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diction : a-diction : ad-diction

ou
Examen critique de l’«addicto-logique»1

Ulrich Kobbé 2
N’est-il donc pas permis
d’être enfin quelque peu ironique
à l’égard du sujet, tout aussi bien
à l’égard du verbe et (du complément) d’objet ?
Nietzsche 18863

Le terme ‹addiction› se trouve avoir une diction peu précise, pour ne pas dire a-dictive, voire, rien-disant,
arbitraire, ouvrant un champ d’interventions indéterminées et lançant un défi aux théoriciens de la prati-
que thérapeutique. C’est pourquoi il se posent les questions,
quelle pourrait être la logique du néologisme ‹addiction›,
comment comprendre l’«addicto-logique» de ce discours probablement trivial,
à quel moment, dans quel champ ce schéma d'addiction émergeait et
d’ou vient la pertinence de cette notion.

Se souvenant du commentaire de Freud en 1904 lors de son voyage aux États-Unis que les Américains
«ne savent pas que nous leur amenons la peste», ces aperçus nous induisent à demander si l’import-
export du concept addictologique ne représente pas une revanche tardive, mais ceci ne nous trahit rien
sur la nécessité de la notion d’addiction dans la culture et la science française.4 Et ils n’expliquent pas la
structure d’un discours s’assujettissant au “mainstream” d’un métadiscours invasif anglo-américain. La
plaie sociale opposée par Lacan à l’épidémie5 consiste indubitablement en tentant constamment de réta-
blir une continuité, de nier toute différence, voire, tout principe de discontinuité et tout désaccord. Il s’agit
donc de demander quoi a changé par cette substitution de signifiants-maîtres et/ou de théorie.

Questionner science et signifiants implique de vouloir connaître et/ou reproduire un savoir satisfaisant, un
savoir raisonnable sur la cause, voire, sur la raison du phénomène elle-même. Lacan nous rappelle «qu’il
est impensable que la psychanalyse comme pratique, que l’inconscient, celui de Freud, comme décou-
verte, aient pris leur place avant la naissance […] de la science»6 . Et si nous serions tout simplement
susceptible d’un phénomène d’identification imaginaire en ce qui concerne l’objet de ce discours social?
Fournol nous fait remarquer que par des mécanismes discursives, le pavot se voyait élu à sa «réalité la
plus stupide de stupéfiant» et en même temps au rang de signifiant – un signifiant qui était «susceptible
de précipiter une identification imaginaire: toxicomane. C’est ainsi que se créait en termes freudiens la
foule primaire des toxicomanes.»7 Où en sommes-nous maintenant avec les addictions? Est-ce que ce
nouveau code, cette nouvelle classification – scientifique ou non – tente de créer une figuration pareille?
Est-ce que cette manœuvre substitue l’ordre discursif? Et si cette diction nouvelle faisait fonction d’une
fascination collective, bon à renforcer la nomination sociale en nouant le symbolique à l’imaginaire et dis-
simulant sa fonction brute de «nommer à». Est-ce qu’il s’agit vraiment d’une mise à mal des modèles de
maladie des dépendances ? Si, alors, la science ne restituait pas du tout un ordre de négation paternelle
mais qu’un discours postmoderne nous gratifiait d’un paradigme nouveau concernant «ces petits objets
qui traitent la jouissance en concurrençant le phallus», comme s’expriment Raedemaker et Jacques.8

