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Revue Philosophique de Louvain

Conscience de soi et reconnaissance


Ytshaq Klein

Abstract
This essay attempts to verify the coherence of the chapter of the Phenomenology of Mind entitled « Independence and
Dependence of Self-consciousness ». The problem of the articulation of the phenomenological development of self-
consciousness with the dialectic of domination and of servitude amounts to examining the becoming of self-consciousness
which passes through recognition. The author here applies himself to unfolding the structural stages of this becoming.

Résumé
Le présent essai tente de vérifier la cohérence du chapitre de la Phénoménologie de l'esprit intitulé « Indépendance et
dépendance de la conscience de soi ». Le problème de l'articulation du développement phénoménologique de la conscience de
soi avec la dialectique de domination et de servitude revient à examiner le devenir de la conscience de soi qui passe par la
reconnaissance. L'auteur s'attache ici à déployer les moments structurels de ce devenir.

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Klein Ytshaq. Conscience de soi et reconnaissance. In: Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome 73, n°18,
1975. pp. 294-303;

doi : https://doi.org/10.3406/phlou.1975.5838

https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1975_num_73_18_5838

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Conscience de soi et reconnaissance

« La Phénoménologie de l'esprit est une psychologie embrouillée


par l'histoire et une histoire embrouillée par la psychologie. » (x) Cette
critique de Haym semble, au premier abord, bien fondée pour le
chapitre intitulé « Indépendance et dépendance de la conscience de
soi » (2). Car il semble y être question de deux choses tout à fait
différentes. D'une part, le thème est celui du « Concept de cette unité de la
conscience de soi dans son doublement » (3). C'est donc le développement
phénoménologique de la conscience de soi qui est le sujet de ce chapitre.
D'autre part, il s'agit de la dialectique de domination et de servitude.
La description de cette dialectique se situe sur le plan de la réalité
extérieure où« un individu surgit face à face avec un autre individu » (4).
Alexandre Kojève est le grand interprète du thème de domination
et servitude (5). D'après son interprétation, le chapitre se réfère à la
réalité sociale et historique. Inutile d'insister sur la valeur de cette
interprétation. Cependant il faut avouer qu'elle s'insère mal dans
l'ensemble de la Phénoménologie de Vesprit. Kojève n'a pu rétablir
l'accord que par une réinterprétation de la totalité de l'ouvrage.
Une interprétation du chapitre dans la perspective de la
problématique de la conscience de soi sera certainement plus conforme à la
structure de la Phénoménologie de Vesprit. Mais alors que faire de la
dialectique du Maître et du Serviteur ? Cette dialectique est trop mise
en vedette pour qu'on puisse l'ignorer. On serait tenté peut-être
d'entendre le Maître et le Serviteur comme n'étant que des façons
de parler pour énoncer le doublement de la conscience de soi. Ce serait
une expression bien défectueuse. Impossible d'accorder à ces deux
personnages une réalité uniquement métaphorique. On n'ira pas loin

(*) R. Haym, Hegel und seine Zeit, Berlin, Gaertner, 1857, p. 243.
(2) Hegel, Phénoménologie de Vesprit, trad. Hyppolite, Paris, Aubier-Montaigne,
tome 1, pp. 155-166.
(3) Ibid, p. 155.
(4) Ibid., p. 158.
(5) A. Kojève, Introduction à la lecture de Hegel, Paris, Gallimard, 1947.
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dans une pareille entreprise. La dialectique de domination et de


servitude parle son propre langage et résiste à toute tentative de lui enlever
sa réalité (6).
La double signification du texte nous indique le problème, celui
du rapport entre conscience de soi et reconnaissance. Ce rapport est,
selon Hegel, si étroit qu'on ne saurait les concevoir à part. En parlant
de ces deux thèmes, Hegel parle bel et bien de la même chose. La
cohérence du texte est donc sauvée.
L'implication mutuelle entre conscience de soi et reconnaissance
est l'apport principal de ce chapitre. Notre étude se propose d'éclaircir
l'essence et le fondement de ce rapport et devrait fournir une réponse
à la question suivante : pourquoi Hegel pose-t-il dans la Phénoménologie
de l'esprit la problématique de la conscience de soi en termes de
reconnaissance ? À cet effet, il nous faudra procéder d'une manière plus
analytique que ne le fait la Phénoménologie de l'esprit, introduire des
distinctions que Hegel n'a pu faire dans le cadre de ce livre.

