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Rose Madder
UN DESTIN ENRAGÉ.
"Ces mythes sont vibrants de vérité, Rosie.
Telle est la raison de leur pouvoir.
C'est pour cela qu'ils perdurent" 1.

Quand un créateur produit beaucoup, il est souvent délicat d'apprécier l'oeuvre qui surgit
tardivement, hors de son temps de création et de la chronologie des autres productions. C'est le
cas de ROSE MADDER, traduit avec un certain retard en France et qu'il est difficile de lire d'un oeil
neuf alors que trois autres romans2 ont été publiés entre temps. Du moins a-t-on la possibilité de
rétablir mentalement sa situation chronologique.

.. du site ..

L'histoire de Rosie se situe d'abord dans la prolongation de Jessie3 et Dolorès Claiborne4: dans un
cadre banal et réaliste, l'héroïne principale est une femme, vivant une situation problématique de
notre époque et le roman se déroule en partie dans un univers de femmes. Et d'INSOMNIA 5, parce
que cette femme est battue et, que contrairement à Dolorès, elle ne trouve pas en elle-même les
ressources mentales qui lui permettront de mettre fin à sa sujétion Elle aura besoin de l'aide d'une
association protectrice. Ces considérations valent pour la première moitié du récit.
La seconde moitié voit l'intrusion brutale du surnaturel -comme dans INSOMNIA- et se trouve
directement en prise avec les forces mystérieuses de THE DARK TOWER 6, mais ici dans les
perspectives insolites de la mythologie antique.
Les trois romans publiés ensuite n'apporteront aucune progression par rapport à ces perspectives;
on peut seulement noter l'utilisation d'un personnage secondaire et quelques allusions.

Un seul sujet dans ce roman:la narration légendée de la propagation de la violence chez les
hommes, comme se propage la rage chez certains animaux. On sait que pour King la violence fait
partie de notre nature, et il a maintes fois médité sur les rapports entre le dionysiaque et
l'apollinien. La violence fait partie de l'être humain autant que le désir d'harmonie. Le véritable
scandale n'est pas la violence congénitale, mais sa manifestation incontrôlée, contraire aux intérêts
personnels comme aux intérêts collectifs7.
UN MONDE ENRAGÉ.

King poursuit dans ce roman l'exploration de certains disfonctionnements sociaux commencée


dans les oeuvres précédentes qui seront occasionnellement citées. Pays soucieux de maintenir
leur réputation de tolérance, de stabilité et de prospérité, les USA, depuis un certain nombre
d'années, donnent l'impression de tomber dans le tourbillon de haine et de rejet de l'autre qui
atteint maintenant les pays européens.

La violence parentale 8.
Un des protagonistes du récit est Norman Daniels, flic violent, dont le passé familial est lourd: son
père bat sa mère (p. 169), "grosse dondon" (p. 237), acariâtre (p. 464), qui quitte le foyer conjugal
quand lui a 12 ans (p. 228). Son père, qui lui inflige de "sévères corrections", est un agresseur
sexuel: "«Viens un peu ici, Normie, faut que je te parle. Faut que je te parle entre quat'zyeux».
Des fois, c'était une rouste. Des fois, avec un peu de chance et si le vieux était ivre, c'était une
main qui se glissait dans son entrejambe" (p. 232). La voix et l'image de son père le poursuivent
constamment: "La voix de son père, ce roi des peloteurs d'entrejambe (et, lors d'une mémorable
partie de chasse, roi des suceurs de pine par la même occasion" (p. 402). Il méprise ce "pauvre
type de père - puant la sueur, le cheveu gras, tripoteur de couilles et suceur de pines" (p. 466),
mais reproduit dans son ménage la situation de brutalité qu'il a connue enfant.
De cette éducation négative, il est sorti déséquilibré sexuellement -il est plus ou moins impuissant,
ou plus exactement n'atteint la puissance qu'avec la violence, les sévices et occasionnellement le
meurtre9 (pp. 287, 358). Il se montre aussi autoritaire, brutal, d'autant plus qu'il a le gabarit
physique adéquat et qu'il est flic. Garçon victime sexuelle du père, comme l'étaient les filles Jessie
et Sénéla Claiborne: le roman prolonge les dénonciations des abus sexuels familiaux entreprises
dans GERALD'S GAME et DOLORES CLAIBORNE.

La violence conjugale.
Les disfonctionnements de la cellule familiale ainsi mis en évidence se prolongent dans ce roman.
Est décrit le calvaire de certaines femmes comme Rosie, qui est battue par son mari, Norman, dont
on vient de voir la sombre enfance. Elle est mordue la nuit de noces, hospitalisée pour côte
fracturée, sodomisée avec le manche d'une raquette de tennis, a des dents cassées. Elle avorte
sous les coups de son époux. Sa vie est effroyable. Son mari régit ses sorties, son emploi du
temps, ses lectures. Elle accepte tout, se bornant à développer des techniques de survie.Elle
pense bien de temps à autre: "Si j'avais un couteau, je serais capable de le frapper (...), idée
qu'une fois de plus elle ne s'autorise pas à écouter, encore moins à approfondir" (p. 18). Sa
résignation lui vient en partie de sa nature plutôt passive: une partie d'elle-même est craintive10 et
matée (p. 30), l'autre doute d'elle-même. Il y a aussi la peur du voisinage.
Elle s'évade de cette vie misérable et sans perpectives en passant quelques instants à se balancer
dans un rocking-chair, où elle fait le vide mental11, ou à se purifier par d'innombrables douches.
Elle finira par quitter le domicile conjugal, répétition du scénario que son mari Norman avait vécu
enfant.

Des flics violents.


La violence est toujours l'indice d'une désadaptation et elle conduit nécessairement à l'affirmation
de soi ou du groupe dans la négation des autres. Norman, désadapté, trouvera dans la police le
clan qui le protègera et utilisera la violence à son profit, bien qu'il porte une bague avec
l'inscription: Service, Loyauté, Communauté... Norman est "un chef de meute" (p. 137). Lui et ses
coéquipiers font froid dans le dos et on est bien loin des shérifs humains et compréhensifs de
Castle Rock.
"Les flics sont frères. Voilà ce que Norman n'avait cessé de lui répéter. La police est une grande
famille et les flics sont tous frères. Rosie ignorait dans quelle mesure cela était vrai, comme elle
ignorait jusqu'où ils étaient capables d'aller pour se tenir les coudes, voire de se couvrir
mutuellement, mais elle savait que les collègues que Norman lui amenait de temps en temps à la
maison lui ressemblaient d'inquiétante façon" (p. 251). La bande: un "profiteur sournois", un autre
vicieux, un troisième violeur. C'est vrai que ces flics ne sont pas les meilleurs et on ne s'étonne pas
que Norman ait reçu un blâme de sa direction lors d'une triste affaire de viol. Mais enfin, de tels
flics existent12

La femme de Norman connaît bien les flics avec lesquels travaille son mari: "Je sais ce que sont
leurs conversations, et je sais quelle opinion ils ont du reste du monde. C'est d'ailleurs comme ça
qu'ils le voient: comme le reste du monde. Même les meilleurs d'entre eux" (p. 253). "Cigarette au
bec", ils échangent autour d'une bière des "histoires de nègres, de basanés, de bouffeurs de
tacos" (p. 293). Machistes, racistes, indifféremment antisémites (p. 228) ou contre les noirs: "Avec
les nègres, un boulot n'est jamais fait ou à faire, comme le lui avait appris son père.(...). Les noirs
ne savent pas ce que c'est que le boulot" (p. 116). Norman constate"à quel point les pékins sont
de piètres observateurs, d'une stupéfiante nullité même" (p. 329). Il combine et connaît "des tas de
gens" qui peuvent lui rendre des services de tout genre (p. 249).

