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1 | 2011 : Wittgenstein et le religieux

Les religions de Wittgenstein


La profession de foi du vicaire norvégien
Wittgenstein's Religions. The Creed of a Norwegian Priest
Philippe de Lara
Résumé | Plan | Texte | Bibliographie | Notes | Citation | Auteur

Résumés
Français English

Les préoccupations religieuses sont omniprésentes dans l’œuvre de Wittgenstein bien


qu’elles ne figurent pas au premier plan de ses recherches. La première partie met au
jour la diversité religieuse des vues de Wittgenstein sur la religion et souligne le rôle
crucial de l’expérience mystique de la guerre dans le développement de ces vues. La
seconde partie propose une interprétation du rapport « harmonique » entre le « point de
vue religieux » de Wittgenstein et sa philosophie du langage et de l’esprit, avec une
attention particulière à la relation entre les concepts de changement d’aspect
(Aspektwechsel) et de conversion (Bekehrung).

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Plan
Introduction
Les religions de Wittgenstein
« Un point de vue religieux »
Ramifications
Christianismes
Mystique
Religion naturelle et/ou christianisme : Wittgenstein et Rousseau
Sortir de l’ordinaire
Analogies
Harmoniques
Conversion, perfection, transcendance
Une omniprésence interstitielle
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Texte intégral
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Je suis heureux que vous ayez lu les vies de Mozart et de Beethoven. Ce sont les
véritables fils de Dieu (Lettre à Russell, 23 août 1912)
Il m’est parfois arrivé de chercher frénétiquement une clé, et de me dire : si un être
omniscient me regarde, il doit bien se moquer de moi. Quelle bonne blague pour Dieu
(the deity) de me voir chercher, alors qu’il a toujours su où était la clé. (Leçons sur la
liberté de la volonté, p. 91)

Comment avons-nous appris le mot « Dieu » (c’est-à-dire son usage) ? C’est ce dont je
ne peux donner aucune description grammaticale exhaustive. (Remarques mêlées, p. 82)

Drury, vous ne devez pas vous permettre de devenir trop familier avec les choses
sacrées. (rapporté par Drury, « Some Notes on Conversations with Wittgenstein »,
p. 94)

Introduction
1Je tenterai d’abord de donner une vue d’ensemble, Überblick sinon Übersicht, des
brins religieux de la tresse wittgensteinienne, afin d’aiguiser l’oreille du lecteur à ses
harmoniques religieuses. Je proposerai ensuite un argument sur la portée de ces
harmoniques pour la grammaire philosophique, la mesure dans laquelle, si je puis dire,
elles en modifient le timbre. Cet argument ne saurait prétendre embrasser toute la
« philosophie de la religion » de Wittgenstein.

 1 « ‘Penser’ est un concept très ramifié » [Wittgenstein, 2008, § 110]. Voir aussi
Remarques sur la p (...)

2Les guillemets introduisent une réserve à l’égard de l’idée d’une philosophie de la


religion de Wittgenstein. Réserve indispensable, mais qui ne devrait pas être trop
appuyée : il est ni plus ni moins exact prima facie, et ni plus ni moins trompeur, de
parler d’une philosophie de la religion de Wittgenstein que de lui attribuer une
philosophie des couleurs, des règles, du langage, de la certitude, des jeux, etc. La
philosophie est pour Wittgenstein un « parcours dans tous les sens », ouvrant plusieurs
perspectives à la fois (ce que j’appelle des arguments à têtes multiples). Les concepts
qu’il analyse (comme penser, comprendre, émotion, sensation, langage) sont
« ramifiés »1, et sa technique d’analyse, la grammaire, est étrangère à l’esprit
constructif d’une philosophie de x », où x désigne un objet déterminé et « philosophie »
une théorie (une sorte de science). Ce trait est bien connu. Or, une fois reconnu, il en
résulte qu’on ne peut pas, ou seulement dans une mesure très limitée, repérer et séparer
les thèmes de l’œuvre de Wittgenstein selon leur « objet », ni, a fortiori, distinguer entre
objets centraux (la signification, la compréhension) et objets périphériques (l’éthique,
l’esthétique, l’anthropologie, la religion). Ce principe de lecture commandait le premier
livre de Jacques Bouveresse consacré à Wittgenstein, La rime et la raison et je
m’efforce d’en poursuivre l’inspiration. Le « point de vue religieux » colore, on verra
comment dans la deuxième partie, bien des points de la grammaire des concepts
linguistiques et psychologiques. Ce n’est pas parce que Wittgenstein n’a pas de théorie
sur quelque chose que ce qu’il en dit n’a pas d’importance, et cette importance ne
consiste pas en une théorie de l’absence de théorie. Cette précision est nécessaire parce
qu’il arrive souvent que la caractère non théorique de la pensée de Wittgenstein soit
compris comme une sorte de théorie, négative pour ainsi dire, et que cette tentation est
particulièrement tentante dans le cas de la religion.
Les religions de Wittgenstein
« Un point de vue religieux »
3Des marques religieuses affleurent dans toute l’œuvre de Wittgenstein du Tractatus à
De la certitude (C), dans des contextes très variés (logique, éthique, anthropologique et
bien sûr religieux), mais de façon si ductile qu’il paraît impossible d’y reconnaître un
leitmotiv, tout au plus un caractère. Maurice Drury rapporte ce propos de Wittgenstein
au cours d’une conversation à la fin des années quarante : « Je ne suis pas un homme
religieux mais je ne peux m’empêcher de voir tous les problèmes d’un point de vue
religieux. » [Rhees, 1984, 79] Cette déclaration est énigmatique. Je ne suis pas sûr de la
comprendre entièrement et, pourtant, je ne peux m’empêcher d’y voir immédiatement la
clef des remarques et des attitudes religieuses ou relatives à la religion qui parsèment les
écrits de Wittgenstein, le Chœur qui « indique la loi secrète » reliant ces fragments
épars. Norman Malcolm a consacré son dernier livre à élucider cette phrase. Il est on le
verra un guide avisé [Malcom, 1993].

 2 Louis Dumont y avait reconnu la démarche même de l’anthropologie sociale


de Durkheim et Mauss. J’ai (...)
 3 Wittgenstein cède parfois à une Selbsthass typiquement viennoise, mais le plus
souvent de façon amb (...)
 4 La même saynète revient curieusement, dans un autre contexte, huit ans tard,
en 1947 (les leçons no (...)

