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L’Information psychiatrique 2014 ; 90 : 11–9

ADOLESCENTS ET JEUNES ADULTES (1)

Adolescents et jeunes adultes

Gérard Shadili

RÉSUMÉ
La puberté a longtemps marqué le début de l’adolescence et même le passage à l’âge adulte. Possible frontière entre
l’enfance et l’adolescence, la puberté survient à des moments très différents chez les filles et les garçons et pour chaque
personne de même sexe.
Le vide entre enfance et âge adulte ne laisse que peu de place à l’adolescence qui devient alors finalement un temps non
défini dans la temporalité.
Beaucoup d’adolescents et de jeunes adultes vont mal, peut-être pas autant que la société ou les médias veulent bien le
dire, mais souffrent psychiquement. Il nous appartient, professionnels de l’adolescence, de les accompagner et les aider.
Notre but dans cet exposé est de témoigner de l’évolution historique des idées et des concepts sur l’adolescence et la
post-adolescence.
Nous dressons également quelques idées directrices sur les différentes modalités de prises en charge et sur les différentes
perspectives qui s’ouvrent à nous.
Mots clés : adolescence, post-adolescence, psychiatrie, soins

SUMMARY
Adolescents and Young Adults. Puberty has long marked the beginning of adolescence and the transition to adulthood.
A possible boundary between childhood and adolescence, puberty occurs at very different times in girls and boys and for
each individual person of the same sex. The gap between childhood and adulthood leaves little room for adolescence which
eventually becomes an undefined time in temporality. Many adolescents and young adults go wrong, perhaps not as much
as the society or the media want to admit, but they suffer psychologically. They belong to us, we who are professionals of
adolescence and we should accompany them and help them.
The aim of our paper was to demonstrate the historical development of ideas and concepts on adolescence and post-
adolescence.
We also present some general guiding ideas on the different forms of management and the different perspectives that are
open to us.
Key words: adolescence, post-adolescence, psychiatry, care
doi:10.1684/ipe.2013.1141

Institut mutualiste Montsouris, 42, boulevard Jourdan, 75014 Paris, France


<ggpsy17@yahoo.fr>

Tirés à part : G. Shadili

L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N◦ 1 - JANVIER 2014 11

Pour citer cet article : Shadili G. Adolescents et jeunes adultes. L’Information psychiatrique 2014 ; 90 : 11-9 doi:10.1684/ipe.2013.1141
G. Shadili

RESUMEN
Adolescentes y adultos jóvenes. La pubertad ha marcado durante mucho tiempo el principio de la adolescencia e incluso el
paso a la edad adulta. Posible frontera entre la niñez y la adolescencia, la pubertad sobreviene en momentos muy diferentes
en las chicas y los chicos y para cada persona del mismo sexo.
El vacío entre niñez y edad adulta deja poco sitio para la adolescencia que se convierte entonces finalmente en un tiempo
indefinido en la temporalidad.
Muchos adolescentes y adultos jóvenes van mal, quizás no tanto como la sociedad o los medios de información quie-
ren decirlo, pero sufren psíquicamente. Nos corresponde a nosotros, profesionales de la adolescencia, acompañarlos y
ayudarlos.
Nuestro fin en esta ponencia es dar fe de la evolución histórica de las ideas y de los conceptos sobre la adolescencia y la
post adolescencia.
Presentamos también algunas directrices sobre las diferentes modalidades de atención y las diferentes perspectivas que se
abren a nosotros.
Palabras claves : adolescencia, post adolescencia, psiquiatría, cuidados

Introduction et aspects Pendant longtemps, à quelques exceptions près, la spéci-


épidémiologiques ficité de l’adolescence avait pour ainsi dire disparu derrière
l’importance accordée à l’étude des premières années de
La puberté a longtemps marqué le début de l’adolescence l’enfant.
et même le passage à l’âge adulte. Possible frontière Cependant quand Evelyne Kestemberg écrit : « tout se
entre l’enfance et l’adolescence, la puberté survient à des joue dans l’enfance, se noue dans la période œdipienne et
moments très différents chez les filles et les garçons et pour se rejoue à l’adolescence » [24], elle a raison, y compris au
chaque personne de même sexe. Les données montrent que niveau synaptique et cellulaire [5].
la puberté commence plus tôt qu’autrefois, en moyenne de La fin de l’enfance se confond parfois avec le début de
3 ans [29]. l’accès à des activités que l’on nomme « d’adultes » : la
Dans certaines sociétés, le passage de l’enfance à l’âge consommation d’alcool ou de tabac, la conduite automo-
adulte est accompagné d’un rite de passage. Jadis, la bile, le droit de vote, le mariage, etc. Cependant, l’âge de
communion dans la culture catholique, la bar-mitsvah dans la majorité semble davantage un facteur confondant, qu’un
la culture juive, ou encore le service militaire ou le bacca- facteur venant signifier la fin de l’enfance. Cette définition
lauréat jouaient ce rôle. Marcel Gauchet a beaucoup insisté de la majorité permet finalement de constituer un vide entre
sur l’importance de reconnaître une différence essentielle l’enfance et le statut d’adulte, ne laissant que peu de place
entre les sociétés qui accordent une place prépondérante à à l’adolescence qui devient alors finalement un temps non
la détermination des phases du cycle de vie et celles qui, défini dans la temporalité mais offrant l’accès aux excès
comme la nôtre, la font passer au second plan. Dans les et à l’interdit. Certaines conduites des adolescents pour-
sociétés dites primitives, « les liens du sang sont ce qui est raient finalement leur permettre de se définir et de définir
réputé tenir la société ensemble, la différenciation des âges également, ce que nous avons, adultes, tant de mal à faire.
leur est communément associée ». Il note que dans un cer- Beaucoup d’entre eux vont mal, pas autant que la société
tain nombre de sociétés, en Afrique notamment, il existe ou les médias veulent bien le dire, mais la souffrance est
des organisations dites « à classe d’âge », où le groupement là ! En témoigne 400 % d’augmentation de la consom-
des personnes selon leur appartenance temporelle joue un mation de cannabis entre 1970 et nos jours. Le constat
rôle fondamental dans le fonctionnement du système social. est sans appel, cette tranche d’âge est exposée à des
« Ces sociétés [. . .] se définissent expressément autour de situations graves comme psychoses émergentes, conduites
leur reproduction biologique et sociale » [15]. Dans notre d’automutilations, tentatives de suicide, conduites à risque
société, il semble en aller autrement, avec « le déclin des et accidents, troubles de conduites alimentaires et obésité,
liens de parenté et le relâchement de l’organisation en âges abus d’alcool, toxicomanie et addictions diverses, patholo-
en tant qu’armatures explicites de la société » [15] et « nous gies narcissiques, grossesses adolescentes, violences, etc.,
sommes témoins de la consommation de leur remplacement fixant cette période comme finalement l’âge des possibles,
dans cette fonction par les liens politiques, juridiques et en bien comme en mal [20, 21, 22].
économiques spécifiquement construits par la modernité » L’adolescence s’avère donc un âge de reconnaissance
[15]. complexe. Le jeune veut à la fois se démarquer et appartenir