Son univers de flic a complétement déboussolé Norman et l'a durci dans un monde de "macs,
putes, ramasseurs de mégots et mendiants que repérait son oeil de flic". Il doit résister à l'envie de
shooter dans les "têtes hideuses infestées de parasites" des clodos qu'il a en horreur, des"crottes
de chien avec des jambes" (p. 152).
La première réaction des services de la police quand Norman a des difficultés loin de son poste
avec d'autres policiers, c'est de se faire "tirer l'oreille pour (...) faxer les renseignements médicaux
sur Daniels -même ses empreintes. On a déjà affaire aux avocats de la police. Des fouilles -
merdes!
- Ils le protègent, dit Rosie. Je savais qu'ils le feraient" (p. 436).

On ne s'étonnera donc pas de "l'Évangile selon Norman": "Au fond de soi, tout le monde est une
ordure" (p. 179)
Une société impitoyable.
Quand Rosie franchit la porte du domicile où son mari la battait, elle quitte -croit-elle- la violence.
Mais de l'autre côté de la porte, un autre type de violence la rattrapera: la violence collective. La
porte la "séparait de toute cette confusion et toute cette folie" (p. 44). Aux gares routières, de
pitoyables humains agités, "avec valises ou cartons maintenus par des ficelles" (p. 55) ou
désoeuvrés, occupés autour des "batteries de jeux vidéo" dans un cadre sordide avec ses
inscriptions sur les murs: "Sucez ma pine pourrie par le Sida" (p. 56). Et sa population à la Goya:
"Un homme affligé d'un sac adipeux ridé et agité de pulsations sur le côté du cou passa à côté
d'elle, tête baissée, tirant derrière lui un sac marin par le cordon" (p. 44). Un mendiant tenant "un
bout de carton sur lequel on lisait: JE SUIS SDF ET J'AI LE SIDA. AIDEZ-MOI S'IL VOUS PLAÎT". Les
sans-abris, avec leurs sacs-poubelles réparés à coup d'adhésif et dormant dans la gare.
Les pires produits et ferments de cette société fragilisée par la concurrence économique, l'égoïsme
et la perte des repères moraux et sociaux.

La violence de la rue.
Que dire de plus que King des rues de certains quartiers? "Nombre d'entre elles avaient quelque
chose de miteux, de désespéré dans leur présentation" (p. 97). Dans un sex-shop on "découvrait
un stupéfiant assortiment d'objets -godemichés, menottes, sous-vêtements arachnéens -disposés
sur fond de velours noir (...), exposés au vu et au su de tous" (p. 98).
Et dans ces zones plus ou moins naufragées du fait de la déliquescence des politiques urbaines,
avec leurs immeubles et leurs bars crasseux, Rosie rencontre, en plus de l'agression visuelle,
l'agression directe des hommes draguant: "Hé, poulette, dit-il quand elle passa à sa hauteur (...),
tu veux pas que j'te la mette t'as pas l'air trop moche" (p. 63).
Sans compter l'agressivité des gens auxquels elle demande le chemin pour arriver à une
association s'occupant de femmes battues: "La femme fit brusquement demi-tour. Elle avait la tête
baissée et arborait l'expression d'une personne qui avait dû souvent essuyer des moqueries sur
son embonpoint. «Qu'est-ce que vous voulez? (...). Z'avez pas demandé à la bonne maison, ma
fille. J'veux rien savoir de ces bouffeuses de gazon. Barrez-vous, du balai!»" (p. 64).
Ou cette autre: "«Dégage», rétorqua le femme enceinte avec une expression si courroucée sur le
visage que Rosie battit en retraite de deux pas.
«Je suis désolée», dit-elle.
-«Désolée mon cul. Qui t'a dit de me parler, voilà ce que j'voudrais savoir! Tire-toi de là»" (p. 66).
Enfin cet autre, grand-père, et portant "un T-shirt sur lequel on lisait LE PAPY LE PLUS GÉNIAL AU
MONDE", qui, se trouvant dans une file d'attente où une querelle risque d'éclater, "brandit
brusquement un camescope et se mit à filmer la scène, peut-être avec l'espoir que la dispute se
terminerait en bagarre et qu'il pourait vendre la copie à une chaîne de télé" (p. 378).

Monde d'individus séparés, atomisés, pour lesquels l'agression se banalise en même temps que se
distend le lien social.

Les justes.
King ne charge cependant pas de noirceur tout le tableau. Il y reste d'importantes zones de clarté:
des flics qui font leur travail (p. 436), des gens qui viennent en aide et fournissent les
renseignements désirés. Il y a aussi ceux heureusement nombreux qui, touchés par la violence, ne
veulent pas sombrer et y parviennent. La deuxième partie du roman est d'ailleurs intitulée: La bonté
des étrangers.
La maison Filles et Soeurs, équivalent de High Ridge, la maison de convalescence pour les
femmes battues d'INSOMNIA, est un de ces lieux de paix et de régénération. Elle est dirigée, dans
un total bénévolat, par une femme remarquable qui nous réconcilie heureusement avec nos
semblables. On y enseigne l'auto-défense. Et en se référant au cas de Rosie, que sa mère a
incitée à se contrôler et s'effacer, et qui , trop docile, a subi les tourments infligés par son mari, le
lecteur peut se faire incidemment la réflexion que c'est une erreur d'enseigner la non-violence. Qu'il
faut au contraire enseigner que si la violence appelle la violence, dans un terrible pouvoir
d'anéantissement négatif, c'est seulement une violence légitime qui permettra de lutter contre les
formes négatives de la violence.

C'est dans ce monde de violence et de folie que le destin de Rosie va s'accomplir. Dans ce monde
et dans un autre, où règnent d'autres formes de violence et de folie.

UN AUTRE MONDE MYTHIQUE

Ce roman constitue la deuxième tentative, après l'utilisation des Moires13 dans INSOMNIA, pour
tirer partie du fond de croyances mythologiques de l'Antiquité14. Il devient de plus en plus difficile
de comprendre King sans une bonne culture classique...15

La porte entre les deux mondes: le tableau.


Ce tableau à l'huile qui est dans sa boutique de brocanteur, Bill ne l'avait jamais vu: "Ça doit être
un truc que mon père a récupéré quelque part. C'est lui, l'amateur d'art de la famille" (p. 108).
Quelconque, sans valeur picturale, avec des défauts de perspective, il représente les ruines d'un
temple grec sous un ciel d'orage. Une femme de dos en chiton garance et avec un bracelet d'or
regarde les ruines. Pas de signature. Derrière le tableau, l'inscription Rose Madder16. Rosie
achète le tableau et l'installe dans son studio.
Elle constate que le tableau se modifie dans le temps et elle entend des bruits en correspondance
avec le tableau. Une nuit, elle se lève, constate que le tableau occupe tout le mur et elle entre
dans le tableau, comme Alice au travers du miroir. Elle se retrouve dans un autre monde, où on ne
reconnait "aucune des constellations que formaient les nombreuses étoiles" (p. 477). Le temple
paraît bizarre, avec des perspectives déformées, "la sensation dérangeante, étrange" d'une
construction "appartenant à un espace non-euclidien où toutes les lois de la géométrie auraient
été différentes" (p. 305).
Le temps n'est pas synchrone, "le temps est détraqué" (p. 413), et les quelques minutes qui, dans
l'un, séparent une blessure par balle de l'arrivée de la police durent au moins une heure et
permettent de multiples activités dans l'autre. Le temps météorologique n'est pas non plus le
même: nuit dans l'un, par exemple, et jour orageux dans l'autre.
Pendant le récit, le tableau reflètera fidèlement les diverses modifications des deux mondes. A
noter que si le poney Rhadamante17 a pu passer sa tête de l'un à l'autre monde (p. 267), ni Rose
Madder ni sa suivante n'essaieront de le faire.

Le labyrinthe.et le Taureau.
Le labyrinthe se trouve sous terre, au bout d'une longue volée de marches. Constitué de murs de
pierre phosphorescents d'une lumière verte: "Cette lumière ne doit pas être bonne (...), il doit
s'agir d'un genre de radiations (p. 296). Au centre du labyrinthe, une salle carrée, sans "aucun
plafond, seulement des ténèbres caverneuses qui lui firent tourner la tête" (p. 295).
Il est donné pour mission à Rosie d'aller chercher un nourrisson dans cette salle, au risque
d'affronter un taureau, emprunt évident à la mythologie grecque. "Rosie n'arrivait que trop bien à
imaginer le taureau, un énorme animal hirsute, avec une encolure épaisse surplombant sa tête
baissée. Il devait avoir un anneau dans le nez, comme le Minotaure 18 du livre de mythes de son
enfance" ( p.294). En fait, il n'en a pas. C'est une bête énorme, qui n'a qu'un oeil19 aveugle, "une
énorme chose d'un bleu laiteux, monstrueux, au-dessus de son museau" (p. 297).