4Les remarques relative à la religion sont éparses et difficiles à réunir en un ensemble


cohérent pour des raisons variées, mais la plus évidente (si évidente qu’on ne la voit
pas) est religieuse : je veux dire qu’elles suggèrent des attitudes religieuses très
variables : tout d’abord, le christianisme ou plutôt des versions du christianisme ; une
forme de déisme ensuite, de religion naturelle ; et, sans doute le plus fréquemment, ce
qu’on pourrait appeler une mystique profane. Il faut mentionner enfin son empathie
remarquable avec les religions primitives : lorsqu’il écrit « quelque chose en nous parle
en faveur du comportement de ces sauvages », il fait entendre le naturalisme de
« l’instinct rituel », trait anthropologique universel qui n’appartient à aucune religion en
particulier, mais aussi le point de vue de la description compréhensive d’une forme de
vie sociale étrangère. Autrement dit, dans ses Remarques sur Frazer, il combine un
universel simple (le comportement commun de l’humanité) et un universel de
comparaison (l’intelligibilité de la diversité humaine)2. Last but not least, si la judéité
de Wittgenstein s’exprime avant tout sur un terrain culturel dans ses écrits, en particulier
dans les Remarques mêlées [RM]3, le judaïsme proprement dit n’est pas complètement
absent de ses pensées, pour peu qu’on y tende l’oreille. Dieu, qui est omniscient, sait où
est la clé et sa créature qui a égaré cette clé en est agacée (voir la deuxième citation en
exergue). Ce mélange de révérence pour le Tout puissant et de familiarité avec lui n’est-
il pas typiquement juif ?4 Autrement dit, il n’est pas illégitime face aux écrits de
Wittgenstein touchant à la religion de se poser la question : de quelle religion s’agit-il ?,
ne serait-ce qu’à titre heuristique, et même si, parfois, la réponse sera : aucune en
particulier. Certes, sur la religion comme sur le reste, il y a un style constant de
Wittgenstein, fait d’un mélange de grammaire et de mysticisme, mais nous savons qu’il
faut prendre garde à ne pas simplifier et gauchir ce style pour en faire une doctrine à
tout faire (antiréalisme et anti essentialisme sont alors les meilleurs candidats),
autrement dit, à ne jamais céder sur « l’attention aux particuliers ».

Ramifications
5Les thèmes religieux fréquemment évoqués chez Wittgenstein sont la nature de la
croyance religieuse (conversion, justification, signification pratique, différence avec la
croyance scientifique) ; l’éthique (comme « sens absolu » ou, dans le langage du
Tractatus, le plus Haut), le mysticisme (« comme il est extraordinaire que le monde
existe ! », l’expérience de la « sécurité absolue ») ; le Jugement dernier et la dimension
religieuse du devoir ; la prédestination (« nul n’a le droit de citer ce terme, à moins qu’il
ne le prononce dans le tourment.— Car ce n’est tout simplement pas une théorie. »
[RM, 30, en 1931]) ; la distinction entre foi et sagesse (« La sagesse est sans passion. La
foi en revanche, Kierkegaard la nomme une passion. » [RM, 53, en 1946]) ; la « piété
naturelle », à savoir la capacité à inventer des rites et à comprendre et à partager les
comportements rituels (ceux qui entourent le deuil par exemple) et plus généralement
les institutions et les comportements humains même les plus curieux. Nombre de
thèmes de son travail prennent à certains moments un aspect religieux : la psychologie
de l’émotion, la liberté du vouloir, la critique des mythes à propos de l’intériorité, la
certitude. Je reviendrai dans la deuxième partie sur certaines de ces ramifications.

 5 Je renvoie sur ce point à mon livre déjà cité, au chapitre IV, « Emotions,
raisons causes », pages (...)

6Remarquable est l’absence complète du problème du mal, et l’effacement relatif de la


figure du Christ, malgré la familiarité de Wittgenstein avec la vie de Jésus. Le mal (et
même le diable) ne sont pas dans le monde mais seulement dans l’homme. On attribue
souvent un « fidéisme » à Wittgenstein, c’est-à-dire une conception émotionnelle de la
religion, opposant foi et raison. C’est plausible mais problématique, dans la mesure où
Wittgenstein n’accepte pas la dichotomie de la raison et des émotions5. Drury ajoute un
argument proprement religieux, directement inspiré par Wittgenstein, quand il écrit que
le défaut du fidéisme est de postuler un accès immédiat aux « choses sacrées » [Rhees,
1984, 94].

Christianismes
 6 Saint Augustin est l’un de ces rares auteurs qui n’ont pour ainsi dire pas quitté
Wittgenstein, ave (...)

7Les sources identifiables de ses réflexions religieuses sont Augustin bien sûr6,
Dostoïevski, Tolstoï (l’Abrégé des Evangiles), Kierkegaard (« de loin le penseur le plus
profond du siècle dernier. Kierkegaard était un saint. » [Drury, 87]), Samuel Johnson,
dont il admirait les Prayers and Meditations, le catholicisme dans lequel il a été élevé et
qu’il retrouvera pour ainsi dire auprès d’Anscombe et Geach, convertis de fraîche date
au moment où il les rencontre, Saint Paul, qu’il semble avoir lu de près (presque toutes
ses références verbatim à la Bible sont aux Epîtres de Paul). Il lit la Bible, en cite des
versets, mais il est difficile de mesurer l’étendue de sa fréquentation du Livre. Mais,
comme toujours chez Wittgenstein, les sources, philosophiques ou non, ne sont visibles
que par exception. Plusieurs sont mentionnées ici par le biais de la biographie, sans
qu’on puisse toujours en retracer l’empreinte dans l’œuvre. Par exemple, nous ne
connaissons l’importance de l’Abrégé de Tolstoï que par effraction pour ainsi dire, par
les Carnets secrets rédigés sur le front en 1914-1916 [Wittgenstein, 2001].

 7 Une expression que j’emprunte à Billeter [2010, 48].


 8 Marrou [2011]
 9 « Lectures on Freedom of the Will », dans Wittgenstein [1998, 43]. Le texte
est une paraphrase de É (...)

8Il est sensé de dire : dans les Leçons sur la croyance religieuse [LCR], Wittgenstein
admet et prend au sérieux le concept de Jugement dernier, mais rejette (ou ne parvient
pas à donner un sens à) celui de Créateur. Ce que je veux dire, c’est qu’il prend des
positions ou plutôt se meut à l’intérieur du christianisme et de son « insurmontable
pluralisme »7. Bien entendu, la pensée religieuse de Wittgenstein — cette formule est
une simple étiquette — est non théologique, délibérément pourrait-on dire. Il s’attache
constamment à désintellectualiser la croyance religieuse. Élise Marrou [2011] montre
ici la résonance philosophique de ce thème, au-delà de la religion et, a fortiori, d’une
théologie fidéiste8. Mais, encore une fois, cela n’empêche pas Wittgenstein de se
mouvoir délibérément dans un espace chrétien. L’Évangile tolstoïen l’a profondément
marqué, on peut le flairer à un certain usage du mot « Père », mais le Nouveau
Testament est également présent en personne. Les critiques qu’il adresse à Saint Paul
sur la prédestination et sur le concept d’Église peuvent être lues comme une discussion
interne. Dans les Leçons sur la liberté de la volonté il suggère, peut-être suivant une
lecture augustinienne, que la prédestination chez Saint Paul est compatible avec le libre
arbitre : « Saint Paul dit que Dieu a fait de vous un vase de colère ou un vase de
miséricorde et que, pourtant, vous êtes responsable. »9

 10 La nature des matériaux disponibles rend ces interprétations risquées. J’ai eu


parfois l’impression (...)