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Adolescents et jeunes adultes

au groupe. Il est entre enfance et âge adulte, pris dans violents sont relativement banalisés mais concernent plus
les incertitudes de ce dernier, lui disant « tu seras un d’un élève sur cinq. 21 % des garçons et 12 % des filles
homme, mon fils », sans toutefois l’amener à entrevoir déclarent avoir abîmé un bien public ou privé et 15 % des
ce que contient un seul de ces if ou « si » de Kipling. Si garçons et 6 % des filles avoir volé un objet dont la valeur
« Tanguy » il y a, c’est également parce que l’adolescence dépasse 15 euros.
représente pour certains adultes un trou. La nouvelle La prévalence des troubles mentaux chez les adoles-
génération, elle-même, ne souhaite pas ressembler à ses cents a augmenté au cours des 20-30 dernières années.
pères, avec davantage d’intérêt pour les métrosexuels, les Peut-être sont-ils mieux dépistés ou reconnus ? Les pro-
Ashton Kutcher, les Harry Potter, que pour ce que les adultes blèmes de santé mentale chez les adolescents non pris
proposent. en charge ont des conséquences multiples : difficultés
De fait, la société occidentale actuelle s’organise de plus scolaires, comportement à risque, hétéro-agressivité, auto-
en plus à partir d’un modèle adolescent, « l’adolescence agressivité. Vingt-et-un pour cent des enfants et adolescents
d’ailleurs est en inflation dans le sens où elle est désirée et accueillis dans les établissements et services médicoso-
vécue comme un état dont on ne veut pas sortir, qu’il y a ciaux ont pour déficience principale un trouble psychique
plutôt une répugnance, à se savoir, à se dire adulte » [17]. [9]. Les filles sont donc plus nombreuses à être suivies après
Certains sociologues parlent même de « génération unique » 15 ans que les garçons mais ceux-ci restent davantage repré-
[14]. Le monde dans lequel les adolescents vivront un jour sentés dans les prises en charge les plus « lourdes » [4, 7, 19]
dépendra autant de ceux qui en hériteront que de ceux qui – selon le rapport de la Dress 2012, les troubles de la per-
le leur auront légué [30]. L’adolescence, âge de toutes les sonnalité représentent 22 % chez les garçons contre 13 %
fragilités, doit également être l’âge de tous les possibles. chez les filles, les psychoses 13 % chez les garçons contre
Ainsi j’oserai demander comme l’avait fait cette jeune 10 % chez les filles.
femme, à Bonn, en 2009, lors d’une consultation des Des mesures de prévention et des interventions précoces
Nations Unies sur le changement climatique : « Quel âge sont donc nécessaires afin de dépister pour mieux traiter. La
aurez-vous en 2050 ? » mais ne me répondez pas en 2050 protection de la santé mentale des adolescents commence
nous serons tous morts ! avec le travail auprès des parents, de la famille, de l’école, du
social. Pour le soin, il est nécessaire de renforcer les équipes,
réduire les délais d’attente, créer des bureaux de consulta-
Quelques chiffres tion itinérants, des équipes mobiles, des SESSAD (Service
d’éducation spéciale et de soins à domicile), d’augmenter
Pubmed rapporte 1 568 802 articles relatifs à l’adoles- les places de jour, de CATTP (Centre d’accueil thérapeu-
cence dont seulement 26 393 concernent la psychothérapie tique à temps partiel) et de crise : la créativité en partenariat
et 7 808 la psychopathologie, peut-être en lien avec la neuro- avec les différents intervenants est la clef de l’efficacité et
biologie [16] ? permet d’être réactif et adaptable.
Selon le rapport de l’Unicef [30], près de 20 % des ado-
lescents dans le monde sont confrontés à un problème de
santé mentale ou de comportement. L’adolescence existe-t’elle?
Ainsi, environ 71 000 adolescents se suicideraient chaque
année, avec un nombre de tentatives de suicide (TS) 40 fois L’adolescence est l’âge de l’incertain et du paradoxe.
plus élevé (1 000 décès/80 000 TS en France, 40 % des On ne peut pas dire avec certitude quand elle commence,
décès de cette classe d’âge et 40 enfants). Longtemps d’autant que cela varie bien évidemment d’un jeune à
méconnus dans leurs formes précoces, près de la moitié l’autre, mais on peut dire avec encore moins de certitude
des troubles mentaux se manifestent avant l’âge de 14 ans, quand elle finit et parfois même se demander si elle a une
et 70 % avant 25 ans. Depuis dix ans, dans notre pays, fin dans notre société. Il est donc important de se (re)poser
les tendances sont à un accroissement considérable de la les questions : qu’est-ce qu’un adulte ? Qu’est-ce qu’un
consommation de cannabis, une stabilité de la consomma- enfant ? Qu’est-ce qu’un jeune ? « Qu’est-ce que les âges
tion d’alcool, et une augmentation de la consommation de de la vie ? La notion est à la fois triviale, floue et peu consi-
tabac [31]. Entre 14 et 17 ans, la consommation régulière dérée. Les sciences sociales ne la regardent pas comme un
d’alcool passe de 3 à 11 %, celle de tabac de 1 à 14-30 % outil d’analyse pertinent. Aucun théoricien notable ne s’y
et celle de cannabis de 1 à 10 %. Les garçons sont plus est attardé » [15]
enclins à une consommation régulière de substances L’entrée dans la vie adulte n’est plus un changement
psycho-actives, ils sont également plus nombreux à avoir brutal d’état. Il est, au contraire, étalé sur plusieurs années
expérimenté l’ecstasy, la cocaïne, l’héroïne ou les produits entre 21 ans en moyenne pour le départ de chez les parents
à inhaler. La prise de médicaments psychotropes est plus à 28,6 ans pour le premier enfant, alors que l’accès au loge-
typiquement féminine. Dans les deux cas nous dépassons ment autonome se fait à 22,5 ans et la vie professionnelle
de loin nos voisins européens [31]. Les comportements stable à 23,4 ans [17]. Certains ont parlé de processus de