Ce taureau est un gardien, adversaire de Rose Madder et de sa suivante Dorcas: "Le taureau
nous sentirait et arriverait en courant (...). Il pourrait bien nous tuer toutes les deux" (p. 273). Ce
qui signifie, dans le cas présent, que le taureau est chargé d'empêcher l'enlèvement de la petite
fille par Rose Madder: "Quelque chose lui disait que le taureau était chargé de monter la garde
autour du bébé -voire de garder ce qui se trouverait au centre du labyrinthe, quoi que ce fût" (p.
297).
Le taureau est carnivore et attiré par le sang20: Rosie le leurre en lui jetant une pierre
ensanglantée, stratagème suggéré par Dorcas21.

Le Temple du Taureau.
Il présente un aspect "étrangement chrétien" (p. 280) et ressemble à l'église méthodiste que Rosie
fréquentait avant son mariage avec Norman. Il y règne une odeur de pourriture, "et peut-être
d'autres secrétions, aussi. L'idée de sperme lui vint à l'esprit. Et de sang" (p. 281). Des livres noirs
se trouvent sur les bancs, à l'odeur de putréfaction. Quand elle en ouvre un: "L'image, en haut de
la page, était un dessin grossier qui n'avait certainement jamais figuré dans aucun livre d'hymnes
destiné à la jeunesse: on y voyait une femme à genoux, faisant une fellation à un homme dont les
jambes se terminaient non par des pieds, mais des sabots 22" (p. 281). Les livres vivent.
Dans ce temple, il y a une nouvelle porte, "étroite, ouverte, par où filtrait un rayon de lumière
blanche, immaculée, de forme oblongue" (p. 282).
A noter qu'on se demande pourquoi Rosie doit traverser ce temple, puisqu'elle le contournera lors
de sa seconde visite23: mais si le temple n'a qu'un caractère anecdotique, sorte de complément
gratuit au récit24, il contient aussi une des diverses notations d'inspiration chrétienne, et l'unique
allusion du récit -très brève- à une possible accession à un monde de la lumière en refusant les
tentations contraires.
Le jardin du Taureau, le ruisseau et l'arbre.
"Cataclysmement mort" (p. 283), le jardin est traversé par un ruisseau qu'on ne peut franchir que
sur quatre pierres blanches "comme des carapaces de tortues javellisées" (p. 284). L'eau de ce
ruisseau donne l'oubli25: "Mouille seulement un orteil dedans et tu oublieras tout ce que tu sais,
jusqu'à ton propre nom" (p. 276).
Dans les écorces des arbres morts, "on devinait des visages (...). ces visages eux, étaient réels.
Et ils hurlaient. Des visages de femmes, semblait-il à Rosie, pour la plupart" (p. 287)26. On y
retrouve aussi la racine tentaculaire27.
Au milieu de la clairière ronde se trouve, à côté d'un arbre mort, "le plus bel arbre que Rosie eût
jamais vu" (p. 288), dont elle ramasse les graines: "Élève assidue au cours de catéchisme de
l'Église méthodiste, à Aubreyville, elle pensa tout de suite à l'histoire d'Adam et Ève dans le
jardin d'Éden, se disant que, s'il s'y était réellement trouvé un arbre du Bien et du Mal en son
centre, il aurait eu exactement cet aspect" (p. 288). Et détail dont on fera ultérieurement remarquer
l'importance, c'est au pied de cet arbre que sera tué Norman (p. 490).
En dehors de la végétation, il n'y a rien de vivant dans ce monde28, excepté des grillons baladeurs,
les chauves-souris qui se trouvent dans le temple et les vautours dans le jardin. Et rien
apparemment pour nourrir le taureau, qui laisse cependant partout dans le labyrinthe le produit de
ses digestions... Enfin il semble que dans ce monde, on ne mange pas, mais on mord: évident bien
sûr pour Norman lors de sa mort, moins avec le poney Erymanthe qui ne broute pas son herbe,
mais la mord29...
Restent deux objets cosmiques qui ne font pas partie du patrimoine mythologique grec: le bracelet
de Rose Madder et le masque de Ferdinand le taureau. Il en sera question plus loin.

Les grincheux pourront considérer avec dérision cet univers de pacotille, ce décor de théâtre. En
fait, King réussira à tirer un bon parti de cet ensemble disparate. Il parviendra notamment à ne pas
tomber dans la gratuité de descriptions non pertinentes grâce à des transpositions d'objets,
changeant de forme avec l'imaginaire des protagonistes humains, et à des allusions, notamment à
caractère sexuel, d'incidents qui avaient jalonné l'itinéraire de Rosie et qui rapprochent ce monde
du nôtre. Un jeu de flashes brutaux et d'échos fantomatiques de la violence de notre époque. Le
pari est réussi. Ce monde est encore pire que le nôtre: il n'y est question que de garder, prendre
ou tuer. Les autres composantes humaines ne s'y trouvent nulle part. Il est difficile, en partant d'un
tableau antique pittoresque à la POUSSIN, de trouver davantage de noirceur derrière des
apparences bucoliques.

LE DOUBLE : ROSE MADDER.


La femme au chiton.
L'élément commun entre notre monde et ce monde antique est la femme au chiton garance du
tableau. Sa suivante, Dorcas, a informé Rosie qu'elle devait la traiter avec précaution. De plus, ne
pas la regarder en face30 et ne pas la toucher: "Elle ne vous veut pas de mal, mais elle ne se
contrôle pas très bien" (p. 271).
Rose31 Madder est un être étrange, dont l'âge échappe au temps. La suivante raconte: "«Écoute.
je suis née dans l'esclavage, j'ai été élevée dans les chaînes et j'ai dû acheter ma liberté à une
femme qui n'est pas tout à fait une déesse. (...). Elle a bu des eaux de jouvence et m'en a fait
boire aussi. Maintenant, nous continuons notre chemin ensemble, mais je ne sais pas pour elle,
mais pour moi il m'arrive parfois de me regarder dans un miroir et de souhaiter voir apparaître
quelques rides»" (p. 307). Et plus loin, à une question de Rosie: "Elle est la reine de tout ce
qu'elle veut, répondit Dorcas, et vous avez intérêt à vous en souvenir" (p. 506).
Rose Madder parle d'une voix robotique, grave et"suavement rauque" qui sonne faux: "C'était
comme si la voix cherchait à prendre forme humaine. S'efforçant de se rappeler comment être
humain" (p. 269). Elle a des taches sur sa peau, sorte de lèpre qui se développe32 . En la quittant
lors de son premier passage, Rosie s'aperçoit qu'un "magma verdâtre poussait comme de la
mousse entre les doigts de la femme. Ou comme des écailles" (p. 308). A son second passage,
Rosie peut lui regarder le visage: "Lorsque Rosie Madder écartait les lèvres, elle révélait un trou
qui n'avait plus rien à voir, même de loin, avec une bouche humaine. C'étaient les mandibules
d'une araignée" (p. 508).
C'est Norman -et pour cause- qui la verra le mieux. Sur le visage de Rose Madder réapparaissent
les divers aspects qu'elle a antérieurement empruntés: déesse, Rosie, etc. "Comme des
nénuphars sur un étang dangereux, ces différents aspects flottent sur le visage qu'elle tourne vers
lui -puis ils se dissipent, et Norman voit ce qu'il y a en dessous. Une tête d'araignée, grimaçante
d'avidité, débordant d'une intelligence prise de folie. La bouche s'ouvre sur de répugnantes
ténèbres, dans lesquelles se tordent des vrilles soyeuses (...). Ses yeux sont de grands oeufs
ensanglantés couleur rose garance qui pulsent comme une boue vivante dans leurs orbites (...).
De nouveaux membres commencent à se frayer un chemin à travers les emmanchures du chiton
(...). Il y a des griffes à l'extrêmité des non-membres noirs, hérissés de crins" (496).
Si Rosie, qui aimait lire les romans de Sheldon, avait lu aussi Stephen King, elle aurait reconnu
l'araignée de IT, ou l'un de ses avatars33 dans un autre monde...