9On pourrait presque10 distinguer dans ces textes des échos variés : non seulement
catholique et protestant mais aussi, selon des distinctions plus fines, un protestantisme
tantôt libéral (celui de James) tantôt proche des sectes calvinistes anglaises ou du
méthodisme, ou encore de l’anglicanisme (Dr Johnson), tantôt le catholicisme romain,
tantôt enfin ce christianisme sans Église, profane pour ainsi dire. C’est celui de l’Abrégé
des Évangiles, lu chaque jour au front, mais qu’on retrouve aussi bien plus tard, comme
dans cette conversation avec Bouwsma en 1949, où il affirme être incapable de donner
un sens au dogme de l’Incarnation, mais évoque la figure du Christ comme « un maître
qui est d’une certaine manière plus haut que ses disciples et que ceux qui souffrent, et
qui souffre avec eux », et qui parviendrait alors à transcender l’ineffabilité de l’éthique,
c’est-à-dire à dire à indiquer à autrui ce qu’il doit faire sans que ce soit une supercherie
[Bouwsma, 1986, 46].

10Ailleurs, Wittgenstein proteste contre la fondation de l’Église par Saint Paul comme
déviation du christianisme originel, en raison de son universalisme agressif et de
l’institution de la hiérarchie ecclésiale, mais il y a aussi chez lui une méfiance à l’égard
de l’orgueil de la relation directe et solitaire (ou en petites congrégations) avec Dieu
dans le protestantisme, et une certaine admiration pour l’Église romaine comme
réalisation d’un ordre social, d’une forme de vie qui fournit les gonds de l’autorité
nécessaires à la vie humaine. Sans doute est-ce de Kierkegaard qu’il est le plus proche,
pour son anti intellectualisme mais aussi son mélange d’inquiétude et de quiétisme,
assez éloignée du fidéisme (la foi selon Kierkegaard [2003, 74] est « une immédiateté
après la réflexion », c’est « le plus haut paradoxe de la pensée que de vouloir découvrir
quelque chose qu'elle ne peut pas penser ») comme de la ferveur organisée des
congrégations puritaines.

 11 Cette alternative est la conception de Ryle, que Wittgenstein critique dans les
Recherches philosop (...)
 12 RM, p. 64 (p. 73 dans la nouvelle édition, ma traduction). Granel traduit : « Il
me semble qu’une f (...)
 13 « The Gospel according to Wittgenstein » dans Arrington [2001]. Hyman
conclut son article avec un h (...)

11Wittgenstein discute à plusieurs reprises l’idée que la foi est un régime de croyance
différent de celui de la croyance ordinaire, mais il ne s’arrête pas sur une interprétation
de cette différence, et en particulier pas sur l’interprétation expressiviste ou symbolique,
suivant laquelle la foi n’est pas vraiment une croyance (qu’on pourrait exprimer sous la
forme « A croit que p »), mais l’expression d’un sentiment ou le symbole d’une
« attitude » morale. Le sens de la croyance n’est alors rien d’autre que le rôle qu’elle
joue dans la vie du croyant. Par exemple : qu’une personne « croie » au Jugement
dernier se ramène au « fait que tout dans sa vie obéit à la règle de cette croyance »
[LCR, 107]. Selon Roger Pouivet [2006, 369], « Wittgenstein identifie ainsi avoir des
croyances religieuses et utiliser certains concepts (dire certaines choses) et avoir les
attitudes et les émotions relatives à cet usage. » Cette interprétation est plausible prima
facie, mais elle repose sur une alternative en vertu de laquelle croire serait soit assentir à
une proposition soit une simple attitude. Or Wittgenstein s’attache à montrer que nous
ne sommes pas plus réduits à cette alternative qu’à celle du béhaviorisme logique et du
mentalisme (ou bien les états mentaux sont des dispositions à agir, ou bien ce sont des
occurrences mentales privées11). Il est difficile d’attribuer à Wittgenstein la thèse que la
foi est une « disposition » et non une croyance propositionnelle (une opinion), dans la
mesure où il rejette le concept de disposition pour sa simplicité trompeuse. Les concepts
d’attitude (Einstellung) et de changement d’attitude sont chez lui trop plastiques et trop
riches de contenu intentionnel pour être ramenées à celui de disposition. Dans le
passage cité, Wittgenstein dit seulement que le régime de la croyance religieuse est
différent de celui des « croyances ordinaires de la vie quotidienne » [LCR, p. 110], que
les modalités de révision des croyances, le statut du différend, du doute et des preuves
ne sont pas les mêmes. S’il est choqué des termes dans lesquels le cardinal Newman
formule sa croyance aux miracles, c’est parce qu’il le tient pour un esprit supérieur et
parce qu’il prend au sérieux le caractère assertif de ce à quoi les catholiques assentent
[Bouwsma, 34-5]. D’autres passages semblent accréditer l’interprétation de Roger
Pouivet, par exemple celui-ci : « Il me semble qu’une croyance religieuse pourrait n’être
qu’un (une sorte d’) engagement passionné en faveur d’un système de référence/ de
coordonnées. »12. John Hyman, d’accord sur ce point avec Pouivet, commente ce
passage ainsi : « pour Wittgenstein avoir des croyances religieuses se ramène à
l’utilisation de concepts religieux et aux attitudes et aux émotions que cette utilisation
implique ». Il juge que cet engagement passionné « n’est sans doute pas la même chose
que la foi religieuse, en tout cas pas la foi chrétienne, mais un descendant de ce qu’on
appelait autrefois la foi chrétienne »13. Mais la suite du texte de Wittgenstein me
semble échapper à cette dichotomie entre engagement passionné et croyance assertée
(susceptible de justification et de vérité/fausseté) : « bien que ce soit une croyance, c’est
cependant une manière de vivre, ou une façon de juger la vie. L’adoption passionnée de
cette conception. » Wittgenstein cherche à penser la combinaison entre attitude
(engagement passionné) et croyance et non à en faire une alternative, ce qui irait à
l’opposé de son analyse des émotions et qui plus est une piètre théologie. Lorsqu’il
affirme que la foi dans la résurrection du Christ (ou dans le Jugement dernier) n’a pas
lieu d’être prouvée, son argument n’est pas que les preuves ne sont pas pertinentes parce
qu’il ne s’agit pas de croyances, mais parce que ces croyances ont ceci de particulier
qu’elles disparaîtraient si elles étaient suspendues à des preuves historiques.

Mystique
 14 La formule est de Gauchet [2010, 41].
 15 Cité par Gauchet [2010, 33-34]. Hertz mourra au front en avril 1915, à 33
ans.
 16 Gentile [2011]. Voir également D. de Courcelles et G. Waterlot [2010], en
particulier les contribut (...)
 17 Wittgenstein avait reçu enfant une instruction religieuse catholique par un
prêtre qui devint évêqu (...)
 18 Cité par Monk [1993, 61]. La lettre à Russell sur Mozart et Beethoven citée
en exergue est de la mê (...)