1
Intervention pendant les XXièmes Journées de Reims pour une clinique du toxicomane, 15.-16.03.2002.
2
iwifo-Institut Lippstadt, BP 30 01 25, D-59543 Lippstadt, ulrich@kobbe.de
3
Traduction par l’auteur (U.K.); dans le texte original: „Ist es denn nicht erlaubt, gegen Subjekt, wie gegen Prädikat und Objekt,
nachgerade ein wenig ironisch zu sein?“ ; Nietzsche, F. 1886 : Jenseits von Gut und Böse. (Au-delà de bien et mal.) In : Nietzsche,
F. : Werke II. WBG, Darmstadt (1997) p. 600. Dans cet aphorisme Nietzsche joue ainsi sur la structure grammaticale de sujet, verbe
et complément que sur la relation sujet – objet ; c’est pourquoi la traduction „Objekt“ = «complément» par Peter Pütz dans les Œu-
vres complètes (Laffont, Paris 1993, p. 590) paraît insuffisante et a été remplacé par «complément d’objet».
4
Rigaud, A. 2002: Examen critique de la notion d'addiction dans la culture française. Communication : Colloque « Addictions alcool-
drogues ! », ASIEM Paris, 24.-25.10.02
5
Lacan, J. 1975: Conférences et entretiens dans les universités nord-américaines. In: Silicet, nº 6/7
6
Lacan, J. 1966: La science et la vérité. In : Lacan, J. : Écrits. Seuil, Paris (1966) p. 857
7
Fournol, D. 1993 : La poudre aux yeux : dort ! In : IRS (éd.) : Drogue et toxicomanie – études et controverses. L’Harmattan, Paris
(1993) p. 13
8
Raedemaeker, A.-F. & Jacques, J.-P. 1993 : L’héroïne m’empêche de rêver. In : IRS (éd.) : Drogue et toxicomanie – études et
controverses. L’Harmattan, Paris 1993, p. 17
-2-
L'usage actuel du terme ‹addiction› se réfère à une ancienne pratique judiciaire où des débiteurs incapa-
bles de rembourser leurs dettes pouvait être déclarées «ad dictum» à l’égard de leurs créanciers. Si cette
forme d’être «dite à» un autre implique une relation maître-esclave, la notion moderne d’un sujet addict
nous l’indique comme étant esclave d’un objet sans pouvoir se contrôler. On pourrait être tenté de cons-
truire une relation au concept de Lacan en ce qui concerne le sujet comme «sub-jectum», sujet étant
constitué comme sujet sup-posé et sous-jacent, ou par example aux explications de Michel Foucault
concernant l’assujettissement de l’individu dans l’ordre discursif. Mais rien de pareil : La notion ‹addiction›
reste un artefact a-théorique, peu précis et abusif en s’étendant sur des champs divers de comporte-
ments addictifs, jusqu'à la sexualité addictive ou à une soi-disante “cyber-addiction”. Voilà que la réalité
du sujet concerné se perd dans la virtualité d’un principe addictologique, et son sens subjectif se volatise
– un dirait : se file à l’anglaise – dans le référent d’un schéma éclectique qui ne figure que forme scientifi-
que sans un contenu profond.

Dans ce dilemme Chemama nous apprend que l'essentiel ne serait «pourtant pas de faire une liste de
tout ce qui pourrait relever de l'addiction mais de «noter que ce terme d'addiction renvoie de façon assez
claire à une forme de rapport à la jouissance qui s'est beaucoup développée aujourd'hui». Et il continue :
«On voit assez bien, dans la toxicomanie ou l'alcoolisme, qu'il s'agit pour le sujet, dans une répétition
convulsive, de calmer un état de tension par la répétition de la consommation directe d'un objet sans en
passer par une rencontre avec l'autre ni s'engager véritablement dans une élaboration psychique. À cet
égard, on pourrait bien sûr soutenir que chacun se trouve dans un rapport addictif avec l'objet qui cause
son désir, cet objet que Lacan appelle l'objet a. La question, c'est qu'alors que la psychanalyse définit cet
objet comme fondamentalement perdu, le toxicomane pense pouvoir se le procurer - à condition seule-
ment d'en avoir les moyens financiers. Cela, sans doute, parce que notre civilisation propose désormais
un certain nombre d'objets réalisés à grande échelle par la science et la technique : il s'agit, bien sûr, des
drogues chimiques, mais aussi bien d'objets très différents à quoi le sujet peut être tout aussi ‹accro›.» 9
Pour préciser un peu la différence de toxicomanie et d’addiction, le premier annonçait un désir, un mal,
une souffrance. Par contre, le terme ‹addiction› ne désigne qu’une esclavage quelconque. Autrement dit :
Dans ce paradigme, le sujet a perdu toutes ses qualités désirantes et jouissantes ; les passions ayant
changés sur le coté de l’objet s’estompent dans des passions indifférentes. C’est ainsi que – sous un an-
gle baudrillardien – la notion d’addiction porte les traits d’un schéma illusoire, d’une illusion universelle
avec une qualité omniprésente d’indécision. Cette réalité particulière du sujet-objet addictologique se
trouve réalisé en le traitant d’une part de façon totalisante, railleuse et quasiment indifférente, mais en
cachant d’autre part un cynisme pragmatique inhérent derrière le simulacre d’un paradigme scientifique.

