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Anita Caron, Flore Dupriez, et Marie-Andrée Roy

La Vierge-mère: modèle de la femme chrétienne


1

Apres avoir constate la reaction de plusieurs groupes quebecois, à la suite


de la presentation de la piece de Denise Boucher: Les Fees ont soif »,2 il «

nous est apparu que l’idgal de la Vierge-Mère propose aux femmes


chretiennes par une religion monothiiste et androcentriste serait unefaçon
à peine déguisée de maintenir l’inigaliti des sexes. Compte tenu de l’in-
sécurité sociale et iconomique que connait présentement le monde occi-
dental et en raison d’un malaise provoque par l’apparition de nouveaux
modeles de relations homme/femme, nous assisterions prisentement à un
renforcement de l’image de Marie, vierge et mère et à une sur-évaluation
des r6les de la femme en tant qu’ipouse et mere.
C’est pourquoi il nous est apparu opportun de procéder à une explora-
tion de l’usage qui a été fait du mythe de la déesse-mère dans les traditions
religieuses du bassin mediterranien dans lequel s’est implanti le chris-
tianisme primitif, de retracer l’influence que ce modèle a pu exercer sur la
littirature chretienne des premiers siècles, d’examiner des riappro-
priations qu’on peut en trouver dans des documents officiels de l’Eglise
catholique et dans quelques textes de la littérature romanesque et reli-
gieuse du Quebec.
Le premier texte a 46ti prepare par Flore Dupriez. Il fait ressortir
comment s’est fait le passage des mythes de la déesse-mère au culte de la
Vierge-Marie dans l’Eglise des premiers siècles. Dans le second, je
m’applique moi-même à degager la signification du discours sur la
Vierge-Marie, tel qu’il apparait dans la constitution dogmatique Lumen «

Gentium » . Le troisième texte est l’oeuvre de Marie-Andrée Roy. Il pro-


pose un certain nombre de faits illustrant comment le mythe de la Vierge-
Mere est demeure present dans le discours tenu par des hommes poli-
tiques, des clercs et des romanciers du Quebec.
Anita Caron

1 Cette communication, qui comportait trois parties, a été présentée dans le cadre du
Congrès de la SCER en mai 1980. Elle s’inscrit à l’intérieur d’une recherche qui a débuté à
l’automne 1979 et qui porte sur la problématique Mariage-Famille dans des groupes
d’inspiration chrétienne du Québec.
2 Voir à ce sujet la bibliographie publiée par Marc Chabot dans le Bulletin de la Société de
Philosophie du Québec 5/2 (1979), 41-58.

Anita Caron est professeure au département des sciences religieuses de l’Université du


Québec à Montréal.
Flore Dupriez est chargée de cours au département des sciences religieuses de l’Univer-
sité du Québec à Montréal.
Marie-Andrée Roy est chargée de cours au département des sciences religieuses de
l’Université du Québec à Montréal.
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I Des cultes de la d6esse-mire au culte de la Vierge-Marie


Si nous faisons un rapide survol historique du culte de la deesse-mere, nous
constatons d’abord qu’il est « le trait le plus marquant des documents
arch6ologiques livr6s par le monde ancien ».3 Le culte est deja atteste par
les V6nus sculpt6es de 1’art grav6tien du pal6olithique supirieur et par des
reprisentations stylis6es dans les grottes ornées. On a trouv6, en Asie
orientale et occidentale, dans la vall6e de 1’Indus, en Eg6ide et en Crete,
entre le cinqui6me et le troisième mill6naires avant notre ere, des inscrip-
tions et des embl6mes 6tablissant 1’existence du culte de la d6esse-m6re.

Evolution de la notion de virginite .

a Au paLéolithique et au niolithique
On sait qu’au paleolithique, apr6s une migration asiatique, des statuettes
f6minines ayant des traits accentu6s de maternité sont introduites en
Europe orientale et occidentale. Bien qu’a partir du n6olithique les em-
blèmes phalliques aient ete plus repandus, le principe matemel incarne par
la d6esse-m6re garde la premi6re place en Asie occidentale, en Cr6te et en
Eg6ide. Le dieu masculin demeure donc subordonn6 a la d6esse-m~re. En
Egypte, 1’on trouvera des 1’epoque pr6-dynastique, des V6nus st6a-
topyges. Dans la premi6re Troie (3000-2750 avant notre ere), les fouilles ont
revele un bas-relief repr6sentant la Grande-D6esse.
La Crete deviendra vers 1’an 4000 avant notre ere, le berceau occiden-
tal du culte de la D6esse-m6re. Elle est Terre-m~re, montagne, mer,
maitresse des arbres ou des betes sauvages. La d6esse-m6re devient, dans
les repr6sentations minoennes, la personnification tres claire du principe
f6minin qui regoit un culte ou 1’on c6l6bre a la fois sa maternité et sa
virginite.
b Dans les civilisations du Proche-Orient ancien
La Mesopotamie va donner a la d6esse-vierge une place pr6dominante: elle

s’appelle Inana-Isthtar, Ashera, Astart6, Anat, selon des variantes dialec-


tales et selon les pays. Elle est rendue fertile, chaque ann6e, par un
dieu-male mais retrouve sa virginite, symbole de son eternelle jeunesse, de
sa puret6, de sa vitalite. Cette 6pith6te de vierge indique la p6rennit6 des

qualit6s n6cessaires a la regeneration de la terre. La virginite apparait alors


comme une composante essentielle du principe f6minin.
En Egypte, c’est le ciel qui apparait comme une femme, la d6esse
Nout. Le soleil est enfant6 par elle chaque jour. Isis est cependant la plus
importante des deesses aux fonctions maternelles. Elle n’est pas compa-
rable totalement a Ishtar mais sous ses nombreuses attributions, elle finit
par se confondre avec toutes les deesses d’Egypte; elle est la d6esse aux
nombreux noms et est par la suite assimil6e a la grande-m6re d’Asie
occidentale, de la Gr6ce et de Rome. Le culte de cette d6esse est particu-
li6rement bien organise. Elle a des temples, un clerge nombreux compose
3 E. O. James, Le culte de la déesse-mère dans l’histoire des religions (Paris: Payot, 1960),
Avant-propos.
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de pretres et de pretresses. On y cil6bre trois offices par jour: devotion fort


exceptionnelle pour 1’ Antiquite et qu’on ne retrouvera que plus tard dans le
christianisme. Les disciples d’Isis forment une milice sainte et respectent
une s6v6re discipline morale. Ils honorent la mere de la grace divine, de la
bonte, de la purete. Voici en quels termes Apulee, auteur latin du ne si6cle
de notre ere, la prie: « Divinité sainte, source 6temelle de salut, protectrice
adorable des mortels, qui leur prodigue dans leurs maux 1’affection d’une
tendre-mere ... sur la terre, sur la mer, toujours tu es Ih pour nous
sauver ».4
Le culte d’Isis, semble-t-il, a prepare la voie dans le monde m6diter-
ran6en au culte de la Vierge-Marie. D’ailleurs, lorsque 1’Egypte et la Nubie
se convertiront au christianisme, elles transf6reront à Marie les attributs
d’Isis et ceux d’Horus, son fils, a Jesus. Il semble bien que le culte de la
D6esse-m6re ait 6t6 a 1’origine de toutes les religions a myst6res qui 6taient,
en realite, des cultes de la vegetation et des rites de la f6condit6. La
d6esse-m6re personnifiait les forces de la nature qui se renouvellent sans
cesse et donnent naissance a tout.
Soulignons aussi que des espoirs d’une vie dans 1’au-dela 6taient
rattach6s a ces mysteres. Paradoxalement, les dieux de la croissance pour
1’Antiquite 6taient aussi les dieux des morts. La crainte de la sterilite du
sol-question de vie ou de mort-a ete a 1’origine de la diff6renciation du
f6minin et du masculin. Cette cat6gorisation fut sacralis6e parce que plac6e
dans 1’antagonisme cosmique. Le culte de la Vierge-m6re et de son par6dre
s’inscrivent donc dans un cadre magique.
Mais pourquoi le principe f6minin devrait-il etre « vierge » ? La
r6ponse est que l’on croyait sans doute que seule l’int6grit6 primordiale
pouvait etre vraiment efficace. L’aspiration humaine a la puret6 est
concomitante avec celle de la securite:1’angoisse est sous-jacente àce d6sir
de perfection, de puret6 qui doit rapprocher 1’humanite du sacr6, du
primordial, du paradis perdu.
c Dans l’Ancien Testament
L’on peut se demander comment a evolue la notion de virginit6 depuis la
Bible jusqu’aux P6res de 1’Eglise. Le concept de virginite semble presque
absent de 1’Ancien Testament. La femme qui met au monde des enfants est
glorifiee: c’est d’ailleurs la justification de son existence. Mourir vierge est
une malediction pour une femme. A partir du huitième si6cle avant notre
ere, il ne sera plus question de virginite dans la Bible sauf dans un texte du
L6vitique (Lev. 21,3). Pourtant le Christ naitra d’une vierge.
La matemité virginale-que 1’on peut mettre en rapport avec celle des
vierges-meres-va r6apparaitre dans 1’histoire d’Isra6l avec la naissance
du Christ.
d Dans le Nouveau Testament
La matemité de Marie, jeune vierge du Temple, va d’ailleurs causer un
certain émoi a Joseph, comme I’atteste 1’Evangile, et meme une sorte de
scandale, comme en t6moignent les 6vangiles apocryphes qui restent une
4 Apulée, Métamorphoses, trad. M. Nisard (Paris: Ed. Firmin Didot, 1865), 54, 12.
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source int6ressante et vivante. Les Apocryphes nous montrent combien