Rosie et Rose Madder: le Ka.


A sa première rencontre, Rosie s'est aperçue que Rose Madder portait au bras droit une cicatrice
identique à la sienne: "Rosie tendit son propre bras. C'était le gauche et non pas le droit, mais la
cicatrice était identique (...). La femme sur la colline était son image en miroir" (p. 271).
Vous êtes moi, demande Rosie? Non, répond Rose Madder, "la vraie Rosie, c'est toi". Elle ajoute:
"Ce que tu feras pour moi, je le ferai pour toi. Et c'est pour cette raison que nous avons été
réunies. Tel est notre équilibre. Tel est le Ka" (p. 271). Ka qui relie deux femmes de mondes
différents, de condition différentes et dont les habitants ne sont pas les mêmes: "Vos semblables",
dit la suivante (p. 269). Ou encore: "Vous pouvez la reluquer à poil dans votre monde jusqu'à ce
que les yeux vous sortent de la tête, mais pas dans le mien" (p. 473).

Le service demandé à Rosie est d'aller chercher un bébé de Rose Madder qui se trouve dans le
labyrinthe gardé par le taureau. Rosie ramène la petite fille. D'où vient cet enfant? Mystère. Qui est
cet enfant? La fille de Rose Madder, semble-t-il: "Sa folie, dit la suivante, ne concerne pas le
bébé. Bien qu'elle l'ait portée, elle sait que ce n'est pas elle qui devra garder l'enfant, pas plus
que toi (...). C'est moi qui m'en occuperait la plupart du temps; jusqu'à la fin du voyage. Il n'y en
aura pas pour longtemps, et elle rendra alors le bébé à... peu importe. Ce bébé est à elle pour
encore une courte période" (p.s 307/8).
Lors de son retour, Rose Madder demande à Rosie de se souvenir de sa formule: "Je paie mes
dettes" (p. 309), d'un ton "sonore, brutal, meurtrier" (p. 311).
Des obscurités importantes subsistent. Madder est plus vieille que sa suivante- à supposer que le
temps s'écoule régulièrement dans leur monde. Rose Madder, pourtant avare de confidences
personnelles, dit elle-même à une question posée: "Je suis trop âgée et malade pour m'intéresser
à ces questions. La philosophie est le domaine des bien-portants" (p. 509).
Sur le bébé, nous ne saurons rien de plus34.

Rose Madder et les hommes.


"Les hommes sont des bêtes, reprit Rose Madder sur le ton de la conversation. On peut en
adoucir certains, puis les dresser. D'autres pas. Quand on tombe sur un homme que l'on ne peut
ni adoucir ni dresser -un sauvage-, devons-nous nous croire maudites ou trahies? Devons-nous
nous asseoir dans un fauteuil à bascule à côté du lit, par exemple- pour gémir sur notre sort?
Devons-nous mettre en colère contre le ka? Non, car le ka est la roue qui fait tourner le monde, et
l'homme qui se met en colère contre lui serait écrasé sous elle. Mais il faut régler le compte aux
bêtes sauvages. Et nous atteler à cette tâche le coeur vaillant, car la bête suivante peut toujours
être différente" (p.s 309/10). La bête suivante: Rose Madder serait-elle une sorte de spécialiste
cosmique de l'exécution des hommes enragés? Ce que confirmerait le propos de la suivante,
affirmant que Norman à la poursuite de Rosie va nécessairement passer par le temple. Comment le
sais-tu? demande Rosie. "Parce qu'ils le font tous", répond la servante (p. 475). Il semble donc y
avoir non seulement un décor de théâtre antique, mais encore un spectacle au scénario répétitif
avec des acteurs à chaque fois différents.
Cependant si Rose Madder évalue les hommes comme du bétail dangereux, les choses ne sont
pas tout à fait claires. Rosie a effectué son second passage avec Bill: "Tu dois partir, maintenant,
retourner dans le monde de la vraie Rosie, avec cette bête. Une bonne bête à ce que je vois", dit
Rose Madder. Bill la remercie de les avoir aidés. "Il n'y a pas de quoi, répondit Rose Madder d'un
ton composé. En échange de cette dette, traitez-la bien (...).
- Oui, je la traiterai bien. J'ai une idée assez précise de ce qui arrive aux gens qui ne le font pas.
Plus précise encore que je ne le voudrais, peut-être.
- Il est tellement mignon, dit Rose Madder songeuse; puis son ton changea, devint angoissé,
presque distrait. Prends-le tant que tu le peux, Rosie la vraie! Tant que tu le peux!
- Partez! s'écria Dorcas. Fichez-moi le camp tout de suite tous les deux!" (p. 510).
Ce dialogue ouvre des perspectives. Quand elle évalue Bill ("Une bonne bête à ce que je vois"), un
autre élément apparaît: "Une pointe de quelque chose -Rosie ne s'autorisa pas à penser qu'il
s'agissait de concupiscence- s'était glissée dans la voix de Rose Madder. «Bons jarrets, flancs
solides... (un silence), reins vigoureux»" (p. 507). Ajouté au «Il est tellement mignon», ce propos
est signifiant35. Rose Madder serait-elle fondamentalement une araignée dévoreuse d'hommes
violents, mais -devenue folle- serait-elle éventuellement aussi une mante religieuse croqueuse
d'hommes ordinaires, dont elle a pourtant elle-même reconnu la qualité? Quelles sont les limites de
son pouvoir? Pas seulement celui d'un bourreau fou chargé d'éliminer des coupables fous, mais
aussi un pouvoir maléfique par le plaisir qui y est pris à tuer? Pourrait aller jusqu'à la transgression,
mettre à mort un innocent, si la suivante n'y mettait bon ordre? D'où vient la férocité particulière de
Rose Madder? Et surtout, qui a mis en scène ce spectacle de mort?

Que fait Darcas?


La suivante noire joue un rôle particulier, analogue à celui du choeur des tragédies grecques. Elle
connaît parfaitement le rituel ("Ils le font tous") et veille au bon déroulement du cérémonial. Elle est
vigilante, rigoureuse mais bienveillante: elle conseille Rosie et cherche à faire en sorte qu'elle s'en
tire au mieux. Elle n'a pas confiance en Rose Madder, qu'elle essaie de contrôler.
Elle est une femme d'expérience. Quand elle se plaignait de ne pas vieillir, elle avait ajouté: «J'ai
enterré mes enfants et les enfants de mes enfants et ainsi de suite jusqu'à la cinquième
génération. J'ai vu les guerres aller et venir comme des vagues sur une plage qui effacent les
empreintes de pas et renversent les châteaux de sable. J'ai vu des gens brûler sur des bûchers,
des têtes fichées par centaines le long des rues de Lud, j'ai vu des princes sages assassinés pour
être remplacés par des fous, et je vis toujours»" (p. 307). L'allusion à l'univers de THE DARK
TOWER semble indiquer qu'elle est aussi d'une autre époque, postérieure à la nôtre36. Elle connait
même l'avenir immédiat de Rose Madder, dont celle-ci ne semble pas informée. Peut-être à cause
de sa folie?
Serait-elle une sorte de contrôleuse utilisée par la puissance suprême, qui utiliserait dans ce cas
Rose Madder (et par là-même l'Araignée ou un de ses avatars), pour exécuter les sanctions
prévues dans le rituel obligé? Elle est marquée: "Elle tendit le bras, et Rosie vit une tache rose qui
pulsait sur sa peau -sous sa peau- entre le poignet et l'avant-bras. Elle avait une tache identique
au creux de la main (...). «Ce sont les deux seules que j'ai, au moins pour le moment», dit la
femme" (pp. 272/3). Est-elle destinée à remplacer Rose Madder?

LES HUMAINS MANIPULÉS.