Récapitulons : Ni les classifications de la CIM 10, classification OMS, ni celles de la DCM IV américaine
connaissent une addiction quelconque. Pourquoi alors faire l’effort de vouloir comprendre ou même théo-
riser ce brouillon a-théorique ? Peut-être parce que des auteurs comme par exemple Ferrand10 sont
d’avis que la notion d'addiction représentait une notion voisine de celle des ‹dépendances› dans la classi-
fication officielle et témoignait également d’une évolution conceptuelle d’un syndrome «bio-psycho-
comportemental» ( ?) très large impliquant ou non une pharmacodépendance physiologique: D’après
Ferrand, cette notion offrait un regroupement nosographique et clinique des comportements de dépen-
dance et des addictions sans produit purement comportementales (jeux, boulimie, addictions sexuelles ...
) sous une même notion. Elle développe des arguments cliniques, épidémiologiques, psychopathologi-
ques, biologiques et thérapeutiques, mais cet essai de conférer «une unité étiopathogénique au concept
de dépendance» ne touche que la phénoménologie comportementale et a tendance réductionniste à
simplifier des réalités psychologiques complexes sur un même formalisé. «Il n’a pas de forme qui n’ait de
surface, une forme est définie par la surface – par la différence dans l’identique, c’est-à-dire la surface.»11
En un mot, la dialectique de surface et de profondeur a disparu elle-même, et le monde postsimulatif de
ce paradigme n’est pas du tout superficiel mais il représente cette surface même 12 .

Vautrin nous apprend que ce qu’il comprend dans la confrontation avec la notion ‹addiction› serait «si
triste, si désespérant [...] que vous renoncez à en démordre, acceptez le mauvais jeu en espérant y goû-
ter quelques miettes. Ou alors vous expliquez, théorisez, analysez, paramétrez la forme morte, acceptant
à votre tour son jeu, rentrant dans sa fausse réalité et promulguant ses impasses aux rangs de faits ré-
els.» Et il continue que toute intention de vouloir gagner plus d’autonomie intellectuelle exigeait de «théo-

9
Chemama, R. 2002: La mini encyclopédie de psychanalyse. Web-Publ: http://www.epsyweb.com/encyclo/encyclo_addiction.htm
10
Ferrand, I. 2000 : L'alcoolisme peut-il être assimilé à une toxicomanie? Communication. Réunion annuelle de Pathologie Diges-
tive de l'Hôpital Cochin. Paris, 04.02.2000. Web-Publ : http://www.cybercable.tm.fr/~biblioa/cochin200010.html
11
Lacan, J. 1954: La bascule du désir. In: Lacan, J.: Encore. Le séminaire, livre XX. Seuil, Paris (1975) p. 265
12
Kurthen, M. 2001: Werbung für das Unmögliche. Psychoanalyse und Kognitionswissenschaft in der Postmoderne. Passagen,
Wien (2001) p. 334
-3-
riser l'indicible, l'absent ; il faudra pour cela bâtir une théorie qui comprendra l'absent et la culpabilité in-
trinsèque à tout acte de penser.»13