1. Le doublement de la conscience de soi.

La conscience de soi est à l'origine de la reconnaissance parce


qu'elle est doublée. Ce doublement est un trait enraciné dans l'essence
même de la conscience de soi. Il trouve sa justification non seulement
dans l'expérience phénoménologique mais aussi dans une analyse
conceptuelle.
La notion de la conscience de soi implique l'identité de deux
consciences : une conscience voyante et une conscience vue. Leur
identité doit être rétablie, sans que cette dualité soit effacée. Or ceci
n'est possible que lorsque chacune des deux consciences devient son
opposé. La conscience voyante doit se faire elle-même conscience vue,
et la conscience vue doit manifester qu'elle est conscience voyante.
S'il en est ainsi, conscience de soi et reconnaissance ont une
structure commune. La reconnaissance est un rapport à l'autre comme
à soi-même. La conscience de soi est le rétablissement de l'unité avec
son propre être-autre. Ce sont donc deux manières d'unifier deux
consciences.
Certes, il serait hâtif de vouloir déduire la dualité de la
reconnaissance de la dualité de la conscience de soi. La reconnaissance est un

(6) Cf. G.A. Kelly, Notes on Hegel's « Lordship and bondage », The Review of
Metaphysics, juin 1966, pp. 780-802.
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rapport entre deux personnes réelles. Or, la notion de la conscience


de soi n'implique nullement — à première vue, du moins — deux
personnes. Elle n'implique qu'un rapport à soi-même. On peut s'imaginer
un pareil rapport comme réflexion solipsiste. Ce que nous entendons
par ce terme caractérise la manière la plus répandue d'expliquer la
conscience de soi. La réflexion solipsiste est une espèce de connaissance
parmi d'autres, mais tournée vers soi-même, non vers le monde
extérieur.
Or, cette conception de la conscience de soi comme réflexion
solipsiste est insensée. Sans y insister, citons à l'appui de cette
affirmation les raisons suivantes.
Première raison : dans le cas de la réflexion solipsiste, la réciprocité
entre la conscience voyante et la conscience vue est impraticable. Je
peux bien voir le « moi » de jadis et de naguère, mais ce « moi » de jadis
et de naguère est incapable de me voir en retour. Il n'y a donc pas
identité de conscience voyante et de conscience vue — du « voir » et du
« vu » — et par conséquent, pas de conscience de soi sur la base de la
réflexion solipsiste.
Deuxième raison : la réflexion solipsiste présuppose la conscience
de soi. Car, comment pourrai- je m'identifier ? Comment pourrai- je
identifier mes états d'âme comme miens ? La conscience vue n'est liée
à la conscience voyante que par un sentiment. Il n'y a pas de moyen
terme.
Le chemin de la réflexion solipsiste est donc impraticable. Étant
donné qu'il faut exclure également la conception cartésienne de la
conscience de soi donnée d'une façon immédiate (car dans ce cas-là
il n'y a pas doublement), Hegel est bien fondé à lier la conscience de
soi à la reconnaissance. « La conscience de soi est en soi et pour soi
quand et parce qu'elle est en soi et pour soi pour une autre conscience
de soi; c'est-à-dire qu'elle n'est qu'en tant qu'être reconnu» (7). La
conscience de soi singulière ne se suffit pas. Le doublement de la
conscience n'est possible que dans la mesure où elle s'extériorise, où elle
se déroule dans le domaine de la réalité sociale.

2. « Conscience » et « Objet ».