grande est la puissance fabulatrice des foules: leurs d6sirs inconscients s’y
expriment avec plus de spontaneite. L’idee de 1’Assomption de Marie vient
des Apocryphes et non de 1’Evangile. L’id6e de la perp6tuelle virginite de
Marie a ete proclam6e d’une mani6re cat6gorique par plusieurs de ces
textes: Vierge elle a ete conrue, Vierge elle a enfant6, Vierge elle de-
«

meure (Prot6vangile de Jacques). C’est la formule que reprendront, plus


»

tard, les th6ologiens de 1’Eglise.


Dans le Pseudo-Matthieu et dans 1’Evangile de 1’Enfance, nous trou-
vons 1’episode bien significatif de la sage-femme Salomé, qui, venue aider
Marie, avait voulu constater trop exp6rimentalement le miracle de la nais-
sance virginale et avait eu aussit6t la main dess6ch6e. Jesus la prendra en
pitie et la gu6rira. Depuis ce temps, il semble que la virginite de Marie ait
commence a se sacraliser et a se mythifier a la fois.
Avec la naissance de Jesus, l’on passe a un nouvel 6tat d’esprit
vis-a-vis de la virginite. En Isra6l, la femme mari6e avait ete m6diatrice de
salut par sa maternite, d6sonnais la vierge chr6tienne va r6aliser le veri-
table id6al chr6tien f6minin. L’6tat de virginit6, dans lequel la femme
pourra r6aliser son union avec Dieu, sera la source de sa veritable fecon-
dite. L’Eglise va presenter cet id6al nouveau comme une liberation, pour la
femme, des servitudes du mariage et de la maternite. Tel sera le discours
masculin exprim6 avec beaucoup de force par les P6res de I’Eglise qui ne
cesseront d’exhorter les femmes a vivre dans la chastet6.

e Durant l’epoque patristique


Au deuxi6me si6cle, saint C16ment adresse deux lettres aux Vierges dans
lesquelles il les met en garde contre les dangers qui les guettent et leur
conseille les oeuvres d’enseignement, ainsi que le soin des malades et des
enfants. Les fameuses vocations f6minines de service sont donc d6jh la. A
la meme époque, saint Justin, saint Ignace affirmaient la perp6tuelle vir-
ginite de Marie. Saint lr6n6e compl6te leur doctrine et insiste sur la partici-
pation de Marie a l’oeuvre de Redemption. Il oppose Marie a Eve car, dit-il,
« le
genre humain vou6 a la mort par une vierge a 6t6 sauve par une autre
vierge ».s Selon saint Irenee, c’est par son obeissance que Marie va reparer
la chute de la vierge Eve. Il ne parle pas encore de Marie comme « th6o-
tokos », M6re de Dieu, mais affirme la maternité divine de Marie.
Au deuxi6me si6cle 6galement, nous avons un auteur fameux pour ses
diatribes, Tertullien. Quoique mari6, il fut, selon l’opinion commune,
ordonn6 pretre. C’etait un esprit vigoureux mais paradoxal: il n’avait pas
les qualit6s voulues pour etre un bon moraliste, role qu’il va vouloir remplir
cependant. Tout le monde connait sa fameuse apostrophe au sexe f6minin:
« Tu enfantes dans les douleurs et les
angoisses, femme; tu subis l’attirance
de ton mari et il est ton maitre. Et tu ignores qu’Eve, c’est toi ? Elle vit
encore en ce monde, la sentence de Dieu contre ton sexe. Vis donc, il le
faut, en accusee. C’est toi la porte du Diable c’est toi qui es venue a bout
...

si ais6ment de 1’homme, 1’image de Dieu ».s


5 Irénée, Adversus haereses (Paris: Cerf, 1965), liv. 3, chap. 22, 3 et 4; liv. 5, chap. IXI, 1.
6 Tertullien, La Toilette des femmes, Sources chrétiennes (Paris: Cerf, 1971), 1, 1-2.
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Nous trouvons dans ce texte la femme associ6e à l’id6e de souffrance.


La femme est seductrice. Elle est soumise a l’homme qui, lui, est a 1’image
de Dieu, ce qui justifie sa domination sur elle. Tertullien a d6di6 a son
6pouse un ouvrage ou l’on trouve pourtant, a certains moments, 1’expres-
sion de beaucoup de tendresse. A son avis, les noces peuvent etre saintes
mais le c6libat lui est pr6f6rable. Il fait une apologie de la vie religieuse
destin6e d’ailleurs aux veuves chr6tiennes du temps, qui formaient des
sortes d’associations de moniales. Dans une autre oeuvre, il sera question
du port du voile pour les femmes, habitude juive et grecque pour les
femmes mari6es mais qui ne s’appliquait pas aux vierges ~ qui Tertullien
voudrait l’imposer. 11 traitera de la chastet6, de la monogamie et nous
trouvons dans son oeuvre tous les grands arguments au nom desquels les
P6res de 1’Eglise vont demander aux femmes de rester vierges. Le plus
convaincant de ces motifs se place dans une perspective eschatologique. Si
le royaume de Dieu est imminent, le mariage et la posterite sont inutiles. 11
faut des a pr6sent mener la vie des Anges.
Des prises de position aussi excessives seront condamn6es par
1’Eglise, mais Tertullien restera le fondateur de la th6ologie en Occident et
ses oeuvres continueront a influencer ses successeurs rarement enclins à
prendre des positions qui valoriseront la femme. L’Eglise grecque comme
1’Eglise latine se pr6occupera de la morale des fideles. C16ment d’Alexan-
drie vajouer un grand role, par ses 6crits p6dagogiques, mais la question
de la virginite ne fut pas un de ses sujets favoris. Origène, l’ auteur le plus
fecond de I’Antiquit6 et de 1’Eglise, ne consacra pas de trait6 a la virginite
mais en parla a maints endroits. Selon lui, la vie virginale est une vie
ang6lique men6e sur terre; grace a elle, ceux qui s’y consacrent 6chappent
mieux au conflit entre la chair et 1’esprit, le temps et 1’6ternit6. Nous
retrouvons le concept de puret6 associ6 a celui d’étemité.
Gr6goire de Nazianze, Basile de C6sar6e, Basile d’Ancyre traiteront
tous de la virginite. Basile d’Ancyre, ancien medecin, en parlera en termes
realistes, par ailleurs assez rassurants: La vierge la plus pure n’ignore pas
«