12La lecture conjointe des Carnets secrets et du Tractatus montre le lien étroit entre la
pensée du Mystique dans le livre et l’expérience de la guerre. Or en dépit de l’originalité
évidemment exceptionnelle de Wittgenstein, il n’est rien de plus commun que cette
expérience mystique de la guerre dans la période gestation et d’écriture du Tractatus. Le
fait est abondamment documenté par l’historiographie de la Grande guerre. Tous les
soldats ne lisaient pas Tolstoï, mais innombrables furent ceux qui vécurent l’épreuve du
feu comme une « expérience mystique profane »14. On citera parmi mille autres sources
Teilhard de Chardin, Ernst Jünger, Robert Hertz, le collaborateur de Durkheim et de
Mauss, qui écrit à sa femme en 1914: « Je n’aurais jamais imaginé à quel point la
guerre, même cette guerre moderne tout industrielle et savante, est pleine de
religion »15. Le livre d’Emilio Gentile, l’Apocalypse de la modernité16, dresse un
tableau européen du phénomène, couvrant la production artistique, la pensée politique,
et les témoignages. Il montre que la Guerre fut une révélation (une apocalypse) mais
que cette révélation était attendue : son enquête dégage l’omniprésence dans la culture
européenne autour de 1900 d’un malaise de la modernité, d’une attente apocalyptique,
de prophéties de la fin de la civilisation et de sa régénération dans la souffrance.
Gauchet et Gentile montrent, par des voies différentes, que ce moment de crise a fait
muter la conscience historique du progrès en attente eschatologique, une attente que
l’expérience extrême des tueries et de la mobilisation totale va combler en quelque sorte
naturellement. Les avant-gardes artistiques ne sont pas les dernières à sentir et à nourrir
cette mystique profane. « Tous les mouvements d’avant-garde aspiraient à être
religieux » écrit Gentile, qui note à propos du peintre expressionniste Franz Marc (ami
de Kandinsky, mort au front en 1916) qu’il sentait dès 1912 « qu’une religion inconnue
et nouvelle, une religion sans prophètes était en train de prendre forme. » Le même
Marc estime en 1914 que « cet horrible bain de sang » est aussi « un profond sacrifice
collectif » [Gentile, 2008, 252 et 280]. Le Wittgenstein des Carnets secrets est de ce
point de vue un représentant typique de cette mystique profane, et tout ce qu’il écrit sur
le Mystique dans le Tractatus devrait être lu aussi à la lumière de ce contexte collectif,
d’autant que les artistes autrichiens dont il connaissait sans doute l’œuvre ne sont pas en
reste dans ce mouvement apocalyptique. Wittgenstein est également dans la norme, si je
puis dire, en ce que la mystique de guerre fut chez lui comme anticipée, attendue. Au
cours de l’été 1912, Wittgenstein, auparavant « impitoyable » avec les chrétiens17,
surprit beaucoup Russell en déclarant son admiration pour la parole du Christ : « Que
sert à l’homme de gagner l’univers s’il perd son âme ? » [Matthieu, 16, 26]. Russell
écrit à Lady Ottoline : « Wittgenstein poursuivit en disant que ceux qui ne perdaient pas
leur âme étaient très rares. Je lui ai répondu que pour cela il fallait avoir un grand
dessein et y demeurer fidèle. Il m’a répondu qu’il pensait que cela dépendait davantage
de la souffrance et de la capacité à supporter la souffrance. Je fus surpris — je ne
m’attendais pas à cela de sa part. »18. Un discours qui paraît sortir de l’expérience du
front.

13J’aimerais souligner enfin que la mystique de guerre (comme son anticipation) est
une expérience décatégorisée par rapport à la religion et aux religions : elle s’exprime
pour ainsi dire indifféremment dans un langage chrétien fervent, selon une religiosité
diffuse, ou dans une immanence explicite, notamment par la sacralisation de la nation,
ou l’esthétisation de la violence et du machinisme. Du fait de sa puissance, attestée par
les Carnets secrets, et de sa résonance philosophique, attestée par l’élément mystique
dans le Tractatus (ce qui ne peut pas se dire mais seulement se montrer, l’ineffabilité de
l’éthique), la mystique de guerre pourrait bien être chez Wittgenstein la strate
fondamentale de son « point de vue religieux », à partir de laquelle s’explique le
caractère à la fois diffus, instable et insistant de ses réflexions et attitudes religieuses.

Religion naturelle et/ou christianisme : Wittgenstein et


Rousseau
14La déclaration de Wittgenstein à Drury sur son « point de vue religieux » est
remarquable car, en dépit de son mystère, elle évoque immédiatement la personnalité de
Wittgenstein, la couleur de ses pensées. Elle indique aussi deux autres choses : a) elle
introduit une distinction entre religion (homme religieux) et « point de vue religieux »,
interdisant par là de réduire celui-ci à celle-là ; b) l’élément religieux du point de vue de
Wittgenstein sur « tous les problèmes » n’est pas seulement un trait personnel mais une
indication sur une dimension « religieuse » sous jacente à ses pensées philosophiques.
La déclaration porte, pourrait-on dire, sur l’auteur des Recherches philosophiques ou
des Remarques sur les fondements des mathématiques (RFM) et non pas seulement sur
celui des Carnets secrets ou des Remarques mêlées.

 19 Voir Pouivet [2006].

15Sur le premier point, la déclaration de Wittgenstein nous avertit de ne pas prendre son
« point de vue religieux » pour un ersatz de religion, religion naturelle ou christianisme
vague. Bien que nombre de ses formules accréditent ce genre d’interprétation et fassent
les délices des théologies post-modernes qui mettent le croyant au centre19 (on ne parle
plus de Dieu mais de « recherche » ou de « rencontre »), il est probable qu’il n’aurait eu
guère de sympathie pour ces théologies « antiréalistes » et pour la récupération de la
technique grammaticale à laquelle certains religieux se livrent de nos jours, pour alléger
le fardeau de la transcendance. Wittgenstein n’est pas « un homme religieux », ce qui
veut dire que son « point de vue religieux » n’est pas une appartenance religieuse, qu’il
maintient une différence importante entre les deux concepts.
16L’expérience formatrice de la mystique de la guerre peut expliquer qu’il n’y ait pas
chez Wittgenstein d’alternative tranchée entre le christianisme et la religion naturelle,
alors que le triangle religion révélée, religion naturelle, athéisme structure en général la
philosophie de la religion. La Profession de foi du Vicaire savoyard de Rousseau
permet de saisir la différence entre une religion naturelle nettement (et logiquement)
anti-chrétienne — et pas seulement anticatholique : il ne faut pas voir Rousseau plus
protestant qu’il n’est —, et l’attitude ambivalente de Wittgenstein. Chez Rousseau en
effet, l’exigence d’immédiateté dans la relation à Dieu n’est pas réformée, elle est
antichrétienne, elle condamne la complication inhérente au christianisme — contraire à
son but, une question qui tourmentera Kierkegaard —, les mystères de la foi, la double
nature du Christ, et pas seulement l’autorité de l’Église. Wittgenstein en revanche
évoque une religion naturelle imprégnée de christianisme, en tout cas de biblisme. Les
deux auteurs sont pourtant proches sur beaucoup de points, et la comparaison entre eux
a un sens, malgré le décalage des situations et du statut des textes : tous deux oscillent
entre christianisme et religion naturelle et promeuvent une religion du cœur suivant des
lignes semblables. Toutefois la religion de Wittgenstein est ultimement plus compatible
avec le christianisme que celle de Rousseau.

 20 Cet homme n’est pas la créature déchue mais l’homme dans l’histoire,
perfectible pour le meilleur e (...)
 21 Rousseau écrit (dans la bouche du vicaire) : « je soutiens qu’il n’y a pas de
révélation contre laq (...)