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« maturescence ». Mais les frontières de l’adolescence sont au collège ou au lycée) et vivent au foyer familial (plus de
floues. Pour P. Huerre et al. c’est « un concept, un artifice » 90 % vivent avec leurs parents, ensemble ou séparés).
[17]. De ce qui vient d’être dit, il apparait difficile de s’occuper
Marcel Gauchet [15], quant à lui, voit la transforma- d’adolescents, si l’on n’est pas au fait du développement
tion du statut social des « jeunes » comme prise dans psychique du nourrisson et de l’enfant, d’avoir une vision
une redéfinition plus large des âges de la vie. De ce fait, correcte du phénomène si l’on n’est pas un familier des
« c’est cette recomposition de l’enfance et de la jeunesse enjeux pubertaires, de pouvoir les accompagner efficace-
qui secoue le système éducatif [. . .] modifie le sens de ment dans leur trajectoire de soins en ignorant la continuité
l’enseignement dans le regard de ceux qui en bénéficient. avec la psychiatrie d’adultes [21]. De même, il est néces-
Elle change leur identité en même temps que leurs pers- saire d’avoir une ouverture relationnelle orientée vers sa
pectives existentielles ». De plus il semble que pour lui, famille et le champ social en général. Tout ceci est bien
une mutation essentielle s’est opérée, à l’origine du regard résumé par Peter Blos : « Il n’existe toujours pas dans
nouveau porté sur la jeunesse et donc l’adolescence : le la société occidentale de convention sociale quant à l’âge
désir des parents à avoir ces enfants, suite au « boulever- auquel un individu cesse d’être un enfant, ou cesse d’être un
sement des conditions de procréation intervenu ses trente adolescent pour devenir un adulte. La définition de la matu-
dernières années ». En effet il note que « les enfants du désir, rité en termes d’âge a varié selon les époques et varie encore
puisque tel est le nom qui leur convient, représentent une aujourd’hui selon les lieux... L’adolescence est comprise
rupture dans l’histoire de l’espèce humaine dont la mesure ici comme la somme résultante de toutes les tentatives
est à prendre. Ce n’est pas seulement qu’ils font l’objet d’accommodation à l’état de puberté, au nouvel ensemble
d’un investissement parental d’une teneur et d’une inten- de conditions internes et externes, endogènes et exogènes,
sité inédites, avec les conséquences qui s’ensuivent sur les qui s’imposent à l’individu. » [3].
demandes en matière d’éducation et, plus largement, sur
l’articulation de la sphère sociale et de la sphère familiale.
C’est que ce “désir” – lequel ? – qui préside à leur venue au Rappel historique
monde intervient dans la formation de l’identité des êtres,
à un niveau qu’on n’avait pas eu l’occasion d’envisager Les sociétés modernes ont vécu une véritable mutation
jusque-là. S’il s’est produit un changement invisible, mais démographique. Ainsi, l’espérance de vie était de 43 ans
décisif, du côté du psychisme humain au cours de la en France en 1900, elle est de 84 ans en 2013.Comment
période récente, certainement approchons-nous ici de ses ne pas avoir de bouleversement des âges ? [11] « Aupara-
racines »[15]. vant, l’enfance était l’antichambre de la vie, la vieillesse,
Ainsi chacun donne une définition de l’adolescence l’antichambre de la mort, entre les deux, l’âge adulte
selon son vécu, ce qui la rend parfois insaisissable, tant pour incarnait l’existence authentique » [11]. L’adulte se sent
les jeunes que pour les adultes. La notion d’adolescence, aujourd’hui cerné par une jeunesse qui s’éternise et par un
elle, varie selon les époques et reste toujours susceptible troisième âge actif où on peut enfin vivre et s’épanouir.
d’évoluer car elle est véhiculée par une société changeante. L’âge adulte n’est plus celui des libertés mais celui de la
Seule la puberté serait un invariant comme le passage construction et concrétisation du projet de vie : « si tu n’as
de l’enfance à l’âge adulte et affecte tous les enfants du pas de Rolex à 50 ans tu as raté ta vie ». C’est le temps des
monde depuis l’aube de l’humanité [10]. « Voici revenu en soucis et des responsabilités. L’adolescent se demande si
dépit des apparences comme le soulignent P. Huerre et al ça le tente.
[17] le temps de l’indifférenciation Enfants-Adultes », que Pourtant il faut bien reconnaître que pendant bien
l’indépendance adolescente est plus tardive, que les adultes longtemps, la question de l’adolescence n’a guère inté-
doivent rester « up to date » et ne point vieillir, que tout le ressé quiconque et l’adolescence restait dans le champ
monde est sacrifié au culte du nouveau « veau d’or » de la du développement et désignait plutôt un âge de la vie,
performance, sans espoir légitime de place sociale garan- parfois une crise [17]. Notre notion actuelle et occiden-
tie. Il faut bien que certains s’occupent de la souffrance tale de l’adolescence n’est apparue que vers le milieu du
psychique secondaire. Ainsi l’Organisation mondiale de la xixe siècle. Qu’est ce qui a pu conditionner son émergence
santé (OMS), inclut les 11-24 ans bien qu’entre 11 et 24 ans, en tant qu’entité indiscutable ?
la situation sociale, scolaire, familiale et relationnelle se Éric Deschavanne et Pierre-Henri Tavoillot soulignent
modifie beaucoup. le rôle décisif joué par Rousseau dans la déconstruction
Dans notre tour d’horizon de ce jour, il pourra apparaitre des âges [11]. « Pour l’auteur d’Emile, il ne peut y avoir
que nous nous limitions aux 11-18 ans eu égard à la richesse de hiérarchie des âges ; l’enfance, l’adolescence, l’adulte
de la littérature. Il est vrai que c’est un groupe d’âge qui et le vieux participent de la même humanité. Rousseau est
semble plus homogène, même si les restrictions énoncées le philosophe qui a hissé l’enfance au même niveau que
restent pertinentes. Ces jeunes sont majoritairement scola- l’adulte. Il a contribué, d’une certaine façon à l’ébranlement
risés dans le second degré (plus de 90 % d’entre eux sont de la figure adulte, à l’aspiration frénétique de l’éternelle