a quoi sert son corps ni a quoi sert le corps de 1’homme, et tout appelle
1’homme.... La virginite est donc un 6tat r6serv6 a ceux qui veulent mener
7
un combat contre eux-mêmes pour trouver la paix de Dieu. »7
Cette demière idee n’est pas nouvelle, les philosophes grecs et, en
particulier, les Pythagoriciens l’avaient souvent propos6e a ceux qui cher-
chaient la sagesse.
Le Traite de la virginité de Grégoire de Nysse est de tous le plus
c6l6bre. A son avis, c’est la virginite qui purifie le mieux les imes et il
ecrit:« La source de l’incorruptibilit6, N.S.J.C. lui-meme, n’est pas entr6
dans ce monde par un mariage, afin de montrer par le mode de son
incarnation ce grand mystere, que seule la puret6 est capable d’accueillir
Dieu quand il se pr6sente pour entrer ... » (i 1, 2).
Donc, la puret6 est la condition indispensable a la familiarite de
1’homme avec Dieu: ce qui nous permet de conclure que Marie a pu
engendrer Dieu seulement parce que vierge et chaste. La virginite permet
7 Basile d’Ancyre, De Vera virginitate, dans J.-P. Migne (éd.), Patrologia Graeca (Paris,
1857-1887), vol. 30, 669-810.
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aussi a qui la respecte de mener des ici-bas une vie supra-terrestre. Tels
furent les grands arguments d’ordre spirituel utilis6s par Gr6goire de
Nysse. Ce dernier voulut toutefois en proposer d’autres qui soient plus
convaincants et plus persuasifs pour des personnes aux prises avec des
soucis plus terre a terre.
Ainsi pour Gr6goire de Nysse, meme les mariages les plus heureux
sont pleins de peines et se vivent dans la hantise de la mort. Nous avons ici
encore, sous-jacente, l’id6e de mort li6e a celle de mariage. Or, le mariage
est g6n6ralement lie a l’id6e d’impuret6. Il y a, dit-il, les dangers de
1’accouchement-ceci était tres exact pour 1’epoque-les soucis de
1’education des enfants, les tribulations des jeunes veuves, etc. Le c6libat
consacr6 libère de tous ces maux et permet a celles qui l’ adoptent de
traverser la vie sans s’y attacher. Penchons-nous sur un passage exem-
plaire : « La virginite corporelle a 6t6 conrue a notre avantage afin de ...

mettre le plus possible en elle un oubli et une amn6sie des mouvements


passionnels de la nature, puisqu’elle n’entraine aucune necessite de
s’occuper des dettes viles de la chair. »8
Nous y trouvons les mots dettes viles de la chair ainsi que ceux d’oubli
et d’amnesie quant il s’agit des exigences du corps. Nous d6celons donc
toujours le meme d6sir de retrouver un 6tat de libert6 vis-h-vis des exi-
gences du corps, 6tat qui aurait ete, croyait-on, celui du paradis terrestre.
Gr6goire de Nysse n’ira cependant pas jusqu’a m6priser ceux qui
usent avec mod6ration du mariage, mais il insiste sur le fait que la virginite
est un chemin qui mene tellement mieux a Dieu. Il ne fautjamais oublier,
lorsqu’on étudie les P6res de I’Eglise, de faire la part de la rh6torique qui
entre dans leurs oeuvres. L’61oge de la virginite en exploita toutes les
ressources. Cela permit aux auteurs d’utiliser des arguments frappants et
outres que leurs contemporains ne prirent peut-~tre pas a la lettre, car ils
avaient I’habitude des sophismes. Il n’en reste pas moins que leur plaidoirie
«
pro virginitate » a impregne I’Eglise dejugements « a priori » et excessifs
sur la femme et le mariage.
Selon Gr6goire de Nysse, le mariage constitue le dernier degr6
d’eloignement de la vie paradisiaque et il conseille fortement de renoncer a
ce genre de vie qui entraine la mort pour trouver la vie dans la virginite. La
mort est encore une fois associ6e au mariage qui a fait perdre a 1’humanite le
paradis terrestre: la virginite est un retour a cet 6tat primordial avec son
corrolaire, l’immortalit6. Voici, dans le m~me esprit, ce qu’6crit notre
auteur a propos de la Vierge Marie: « Cette mere Vierge qui a port6 en son
sein, par la vertu de I’Esprit, ces enfants immortels, elle qui est dite st6rile
par le proph~te a cause de sa continence », et encore dans la meme ligne, à
propos de la virginite: « Mais la mort qui cheminait avec toutes les g6n6ra-
tions ant6rieures et qui accompagne dans leur travers6e ceux qui arrivent a
chaque instant dans la vie, a trouv6 une borne a son action qu’il lui est
impossible de d6passer » (xm, 1).
11 a 6t6 dit a propos des Vierges-m6res que leur virginite était feconde,
source de perpetuel recommencement, que leur integrite était une protec-

8 Grégoire de Nysse, Traité de la virginité, Sources chrétiennes (Paris: Cerf, 1966),


chap. 5, 4-8.
405

tion contre les forces de la mort et leur purete, un retour a 1’etat primordial.
Ne pouvons-nous pas, sans nous tromper, mettre en parall6le les qualit6s
des Vierges-m6res et ce que les P~res demandaient et promettaient aux
vierges chr6tiennes ?
Des la fin du premier si6cle apr6s le Christ, il y avait eu des asc6tes et
des vierges qui se vouaient a Dieu et menaient une vie de chastet6 dans leur
famille ou dans des lieux isoles. Le Traitg de la virginité de Jean Chrysos-
tome est lie au grand mouvement monachiste du quatri6me siecle. Dans ce
trait6, saint Jean Chrysostome 6crit qu’il n’est pas 6tonnant que les Juifs
qui avaient trait6 avec ignominie le Christ lui-m~me, ne d’une vierge, se
refusent aussi a considerer les beaut6s de la virginite (I,1). Le meme auteur
donne cette definition de la vierge: « Pour ma part, j’appelle vierge celle
qui, ayant toute libert6 de se marier, s’y est refus6e » (x1,1). Et il ajoutait,
en parlant des vierges, ces propos: « si elles ne peuvent encore monter au
Ciel comme des Anges, car la chair les retient, du moins ont-elles d6s
ici-bas la grande consolation de recevoir le Maitre des Dieux en personne,
quand elles sont saintes de corps et d’esprit » (xI,1).
Le renoncement des vierges n’est pas, pense-t-il, improductif.
D’abord, elles sont 6pouses du Christ et ensuite leur 6tat est proche de celui
des Anges. Leur abn6gation sera bien r6compensee car, dit saint Jean-
Chrysostome : « Aux vierges de l’Eglise des biens magnifiques s’offriront
en foule, inaccessibles a 1’oreille, a 1’oeil, a 1’entendement humain »(XI, 1).
11 fera, par contre, un tableau horrifique du mariage et donnera la
raison de son m6pris pour cet 6tat: « Vois-tu quelle fut l’origine du
mariage ? 11 est la consequence de la desobeissance, de la malediction, de la
mort. Of est la mort la est le mariage: 6tez l’un et l’autre disparait. Tandis
que la virginite n’a pas cette escorte » (xII,6).
Si nous r6sumons les id6es 6nonc6es dans ces textes, nous voyons que
la d6sob6issance d’Adam et d’Eve leur a fait perdre leur purete, ce qui a
entrain6 pour eux la mort. Ceci nous permet de presenter les chaines
s6mantiques suivantes: d’une part, virginite puret6 immortalite et
= =

d’autre part, mariage =


impuret6 mort.
=

Selon Jean-Chrysostome, Dieu n’avait pas besoin du mariage pour


multiplier les hommes sur la terre. La ruine et la destruction du genre
humain ne peuvent etre imputables a la virginite mais le sont au p6ch6
(XVIII,S).
Les arguments avanc6s par les P~res faisaient donc, sans cesse, appel
4 un d6sir tres profond de Fhumanite qui est celui de Fimmortalite, qualite
des dieux. N’est-on pas en droit alors de se demander si cette exhortation
que les P6res faisaient aux femmes de respecter le modele de la Vierge était
tout a fait desinteresse ? C’6tait un discours male, un discours de
pouvoir-les femmes ne parlent pas dans 1’Eglise-. La vierge devenait un
etre ang6lique et ne repr6sentait plus une source de tentation pour
1’homme. Celui-ci pouvait donc plus facilement vivre dans la chastet6,
source de vie eternelle, d’immortalite. L’homme se rapprochait de 1’etat de
la divinite. Nous sommes tr6s pr6s des mythes de 1’Antiquite dite paienne.
A Rome, il y a deux P~res de I’Eglise importants avant saint Augustin,
dont la pens6e sur le sujet pourrait faire 1’objet d’une longue etude. Ce sont
406