Comme si c'était le tableau qui l'avait vue.
Rosie, 32 ans, a vécu un enfer conjugal de quatorze années: son mari, Norman, devient de plus en
plus déséquilibré et il la martyrise. Depuis son mariage à 18 ans, rien ne lui a été épargné, comme
on l'a vu au § 1. Brusquement, elle quitte le domicile conjugal et s'en va à l'aventure.
Sa liberté retrouvée, Rosie est sur son nuage: "C'était également merveilleux de savoir ce qui
allait se passer après et de se sentir sûre qu'il n'allait pas arriver quelque chose d'inattendu qui la
ferait souffrir" (p. 90).
Est-elle partie sur un coup de tête? On pourrait le croire. Il n'en est rien. Rosie est distinguée
depuis l'enfance, pour un destin particulier. "Peu à peu, l'univers se réduit à celui des rêves dans
lequel elle vit, rêves comme ceux qu'elle faisait, petite fille, et dans lesquels elle courait, courait
dans une forêt dépourvue de sentiers ou dans un labyrinthe crépusculaire, avec derrière elle le
bruit des sabots d'un grand animal, d'une créature démente et redoutable qui ne cesse de se
rapprocher" (p. 21).
Dans l'autobus qui l'emmène elle ne sait où, elle rêve à nouveau: "Elle n'était plus dans le corridor
gris, mais dans un espace dégagé et sombre. Son nez -toute sa tête- était plein d'odeurs estivales
tellement prenantes qu'elle en était submergée (...). Elle entendait les grillons et, lorsqu'elle leva
les yeux, elle vit la face d'os poli de la lune, courant très haut dans le ciel" (pp. 49/50). Toutes
sensations qu'elle trouvera lors de son passage dans l'autre monde. Toujours en rêve, elle voit
Norman tenant "à la main une sorte de masque souillé de sang et de débris grumeleux de
viande" (p. 135). Ces rêves sont évidemment prémonitoires, des éléments du scénario dans lequel
elle se trouvera ultérieurement plongée.
Quand elle achète, sur une sorte de coup de foudre, le tableau, porte des deux mondes, tout se
passe en fait "comme si c'était le tableau qui l'avait vue" (p. 105).

La force surnaturelle qui était en elle.


Le tableau va occuper une place de plus en plus grande dans son existence. Il l'interpelle "d'une
voix silencieuse" (p. 165). Quand elle rencontre des problèmes, c'est la femme du tableau qui la
rassure et la calme: "La femme du tableau n'aurait pas peur, la femme au chiton rose garance ne
craindrait pas quelque chose d'aussi simple" (p. 157) ou: "Pense à la femme de la colline (...).
Pense à la manière dont elle se tient, sans avoir peur de ce qui pourrait venir dans son dos. Elle
n'a pas la moindre arme sur elle, mais elle n'a pas peur" 37(p. 159). Elle cherche à ressembler à la
femme du tableau, se fait teindre les cheveux en blond, les tresse.

Quand elle passe dans l'autre monde, ses actions sont régies par une avalanche d'instructions et
d'interdits, codifiés dans le moindre détail. Il n'est pas répondu aux demandes d'explication: "Ça
sert à rien de perdre son temps aux questions. En particulier les questions d'homme" (p. 273).
Ces instructions, par leur diversité et leur manque de lien apparent, font penser à l'invraisemblable
compilation du Code Deutéronomique38: "Va dans le temple! Traverse-le et ne t'arrête sous aucun
prétexte! N'y ramasse rien (...). Franchis la porte de l'autre côté de l'autel (...). Il y a un ruisseau! Il
ne faut pas boire de son eau, même si tu meurs de soif!", etc. (p. 276).
Quand Rosie, à son second passage, demande pourquoi elle "doit faire ça", Dorcas lui répond:
"Parce que c'est comme ça qu'elle veut que les choses se déroulent, et que ce qu'elle veut, elle
l'obtient" (p. 473). Même quand il y a une initiative à prendre (ramassage des graines: "Si je savais
pour quelles raisons je dois les prendre" (p. 290), les choses sont ainsi faites que tout se combine
parfaitement: Rosie, sans le savoir, ramasse exactement le nombre de graines déterminé pour
l'usage pour lequel elles étaient prévues -sorte de fil d'Ariane-; et s'il en reste trois, c'est qu'elles
sont destinées à un autre usage (p. 320), sur lequel on reviendra.
Sa mission remplie, Rosie reçoit les compliments de la suivante: "Tu as été sensationnelle" (p.
311). Elle aurait dû plutôt dire: tu as été une exécutante remarquable, d'une discipline exemplaire.
La signification n'est évidemment pas la même...

Quand elle revient la première fois de l'autre monde, Rosie a ramené le bracelet d'or de Rose
Madder. La seule pensée du bracelet lui donne de la force dans son combat contre Norman: "Elle
avait besoin de toute la force que lui conférait le bracelet d'or" (p. 455), qui lui donne l'agressivité
nécessaire: "Elle tira avec toute la force surnaturelle qui était en elle" (p. 458).
Même la qualité de sa voix, qui lui a permis de trouver un emploi de lectrice, est le résultat d'une
détermination: d'une part, elle rencontre le producteur dans la boutique où elle a acheté le tableau;
d'autre part, son souffle lui vient d'une bonne respiration formée par le contrôle de ses cris quand
Norman la battait...(p. 209).
Ainsi, non seulement une Puissance se sert de la docilité de Rosie, dont son mari avait déjà
largement abusé, mais encore lui donne l'impression que c'est elle qui décide librement: elle jubile
ainsi devant sa liberté retrouvée (p. 51) et pense qu'elle ne dépend que d'elle-même (p. 161), alors
qu'elle est systématiquement utilisée.

De la soumission à la rage.
Rosie est passée peu à peu de la peur de son mari à la haine, à la rage. Et la timide Rosie se met
à proférer des propos inhabituels pour elle: "«Cest de Norman qu'il s'agit. La bête puante venue
pisser sur notre pique-nique. l'espèce d'enculée de sa hyène». Elle entendit sortir de sa bouche le
mot enculée et eut peine à croire qu'elle venait de le prononcer" (p. 410). "Je suis folle de
rage" (p. 411). Cette rage dure tant que Norman n'est pas mort: "Tuez ce salopard, débarrassez-
m'en. Je veux l'entendre crever" (p. 492).
Mais elle ne revient pas indemne de ce voyage de folie et de rage. Déjà, dans l'autre monde, Bill
avait remarqué: "Tu as l'air de quelqu'un d'autre (...), quelqu'un de dangereux" (p. 474). A son
retour dans ce monde, lors du coup de téléphone d'un policier, elle pense «les hommes» "en
roulant des yeux" (p. 516), comme son mari disait «les femmes». Alors qu'elle n'a jamais fait de
remarques désagréables à Bill, elle lui reproche: "J'ai horreur de t'entendre tousser de cette
façon" (p. 517).
Rosie a découvert la colère: "Au lieu de réprimer cette émotion, Rosie alla à l'encontre de toute sa
vie passée à se contrôler et en jouit. Ça faisait du bien, d'être en colère, d'être autre chose que
terrifiée" (p. 293).Puis le temps passe et elle essaie, mais vainement, d'oublier ce passé.

Norman, le taureau-mordeur.
Norman joue dans le roman un rôle moins intéressant que celui de Rosie, mais il est le moteur qui
relance sans cesse l'action. En plus, symboliquement, il est celui autour duquel la tragédie
s'organise.Son cas ne sera que très peu développé, la symétrie entre les deux mondes s'effectuant
de la même manière que pour Rosie, avec des modalités peu différentes.
Taureau, il l'est doublement. Physiquement d'abord: athlétique, "para borné au crâne rasé" (p. 82).
Ensuite par son métier: c'est un «bull», un flic. On a vu dans le § 1 que son enfance n'a pas été
rose... De là proviennent ses problèmes sexuels: presque impuissant, il ne peut passer à l'acte que
quand il commet des sévices violents sur ses partenaires, notamment en mordant. C'est un flic
tueur et violeur, un enragé qui ne vit que de sa propre fureur39 . Comme Jack Torrance dans THE
SHINING 40, il perd peu à peu son équilibre mental.