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Adolescents et jeunes adultes

jeunesse et au règne de l’enfant roi qui caractérisent notre Donald Woods Winnicott, en 1962, remarquant que pour
époque » [11]. Au xixe c’est une « classe dangereuse », la première fois dans l’histoire européenne, une jeunesse
une classe d’âge, comme nous le dit Christian Colbeaux, peut vivre une adolescence en dehors de toute menace
« qui remet en cause le leadership des lois patriarcales dont directe, même au prix d’un équilibre de la terreur atomique,
ils se sentent non redevables ». Durkheim va plus loin, en pourra dire : « l’adolescence est obligée de se contenir
affirmant que les jeunes sont des facteurs de désintégra- de nos jours bien plus qu’autrefois, pourtant, en soi, c’est
tion de la société disant que « l’adolescent a le goût du quelque chose de violent, assez analogue à l’inconscient
viol et du sang ». Pourtant, c’est cette jeunesse angoissante refoulé de l’individu, souvent pas très beau, quand on le
qui se fera étriller lors de la Première Guerre mondiale et découvre à l’air libre » [33]. Elle doit s’inventer d’autres
qui aura le courage qui manquera à beaucoup de ses aînés repères et se révolte contre certaines valeurs notamment
pendant la Seconde. Ainsi pour Philippe Ariès et Michel l’autorité. « Tout le climat de l’adolescence a changé »
Foucault, l’adolescence comme entité distincte de l’enfance ajoute-t-il, nous exhortant à voir dans l’adolescence un pro-
et de l’âge adulte naît de la prolongation de la scolarité et cessus naturel, un signe de bonne santé, auquel il s’agit de
de la conscription. « faire face » plutôt que de tenter d’y remédier.
Devant la délinquance qui émerge avec la naissance Pierre Mâle insistera sur la nécessité d’un tiers entre ce
et croissance des grandes métropoles et de leurs ban- qu’il appelle l’extérieur, le social, l’école ou la famille; et
lieues suite à la révolution industrielle, la société a cherché l’intérieur, c’est-à-dire le fonctionnement psychique propre
des éléments de réponses et des théories. De fait des de l’adolescent [28]. « Cette crise de l’adolescence fait
néo-spécialistes sont apparus. Les premiers écrits qui émerger le sujet, à travers des difficultés variables, du
s’ensuivirent furent éducatifs et pédagogiques, moralistes monde de l’enfance » dit-il, préconisant comme Evelyne
voire moralisateurs. Un des premiers à s’occuper des Kestemberg [25] et Philippe Jammet [20] une psychothé-
enfants et de leurs pathologies notamment traumatiques fut rapie d’inspiration psychanalytique qui permette tant que
Eugène Minkowski avec l’OSE, on l’a peut-être un peu faire se peut, de rattraper les ratés de l’enfance ; même si
oublié. Puis, après la Seconde Guerre mondiale, des prises « nous avons à recevoir de l’adolescent lui-même, le sens
en charge spécifiques institutionnelles ont été mises en place qu’il prête aux mots ». Il insiste sur la « magie relation-
sous l’impulsion de Serge Lebovici puis de Roger Misès, nelle » de la rencontre avec l’adolescent et défend l’idée
lequel vient de nous quitter et pour qui nous avons une pen- d’une « psychothérapie vivante », et de « vivre le conflit
sée émue tant il fut notre père fondateur, si présent et actif avec l’adolescent ».
au sein de l’information psychiatrique comme membre du Évelyne Kestemberg, Hubert Flavigny, Annie Birraux
comité scientifique et véritable créateur de la pédopsychia- aborderont plus spécifiquement les questions adolescentes
trie publique : « Nous sommes bien d’accord n’est-ce pas? » et les modes de compréhension théorique du fonctionne-
[6]. ment de cette période [2, 19, 23, 24]. L’adolescence devient
Mais ils ne furent pas les seuls. Pourtant ce n’était pas très alors « un processus psychique » qui participe au dévelop-
bien engagé. Sigmund Freud, ne s’intéressait pas plus aux pement de l’homme qui selon Raymond Cahn participe de
adolescents qu’à l’adolescence même si ses positions déve- façon essentielle au « processus de subjectivation » fonde-
loppées dans Trois essais sur la sexualité infantile furent ment des réflexions futures [29].
essentielles à son développement théorique [13]. S’il s’est La plupart des auteurs se sont opposés au glissement
dans sa recherche intéressé à l’infantile, c’était chez l’adulte d’assimiler l’adolescence à une pathologie. C’est avec luci-
et plus encore dans sa mémoire. Mémoire dont François dité qu’ils auront la volonté de comprendre, et conduiront à
Truffaut se méfiait arguant que « l’adolescence ne laisse un élaborer des méthodes pour ouvrir un dialogue réputé diffi-
bon souvenir qu’à des adultes ayant mauvaise mémoire ». cile pour faire face aux avatars médico-psychologiques de
Il faudra donc attendre le début du xxe siècle pour la puberté.
qu’explicitement, Ernest Jones [23], psychiatre et psycha-
nalyste aux États-Unis et Maurice Debesse [8], professeur
de psychologie et de Sciences de l’éducation, en France Les institutions
y réfléchissent et que leurs travaux préfigurent, avec
l’individualisation de la crise d’originalité juvénile, une Pendant longtemps les seules institutions qui géraient
véritable psychologie différentielle de l’adolescent [17]. les adolescents furent celles de la justice. La jeunesse pou-
Aischhorn ou Bernfeld, à partir de leur rencontre avec vait être et était délinquante, dangereuse. Sa misère sociale
les délinquants juvéniles en feront de même. Par la suite, et affective n’avait que peu d’intérêt. Victor Hugo et sa
Anna Freud soulignant que l’adolescence était « la Cen- fameuse citation : « Ouvrez une école et vous fermerez
drillon de la psychanalyse », apportera une pierre essentielle une prison » a eu un impact important. De cette utopie
en démontrant que la problématique adolescente ne peut naquit un espoir insensé qu’une éducation disciplinée per-
se comprendre que dans l’articulation des champs socio- mette au plus grand nombre d’accéder à une tête bien faite
logique, économique, politique et anthropologique [12]. et bien pleine ,comme le souhaitait Montaigne, capable