Sur ce, la mode «addicto-logique» des huis clos ne semble bas bien différenciée, et il se pourrait que
cette nouvelle terminologie mal définie serait le signe de cette non-différenciation, signe d’un effacement
ou – avec Freud –«un symbole prend l’importance intégrale et la signification de ce qui était symbolisé et
ainsi de suite»14 . Si la notion d’addiction ne focalise qu’un état d’esclavage, même pas une psychodyna-
mique bien élaborée, s’il s’agit donc d’un concept implicite qui ne connaît ni sujet ni objet précis ou com-
mun – quelle pourrait être une théorie pour rendre possible l’accès au commun logico-affectif de cette
«addicto-logique» ? Probablement, un abord à titre d’essai est offert par le paradigme baudrillardien de
l’échange symbolique 15 . Car, on pourrait se demander si la notion d’addiction ne désigne qu’un schéma
de relations sociales au-delà des topoi et des économies définis par une production matérielle et / ou dé-
sirante ainsi que par une circulation de valeurs. Sous un point de vue radicale, cette notion nie toute ré-
versibilité d’échange interpersonnel, et elle introduit une transgression subversive des codes symboliques
et dialectiques en réalisant une indétermination tautologique, c’est-à-dire la pensée s’inscrit dans les pra-
tiques du sujet comme une bifurcation stratégique qui n’est plus dialectique mais «catastrophique».

La question "to be or not to be” posé par les organisateurs des XXèmes Journées de Reims pourrait donc
être lu comme interrogation d’une symptomatologie – d’une «addicto-logique» – sans sujet, voir, comme
question existentielle du sujet d’être ou ne pas naître, c’est-à-dire comme question de dimension œdi-
pienne.16 Si de différentes dynamiques psychologiques se trouvent empilés dans une unité étiopathogé-
nique d’addiction, si de différents phénomènes psychopathologiques se trouvent classés dans un code
uniforme et s’ils deviennent congruents et commensurables, les différences basales – aussi des discipli-
nes scientifiques d’ailleurs – n’établissent plus une pratique dialectique. Comme dans la théorie baudril-
lardienne, les éléments opposés – sujet et objet – débordent l’un dans l’autre, se trouvent dans la même
spirale, deviennent indiscernable dans une relation d’objet-sujet sans un référent ex-sistent, sans toute
possibilité de faire un troisième terme : Mais seulement «l’Autre est ce qui me permet de ne pas me répé-
ter à l’infini».17 Par contre, c’est une auto-affection qui domine ici la praxis des sujets se réduisant à une
reproduction de simulacres, à une existence fantomatique, illusoire et arbitraire. Si on rappelle que le su-
jet s’éteint dans la simulation à défaut d’une instance référentielle, la domination quasiment extatique de
la dynamique addictive pourrait être supposée comme faisant fonction de réponse à ce principe final du
sujet, comme lui rendant pareille par une réversibilité fatale de l’objet, par une disparition parodiste de
l’objet opposé au sujet. Sur ce, Baudrillard nous apprend que «le sujet n’est plus un attracteur étrange».18
C’est plutôt l’objet qui est passionnant, car il est l’horizon de la disparition du sujet dans les théories
postmodernes. «Il est ce que la théorie peut être pour le réel : non pas un reflet, mais un défi et un attrac-
teur étrange.»19

Cet argument baudrillardien tente de retracer les lignes d‘une loi existentielle imposée aux sujets soi-
disant addict. Dans cette loi d’une confusion des genres, tout devient possible : Il n’y a plus de référence
sure à quoi ce soit mais une dépolarisation «bio-psycho-sociale». Si la différence (des sujets, des disci-
plines) est une utopie, si l’altérité devient impensable, il se pourrait que cette notion floue d’addiction se
dévoile comme étant un réseau de pratiques éclectiques sans issue, d’abréactions auto-référentielles,
d’idées tautologiques.