saint Ambroise et saint J6rbme. Les P6res latins ont subi 1’influence de la
pens6e des P~res grecs. Saint Ambroise a 6t6 appel6 le Docteur de la
Virginite: il lui a consacre cinq ecrits, trois livres sur la vierge, un trait6 de la
virginite et le dernier sur 1’6ducation d’une vierge et sur la perp6tuelle
virginite de la Vierge Marie. Pour lui, Marie est le modele des vierges.
Quelles 6taient ses qualites ? La candeur, Fhumilite, la douceur, la gravite
et la docilite. Marie était bonne pour tous, sans jalousie, travailleuse,
ob6issante a ses parents, modeste, pleine de decence, charitable et surtout
chaste. L’6num6ration est fort classique et bien famili6re aux oreilles
feminines. Elle priait sans cesse, ne sortait que pour aller au temple et avait
une d6marche pleine de pudeur. Elle était attentive a tout ce qu’elle faisait
comme si elle avait ete expos6e aux yeux de plusieurs censeurs. On devine
ais6ment que les censeurs n’etaient guère des femmes.
Marie est donc le prototype parfait de la vierge pure et f6conde,
soumise a la bont6 divine. En ceci, la vierge chr6tienne differe de la
Vierge-m6re qui avait l’initiative et n’6tait pas soumise a la volont6 du
dieu-male. L’attitude de saint Ambroise est paternaliste mais il ne fut
peut-etre pas aussi excessif que d’autres Pères de I’Eglise même s’il a, lui
aussi, c6d6 ~ la tentation de faire du mariage un tableau repoussant.
Mettons a son actif cette remarque: « Souvent nous accusons la femme
d’avoir ete la cause de notre perte et nous ne voyons pas qu’il serait
beaucoup plus juste de nous faire le reproche a nous-m~mes ».9
L’on retrouve souvent sous la plume de saint Ambroise l’id6e de
fecondite de la virginit6, fecondite mystique:
Demandez a I’Eglise d’Alexandrie, a celle d’Orient et 4 celle d’Afrique combien, chaque
annee, elles consacrent de vierges. Nous avons ici moins de naissances que ces Eglises n’ont
de cons6crations de vierges. L’exp6rience universelle prouve donc que la virginite n’est pas
inutile, d’autant plus que c’est d’une vierge qu’est venu le salut, pour la fecondite du monde
romain (de Virg., 36).

Quant a saint J6r6me, c’est a travers son importante correspondance


et surtout dans la lettre ~ la vierge Eustochium que nous apprenons ses
id6es sur la virginite. 11 a d6fendu la perp6tuelle virginite de Marie dans
deux ouvrages polemiques. 11 affirmait qu’elle fut vierge « ante partum »,
«
post partum » et meme « in partu ». Dans sa r6ponse ~ Helvidius, il 6crit
ceci: « Vous soutenez que Marie ne demeure pas vierge; et moi, non
content de la proclamer telle, je declare que Joseph lui-même fut vierge par
Marie, pour qu’un fils vierge naquit d’un mariage virginal ».
Marie est donc m6diatrice de virginite a la fois pour Jesus et pour
Joseph.
Pour saint Jerome comme pour les autres P6res de 1’ Eglise, la virginite,
6tant un 6tat d’integrite, est de loin pr6f6rable au mariage: « La femme
mari6e (dit-il) reste comme partagee; mais la vierge ... pense aux choses de
Dieu. Comprenez le bonheur de celle qui n’a meme plus le nom de son sexe.
Non, la vierge ne porte plus le nom de femme ».10
9 S. Ambroise, L’éducation d’une Vierge, ou de la perpétuelle virginité de Marie, cité par
R. Thanin, Ambroise et la morale chrétienne au ivè siècle (Paris, 1895), 351.
10 Jérôme, Contre Helvidius, sur la perpétuelle virginité de la bien-heureuse Marie, dans
J.-P. Migne (éd.), Patrologia Latina, vol. 23, 183-206.
407

Ici, nous avons, tres clairement exprime, le d6sir d’eliminer la Femme,


l’ Autre qui est toujours la coupable et sert de bouc 6missaire dans un
discours phallocrate. Saint Jerome sera d’ailleurs lui aussi d’une 6loquence
«
inspir6e » sur les ennuis du mariage. Voici un des arguments qu’il utilise
pour dissuader celles qui penseraient encore a embrasser cet 6tat: « Une
femme d6sormais affranchie des angoisses et des douleurs de la maternite,
qui n’est plus une femme en quelque sorte, échappe a la malediction de
Dieu, ce n’est plus elle qui doit se soumettre a 1’homme, c’est plut6t
I’homme qui lui est soumis » (ibid.).
Donc, pour saint J6r6me, une femme, qui exerce sa sexualit6, con-
naitra in6vitablement la souffrance, l’angoisse et la mort. Mais, en n’exer-
cant plus sa sexualite, elle peut devenir supeneure a 1’homme, le dominer.
La femme vierge retourne a 1’6tat primordial de purete. Les arguments de
saint Jerome ne sonnent-ils pas un peu comme ceux du serpent au Paradis
terrestre ?
Voila comment les P6res de 1’Eglise ont interprete le message evan-
gelique: le message d’amour et de fratemité est transform6 en un plaidoyer
dans lequel I’argument de domination devient decisif. 11s ont fait du conseil
de virginite un enjeu social et ont employ6 des arguments fort douteux pour
encourager les femmes a renoncer a 1’exercice de leur sexualit6.

Conclusion
Cette analyse nous conduit a ne pas souscrire sans restriction a l’opinion
g6n6ralement avanc6e que le christianisme a oeuvre a la promotion de la
femme. Les 6crits qui font autorit6 dans 1’Eglise sont toujours de la main
des hommes. La pens6e des P6res, si fr6quemment pleine d’6motivit6 et
meme d’irrationalite quand il s’agit de la femme, trahit leur desir d’annihiler
sa puissance. La femme n’est pas une egale, on la sublimise ou bien on la

jette a la g6henne parce que seductrice. La perspective eschatologique sert


habilement de caution a leur discours. Au nom de Dieu, la femme va 6tre
emprisonn6e dans un paradigme fait par des hommes qui se prenaient pour
des demiurges: nous choisissons express6ment ce titre, qui 6tait donne par
les Platoniciens au dieu architecte de l’univers.
11 ne faudrait pas oublier non plus I’aspect politique et propagandiste
de ce discours. La virginite devait etre la preuve de la superiorite du
christianisme sur les autres religions. C’6tait aux femmes de se d6vouer a
cette cause sacr6e, sans pour autant songer jamais a leur donner en
contre-partie quelque pouvoir d6cisionnel dans 1’Eglise.
Le christianisme n’6tait-il pas une religion d’amour et de service et la
Vierge Marie n’avait-elle pas la premi~re donn6 1’exemple de la soumission
et de la d6possession qui 6taient presentees comme la source de sa fecon-
dit6 ?
11 semble que les Vierges-meres, dans le contexte orgiaque et magique
dans lequel elles furent conquers, purent etre f6condes mais non soumises.
La Vierge-Marie fut soumise et f6conde mais elle est le paradigme d’une
religion du rationnel et de 1’ethique. Faut-il en conclure que les religions
polyth6istes de I’antiquit6 offraient aux femmes de meilleurs possibflit6s
408

d’6panouissement que celles que leur a offertes la tradition chr6tienne


jusqu’a nos jours ?
Flore Dupriez

II L’enseignement de Vatican II

C’est par un vote expr6s, et de justesse, que les P6res de Vatican n


adopt6rent, comme dernier chapitre de la constitution dogmatique « Lu-
men Gentium », un texte intitule « La Bienheureuse Vierge Marie Mere de
Dieu dans le mystere du Christ et de 1’Eglise ».
Quelle signification prend cet ajout difficile ? Qu’y retrouvons-nous de
la doctrine traditionnelle sur Marie Vierge et M6re ? Y retrace-t-on quelque
element faisant reference au mythe de la d6esse-m6re et a son influence sur
les relations hommes-femmes dans le monde occidental ?