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de raisonner mieux que ses aïeux, et que la jeunesse soit en charge de l’enfance délinquante (ordonnance de 1945),
moins délinquante. Les lois sociales allaient suivre et por- l’idée étant qu’« un mineur dangereux est avant tout un
ter un regard nouveau sur l’enfant et l’adolescent. On leur mineur en danger ».
reconnaitrait une différence d’avec l’adulte, lequel aurait Au cours des vingt années qui vont suivre, le juge des
des devoirs envers eux car ils sont en « devenir ». enfants et tous ses satellites (principalement les services de
Le xixe siècle est, en effet, l’époque de l’affrontement l’Éducation surveillée qui deviendra la Protection judiciaire
entre deux logiques institutionnelles, celle de l’enfer- de la jeunesse [PJJ]) vont axer leur rôle essentiellement sur
mement, revendiquée par l’administration pénitentiaire, la protection. Le juge des enfants se voit assigner un rôle
et celle de l’éducation, mise en avant par le ministère chargé non de substitut parental, mais d’aide et de soutien à des
de l’Instruction publique [32]. La loi de Jules Ferry du parents défaillants qui doivent cependant rester au cœur de
28 mars 1882, sur l’obligation scolaire, va entraîner tout son intervention. Mais quid du soin ?
un cortège protecteur dont les classes de perfectionnement Beaucoup plus à la traîne il faut bien le reconnaitre. Pour
en 1909. que la prise en compte des conditions environnementales
La justice aussi va progresser en substituant l’approche dans la genèse de certains troubles soit effective, il faudra,
répressive calquée sur le modèle adulte par une conception à quelques exceptions, près d’un demi-siècle depuis la prise
éducative. Elle opère l’infléchissement progressif du trai- de conscience des besoins et originalité de l’adolescence.
tement de la déviance des jeunes dans un cadre presque C’est l’ouverture en 1946 des premiers CMPP, les premiers
exclusivement pénitentiaire (adossé à un important texte de établissements de la fondation des étudiants de France en
1850) qui trouvera son acmé avec les ordonnances de 1945 1956 ou les premiers hôpitaux de jours en 1960 qui ne
et 1958. Les premiers textes importants sont deux lois de sont pas entièrement dédiés aux adolescents. Puis il y eut
1906 et 1912. La première porte la majorité pénale à 18 ans la loi de sectorisation de 1960 mais beaucoup de secteurs
(la majorité civile était alors de 21 ans). La seconde institue infanto-juvéniles ne verront le jour que lors du milieu des
la présomption d’irresponsabilité des mineurs de 13 ans, les années 70, après la circulaire du 26 mars 1972 qui doit
tribunaux pour enfants et le régime de la liberté surveillée beaucoup au combat et à l’opiniâtreté de Roger Misès. En
(inspiré de la « probation » anglo-saxonne). Le législa- même temps – est-ce un hasard ? –, il y aura l’émergence
teur instaurait ainsi un régime spécial pour les mineurs, de la loi sur le handicap et la réforme des annexes XXIV en
dérogatoire à celui des majeurs sur des points importants. 1975.
Avant la Première Guerre mondiale, plusieurs phéno- Les adolescents ayant besoin de soins ne se sentaient pas
mènes vont effectivement influer sur l’évolution du cadre à leur place dans des dispositifs pour enfants qu’ils déser-
juridique. Le premier, comme l’a montré J.-M. Renouard, taient souvent, ni dans des services pour adultes, encore
est la disparition progressive de la notion d’enfant cou- moins adaptés et où les particularités de leur fonctionne-
pable et l’émergence de celle d’enfant victime. Selon cette ment n’étaient pas toujours bien prises en compte. Les
