leur cours, à cette idée, et perdent le
nom d’action. »
(Hamlet, acte III, scène I)
Prolongements
• Voltaire qui contribue à l’introduire en France, parle néanmoins à
propos de Shakespeare de « perles dans le fumier ».
• La découverte de Shakespeare sur le continent va être pour beaucoup
dans la naissance du mouvement romantique. Schlegel écrit de
Macbeth : « Depuis l’Orestie d’Eschyle la poésie tragique n’avait
rien produit de plus grand, ni de plus terrible ». Dans Racine et
Shakespeare (1823) Stendhal explique qu’il faut préférer
Shakespeare et sa poésie simple et passionnée à la froideur de
Racine. En 1829 Vigny reprend un sujet Shakespearien dans son
Othello.
• Victor Hugo, qui fera traduire les œuvres de Shakespeare par son fils
compare Shakespeare et Dante dans son William Shakespeare
(1864) : « Shakespeare est frère de Dante. L'un complète l’autre.
Dante incarne tout le surnaturalisme, Shakespeare incarne toute la
nature. »
• Dans ses Drames philosophiques (1878-1880), Ernest Renan voit
dans Prospero l’incarnation de l’aristocratie, dans Caliban celle du
peuple.
• L'autréamont est plus poétique : « Chaque fois que j’ai lu
Shakespeare , il m’a semblé que je déchiquetais la cervelle d’un
jaguar. »
5. Arts
Giotto et la pré-renaissance
Artistes et théoriciens
Artistes et philosophes
Léonard de Vinci
Le plus âgé des trois, Léonard de Vinci (1452-1519), appartient encore pour
partie au Quattrocento, mais annonce déjà les grandes œuvres du Quintecento.
Il fut, comme le Pérugin, l’élève du peintre et sculpteur Verrocchio. Il
travaille à Florence et à Milan, à la cour de Ludovic Sforza, puis est appelé
par François Ier en France où il meurt en 1516.
Un des aspects les plus étonnants de sa personnalité est sa curiosité
encyclopédique, qui ne se limite absolument pas au domaine artistique. «
N’apercevez-vous pas la variété des animaux, les nombreuses espèces
d’arbres, d’herbes, de fleurs, la diversité entre les monts et les plaines, les
sources, les rivières, les villes, l’image mobile des costumes, des joyaux et des
arts ? » La science est pour lui sur le même plan que la peinture. Il préfère
même se présenter comme technicien et inventeur de machines que comme
peintre et d’ailleurs, à la fin de sa vie, il fut « premier peintre, architecte et
mécanicien du roi François Ier ».
Ce qu’il désire, c’est tout voir par lui-même et en comprendre la structure à
travers ses croquis et dessins. Sa vision de la nature est une vision de
mécanicien, qui veut comprendre les raisons de ses mouvements, avec une «
rigueur obstinée », selon sa devise. Il pratique ainsi la dissection et fait de très
nombreux dessins anatomiques. Il s’intéresse aux nuages comme aux
machines volantes. Dans la mesure où il permet de rendre rapidement compte
de la réalité, le dessin est un des arts de prédilection de Léonard, plus encore
que la peinture.
Pour ce qui est de la peinture, dont il fait la théorie dans son Traité de la
peinture, son œuvre est beaucoup plus limitée. Il nous reste très peu de
tableaux de lui, et encore moins de tableaux en état. D’une part, parce qu’il fit
de nombreuses expériences sur les pigments de sa peinture qui n’ont pas
toujours été réussies, d’autre part, parce que beaucoup de ses tableaux sont
inachevés, comme s’il n’avait pas été intéressé par la phase finale de leur
réalisation. Ce qu’il aime c’est dessiner les mouvements, esquisser la
composition du tableau et non le finir.
Deux de ses œuvres sont particulièrement célèbres. La fresque
endommagée représentant La Cène au monastère Sainte-Marie-des-Grâces à
Milan ; très habilement adaptée à la salle qu’elle orne, elle est particulièrement
originale par son mouvement. Léonard a voulu saisir les réactions de ses
disciples au moment où le Christ vient de leur dire : « L’un de vous me trahira
». À la différence des représentations traditionnelles, Judas y est sorti de son
isolement. Les apôtres sont réunis par groupe de trois. La table, trop petite,
permet d’accroître l’effet d’animation des apôtres qui contraste avec
l’immobilité et le calme imperturbable du Christ.
Quant à Mona Lisa, la Joconde, elle est l’illustration la plus réussie de la
technique du « sfumato » que Léonard a inventée. Il s’agit de réaliser des
contours enveloppés par une sorte de brume, comme celle qui se dégage de la
terre et du ciel au matin. Le caractère énigmatique du sourire de Mona Lisa est
produit par les plis au coin de ses lèvres et son regard voilé, « humide ». La
dissymétrie de l’arrière-plan du tableau accroît son côté vivant.
Il reste également de lui une Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne, où la
Vierge a une attitude particulièrement gracieuse, malgré le caractère
improbable de sa position. Sa Vierge aux rochers, dans un étrange cadre de
grotte, rend parfaitement le modelé de la chair et la beauté des visages.
L'œuvre de Léonard sera toujours présente à l’esprit de ses deux
successeurs immédiats. Une représentation courante mais relativement juste
de son héritage voudrait que Raphaël ait recueilli son sens de la beauté, et
Michel-Ange son sens du mouvement et du monumental.
Raphaël mourut très jeune, à trente-sept ans, mais eut le temps de composer
une œuvre immense et éblouissante. Plus encore que Léonard et Michel-Ange,
il est longtemps passé pour l’artiste classique par excellence, unissant la
beauté de Léonard et l’art de la composition de Michel-Ange.
Raphaël venait d’Urbino en Ombrie, où se poursuivait l’influence de l’école
sienoise. Son maître y fut Perugino, le Pérugin. Déjà connu, il arrive à
Florence où brillaient Léonard et Michel-Ange : c’est l’époque où il peint
toute une série de vierges célèbres, comme La Madone du Grand Duc ou La
Belle Jardinière. Il sait dans ces tableaux reprendre la beauté angélique des
figures du Pérugin, en les associant à un grand art de la composition. Il est
ensuite appelé à Rome par Jules II pour décorer les salles du Vatican, les
Stanze.
L'arrivée à Rome, l’influence de Jules II et Bramante semblent avoir donné
une dimension héroïque à son œuvre. Il peint sur les murs du Vatican l’École
d’Athènes, qui fait face au Triomphe de l’Église (appelé aussi la Dispute du
Saint Sacrement). L'École d’Athènes représente Platon et Aristote en train de
se promener en devisant, Platon faisant signe vers le ciel, le monde des Idées,
et Aristote indiquant la terre, la réalité. Un tableau de dimension plus réduite
La Nymphe Galatée de la villa Farnèse est d’une composition parfaite qui
converge vers le centre du tableau lui-même en mouvement. Sa Vierge à la
chaise est aussi un chef-d’œuvre d’agencement de courbes dans le cadre rond
du tableau. Il sait également peindre des tableaux réalistes comme l’étonnant
portrait du Pape Léon X et deux cardinaux.
Dans toute son œuvre Raphaël semble atteindre ce qui était l’idéal artistique
de son ami Baldassare Castiglione, l’auteur du Parfait courtisan, la «
sprezzatura », l’art de cacher l’art, de paraître naturel.
Prolongements
• Dès le XVIe siècle La Joconde, est considérée comme un sommet
indépassable de l’art du portrait. L'œuvre de Léonard de Vinci était
la plus appréciée et imitée par les peintres flamands du XVIe siècle.
• Pour un peintre classique comme Poussin le plus grand de tous est
Raphaël. Il reprend le sujet de La Nymphe Galatée dans son
Triomphe de Neptune et d’Amphitrite. Plus tard, David se donnera
Raphaël et Poussin comme « modèles sublimes à imiter ».
• Vélasquez et Rubens sont deux grands admirateurs de Titien, de sa
manière d’user de touches colorées.
• Pour Paul Valéry, dans son Introduction à la méthode de Léonard de
Vinci (1894), Léonard est le modèle de l’« homme universel », qui
garde dans son esprit « la plus vaste collection de formes, un trésor
toujours clair des attitudes de la nature » et peut ainsi retrouver les
lois du mouvement.
• Freud, dans Un Souvenir d’enfance de Léonard de Vinci (1910)
donne une explication assez réductrice des peintures de Léonard par
l’analyse d’un de ses souvenirs d’enfance. Selon Freud, la création
artistique est la « sublimation » de pulsions refoulées, dans ce cas
de pulsions homosexuelles.
6. Sciences
Centralité de l’homme
Prolongements
• La beauté du corps humain est notée par le néo-platonicien Marsile
Ficin qui note que « nous louons dans le corps humain la proportion
de ses membres ».
• À la même époque que Vésale, Léonard de Vinci ne se contente pas
de l’étude de l’extérieur du corps humain mais il pratique aussi des
dissections et réalise près de 1 500 dessins d’anatomie.
• Descartes reprendra et popularisera les thèses de Harvey sur la
circulation du sang, mais est en désaccord avec son explication du
mouvement du cœur : selon lui, le cœur n’est pas un muscle, ce qui
ferait appel à une faculté motrice énigmatique, mais c’est la chaleur
du cœur qui porte le sang à ébullition. Le moment de l’expulsion du
sang est donc la diastole, la dilatation, et non la systole, la
contraction. C’est en fait Harvey qui était dans le vrai.
Partie 5
1. Histoire
1.1 Repères
• 1648. Début de la Fronde
• 1649. Condamnation et exécution de Charles Ier d’Angleterre
• 1649-1658. Dictature de Cromwell
• 1660. Rétablissement de la monarchie en Angleterre
• 1661. Début du règne personnel de Louis XIV
• 1679. Adoption de l’Habeas corpus en Angleterre
• 1685. Révocation de l’édit de Nantes
• 1688. Glorieuse révolution d’Angleterre
• 1689. Adoption du Bill of rights en Angleterre
• 1715. Mort de Louis XIV
• 1720. Dernière grande épidémie de peste à Marseille
• 1778. Alliance franco-américaine
Le pouvoir royal
Ce pouvoir théoriquement absolu était malgré tout limité. D’abord par les
lois fondamentales du royaume, sorte de constitution avant la lettre, qui
posaient quelques principes de droit public. Ainsi, elles réglaient la
transmission de la couronne ou affirmaient le caractère inaliénable du
domaine royal. Les institutions coutumières, que les rois avaient promis de
respecter lors des rattachements des principautés territoriales au domaine
royal, étaient un autre obstacle à la volonté du souverain. En Bretagne, la
détermination du montant de l’impôt et sa répartition étaient de la compétence
des États provinciaux et permirent aux Bretons d’être sous-imposés eu égard à
leur capacité contributive réelle. Enfin, les rois de France n’avaient qu’un petit
nombre d’agents pour administrer l’État le plus vaste et le plus peuplé
d’Europe au XVIIIe siècle. Ces officiers étaient de surcroît, depuis le règne
d’Henri IV, propriétaires de leur charge et donc peu dociles.
La marche à la Révolution
États provinciaux et États généraux Les États provinciaux regroupaient, dans un certain
nombre de provinces, des représentants des trois ordres. Dans ces provinces, ils participaient
à l’administration générale de la province et en particulier étaient consultés en matière
fiscale.
Les États généraux sont une assemblée convoquée par le roi et regroupant des
représentants des trois ordres du royaume. On y délibérait et votait par ordre. Les rois de
France les convoquaient lorsqu’ils étaient confrontés à une situation difficile, le plus souvent
pour en obtenir le droit de lever une contribution supplémentaire. Ils ne furent plus
convoqués après la réunion de 1614 jusqu’en 1788. La convocation de cette année-là
comportait un doublement du nombre des députés du Tiers État ce qui rendait prévisible,
bien que le Roi eût refusé de l’accorder au moment de la convocation, l’introduction du vote
par tête.
Prolongements
• Le « tel est mon plaisir » n’exprime pas un pouvoir arbitraire,
capricieux mais traduit la formule latine « il me plaît que » encore
utilisée aujourd’hui pour voter dans les conciles de l’Église
catholique.
• En dépit de la Révolution de 1789 la France a conservé bien des
héritages de la monarchie absolue, en particulier le goût du faste,
surtout lorsqu’il s’agit de l’État. Ainsi, le protocole exige la
présence à l’aéroport de Paris du gouvernement au complet pour
accueillir le Président de la République de retour d’un voyage
officiel à l’étranger. En comparaison les monarchies démocratiques
de l’Europe du Nord paraissent d’une simplicité ascétique par
rapport à la République française.
• De cette époque date aussi le mythe de l’omnipotence de l’État. Le
citoyen, sans souci de la contradiction, en attend tout et lui reproche
tout ce qui lui déplaît. Quant au haut fonctionnaire, il attend de son
interlocuteur une déférence comparable à celle qui était due au roi,
ce qui surprend toujours les étrangers.
Tories et Whigs Tories : c’est par ce mot, désignant des bandits irlandais, que leurs
adversaires appelèrent les tenants de la supériorité du roi sur le parlement, mais dans le
respect des droits de celui-ci, après le rétablissement de la monarchie en Angleterre. Ils
soutinrent les droits du duc d’York à la couronne, mais s’opposèrent à lui lorsque, devenu
Jacques II, il tenta de porter atteinte au parlement. Ils sont les ancêtres des conservateurs.
Whigs : terme qui à l’origine désignait aussi des bandits écossais. Les whigs furent au
moment de la restauration monarchique ceux qui se firent les champions de la suprématie du
parlement sur la volonté royale.
Prolongements
• Cette façon pragmatique des Anglais d’organiser leur vie politique,
ancrée dans le passé mais ne rejetant pas à tout prix la violence,
reste un trait fondamental du tempérament britannique. Ce souci de
protéger leur liberté leur vaut encore aujourd’hui de n’être pas
astreints à avoir une carte d’identité et d’être protégés par des
policiers désarmés. Au Royaume-Uni le parlement de Westminster
est toujours dénommé « la mère de tous les parlements ». La lutte
contre le terrorisme, depuis le 11-09-2001, incite le gouvernement à
limiter ces libertés fondamentales.
• Ces usages constitutionnels, très anciens, très vivants mais non
écrits font aussi que les Britanniques sont très réticents, voire tout à
fait allergiques, à l’idée de remettre ne serait-ce qu’une petite partie
de leur souveraineté à une instance étrangère.
2. Religions
Le jansénisme
Déclaration des quatre articles Adoptée par l’Assemblée du clergé de France en 1682
1. Les rois et souverains ne sont soumis à aucune puissance ecclésiastique, par l’ordre de
Dieu, dans les choses temporelles.
2. Les papes, vicaires de Jésus-Christ, ont pleine puissance en matière spirituelle sous la
réserve que les décrets rendus dans les sessions IV et V du concile œcuménique de
Constance, sur l’autorité des conciles généraux, demeureront dans leur force et vertu.
3. On doit observer, à l’égard de la puissance apostolique, les canons inspirés de Dieu et
consacrés par le respect du monde entier, et aussi les règles, coutumes et constitutions
admises dans le royaume.
4. Quoique le pape ait la principale part dans les questions de foi et que ses décrets
regardent toutes les Églises et chacune d’elles, cependant son jugement n’est irréformable
que si le consentement de l’Église s’y ajoute.
Prolongements
• Le jansénisme joue un rôle important dans l’œuvre de Racine, qui
fut élevé à Port-Royal. L’homme y est incapable de lutter contre ses
passions, et la prédestination janséniste prend la place de la fatalité
antique.
• À l’inverse on peut penser que c’est le jansénisme, plus que la
religion en général, qui est violemment attaqué et ridiculisé dans le
Tartuffe de Molière.
• L’œuvre des jansénistes est retracée avec beaucoup de sympathie
par Sainte-Beuve dans son monumental Port-Royal (1840-1859),
dont tout un livre est consacré à Pascal.