17Examinons ces lignes semblables chez Wittgenstein et Rousseau dans la Profession


de foi : un discours religieux qui ignore le problème du mal, c’est-à-dire de la
signification et de la justification du Mal dans la Création (« Homme, ne cherche plus
l’auteur du mal ; cet auteur c’est toi-même. » [Rousseau, 1996, 76]20) ; une attitude de
« doute respectueux » à l’égard de la révélation21, joint à une révérence pour le récit
évangélique, mais pour sa teneur morale et abstraction faite de son historicité : « il me
faut des raisons pour soumettre ma raison (…) Le témoignage des hommes n’est donc
au fond que celui de ma raison même, et n’ajoute rien aux moyens naturels que Dieu
m’a donné de connaître la vérité » [Rousseau, 1996, 101], à savoir la voix de la
conscience ou « instinct divin » : « ne m’a-t-il pas donné la conscience pour aimer le
bien, la raison pour le connaître, la liberté pour le choisir ? » [Rousseau, 1996, 95]. Un
discours subtil enfin sur le rapport du sentiment et de la raison (« À certains égards les
idées sont des sentiments et les sentiments sont des idées » [Rousseau, 1996, 89]), la
complémentarité entre la raison et nos « sentiments naturels », mais sous la dominance
de ceux-ci (« Pénétré de mon insuffisance, je ne raisonnerai jamais sur la nature de Dieu
que je n’y sois forcé par le sentiment de ses rapports avec moi » [Rousseau, 1996, 69]),
d’où une récusation de la théologie (de la connaissance de Dieu) et une réticence, sinon
une hostilité à la complication intellectuelle du christianisme : le Christ peut nous
sauver par son exemple, « cette morale si élevée et pure dont lui seul a donné les leçons
et l’exemple » [Rousseau, 1996, 119], mais certainement pas en vertu de sa double
nature, de la combinaison unique d’historicité et de transcendance, ouverte à un
interminable conflit d’interprétation, à une subtilité théologique incompatible pour
Rousseau avec l’idée même de religion : « Des subtilités dans le christianisme ! Mais
Jésus-Christ a donc eu tort de promettre le royaume des cieux aux simples ; il a donc eu
tort de commencer le plus beau de ses discours [le Sermon sur la montagne] par féliciter
les pauvres d’esprit, s’il faut tant d’esprit pour entendre sa doctrine et pour apprendre à
croire en lui. » [Rousseau, 1996, 104] Le Christ de Rousseau est un Christ sans
christianisme. Malgré les prudences et les accents changeant du vicaire, sa religion
naturelle est un antichristianisme. La politique de Rousseau confirme la radicalité de
cette opposition : la religion civile s’accorde avec la religion naturelle, mais pas avec le
christianisme. Ce n’est que par un argument politique, le respect des religions établies
au sens de la religion héritée par chacun, que les Églises chrétiennes peuvent retrouver
droit de cité.

18Dans ce que j’ai appelé les religions de Wittgenstein en revanche, le lien avec le
christianisme est tendu mais jamais rompu.

Sortir de l’ordinaire
Analogies
 22 « Das Schwere ist hier, nicht bis auf den Grund zu graben, sondern den
Grund, der vor uns liegt, al (...)

19Le bref essai de Malcolm, Wittgenstein : A Religious Point of View ? soutient


l’importance philosophique des réflexions de Wittgenstein sur la religion. Le point de
contact entre la religion et la philosophie est le problème des limites de la raison. Nous
devons être capables de ne pas continuer à creuser quand nous avons atteint le roc, la
tâche de la philosophie est descriptive et non explicative. « Il y a un moment où il faut
passer de l’explication à la simple description. » [C, § 189] ; « La philosophie se
contente de placer toute chose devant nous, sans rien expliquer ni déduire » [Recherches
§126] ; « Notre maladie est de vouloir expliquer. » [RFM VI § 31] Juste avant,
Wittgenstein écrit ceci : « La chose difficile ici n’est pas de creuser jusqu’au fond, c’est
de reconnaître que le fond que nous avons sous les yeux est le fond. Car le fond nous
fait toujours miroiter une profondeur supplémentaire et, lorsque nous cherchons à
l’atteindre, nous nous retrouvons toujours au niveau d’avant »22.

 23 « Bemerkungen über Frazers Golden Bough », dans Wittgenstein [1993,


120]. Je donne la traduction de (...)
 24 J’ai proposé un premier tableau des sens de la clarification chez Wittgenstein
dans Lara [2005, 151 (...)

20Cette attitude philosophique a plus d’une ramification : la critique du scientisme ;


l’insistance sur le caractère fini de la chaîne des raisons qui « doit s’arrêter quelque
part » ; l’exigence de description des multiples usages du langage afin de nous libérer de
la « soif de généralité » en vertu de laquelle l’usage du langage devrait se ramener à une
chose (communiquer ou désigner) ; la primauté et l’antériorité dans certains cas
fondamentaux de la certitude et de l’action par rapport à leur justification ; la
reconnaissance du caractère donné de la vie sociale. Il écrit dans ses Remarques sur
Frazer : « Je crois [contre Frazer] que l’entreprise d’une explication est condamnée
d’avance, car il suffit d’assembler correctement ce que l’on sait, sans rien y ajouter : la
satisfaction que l’on rechercherait dans une explication se livre d’elle-même »23. La
clarification (ou vue synoptique, ou description clarifiante) que Wittgenstein oppose à
l’explication est tantôt une activité conceptuelle (la grammaire), tantôt une activité
empirique (décrire la « vie humaine »), tantôt enfin une attitude morale, la « piété
naturelle » : capacité à reconnaître et à comprendre l’humanité dans l’homme même
quand on ne peut pas l’expliquer : « en nous aussi quelque chose parle en faveur de ces
pratiques de sauvages. » [130] (il s’agit de rites dictés par la peur du fantôme des
victimes). Wittgenstein donne comme exemples le geste rituel du frère de Schubert qui,
à la mort du compositeur, découpa des partitions en petits morceaux et les donna à ses
élèves préférés et la capacité à dire à un ami en détresse (« celui que l’amour
tourmente ») le « mot qui sauve ». Dans les deux cas, la signification du geste, son
efficacité consolatrice, ne doivent rien à une justification rationnelle, à une explication
d’aucune sorte24. « Wittgenstein considérait le manque de piété naturelle comme un
manque de connaissance de soi et, par conséquent comme un défaut moral » [Sachs,
1998, 147-150]. David Sachs souligne ici le lien entre la piété naturelle et le motif de la
connaissance de soi chez Wittgenstein, qui ajoute à sa philosophie une autre dimension,
éthique ou de sagesse pratique, voire mystique.

 25 « Wittgenstein and Reason », dans Klagge [2001, 195-220 (ici, 195-196)].

21La connivence du primat de la description avec l’insistance sur les limites de la raison
a de quoi embarrasser. H.-J. Glock classe les interprétations de Wittgenstein en
rationalistes et irrationalistes, selon qu’elles privilégient la « transformation
linguistique » du criticisme kantien (comme chez Hacker) ou qu’elles accordent plus de
poids à l’élément mystique et valorisent la vocation thérapeutique de la philosophie
(comme chez Baker)25. Classification commode mais approximative car, sauf du point
de vue d’un scientisme grossier, la notion de « raison » est systématiquement ambiguë,
en tant qu’elle suscite inévitablement la considération de son autre. Wittgenstein, plus
que tout autre, s’est employé à dissoudre cette alternative en définissant la raison par
ses limites.