approche, ce qui importe, alors, n’est pas tant la stig- premières créations réellement dédiées aux adolescents
matisation de l’enfant dangereux, considéré isolément en seront le fait de personnalités créatives (Georges Heuyer,
tant qu’individu, que celle de sa famille, vécue et décrite Serge Lebovici, Hubert Flavigny, Philippe Jeammet, Henri
comme source de la déviance dont le mineur est porteur. Danon-Boileau, Victor Courtecuisse, Yves Jacquet à Cho-
Cela va justifier la mise en place de systèmes de redres- let, Philippe Bonnet à Vannes, Wilkins à Montréal, etc.).
sement et conduire à l’adoption de la loi de 1889 sur la Que de chemin parcouru en 70 ans !
protection des enfants maltraités et moralement délaissés. Après la Deuxième Guerre mondiale, la nouvelle orga-
Le deuxième est le développement des sociétés de patro- nisation des Nations Unies a concentré ses efforts sur
nage, vaste réseau associatif dont certains dirigeants seront la reconnaissance des droits de l’enfant et des adoles-
à l’origine de l’ordonnance de 1945. L’exposé des motifs cents. Mais il faut attendre 1959 pour la rédaction de la
de cette ordonnance est devenu un classique du genre : « la Déclaration relative aux droits de l’enfant, avec un intérêt
France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le primordial pour le bien-être des enfants.
droit de négliger ce qui peut en faire des êtres sains. [. . .] En 1985, se constituait la première Année internatio-
Le gouvernement de la République française entend pro- nale de la jeunesse et en 1989, la Convention des droits de
téger efficacement les mineurs et plus particulièrement les l’enfant qui concerne aussi les adolescents. En France, la
mineurs délinquants. » circulaire du 11 décembre 1992 sur la santé mentale des
En 1958, le législateur adopte une ordonnance relative enfants et adolescents vit le jour, toujours et encore due
à la protection de l’enfance et de l’adolescence en danger, à R. Misès, puis la loi du 4 mars 2002 sur les droits du
qui donne au juge des enfants une compétence civile exclu- patient et concomitamment, la réforme de l’autorité paren-
sivement axée sur la protection, par la création des mesures tale. En 2003, l’adolescence est devenue une priorité de
d’assistance éducative. Ce juge spécialisé dispose de deux santé publique.
compétences complémentaires : la protection de l’enfance La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de
en danger (articles 375 et suivants du Code civil) et la prise l’enfance s’inscrit dans le cadre des lois internationales

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Adolescents et jeunes adultes

déjà définies dans le passé. Depuis, le plan santé jeunes oublier que tout adolescent devient en quelques années un
du gouvernement de 2008 a souhaité que chaque départe- adulte » [33].
ment soit doté d’une maison d’adolescents, le Morbihan Mais l’adolescent, aujourd’hui plus qu’autrefois, est
en a deux, mais l’objectif n’est pas totalement atteint au soumis à la contrainte paradoxale d’avoir à conquérir une
niveau national. La loi du 5 juillet 2011 ne les concerne tou- autonomie et une individuation toujours plus poussées, tout
jours que pour le SPDRE (soins psychiatrique à la demande en restant, par la force des choses, plus longtemps et plus
du représentant de l’état) et l’arbitraire de l’hospitalisation lourdement dépendant de ses parents, ce qui suffit à justi-
faute de mieux est encore possible. Pourvu que l’on se fier que soit apparue cette condition inédite qu’on désigne
souvienne encore longtemps de la circulaire de 1961 inter- aujourd’hui sous l’appellation de « post-adolescence »
disant l’internement des mineurs – encore et toujours maître [26, 27].
Misès. . .