Un génie précoce
La première partie des Pensées devait avoir pour titre « Grandeur et misère
de l’homme ». De fait Pascal donne un tableau étonnant de cette misère de
l’homme, perdu dans l’univers infini, attendant sa mort.
Tirant profit des découvertes de son temps, de la lunette astronomique et du
microscope, Pascal montre que l’homme est perdu entre « deux infinis »,
l’infiniment grand de l’univers et l’infiniment petit du « ciron », de l’animal
microscopique. Flottant entre eux, qu’est-ce que l’homme ? « Que l’homme
étant revenu à soi, considère ce qu’il est au prix de ce qui est : qu’il se regarde
comme égaré dans ce canton détourné de la nature ; et que de ce petit cachot
où il se trouve logé, j’entends l’univers, il apprenne à estimer la terre, les
royaumes, les villes et soi-même son juste prix ».
Quant à l’horreur de la mort, peu l’ont aussi bien exprimée que Pascal. « Le
dernier est acte est sanglant quelque belle que soit la comédie en tout le reste.
On jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais ». Ou bien dans
une autre image saisissante : « Qu’on s’imagine un nombre d’hommes dans
les chaînes et tous condamnés à mort, dont les uns étant chaque jour égorgés à
la vue des autres, ceux qui restent voient leur propre condition dans celle de
leurs semblables, et, se regardant les uns les autres avec douleur et sans
espérance, attendent leur tour. C’est l’image de la condition des hommes ».
C’est pour cette raison qu’ils cherchent misérablement de toutes leurs forces à
se « divertir », c’est-à-dire à se détourner de la considération lucide de leur
condition.
Faiblesse de la raison
Pour pallier cette finitude, une des facultés dont l’homme se fait le plus
d’honneur est la raison. Or, Pascal va montrer que la raison est elle aussi finie
et ne vaut que dans certaines limites. De ce point de vue les critiques de Pascal
visent Descartes, « inutile et incertain », qui prétend n’admettre que la raison.
Il y a « deux excès : exclure la raison, n’admettre que la raison ».
Certes, et Pascal est bien placé pour le savoir, la raison permet des réussites
superbes dans les sciences. Mais pour ce qui est des bases de ces sciences,
leurs principes, elles ne peuvent être saisies par la raison, comme le démontre
la nécessité de postulats en mathématiques.
Il est impossible de réfuter rationnellement le scepticisme et Pascal se sert,
contre Descartes, des arguments de Montaigne, « incomparable pour
convaincre si bien la raison de son peu de lumière ».
Comme Montaigne l’a montré il n’y a pas de vérité, et l’imagination est
plus forte que la raison. Relativisme d’abord : aucune vérité n’est universelle,
« Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà. » Pascal reprend quasi mot pour
mot l’argument de Montaigne pour montrer que l’imagination nous domine : «
Le plus grand philosophe du monde, sur une planche plus large qu’il ne faut,
s’il y a au dessous un précipice, quoique sa raison le convainque de sa sûreté,
son imagination prévaudra. Plusieurs n’en sauraient soutenir la pensée sans
pâlir et suer ».
Le pari de Pascal Ce pari n’est certes pas une de ces preuves de l’existence de Dieu que
Pascal a si explicitement critiquées. Il s’adresse à des libertins, qui ne croient pas en Dieu et
qui ont le goût du jeu. Il ne s’agit pas de les convaincre mais de les mettre en branle. Le pari
est pour ou contre l’existence de Dieu, pour ou contre la vie éternelle. Il faut d’abord
expliquer au libertin qu’il ne peut se dérober au choix : s’il n’a pas parié pour Dieu, il a parié
contre Dieu. « Oui, mais il faut parier ; cela n’est pas volontaire, vous êtes embarqués ». Ce
choix n’offense donc pas la raison puisqu’il a déjà été fait dans un sens. Pour ce qui est de la
béatitude, du bonheur, ce que l’on peut gagner est « une infinité de vie infiniment heureuse
». On peut donc gagner l’infini en pariant le fini de sa vie terrestre. Pascal, qui est un des
inventeurs du calcul des probabilités, montre que dans ce cas le calcul n’est pas possible, le
choix s’impose de lui-même. Si le libertin gagnait son pari contre Dieu, il ne gagnerait rien,
s’il perdait, il perdrait tout. Le pari est certes un saut dans l’incertain, mais qui peut nous
faire rencontrer la grâce.
Prolongements
• Voltaire ne cesse de poursuivre Pascal de sa vindicte, en particulier
dans ses « Dernières remarques sur Pascal », ajoutées à une
réédition des Lettres philosophiques. Il voit en lui « un homme de
génie », mais aussi un « fanatique ». Voltaire veut « prendre le parti
de l’humanité » contre « ce misanthrope sublime ».
• Chateaubriand dans le Génie du christianisme fait de Pascal un être
déchiré entre sa raison et son cœur et qui n’en est que plus
émouvant lorsqu’il choisit la foi .
• Les critiques d’esprit voltairien et positiviste du XIXe siècle verront
en Pascal un illuminé. Ainsi le psychiatre Lélut écrivit en 1846
L’Amulette de Pascal, pour servir à l’histoire des hallucinations.
3. Philosophie
La raison architecte
Le point de départ de Descartes est un refus général de tout ce qui lui a été
enseigné, et qui, selon lui, ne peut que conduire au scepticisme. Il fait le récit
de la déception que lui a causé l’enseignement qu’il a reçu. En particulier,
toute la philosophie, c’est-à-dire la scolastique, est jugée contradictoire, et il
n’est rien possible de bâtir de solide sur elle. Les mathématiques sont la seule
discipline qui trouve grâce aux yeux de Descartes : « Je me plaisais surtout
aux mathématiques, à cause de la certitude et de l’évidence de leurs raisons. »
Or ces sciences, si solides, sont fondées sur la philosophie, si fragile.
Il s’agit donc, selon une métaphore architecturale que Descartes
affectionne, de tout rebâtir de zéro. « Les bâtiments qu’un seul architecte a
entrepris et achevés ont coutume d’être plus beaux et mieux ordonnés que
ceux que plusieurs ont tâché de raccommoder en faisant servir de vieilles
murailles qui avaient été bâties à d’autres fins ». Il faut ne se fier à aucun livre
et se défaire de toutes les pensées que nous tenons de l’enfance, qui est «
maîtresse d’erreur et de fausseté ». « Il n’y a d’autres voies ouvertes à
l’homme pour parvenir à la connaissance de la vérité que l’intuition évidente
et la déduction nécessaire ».
Le modèle que prendra Descartes est celui des géomètres et de leurs «
longues chaînes de raison toutes simples et faciles ». Il va énoncer quatre
règles inspirées de cette méthode géométrique. La première est, pour éliminer
les préjugés, de n’admettre que les idées claires et distinctes, c’est-à-dire
issues d’un acte pur de la raison. La deuxième consiste à séparer les
problèmes en autant de parties qu’il est possible. La troisième s’attache à
remonter ensuite des objets les plus simples à connaître aux plus complexes.
La quatrième repose sur des récapitulations qui permettent de vérifier que rien
n’a été omis.
L'efficacité de la raison tient à l’application de cette méthode. Tout le
monde est doté de la même raison, de la même « puissance de distinguer le
vrai du faux » : « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ». Mais
« ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, le principal est de l’appliquer bien ».
C'est parce que nous usons mal de cet entendement que nous sommes dans
l’erreur.
Un fondement stable
Pour éviter les erreurs, Descartes va tout mettre en doute, afin de pouvoir
trouver un fondement stable. Ce doute est un doute « méthodique »,
provisoire, qui a pour fin d’établir des vérités indubitables. Il décide de « ne
recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment
être telle ». C'est aussi un doute « hyperbolique » qui pousse à l’extrême les
arguments des sceptiques.
Descartes constate qu’il est possible de douter de tout, excepté d’une seule
vérité, susceptible de résister « à toutes les plus extravagantes suppositions des
sceptiques » : moi qui doute, au moment où je doute, je pense, donc je suis.
C’est le fameux « cogito ergo sum » (« Je pense donc je suis »). Le doute ne
peut pas refuser cette évidence puisqu’il la présuppose.
Mais sachant cela je ne suis convaincu de mon existence que comme chose
pensante. Cela n’implique absolument pas l’existence de mon corps.
Pour en arriver à prouver cette existence, ainsi que celle du monde, il va
falloir faire un détour par l’existence de Dieu. Cette existence est prouvée par
l’argument ontologique : dans notre pensée, même si nous ne sommes pas
croyants, nous avons l’idée d’un être souverainement parfait. Or, il y a plus de
perfection dans l’existence que dans la non-existence, donc Dieu existe. Cette
existence de Dieu une fois prouvée nous garantit la véracité des témoignages
des sens sur l’existence de notre corps et du monde : Dieu ne peut être
trompeur, sinon il serait imparfait.
Un monde mécanique
Une fois notre existence, celle de Dieu et du monde établies il ne reste plus
à Descartes qu’à expliquer le monde à partir de principes mathématiques
simples. C’est ce qu’il fait dans le traité du Monde et de l’Homme. Il est
possible de rendre compte de la totalité de l’univers « par des grandeurs, des
figures et des mouvements », et c’est même la « grandeur » de sa philosophie,
c’est là que Descartes a le plus le sentiment d’innover, de « bâtir dans un
fonds qui est tout à lui ». Cette explication mécanique du monde a des
conséquences pratiques, dans la mesure où elle rend possible d’agir
rationnellement sur le monde et de nous rendre « comme maîtres et
possesseurs de la nature ».
Cette explication mécanique s’étend à l’ensemble du monde, y compris le
vivant dont Descartes donne une explication totalement mécanique, qu’il
estime confirmée par les découvertes contemporaines de Harvey. Les
fonctions du corps suivent « de la seule disposition de ses organes, ni plus ni
moins que font les mouvements d’une horloge ou autre automate, de celle de
ses contrepoids et de ses roues ». Cette comparaison avec l’horloge implique
que la vie et la mort ne diffèrent l’une de l’autre que comme la marche et
l’arrêt d’une machine.
Cette assimilation du vivant à une machine sera poussée à sa limite dans le
cas de l’animal, qui n’a pas d’âme, et qui est donc considéré comme un pur
animal-machine. En revanche l’homme a une âme, définie comme pure
pensée et un corps défini comme pur mécanisme. La grande difficulté de la
philosophie de Descartes sera de penser cette « union de l’âme et du corps ».
Il conclut que « nous la sentons et l’expérimentons », mais ne pouvons en
avoir une connaissance rationnelle, même s’il tente de localiser le lieu de
l’action de l’une sur l’autre dans la glande pinéale, au centre du cerveau.
Prolongements
• L’œuvre de Descartes eut une grande influence sur les écrivains du
temps et retrouve certains traits de l’idéal classique. Jean de La
Fontaine admire « Descartes, ce mortel dont on eût fait un dieu
chez les païens ». Boileau par son Arrêt burlesque contribue à
empêcher la condamnation du cartésianisme par le Parlement de
Paris.
• La théorie de l’animal-machine sera poussée à l’extrême par La
Mettrie qui écrit L’homme-machine en 1748. Il estime que le corps
de l’homme, qui est tout l’homme, « n’est qu’une merveilleuse
montre conçue avec un art et une habileté suprême ». Descartes
l’avait compris mais s’il n’a pas osé l’affirmer, c’est uniquement
pour des raisons de prudence.
• Selon Hegel, Descartes est un « héros de la pensée » : il est « celui
par qui a véritablement commencé la philosophie moderne » dans
la mesure où, avec le cogito, il fait commencer la philosophie par la
conscience. Avec Descartes, la philosophie « prend la pensée pour
principe ».
• Husserl recommence l’entreprise cartésienne dans ses Méditations
cartésiennes (1931) en suspendant provisoirement l’existence du
monde et en retrouvant un ego transcendantal, mais qui, à la
différence de Descartes , ouvre à l’intersubjectivité.
• En 1946, Maurice Thorez, secrétaire général du Parti communiste
français, tenta de récupérer un Descartes qui serait le précurseur du
rationalisme et le témoin des « audaces intellectuelles de la
bourgeoisie montante ».
4. Littérature
Un âge classique n’exista que pendant une courte période, à la fin du XVIIe
siècle, et essentiellement en France. Il est pour une bonne part lié au règne de
Louis XIV et à sa domination sur l’esprit européen de l’époque. Mais, à
strictement parler, le « siècle de Louis XIV » n’a duré qu’une vingtaine
d’années, de la mort de Mazarin en 1661 à la Révocation de l’Édit de Nantes
en 1685.
L’idéal classique se présente comme une union du génie et de la règle, qui
seraient comme la matière et la forme de l’œuvre d’art. Idéal d’ordre, de
raison et de proportion qui connaîtra ses plus grandes réussites chez des
artistes, comme Racine et Poussin, qui ont conquis cet équilibre sur des
passions violentes.
L’idéal classique ne fut énoncé très explicitement que dans le domaine de la
littérature. Il fut surtout atteint dans la tragédie classique, de Corneille et
surtout de Racine.
Ce n’est que par contrecoup que cet idéal sera transféré dans d’autres
domaines comme la musique, avec Lully, Rameau ou Couperin ou la peinture
avec Philippe de Champaigne ou Nicolas Poussin.
La doctrine classique
En 1674, Boileau, dans son Art poétique, résume dans des formules très
célèbres la doctrine classique telle qu’elle avait en fait déjà été élaborée par
des auteurs moins connus comme Chapelain, d’Aubignac ou Guez de Balzac.
Les académies joueront un rôle essentiel dans l’élaboration de cette doctrine
classique, en particulier l’Académie française, fondée en 1635 par Richelieu
avec pour tâche de fixer une langue française classique, ce que fera par
exemple Vaugelas avec ses Remarques sur la langue française en 1647.
La doctrine classique repose, selon la formule de Boileau, sur un idéal de
clarté dans l’expression : « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et
les mots pour le dire arrivent aisément. » Elle suppose que la littérature n’est
pas seulement l’œuvre du génie, mais qu’elle doit respecter un certain nombre
de règles fixes.
L'imitation de la nature
L’art est défini, à la suite d’Aristote, comme imitation et non pas comme
imagination ou inspiration. La littérature est « l’art qui imite par le langage
seul ». La question qui se pose est de savoir ce que l’art doit imiter.
La réponse donnée par les classiques est que l’art doit imiter la nature.
Boileau encore : « Que la nature donc soit votre étude unique ». Mais cette
nature, ce ne sont ni les champs, ni les bois, c’est surtout l’homme, non pas
l’homme physique mais l’homme moral, sa raison, ses sentiments et son
caractère, ce que Corneille appelle « les grands intérêts humains ». Selon
Bossuet, « le plaisir de l’homme, c’est l’homme » mais bien sûr pas n’importe
quel homme, l’homme de la cour et de la ville, celui qui n’est qu’ordre et
bienséance. L’homme des classiques est l’homme rationnel, celui qui parvient
à maîtriser ses passions. La raison est l’objet essentiel d’une littérature qui en
ce sens est bien contemporaine de Descartes.
L’utilité de la littérature
La littérature ne doit pas seulement servir à plaire, elle doit aussi avoir une
utilité sociale. Pour Chapelain et ses successeurs : « Un lecteur sage fuit un
vain amusement et veut mettre à profit son divertissement. » Le contenu de
cette utilité de la littérature est précisé en mettant une fois encore à profit
Aristote et ses remarques sur la tragédie comme « catharsis », purification des
passions. En voyant les passions représentées sur une scène, le spectateur s’en
libère.
Les règles
Corneille
Racine
Jean Racine (1639-1699) est l’auteur classique par excellence. C’est ainsi
qu’il était déjà salué en son temps. Il se conforme parfaitement aux contraintes
qu’impose la doctrine classique et sait en tirer parti.
Orphelin très jeune, il fut élevé à la petite école de Port-Royal par les
jansénistes Nicole et Lancelot. Un temps il se retourna violemment et
méchamment contre ses maîtres et eut une vie assez agitée, étant l’amant
d’une comédienne impliquée dans l’affaire des poisons. Puis il se range,
retourne au jansénisme, obtient la charge d’historiographe du roi et n’écrit
plus pour le théâtre.