1 Le texte « De Beata » dans la constitution sur 1’Eglise


Comme le fait remarquer tres pertinemment Rene Laurentin, « le chapitre
« De Beata » n’est
pas ne par necessite interne, de la conception coh6rente
qui s’affirme dans les premiers chapitres du De Ecclesia . Il a 6t6 rattach6
apr6s coup, non sans une forte opposition avec laquelle il fallait com-
poser... ».11 La perspective oecum6nique adoptee par le Concile rendait
en effet difficile un consensus sur un aspect qui, pendant des siecles, avait
6t6 1’expression de divisions entre les chr6tiens.
C’est en tant que « toujours Vierge » et en tant que M6re de Dieu et du
Seigneur Jesus-Christ, que le texte conciliaire reconnait les m6rites de
Marie. Reprenant un theme cher a la patristique,’2 le pr6ambule affirme que
Marie est « un membre suréminent et tout d fait unique de l’Eglise »13 ainsi
que « son modele et son exemplaire le plus rare »14 pr6cis6ment parce
qu’elle a accueilli « dans son coeur et dans son corps le Verbe de Dieu » et
apport6 ainsi « la Vie au Monde ».
Il n’est pas sans int6r6t de rappeler que ce paragraphe 53 constitue un
des amendements majeurs apport6s a la derniere r6daction du document.
Alors que le texte ant6rieur parlait simplement de « pi6t6 ffliale » envers
Marie, le document officiel reprend un membre de phrase de Benoit xiv:
1’Eglise traite Marie « comme une mere tres aimante ».’5
L’intention su chapitre est d’ailleurs clairement formulee. Il « entend
mettre soigneusement en lumi6re, d’une part, la fonction de la Bienheu-

11 René Laurentin, La Vierge au Concile, dir. P. Lethielleux (Paris, 1965), 77.


12 « Marie a
conçu la chair du Christ par la foi », dans S. Augustin, Contra Faustum, 29, 4,
PL, vol. 42, 490. Elle « le conçut en son esprit avant qu’en son sein ». Ibid., 215, n. 4, PL,
vol. 38, 1074.
13 Lumen Gentium, trad. R. Laurentin, par. 53, 195.
14 Ibid.
15 Ibid.
409

reuse Vierge dans le mystere du Verbe Incarné et du Corps mystique,


d’autre part, les devoirs des hommes rachetes envers la Theotokos, M6re
du Christ et mere des hommes ».16 ...

2 Marie Vierge et Mere

C’est donc en tant que M6re et toujours Vierge que la constitution dogma-
tique reconnait le role preeminent de Marie dans 1’Eglise et en fait le mod6le
de tous les chretiens, hommes et femmes. C’est la soumission, l’ob6issance
de Marie qui est avant tout exalt6e.
En acquiescant... a la divine parole, Marie fille d’Adam, est devenue M6re de Jesus, de plein
coeur, sans etre entrav6e par aucun peche, elle a embrass6 la volont6 salvatrice de Dieu et
s’est consacr6e totalement comme « Servante du Seigneur à la personne et a l’oeuvre de son
Fils, elle s’est vou6e, en sa dependance et avec lui, par la grace de Dieu Tout-Puissant au
mystere de la R6demption .17
Reprenant un parall6le maintes fois utilise par les P6res grecs, le
document conciliaire oppose l’ob6issance de Marie a la d6sob6issance
d’Eve. « La Mort par Eve, la vie par Marie ».18 Pour expliciter le role que
I’Eglise reconnait a Marie dans Feconomic du salut, la constitution dogma-
tique fait d’ailleurs usage de termes fort significatifs: « La Bienheureuse
Vierge fut, sur cette terre, par dessein de la Divine Providence, la bonne
...

Mere du Divin R6dempteur. (Elle fut) singulièrement plus que les autres,
I’associ6e g6n6reuse, et F humble servante du Seigneur »,19
C’est la fonction de « mere dans l’ordre de la grace » que le texte
conciliaire s’applique a mettre en evidence en d6crivant comment « de
mani6re tout a fait unique, par l’ob6issance, la foi, 1’esperance et par une
ardente charite, (Marie) a coopere a l’oeuvre du Sauveur et comment par
son matemel amour (elle continue de prendre) soin des fr6res de son Fils
encore en p6lerinage, ballot6s par les angoisses et les dangers >).20
Le texte rappelle 6videmment le caract6re « subordonn6 » de cette
fonction. Marie est le prototype de la cr6ature soumise a son Cr6ateur. Elle
est le prototype de 1’Eglise, appel6e aussi « M6re et Vierge ». Or, c’est « en
croyant et en obeissant ... qu’elle engendra sur la terre le Fils m~me du
P~re, et cela sans contact d’homme, ~ l’ombre de 1’Esprit-Saint, comme
1’Eve nouvelle, qui donne, non plus a 1’antique serpent, mais au messager
de Dieu, une foi que nul doute »21 ne peut alterer.
C’est pourquoi le Concile invite tous les fideles « a reconnaitre 1’excel-
lence de la M6re de Dieu », a t6moigner un « amour filial » envers Marie et
a imiter ses vertus. Pour les P~res de Vatican ii, rien ne semble plus naturel
en effet que cette image de la perfection feminine, toute bonte, maternite,

16 Ibid., 54, 196.


17 Ibid., 56, 201.
18 Ibid., par. 56. Reprise de saint Irénée, Adv. Haer 3, 22. 4: « En obéissant, Marie est
devenue, pour elle et pour le genre humain, cause de salut.... Le noeud de la désobéis-
sance été dénoué par l’obéissance de Marie. Ce que la
d’Eve a Vierge Eve a lié par
l’incrédulité, la Vierge Marie l’a délié par la foi.»
19 Lumen Gentium, par. 61.
20 Ibid., par. 62.
21 Ibid., par. 63.
410

puret6, douceur,
soumission. Comme le Christ, homme-Dieu, la Vierge-
Marie, M6re de Dieu, rallie les contraires, resout les contradictions et
d6montre que pour Dieu rien n’est impossible.
Mais, comme le souligne avec raison Marina Warner,22 le mythe de
Marie Vierge et Mere, a la diff6rence du mythe de Jesus homme-Dieu, est
imm6diatement traduit en termes moraux. Pour imiter Marie, les femmes
devraient avoir des enfants sans connaitre les rapports sexuels. Cette
contradiction est typique de la doctrine catholique qui proclame la beaute
de la matemité mais recommande le renoncement sous la forme de la
virginite. Marina Warner y voit lh une faron de maintenir dans 1’Eglise un
pouvoir male incontest6 et incontestable.
La survie du mythe de Marie, Vierge et Mere, explicite la f6ministe
americaine, perp6tue en effet une conception mysogine du sexe et du p6ch6
et se pr6sente comme une fagon subtile de nier 1’egalite des sexes. La
Vierge-Marie, conclut-elle, ne saurait etre I’arch6type de la nature
feminine. Sa figure est davantage le r6sultat d’un raisonnement dynamique
de 1’Eglise catholique sur des structures sociales traditionnellement as-
simil6es a un code donn6 par Dieu.
3 Survie ou riappropriation d’un mythe ?
Il est clair que les P6res de Vatican ii, tout en affrmant le role pr66minent de
Marie dans 1’Eglise, ont tente de ramener a des proportions plus modestes,
un culte qui, dans les ann6es ’50, avait pris une importance accrue dans la
pi6t6 populaire. Serait-ce que les catholiques auraient eu tendance a faire
de Marie une M~re-d6esse ?
Le document conciliaire invite, tout au moins, « les th6ologiens et les
pr6dicateurs de la Parole divine a s’abstenir de toute superf6tation indue
comme des exc6s d’une mentalit6 restrictive lorsqu’ils traitent de la singu-
li6re dignit6 de la Theotokos » .23 En resituant, en fonction du Myst6re du
Christ et de 1’Eglise, le role exerce par Marie dans 1’6conomie du salut,
Vatican m ram6ne le culte marial a des dimensions plus acceptables pour
une religion de type patriarcal.
Nous nous trouvons de nouveau devant un discours male, un discours
de pouvoir, qui situe Marie comme 6tant « au premier plan, parmi les
humbles et les pauvres du Seigneur qui attendent et reroivent de lui le salut,
avec confiance ».24 Car c’est en raison de son ob6issance, de sa soumission
que Marie « reroit la charge et la dignit6 supr~mes d’etre la M6re du Fils de
Dieu et, en consequence, (la) fille de pr6dilection du P6re et (le) sanctuaire
de 1’ Esprit-Saint » .25
Ne voulant pas « proposer au sujet de Marie un expose doctrinal
complet, ni trancher les questions que le travail des th6ologiens n’a pas
encore compl6tement 6lucid6es »,26 le document conciliaire reprend, en les
situant par rapport a la vision chr6tienne du salut, des donn6es caract6ris-
22 Cf. Marina Warner,
Alone of All her Sex: The Myth and the Cult of the Virgin Mary (New
York: Alfred A. Knopf, 1976), 333-39.
23 Lumen Gentium, par. 67.
24 Ibid., par. 55.
25 Ibid., par. 53.
26 Ibid., par. 54.
411

tiques du mythe de la Vierge-M6re tel qu’il a perdur6 au cours des ages,


depuis l’ Antiquité, en passant par les P6res grecs et latins, les cultes
mariaux du Moyen-Age, la pi6t6 populaire et memo les d6finitions dogma-
tiques et conciliaires.
Sans doute, la tradition jud6o-chr6tienne s’est-elle toujours oppose
radicalement aux cultes des d6esses-m6res avec lesquels elle 6tait 6troite-
ment en contact. Toute « idee d’un culte divin rendu a une cr6ature est (en
effet) en opposition absolue avec la notion capitale, essentielle, de la
religion judeo-chretienne, celle de la transcendance de Dieu >>.27 Loin, par
ailleurs, d’etre une exaltation des forces de la passion et de la vie sensible
«

