304 AVRIL-MAI-JUIN 1883.
II
DIALECTE DE DJERBAH.
La présence d'une population berbére dans file
de Djerbah a été depuis fongtemps signalée par les
historiens arabes ct les voyageurs curopéens; mais
le dialecte parlé par clic n'a été jusqu’d présent
Yobjet d'aucune étude. Pendant mon séjour 4 H’oumt
Es-Souk’, la capitale de l'ile, mon héte indigéne,
Si Ah'med ben Brahim, parvint & me mettre en
rapport avec quelques-uns de ces Berbéres qui
viennent seulement les jours de marché, le lundi et
Ie jeudi. Je pus recueillir un court vocabulaire et
quelques formes grammiaticales : ce sont en effet les
gens les plus intelligents 4 qui j'aie eu affaire dans mes
recherches dont ils comprenaicnt parfaitement le but.
Leur principale résidence est H’oumt-Ajim
(1,500 habitants), située 4 une trentaine de kilométres
de H’oumt Es Souk’, dans la partic méridionale de
Tile. Le nombre de ceux qui parlent encore le dia-
lecte berbére appelé chez cux chelh’a est d'environ
sept a huit mille. Ils se livrent surtout 4 Fagriculture
et 4 Ja fabrication des couvertures de laine, rouges
et blanches, appelées battaniah et célébres dans le
sud de 1a Tunisie.
Ces Berbéres appartiennent, d'aprés Ibn Khab
doun', a Ja tribu des Lemaia, issue, comme les
' Histoi ¢ des Berbéves, trad. de Slane, t. 1, p. 173.NOTES DE LEXICOGRAPHIE BERBERE. 305
Matmata, Ies Satfoura ou Koumia, les Matr’era,
les Sadima, les Mar‘ila, les Melzouza, Iles Kechana
ou Kechata, les Douna ct les Mediouna, de Temzit,
fils de Dari, fils de Zahhik’, fils de Mad’ris el-Ab-
ter, l'un des deux ancétres des tribus berbéres.
Les Lemaia professaient déji V'hérésie ibadhite
Jorsque, en 144 de Thégire (761-762), Ibn Rostem,
chassé de -K‘airouan par le gouverneur abbasside
Moh’ammed ben El-Achath, se retira dans le Ma-
ghreb central et, les réunissant avec les Loouata iba-
dhistes sous son autorité, fonda Tahert (Tiaret) la
neuve !.
Aprés 1a défaite des Rostemides par les armées
fat'imites, Arouba ben Yousef el-Ketami, général du
Mahdi ‘Obeid-Allah, donna pour chef aux tribus des
Lemaia, des Miknasa, des Matmata, dés Azdadja et
des Loouata un certain Douas ben Soulat, de ja
tribu de Lehisa. Celui-ci réussit 4 leur faire abjurer
Ja doctrine ibadhite qu’ils avaient embrassée jus-
quialors, pour embrasser te chiisme fatimite?.
En 581 de Ihégire (1185 de J.-C.), Ibn Rania,
dernier représentant de 1a dynastic des Almoravides,
s‘étant rendu maitre de Bougie, d’Alger et de Médéa,
marcha contre Tahert, qui dépendait alors des Al-
mohades, et la saccagea tellement qu’en 620 de I'hé-
gire il n’en restait plus de traces. Les Lemaia se sé-
partrent : Jes uns allérent augmenter 1a population
' Ibn-Khaldoun, Histoire des Berbéres, trad. de Slane, t. 1,
p. 220; E-Beksi, Description de Afrique, p. 1G1 et suiv.
2 Ibn Kha'doun, Histoire d s Berbéres, trad. de Slane, t.1,p. 244.306 AVRIL-MAI-JUIN 1883.
de Tlemcen; les autres, les Djerba’, s’établirent dans
Tile de ce nom, ott se trouvaient déja les Sédouikech?,
tribu Ketama.
S'aurai peu d'observations 4 faire sur le dialecte
parlé par ces Berbéres qui lui donnent Je nom de
chelh'a, Toutefois il différe sensiblement du chelh’a
marocain, sa prononciation est moins dure que celle
du Rifain et du Zouaoua dont il se rapproche par le
vocabulaire, ainsi que le Mzabi. Le dal (>) remplace
ordinairement le dhad (,) du Zouaoua et du Zeé-
naga ct le t'a (lb) de Bougie et de Syouah, exemples :
(Djerbah) aidi « chien » = aidhi (Zouaoua); (Djerbah)
dar « pied » =adhar (Zouaoua), at’ar (Bougie). Le zain
(>) répond au jim (3) du Zouaoua et du Zénaga , ex.:
(Djerbah) ar’zin , « chien » =ak‘joun (Zouaoua); le kha
(g) au r'ain“(¢), ex. : (Djerbah) ihhf « téte » = ir'f
(Zouaoua); le ta (ws) au dhad (,) du Zouaoua ct au
' Quoique Ibn Khaldoun, op. laud., p. 245, semble dire le eon
traire, ce ne ful qu'aprés son émigration que cette fraction des Le-
maja prit le nom de Djerbah. On le trouve, en effet, cher les autenrs
anciens, appliqué a cette fle, concurremment avec celui de Meninx.
Aurelius Victor (Epitome, gh. xiv) nous apprend que Gallus et Vo-
lusianus furent proclamés empereurs dans T'ile de Meninx, appelée
de son temps Girha. Depuis Cyprien, les conciles tens en Afrique
font mention de plusicurs évéques de Gerva ou Girba qui dépeadait
tantét de Ja province proconsulaire, tantét de la Tripolitaine. Dom
Ruinart (Historia persecutionis vandalice, p. 391) assimile 4a ville
de Gerba 2 1aGerra de Ptolémée (1.1V, c. 11). Ce nom se retrouve
aussi dans I'Itingraire d'Antonin, dans la Table de Peutinger, 1a No-
titia Dignitatum ct 1a Cosmographie «i'Ethicus Ister sous 1a forme
Girba ou Girbe.
2 Variantes Sedounles , Sedouthes et Sedowikes , Sag rw, Signa