Son premier grand succès est Andromaque en 1667. Il écrit ensuite une
comédie de mœurs, Les Plaideurs, en 1668, puis toute la série de ses tragédies
classiques, inspirées de l’Antiquité grecque ou romaine, parmi lesquelles,
Britannicus (1669), Bérénice (1670), Iphigénie (1674), Phèdre (1677), puis,
après une longue interruption, ses deux dernières pièces chastes, écrites à la
demande de Mme de Maintenon pour les jeunes pensionnaires de Saint-Cyr,
Esther (1689) et Athalie (1691).
Racine entend, contre Corneille, réaliser des pièces d’une grande simplicité.
Il présente ainsi son idéal, dans la première préface de Britannicus : « Une
action simple, chargée de peu de matière, telle que doit être une action qui se
passe en un seul jour, et qui, s’avançant par degrés vers sa fin, n’est soutenue
que par les intérêts, les sentiments et les passions des personnages ».
Alors que la tragédie de Corneille était une tragédie de la gloire et de
l’honneur triomphant, la tragédie de Racine met au premier plan la description
des passions, et en particulier de l’amour, dont la violence obscurcit la raison
et les convenances. Il s’agit de décrire les passions pour « montrer le désordre
dont elles sont cause ». En effet le héros n’est absolument pas maître de cette
passion qui le submerge, comme le montre Phèdre, qui est la pièce la plus
caractéristique des situations raciniennes. Phèdre fait le récit de sa première
rencontre avec Hippolyte et de l’amour qui la submerge : « Je le vis, je rougis,
je pâlis à sa vue. » Or, Phèdre est la deuxième femme de Thésée, et Hippolyte
son beau-fils. Elle ne peut pourtant s’empêcher de l’aimer et, croyant Thésée
mort, elle lui déclare sa flamme, provoquant le dégoût chez celui-ci.
L’amour est totalement destructeur et va être à l’origine de l’issue presque
toujours sanglante de la tragédie, d’autant que cet amour n’est que très
rarement partagé. Celui ou celle qui est aimé en aime un autre, Hippolyte
aimant par exemple Aricie. La jalousie est alors la manifestation exemplaire
de l’amour. Thésée revenu croit qu’Hippolyte a tenté de séduire Phèdre ;
celui-ci pour se disculper avoue à son père, qui ne le croit pas, son amour pour
Aricie. Phèdre qui était venue pour le disculper, lorsqu’elle apprend l’amour
d’Hippolyte pour Aricie, ne fait plus rien pour empêcher Thésée de tuer son
fils.
La haine, le désir de vengeance vont de pair avec l’amour malheureux. Les
personnages sympathiques, comme Hippolyte, sont détruits par des
personnages violents comme Phèdre. La brutalité des passions décrites, la
cruauté des personnages ne peut manquer, comme le souhaitait Aristote de
provoquer « compassion et terreur ».
Cet amour inhumain, cette violence des passions ne peuvent être maîtrisés
par la raison, et réintroduisent au sein de la tragédie classique l’idée d’une
fatalité semblable à celle des Grecs. Les héros sont victimes d’une malédiction
qui semble quelquefois être héréditaire puisque Racine souligne que Phèdre
est « fille de Minos et Pasiphaé », épouse indigne.
Il a été souvent noté que cette vision noire, pessimiste, qui semble
impliquer que l’homme est d’avance perdu peut se rattacher au jansénisme de
Racine et rappelle les textes de Pascal sur la « misère de l’homme ».
Molière et la comédie Le troisième grand auteur du XVIIe siècle français est Jean-
Baptiste Poquelin, dit Molière (1622-1673). Auteur de comédies, genre dont s’étaient peu
occupés les théoriciens de la doctrine classique, il sera plus libre pour se consacrer à une
œuvre totalement originale.
Il est d’abord acteur et fonde avec des amis une troupe de comédiens, l’« Illustre théâtre »,
qui a peu de succès, puis il vit en faisant des tournées en province. Il connaît son premier
grand succès à Paris avec Les Précieuses ridicules en 1659, qui ridiculise deux provinciales
arrivées à Paris et entichées des « gens à latin ». En 1662 il écrit l’École des femmes, qui
provoque un scandale. Soutenu par le roi, Molière ne se laisse pas arrêter et écrit en 1665
Dom Juan puis, en 1666, le Misanthrope ainsi que la farce Le Médecin malgré lui. Il réussit
en 1667 à faire représenter Tartuffe qu’il préparait depuis plusieurs années, mais la pièce est
interdite et les spectateurs excommuniés. Tartuffe ne pourra connaître le succès qu’en 1669,
avec le soutien du roi. En 1670 il écrit, en collaboration avec le musicien Lully, une
comédie-ballet, Le Bourgeois gentilhomme, puis Les Femmes savantes en 1672. Il termine
son œuvre, se sachant malade, par une comédie qui se moque de la maladie, Le Malade
imaginaire. Il meurt en la jouant en 1673.
Au-delà des distinctions habituelles entre les différents types de comédie, Molière
poursuit deux objectifs dans ses pièces : d’abord faire rire un public distingué, ce qui n’était
pas évident à une époque où la comédie était définie par Corneille comme mettant en scène «
une action commune et enjouée ».
Molière s’inspire alors directement de la farce et de la commedia dell’arte, qui étaient
jusque-là réservées à un public populaire. C’est ce qu’il fait dans Les Fourberies de Scapin
(1671). Il a le sentiment de sa nouveauté sur ce point puisqu’il note que c’est une « étrange
entreprise » que « de faire rire les honnêtes gens ». Toutefois il a aussi le souci de se moquer
des mœurs de son temps, et de contribuer ainsi à les corriger, selon la devise traditionnelle de
la comédie « castigat ridendo mores » (« elle corrige les mœurs en riant »). Par exemple
dans l’École des femmes où il moque la volonté des maris de séquestrer leurs femmes ou
dans le Tartuffe où il critique les parents qui veulent marier leurs enfants sans leur
consentement.
Il va très loin dans sa critique puisque le Tartuffe s’attaque directement à la religion et au
parti dévot. Mais Molière est courageux et ne voit pas pourquoi donner des bornes à ses
satires : « Si l’emploi de la comédie est de corriger les vices des hommes, je ne vois pas pour
quelle raison, il y en aura de privilégiés ». Il se moque particulièrement souvent de la fausse
vertu, excessive et intolérante : « Il faut parmi le monde une vertu traitable/À force de
sagesse on peut être blâmable ». La sagesse de Molière lui fait comprendre qu’il convient en
toutes choses de rester dans un juste milieu : « Les hommes, la plupart sont étrangement
faits/ Dans la juste nature on ne les voit jamais. »
Les personnages qu’il décrit resteront des types éternels et sont quelquefois devenus des
noms communs : Harpagon, l’avare, Arnolphe, le vieillard amoureux, Tartuffe, le faux dévot,
Alceste, le misanthrope. Ces personnages sont en général très complexes, comme l’est par
exemple le misanthrope, qui voit bien les vices qui l’entourent mais absolument pas le sien
ou Dom Juan, qui est à la fois odieux par son cynisme et charmant par son intelligence et son
courage.
Prolongements
• Corneille définit la générosité en même temps et dans les mêmes
termes que Descartes qui, dans le Traité des passions (1649), traite
de « la vraie générosité, qui fait qu’un homme s’estime au plus haut
point qu’il se peut légitimement estimer » et « consiste en ce qu’il
connaît qu’il n’y a rien qui véritablement lui appartienne que cette
libre disposition de ses volontés ».
• Voltaire professa toujours la plus vive admiration pour Racine. Il
écrit ainsi dans Le Siècle de Louis XIV : « Racine passa de bien loin
les Grecs et Corneille dans l’intelligence des passions, et porta la
douce harmonie de la poésie, ainsi que les grâces de la parole au
plus haut point où elles pussent parvenir ».
• Rousseau, dans sa Lettre à d’Alembert sur les spectacles (1758),
prend la défense de l’Alceste de Molière, en qui il se reconnaît sans
doute, et estime que le théâtre de Molière est « une école de vices et
de mauvaises mœurs, plus dangereuse que les livres même où l’on
fait profession de les enseigner ».
• Musset en revanche décèle une ambiguïté chez Molière , qui ne
serait pas seulement un comique mais un auteur mélancolique : il
admire sa « mâle gaieté, si triste et si profonde/Que lorsqu’on vient
d’en rire, on devrait en pleurer ».
• En 1850, en réponse à la question Qu’est-ce qu’un classique ?, le
critique littéraire Sainte-Beuve donne une définition qui ne le limite
pas à une époque particulière : un classique, c’est « un auteur qui a
enrichi l’esprit humain, qui en a réellement augmenté le trésor, qui
lui a fait faire un pas de plus ».
Cette querelle dure de 1683 à 1719. Elle oppose les classiques, défenseurs
de la supériorité inconditionnelle de l’Antiquité en littérature, aux modernes,
qui pensent qu’il est possible de progresser par rapport aux anciens. Du côté
des classiques, Boileau, Racine, La Fontaine, La Bruyère, Bossuet, Fénelon.
Du côté des modernes : Corneille, Fontenelle, Claude et Charles Perrault,
Bayle. Elle marque la fin de l’âge classique.
La fin de la querelle
Causes de la supériorité des modernes selon Perrault « La première est le temps, dont
l’effet ordinaire est de perfectionner les arts et les sciences. La seconde, la connaissance,
plus profonde et plus exacte, qu’on s’est acquise du cœur de l’homme et de ses sentiments
les plus délicats et les plus fins, à force de la pénétrer. La troisième, l’usage de la méthode,
presque inconnue aux anciens, et si familière aujourd’hui à tous ceux qui parlent ou qui
écrivent. La quatrième, l’impression, qui, ayant mis tous les livres entre les mains de tout le
monde, y a répandu en même temps la connaissance de ce qu’il y a de plus beau, de meilleur
et de plus curieux dans tous les arts et dans toutes les sciences. La cinquième, le grand
nombre d’occasions et de besoins que l’on a d’employer l’éloquence que n’avaient point les
hommes des siècles éloignés. »
Prolongement
• Cette querelle restera le modèle de toutes les querelles opposant les
avant-gardes littéraires et les tenants du traditionalisme. Elle
présente le curieux caractère d’être un combat entièrement faussé.
Les classiques, en faisant l’éloge de la raison, se condamnent eux-
mêmes à reconnaître la supériorité des modernes, qui bénéficient de
la même raison que les anciens, mais d’un savoir beaucoup plus
riche. Les modernes, dans la mesure où ils proclament l’éminence
de leurs contemporains, les estiment dignes de faire partie du
patrimoine éternel de l’humanité, et en font donc des classiques.
Plus largement, tout mouvement moderne se condamne, s’il réussit,
à être lui-même classique.
5. Arts
Même s’il n’existe pas une véritable unité du mouvement baroque, on a pu,
a posteriori, dégager certains de ses traits caractéristiques, comme l’a fait
l’historien de l’art H. Wölfflin dans son livre fondateur sur Renaissance et
baroque (1888). Alors que l’art classique est un art du dessin et de la figure, le
baroque se présente comme un art de la couleur. L'un recherche la clarté,
l’autre s’intéresse au jeu des lumières et des ombres, qui s’interpénètrent dans
le clair-obscur. Le baroque ne s’intéresse qu’à l’effet général produit, alors
que le classique ne se désintéresse pas du détail.
L’art classique est un art stable, qui ambitionne d’être immobile, l’art
baroque s’efforce de rendre le mouvement, en substituant des formes ouvertes,
déséquilibrées, ovales, aux formes régulières et achevées du classique.
Le baroque veut en outre donner le sentiment de profondeur et d’une
tension vers l’infini, alors que l’art classique donne une représentation en
surface. Pour ce faire, il n’hésite pas à avoir recours au trompe-l’œil et aux
ornements. L’art classique se veut sobre et dépouillé, le baroque se complaît
dans le pathétique, les dorures et les stucs.
L'architecture baroque
Le Bernin
L’architecture classique
Prolongements
• Le baroque se poursuivra au XVIIIe siècle par le style rococo ou
rocaille, en particulier en France : il est une sorte de baroque
extrême, encore plus ornementé de courbes et de contre-courbes,
mais surtout réservé à la décoration intérieure.
• On a pu élargir l’usage du concept de baroque, en parlant par
exemple à propos de Harvey de « médecine baroque », dans la
mesure où sa découverte de la circulation du sang privilégie le
mouvement et la circularité.
• Oswald Spengler, dans Le Déclin de l’Occident, voit dans l’art
baroque le « grand style de l’âme occidentale », l’expression du «
génie germanique », de l’âme du « Nord », qu’il oppose à l’art
classique qui serait un art du Sud.
• Pascal se moque du lourd symbolisme de Poussin à propos du
Ravissement de saint Paul : « Les trois anges qui transportent saint
Paul représentent les trois états de la grâce… La jambe du saint qui
descend en bas exprime le penchant que ce saint avait au péché,
comme il le dit lui-même… La main de l’ange qui soutient la jambe
représente le secours qu’il reçoit de la grâce ».
• David s’inspire largement de Poussin, par exemple dans son
Bélisaire de 1781. Il note : « Raphaël et Poussin, modèles sublimes
à imiter ».
La gloire de la Hollande
Le paysage
Le portrait
La nature morte
Le grand art des Hollandais est un « art de dépeindre » : il s’agit de rendre
avec une précision extrême la réalité. Peu importe à la rigueur le sujet, il s’agit
de recréer cette réalité. D’où l’importance du genre de la nature morte, qui
prend n’importe quel objet, y compris le plus trivial, pour faire à son occasion
toute une série de recherches, de tentatives afin de le cerner complètement. Il
ne s’agit plus de faire imaginer un monde idéal, il s’agit de donner toute sa
dignité au monde réel grâce à un métier parfait.
Ces natures mortes peuvent être des bouquets de fleurs, des oiseaux comme
Le Chardonneret de Carel Fabritius (1622-1654).
Cette recherche de la perfection du rendu fut rendue possible grâce à une
invention spécifiquement flamande, celle de la peinture à l’huile, qui passe
pour être due à Jan van Eyck (1390-1411) et dont l’usage se répandit très vite
dans les Flandres du XVe siècle. Elle permet en effet de peindre les détails, de
retoucher, de juxtaposer plusieurs couches différentes. Elle fait merveille pour
les miniatures.
Rembrandt
Vermeer
Jan Vermeer de Delft (1632-1675) est avec Rembrandt l’autre grand peintre
de la peinture hollandaise. Son œuvre a été redécouverte à la fin du XIXe
siècle, après une longue éclipse. À la différence de Rembrandt, nous ne savons
presque rien de sa vie et il ne nous reste qu’un très petit nombre de tableaux,
des toiles de petit format, souvent carré.
Il aurait été l’élève de Fabritius, lui-même élève de Rembrandt. Presque
tous ses tableaux représentent les mêmes sujets, une ou deux figures dans des
intérieurs, toujours les mêmes, accomplissant des actions de la vie quotidienne
et entourées d’objets courants comme dans La Dentellière ou La Laitière. Les
tapis ou les tentures lui servent à réaliser des jeux d’ombre et de lumière. Ses
personnages sont quasiment transformés en objets, et ont même été qualifiés
de « natures mortes avec figures humaines ». Ses tableaux respirent la paix, le
silence, l’éternité.
Chez lui le sujet est secondaire, mais il se livre à des recherches
extrêmement précises pour rendre à la perfection les couleurs, les lumières et
les formes. Pour ce faire il revient toujours plusieurs fois sur quasiment la
même scène, par exemple dans L’Astronome et Le Géographe, où seul l’angle
de vision diffère légèrement. La composition est extrêmement étudiée, les
tableaux étant souvent cadrés par une porte et une tenture, et la perspective
marquée par le sol carrelé comme dans la Lettre d’amour. Il invente pour ce
faire de nouveaux procédés, comme les points brillants dont il se sert pour
accrocher la lumière et donner un éclairage net et vif. Ses ombres sont
colorées par les objets qu’elles entourent. Des reflets, dans un bijou ou un œil,
résument tout le tableau en minuscule. Ses couleurs sont particulièrement
franches comme dans sa Jeune fille au turban, d’une pureté incroyable.