et sensuelle », la doctrine mariale traditionnelle exalte de plus la vir- «

ginit6, non comme printemps de la vie vou6e aux matemités charnelles,


mais comme presence eschatologique d’une vie spirituelle soustraite aux
atteintes des sens ».28
Il n’en est pas moins certain, pr6cise Jean Dani6lou, que le chris-
«

tianisme, et singuli6rement dans le christianisme le culte marial, s’est


historiquement, dans le monde au quatri6me siecle, et psychologiquement,
dans 1’ame humaine, subtitue a des religions ou le culte de la femme
vierge-mère, jouait un rôle absolument central ».29 Comment, d6s lors, ~tre
étonné d’y retrouver plusieurs 616ments caract6ristiques des cultes vou6s
aux deesses-meres ? Le « culte de Marie » n’a-t-il pas « succede dans
certains cas a un culte local f6minin » ?3° N’a-t-il pas fr6quemment utilise
les lieux saints, les temps sacr6s et les symboles culturels connus des
civilisations ou il s’est d6velopp6 ?
Jean Dani6lou, a l’instar de plusieurs th6ologiens et historiens des
religions, admet pr6cis6ment que « le culte marial chr6tien et le culte des
d6esses-m6res de la mythologie correspondent a des fonctions psycho-
...

logiques parall6les ».31 « Il est remarquable, note-t-il, que les mêmes


P£res de 1’Eglise, qui condamnent les cultes de Demeter et d’ Astarté, y
voient par ailleurs d’obscures analogies et anticipations du mystere de la
Vierge. Justin, qui a marqu6 si profond6ment la diff6rence qui separe la
th6ogamie de Zeus et de Dana6 et la conception virginale » (Apol. , xxxiii),
6crit un peu avant: « Nous racontons que (Jesus) est ne d’une vierge, il a
ceci de commun avec votre Pers6e » (Apol. xxii), ce qui est une allusion au
memo 6pisode ».32
En r6affirmant le caract6re unique de Marie en tant que Vierge et
Mere, la constitution dogmatique fait donc reference aux « images de
M6res et de Vierges qui remplissent le panth6on des religions », mais en le
faisant, elle affirme la pr6tention de 1’Eglise « a prendre possession du
cosmos et a le situer dans sa perspective». 33 Pour Vatican m, comme pour
toute la tradition jud6o-chr6tienne, « c’est par rapport a Marie que se
27 Jean Daniélou, « Le Culte marial et le paganisme », dans Maria: Etudes sur la Sainte
Vierge, sous la direction d’Hubert du Manoir (Paris: Beauchesne, 1949), 173.
28 Ibid., 174, se reférant, entre autres, à P. Prümm, Die christliche Glaube und die altheid-
nische Welt (Leipzig, 1935), vol. 1, 313-33.
29 Daniélou, Culte marial », 174.
«

30 P. Noyon, Dictionnaire apologétique de la Foi catholique, 3, col. 320.


31 Daniélou, « Culte marial », 178.
32 Ibid., 181.
33 Ibid.
412

(situent)toute virginite et toute matemité ».34 Celles qui l’ont pr6c6d6e


« seront les pr6figurations » ; celles qui la suivent devront en etre « les
en
imitations » et 6tre « charges de la signification spirituelle que contient
6minemment le my store de Marie ».35

4 Marie exemplaire de la vie chritienne


comme

En 6vacuant ce qui pouvait ~tre menarant dans les mythes des d6esses-
m6res et en les r6interpr6tant dans les perspectives propres a la tradition
jud6o-chr6tienne, la constitution dogmatique Lumen Gentium con- « »

tribue a maintenir le mod6le domin6-dominant qui a toujours caract6ris6 le


discours officiel de 1’Eglise sur les relations hommes-femmes.
Joan Arnold36 note a ce sujet que ce discours officiel est habituellement
fort en deca des expressions v6hicul6es par la culture populaire. Ainsi la
proclamation de Marie comme Theotokos-Mere de Dieu-fut comprise a
Eph6se « comme une victoire pour Diane, mere du peuple ephesien. Diane,
d6esse de la lune, était vierge, en ce sens qu’elle existait pour elle-m~me,
dans sa totale integrite, et non pour plaire a quelque autre. Elle n’existait
pas pour un homme ... ».37 La doctrine de la Theotokos, au cinqui6me
siecle, connut donc au moins deux significations: « une signification
th6ologique pour le clerge »: Marie n’existe que pour et par Dieu le P6re et
son divin Fils; « une signification pour le peuple: celle d’une victoire de leur
religion sur les conqu6rants chr6tiens ».38
« Au
Moyen-Age, ou la pi6t6 populaire avait tendance ~ deifier la mere
de Dieu, de graves th6ologiens eurent le souci de moderer cet en-
thousiasme.... A la diff6rence de la terrestre « M6re-D6esse » de la devo-
tion populaire, la Marie des trait6s de mariologie (devint) un etre excep-
tionnel et sans sexe. »39 En glorifiant Marie, dans sa matemit6 et dans sa
virginit6, dans sa soumission et sa dependance, le texte « De Beata »
apparait donc comme une contribution de la hi6rarchie et des th6ologiens
officiels visant a dimmer de la devotion a Marie ce qui leur paraissait etre
des « d6viations » pour imposer leurs propres conceptions du « symbole
Marie ».4° Dans cette perspective, Marie et les femmes demeurent, dans
l’oeuvre de la R6demption, des partenaires in6gales.
On comprend des lors que bon nombre de groupes d’inspiration
chr6tienne proposent a leurs membres cet id6al de Marie Vierge et Mere.
Nous y trouvons une faron subtile, et a peine d6guis6e, d’imposer a la
femme un modele male de domination sur son corps, sur sa vie et sur ses
aspirations.
Anita Caron
34 Ibid.
35 Ibid.
36 Cf. Joan Arnold, « Marie, mère de Dieu et des femmes », Concilium 111(1976), 51-62.
37 Ibid., 55.
38 Ibid.
39 Ibid., 59. Joan Arnold se réfère ici à Thomas d’Aquin et à Bonaventure qui, après avoir
établi que Marie pouvait avoir été rachetée par anticipation, acceptèrent, après hési-
tations, de reconnaître en elle « un être céleste, libre de tout péché, de toute souillure,
incorruptible dans sa virginité ».
40 Ibid., 52.
413

III Des riinterpr6tions qu6b6coises

Le Qu6bec se situe dans le sillage de la culture occidentale qui se veut a la


fois chr6tienne et patriarcale, L’h6ritage catholique et la conjoncture
sociale ont certainement prepare un terrain propice au d6veloppement du
mythe de la Vierge-Marie dans la societe qu6b6coise. 11 semble que « la
fonction des mythes puisse etre assum6e non seulement par des r6cits se
referant n6cessairement a un pass6 suppose r6el et fagonn6 d’une certaine
mani6re, mais aussi par des modeles axes sur le futur » .41 Ces r6cits et ces
mod6les constituent 1’objet de la pr6sente communication.
Les mod6les d’6pouse et de mere seraient parmi ceux qui ont r6ussi le
mieux a traduire le mythe de la Vierge-Marie chez la moiti6 feminine de la
population. Avant les années ’60, de nombreuses publications ont valoris6
cette option. Ainsi, une auteure intitulait son code de bonheur familial:
Epouse et Mere avec Marie .42
1 Une société monolithique
Un certain monolithisme impr6gnait la societe qu6b6coise avant la r6volu-
tion tranquille. Les dissidences pouvaient difficilement se manifester. Les
instances religieuses, politiques et culturelles avaient tendance a vehiculer
dans leur discours le memo modele de la femme 6pouse et mere. Ainsi, Mgr
Louis-Adolphe Paquet affirmait en 1919 que « la femme, d’après l’idéal des
siecles chr6tiens, est une oeuvre de choix, le chef d’oeuvre des mains
divines qui, en creant des soeurs, des meres, des epouses, ont sculpte, dans
le marbre humain, avec un art infini, les vertus les plus pures, les
physionomies les plus douces, les vies les plus humbles et les plus
devouees ».43 Pour sa part, Henri Bourassa, directeur au journal Le De-
voir, proclamait en 1918 que 1’homme voyait dans la femme « d’abord la
mere de ses enfants, et aussi sa compagne, son associ6e par le coeur, son
6gale devant Dieu, sa prot6g6e, a cause de sa faiblesse physique, mais
jamais sa semblable ».44 Quant a Louis-Alexandre Taschereau, premier
ministre du Qu6bec, il disait en 1921: « Est-il meilleur baume pour les
blessures de la vie que le d6vouement d’une mere, 1’attachement d’une
6pouse, les petits soins d’une soeur, les gentillesses d’une fillette ?45
Ces trois hommes, d6tenant des postes-cl6s dans la societe de leur
époque (theologien, directeur de journal, premier ministre), s’entendent
pour d6finir les femmes principalement dans les roles d’epouse et de mere
41 Article «
Mythe», dans Encyclopédia Universalis (Paris: Ed. Encyclopedia, Universalis,
1971), vol. 11, 528.
42 Jeanne L’Archeveque-Dugay, Epouse et Mère avec Marie, Nicolet, Centre Marial
canadien (Montréal: Le Centre Familial, 1947).
43 Louis-Adolphe, « Le féminisme », dans Québécoises du 20e siècle (Montréal: Ed. du
Jour, 1974), 50.
44 Henri Bourassa, Femmes-Hommes ou Hommes et Femmes, Etudes à bâtons rompus sur
le féminisme (Montréal: Imprimerie du Devoir, 1925), 48.
45 Louis-Alexandre Taschereau, « De l’influence de la femme sur nos destinées
nationales », dans Québécoises du 20e siècle (Montréal: Ed. du Jour, 1974), 209.
414