22Malcolm ne figure pas dans la classification de Glock et il ne s’y rangerait pas


aisément. On pourrait dire que, pour lui, le centre de gravité de la pensée de
Wittgenstein est l’idée que nos concepts reposent ultimement sur des comportements
prélinguistiques qui ne sont ni rationnels ni irrationnels (« au-delà du justifié et du non
justifié », [C, § 359]). Ainsi quand Wittgenstein parle des « preuves » que la terre
existait longtemps avant ma naissance : « Mais la fondation, la justification de ces
preuves doit s’arrêter à un certain point, et ce point ce n’est pas que certaines
propositions nous apparaissent comme vraies immédiatement, autrement dit ce n’est une
manière pour nous de voir, mais c’est notre agir qui est la base du jeu de langage » [C,
§ 204]. Dans son dernier livre, Malcolm suggère que les principales vues de la
grammaires philosophique peuvent être associées à des « analogies religieuses » : les
limites de l’explication se comprennent par analogie avec le concept de « volonté de
Dieu » et le rôle qu’il joue dans le discours religieux ; le programme de description du
donné est analogue à l’idée religieuse (ou mystique) du miracle de l’existence du
monde ; l’idée que « l’action est au fondement de notre jeu de langage », qu’il ne peut
être fondé rationnellement est analogue à l’impossibilité — et selon Wittgenstein
l’inanité — de prouver l’existence de Dieu.

Harmoniques
 26 Wittgenstein [1993, 128] commente ainsi sa proposition : « on pourrait dire
que l’homme est un anim (...)
 27 Un son musical se compose d’une note fondamentale et d’harmoniques, notes
plus élevées dont les fré (...)
23Cette lecture est certes discutable, elle fige et l’interprétation de la philosophie de
Wittgenstein et son interprétation du christianisme. On pourrait dire que l’idée
d’analogie est « en partie fausse, en partie absurde, mais [qu’] il y a également quelque
chose de correct là-dedans »26. Je parlerai plutôt des harmoniques religieuses de la
grammaire philosophique27. Nombre de remarques grammaticales suggèrent de façon
plus ou moins explicites des résonances éthiques, anthropologiques ou mystiques, et ce
serait ce que Wittgenstein signale lorsqu’il parle de son « point de vue religieux » sur
tous les problèmes philosophiques. L’analyse grammaticale n’est pas une simple
thérapie des maladies de notre langage, le travail de clarification conceptuelle est aussi
un travail sur nous-même, comparable aux exercices spirituels, plus familiers des
disciplines de sagesse et des traditions mystiques que de la philosophie. Enfin, ce travail
n’est pas réductible à une clarification quiétiste, il vise un perfectionnement de soi et
une exigence éthique, suggérant une forme de transcendance.

24Je ne peux dans cet article examiner toutes ces harmoniques. Je me concentrerai sur
un thème où le parcours du grammatical au religieux me paraît particulièrement bien
balisé, celui de la conversion.

25Wittgenstein s’est intéressé à des changements de l’esprit de toutes sortes, dont le


point commun est qu’ils ne sont pas justifiés ou, du moins, qu’on ne peut pas les
expliquer par un processus rationnel de justification ou de révision. Il emploie alors
parfois le mot « conversion » (Bekehrung), qui marque la soudaineté du changement, le
fait qu’il s’agit d’une action non justifiée ou transcendant les justifications qui
pourraient être fournies. La forme élémentaire, rudimentaire de la conversion est le
changement d’aspect (Aspektwechsel) : les modifications du « voir comme » peuvent
être en partie provoquées par la concentration ou, au contraire l’attention flottante, mais
nullement par une démarche rationnelle (justifiée). Voir le dessin comme un lapin, puis
comme un canard, passer de l’un à l’autre sont des expériences de conversion du regard
en ce sens. Or nombre d’actes mentaux sont de cette sorte. Même l’accord avec une
démonstration, y compris mathématique, a un caractère de conversion ou de conversion
virtuelle, au sens où il incoropore toujours un élément de certitude indémontrée, ni
rationnelle ni irrationnelle dit Wittgenstein, une confiance d’arrière plan, qui peut on
non être le cas. « Un homme qui présumerait que tous nos calculs sont incertains et que
nous ne pouvons nous fier à aucun d’entre eux (il le justifierait en disant qu’il y a
partout possibilité d’erreurs), nous le donnerions peut-être pour fou. Mais pouvons nous
dire qu’il se trompe ? N’est-ce pas plus simplement qu’il réagit différemment ? Nous
nous fions au calcul, pas lui. Nous sommes sûrs, pas lui » [C, § 217]. Malcolm [1993,
91] commente ainsi ce passage : « même dans une activité rationnelle comme le calcul,
il entre une action qui n’est ni rationnelle ni irrationnelle — à savoir l’action de
considérer que le calcul est suffisamment vérifié. »

26L’analyse de la certitude comme régime de savoir distinct de l’a priori logico-


grammatical et de la proposition empirique ne s’en tient pas au registre cognitif.
L’existence de cette catégorie de croyances implique qu’il y aurait une faute morale à
chercher de force à les fonder rationnellement. La certitude peut être modifiée
(conversion) mais le changement de ce qui n’est ni rationnel ni irrationnel ne saurait être
justifié par des raisons sans supercherie. Une parole prononcée au bon moment peut
être « le mot qui sauve » et provoquer une conversion libératrice, mais le fondement de
cet efficace n’est pas et ne doit pas se faire passer pour un raisonnement. Lorsque le
changement est l’adoption d’un conseil de sagesse ou une transformation morale
bénéfique, il y a lieu de parler d’agir inspiré. Le propre de la certitude, c’est-à-dire des
croyances qui sont les gonds de notre pensée, qui permettent à la porte du doute et du
jugement de tourner, c’est que changer les gonds ne peut être une révision locale, cela
implique un bouleversement global de nos croyances. C’est pourquoi ces gonds sont le
plus souvent intangibles. Lorsqu’il y a conversion, la personne concernée est « amenée
à considérer le monde d’une autre façon ». L’exemple à propos duquel survient cette
formule [C, § 92] est fort intéressant par sa dimension politico-religieuse. Wittgenstein
imagine une tribu dont le roi « est élevé dans la croyance que le monde a commencé
avec lui ». Une croyance de cette sorte est solidaire non pas d’une physique, mais d’un
ordre sociocosmique dans lequel l’autorité politique est inséparable d’un mythe
d’origine. L’exemple ajoute donc une nouvelle dimension au fait que la croyance que la
terre existait longtemps avant ma (sa) naissance ne peut pas être fondée. L’argument
que Wittgenstein développe à ce propos est qu’il est impossible de la mettre en doute
(en vue de la démontrer) sans détruire en même temps une foule d’autres croyances sans
lesquelles nous ne serions plus sûrs de rien et par conséquent dans l’incapacité de
raisonner (« Le système n’est pas tant le point de départ des arguments que leur milieu
vital » [C, § 105]). Dans l’exemple du § 92, les gonds ne sont pas formés du stock de
certitude dont sont dotés peu ou prou tous les individus mais du fondement politico-
religieux d’une société. Il est possible que Moore puisse convaincre le roi que sa
croyance est erronée et que la croyance juste est celle de Moore (de l’homme moderne
ordinaire), mais cette discussion ne serait pas une argumentation : « je ne dis pas que
Moore ne pourrait pas convertir le roi à ses vues, mais ce serait une conversion d’un
genre particulier : le roi serait amené à considérer le monde d’une autre façon. »