Vermeer arrive ainsi à une précision extrême et inégalée, qui donne à ses
tableaux un aspect d’éternité. Il a peint également une Vue de Delft et une Rue
de Delft, dont la minutie parfaite et la luminosité laissent également la même
impression de temps arrêté et silencieux. L’expression « stilleven » (vie
silencieuse) employée pour désigner la nature morte conviendrait tout à fait à
l’œuvre de Vermeer.
Rubens et le baroque flamand Rubens (1577-1640) vit aux Pays-Bas espagnols, qui sont
donc restés catholiques. Il avait son atelier à Anvers. À la différence des peintres hollandais,
il fit un voyage à Rome où il fut influencé par Raphaël mais aussi par le Caravage. Vite
célèbre, riche et respecté, il eut aussi par la suite une activité de diplomate et correspondait
avec tous les grands de son temps.
Ses tableaux de femmes sont célèbres, en particulier les portraits sensuels de ses épouses
successives, Isabelle Brant et Hélène Fourment. Les dessins qu’il fait de ses enfants sont
également pleins de vie. Il va se spécialiser dans une peinture d’apparat que ne connaît pas la
Hollande protestante. Il peint ainsi une série de vingt-deux tableaux, très animés et colorés,
sur Marie de Médicis, dont le fameux Mariage de Marie de Médicis, qui inspirera David
pour son Sacre de Napoléon. Tout le tableau est organisé autour du personnage de Marie de
Médicis, plus que d’Henri IV. Il peint également, à la manière italienne, une série de
tableaux allégoriques et mythologiques, à la sensualité exubérante, qui fera parler d’un type
de femme « à la Rubens ». Son style tout de mouvements et de couleurs peut être qualifié de
baroque.
Prolongements
• Selon Hegel, la peinture hollandaise est marquée par le
protestantisme, seule religion « qui ne détache pas ses fidèles de la
prose de la vie ». Cette peinture « a poussé l’art de saisir le côté
caractéristique des choses et de le rendre de la manière la plus
vivante, à un degré de vérité et de perfection qui ne peut être
surpassé ».
• Eugène Delacroix a une très grande admiration pour Rembrandt : «
Peut-être un jour découvrira-t-on que Rembrandt est un beaucoup
plus grand peintre que Raphaël ». À l’instar de Delacroix, Charles
Baudelaire, dans Les Fleurs du mal, consacre une strophe de son
poème Les Phares à Rubens, une autre à Rembrandt :
5.4 Bach
Bach écrivit plus de deux cent cinquante cantates religieuses, pour les
besoins du culte. Il composa également beaucoup de musique pour orgue, en
particulier ses fugues et chorals qui illustrent des pensées pieuses. Il écrit
également de la musique de clavecin et introduit l’habitude de jouer en se
servant du pouce et en repliant les doigts. Pour violon et clavecin il écrivit des
sonates, où clavecin et violon ont une part égale, ainsi que des sonates pour
violon seul et des concertos pour divers instruments.
Bach fut surtout apprécié en son temps comme organiste virtuose, moins
comme compositeur, dans la mesure où l’Allemagne commençait à être
séduite par la musique italienne.
La richesse de son œuvre tient à ce qu’il a su fusionner des apports distincts
d’une manière originale. Bach était très curieux de l’œuvre de ses
prédécesseurs qu’il étudiait en la recopiant. Outre sa connaissance de la
musique allemande, de Buxtehude en particulier, il fut très ouvert aux
influences musicales étrangères, française et italienne, dont il arriva à faire la
synthèse. Il sait allier la discipline orchestrale de Lully et la maîtrise du
clavecin de Couperin au concerto à la manière de Vivaldi et au bel canto de
l’opéra italien. Par ailleurs, vivant au moment du passage de la polyphonie à
l’harmonie, Bach a su là aussi combiner les deux approches musicales en une
œuvre unique.
Prolongements
• Bach connut une période de relatif oubli après sa mort. Mozart , de
passage à l’église Saint-Thomas de Leipzig, l’a redécouvert en
1789. Félix Mendelssohn a dirigé des auditions de La Passion selon
saint Matthieu et aimait également jouer le Concerto pour trois
claviers. Schumann était un grand admirateur du Clavier bien
tempéré, mais ce n’est qu’en 1850 que se forma la «
Bachgesellschaft » qui édita ses œuvres complètes.
• Selon Richard Wagner, la musique de Bach « est l’histoire la plus
intime de l’âme allemande ».
• Au XXe siècle des musiciens néo-classiques, comme Honegger ou
Stravinski se sentent proches de Bach par son refus du subjectif, sa
clarté et son art du contrepoint.
6. Sciences
Copernic et sa révolution
Dans son ouvrage sur Les Révolutions des orbes célestes (1543), Copernic
(1473-1543) est le premier, depuis Aristarque de Samos, à énoncer que la terre
tourne sur elle-même et autour du soleil, qui devient le centre de l’univers. Le
soleil éclaire l’univers et Copernic admire tant sa perfection, qu’il sera pris
pour un nouveau pythagoricien par ses contemporains. La terre n’est plus
distincte des planètes, elle est une parmi les planètes. Pour en arriver là
Copernic était parti d’une critique du système de Ptolémée qui ne respecte pas
suffisamment le principe de l’uniformité du mouvement circulaire des corps
célestes. Mais, dans sa préface, Osiander présente cet héliocentrisme comme
une simple hypothèse destinée à « sauver les apparences », et non pas à se
prononcer sur la réalité.
Les idées de Copernic sont peu reprises car elles vont à l’encontre
d’Aristote et de la Bible, et à ce titre elles sont critiquées aussi bien par les
protestants, très attachés à l’Écriture, que par les catholiques.
Kepler, astronome et astrologue
Prolongements
• Selon Freud, Galilée est l’auteur de la « première blessure infligée à
l’orgueil de l’humanité ». La terre n’est plus au centre du monde.
La seconde lui est infligée par Darwin qui met l’homme au rang des
autres espèces animales. La troisième lui est infligée par Freud lui-
même qui démontre, avec la découverte de l’inconscient, que
l’homme n’est plus même maître de lui-même.
• Bertolt Brecht dans sa pièce Galileo Galilei (1955) fait de Galilée un
homme qui subordonne tout à ses recherches et qui est prêt, pour
les continuer, à renier Copernic devant l’Inquisition.
Partie 6
1. Histoire
1.1 Repères
• 1789. Convocation des États généraux
• 12 juillet 1789. Constitution civile du clergé
• 4 août 1789 Abolition de l’Ancien Régime
• octobre 1791. Mise en application de la Constitution
• 20 septembre 1792. Victoire française à Valmy
• 21 septembre 1792. Proclamation de la république
• 2 juin 1793-26 juillet 1794. Gouvernement révolutionnaire (c’est-à-dire exceptionnel)
• mars 1793. Début des troubles en Vendée
• 9-10 novembre 1799. Coup d’État de Napoléon Bonaparte
• mai 1804. Établissement de l’Empire
Cette construction fut très vite mise en péril par l’attitude du roi. Lors des
journées d’octobre le peuple le ramena à Paris et l’obligea à ratifier les
décisions d’août 1789. Suspect aux yeux de beaucoup de citoyens, il renforça
le courant républicain par sa fuite qui se termina piteusement à Varennes. Les
difficultés économiques et financières, le ravitaillement toujours difficile,
exaspéraient le peuple, qui avait le sentiment que jusqu’alors la Révolution ne
lui avait pas apporté grand-chose. L’établissement de la constitution civile du
clergé et l’exigence d’un serment de fidélité à la constitution demandé aux
clercs ouvrirent une très grave crise religieuse. Le pape rejeta le texte et
interdit aux prêtres et aux évêques de jurer fidélité à la constitution. L'Église
se partagea en deux camps. Aux frontières les émigrés se faisaient menaçants.
Face à ces difficultés la France, toutes tendances politiques confondues,
crut trouver une issue dans la guerre. L'objectif poursuivi variait selon la
famille politique. En s’opposant aux décrets de l’assemblée législative votés
pour assurer la défense de la « patrie en danger », le roi cristallisa sur lui la
colère du peuple. Le 10 août 1792 le peuple prit l’Assemblée d’assaut et lui
imposa la destitution et l’arrestation de Louis XVI.
Le Gouvernement révolutionnaire
Après le 10 août 1792 l’objectif d’égalité l’emporta sur celui de liberté, les
milieux populaires occupant le devant de la scène politique. Élue au suffrage
universel, mais dans une situation troublée, la Convention dut faire face à de
multiples problèmes. Elle proclama la République et condamna le roi. La
nouvelle de la mort du roi et la peur d’une « croisade de la liberté » lancée par
les Français contre l’Europe donna naissance à une coalition des puissances
européennes, financée par l’Angleterre. À l’invasion étrangère s’ajouta la
révolte de la Vendée. Devant la gravité de la situation, la Convention décida
d’instaurer un Gouvernement révolutionnaire de Salut public, qui établit une
centralisation maximale. Le Tribunal révolutionnaire, par une justice
expéditive, devait débarrasser la République de l’ennemi intérieur : la Terreur
était à l’ordre du jour. Ce gouvernement prit aussi des mesures économiques
et sociales en faveur des petites gens : il lutta contre la spéculation, bloqua les
prix, mais aussi les salaires, et s’efforça de combattre le marché noir. Il
s’apprêtait, au moment de sa chute, à distribuer gratuitement aux indigents les
biens confisqués aux ennemis de la République. Il avait déclenché une lutte
vigoureuse contre l’Église et la religion, sécularisant les lieux de culte,
pourchassant le clergé, créant un nouveau calendrier, qui faisait disparaître les
saints. Il essaya de créer une religion républicaine et d’assurer le triomphe de
la vertu.
Les mesures militaires du gouvernement révolutionnaire portèrent assez
rapidement leurs fruits. L'invasion étrangère fut repoussée et le gouvernement
reprit le contrôle du pays. Les mesures économiques restèrent sans grand effet.
Ces résultants rendaient de moins en moins supportable la « dictature »
exercée par le gouvernement révolutionnaire et ses agents. Le souci de vertu
de Robespierre s’accordait mal avec la corruption de certains responsables.
Lâchés par les sans culottes des sections parisiennes, Robespierre et ses amis
furent renversés par les députés du centre à la Convention, mis hors-la-loi et
exécutés sans jugement. Leur mort marqua le terme de la période populaire et
démocratique de la Révolution française. Le pouvoir revenait entre les mains
de la bourgeoisie qui se retrouvait face au même problème qu’en 1791-1792 :
comment mettre un terme à la Révolution en préservant les acquis de 1789 ?
Napoléon Bonaparte
Cet homme providentiel, à qui pour un temps les vainqueurs de 1789 s’en
remirent pour préserver l’ordre et leurs propriétés, fut Napoléon Bonaparte.
Mais il ne voulait pas être un instrument des bourgeois. Il prit le pouvoir le 18
Brumaire avec l’intention bien arrêtée de l’exercer lui-même et de le
conserver. En décembre 1799, il fit approuver, par un plébiscite, une nouvelle
constitution. Il réorganisa la France dans le cadre d’un régime centralisé. Il
rétablit l’ordre auquel tout le monde aspirait et mit en place une administration
efficace. Il garantit les acquis fondamentaux de la révolution bourgeoise de
1789-1790 et restaura la paix religieuse en signant un concordat avec le Saint-
Siège. Lassé par dix ans de lutte et de grandes difficultés matérielles, le peuple
accepta le régime. Quant à la bourgeoisie, le peu de liberté tolérée par le
Premier Consul, puis l’Empereur, lui parut dans un premier temps suffisant si
cela permettait de sauver l’égalité civile et la propriété et si cela garantissait le
retour de la prospérité.
La Révolution apporta à la France, et tenta de diffuser en Europe, le
principe de l’égalité civile. La loi égale pour tous devait, seule, régler la vie
des hommes, auxquels étaient garanties les libertés fondamentales. Elle fit
faire aux Français l’expérience de plusieurs systèmes politiques. Tous
reposaient sur une constitution écrite instituant une séparation, plus ou moins
complète, des pouvoirs et étaient organisés autour des représentants de la
nation. Il revint à Bonaparte de réorganiser rationnellement l’administration
française en bâtissant les grandes institutions publiques des Finances, de la
Justice, de l’Instruction et de l’Armée. L’œuvre reprit bien des réalisations des
régimes antérieures, monarchie incluse. Cette reconstruction centralisée
permit de sauvegarder l’unité nationale.
Le sans-culotte C'est d’abord l’homme qui porte un pantalon et non pas la culotte comme
sous la monarchie. C’est ensuite le militant révolutionnaire, issu de l’artisanat et de la
boutique. Armé de la pique et coiffé du bonnet phrygien, il joua un rôle important entre 1792
et 1795. Présenté de façon caricaturale comme un dangereux sanguinaire il servit de
repoussoir aux bien-pensants.
Prolongements
• Ils sont multiples et souvent encore passionnés. Il n’est pas
indifférent qu’en 1935 les dirigeants des principaux partis de
gauche aient choisi d’annoncer la constitution du Front populaire
sur la place de la Bastille. Le 10 mai 1981, c’est au même endroit
que les militants de gauche fêtèrent la victoire de François
Mitterrand à l’élection présidentielle. Jusqu’à un passé très récent
de nombreux républicains mangeaient de la tête de veau le 21
janvier, jour anniversaire de l’exécution de Louis XVI.
• Le droit de chasse, reconnu à chacun en 1789, fait qu’il est
aujourd’hui impossible de restreindre le droit de détenir une arme
de chasse tant l’attachement est fort à cette « conquête
révolutionnaire ».
• Le sinistre régime de Vichy mis à part, la fête nationale est depuis la
IIIe République fixée au 14 juillet et l’hymne national est La
Marseillaise, c’est-à-dire le chant de marche des volontaires
marseillais de l’armée du Rhin.
• La plupart de nos administrations ont été réorganisées à cette
époque. Le baccalauréat et quelques prestigieuses grandes écoles
sont des créations de la Révolution.
Chez les Anciens existait sans doute l’idée que l’on a des devoirs envers
tous les hommes, comme le montre en particulier la notion chrétienne de
charité, qu’illustre la parabole du Bon Samaritain. En revanche, l’idée que
chaque homme a droit à un certain nombre de garanties est plus récente.
L'idée qu’il existerait, partout et toujours, des droits propres à l’homme en
tant qu’il est homme, est au cœur des théories du droit naturel, à partir du
XVIe siècle. Elle suppose l’immutabilité de la nature humaine à travers les
âges ou les pays. C’est Hobbes qui dans son Léviathan (1651) introduit l’idée
que, dans l’état de nature hypothétique existant avant toute société, il y aurait
un « droit de chaque homme » à toutes choses, ce qui conduit à un état de
guerre de tous contre tous, dont il faudra sortir par le pacte social. Locke
transformera cette notion en établissant dans cet état de nature un certain
nombre de droits, de propriété, d’expression, de résistance à l’oppression, que
la société politique aura pour fonction de préserver. Il s’agit dans un cas
comme dans l’autre d’un homme défini à l’état de nature comme individu
séparé.
Dès son apparition la doctrine des droits de l’homme est critiquée de deux
côtés apparemment opposés, mais qui en fait se rejoignent.
Les contre-révolutionnaires comme Burke, dès 1790, dans ses Réflexions
sur la révolution de France, Maistre ou Bonald, critiquent l’abstraction de ces
droits de l’homme. Selon la formule de Maistre, dans ses Considérations sur
la France (1797), l’homme en général n’existe pas : « J’ai vu, dans ma vie,
des Français, des Italiens, des Russes, etc. ; je sais même, grâce à
Montesquieu qu’on peut être Persan : mais quand à l’homme, je déclare ne
l’avoir rencontré de ma vie ; s’il existe, c’est bien à mon insu. » Cette volonté
de plier à une idée la réalité diverse et fluctuante ne pouvait, selon Burke, que
conduire à la Terreur.