Ainsi le discours «addicto-logique» semble représenter un discours anti-œdipien ou du moins non-


œdipien. Comment cela ? Le discours œdipien concernant les toxicomanies ou autres dépendances
comprenait ces phénomènes comme étant des dérives de la recherche du plaisir vers celle d’une satis-
faction d’un besoin, avec les conséquences délétères quelle entraîne à travers la compulsion de répéti-
tion liée au concept de pulsion de mort. Le discours addictologique, reprenant la signification originelle de
saisie du corps du débiteur comme gage d’une dette impayée et de son traitement comme sa chose dans
un discours juridique, introduit une contrainte du corps,
soit, comme le sujet exerçant une contrainte sur son propre corps comme objet de sa maîtrise (ano-
rexie, boulimie, obsessions de travail, jogging, body-building ...),
soit, comme ce corps propre comme agent de la contrainte sur le sujet,
13
Vautrin, E. 2001: Theoretical Addiction. Web-Publ: http://www.apresvillenoise.free. fr/plateaux/ 00revue/ericvautrin.htm
14
Dans le texte original: „... wenn ein Symbol die volle Leistung und Bedeutung des Symbolisierten übernimmt und dergleichen
mehr“ ; Freud, S. 1919: Das Unheimliche (L’inquiétante étrangeté). In : Freud, S. : Gesammelte Werke, vol. XII. Fischer, Frankfurt
a.M. (1999) p. 258
15
Baudrillard, J. 1976: L’échange symbolique et la mort. Gallimard, Paris
16
Bergeret, J. 1984: La violence fondamentale. L’inépuisable Œdipe. Dunod, Paris (1984) p. 78
17
Baudrillard, J. 1990 (op. cit.) p. 180
18
Kobbé, U. 1997: Le toxicomane n'existe pas ou Fractales psychologiques dans la structure du préjugé. In: IRS (éd.): Comment
soigner des toxicomanes? L'Harmattan, Paris (1997) p. 34
19
Baudrillard, J. 1990: La Transparence du Mal. Essai sur les phénomènes extrêmes. Gallimard, Paris (1990) p. 179
-4-
soit, comme un objet extérieur à la personne dont la privation exerce sa contrainte persécutive la fois
sur le corps et sur le sujet.
Mais la notion d’addiction ignore le sujet comme tel, elle introduit son absence et/ou le remplace par un
existence corporelle et/ou physiologique. Certes, on pourrait concevoir le sujet ivre ou drogué comme
amenant un état d’évanouissement calculé, une sorte d’auto-disparition du sujet20 – mais une telle ré-
flexion nécessitait une théorie élaborée qui doit rester étrange pour les amateurs addictologiques. En ra-
dicalisant cette illusion, le modèle ‹addiction› pourrait être compris comme essai d’amortir le désir – pa-
reille à une dette – pour le faire taire.21

Si cet accent mis sur la référence au corps nous renvoie à la notion de dépendance physique,
si elle favorise entre autres à des interprétation physiopathologiques diverses des soi-disantes addic-
tions22 ,
si cette notion est jugée de faire progresser la compréhension des mécanismes physiologiques du
plaisir, de la souffrance, du désir23 ,
si elle se trouve estimé à cause de ses arguments biologiques concernants l’implication de nombreux
neuromédiateurs d'appétence et de dépendance24 ,
ce discours semble faire fonction comme un discours qui remplace le désirant sujet concret par le phan-
tasme d’un corps objecté comme principe d’un désir sans référent, sans référence à un manque, à une
jouissance ou à une autre instance extérieure, et qui n’est qu’une intensité physiologique.