Dans la Phénoménologie de l'esprit, la « Conscience de soi » (Selbst-


bewusstsein) remplace la « Conscience » (Bewusstsein). Seulement la
(7) Phénoménologie, p. 155.
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conscience de soi est toujours une espèce de conscience. Ceci veut dire
qu'il y a «objet» distingué du sujet, qu'il y a rapport à un autre.
Étant une espèce de conscience, la conscience de soi ne saurait abolir la
différence entre sujet et objet. La conscience de soi ne doit pas être
conçue comme identité absolue et immédiate. On connaît la critique
de Hegel envers la philosophie schellingienne de l'identité. La
neutralisation de toute différence entre sujet et objet — la recherche du point
de vue de l'indifférence — nous mènera à la « nuit où toutes les vaches
sont noires ». Hegel, lui, est prêt à accorder à la conscience toute son
importance.
Au demeurant, aussi longtemps que la « conscience » n'est pas
dépassée, il n'y a pas conscience de soi. Être uniquement conscience,
c'est faire abstraction du « voir » de la conscience. La différence entre
le « voir » et le « vu » y est posée comme totale. Pour qu'il y ait
conscience de soi, ce hiatus doit être comblé. C'est la conscience de soi qui
doit devenir son propre objet, objet qui doit être saisi comme soi-même.
Il est évident que la conscience de soi implique une contradiction :
elle est conscience et ne l'est pas à la fois. La conscience ne saurait
demeurer dans la conscience de soi que comme « surpassée » (aufge-
hoben). Les notions de «conscience» et d'« objet» doivent être
refondues, être et ne pas être ce qu'elles ont été (8).
1. La conscience doit devenir objet. Or, être objet, c'est être-pour-
un-autre. Pour devenir conscience de soi, la conscience doit donc
devenir être-pour-un-autre. Bien entendu, par ce fait elle n'aboutit
pas encore à la conscience de soi, car elle n'est pas encore pour-soi.
Pourtant, il est indispensable que la conscience s'incarne dans son
opposé, que le « voir » devienne « vu ».
Cette objectivation de la conscience se produit dans la figure du
Serviteur. La signification de celui-ci est la constitution de la
conscience comme être-pour-un-autre. Dans le Service, il existe pour le
Maître. Dans le Travail, il se présente à soi-même comme n'étant pas
conscience.
Pourtant, en reconnaissant le maître comme maître, le serviteur
est la conscience du maître. C'est donc le maître qui est pour lui, non
pas lui pour le maître. En se voulant objet, la conscience redevient
sujet.
2. La transformation de Yobjet doit être inverse. Afin d'être

(8) Ibid., p. 154.


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reconnu, l'objet doit se manifester comme n'étant pas objet (9). Une
conscience de soi ne saurait être reconnue qu'à condition de pouvoir
montrer objectivement qu'elle n'est pas objet. La conscience de soi ne
peut devenir son propre « objet » que par le truchement d'une action
négatrice.
Un être qui s'engage dans une pareille action négatrice en vue de
la conscience de soi est un être historique. L'historicité est donc l'une
des conditions de la conscience de soi. Un objet naturel peut être
seulement connu, non pas reconnu. Pour être reconnu — finalement,
pour se retrouver comme conscience de soi — il faut se nier en tant que
nature. C'est dans l'histoire que l'objet s'avère comme sujet, comme
esprit.
La reconnaissance n'est donc pas un phénomène uniquement
théorique. Il ne consiste pas dans un pur rapport — un « regard », s'il
en fût — entre deux consciences. On n'arrive à reconnaître autrui ni
par pure observation empirique, ni par raisonnement. L'accès à autrui
— et à soi-même — implique toujours un élément pratique.
C'est avec le maître que démarre ce processus de révélation de
l'objet comme sujet. Un nouvel élément est intervenu grâce au maître,
celui de la Négation. Le maître est devenu tel grâce à son détachement
de son propre être, qu'il s'agisse de son corps, de son monde ambiant,
de ses instincts vitaux ou de sa nature. La négation est dirigée contre
la vie. Le maître ne poursuit pas la vie, comme tous les êtres naturels,
mais la mort, la mort de soi-même et d'autrui (10).
Cependant, la négation du maître est une négation abstraite. Or,
une véritable négation doit être, d'après Hegel, de nature concrète,
quitte à se convertir en son contraire. Et, en fait, une telle conversion
s'est produite dans la conscience du maître. La conscience du maître
ne comporte la négativité qu'en soi, non pas pour soi. Le maître
n'aboutit nullement à la conscience de soi, bien que ce soit son seul but.
Seule la conscience du serviteur le conçoit comme maître.
Le maître poursuit la mort. Or, par la mort, il est transformé
définitivement en chose. La vie et la conscience de soi — ses deux
possibilités — disparaissent avec la mort. Mourir c'est devenir pure
chose, pur être-pour-autrui (u). Achille mort n'est plus Achille vivant ;
désormais il n'est que pour Ulysse ou bien pour Homère et ses lecteurs.
(9) Ibid., p. 159.
(10) Ibid., pp. 159-160.
(u) Ibid., p. 160.
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3. Conformité de Forme et Contenu.