D’un autre côté, Karl Marx, dans La Question juive (1844), critique la
doctrine des droits de l’homme comme n’étant que « les droits du membre de
la société bourgeoise », c’est-à-dire de « l’homme égoïste, du bourgeois, de
l’individu séparé de la communauté, replié sur lui-même ». Ces droits se
résument selon lui à la garantie du droit de propriété.
Prolongements
• La Déclaration des droits de l’homme de 1789 a été complétée, au
lendemain de la Seconde Guerre mondiale, par une Déclaration
universelle des droits de l’homme qui prétend ne pas s’en tenir aux
droits purement politiques et abstraits de 1789 et aborder les droits
économiques et sociaux, « substantiels », à la santé, à l’éducation,
aux loisirs.
• Par leur incorporation dans la Constitution de 1958 ces deux
déclarations des droits peuvent prendre une valeur juridique, celle
de « principes généraux du droit », bien qu’il soit fort difficile, et
peu réaliste, de réclamer devant un tribunal le droit à la santé ou le
droit au travail. En ce qui concerne la santé, la judiciarisation
croissante de la société française accroît le nombre de procès et, en
réaction, l’extension du principe de précaution.
2. Religions
Le libertinage
Prolongements
• Au début du XIXe siècle le contre-révolutionnaire de Bonald notera
que « Dieu est suprêmement intolérant ». L’Église ne peut se
tromper, le dogmatisme va de pair avec l’idée de vérité. Dans la
deuxième partie du siècle, le pamphlétaire catholique Louis Veuillot
explique aux républicains : « Je réclame la liberté au nom de vos
principes, je vous la refuse au nom des miens. »
• La tolérance peut verser aujourd’hui dans le relativisme, qui accepte
tout, y compris l’intolérable. Le relativisme se présent souvent
comme une forme de mauvaise conscience de « l’homme blanc ».
3. Philosophie
Les « philosophes »
Lumières et ombres
La métaphore des Lumières qui l’emporte sur les ténèbres implique l’idée
que la victoire des Lumières est une nouvelle aurore, le début d’une ère
nouvelle, qui s’oppose radicalement à l’obscurantisme des siècles antérieurs.
Cette clarté se propage vers l’avenir et elle est le résultat d’un effort
collectif : ainsi, selon Diderot, « nos travaux doivent avoir pour but, ou
d’étendre les limites des places éclairées, ou de multiplier sur le terrain les
centres de lumières ».
Le progrès des connaissances est particulièrement manifeste dans le
domaine scientifique et c’est chez des auteurs comme Fontenelle ou
Condorcet que se rencontre d’abord l’expression de « progrès des lumières ».
Curieusement, à cette métaphore des Lumières, s’oppose, chez leurs
adversaires, une autre référence à la lumière : l’« illuminisme », avec des
auteurs comme Swedenborg ou Saint-Martin, fait référence à une «
illumination » intérieure, de type mystique. Cette lumière est à rechercher
dans le passé et non dans l’avenir. En effet, l’idée d’une référence à la vérité
comme lumière se trouvait déjà dans la tradition chrétienne.
La philosophie empiriste Locke (1632-1704), dans son Essai sur l’entendement humain
(1690), soutient, contre la doctrine des idées innées, que toutes les idées viennent de
l’expérience. L’intelligence de l’homme est à l’origine une « table rase », une feuille vierge,
sur laquelle viennent s’imprimer les idées issues de l’expérience, c’est-à-dire de la sensation.
Cette expérience a deux sources, l’expérience externe ou sensation et l’expérience interne ou
réflexion, qui opère sur les idées issues de ces sensations.
Cette philosophie est reprise et développée par Hume (1711-1776). Son Traité de la
nature humaine (1739) souligne que l’apparente relation que nous établissons entre deux
faits, dont l’un est qualifié de cause et l’autre d’effet, est seulement due à l’habitude. La
répétition de telles séquences ne leur donne aucun caractère nécessaire : il n’est ainsi pas
possible d’affirmer d’une manière certaine que le soleil se lèvera demain.
En France l’empirisme aboutit au sensualisme de Condillac (1715-1780), qui ramène tout
à la sensation, y compris la réflexion. Il l’illustre, dans le Traité des sensations (1754), avec
sa célèbre hypothèse de la statue qui n’est rien d’autre que les sensations qu’elle éprouve, et
donc tout d’abord odeur de rose, l’odorat étant la sensation la plus primitive.
Kant et la philosophie critique Emmanuel Kant (1724-1804) a vécu et enseigné à
Königsberg. Il est l’auteur de l’une des plus grandes œuvres de la philosophie, la Critique de
la raison pure (1781, 2e éd. 1787). Avouant avoir été « éveillé de son sommeil dogmatique »
par la lecture de Hume, il y opère une « révolution copernicienne », qui consiste à faire de la
question du sujet connaissant le centre de toute philosophie : ce ne sont pas nos
connaissances qui doivent « se régler sur les objets », ce sont plutôt « les objets qui se
règlent sur notre connaissance ». Sa philosophie sera donc une philosophie « critique »,
c’est-à-dire qui s’interroge sur les conditions de possibilité de la connaissance et, dans la
Critique de la raison pratique, de l’action. Dans toute connaissance il y a une part, a
posteriori, qui vient de l’expérience, et une part, a priori, qui vient du sujet.
La philosophie morale de Kant insiste sur le fait que le devoir est un impératif
catégorique, c’est-à-dire qui doit être respecté de façon absolue, sans conditions. Elle
s’oppose radicalement à toutes les morales de l’intérêt.
Kant participe aux débats de son temps, qu’il s’agisse de définir la notion de Lumières, ou
d’analyser la portée de la Révolution française. Il montre également l’importance de l’« idée
d’une histoire universelle » pour civiliser l’homme, entreprise toujours hasardeuse.
Prolongements
• La métaphore des « Lumières » sera reprise pendant la Révolution
par toute une série d’images solaires, qui continuent aussi le mythe
solaire de la monarchie absolue.
• La figure du philosophe des Lumières, qui met son savoir au service
d’une action dans le monde, inspirera celle de l’« intellectuel »
engagé, qui voit le jour avec l’affaire Dreyfus et connaît sa fin
provisoire avec Sartre.
• La philosophie empiriste, toujours dominante dans le monde anglo-
saxon, connaîtra un renouveau au XXe siècle avec le courant de
l’empirisme logique, ou néo-positivisme, qui complète l’empirisme
par les résultats de la logique formelle moderne.
• Le texte de Kant sur les Lumières est selon Michel Foucault le
premier exemple d’une tentative de la philosophie pour réfléchir sur
« aujourd’hui ». En ce sens il l’estime caractéristique de l’« attitude
» propre à la modernité et le rapproche des remarques de
Baudelaire sur ce sujet.
Un projet de combat
L’Encyclopédie est attaquée à la fois par les jésuites et les jansénistes, et les
deux premiers volumes sont interdits en 1752, à la suite de l’affaire de l’abbé
de Prades, collaborateur de Diderot pour l’article « certitude », dont la thèse
est jugée hérétique par les jésuites. Cependant, en même temps, ses auteurs
sont protégés par des personnages aussi puissants que le directeur de la
librairie, Malesherbes, qui les a prévenus des poursuites à venir, et qui
permettra la reparution de l’Encyclopédie en 1753. Les dévots poursuivent
néanmoins leurs attaques.
Une autre polémique éclate lors de la parution de l’article « Genève » de
d’Alembert, qui est attaqué par Rousseau dans sa Lettre à d’Alembert, au
motif qu’il aurait voulu introduire le théâtre corrupteur à Genève. D’Alembert
se retire alors du projet que Diderot poursuit avec Jaucourt. Avec le scandale
qui suit la parution de De l’esprit d’Helvétius, ses adversaires arrivent à faire
interdire L’Encyclopédie en 1758. Mais, protégée par Malesherbes,
l’entreprise continue et est facilitée par l’expulsion des jésuites de France en
1762.
La totalité du savoir
Prolongements
• L’Encyclopédie moderne parue de 1782 à 1832 chez l’éditeur
Panckouke se présenta comme la suite de L'Encyclopédie. Le même
idéal a été repris par l’Encyclopédie française publiée pour
l’essentiel entre les deux guerres à l’initiative d’A. de Monzie et
sous la direction de l’historien L. Febvre . Mais cette Encyclopédie
ne veut pas réunir seulement le « camp laïque » qui est à l’origine
de ce projet.
4. Littérature
Le modèle anglais
« Écrasons l’infâme »
Le déisme
Voltaire critique les religions, mais il n’est pas athée. Il estime qu’on ne
peut se passer de Dieu, pour des raisons à la fois sociales et philosophiques : «
Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer. »
Pour des raisons sociales d’abord. Il faut un « Dieu rémunérateur et vengeur
», pour retenir nos laquais de nous voler et de nous égorger : « Je veux que
mon procureur, mon tailleur, mes valets croient en Dieu ; et je m’imagine que
j’en serais moins volé. » On raconte que Voltaire ne souhaitait pas que ses
amis philosophes et athées soutiennent leurs thèses à table devant ses
serviteurs.
D’autre part, on ne peut se passer du « Dieu des philosophes et des savants
», du Dieu de Locke et de Newton. Il faut un « Dieu horloger », « éternel
architecte du monde ». Mais ce Dieu est égal à X, on ne peut le définir avec
précision : « Je ne sais ce que sont les attributs de Dieu ». Il se réfère
simplement à un « Être suprême », « Dieu de tous les mondes et de tous les
temps ». Voltaire est bien un déiste à la recherche d’une religion naturelle.
Le mondain
Voltaire et l’histoire Voltaire renouvelle le genre historique en faisant une histoire qui
n’est pas seulement celle des rois et des guerres, mais celle de « la nation », de « l’esprit des
hommes », c’est-à-dire de la civilisation, en particulier dans Le Siècle de Louis XIV, où il
traite longuement des grands auteurs classiques. D’autre part, cette histoire n’est plus
seulement une histoire européenne : l’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations (1756)
traite aussi de l’Amérique et de l’Extrême-Orient.
Voltaire souligne le rôle du hasard dans l’histoire. Seuls les grands hommes peuvent tenter
d’infléchir l’histoire dans le sens d’une plus grande civilisation, comme l’a fait Louis XIV :
« Il ne s’est presque jamais rien fait de grand par le monde que par le génie et la fermeté
d’un seul homme qui lutte contre les préjugés de la multitude ou qui lui en donne. »
Prolongements
• Alors que leur dispute fut souvent très violente, les restes de Voltaire
et Rousseau se sont retrouvés face à face au Panthéon. Voltaire y est
entré en 1791, Rousseau en 1794.
• Selon Goethe : « Avec Voltaire, c’est un monde qui finit, avec
Rousseau c’est un monde qui commence ». Voltaire c’est encore les
Lumières et la cour, Rousseau c’est le sentiment et la république.
• Chateaubriand dans le Génie du christianisme est choqué par le
détachement de Voltaire : « Il n’aperçoit que le côté ridicule des
choses et des temps, et montre sous un jour si hideusement gai
l’homme à l’homme. Il charme et fatigue par sa mobilité, il vous
enchante et vous dégoûte. »
• Pour Paul Valéry au contraire, cette mobilité est ce qui fait le charme
de Voltaire : « Il est l’homme d’esprit par excellence, le plus délié
des humains, le plus prompt, le plus éveillé. Tous les autres
semblent dormir ou rêvasser auprès de lui. Il passe à travers ses
erreurs en homme capable de les exterminer aussi lestement qu’il
les épouse. »
De la mondanité à la solitude
Né à Genève, orphelin élevé par son père, puis mis en pension chez un
pasteur, il quitte ensuite Genève à seize ans et mène une vie de vagabond. Il
est recueilli par une dame charitable chargée de le convertir au catholicisme,
Mme de Warens. Lorsqu’elle décide de le « traiter en homme », il vit dans un
bonheur parfait.
À vingt-neuf ans il va tenter sa chance à Paris, d’abord avec des œuvres
musicales, dont un opéra, Les Muses galantes. En 1750 il répond à une
question de l’Académie de Dijon par le Discours sur les sciences et les arts où
il soutient que le progrès des sciences et des arts entraîne une dégénérescence
des mœurs et devient aussitôt célèbre : c’est ce qu’il nomme le « funeste
tournant » de sa vie. Puis, en réponse à une autre question de cette Académie
de Dijon, il compose le Discours sur l’origine de l’inégalité, publié en 1755.
Emporté par la logique de ses thèses hostiles au progrès, il entreprend une «
réforme morale » et se détourne des mondanités au moment même où il
devient célèbre. Il s’agit de retrouver en lui-même ce qui est naturel, non
altéré par la société. Il vit chez divers protecteurs avec qui il se brouille
souvent. Ses trois grandes œuvres Julie ou la Nouvelle Héloïse, l’Émile et le
Contrat social paraissent en 1761 et 1762. La Nouvelle Héloïse connaît un
immense succès, mais l’Émile est condamné par le parlement de Paris, en
raison des thèses religieuses de la Profession de foi du vicaire savoyard.
Rousseau, décrété de « prise de corps » doit s’enfuir en Suisse. Pourtant, à
Genève aussi le Contrat social est condamné. Il entreprend de se justifier en
donnant un récit sincère et détaillé de sa vie dans les Confessions. Parti en
Angleterre à l’invitation de Hume il croit vite voir se tramer contre lui un
nouveau « complot ». De retour à Paris il écrit des œuvres politiques de
commande, les projets de constitution pour la Corse ou la Pologne. Il se juge
lui-même dans les étonnants Dialogues, Rousseau juge de Jean-Jacques.
Enfin, il entreprend de revivre son bonheur passé dans les Rêveries d’un
promeneur solitaire, peut-être sa plus grande réussite, qui resteront
inachevées.
La philosophie politique
Rousseau part d’un constat, établi dans le Discours sur les sciences et les
arts, que « les mœurs ont dégénéré chez tous les peuples du monde, à mesure
que le goût de l’étude et des lettres s’est étendu parmi eux ». La vertu cède la
place à l’amour-propre, au souci du paraître. Les « causes » de cette
dégradation, établies par le second Discours, sont politiques : l’homme est
naturellement bon, le mal n’apparaît qu’avec la société.
Comme la plupart des philosophes politiques depuis Hobbes, Rousseau fait
l’hypothèse d’un « état de nature » dans lequel se trouverait l’homme avant
l’institution de la société. Mais, selon lui, l’homme, dans cet état de nature,
n’est ni sociable ni doué de raison comme le pensait Pufendorf, ni entraîné par
un égoïsme actif, comme le pensait Hobbes. Ces philosophes se sont laissés
entraîner par une « illusion rétrospective » et ont projeté sur l’état de nature
des qualités qui ne sont apparues qu’avec la société. En fait, cet homme
naturel est simplement un « animal avantageusement organisé », qui n’est
paradoxalement supérieur à l’animal que par son absence de spécialisation. Ne
possédant aucune qualité propre, il peut les acquérir toutes, il est « perfectible
». Le second Discours décrit l’apparition de l’inégalité à la suite d’une série
de « circonstances » hasardeuses. Pour sortir de l’état de guerre qui termine
l’état de nature, les hommes signent des pactes, qui se font au bénéfice des
riches.
Rousseau ne se contente pas de critiquer ce « pacte des riches », il lui
oppose un « vrai contrat », légitime, fondé en droit, et pas seulement en fait : «
je cherche le droit et la raison et ne discute pas des faits. » C’est l’œuvre du
Contrat social. Pour « guérir » la dénaturation de l’homme, il convient non
pas de revenir à la nature, mais de faire appel à un « art plus perfectionné ».