et s’elevent 6nergiquement contre toute volont6 de changement. Pour eux,


la femme n’a de veritable raison d’6tre que dans les roles d’6pouse et de
mere ou dans toute autre fonction se rattachant à la cellule familiale. En fait
la glorification des femmes se fait uniquement dans ce contexte. La mater-
nit6 rachete la femme non vierge et lui donne toute sa grandeur.
Entre 1946 et 1960, plusieurs indices signalent que le modele de la
femme 6pouse et mere est en pleine effervescence. L’impressionnant taux
de f6condit6 des femmes sugg6re fortement que la tiche d’6pouse et de
mere devait les occuper a plein temps (cf. tableau « Evolution de la fecon-
dit6, province de Qu6bec, 1926-1973 »).
TABLEAU 1

Evolution de la fecondite,
province de Quibec, 1926-1973

Source: Bureau de la Statistique du Quebec, Ser-


vice de la d6mographie et du recensement.

L’attitude adoptee a 1’6gard du travail f6minin confirme cette ten-


dance. Alors que 1’ensemble du Canada prend une s6rie de mesures posi-
tives en faveur du travail des femmes, « au Qu6bec, la mise en veilleuse (de
ce) probleme ... dans la d6cennie 1950-60 repr6sente assez bien la lente
6volution de l’id6ologie traditionnelle ».~ En 1955, la r6dactrice d’une
th6se sur Le travaifféminin dans la province de Quebec affirme que: « Le
bien de toute la societe et de ses membres exige que 1’epouse, que la mere
46 Francine Barry, Le travail de la femme au Quebec, l’évolution de 1940 à 1970 (Montréal:
Les Presses de l’Université du Québec, 1977), 52.
415

soit d’abord au foyer ... une femme epouse et mere qui, sous pr6texte
d’independance, d’6galit6 de carriere quitterait la maison tous les matins
pour aller gagner un salaire, fait tort a elle-meme, a son foyer, a toute la
societe ».47
Les femmes qui n’optaient pas pour la vocation d’epouse et de mere
entraient nombreuses dans les communaut6s religieuses. Entre 1940 et
1950, il y avait au Qu6bec une religieuse pour cent onze catholiques, soit
probablement la proportion la plus 6lev6e de tout le monde catholique. 48
Ces femmes se conformaient d’autant mieux au modèle de la Vierge Marie
qu’elles devenaient des « r6v6rendes m6res » et des 6pouses du Christ tout
en restant vierges.
2 Culte marial et mariologie
En ces temps-1h, le culte marial va atteindre des sommets jamais egales. En
juin 1947, le Congr6s Marial d’Ottawa r6unira pendand cinq jours et cinq
nuits des milliers de personnes qui venaient se placer sous la protection de
la M6re des hommes ». L’ann6e mariale en 1954 sera marqu6e par des
«

fetes somptueuses et une impressionnante procession de la statue de la


Vierge-Marie a travers tout le Canada. L’institution eccl6siale masculine
veillait efficacement a la promotion du culte marial.
Louis Rousseau a d6j~ fait remarquer que le theme de Marie a connu
une 6volution significative dans la production th6ologique qu6b6coise.
« Dans la p6riode contemporaine, soit
qu’on s’occupe de Marie et alors que
d’elle, soit qu’on ne s’en occupe pas du tout ».49
Le tableau ci-apr6s illustre fort bien cette tendance. En 1954, Marie
fait d6verser a flot 1’encre des th6ologiens alors qu’a partir de 1961, elle ne
retiendra pratiquement plus leur attention.
Cette fluctuation dans les 6crits des th6ologiens nous suggere une
6volution du role de la Vierge Marie comme modele pour toutes les fem-
mes. Apr6s avoir ete l’objet de tous les couronnements, assurant ainsi la
valorisation de la « reine du foyer », la Vierge Marie a ete soigneusement
rang6e dans 1’ombre et n’offre plus aux femmes 1’image de prestige qui
donnait sens a la carriere d’6pouse et de mere.
Dans un article sur la Vierge Marie, Bernadette Gasslein se demande si
« toute id6alisation de la femme
qu’est Marie ne fonctionne pas de fait
comme une devalorisation des autres femmes ».5° Elle souligne qu’a
«
chaque trait positif relatif a Marie s’oppose un trait n6gatif relatif aux
autres femmes et a tous les humains ».51
47 Louise Caron, La travail féminin dans la province de Québec, thèse en relations indus-
trielles (Montréal: Université de Montréal, 1955), 94, cité dans Barry, Le travail de la
femme au Québec, 51-52.
48 D’après l’hypothèse de Bernard Denault présentée par Micheline Dumont-Johnson dans
Les communautés religieuses et la condition féminine » dans Recherches sociogra-
«

phiques 19/1 (1978), 90.


49 Louis Rousseau, Mutations de la société québécoise et évolution de l’attention des
«

théologiens », communication présentée au Congrès de la Société canadienne de


théologie, 22-24 oct. 1976, 20.
50 Bernadette Gasslein,« Image de Marie, image de la femme », Le Supplément 127 (1978),
590.
51 Ibid., 589.
416

TABLEAU 2

Le thime de Marie dans la production thiologique quebecoise

Source: Louis Rousseau, « Mutations de la societe qu6b6coise et 6volution de 1’attention des