Dès lors, nous sommes préparés à comprendre pourquoi Hegel


expose dans la Phénoménologie de Vesprit la problématique de la
conscience de soi et de son doublement en termes de réalité sociale et
historique. En fait, si Hegel n'avait procédé de la sorte, il aurait par
là-même contredit son idée maîtresse, l'inséparabilité de conscience
de soi et de reconnaissance.
En effet, nous venons de voir que la conscience de soi n'est
concevable que comme reconnaissance. La question « qui suis- je ? » ne se
pose qu'à l'intérieur d'un horizon social. Toute expérience du « moi »
est liée et médiatisée par celle d'autrui. On n'aboutit pas à la conscience
de soi par le biais de l'introspection. Aussi la conscience de soi ne nous
est-elle pas donnée d'une façon immédiate, comme le pensait Descartes.
En fait, le cogito est le « moins aisé à reconnaître ». La conscience de
soi ne se déroule pas dans la pure intériorité. Elle n'est pas un
aboutissement de la réflexion solipsiste. La conscience de soi ne saurait avoir lieu
que dans la dimension de la reconnaissance.
Cette reconnaissance n'est pas un simple acte de connaissance
mutuelle. Conscience et objet se transforment, comme nous venons de
le voir. Si bien que leur unité sera reconstituée. Mais la différence
restera également intacte. La conscience ne sera jamais tout à fait
objet, et l'objet ne sera jamais tout à fait conscience. À ce niveau-là
la conscience et son objet n'ont qu'à déployer leurs contradictions.
Cette contradiction est présentée par la dialectique de Domination et
de Servitude.
La dialectique qui est ici en cause est très éloignée de celle qu'ont
connue les Grecs. Elle n'est pas de nature conceptuelle. Elle ne se
déroule pas au niveau de la pensée pure. Ici on « discute » avec la
massue et avec la pioche. Car la contradiction est celle de la réalité,
non pas celle du discours sur la réalité. C'est ce qu'on appelle
Dialectique Objective. Selon Kojève, la méthode hégélienne est
phénoménologique, non pas dialectique. Seule la réalité est dialectique. Pour la
philosophie dans sa phase hégélienne — ou plutôt pour la Sagesse —
il ne reste qu'à en faire la description.
Toutefois s'il est question d'une dialectique, celle-ci n'est pas pour
autant naturelle. En vérité, il n'y a pas de dialectique de la nature.
Il ne s'agit pas de faire la description des lois auquelles sont soumis
le maître et le serviteur. La nécessité dialectique n'est pas celle de
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l'entendement (Verstand). Aussi le modèle biologique — dont Hegel