Pour répondre à la question ou nous nous situons en confrontation avec cette épistémologie imposée, il
reste à constater que nous sommes envahis par un discours stratégique qui veut établir des «principes
communs aux stratégies thérapeutiques proposées aux patients dépendants» qui se limite sur «sevrage,
importance des motivations à l'abstinence ou au sevrage ...». 25 En fait, aux États-Unis le discours addic-
tologique développe une forte activité de régulation sociale, d'un traitement collectif afin de tenter de de-
venir «abstinent» ou de prendre le contrôle de sa passion pathologique ou non. S’il s’agit donc pas d’une
économie de production matérielle et / ou désirante mais d’une économie de consommation correcte, le
paradigme implicite derrière la notion d’addiction a pour but d’exécuter l’idéal du bon consommateur, du
consommateur «normal». C’est-à-dire cet idéal représente une vérité imposée au nom de la science au
lieu d’essayer de (re)construire la vérité du sujet. Comme il s’agit de consommer, comme ce schéma
d’action – «d’a [ddi]ction » – ne connaît aucun objet capable de devenir un parlêtre, le signifiant-maître ne
se trouve que dans une relation asymétrique avec le sujet qu’avec le savoir.

Avec ceci devient clair qu’il ne s’agit nullement d’un discours de la science mais d’une simulation d’un sa-
voir scientifique comme un dérivé du discours du maître, d’un discours caractérisé par Lacan comme
étant le discours du capitaliste.

discours du maître discours de la science discours du capitaliste

ll s’agit d’une forme discursive où le sujet est en position d'agent, en position de se croire assujetti à rien,
maître des mots et des choses (S1 ), c'est à dire en position de semblant. Il s’appuie sur le piédestal du
savoir (S2 ), en ce cas d’une science en position de travailler pour lui. Avec ceci, le signifiant maître (S1 )
devient la vérité du discours du capitaliste dont l'aliénation se voit doublée d'une méconnaissance radi-
cale. Si le discours du maître se trouve être extrêmement efficace à maintenir disjoints le sujet barré et
l’objet a sans qu’il y aie une connexion possible entre ce sujet et la jouissance excédentaire, ici, le dis-
cours capitaliste garantit cette connexion. Périn ajoute qu’ici «le discours du maître a été inversé, a subi
une torsion. Du discours du maître on est passé au discours du capitaliste, puis au discours du pervers

20
Lecœur, B. 1993: La clinique du jeu et l’ivresse. In: IRS (éd.) : Drogue et toxicomanie – études et controverses. L’Harmattan, Pa-
ris 1993, p IRS (éd.) : Drogue et toxicomanie – études et controverses. L’Harmattan, Paris 1993, p. 60-61
21
Kurthen, M. 2001 (op. cit.) p. 216
22
Taccoen 2001: La psychopathologie des comportements toxicomaniaques. Web-Publ: http://www.psyfc.com/lapsychopatologie
descomportementstoxicomaniaques.htm
23
Senon , J.-L. 1999 (op. cit.)
24
Ferrand 2000 (op. cit.)
25
Ferrand 2000 (op. cit.)
-5-
où l'objet se trouve en position de commande.»26 Voilà pourquoi la coexistence des deux paradigmes cli-
niques de la perversion et de l'addiction semble décrire «des aspects complémentaires d'un même phé-
nomène» et «laisse le clinicien perplexe».27 Mais il reste à répliquer que ce discours addicto-pervers avec
son identification à un objet incarnant la jouissance ne représente qu’un glissement du discours du maî-
tre : il n’est qu’un simulacre cachant le discours capitaliste, qui ignore le sujet désirant et sa subjectivité,
qui lui demande impérativement de mettre son savoir scientifique à sa disposition pour anesthésier le
manque derrière l’abstinence et pour produire un objet, la plus-value du plus-jouir.