La seule dépendance qui ne soit pas contraire à la nature est la dépendance de
la loi, qui est impersonnelle et inflexible. Il faut « trouver une forme de
gouvernement qui mette la loi au-dessus de l’homme ». Chacun doit renoncer
à tous ses droits en faveur de la communauté. Il affirme clairement l’idée de la
souveraineté du peuple, dont le pouvoir est absolu. Contre Montesquieu,
Rousseau affirme que le pouvoir ne doit pas être partagé, et le peuple ne peut
en aucun cas se défaire de sa souveraineté. Le pouvoir exécutif ou
gouvernement est toujours subordonné au peuple souverain.
Le moi et la nature
En attendant de refonder la société ou de réformer l’homme, Rousseau ne
trouve son bonheur que dans l’écriture, dans l’évocation de sa propre vie
passée et de ses sentiments. Il explique ainsi l’origine de la Nouvelle Héloïse :
« L’impossibilité d’atteindre aux êtres réels me jeta dans le pays des chimères,
et ne voyant rien d’existant qui fût digne de mon délire, je le nourris dans un
monde idéal que mon imagination créatrice eut bientôt peuplé d’êtres selon
mon cœur. » Il y décrit à plaisir des êtres vertueux dans un cadre naturel de
montagnes et de lacs selon son cœur.
L’homme naturel, c’est en lui-même qu’il le retrouve. D’où l’importance de
ses œuvres autobiographiques. En particulier, dans les Confessions, dont le
titre fait référence à saint Augustin, il entend donner un témoignage
totalement véridique sur sa vie, ses vertus mais aussi ses vices, depuis ses
petits larcins et mensonges jusqu’à son exhibitionnisme ou l’abandon de ses
enfants : « Je veux montrer un homme dans toute la vérité de la nature. J’ai dit
le bien et le mal avec la même franchise, je me suis montré tel que je fus :
méprisable, bon, généreux. » Il veut ainsi se disculper de tout ce dont il pense
que ses ennemis l’accusent. Surtout Rousseau témoigne bien de l’ambiguïté
de son propre personnage, à la fois soucieux d’authenticité et obsédé par le
regard que les autres portent sur lui, amateur de simplicité mais avec
ostentation.
Il ne parvient à un certain apaisement que dans les Rêveries du promeneur
solitaire, où il se contente d’évoquer les moments heureux de sa vie passée,
avant de s’interroger mélancoliquement : « Qu’ai-je fait ici bas ? J’étais fait
pour vivre et je meurs sans avoir vécu ? » Dans cet ouvrage la sensibilité à la
nature, les descriptions de paysages, la sensibilité exacerbée, évoquent déjà le
préromantisme. Il est le premier en France à aimer les paysages
impressionnants et sublimes, comme ceux des Alpes : « Il me faut des
torrents, des roches, des sapins, des montagnes qui me fassent peur. »
Prolongements
• Peu lu lors de sa parution, le Contrat social connaîtra un grand
succès avec la Révolution française qui fait transférer les cendres
de Rousseau au Panthéon. Robespierre voit en Rousseau un «
précepteur du genre humain » et s’inspire de son idéal de vertu, à la
manière de la Rome antique.
• Dans l’autre sens, les adversaires de la Révolution, de Burke à Taine,
verront souvent dans le Contrat social une des causes de celle-ci,
par son caractère abstrait et son refus des faits. Déjà Benjamin
Constant notait que le Contrat social, « si souvent invoqué en
faveur de la liberté » est en fait « le plus terrible auxiliaire de tous
les genres de despotisme ».
• Nietzsche voit en Rousseau le symbole de la duplicité des temps
modernes, de leurs idéaux égalitaires et de leurs revendications
moralisatrices : « Cet avorton qui s’est campé au seuil des temps
nouveaux » est « le premier homme moderne », « idéaliste et
canaille en une seule personne, qui avait besoin de la « dignité
morale » pour supporter son propre aspect, malade d’un dégoût
effréné, d’un mépris effréné de lui-même. »
• Dans Tristes tropiques (1955), Claude Lévi-Strauss salue en
Rousseau « notre maître, notre frère ». Le second Discours « fonde
» l’ethnologie par la façon dont il réfléchit au problème des
rapports entre la nature et la culture. Lévi-Strauss note que l’intérêt
pour les hommes les plus lointains va de pair, chez Rousseau
comme chez l’ethnologue, avec l’étude « de cet homme particulier
qui semble le plus proche, lui-même ».
• L’Émile sera souvent considéré comme l’ouvrage fondateur de la
pédagogie moderne, de Montessori à Freinet, dans la mesure où
Rousseau y insiste sur la place centrale de l’enfant qu’il faut
considérer comme un être ayant ses propres rythmes et intérêts, au
lieu de partir de l’adulte qu’il doit devenir.
Un génie universel
Romantisme et classicisme
Le nouveau Prométhée
Citations de Goethe
« J’appelle classique ce qui est sain, romantique ce qui est malade ».
« Ici et aujourd’hui commence une ère nouvelle de l’histoire du monde et vous pourrez
dire que vous y avez été » (à propos de la bataille de Valmy gagnée par les armées de la
République française).
« J’aime mieux une injustice qu’un désordre ».
« Ose être heureux ».
« À quoi bon persister dans nos idées quand tout change autour de nous ».
« Plus de lumière » (mehr Licht, paroles prononcées sur son lit de mort).
Prolongements
• Napoléon, grand lecteur de Werther, rencontra Goethe en 1808 à
Erfurt : après avoir critiqué les tragédies où intervient le destin, car
aujourd’hui « le Destin, c’est la politique », il déclara de Goethe : «
Voilà un homme. »
• Les adaptations musicales de Faust furent nombreuses, par Berlioz
avec La Damnation de Faust (1846) et par Gounod avec son Faust
(1859), où le personnage central est celui de Marguerite. Schubert
adapte au piano le poème Le Roi des Aulnes en 1815, après s’être
inspiré de Faust pour Marguerite au rouet en 1814.
• Oswald Spengler dans Le Déclin de l’Occident (1918) montre que la
« culture faustienne » de l’Occident est « grisonnante » : la «
volonté de puissance » ne veut dominer que des apparences. « Le
sacrilège du Faustien et son désastre surpassent tous les autres,
allant au-delà de tout ce qu’Eschyle ou Shakespeare n’ont jamais
imaginé ».
• Le mythe de Faust fut adapté au cinéma, par exemple par Méliès en
1903 et par Murnau en 1926.
• Dans le Docteur Faustus de Thomas Mann (1947), Adrian
Leverkühn, demande l’aide du diable pour se consacrer à la
musique et finit sa vie fou.
5. Arts
Fragonard et l’amour
Prolongements
• Ce sont les frères Goncourt qui dans leur Art du XVIIIe siècle (1873)
firent le plus pour assimiler l’art du XVIIIe siècle au joli et au
décoratif : ainsi ils écrivent de Boucher : « Le joli, c’est l’âme du
temps, et c’est le génie de Boucher. »
• Peintre de la sensualité féminine et du plaisir de vivre, Auguste
Renoir se réclamait des peintres du XVIIIe siècle, surtout de
Fragonard : « À Watteau et Boucher, j’ajouterai Fragonard, surtout
les portraits de femmes. Ces bourgeoises de Fragonard !…
Distinguées sans cesser d’être bonnes filles. »
• André Malraux, dans Les Voix du silence (1951), fait de Chardin l’un
des fondateurs de la peinture moderne, qui se libère de l’aveugle «
soumission au réel » au profit de la seule « création artistique » : «
L’humilité de Chardin implique moins une soumission au modèle
qu’une destruction secrète de celui-ci au profit de son tableau. »
Avec lui l’art devient le seul « absolu ».
5.2 Mozart
Mozart (1756-1791) est aujourd’hui l’un des musiciens les plus classiques
et les plus universellement appréciés, pour la joie que procure sa musique. Son
œuvre est d’une profonde originalité dans tous les domaines qu’il a abordés,
mais c’est l’opéra qu’il a réellement créé sous sa forme moderne.
L’enfant prodige
L'indépendance à Vienne
Un génie incomparable
Prolongements
• Haydn apprit beaucoup de l’œuvre de celui qui était pourtant son
cadet. En particulier ses douze Symphonies londoniennes sont
pénétrées de l’influence de la symphonie Jupiter et de la Symphonie
en sol mineur.
• Beethoven, durant toute la première partie de son œuvre, par
exemple sa Symphonie en ut majeur ou ses Six Premiers quatuors à
cordes de l’opus 18, continue la tradition classique de Haydn et de
Mozart.
• Wagner, pourtant très éloigné de Mozart, reconnaissait, à propos de
Don Juan : « Jamais musique […] n’a reçu le pouvoir de
caractériser avec autant de sûreté et de justesse, avec une aussi
débordante plénitude. »
6. Sciences
Les physiocrates
L’école écossaise
La querelle du luxe Pour les économistes du XVIIIe siècle, repris par Voltaire, le luxe est
un des moyens essentiels du développement économique, outre qu’il est un signe de
civilisation. Hume notait qu’il implique un « grand raffinement dans la satisfaction des sens
». Voltaire estime que « dans un royaume rempli de manufactures, vouloir diminuer le luxe,
c’est diminuer l’industrie et la circulation ». « Le luxe général est la marque infaillible d’un
empire puissant et respectable ». Il a également une valeur civilisatrice, en favorisant le
commerce et la circulation des biens qui ne va pas sans celle des idées. À ces vues
s’opposent celles de Rousseau, qui, dans le Discours sur les sciences et les arts (1750),
entend combattre le luxe, qui, comme les lettres et les arts, « est né de l’oisiveté et de la
vanité des hommes ». Il faut des lois somptuaires pour l’interdire, comme en faisait Caton
l’Ancien dans la Rome antique.
Citation de Voltaire : Le Mondain (1736)
« J’aime le luxe, et même la mollesse,
Tous les plaisirs, les arts de toute espèce,
La propreté, le goût, les ornements :
Tout honnête homme a de tels sentiments […]
Le superflu, chose très nécessaire,
À réuni l’un et l’autre hémisphère. »
Prolongements
• Marx reprend la théorie de la valeur de Ricardo qui montre que
la valeur d’une marchandise est mesurée par le travail
nécessaire à sa production. Mais il la complète par sa théorie
de la plus-value : la force de travail des ouvriers est la seule
marchandise qui produise une « plus-value », car le capitaliste
ne paye pas ce travail à son prix, qui serait celui nécessaire à la
production des moyens d’existence de l’ouvrier.
• Le modèle de l’homo economicus sera emprunté au XXe siècle
par la sociologie et la philosophie d’inspiration libérale, qui se
réclament volontiers d’Adam Smith , par exemple chez F.
Hayek (Droit, législation et liberté, 1973).
Partie 7
Le XIXe siècle
1. Histoire
1.1 Repères
• 1815. Acte final du Congrès de Vienne
• 18 juin 1815. Défaite de Napoléon Ier à Waterloo
• 26-28 juillet 1830. Révolution à Paris, début de la monarchie de Juillet
• 22-24 février Révolution à Paris, proclamation de la IIe République
1848.
• 2 décembre 1851. Coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte
• 1862. La France colonise la Cochinchine
• 4 septembre 1870. Défaite de Napoléon III à Sedan et proclamation de la IIIe République
• 1871. Soulèvement de la Commune
• 1875. Adoption des trois lois constitutionnelles régissant la IIIe République
• 1881. La France impose son protectorat sur la Tunisie
• 1884-1885. Conférence coloniale de Berlin
• 1886-1889. Crise boulangiste
• 1899-1902. Guerre de l’Angleterre contre les Boers pour le contrôle de l’Afrique du Sud
• 1894-1906. Affaire Dreyfus
• décembre 1905. Séparation de l’Église et de l’État
• 1905. Révolution à Saint-Pétersbourg
• 1911. L’Italie prend pied à Tripoli et Benghazi
• 1914. Attentat de Sarajevo et début de la Grande Guerre
Prolongements
• La mutation économique de la fin du XXe siècle, en limitant
l’importance de l’acier, a sonné le glas des grandes installations
sidérurgiques du XIXe siècle. D’où ces ruines industrielles
abandonnées, transformées en écomusées à moins qu’elles ne soient
démontées et comme gommées du paysage.
• Le conflit irlandais, l’éclatement de la Tchécoslovaquie et la guerre
dans l’ex-Yougoslavie rappellent que les aspirations nationales sur
le continent européen n’ont pas encore reçu toutes les réponses
attendues. Ces prolongements sont d’autant plus vivaces que les
conséquences de l’expansion soviétique, en imposant la longue
parenthèse de 1945-1989, firent penser que le XIXe siècle avait
davantage été « effacé ».
1.2 La France et l’héritage de 1789 au XIXe siècle
Il fallut toute la première moitié du XIXe siècle pour que fût réellement
reconnue la souveraineté du peuple et instauré le suffrage universel en 1848.
Même s’il avait la nostalgie de l’Ancien Régime, Louis XVIII savait qu’il ne
serait jamais en son pouvoir d’effacer la Révolution. En 1814, en octroyant la
Charte, il maintint donc l’égalité devant la loi, les libertés de culte, de pensée
et de presse et renonça à revenir sur les ventes de biens nationaux. Il avait
rétabli le suffrage censitaire, comme dans la constitution de 1791. Jusqu’à la
révolution de 1830 le corps électoral fut très réduit et la manipulation des
documents fiscaux permettait d’éliminer des électeurs gênants. Cependant, ce
régime était beaucoup trop libéral aux yeux des ultras et, à l'inverse, ne l'était
pas assez aux yeux des libéraux. L'assassinat du duc de Berry puis
l’avènement de Charles X ne permirent pas la survie de la voie moyenne
qu’avait essayé de suivre Louis XVIII. À partir de 1820 les Français eurent le
sentiment que le pouvoir voulait rogner les libertés qu’il avait reconnues.
Surtout, sans revenir sur le concordat signé par Bonaparte, le gouvernement
pratiqua une politique outrageusement favorable à l’Église et appuya toutes
les initiatives destinées à rechristianiser les populations. Or, une bonne partie
de la société, en particulier dans les élites et la petite bourgeoisie urbaine, mais
aussi dans quelques campagnes, était profondément anticléricale. Cette
fraction de la société, adhérait à l’idée que la religion était une affaire
personnelle, ne relevant que de la sphère privée. Aussi la révolution de 1830
eut une très forte tonalité anticléricale, l’Église paraissant soutenir la politique
de restriction des libertés de Charles X. Les clercs furent l’objet de violences,
le noviciat des jésuites et l’archevêché de Paris furent saccagés. Ces violences
anticléricales ne disparurent qu’au bout de plusieurs mois.
Un libéralisme modéré
La victoire de la République
Prolongements
• De très nombreuses formules du débat politique datent de la IIIe
République, par exemple : « Il faudra se soumettre ou se démettre »
et « Le cléricalisme voilà l’ennemi » de Gambetta.
• La IIIe République est encore présente dans le paysage à travers les
statues érigées à la gloire de ses grands hommes, mais aussi par les
multiples écoles, au style si caractéristique, qu’elle fit construire.
• Cet héritage est plus ou moins visible en fonction de la conjoncture
politique. En 1981 l’anniversaire de la Commune fut célébré avec
un certain faste, puis on revint à plus de discrétion.
• L'Église n’a jamais accepté les limites que lui imposa la IIIe
République en matière d’enseignement. Elle se heurte à la famille
républicaine qui n’entend pas laisser porter atteinte à un aspect
important de son identité. Ce conflit entre l’Église et la République
s’est estompé après la Seconde guerre mondiale, du fait de
l’affirmation du groupe des chrétiens de gauche, dont l’existence
prouva que la foi catholique n’est pas obligatoirement hostile à la
République.