lui-même se sert à maintes reprises — est-il mal à propos. Car on n'est
pas par nature maître ou serviteur. En fait, l'homme ne parvient à son
Entéléchie qu'en niant ce qu'il est par nature. Seul un pareil processus
peut être nommé à juste titre dialectique.
Or, l'homme nie son être purement naturel parce qu'il envisage
d'ores et déjà son but comme conscience de soi. Cette dialectique
est objective, mais son « objet» est une conscience de soi. Plus
précisément, ce sont deux consciences qui prennent conscience l'une de
l'autre, et, par conséquent se reconnaissent d'une manière ou d'une
autre. Il n'y a donc dialectique que dans la mesure où il y a rapport
entre consciences de soi.
S'il en est ainsi, il y a conformité entre contenu et forme, entre
le thème et son exposé. La conscience de soi ne saurait être ni singulière,
ni naturelle. L'expérience d'elle-même est liée à la rencontre avec
autrui, autrui avec lequel elle s'identifie et ne s'identifie pas. La
dialectique propre à la conscience de soi ne saurait se dérouler qu'en
tant qu'incarnée dans la réalité sociale et historique.
Cependant, la différence entre conscience de soi et reconnaissance
n'est pas supprimée. Ni leurs notions, ni leurs expériences effectives
ne sont en mesure de les supprimer tout à fait. Conscience de soi et
reconnaissance ne trouveront leur moyen terme que dans le concept de
l'esprit, finalement dans celui du Savoir absolu.
L:'Esprit est la conscience de soi réalisée. La conscience de soi
proprement dite est donc l'esprit non-réalisé. Elle n'est qu'un moment
du processus de l'actualisation de l'esprit, à savoir celui de la Scission.
La conscience de soi est l'esprit qui a perdu son unité, son identité, qui
est toujours à la recherche de son identité. C'est pourquoi, considérée
en elle-même, elle est conscience malheureuse.
D'après Hegel, il n'y a de conscience de soi effective que celle
qui est médiatisée par la reconnaissance. Enfermée dans son intériorité,
elle est de nature ineffable. Cette certitude indicible devient consciente
dans sa rencontre avec autrui. Le « langage » silencieux devient « parole »
dans ce dialogue-conflit. C'est pourquoi le doublement de la conscience
de soi s'exprime essentiellement dans celui de la reconnaissance. Telle
est l'idée maîtresse de ce texte.

4. Identité et Différence.
Ce rapport étroit entre conscience de soi et reconnaissance est
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en accord avec les fondements du système spéculatif. En fait, ceci


confirme sur le plan phénoménologique la conception dialectique de
l'identité, à savoir l'identité d'identité et de différence. Certes, cette
conception est philosophique, elle ne relève pas de la conscience
naturelle ; elle n'est que « pour nous », pour la conscience philosophique ;
elle ne saurait intervenir dans le discours. La phénoménologie doit
procéder à sa manière. Cependant, il est très important de constater
qu'au bout du compte la phénoménologie parvient par ses propres
forces aux résultats de la philosophie spéculative. Aussi le lecteur est-il
autorisé à s'en servir pour une bonne compréhension de l'ouvrage.
L'analyse conceptuelle fonde et éclaire l'expérience
phénoménologique. L'implication mutuelle de conscience de soi et de
reconnaissance s'explique du point de vue conceptuel par l'unité fondamentale
d'identité et de différence. Sur le plan logique, aussi bien que sur le
plan phénoménologique, Hegel ne se laisse pas enfermer dans les
abstractions de la pensée formelle.
Le « moi » ne saurait prendre conscience de soi en termes de pure
identité. Selon la procédure usuelle, la conscience de soi est entrevue
sous la forme d'une pareille identité exclusive. Elle s'applique à
merveille à la notion d'âme. Pour Kant et Fichte, c'est encore une évidence.
Et pourtant c'est dans leur philosophie que s'annonce la
problématique de cette conception (12). Pour Hegel, le « moi» ne saurait aboutir
à son identité qu'en la dépassant vers la différence. En vain la
conscience de soi recherche-t-elle son identité immédiate. Il n'y a d'identité
que récupérée à travers la différence. La conscience de soi ne saurait
devenir pour soi qu'en passant par la conscience d'autrui.
Or le moment de la différence ne réclame pas uniquement la dualité
de consciences. Ces deux consciences doivent être non seulement
distinctes (Verschiedene) — pour parler le langage de la Logique
hégélienne — mais encore opposées (Gegensàtze). Cette opposition est
l'origine du conflit entre les consciences. Nous savons qu'elle apparaît
au premier abord comme lutte à mort. Ensuite, cette opposition se fixe
dans l'institution de l'inégalité dans la société humaine, à savoir de la
Domination et de la Servitude. Suivant l'interprétation de Kojève,
il faudra ajouter une troisième étape, celle de la reconnaissance mutuelle
universelle qui effacera cette opposition. Or, une pareille étape est