thiologiens », communication presentee au Congr6s de la Societe canadianne de
th6ologie, 22-24 oct. 1976, 20.
Nous avons voulu explorer si ce modele dualiste pouvait trouver des
assises dans la litt6rature pieuse et la litt6rature m6lodramatique
qu6b6coise, deux formes d’expressions litt6raires tres en vogue a cette
6poque (1945-60) ou le culte marial connait sa pleine explosion, sa mani-
festation la plus spectaculaire.
Deux oeuvres ont retenu notre attention, leur large diffusion au
Qu6bec en faisant des t6moins int6ressants pour la p6riode. Le livre du
Pore Paul-Henri Barabe, Marie Notre Mere,52 apparait 6tre un 6chantillon
significatif de la litt6rature pieuse. Celui de Benoit Tessier, Le drame
d’Aurore l’enfant martyre53 constitue certainement un échantillon re-
pr6sentatif de la litt6rature m6lodramatique.
Les deux locuteurs sont des hommes qui racontent des histoires de
femmes. Le P6re Barabe, ce p6re Oblat de Marie-Immaculee, a 6t6 un des
grands promoteurs du culte Marial au Quebec. 11 dirigeait, dans les ann6es
50, le sanctuaire de Notre-Dame du Cap, lieu de p6lerinage alors tr6s
populaire. Son livre collige une s6rie de conf6rences qu’il a donn6es sur la
Vierge.
52 Paul-Henri Barabé, Marie Notre Mère (Ottawa: Les Editions de l’Université, 1946).
53 Benoit Tessier, Le drame d’Aurore l’enfant martyre (Ottawa: Le Diffusion du livre,
1952).
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Les 6crits sur Marie se distinguent des autres 6crits par leur caract6re
po6tique. Tout en 6crivant a partir de themes qui rendent compte du
myst6re de Marie, le r6dacteur privil6gie la voie de 1’emotion, des senti-
ments plut6t que celle de la rationalite, pour communiquer son savoir sur
Marie: connaissance amoureuse ou le locuteur permet a son imaginaire de
s’6merveiller sur un objet qu’il est en train de fabriquer. Chaque 6nonc6
sert a d6montrer la diff6rence de Marie d’avec les autres femmes et 1’en-
semble du genre humain. Elle est la tout autre, la sans pareille. Sa force, sa
puret6, sa beaute la distinguent des autres femmes. Elle est dispensatrice
de vie, de lumiere. « La tres Sainte Vierge brille de puret6 dans son ime et
dans son corps, ses mains, ses levres, ses regards, ses gestes, sa sensibilite,
son coeur et son intelligence, tout cela, chez elle, baigne comme dans un
ocean de lumière »,54 nous dit le P6re Barab6.
A cette mere incomparable on veut opposer la mauvaise mere. Marie
concue sans p6ch6 a son antagoniste: Eve, celle par qui le mal est arrive sur
terre. Les modeles feminins se cristallisent dans deux poles contraires.
Cette cristallisation a eu pour effet d’obliger les femmes a choisir l’un ou
I’autre camp. Le recit du drame d’Aurore 1’enfant martyre a permis de
r6v6ler la mauvaise mere dans toute son horreur.
A Marie, la Mere de tous les vivants, s’oppose Melanie, la belle-m6re
d’Aurore qui n’a jamais donn6 la vie. Quand la Vierge a pour principale
fonction dêtre M6diatrice entre Dieu et les hommes, Melanie s’applique à
bousiller la relation d’Aurore avec son p6re. Marie projette l’image de la
« mere inlassable dans sa tendresse et sa
générosité »,55 Mélanie celle de la
femme 6galement inlassable mais dans son g6nie d’inventer de nouvelles
tortures pour 1’enfant. Alors que Marie est d6crite comme « un jardin aux
mille beaut6s »,56 celle qui a ramass6 « tous les plus beaux traits de
1’Homme-Dieu »,57 devant qui s’efface les « splendeurs de la terre et du
ciel »,s8 Melanie pr6sente un portrait repoussant, presque diabolique. Elle
est « autoritaire, cat6gorique »,59 avec un « sourire enjoleur qui montre ses
dents pointues comme des crocs »,60 elle a des « petits yeux noirs, infini-
ment cruels »,sl un app6tit animal, etc. Elle incarne a proprement parler le
mal.
Marie a donn6 la vie a un Dieu, Melanie met a mort une image de Dieu,
une enfant martyre. La Vierge a pris place au ciel, tandis que Melanie se
retrouve dans la g6henne des hommes, la prison.
Cette s6rie d’oppositions ne rend 6videmment pas compte de tout le
contenu des deux oeuvres mais elle indique comment, a un moment pr6cis
de 1’histoire, soit les ann6es 50, ont pu s’affirmer deux mod6les anti-
th6tiques de femmes: la creation de l’un suscitant la naissance de 1’autre.
Le mythe de la Vierge M6re secr6tant son antith6se, celui de la mauvaise
54 Barabé, Marie Notre Mère, 75.
55 Ibid., 208.
56 Ibid., 123.
57 Ibid., 125.
58 Ibid., 126.
59 Tessier, Le drame d’Aurore, 13.
60 Ibid., 19.
61 Ibid., 27.
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M6re, 1’Eve des premiers temps. Comme le souligne a juste titre Marie
Couillard, ces arch6types d6finissent la femme non en fonction d’elle-
«

meme, mais plut6t en fonction de I’homme dont elle entraine la chute ou


provoque 1’adoration ».62
La revolution tranquille au Qu6bec puis la mont6e du mouvement des
femmes ont fait naitre un nouvel age de 1’ecriture. Le mythe de la Vierge
M6re qui s’6tait jusqu’alors manifest6 dans des r6cits et des mod6les, se
voyait en quelque sorte contraint au silence. Les r6cits se sont mis a
raconter « autre chose ». A titre d’exemple, c’est « par et dans la trans-
gression m~me, (qu)’Anne H6bert rejoint dans les romans Kamouraska et
les Enfants du Sabbat une pens6e f6ministe qui, rejetant les arch6types et
les symboles traditionnellement assign6s a la Femme, se penche sur le
pouvoir magique du corps f6minin pour y d6couvrir ce principe d’une
spiritualite fond6e sur 1’experience feminine ».63
Les mod6les ont fait peau neuve. Le mouvement f6ministe a favorise
1’6clatement des mod6les traditionnels d’epouse et de mere et a lanc6 les
femmes dans une quete de mod6les plus conformes a leurs d6sirs et a leurs
aspirations. Le temps était aux innovations.
Cependant de nombreuses femmes enracin6es dans leurs roles tradi-
tionnels d’6pouse et de mere n’ont pas voulu ou n’ont pas pu suivre le
courant feministe. Les anciens r6cits qui avaient donn6 pendant un temps
assises et valorisation a leurs roles se sont tus. Un mythe s’est desagrege en
laissant derri6re lui des victimes.
Une piece de theatre et les remous qu’elle a cr66s ont servi a d6voiler
au grand jour le drame d’une soci6t6 en red6finition. Les fies ont soif~ a
donn6 la parole a des d6constructrices du mythe de la Vierge-M6re. L’in-
carnation du mythe, la statue, a revele elle-m6me comment s’etait fabrique,
au cours des Ages, son recit.

« On m’a donn6 un oiseau comme mari


On m’a d6rob6 mon fils de si6cle en si6cle
On lui a donn6 un pere c6libataire jaloux et étemel
On m’a taill6e dans le marbre et fait peser
de tout mon poids sur le serpent »
« Ils m’avaient inventee Vierge pour toucher
la part de Dieu qui leur revenait N,es

Ce contre-r6cit a profane le mythe, voulu le d6poss6der de sa puissance. 11


voulait rendre inop6rant le discours des Paul-Henri Barabe. Il retournait
contre elles-m~mes les litanies du culte marial. En se proclamant « la reine
du n6ant », « la porte sur le vide », « 1’Etoile des amers », « 1’obscurite de
l’ignorance »,ss la statue affirmait le non sens de 1’existence du mythe.
Le long et passionn6 d6bat qui a entour6 Les fées ont soif montre bien
que la piece n’a pas laisse la population dans l’indiff6rence. L’imposante
62 Marie Couillard, « La Femme et le sacré dans le roman contemporain », dans La Femme
et la religion au Canada-Français (Montréal: Bellarmin, 1979), 77.
63 Ibid., 82.
64 Denise Boucher, Les fées ont soif (Montréal: Ed. Intermède, 1978).
65 Ibid., 92 et 118.
66 Ibid., 91.
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bibliographie 67 des articles de joumaux parus a propos de cet 6v6nement


pourrait avantageusement concurrencer la liste des 6crits publi6s sur Marie
vingt-cinq ans plus t6t, soit en 1954.
3 Et finalement
Pour Julia Kristeva,
Le christianisme est sans doute la construction symbolique la plus raffinee dans laquelle la
féminité se riserve dans le Maternel
... 11 ne suffit pas de d6noncer » le r6le r6action-
....

naire des m6res au service du « pouvoir male dominateur ». Il (faut) voir en quoi ce rote
r6pond aux latences bio-symboliques de la matemité et, a partir de li, essayer de comprendre
comment, le mythe de la Vierge ne les subsumant pas ou plus, leur d6ferlement expose des
masse f6minines aux manipulations les plus redoutables.ee

En ce sens, ce serait sous-estimer la puissance du mythe de la Vierge


M6re que de croire que les manifestations autour de Lesfées ont soif ont pu
lui enlever tout pouvoir dans le r6el. Les femmes 6pouses et meres, on 1’a
vu recemment, tiennent a d6fendre leurs roles. Le mythe de la Vierge M6re
n’est pas mort. Il entre simplement en conflit avec de nouvelles valeurs.
Marie-Andrée Roy
67 Voir L’Affaire, «Les Fées ont soif»: Bibliographie », Bulletin de la Société de
«

Philosophie du Québec 5/2 (1979), 41-58.


68 Julia Kristeva, Hérétique de l’amour », Tel Quel 74 (1977), 30 et 47.
«

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