En tant que discours capitaliste, la notion d’addiction refuse toute possibilité de décomplétude, de diffé-
rence. Nous rencontrons une répétition sans fin : nous trouvons une addiction comme maladie
d’accumulation28 ainsi qu’une accumulation de symptômes, soit : une addition d’addictions – «ad-
di[c]tion » – qui marque une supériorité de la quantité à la qualité. Ce discours international fait semblant
d’être pluridisciplinaire : l’universalisation que produit la science ne se révèle que comme étant un dis-
cours médical qui «globalise» son objet technique. Sur ce, Peusner29 résume : «De l'accouplement de ce
discours capitaliste avec la science naîtront ce que l'on appelle les technosciences, dont l'idéal est de
rendre compte du réel sans reste. Un résultat direct de ce dispositif technoscientifique est le système ac-
tuel de classement chiffré des maladies mentales, le DSM IV, dont le fondement est technologique et non
pas scientifique.»30 A proprement parler, l’essence de ce discours n’est pas vraiment une technoscience,
néanmoins une psychotechnique scientifique, mais un discours politico-moral qui – comme nous exempli-
fie Lacan – promet aux sujets consommants et aspirés au comblement de leur manque-à-jouir de s'enri-
chir jusqu'à pouvoir jouir de tout31 : il fonctionne par un plus-de-jouir promis au cas de renoncement, par
un plus-de-jouir anticipé comme étant satisfaisant mais qui se révèle inaccessible à la fois, voire, par un
jouir du renoncement à la jouissance. Car le concept implicite derrière le simulacre de l’addiction a
comme point de départ et comme pour bout la jouissance d’un corps, «d’un corps qui, l’Autre, le symbo-
lise, et comporte peut-être quelque chose de nature à faire mettre au point une autre forme de substance,
la substance jouissante.»32 Ainsi, cet impérialisme d’abstinence contient une dimension substantielle qui
doit être comprise comme représentant une dimension de «dit-mensonge», c’est-à-dire la promesse im-
pérative d’une jouissance autonome, la possibilité illusoire de jouir sans aucun autre.

«La conséquence qui se tire de ces considérations est que le plus-de-jouir ne soutient plus dans la civili-
sation d’aujourd’hui la réalité du fantasme. Avec le discours du maître, il était possible de soutenir cette
réalité du fantasme à partir du plus-de-jouir. Avec le capitalisme, la connexion a Ý S barré est en passe
de soutenir la réalité comme telle, la réalité devenue fantasme.»33 Avec ceci, ce paradigme exploite les
sujets désirants en leur faisant croire «que l'objet manquant, le plus-de-jouir, existe fabriqué par la
science et mis à disposition par le marché.» Cette conception capitaliste vise à fabriquer l'individu, i.e. un
sujet complété d’une jouissance qui se trouve transformée en force de production et de consommation.34

Quel est le message fondamental, le fond mental de ce discours «addicto-logique»? L’obligation capita-
liste normative de consommer correctement, de n'être soi-même qu'objet produit et consommé, ne
connaît ni une économie imaginaire ni une économie désirante dans le réel ni une loi symbolique mais
une économie d’action dans la réalité comme symbole d’un schéma impératif. L’idée auto-référentielle et
tautologique non pas d’une production / reproduction de plaisir mais du paradoxe d’une consommation
abstinente caractérise ce discours capitaliste d’addiction et sont l’effet de sa logique fermée, d’un sys-
tème technoscientifique qui a déjà été décrit comme monde des huis clos.
En dernière analyse, l'asservissement des pratiques «psy» au discours capitaliste entraîne une destruc-
tion du code clinique, de son remplacement par un signifiant d’abord insignifiant, par un code arbitraire
qui ne connaît ni le registre d’un inconscient ni un sujet concret. C’est pourquoi la notion d’addiction mène
à «l’ensemble d’une situation clinique qui, pour l’instant, déborde nos connaissances théoriques encore
balbutiantes»35 , pourquoi la question d’une théorie des addictions paraît être oiseuse quand-même et
pourquoi il s’en est fallu que nous menons plutôt ce méta-discours théorique.