De la houille au pétrole
L'expansion coloniale
Cette politique de conquête coloniale vit se dresser contre elle, dans tous les
pays colonisateurs, des adversaires, à droite comme à gauche. Mais ceux-ci ne
devinrent jamais assez forts pour enrayer le mouvement, a fortiori le faire
cesser. Certains critiques, comme les socialistes français, s’en prenaient
d’ailleurs davantage aux méthodes de la colonisation, qu’à son bien-fondé. En
France l’opposition aurait pu trouver un appui dans le monde rural, très
méfiant et qui redoutait que tout cela ne coûtât très cher. Les partisans de la
conquête désarmèrent ces opposants en réservant les missions coloniales aux
troupes de marine : les conscrits ne partiraient pas outre-mer, sauf à être
volontaires. Un texte prévoyait que les colonies devraient avoir un budget
dont elles assureraient l’équilibre. Rassurés sur le coût, les paysans français
finirent par être fiers de leur empire colonial. Après s’être atténué durant les
quinze dernières années du XIXe siècle, l’anticolonialisme connut un regain en
Europe au début du XXe siècle, en grande partie à cause de la diffusion de
témoignages relatifs aux abus commis aux colonies, aux dépens des indigènes.
Cette expansion coloniale fut aussi une cause de tension entre puissances.
L'Allemagne, tard venue dans ce partage du monde, put soutenir qu’elle avait
été mal traitée et demanda une révision de ce partage. L'Italie, elle aussi,
trouvait qu’elle avait été réduite à la portion congrue et espéra obtenir des
compensations coloniales pour prix de son engagement dans la guerre de 1914
aux côtés de la France et de l’Angleterre. En particulier elle n’acceptait pas
l’installation de la France en Tunisie depuis 1881 : elle considérait que la
Tunisie, où vivaient un nombre d’Italiens très supérieur à celui des Français,
lui revenait naturellement. Avant même que la conquête ne fût achevée les
opérations coloniales furent la cause de crises plus ou moins graves entre les
puissances. Ainsi la rencontre à Fachoda, sur le Nil, en 1898, d’une colonne
française et d’une colonne anglaise donna lieu à une agitation dans les deux
opinions publiques, il est vrai très excitées par les journaux. De même, un des
obstacles au rapprochement anglo-russe avant l’accord de 1907 tenait à des
contentieux coloniaux.
Enfin, si la Grande-Bretagne avait une démographie assez puissante au
XIXe siècle pour créer un certain nombre de colonies de peuplement, peu de
Français quittèrent l’Europe pour aller s’installer dans les colonies. Mais la
maîtrise du monde par les Européens ne se limite pas à l’acquisition d’empires
coloniaux, si vastes soient-ils. L'Europe, avant 1914, exerçait aussi un pouvoir
de contrôle du fait de ses investissements dans le monde, dont elle était la
créditrice. Cette situation lui permettait de tirer des revenus substantiels des
différentes régions, dans lesquelles elle avait investi.
Prolongements
• Ils tournent beaucoup autour d’une vision ou pittoresque ou
franchement mythique des colonies et de la vie qu’on y menait.
L'idée de « vivre comme aux colonies » laisse supposer qu’elles
étaient une sorte d’Eden. Tout dépend pour qui. On en trouve de
nombreuses traces dans les chansons.
• À Marseille, à la sortie de la gare Saint-Charles, des statues
féminines représentent des éléments de l’ancien Empire colonial
français.
• Le séjour d’Européens aux colonies entraîna la diffusion en Europe
de modes alimentaires empruntées aux populations colonisées. Ce
phénomène est amplifié par l’inversion des migrations depuis 1945.
• Le débat sur le bien-fondé, ou non, de la colonisation se poursuit. Il
s’est actualisé, avec l’émergence du tiers-monde dans les années
soixante et a porté sur la question de savoir quelle était la part prise
par l’épisode colonial dans le sous-développement. Mais il ne doit
pas occulter le véritable néo-colonialisme qui s’est développé après
les indépendances.
2. Religions
L'apogée de l’anticléricalisme
Jules Ferry : Lettre aux instituteurs (1883) « Si parfois vous étiez embarrassé pour
savoir jusqu’où il vous est permis d’aller dans votre enseignement moral, voici une règle
pratique à laquelle vous pourrez vous tenir. Au moment de proposer aux élèves un précepte,
une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve à votre connaissance un seul honnête
homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de
famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser
son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon parlez
hardiment ; car ce que vous allez communiquer à l’enfant, ce n’est pas votre sagesse ; c’est
la sagesse du genre humain, c’est une de ces idées d’ordre universel que plusieurs siècles de
civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l’humanité […]. Il ne s’agit plus là d’une
série de vérités à démontrer, mais ce qui est tout autrement laborieux, d’une longue suite
d’influences morales à exercer sur ces jeunes êtres à force de patience, de fermeté, de
douceur, d’élévation dans le caractère et de puissance persuasive. On a compté sur vous pour
leur apprendre à bien vivre par la manière même dont vous vivrez avec eux et devant eux. »
Prolongements
• La question de la laïcité resurgit aujourd’hui en France avec une
particulière acuité autour de la question du voile islamique et de la
nécessité de tenir l’école à l’écart du renouveau de tous les types
d’intégrismes religieux et de particularismes communautaires.
3. Philosophie
Tocqueville et l’individualisme
Dans cet ouvrage, il montre que ce qui frappe c’est plutôt la continuité de
l’un à l’autre régime que la rupture. L'absolutisme royal annonce la
centralisation républicaine et conduit à une marche inéluctable vers l’égalité
des conditions. « En France, les rois se sont montrés les plus actifs et les plus
constants des niveleurs ».
Cette égalité des conditions tend à défaire le lien social : les hommes sont
comme posés les uns à côté des autres, ils ne dépendent pas les uns des autres
comme dans les anciennes sociétés hiérarchisées. « Chacun d’eux retiré à
l’écart est comme étranger à la destinée de tous les autres ».
C'est ainsi que va se développer une nouvelle attitude, l’individualisme,
différent de l’égoïsme. C'est un « sentiment réfléchi et paisible qui dispose
chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart
avec sa famille et ses amis ; de telle sorte que, après s’être ainsi créé une petite
société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même ».
Les risques que court la démocratie sont donc paradoxalement un
conformisme généralisé et un renforcement du rôle de l’État du fait de la
démission de tous. Tocqueville entrevoit une inquiétante « tyrannie de la
majorité », la venue d’un « pouvoir immense et tutélaire », « absolu, détaillé,
régulier, prévoyant et doux ». Alors les hommes ne désirent même plus être
libres.
L'antidote qu’offre la société américaine est un art politique, qui permet de
faire jouer les pouvoirs les uns contre les autres, et de « créer artificiellement
l’action réciproque des hommes les uns sur les autres » par le développement
du rôle des associations et des pouvoirs intermédiaires, par la décentralisation,
par la garantie de la liberté de la presse.
Stuart Mill et le droit à l’excentricité En Angleterre, Stuart Mill s’élève dans De la
liberté (1859) contre le conformisme qui menace la société démocratique. La société exerce
un trop grand pouvoir sur l’individu par le « despotisme de la coutume ». Contre cela Mill
revendique un droit à l’excentricité pour les hommes supérieurs, qui seul permet à des
Socrate d’exister : « Précisément parce que la tyrannie de l’opinion fait un crime de
l’excentricité, il est désirable, afin de briser cette tyrannie, que les hommes soient
excentriques. »
Prolongements
• La défense du libéralisme économique et politique est au centre de
l’action d’hommes politiques comme Ronald Reagan ou Margaret
Thatcher dans les années quatre-vingt.
• Certains courants néo-libéraux radicaux anglo-saxons se qualifient
de « libertariens » et veulent réduire à l’extrême le rôle de l’État. Ils
se justifient en montrant que les préférences individuelles de
chacun sont incomparables.
• Durkheim fait du développement de l’individualisme, qu’il qualifie
d’égoïsme, un des éléments les plus marquants et les plus
inquiétants des sociétés industrielles modernes. Pour éviter les
risques de désordre, d’anomie, que cela peut entraîner, il souhaite
développer l’adhésion à une morale collective.
• L'individualisme méthodologique est un courant de pensée,
dominant en économie politique, qui raisonne à partir du modèle
d’un individu abstrait et rationnel, calculant ce qui est le meilleur
pour lui. On ne peut expliquer un phénomène social quelconque
que si l’on parvient à reconstruire les motivations des individus
concernés par ce phénomène. Ce modèle de l’homo economicus est
lié à la philosophie utilitariste : l’individu cherche à « maximiser »
son intérêt et à « minimiser » ses désagréments.
• Bien des remarques de Tocqueville peuvent sembler
d’extraordinaires anticipations de nos sociétés actuelles, comme le
notent les philosophes français contemporains Gilles Lipovetsky
(L'Empire de l’éphémère, 1987), ou Alain Renaut (L'Ère de
l’individu, 1989).
Un progrès inéluctable
Prolongements
• Paul Valéry, dans ses Regards sur le monde actuel (1931), critique
les illusions et les dangers des philosophies de l’histoire : «
L'histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de
l’intellect ait élaboré… L'histoire justifie ce que l’on veut. Elle
n’enseigne rigoureusement rien, car elle contient tout et donne des
exemples de tout. »
• Les expériences tragiques du XXe siècle semblent avoir
définitivement sapé l’idée de progrès. Ainsi Freud, en 1938, dans
Moïse et le monothéisme, écrit : « Nous découvrons avec surprise
que le progrès a conclu un pacte avec la barbarie. »
• L'anthropologue Claude Lévi-Strauss a bien montré dans Race et
histoire (1952) que le culte du progrès empêche de comprendre la
valeur des civilisations différentes : « Les zélateurs du progrès
s’exposent à méconnaître, par le peu de cas qu’ils en font, les
immenses richesses accumulées par l’humanité de part et d’autre de
l’étroit sillon sur lequel ils gardent les yeux fixés. »
• Pour le politologue américain contemporain F. Fukuyama , qui
s’inspire de Hegel, nous vivons aujourd’hui la « fin de l’histoire » :
dans la mesure où le capitalisme n’a plus d’adversaire, ayant
triomphé du communisme, l’histoire comme lieu de conflits
tragiques est terminée et laisse la place aux seuls mécanismes du
marché.
Le socialisme est une des grandes doctrines politiques nées au XIXe siècle,
dont l’influence a pesé sur tout le XXe siècle. L'idée de socialisme suppose à
la fois une critique de la société établie et des projets de réorganisation totale
de celle-ci, selon un plan déterminé à l’avance. Il s’appuie en général sur un
appel à la classe des producteurs, en particulier au prolétariat. Ce socialisme
prendra une nouvelle forme avec l’apparition du marxisme, qui se présente
comme un « socialisme scientifique » et fait qualifier, a posteriori, les
socialismes antérieurs de « socialismes utopiques ».
Saint-Simon et l’industrie
Socialisme et communisme
Manifeste du parti communiste (extrait) « L’histoire des sociétés n’a été que l’histoire
des luttes de classes. Hommes libres et esclaves, patriciens et plébéiens, barons et serfs,
maîtres de jurandes et compagnons, en un mot, oppresseurs et opprimés, en opposition
constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée : une guerre
qui toujours finissait par une transformation révolutionnaire de la société tout entière ou par
la destruction des deux classes en lutte. […] La société se divise de plus en plus en deux
grands camps opposés, en deux classes ennemies : la bourgeoisie et le prolétariat. […]. La
bourgeoisie n’a laissé subsister entre l’homme et l’homme d’autre lien que le froid intérêt,
que les dures exigences du paiement au comptant. Elle a noyé l’extase religieuse,
l’enthousiasme chevaleresque, la sentimentalité du petit bourgeois dans les eaux glacées du
calcul égoïste. »
Marx et Engels Karl Marx (1818-1883), fils d’un avocat juif libéral, fait des études de
droit et de philosophie à Berlin, et un doctorat sur Épicure. Il s’enthousiasme pour la
philosophie hégélienne. Journaliste à la Nouvelle Gazette rhénane, il se réfugie à Paris où il
découvre les milieux socialistes français. Il rédige avec Friedrich Engels (1820-1895) le
Manifeste du parti communiste (1848) qui se termine sur la formule fameuse : « Prolétaires
de tous les pays, unissez-vous ! » Engels avait rédigé en 1845 un ouvrage sur La situation de
la classe laborieuse en Angleterre. Marx vit ensuite à Londres grâce à l’aide financière
d’Engels, qui gère l’entreprise industrielle de son père à Manchester. Il y rédige le Capital
dont le livre I paraît en 1867. Marx et Engels participent en 1864 à la création de la Première
Internationale communiste, l’Association internationale des travailleurs.
L'anarchisme
Solidarisme et république
Prolongements
• Le saint-simonisme a une postérité industrielle : le successeur de
Saint-Simon , Enfantin, et ses disciples, polytechniciens et
ingénieurs, joueront un rôle important dans les grandes réalisations
de la fin du XIXe siècle : développement des chemins de fer,
percement du canal de Suez, modernisation du système bancaire,
avec les frères Pereire . Le féminisme peut également s’en réclamer
à bon droit. En littérature, avec George Sand, et en musique, avec
Liszt ou Félicien David, le saint-simonisme aura également une
certaine influence.
• Certaines tentatives fouriéristes seront réalisées aux États-Unis .
André Breton dans son Ode à Charles Fourier fait de Fourier un
des ancêtres du surréalisme.
• Le projet marxiste a bouleversé tout le XXe siècle à travers la lecture
qui en a été faite par Lénine et la révolution d’octobre en Russie. Il
ne subsiste aujourd’hui que sous la forme d’une certaine économie
organisée ou planifiée.
• Les critiques libérales du socialisme, comme celle de Hayek,
retrouvent derrière le marxisme les projets « constructivistes » de
Saint-Simon ou Comte, qui prétendent reconstruire la société selon
des projets abstraits propres aux « ingénieurs ».
• Proudhon influencera durablement le mouvement ouvrier. Ses idées
sont majoritaires durant la Commune de Paris. L'idée d’autogestion
a également des origines proudhoniennes.
• Le mouvement anarchiste connaîtra son plus grand succès en
Espagne avant et pendant la guerre civile.
4. Littérature
Le Père Goriot
Le Rouge et le Noir
Inspiré d’un fait divers, Le Rouge et le Noir fait le récit d’une ambition,
celle de Julien Sorel, fils de scieur de bois, qui entre dans la carrière
ecclésiastique (le noir) puisque l’armée (le rouge) n’est plus le moyen de
parvenir. Précepteur de ses enfants, il se fait aimer de la femme du maire, Mme
de Rênal, puis, devant la rumeur, est contraint d’entrer au séminaire à
Besançon. Il réussit à devenir ensuite, à Paris, secrétaire du très royaliste
marquis de la Môle, dont il séduit la fille, Mathilde, qui lui procure un titre et
va l’épouser. Mais Mme de Rênal, jalouse et poussée par un prêtre, le dénonce
au marquis de la Môle. Julien la blesse d’un coup de pistolet. Malgré les
interventions de Mme de Rênal et de Mathilde, il est condamné à mort et
guillotiné. Mme de Rênal meurt trois jours après lui.
La Chartreuse de Parme
Ses deux plus grands romans sont des romans de l’échec, alors que ceux de
Balzac et Stendhal étaient des romans du succès et de l’énergie.
Madame Bovary décrit cruellement les ravages qu’occasionnent les rêveries
romantiques sur un personnage médiocre. Le « bovarysme » deviendra
d’ailleurs un nom commun pour décrire l’insatisfaction romanesque
provoquée par le romantisme sur une âme ordinaire. Emma, fille de paysan,
épouse le docteur Bovary, espérant sortir de sa condition. Mais elle s’ennuie
dans le bourg où elle vit et, séduite par le faste d’un bal, se donne au noble
local qui promet de l’enlever, mais l’abandonne. Puis elle prend comme amant
un jeune clerc de notaire et un chanteur d’opéra. Endettée par ses achats, elle
se suicide à l’arsenic. Son mari meurt ruiné.
L'Éducation sentimentale est le récit des amours du jeune Frédéric Moreau,
qui, venu de province dans le Paris des années 1840, avec des ambitions aussi
nombreuses qu’imprécises, tombe amoureux de la jolie Mme Arnoux. Il ne la
revoit que bien des années après et elle reconnaît alors qu’elle l’aimait. Trop
tard. Frédéric et son ami Deslauriers ne peuvent alors que constater qu’ils ont
raté leur vie.