Son mariage est un affreux ratage, et quand, après quatorze années de martyre, Rosie le quitte -
comme sa propre mère avait quitté son père quand il avait douze ans-, il se met à la rechercher.
Non par amour, mais parce qu'il est rongé par deux obsessions: comment sa femme a-t-elle pu
trouver l'énergie de le quitter alors qu'il n'avait pas perçu de faits annonciateurs, et pourquoi a-t-elle
osé se servir une fois de sa carte bancaire. Ses intentions sont claires: lui faire durement payer ces
affronts. Rien ne l'arrête, violences, meurtres, dans cette recherche.
Comme Rosie, il est surveillé par les forces, tantôt favorisé, tantôt contrecarré. Plusieurs fois il
manque la rencontrer: il voit Rosie de dos dans un bar, mais elle a copié sa coiffure sur celle de
Rose Madder, et il ne la reconnaît pas (p. 212). Il s'installe dans l'hôtel où Rosie a été quelque
temps femme de chambre et qu'elle vient de quitter pour un autre emploi (p. 154). Il va acheter du
pain chez un boulanger où Rosie vient de passer et il profite des informations qu'il peut lire sur une
affiche qu'elle y a laissée (p. 237).Ces coïncidences sont signifiantes. Il fait de même des rêves
prémonitoires, que sa suffisance ne lui permet pas de comprendre: "Il [la] vit quitter le jardin bizarre
aux arbres morts et s'approcher d'un ruisseau aux eaux tellement noires qu'on aurait cru de
l'encre. Elle le traversa à gué (...) et il vit alors qu'elle tenait une espèce de chiffon roulé en boule
et mouillé à la main. On aurait dit une chemise de nuit et Norman pensa: Pourquoi ne l'enfiles-tu
pas, espèce de salope en chaleur?" (p. 325). Sa rage contre Rosie ne lui permet pas d'intégrer la
situation ou d'en tirer ultérieurement profit.
Après diverses péripéties, dans une fête foraine il vole à un enfant le masque de Ferdinand le
Taureau. Dans sa folie, il ne trouve pas anormal que le masque/entité-toro41 lui parle, le considère
comme son patron, lui donne des conseils, lui désigne les objets nécessaires (p.s 418/9), le
relance sans cesse. Peu à peu Norman et le masque maudit ne feront plus qu'un: tout est prêt pour
le sacrifice.

Ainsi Norman se croyait fort: il n'était qu'un toton, relancé sans cesse par une force démente.
Même destin pour Rosie.On doit même constater que si le michrone Ralph, dans INSOMNIA, avait
pu trouver une marge de manoeuvre pour négocier avec les puissances supérieures, ce n'est pas
le cas de Rosie, marionnette dérisoire et manipulée, fidèle d'un ordre qu'elle suit comme une
obéissante moniale.

FORCES ET AGENTS.

On se trouve ainsi dans un monde fabuleux, où légendes, mythes et croyances se mêlent au


quotidien. Et du descriptif, il faut maintenant passer à l'explicatif. Je m'attacherai particulièrement à
deux points: Érinyes et l'Araignée.
Le substitut.
La pensée primitive, ou magique42, procéde par l'association d' idées par similarité ou substitution,
magie homéopathique en quelque sorte: les choses qui se ressemblent -même si les proportions,
les qualités ou les quantités ne sont pas les mêmes- sont interchangeables. Une chose réelle peut
être ainsi remplacée par une autre, suivant un schème associatif, et aura une fonction identique43.
C'est le sens de la transformation lente de Norman en taureau, avec le masque de Ferdinand qui
lui devient consubstantiel. Faute de pouvoir atteindre le taureau réel, sa mise à mort serait amenée
par le meurtre de son simulacre. Lou Van Hille a proposé une hypothèse ingénieuse, en liaison
avec THE DARK TOWER: L'Araignée ne pourrait pas affronter directement les gardiens de la Tour,
quelle que soit leur nature. Elle n'a donc pas la possibilité d'éliminer directement le taureau-
gardien, ce qu'elle ne peut faire qu'en supprimant son substitut, le minotaure Norman-toro44.

Intentionnel et Aléatoire.
Le nom du taureau du labyrinthe, Érinyes, ne doit évidemment rien au hasard et parler de déesse
de la vengeance, sans plus, est insuffisant. Les Érinyes sont des divinités violentes, les plus
anciennes du panthéon héllénique45. Elles sont les protectrices de l'ordre social et elles châtient
tous les crimes capables de le troubler. Celles que les Latins appellent «les Furies» poursuivent
les criminels fauteurs de troubles et leur infligent la folie ou des châtiments particulièrement
atroces.Elles préservent l'ordre du monde contre les forces anarchiques. Autre caractéristique
intéressante ici: ces forces primitives font partie des Destins46 et les dieux, même Zeus, doivent
leur obéir. L'essence de la tragédie grecque.
Tout ce préambule pour suggérer l'hypothèse que des représentants subordonnés à l'ordre des
Ténèbres peuvent être contraints d'obéir à des décrets supérieurs. Ne retrouvons-nous pas ici,
sous une forme à peine différente, la distinction faite dans INSOMNIA entre l'Intentionnel et
l'Aléatoire? quand une des Parques affirme: "L'Aléatoire est insensé. L'Intentionnel est rationnel" ?
Et on peut imaginer que dans un monde parallèle au nôtre, mais dans un cadre historico-temporel
différent, Rose Madder soit contrainte à jouer le rôle de violence qui est le sien, mais à contre-
emploi et dans une perpective différente47.

L'équilibre du ka.
Pour qui roule Rose Madder? Elle est maléfique, mais en même temps elle détruit les porteurs du
mal -et ce faisant, contribue au bien. Elle semble effectuer une tâche de purification, alors qu'elle-
même fait partie de la catégorie des taureaux humains, fous-dévoreurs, qu'elle exécute.
Contradictoire. Ou la dette?

Maléfique, est-elle utilisée malgré elle dans une fonction de remise en ordre, en équilibre? Cela
pourrait expliquer ses réticences et sa réserve, comparativement à Dorcas, qui s'implique bien
davantage, et, quoique suivante, ne participe pas directement à l'oeuvre de purification dévorante
de sa maîtresse.
Cette hypothèse entraînerait des implications particulières à justifier: Pennywise, alias le Roi
Pourpre, alias Rose Madder serait-il lui-même utilisé? La tâche de vengeance et de châtiment
serait inspirée par l'ordre de la lumière ou son représentant suprême? Ce serait l'éradication des
nuisibles, comme y est astreinte Rose Madder, de manière répétitive: "lI faut régler le compte aux
bêtes sauvages. Et nous atteler à cette tâche le coeur vaillant, car la bête suivante peut toujours
être différente" (p. 310)
Et l'aléatoire -ce qui n'est pas cohérent dans le monde- serait alors l'ensemencement, la
perpétuation de la rage folle? Détruire le mal et permettre simultanément sa réapparition, la
destruction de certains nuisibles redoutables comme Norman s'expliquant alors par le maintien du
ka, de l'équilibre entre l'Intentionnel et l'Aléatoire? Par une politique cosmique analogue à celle
appliquée pour les animaux des parcs naturels soumis aux quotas?
Tâche sans cesse renouvelée. Puisqu'il ne s'agit pas de diminuer la noirceur du monde, mais de
respecter des arrangements divins...