27Le schème de la conversion parcourt ainsi des amplifications successives, du


changement d’aspect au changement de vision du monde, en passant par l’effet
libérateur du mot juste et les conditions antéprédicatives de l’accord avec une
démonstration. Wittgenstein distingue la conviction qui se forme alors d’un processus
rationnel et la rapproche de phénomènes comme une décision [C, § 362], une réaction
naturelle ou instinctive (« quelque chose d’animal », § 359), une action [§ 217, voir
supra] mais aussi une révélation : « Mais je pourrais dire aussi : il m’a été révélé par
Dieu qu’il en est ainsi. Dieu m’a appris que ceci est mon pied. Et s’il devait arriver
quelque chose qui semble contredire cette connaissance, c’est nécessairement cela et
non cette connaissance que je considérerais comme une illusion. » [§ 361].

Conversion, perfection, transcendance


28A rebours d’une idée trop rapidement admise, la grammaire philosophique n’a pas
affaire qu’à l’usage ordinaire mais aussi à la faculté de notre imagination de créer de
nouveaux usages. Lorsque nous créons ou comprenons de tels usages, nous effectuons
une sorte de conversion de l’esprit. Nous sortons de l’ordinaire dans un but de création
esthétique ou d’amélioration morale, d’enrichissement de nous-mêmes et d’autrui. Ce
phénomène concerne la grammaire tout autant que l’usage et Wittgenstein y était
également attentif, en particulier dans ses remarques sur la musique (Jouer/entendre un
morceau « comme une valse » pour le comprendre mieux, en donner une exécution
accomplie). La conversion se rapproche alors d’une révélation : ici également les
harmoniques mystiques et religieuses se laissent entendre.

29Il en va de même d’autres harmoniques, que j’évoquerai brièvement :


30Le « problème cardinal de la philosophie » dans le Tractatus, la distinction
dire/montrer, a pour note fondamentale un argument logico-sémantique, mais il fait
résonner des harmoniques éthiques et mystiques sur l’extériorité de la valeur et du divin
par rapport aux faits (6.432 « Dieu ne se montre pas dans le monde »).

31Le « second » Wittgenstein n’a-t-il pas conservé ce mode d’amplification quand il a


développé sa nouvelle manière :

32-l’argument de l’impossibilité du langage privé, la critique des mythe relatifs à


l’intériorité et les remarques ultimes sur l’intérieur et l’extérieur amorcent en creux une
méditation sur l’extériorité à soi caractéristique de l’humain.

 28 Je dois à Jean François Billeter le concept de régimes de l’activité, et bien


plus que cela.

33-l’analyse de l’intention dans l’action et la critique des volitions (de la volonté


comme occurrence mentale) ne sont pas cantonnées à l’analyse de la structure
élémentaire de l’action, elle suggère un « régime supérieur » de l’action où l’agent se
situe au-delà de la séparation de l’intention et de l’action, de la fin et des moyens, tel
l’archer qui se prejette à la fois dans la flèche et dans la cible, le musicien qui joue
automatiquement une partition et, en même temps, la pense comme s’il en était le
créateur28. Cette quête de l’action inspirée n’est pas au premier plan de l’analyse de
l’action chez Wittgenstein, mais elle en fait partie : l’effort pour nous libérer de
« l’image qui nous tient captif », la « lutte contre l’ensorcellement de notre entendement
par les ressources de notre langage » [2004, § 109] ne sont pas le motif philosophique
répétitif d’une philosophie linguistique, c’est le foyer d’un travail sur soi. Ils ne
s’adressent pas au seul philosophe et suggèrent aussi une sagesse pratique, un
perfectionnement de soi, dont les expériences de pensée de Wittgenstein sont les
exercices spirituels.

34Cet Aspektwechsel perfectionniste de l’entreprise « descriptive » de Wittgenstein doit


beaucoup aux études de Jean François Billeter sur Tchouang Tseu et aux affinités qu’il
met en évidence entre Wittgenstein et Tchouang Tseu, lui aussi philosophe de l’action et
du langage, et maître de l’écriture dialogique. Ces affinités sont multiples (y compris sur
l’analyse des conseils efficaces que le sage adresse au Prince comme conversion),
j’aimerais retenir la notion de régime d’activité, car c’est le point où la philosophie
descriptive se rebrousse en perfectionnement de soi. S’arrêter à la description comme le
recommande Wittgenstein, c’est « savoir suspendre nos activités habituelles pour
examiner avec attention ce que nous avons sous les yeux ou ce qui se trouve en-deçà,
plus près de nous » puis « décrire de façon précise ce que nous observons, en prenant le
temps de chercher les mots justes, en résistant aux entraînements du discours [Billeter,
2010, 14-15]. Cette formulation remarquable décrit fidèlement la grammaire
philosophique, mais dans le langage des exercices spirituels du sage chinois. Elle
prépare une analyse de l’action qui met au premier plan la variété et la hiérarchie de ses
« régimes », les degrés de l’apprentissage des activités, le passage du geste besogneux à
l’action intégrée au « fonctionnement des choses », tel le cuisinier Ting qui ne découpe
pas seulement le bœuf avec précision, mais avec virtuosité, sans effort : il avait d’abord
appris à « voir les parties du bœuf » qu’il s’agissait de séparer mais aujourd’hui, dit-il,
« je le trouve par l’esprit sans plus le voir de mes yeux. Mes sens n’interviennent plus,
mon esprit agit comme il l’entend et suit de lui-même les linéaments du bœuf. »
[Billeter, 2010, 16] Le contrôle du geste n’est plus nécessaire, la maîtrise suprême est
dans l’oubli. On pourrait dire qu’une action intentionnelle s’est élevée à une intention
dans l’action, en incorporant à la distinction grammaticale l’idée d’une gradation entre
un régime inférieur et un régime supérieur, libéré de l’intentionnel. Lisant Tchouang
Tseu en penseur des régimes de l’activité, Jean François Billeter peut convertir (si j’ose
dire) certaines remarques grammaticales de Wittgenstein en praxéologie des régimes,
invitant à dépasser les infirmités de notre langage : ainsi « Quand je regard un objet, je
ne peux pas me le représenter » [F, § 621] ; « Quand nous nous représentons quelque
chose, nous n’observons pas » [§ 632].

Une omniprésence interstitielle


35Écrire cet article m’a convaincu de l’ampleur de la question religieuse en des termes
et dans une mesure auxquels je n’aurais pas souscrit auparavant, que je n’aurais pas pu
imaginer. J’espère avoir montré qu’en dépit du fait qu’il n’y a pas de théologie
wittgensteinienne, ni une « théologie pour athées » comme le suggère H.G. Glock
[2003, entrée « Religion »], ni un fidéisme d’une certaine sorte, comme l’a martelé tout
en le déniant D.Z. Phillips, la religion occupe une place importante, elle a ce que
j’aimerais appeler une omniprésence interstitielle. La difficulté à en donner une vue
d’ensemble tient à deux traits dont j’espère avoir donné des indices probants :
l’instabilité religieuse de Wittgenstein, le phénomène des harmoniques religieuses d’un
grand nombre de thèmes grammaticaux. On peut contester que les harmoniques de la
conversion, du travail sur soi (perfectionnement) et de l’action inspirée soient
religieuses ou mystiques, mais il est difficile de ne pas reconnaître leur présence au
cœur de l’entreprise grammaticale.