Quel rôle devons-nous tenir ?


Adolescence et soins
Comment dès lors être un interlocuteur aidant dans cet
La sémiologie à l’adolescence permet-elle une nosogra- équilibre instable ? Cinq pour cent des adolescents néces-
phie stable et indiscutable pour cet âge ? L’adolescent ne sitent des soins plus intensifs et une meilleure répartition
serait-il pas par définition le prototype de l’état limite ? des moyens, une plus grande information des familles
On retrouve bien chez lui la porosité des limites du moi, et des adolescents au sein d’une politique de prévention
le narcissisme avec cette émancipation du je, la fragilité structurée dans la durée ainsi qu’une meilleure organi-
associée des identifications et un investissement objectal sation de l’offre de soins pouvant permettre de mieux y
changeant et peu sécurisant, le besoin d’indépendance et la répondre [30].
dépendance réelle, l’investissement paradoxal des parents Mais même si les adolescents fascinent autant qu’ils
autant investis que rejetés, la sensibilité extrême. Et oui, effraient, il ne faut pas tomber dans le piège d’évaluer
la problématique de l’adolescence est avant tout celle des la situation globale de leur santé sur les symptômes les
limites qu’il faut savoir reconnaître d’abord pour les occu- plus criants comme le suicide, la crise ou les troubles des
per ensuite. conduites [1, 18]. Ils ne s’y trompent d’ailleurs pas puisque
Ainsi, les besoins que manifestent les adolescents sont lorsqu’on les interroge sur les qualités du médecin qui peut
« d’éviter la solution fausse de se sentir réel ou accep- les prendre en charge, leur réponse est clairement : « compé-
ter de ne rien sentir du tout, d’avoir une attitude de défi tence, confidentialité, conseils avisés mais par-dessus tout
dans une situation où la dépendance est satisfaite ou ne qu’il s’intéresse aussi à eux en tant que personne avec huma-
manquera pas de l’être, du fait que les parents restent géné- nité ». Le « psy » là-dedans a bien sûr une place mais elle
ralement protecteurs, de provoquer sans cesse la société afin n’est en rien hégémonique et ils ne sont pas les seuls spé-
que l’antagonisme de cette société se manifeste et qu’on cialistes, s’il en existe, de l’adolescence. La preuve est que
puisse y répondre par de l’antagonisme » [14]. En d’autres la plupart des adolescents ne rencontreront jamais au cours
termes, l’adolescent devient d’autant plus dépendant qu’il de leur parcours de vie un professionnel en santé dite men-
revendique son autonomie et vice versa. Il faut alors consi- tale. Mais ils rencontreront à coup sûr des professionnels
dérer les changements d’attitude de l’adolescent comme un de santé et avant tout leur généraliste.
phénomène d’extériorisation des tensions et des exigences Cependant la prise en charge de l’adolescent ne
de travail et de transformation qui mobilisent l’appareil s’improvise pas. D’ailleurs aucun des 26 plans régionaux
psychique. de santé (PRS) validés par les ARS n’a fait l’impasse sur le
Donc, l’adolescent qui n’est plus un enfant mais pas thème de la prise en charge de la santé mentale des enfants
encore un adulte, ce qu’il deviendra surement, va au travers et adolescents, certains y consacrant même une large part
d’un schéma complexe de mécanismes défensifs : « deve- de leur volet psychiatrie, voire un programme spécifique.
nir ». Ce que Winnicott résume : « Il n’existe qu’un remède Tout le monde pense donc que beaucoup reste à faire en ce
à l’adolescence et un seul et il ne peut intéresser le garçon domaine.
ou la fille qui est dans l’angoisse. Le remède, c’est le temps Au-delà des particularités propres à chacune des régions
qui passe et les processus de maturation graduels qui abou- concernées, on s’accorde sur la nécessité de dévelop-
tissent finalement à l’apparition de la personne adulte » [33]. per la prévention, et de décloisonner et dépasser les
« Il n’y a pas souvent derrière le besoin ou la tendance, une limites entre les différents intervenants (sanitaire, médi-
pulsion suffisamment forte pour que le symptôme se consti- cosocial, éducatif, judiciaire,...) avec un questionnement
tue vraiment de façon suffisamment gênante pour obliger sur les modes d’accueil et la mise en place d’alternatives
la société à intervenir par le recours au psychiatre ou à à l’hospitalisation (psychiatrie de liaison, CJC, équipes
la justice » [33]. « L’adolescence est quelque chose qui mobiles), même si des besoins en lits et places persistent,
ne meurt jamais en nous mais il ne faut quand même pas notamment pour les situations de crise.