Mise à mort et ensemencement... Et ainsi permettre au mythe de se poursuivre: cela expliquerait la


continuïté de la violence et de la rage dans le monde... Et cela explique enfin le nom du taureau,
Érinyes, qui représente la vengeance, la poursuite du meurtrier et le maintien d'un certain ordre.
D'où l'explication proposée pour ce décor de théâtre, lieu symbolique où périssent les enragés: la
violence, la rage, comme le mal, renaissent sans cesse, au point de troubler l'ordre cosmique. Et
c'est une femme violente, une folle, qui, symboliquement, parce qu'elle est elle-même marquée par
la rage, devient l'agent des forces de réparation en détruisant l'élément perturbateur. Elle est en fin
de cycle: "Elle commence à perdre le contrôle de toutes ses formes, de toute sa magie, de tout
son charme, bientôt tout va s'effondrer" (p. 508). Et Rose Madder, après avoir revu sa fille,
"entamerait alors seule le voyage vers l'endroit où les créatutres comme elles se rendent, quand
l'heure de leur mort a enfin sonné" (p. 527). Avec derrière elle une suivante, déjà tachée et
connaissant bien les rituels...
Quelle dette doit précidément payer Rose Madder en mettant à mort les taureau-toro, en arrêtant
ainsi la vendetta et en rétablissant provisoirement l'équilibre, le ka? On n'en sait rien. Elle semble
lasse, comme le sembleraient l'indiquer les remarques qu'elle a faites sur son âge. En tous cas,
elle continue de suivre Rosie dans son monde et de l'influencer. Et elle lui a communiqué un
moyen de ne pas à son tour tomber dans le piège de la violence

ROSIE ET LA RAGE.

Avant de reprendre l'histoire de Rosie, il faut éclaicir deux points particuliers: la fonction des
graines et le rôle de la renarde.

La renarde.
La plus dangereuse maladie du renard est la rage.
Au cours d'un pique-nique au début de leur rencontre, Rosie et Bill ont vu dans une clairière une
renarde allaitant ses petits. Rosie s'inquiète pour les renardeaux: ne vont-ils pas être chassés?
Non, répond Bill, pas "s'ils restent normaux" (p. 354), s'ils ne causent pas de désordres en s'en
prenant aux poulaillers et aux hommes. Et il lui apprend une de leurs caractéristiques: "Les
femelles en souffrent plus souvent que les mâles et transmettent alors leur comportement
dangereux à leurs petits. Les mâles en meurent rapidement. Mais une renarde peut survivre
longtemps avec la rage, malgré un état qui ne cesse d'empirer" (p. 353).
Rosie restera fortement marquée par le souvenir de la renarde, que la rage menace, consonance
de sa propre vie menacée par la rage de Norman. Rosie a été mordue et le spectre de la rage n'est
pas éloigné. Les mâles en meurent facilement, mais une renarde peut survivre longtemps avec la
rage ...

Les trois graines.


Rentrée définitivement dans son monde, Rosie veut se débarrasser des trois graines qu'elles a
gardées et va les jeter dans les toilettes: "«Une pour la renarde», dit-elle en la laissant tomber
dans la cuvette. L'eau prit immédiatement une sinistre teinte rose garance. On aurait dit que
quelqu'un venait de s'entailler les poignets ou de se couper la gorge. L'odeur qui en montait
n'était pas celle du sang, mais l'arôme amer, légèrement métallique du ruisseau". Interprétation:
l'évacuation de la possibilité de la rage avant qu'elle ne s'installe (le rouge du sang) et l'oubli
(l'odeur du ruisseau).
Elle jette la seconde graine: "«Une pour la folle», dit-elle, la jetant à son tour dans la cuvette. La
couleur devint plus intense -couleur de caillots et non plus de sang". Rappel de l'horreur de la
rage et de son ultime issue, la mort.
Elle veut jeter la troisième: "«Et une pour moi», dit-elle. «Une pour Rosie»". La fin souhaitée de
l'histoire? En tous cas, elle ne parvient mentalement pas à jeter cette dernière graine et le refrain
cent fois entendu la poursuit: "Souviens-toi de l'arbre" (p. 524).

Les comptes se déséquilibrent.


Rosie, réduite maintenant à ses seules forces, essaie d'oublier ce passé redoutable. Elle se marie
avec Bill, a une petite fille. Mais les problèmes commencent. Lors du choix de leur future maison,
"la discussion devient houleuse, leurs positions respectives se durcissent et le débat dégénère en
dispute -chose bien triste, mais qui n'est pas une rareté; même la plus douce et la plus
harmonieuse des unions n'est pas à l'abri d'une querelle, voire d'une scène de ménage de temps
en temps" (p. 354).
Mais si très vite Bill s'excuse, ce n'est pas le cas de Rosie: "Elle n'est pas en colère, elle est dans
une rage noire, une rage presque assassine; et son silence n'a rien d'une bouderie enfantine,
c'est plutôt un effort frénétique pour (...) se retenir de s'emparer de la casserole d'eau bouillante
en la lui jetant à la figure. Le tableau, par trop vivant, qu'elle voit dans sa tête est à la fois
écoeurant et abominablement séduisant: Bill partant à reculons, hurlant tandis que sa peau prend
une couleur rougeâtre" (p. 535). Rosie comprend: elle a ou va avoir la rage, et elle attend
l'apparition des taches révélatrices qui vont marquer sa peau, comme était marquée celle de Rose
Madder.

Pour calmer ses pulsions et vaincre cette fatalité, elle fait du sport, de l'entraînement à un
«pratique» de base-ball. Elle s'améliore vite, renvoie la balle comme si celle-ci a "commis un acte
qui l'a offensé" . Et à la grande surprise des joueurs présents: "Rosie hurle littéralement, un cri de
rapace affamé, et la balle repart dans le tunnel, formant une ligne blanche horizontale. Elle frappe
le filet... et passe au travers" (p. 536).
Mais bientôt ces exutoires ne lui suffisent plus: au travail, elle a des pulsions criminelles à l'égard
de son employeur Rhoda, identiques à celles qu'avait Norman,: elle se voit lui enfonçant "la tête
dans la table de mixage (...) Elle fiche ses ongles dans la gorge palpitante de Rhoda et la
déchiquette, lui enfouissant le visage dans la flaque de sang qui se forme, afin de baptiser la
nouvelle vie contre l'avènement de laquelle elle luttait si stupidement" (p. 538).
Va-t-elle flancher? Non, heureusement. Elle rêve à nouveau de l'arbre. Mais quel arbre, pense
Rosie:
"L'Arbre de la Vie?
L'Arbre de la Mort?
L'Arbre de la Connaissance?
L'Arbre du Bien et du Mal?" (p. 531). et elle se rend compte qu'elle s'est "trompée d'arbre" (p. 539)
48.

L'arbre de sa rage.
Ce qui sépare le juste de la brute, le positif du négatif, une Rosie d'un Norman, c'est la capacité de
reconnaître le mal dont on rêve et à le rejeter comme ligne de conduite dans la réalité.
Rosie entend en songe la voix de Bill, parlant des renardeaux: "Ils s'en sortiront s'ils restent
normaux. S'ils restent normaux et se souviennent de l'arbre" (p.539). Elle retourne dans la
clairière, non loin de l'endroit où jadis Bill lui a déclaré son amour, et où se trouvait un arbre mort
identique à celui de la clairière de l'autre monde. Elle creuse la terre, plante la dernière graine
cerclée par la bague de son défunt mari, sous le regard de la renarde toujours présente et formule
sa demande: "S'il vous plaît, répète-t-elle à voix basse d'un ton incertain. Faites que je ne
devienne pas ce que je crains de devenir...Je vous en prie... aidez-moi à garder mon calme et à
ne pas oublier l'arbre" (p. 540).
Rosie s'efforce de se souvenir de l'arbre, et elle comprend que "l'arbre de sa rage" (p. 543) est
devenu le symbole de sa reconquête. Régulièrement, elle vient en pélerinage et voit son arbre
grandir. Ses mains et son visage ne se sont pas tachées: elle a su, à temps, évacuer sa rage et
sait maintenant la contenir49. Elle éprouve un grand sentiment de gratitude: "C'est ce sentiment de
gratitude qui la pousse à chanter. Elle doit chanter. Elle n'a pas le choix" (p. 543).
Et ceci sous le regard de la renarde vieillie, qui manifeste l'indifférence que des héros de King ont
si souvent reproché à Dieu. Rosie "ne lit aucun message clair dans les yeux noirs de la renarde,
mais il est impossible de se tromper sur ce qu'il y a de fondamentalement sain dans le cerveau
intelligent qui se cache derrière" (p. 543). On peut accepter un Dieu indifférent, mais supporter un
Dieu fou...
Elle doit chanter, "elle n'a pas le choix", et cette réflexion est significative: car Rosie n'est pas
vraiment heureuse. Elle a fait ce qu'elle a dû. Mais il n'est pas facile de bien se conduire dans
l'insécurité laissée à ses seules forces sous l'oeil redevenu indifférent des puissances supérieures.