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Bibliographie
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PUF, 2010

Philippe De Lara, Le rite et la raison, Paris, Ellipses, 2005a

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Ludwig Wittgenstein, Carnets secrets 1914-1916, trad. Jean-Pierre Cometti, Editions


Chemin de Ronde, 2010

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Notes
1 « ‘Penser’ est un concept très ramifié » [Wittgenstein, 2008, § 110]. Voir aussi
Remarques sur la philosophie de la psychologie [RPP] II § 218.

2 Louis Dumont y avait reconnu la démarche même de l’anthropologie sociale de


Durkheim et Mauss. J’ai traité en détail de l’anthropologie chez Wittgenstein dans De
Lara [2005, 90-133]. L’enchâssement des deux universels, le second (la comparaison
des sociétés) menant au premier (l’universel humain) et le présupposant, ne pose pas de
problème du point de vue sociologique qui était celui de ce livre. En revanche, instinct
rituel et religion naturelle ne sont pas des concepts voisins et, sur le terrain religieux, il
y a une séparation claire entre religion ou religiosité naturelle d’une part, religions
instituées d’autre part. Voir plus loin.

3 Wittgenstein cède parfois à une Selbsthass typiquement viennoise, mais le plus


souvent de façon ambivalente : « Le Juif est une contrée déserte, mais sous la mince
couche de pierres on trouve les laves en fusion de l’esprit » [RM, 13, en 1931].

4 La même saynète revient curieusement, dans un autre contexte, huit ans tard, en 1947
(les leçons notées par Smythies sont très probablement de 1939), dans RPP I § 139.

5 Je renvoie sur ce point à mon livre déjà cité, au chapitre IV, « Emotions, raisons
causes », pages 135-149.

6 Saint Augustin est l’un de ces rares auteurs qui n’ont pour ainsi dire pas quitté
Wittgenstein, avec Frege, Russell, et James. Pour autant, il est difficile de cerner ce
qu’il lui doit dans ses réflexions proprement religieuses.

7 Une expression que j’emprunte à Billeter [2010, 48].

8 Marrou [2011]
9 « Lectures on Freedom of the Will », dans Wittgenstein [1998, 43]. Le texte est une
paraphrase de Épître aux Romains, 9.21-23, qui me paraît moins clair quant à la
responsabilité humaine.

10 La nature des matériaux disponibles rend ces interprétations risquées. J’ai eu parfois
l’impression que Wittgenstein réagissait comme un caméléon religieux, prenant la
couleur du texte, de l’interlocuteur ou du problème du moment.

11 Cette alternative est la conception de Ryle, que Wittgenstein critique dans les
Recherches philosophiques, § 149 et p. 191-192. Voir sur ce point de Lara, [2005b, 113-
114].

12 RM, p. 64 (p. 73 dans la nouvelle édition, ma traduction). Granel traduit : « Il me


semble qu’une foi religieuse pourrait n’être qu’une sorte de décision passionnée en
faveur d’un système de référence »).

13 « The Gospel according to Wittgenstein » dans Arrington [2001]. Hyman conclut


son article avec un humour tout britannique : « Whether it could enjoy as vigorous a life
as its ancestor is a sociological and perhaps a psychological question, which I shall not
address. »

14 La formule est de Gauchet [2010, 41].

15 Cité par Gauchet [2010, 33-34]. Hertz mourra au front en avril 1915, à 33 ans.

16 Gentile [2011]. Voir également D. de Courcelles et G. Waterlot [2010], en particulier


les contributions de Anthony Feneuil et Ghislain Waterlot.

17 Wittgenstein avait reçu enfant une instruction religieuse catholique par un prêtre qui
devint évêque par la suite. A l’adolescence, il aurait perdu la foi et rompu avec la
religion sous l’influence de sa sœur Gretl, jusqu’à cet épisode de 1912, où il s’éveille à
la religion après avoir vu à Vienne une pièce où un personnage a une révélation
mystique [McGuinness, 1991,124-125 et 146]).

18 Cité par Monk [1993, 61]. La lettre à Russell sur Mozart et Beethoven citée en
exergue est de la même période (août 1912).

19 Voir Pouivet [2006].

20 Cet homme n’est pas la créature déchue mais l’homme dans l’histoire, perfectible
pour le meilleur et pour le pire, la Providence « l’a fait libre afin qu’il fît non le mal,
mais le bien par choix » (p. 75).

21 Rousseau écrit (dans la bouche du vicaire) : « je soutiens qu’il n’y a pas de révélation
contre laquelle les mêmes objections n’aient autant et plus de force que contre le
christianisme ». Et plus loin : « je reste sur ce point [la révélation] dans un doute
respectueux », mais il ajoute « je vous avoue aussi que la majesté des Écritures
m’étonne, que la Sainteté de l’Évangile parle à mon cœur. » [Rousseau, 1996, 116 et
118].
22 « Das Schwere ist hier, nicht bis auf den Grund zu graben, sondern den Grund, der
vor uns liegt, als Grund zu erkennen. Denn der grund spiegelt uns immer wieder eine
grössere Tiefe vor, und wenn wir diese zu erreichen suchen, finden wir uns immer
wieder auf dem alten Niveau. » — ma traduction.

23 « Bemerkungen über Frazers Golden Bough », dans Wittgenstein [1993, 120]. Je


donne la traduction de Dumont [1987, exergue]. Wittgenstein écrit un peu plus loin :
« Ici, on ne peut que décrire et dire : ainsi est la vie humaine. »

24 J’ai proposé un premier tableau des sens de la clarification chez Wittgenstein dans
Lara [2005, 151-161]. J’en avais dégagé la polysémie et l’ambivalence quant aux
limites de la raison, mais sans en voir la dimension religieuse analysée ici.

25 « Wittgenstein and Reason », dans Klagge [2001, 195-220 (ici, 195-196)].

26 Wittgenstein [1993, 128] commente ainsi sa proposition : « on pourrait dire que


l’homme est un animal cérémoniel ».

27 Un son musical se compose d’une note fondamentale et d’harmoniques, notes plus


élevées dont les fréquences sont des multiples de la fréquence fondamentale. L’intensité
relative des harmoniques du son (son « spectre harmonique ») constitue son timbre. La
décomposition spectrale du son musical a été découverte par Helmholtz.

28 Je dois à Jean François Billeter le concept de régimes de l’activité, et bien plus que
cela.

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Pour citer cet article


Référence électronique

Philippe de Lara, « Les religions de Wittgenstein », ThéoRèmes [En ligne], 1 | 2011,


mis en ligne le 23 janvier 2012, consulté le 26 novembre 2016. URL :
http://theoremes.revues.org/255 ; DOI : 10.4000/theoremes.255

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Auteur
Philippe de Lara

Institut Michel Villey – Paris II

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