(12) Pour Fichte, cf. Dieter H enrich, Fichtes urspriïngliche Einsicht, Frankfurt
a. M., Klostermann, 1967.
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introuvable dans la Phénoménologie de l'esprit. De même faut-il se


demander si une pareille conception s'accorderait avec la notion
dialectique de l'identité. Car celle-ci n'admettra pas que le moment de
la différence soit complètement supprimé.
La dialectique de la conscience de soi est fondée sur la dialectique
logique. Le rapport à soi-même qui est la conscience de soi est
impossible comme identité abstraite. Il faut passer à la différence. Je dois
devenir moi-même autre et autrui doit devenir « moi ». La conscience
de soi ne saurait se réaliser qu'en passant par la reconnaissance.
Or la différence, elle non plus, n'est pas absolue. Tout au contraire,
elle se trouve d'emblée dans l'élément de l'identité. Il n'y a de
différence qu'à l'intérieur de l'identité. Il en va de même dans le cas de la
reconnaissance : je ne saurais reconnaître autrui que parce qu'il est
identique à moi-même et je ne saurais me reconnaître à travers lui
que précisément pour cette raison. La rencontre des deux consciences
est préparée — « pré-destinée » — par leur unité. Moi et autrui, nous
ne sommes pas des êtres qui existent chacun pour soi et détachés de
l'autre.
Sartre ne partage pas avec Hegel cette conception dialectique des
rapports entre identité et différence. C'est ce qui explique sa critique
de la conception hégélienne de la reconnaissance, dans son livre
L'Être et le Néant (13). Selon Sartre, un hiatus infranchissable sépare
les deux consciences; « ...c'est par le fait même d'être moi que j'exclus
l'autre » (14). Autrui, à son tour, n'est que la « ...présence d'une liberté
étrangère » (15). Cette «liberté étrangère» aussi bien que ma propre
liberté doivent être envisagées comme des faits irréductibles.
Dans cette optique Sartre reproche à Hegel son optimisme. « Si en
effet, autrui doit me renvoyer mon 'soi', il faut qu'au terme au moins
de l'évolution dialectique, il y ait une commune mesure entre ce que
je suis pour lui, ce qu'il est pour moi, ce que je suis pour moi, ce qu'il
est pour moi. » (16) Or, « ce que je suis pour moi », n'est pas, d'après
Hegel, indépendant de ce que « je suis pour lui ». La « commune mesure »
réclamée par Sartre, est précisément le rapport dialectique entre
identité et différence, entre conscience de soi et reconnaissance.
Sartre fut inspiré par le traitement hégélien du thème de la

p) Sartre, L'Être et le Néant, Paris, Gallimard, 1943, pp. 291-300.


(14) Ibid., p. 292.
(!5) Ibid., p. 334.
(is) Ibid., p. 296.
Conscience de soi et reconnaissance 303

reconnaissance. Cependant il n'admet ni la Logique hégélienne, ni les


fondements du système hégélien. C'est pourquoi la conception sartrienne
du rapport à autrui est si différente de la conception hégélienne, malgré
certaines ressemblances. Une considération de l'attitude de Sartre
envers le problème de la reconnaissance est en mesure de nous indiquer
comment il ne faut pas comprendre celle de Hegel.
Les consciences qui se rencontrent, ne doivent pas être
considérées comme existant d'abord chacune pour soi, pour rencontrer ensuite
le regard d'autrui. Dans l'optique de Hegel, la rencontre d'autrui
comme tel s'explique par l'identité des consciences, par le fait qu'elles
s'identifient d'emblée en puissance. En dernière analyse, la
reconnaissance ne s'explique que par la conscience de soi, laquelle, à son tour,
n'est possible qu'en tant qu'esprit.

Tel-Aviv. Itshaq Klein.

Résumé. — Le présent essai tente de vérifier la cohérence du


chapitre de la Phénoménologie de V esprit intitulé « Indépendance et
dépendance de la conscience de soi». Le problème de l'articulation
du développement phénoménologique de la conscience de soi avec
la dialectique de domination et de servitude revient à examiner le
devenir de la conscience de soi qui passe par la reconnaissance. L'auteur
s'attache ici à déployer les moments structurels de ce devenir.

Abstract. — This essay attempts to verify the coherence of the


chapter of the Phenomenology of Mind entitled « Independence and
Dependence of Self-consciousness ». The problem of the articulation
of the phenomenological development of self-consciousness with the
dialectic of domination and of servitude amounts to examining the
becoming of self-consciousness which passes through recognition. The
author here applies himself to unfolding the structural stages of this
becoming. (Transi, by J. Dudley).

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