L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N◦ 1 - JANVIER 2014 17


G. Shadili

La modernité a inventé la jeunesse, ce temps de prépara- lité permet de réduire considérablement les impacts et les
tion à la vie adulte. La jeunesse est le temps de la formation, dangers de ce parcours initiatique.
non de la reconduction de l’identique. L’éducation des indi- Donc, accompagner la période d’adolescence est indis-
vidus est le moyen d’accéder à la possibilité d’échapper à pensable pour qu’elle soit source de promesse et non de
un avenir tracé d’avance, celui du l’identique de généra- destruction.
tion en génération. Eric Dechavane et Pierre-Henri Tavoillot
insistent, sur le fait que rien n’est plus difficile que de
devenir un individu, c’est-à-dire un adulte : « on mesure
encore mal l’extrême exigence de ce mode d’être, la rigueur Conclusion
des obligations qu’il requiert. La jeunesse permet de se
Cette délicate transition qu’est l’adolescence nécessite
familiariser avec ces nouvelles exigences dans un contexte
l’apport et l’accompagnement des adultes. Même si elle
relativement sécurisé » [11]. « Seul l’usage de la liberté
ébranle les assurances de toutes sortes, il est de notre respon-
immature peut conduire à surmonter l’immaturité » [11].
sabilité de permettre au plus grand nombre de franchir ce
L’adolescence étant de fait un processus de séparation-
cap difficile et de venir en aide aux plus vulnérables. Échan-
individuation, de socialisation et d’identification. Comment
ger sur nos théories et pratiques, penser notre clinique dans
leur apporter les interdits, les limites et les repères dont ils
une perspective évolutive et travailler sur certains moyens
ont un besoin crucial ?
de parvenir à de meilleures modalités de collaboration avec
La jeunesse est en effet un puissant révélateur de nos
la famille, le scolaire, le social et le judiciaire, voilà notre
failles, elle nous force à voir nos égarements et il ne faut
quête et objectif. Espérons que cette réflexion sera source
pas la refouler, même si elle nous dérange et bouleverse les
d’avancée dans les perceptions et les stratégies d’action.
sens de nos valeurs supposées acquises ad vitam aeternam,
Mais surtout, pour aider ces « grives adolescentes » il
et encore moins la voir comme une maladie.
faut garder la fraicheur du souvenir « des merles » que nous
Si la société considère que ce rôle d’accompagnement
fûmes.
est dévolu à des « professionnels » alors ces derniers doivent
avec cohérence affirmer leurs croyances en des repères
clairs et définis et invariants. Nous partageons le point de Liens d’intérêts : l’auteur déclare n’avoir aucun lien
vue du Pr Jousselme, « les professionnels sont là pour réani- d’intérêt en rapport avec l’article.
mer la pensée, la créativité et l’imagination des adolescents,
seul moyen pour eux de devenir des adultes avec leur propre
individualité. [. . .] Dans cette optique un travail sur la paren-
talité est indispensable ». Ce modèle de la parentalité, de Références
l’expérience parentale repose sur l’idée d’une relation non 1. Alvin P. Médecine de l’adolescent : une pratique, une
réciproque. S’il y a une supériorité de l’adulte sur le jeune, vocation. Neuropsychiatrie de l’Enfant et l’Adolescence
ce ne peut être une supériorité de domination mais de solli- 2007 ; 55 : 31-4.
citude. La responsabilité serait donc la capacité à aimer sans 2. Birraux A. L’adolescent face à son corps. Paris : Bayard,
égocentrisme et de pouvoir assumer la responsabilité pour 1994.
autrui. Et comme le dit si bien Emmanuel Lévinas : « Le 3. Blos P. Les adolescents : essai de psychanalyse. Paris : Stock,
moi devant autrui, est infiniment responsable » ; encore plus 1962.
pour les siens devrions-nous dire. Sinon, lorsque les adultes 4. Braconnier A. Adolescence et troubles de la personnalité,
sont défaillants, ils produisent des imagos qui usurpent les prolongements, transformations, émergences. L’Information
images nécessaires à la pensée organisée et cela ne peut Psychiatrique 2008 ; 84 : 51-5.
qu’avoir des conséquences. 5. Chiland C. La problématique de l’échec scolaire. Confronta-
Essayons donc ensemble de trouver la juste mesure pour tions Psychiatriques 1983 ; 23 : 9-26.
qu’ils mènent à bien leur émancipation. En cette période dif- 6. Constant J. Roger Misès (1924-2012). L’Information Psy-
ficile de crise, semble revenu le temps, vous l’avez compris, chiatrique 2013 ; 89 : 193-5.
de l’indifférenciation enfants-adultes [17], les enfants n’en 7. Corcos M. Les troubles de l’humeur à l’adolescence.
finissent plus de vivre une adolescence interminable et L’Information Psychiatrique 2003 ; 79 : 709-16.
les adultes veulent rester enfants. Ce mécanisme rend 8. Debesse M. L’adolescence est-elle une crise ? Enfance
flou le passage à la maturité, ce qui en laissent beaucoup 1958 ; 11 : 287-302.
vivre une adolescence minable. Les adolescents semblent 9. De la Grange A. L’adolescence en question. Conférence pré-
aujourd’hui plus qu’hier, en cette période d’incertitudes sentée à l’Université Montpellier 3, février 2007.
avoir besoin d’adultes qui tiennent le coup face à leurs 10. Derrez D. « La littérature de l’Adolescence de1950 à nos
doutes, leurs silences, leurs attaques et leurs demandes. jours : reflet d’une génération perdue ». Mémoire de master
L’adolescence est l’affaire de tous et l’accompagnement 1, Université de Pau et des Pays de l’Adour, UFR des Lettres,
par les mots et le langage ainsi que l’exemple de fiabi- Langues et Sciences Humaines, octobre 2010.

18 L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N◦ 1 - JANVIER 2014


Adolescents et jeunes adultes

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