26
Périn, J. 2000: L'objet du droit, l'objet de la psychanalyse et la drogue. Web-Publ.: http://www.freud-lacan.com/documents/docs/
jperin260297.shtml
27
Roy, J.-Y. 2001: Compulsions sexuelles: Quel paradigme choisir? In: filigr@ne, vol. 10 (2001) nº 2. Web-Publ: http://www.cam.
org/~rsmq/filigrane/archives/compulsi.htm
28
Sauret, M.-J.: Psychanalyse, école et garantie. Web-Publ.: www.champ-lacanien.org/fr/archives/LK6/LK6MJSauret.PDF
29
Peusner, I.C.W. 2001 : Du "Lebensborn" au clonage : Un effet irréversible sur la structure. Premier Congrès de Convergencia
«Les avancées lacaniennes de l'inconscient freudien», Section III: L'inconscient comme éthique. Web-Publ: http://www.baycrest.
org/journal/Winter%202001/article6-french.htm
30
Kobbé, U. 1993: Zur Dialektik operationaler Diagnostik. In: Fundamenta Psychiatrica, vol. 7 (1993) p. 123-128
31
Bruno, P. 2001 : Le Nom-du-Père. In : Le Web de l’Humanité (14.04.2001). Web-Publ: http://www.humanite.presse.fr/journal/
2001/2001-04/2001-04-14/2001-04-14-048.html
32
Lacan, J. 1972: A Jacobson. In: Lacan, J.: Encore.Le séminaire, livre XX. Seuil, Paris (1975) p. 33
33
Solano, L. 2002: Notre orientation. In : Ornicar? digital nº 198. Web-Publ : http://www.wapol.org /ornicar/articles/sll0075.htm
34
N.N. Web-Publ: barbieturick.free.fr/culture/psycha.htm
35
Roy, J.-Y. 2001 (op.cit.)
-6-

En tant que discours stratégique, ce paradigme représente un discours du symptôme social : il implique
des stratégies fatales de simulation (de solutions, d’un savoir scientifique ...) qui peuvent être précisées
comme flottements de signifiants détachés de leurs signifiés. Par conséquent la théorie-même devient
simulatrice.36 En tant que discours pseudo-scientifique, l’addictologie semble avoir perdu non seulement
son sujet mais aussi son objet : «Même à l’horizon de la science, l’objet apparaît» – comme Baudrillard
s’exprime – «de plus en plus insaisissable, en lui-même inséparable et donc inaccessible à l’analyse,
éternellement versatile, réversible, ironique, décevant et se jouant des manipulations.» Le fonctionne-
ment de cette science postmoderne contient un paradoxe opérationnel : Sa conséquence inoxérable est
que pour elle «transite au mieux et au plus vite, il faut que le contenu soit à la limite de la transparence et
de l'insignifiance», c’est-à-dire «la bonne communication passe par l’anéantissement de son contenu».37

discours de la psychanalyse

Pendant que la notion d’addiction s’épuise dans la stratégie d’un fonctionnement impassible, pendant que
cette notion laisse l’impression de railler le sujet, de seulement prétendre de nous dire la vérité (du sujet),
nous, au bout du compte, nous tournons d’un cœur contrit vers l’exosquelette psychanalytique d’une cli-
nique du sujet, paradigme rétrécissant mais protectif de l’inconscient et du symbolique, c’est-à-dire du
désir, du manque, de la jouissance, ainsi aussi du sens ...

Ce n’est, comme on devine,


à plus forte raison pas l’antagonisme
de sujet et (de complément) d’objet,
qui me chiffonne : cette différenciation,
j’en remets aux épistémologues
qui restent accro aux nœuds-méandres
de la grammaire (métaphysique populaire).
Nietzsche 1886 38

36
Kurthen, M. 2001 (op. cit.) p. 184
37
Baudrillard, J. 1990 (op. cit.) p. 56
38
Traduction adaptée par l’auteur (U.K.); dans le texte original: „Es ist, wie man errät, nicht der Gegensatz von Subjekt und Objekt,
der mich hier angeht: diese Unterscheidung überlasse ich den Erkenntnistheoretikern, welche in den Schlingen der Grammatik (der
Volks-Metaphysik) hängengeblieben sind“. Nietzsche, F. 1886 : Die fröhliche Wissenschaft. (Le gai savoir.) In : Nietzsche, F. : Wer-
ke II. WBG, Darmstadt (1997) par. 354, p. 222

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