Bien que le réalisme se soit réclamé de lui, Flaubert n’accepte pas d’être
enrôlé sous quelque bannière que ce soit : « L'art ne doit servir de chaire à
aucune doctrine sous peine de déchoir ».
Il se moque de la prétendue inspiration romantique et souligne le rôle du
travail, sur des textes qu’il reprend sans cesse. Il refuse le lyrisme et souhaite
être oublié derrière son œuvre : « Tu prendras en pitié l’usage de se chanter
soi-même… L'artiste doit s’arranger de façon à faire croire à la postérité qu’il
n’a pas vécu. » Seule compte pour lui l’œuvre littéraire qui ne renvoie pas à
une réalité qu’elle devrait décrire, mais qui est elle-même créatrice d’un
monde, d’une réalité autonome. En ce sens il annonce le roman contemporain,
qui n’a pas d’autre objet que lui-même et qui vise à ce que l’auteur
disparaisse.
• Études de mœurs
1 Scènes de la vie privée : 23 romans dont Le Père Goriot,
La Femme de trente ans, Le Colonel Chabert.
2 Scènes de la vie de province : 13 romans dont Eugénie
Grandet, Le Lys dans la vallée, Les Illusions perdues.
3 Scènes de la vie parisienne : 24 romans dont César
Birotteau, Le Cousin Pons, La cousine Bette, Splendeur
et misères des courtisanes.
4 Scènes de la vie politique : 4 romans dont Un épisode
sous la Terreur, Une ténébreuse affaire.
5 Scènes de la vie militaire : 2 romans, dont Les Chouans.
6 Scènes de la vie de campagne : 3 romans dont Le
Médecin de campagne.
• Études philosophiques : 22 romans et contes mystiques dont La
Peau de chagrin, La Recherche de l’absolu, Le Chef-d’œuvre
inconnu, Louis Lambert, Seraphita.
• Études analytiques : 2 romans dont La Physiologie du mariage.
Prolongements
• Dans le discours qu’il prononce aux obsèques de Balzac , Hugo
souligne le caractère effrayant du monde que décrit La
Comédie humaine : « Tous ses livres ne forment qu’un livre,
livre vivant, lumineux, profond, où l’on voit aller et venir et
marcher et se mouvoir, avec je ne sais quoi d’effaré et de
terrible mêlé au réel, toute notre civilisation contemporaine. »
• Champfleury au milieu du siècle, Émile Zola à la fin du siècle,
tenteront d’annexer Balzac au courant réaliste et naturaliste,
laissant de côté son aspect visionnaire qui est pourtant
essentiel, comme le manifestent ses œuvres mystiques et
illuministes.
• Stendhal pensait écrire pour les « happy few », une petite élite,
et n’être lu, peut-être, « qu’en 1935 ». Effectivement, parmi ses
contemporains, Balzac est un des rares à l’apprécier, avec
Prosper Mérimée.
• Sartre, dans L'Idiot de la famille (1971-1972) tente de répondre,
à propos de Flaubert, « créateur du roman moderne », à la
question : « Que peut-on savoir d’un homme aujourd’hui ? »
Sartre s’efforce d’y parvenir par une « totalisation » des
éléments dont on dispose sur Flaubert, en partant de sa
première enfance.
• En 1986, dans L'Art du roman, Milan Kundera définit le roman
par son autonomie : il ne dépend de rien d’antérieur à lui-
même et propose de véritables expérimentations sur des
manières d’exister non encore décrites.
4.2 Le romantisme
Le préromantisme
Le mouvement romantique
En 1820 les Méditations poétiques de Lamartine sont le premier grand
succès du romantisme, avec ses vingt-quatre poèmes très personnels, chantant
l’amour de l’auteur pour Julie mourante, dont le fameux Lac : « Ô temps
suspends ton vol ! Et vous, heures propices/Suspendez votre cours. »
Le mouvement romantique se développe et s’organise ensuite avec le
Cénacle qui réunit autour de Victor Hugo Benjamin Constant, Stendhal et
Alfred de Vigny. Il connaît sa grande bataille le 25 février 1830 à l’occasion
de la représentation d’Hernani de Victor Hugo. Le romantisme triomphe
ensuite de 1830 à 1848. Après 1848 ce romantisme, qui était à ses débuts
royaliste et catholique, va s’infléchir dans un sens humanitaire et socialisant.
Ce mouvement romantique s’accompagne en général de prises de parti
politiques et religieuses, royalistes et catholiques au début.
Le sentiment et le moi
La mission sociale
Le style romantique
Pour ce qui est du style, les romantiques se prononcent pour un « vers libre,
franc, loyal, osant tout dire sans pruderie ». Ils n’emploient pas de périphrases
pour éviter les termes triviaux, et veulent au contraire se servir de tout
l’éventail du vocabulaire, voire « mettre un bonnet rouge au dictionnaire »
selon la formule de Hugo. Selon lui, « les mots sont les passants mystérieux
de l’âme », il faut jouer sur leurs sens et leur épaisseur.
Victor Hugo Victor Hugo (1802-1885) est le prototype du « grand homme » à la manière
du XIXe siècle, et c’est d’ailleurs à l’occasion de ses obsèques que le Panthéon retrouvera
ses fonctions de sanctuaire républicain. Outre sa carrière littéraire gigantesque, ce qui
explique la gloire de Hugo est son action politique contre le Second Empire et ses positions
sociales.
Dans sa jeunesse Hugo, qui à quinze ans déclarait : « Je veux être Chateaubriand ou rien
», anime le mouvement romantique, et en écrit les œuvres fondatrices, dans les trois genres
principaux : Hernani pour le drame en 1830, Notre-Dame de Paris pour le roman en 1831,
les Feuilles d’automne pour la poésie en 1831. Mais son œuvre, par son ampleur, dépasse
largement le courant romantique. Après que sa femme le trompe avec son ami Sainte-Beuve,
il aime Juliette Drouet, et a d’innombrables aventures. Après la noyade de sa fille
Léopoldine, Hugo ne publie plus pendant dix ans et se consacre à la politique. Pair de
France, député, il s’exile après le coup d’État du 2 décembre 1851 à Bruxelles, puis à Jersey
et Guernesey. Il y écrit ses chefs-d’œuvre, tout en se livrant à des expériences spirites : les
Châtiments (1853) contre Napoléon III, les poèmes des Contemplations (1856), sur
l’enfance, l’amour, la mort de sa fille, la philosophique et mystique Légende des siècles
(1859), qui décrit l’histoire de l’humanité, de la Bible au XXe siècle comme « un seul et
immense mouvement d’ascension vers la lumière », enfin Les Misérables (1862), qui
contribue le plus à sa popularité. Il retourne en France avec la République, est élu député
puis sénateur, et meurt en 1885. Ses Choses vues, éditées après sa mort, sont un remarquable
recueil de notes, d’un ton très moderne, sur son temps et ses contemporains.
Les Misérables
Les Misérables sont le récit de la vie d’un forçat, Jean Valjean, condamné à vingt ans de
bagne pour avoir volé un pain pour nourrir sa famille et avoir cherché à s’évader. Recueilli à
sa sortie du bagne par Mgr Myriel, il le vole, mais celui-ci non seulement ne le dénonce pas
mais lui donne encore deux chandeliers. Il est transformé par cette expérience. Devenu
honnête, industriel et maire de sa ville sous le nom de M. Madeleine, Jean Valjean est
néanmoins poursuivi par l’insensible policier Javert. Obligé de se constituer prisonnier pour
sauver un innocent, il s’évade encore et protège comme un père Cosette, ainsi qu’il l’avait
promis à sa mère, la malheureuse Fantine. Il l’enlève aux sordides cabaretiers, les
Thénardier, qui l’exploitent. Elle épousera le jeune républicain Marius, fils d’honnêtes
bourgeois. Sur les barricades de 1832 Jean Valjean lutte aux côtés du jeune Gavroche, image
du peuple révolutionnaire de Paris. Jean Valjean épargne la vie de Javert qui est de l’autre
côté de la barricade. Par-delà ses aspects mélodramatiques, dans le style d’Eugène Sue, Les
Misérables sont le premier grand roman du peuple et des petits, qui sont sauvés par la pitié et
la charité. Le Mal y est vaincu par le Bien.
L'art pour l’art En réaction contre un romantisme qui proclame que l’écrivain a une
mission sociale, Théophile Gautier (1811-1872) avait développé sa théorie de l’art pour l’art,
en particulier dans sa préface à Mademoiselle de Maupin en 1836, ou dans ses Émaux et
camées de 1852. Il s’élève contre l’idée d’un art utile : « L'art pour nous n’est pas un moyen
mais le but. » « Non, imbéciles, non, crétins et goitreux que vous êtes, un livre ne fait pas de
la soupe à la gélatine ; un roman n’est pas une paire de bottes sans couture ; un sonnet, une
seringue à jet continu ; un drame n’est pas un chemin de fer, toutes choses essentiellement
civilisantes, et faisant marcher l’humanité dans la voie du progrès ».
Selon lui « en général, dès qu’une chose devient utile, elle cesse d’être belle » : le beau est
« la combinaison complexe, savante, harmonique des lignes, des couleurs et des sons ».
Cette recherche de l’art pour l’art est reprise par les poètes du Parnasse, réunis de 1866 à
1876 autour des anthologies du Parnasse contemporain publiées par l’éditeur Lemerre. Ses
principaux représentants sont Leconte de Lisle (1818-1894) et José-Maria de Heredia (1842-
1905). Cet art est par essence un art aristocratique : « Il n’est pas bon de plaire ainsi à une
foule quelconque. Un vrai poète n’est jamais l’écho systématique ou involontaire de l’esprit
public. »
Prolongements
• Le mouvement romantique, avec sa redécouverte des littératures
nationales et son esprit de révolte, va encourager le mouvement des
nationalités naissant à cette époque. Ainsi Byron (1788-1824)
s’engage et meurt aux côtés des Grecs en lutte pour leur
indépendance. Le grand poète romantique Mickiewicz (1798-1855)
est un héros de l’indépendance polonaise.
• Les excès de lyrisme et d’engagement du romantisme provoquent
une réaction en faveur de « l’art pour l’art » avec le mouvement du
Parnasse.
• Baudelaire voit dans Victor Hugo l’artiste « le plus universel », « le
plus apte à se mettre en contact avec les forces de la vie universelle,
le plus disposé à prendre sans cesse un bain de nature ».
• André Gide dit de Victor Hugo qu’il est « le plus grand poète
français, hélas !… »
Son grand livre, composé de 158 poèmes, travaillé pendant quinze ans, ce
sont Les Fleurs du mal. « Dans ce livre atroce, j’ai mis toute ma pensée, tout
mon cœur, toute ma religion (travestie), toute ma haine ». Ses poèmes
célèbrent les femmes, l’amour sensuel, le corps de Jeanne Duval, sa
chevelure, ses parfums, mais aussi la ville, c’est-à-dire Paris et ses vices. Il
chante la beauté du mal et du vice, comme l’effort pour s’en détacher.
Il espère, par la poésie, s’élever au-dessus de la médiocre réalité, quitter le «
spleen » pour l’« idéal », comme dans son fameux poème L'Albatros, qui
décrit le poète cloué au sol au milieu des huées par ses trop grandes ailes. Pour
ce faire, il faut s’éclairer des quelques « phares », artistes ou poètes, pour
rendre « l’univers moins hideux » et atteindre à un monde supérieur fait
d’ordre et de calme : « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté.
»
Autres solutions, plus immédiates, le recours à l’ivresse et aux « paradis
artificiels », vin, tabac, opium, ou la tentation de fuir, de voyager, comme dans
L'Invitation au voyage.
Mais il semble que l’unique remède soit la mort, à laquelle il convient de
faire face, y compris sous ses aspects les plus repoussants (La Charogne). Le
livre se termine sur ces mots : « Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel
qu’importe ?/Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! »
La poésie n’a pour objet que le culte du beau. Baudelaire refuse absolument
la poésie philosophique ou moralisatrice : la poésie « ne peut pas, sous peine
de mort ou de déchéance, s’assimiler à la science ou à la morale ; elle n’a pas
la vérité pour objet, elle n’a qu’Elle-même ». Contre le réalisme, il affirme
que l’art « diminue le respect de lui-même s’il se prosterne devant la réalité
extérieure ».
Mais « le Beau est toujours bizarre », il doit avoir un caractère « spontané et
inattendu ». Il faut dégager sous le quotidien le « merveilleux qui nous
enveloppe et nous abreuve comme l’atmosphère ».
En effet, en partie inspiré par le mystique Swedenborg, Baudelaire soutient
l’idée qu’il y a derrière, ou au-dessus, du monde quotidien un monde
supérieur que la poésie peut faire entrevoir grâce aux « correspondances »
qu’il y a entre le monde des sensations et cet univers suprasensible. Le poète
est celui qui sait déchiffrer ces correspondances, grâce à la faculté mystérieuse
qu’est l’imagination :
La notion de modernité
Les symbolistes et Mallarmé C'est en 1866 que Jean Moréas crée le nom de
« symboliste » et rédige un manifeste pour une nouvelle école poétique qui réunit d’aussi
grands auteurs que Paul Verlaine (Poèmes saturniens, 1866), Arthur Rimbaud (Une saison
en enfer, 1873) ou Stéphane Mallarmé (1842-1898).
L'œuvre de Mallarmé est sans doute encore plus importante que celle de Baudelaire, par
sa tentative d’une poésie pure et absolue, ne chantant rien d’autre que la langue elle-même.
Selon lui « le monde est fait pour aboutir à un beau livre ». L'hermétisme de la composition
de ses poèmes montre qu’ils ne renvoient que très indirectement à une réalité bien moins
importante que le jeu sur la langue et les sonorités. Pour lui le poète ne peut se contenter de
gémir sur l’incapacité du langage à exprimer l’ineffable, il doit sans discontinuer travailler
cette langue,
« creuser le vers », « donner un sens plus pur aux mots de la tribu », pour parvenir à
l’idéal dont il est hanté :
Prolongements
• Sainte-Beuve ne voit pas l’originalité de Baudelaire et en fait
seulement l’architecte « d’un kiosque d’une originalité concertée et
composite… À la pointe extrême du Kamtchatka romantique ».
• Pour Rimbaud, comme pour l’ensemble des poètes symbolistes,
Baudelaire est « un voyant », « un vrai Dieu ».
• Les Cahiers de Malte Laurids Brigge (1910) de Rainer Maria Rilke,
notes sur Paris, la maladie et la mort, se réclament de Baudelaire et
précisément du poème Une Charogne.
Le modèle expérimental
Selon Zola le naturalisme n’est pas une école à proprement parler mais
plutôt une certaine manière d’observer la réalité : « Le naturalisme n’est
qu’une méthode, ou moins encore une évolution. » Il fait remonter le
naturalisme à Diderot et Balzac, qui est pour lui toujours un modèle
indépassable.
La nouveauté est qu’il entend s’inspirer de la méthode des sciences de la
nature : « Nous devons opérer sur les caractères, sur les passions, sur les faits
humains et sociaux comme le chimiste ou le physicien opèrent sur les corps
bruts, comme le physiologiste opère sur les corps vivants. » Zola, très
impressionné par l’Introduction à la médecine expérimentale de Claude
Bernard (1865) qualifie aussi le roman naturaliste de « roman expérimental ».
Il privilégie l’observation et l’expérimentation au sens scientifique : « Le
roman naturaliste est une expérience véritable que le romancier fait sur
l’homme en s’aidant de l’observation ». Il faut « prendre les faits dans la
nature, puis étudier le mécanisme des faits en agissant sur eux par les
modifications des circonstances et des milieux, sans jamais s’écarter des lois
de la nature ». Comme chez Bernard, le principe du déterminisme est
essentiel, car « le monde humain est soumis au même déterminisme que le
reste de la nature ».
Le modèle médical
5. Arts
Ingres et le classicisme
Delacroix et le romantisme