Un bilan.
- ROSE MADDER a une force particulière dans l'oeuvre de King. Un climat psychiatrique singulier
où le bourreau-mordeur-fou d'un monde tue en le dévorant le bourreau-mordeur (devenue victime)
issu d'un autre monde. Et aussi le climat déprimant de ces deux univers emboîtés, dont les
événements qui se déroulent ont un sens masqué aux marionnettes dont les fils sont tirées par
d'autres mains (pattes?) ignorées.
- Sur le plan de la construction, c'est un habile enchevêtrement de plusieurs éléments de
l'imaginaire collectif occidental: ce cocktail de composants bibliques et de mythologie grecque50 ,
avec une bonne dose du mythe kingien de la Tour Sombre, est bien composé et réussi. Depuis
THE TALISMAN, le procédé n'est certes plus neuf, mais il n'avait pas encore pris cette ampleur. Cet
essai est particulièrement réussi51, alors qu'il y a beaucoup de confusion dans la tentative suivante
de DESPERATION. D'après Lou Van Hille, le procédé est encore plus développé dans le quatrième
volume de la Tour Sombre52.
Le tout dans un climat de critique sociale qui l'ancre bien dans notre époque.

- S'il y a dans le roman des êtres positifs qui, dans une action collective, essaient de venir en aide
aux autres, il faut bien constater qu'ils ne sont pas nombreux. ROSE MADDER est encore un de ces
romans où le sauvetage individuel prime la solution collective. Rosie n'est pas vraiment intéressée
par les autres: son seul salut l'occupe et elle manque totalement d'ouverture au monde qui
l'entoure. Même quand, mariée, elle essaie de vaincre sa rage, elle ne le fait pas dans une tâche
collective, mais dans la solitude d'un affrontement personnel.
Dans la difficulté, elle a utilisé des services. Mais elle n'en rend pas. Elle ne milite pas dans une
association de secours aux femmes battues. Ses dettes finalement ne concernent pas le monde
des humains.

-Sur le plan littéraire, ROSE MADDER est un prolongement intéressant d'INSOMNIA dont il ne
possède heureusement pas les longueurs. ROSE MADDER ne rend que plus décevants les romans
qui ont suivi. Si THE GREEN MILE est bien construit, habilement agencé -et la lecture en continuité
renforce cette impression53-, cette histoire morale racontée par un Dolorès mâle n'ouvre pas de
vastes perspectives cosmiques. DESPERATION a des prolongements philosophiques, mais
beaucoup de longueurs. Le plus vif, THE REGULATORS, bourré de trouvailles, est aussi le plus
limité en perspectives et montre malheureusement en finale ce dont est capable King quand il ne
domine plus son sujet et se relâche.

Reste le problème individuel et social soulevé sans solution: puisque la violence est en nous,
inévitable, comment la canaliser en luttes constructives? Ou sommes-nous condamnés à ne jamais
progresser collectivement dans un combat qui nous dépasse?

Roland Ernould © 1997.

Notes :

1 ROSE MADDER 1995, éd. fr. ROSE MADDER 1997, p. 492.

2 THE GREEN MILE 1996, éd. fr LA LIGNE VERTE, Librio 1996 ; DESPERATION 1996, éd. fr.
DÉSOLATION, Albin Michel 1996; THE REGULATORS 1996, Richard Bachman, éd. fr. LES
RÉGULATEURS, Albin Michel 1996.

3 GERALD'S GAME 1992, éd. fr. JESSIE Albin Michel 1993.

4 DOLORES CLAIBORNE 1993, éd. fr. DOLORES CLAIBORNE Albin Michel 1993.
5 INSOMNIA 1994, éd. fr. INSOMNIE, Albin Michel 1995.

6 Voir l'étude de Lou van Hille LA TOUR SOMBRE: En Attendant WIZZARD AND GLASS, Steve's
Rag, hors-série n° 4, avril 1997.

7 King n'a cessé de reprendre cette distinction dans ses diverses préfaces ou notes depuis son
essai DANSE MACABRE, 1981, où il l' avait explicitée. Ces adjectifs sont aussi plusieurs fois
utilisés dans ses romans. Rappelons que ces distinctions ont été faites par Ruth Fulton
BENEDICT, dans PATTERNS OF CULTURE , Boston, 1934, tr. fr. ECHANTILLONS DE
CIVILISATIONS, Gallimard 1950. Les hommes ou sociétés apolliniens.tendent vers la recherche
d'un bonheur équilibré et raisonnablement régulé (Apollon est le dieu du soleil, de la beauté et de
l'harmonie). Les dionysiaques (Dionysos représente l'instinct et la violence) sont axés sur la
compétition et tendent à promouvoir une personnalité agressive. Voir aussi mon étude Rage,
Révolte, Désespoir, Steve's Rag n° 16, octobre 97, p. 10.

8 King a des pulsions colériques violentes et il s'en méfie. Un exemple: "Quand j'ai écrit THE
SHINING, j'étais un jeune parent. J'avais deux enfants de quatre et deux ans". Il fait allusion au
père idéalisé des comédies américaines: "Tout était amusant, tout était gaieté, tout était brillant.
Le père n'avait jamais la gueule de bois. Le père n'aurait jamais dit à ses gosses: «Si vous le la
fermez pas, je vous enfonce le crâne!». Le père n'aurait jamais pensé: «Si ma femme ne me
laisse pas tranquille, je jure devant Dieu que j'attrape cette machine à écrire et que je lui aplatis
la tête avec!». C'était choquant pour moi. Ça n'aurait pas dû ...
Il y a une part de nous qui est horrible, il y a des jours où les gens ne se sentent pas humains, où
ils sont de mauvaise humeur, où ils sont fatigués. Nous, des êtres humains après tout! Mais être
aux prises avec ces émotions négatives, pour moi, était un choc; découvrir que je pouvais
ressentir de la colère envers mes enfants, à tel point que parfois je souhaitais qu'ils ne soient pas
là pour faire ce que je voulais faire tout de suite au lieu de le reporter. J'ai mis beaucoup de ces
peurs et de la triste découverte de ces sentiments dans ce livre", extrait de l'interview de Martin
Coenen, in KING, Les Dossiers de Phénix 2, éd. Lefrancq, Bruxelles 1995, p. 48.

9 Son comportement est proche de celui de Todd Bowden, dans Apt Pupil, la nouvela des
DIFFERENT SEASONS 1982, éd. fr DIFFÉRENTES SAISONS, Albin Michel 1986.

10 Processus déjà bien amorcé dans son enfance: "Elle courut comme lorqu'elle était petite fille"
avant que sa mère lui eût enseigné "ce qu'il était bienséant ou non de faire pour une dame (courir,
en particulier lorsqu'on a des seins qui ballottaient devant soi ne l'était absolument pas) " (p.
487). Ces éducations restrictives contraignantes ont été souvent dénoncées par King.

11 Comme le fera plus tard dans THE REGULATORS la tante de Seth martyrisée parTak: il faut
incidemment noter que cette évasion mentale récupératrice se fait sur une colline dans un monde
parallèle, et que la filiation est évidente avec la femme au chiton sur la colline du tableau.

12 Il y en a, heureusement, d'autres qui sont positifs. Mais on éprouve quand même l'impression
que Steve charge les autorités ces dernières années. Le shérif du comté où se passe l'action de
THE GREEN MILE est un ivrogne, "mort d'une crise cardiaque, vraisemblablement en sautant une
beauté noire de 17 printemps, lui qui ne sortait plus sans sa femme et ses six enfants à
l'approche des élections" parce qu'il "fallait avant tout poser en respectable père de famille
"(1.44). De même dans THE REGULATORS, Collie Entragian est un flic radié pour usage de
drogue et on le craint dans le quartier (p. 30). Sans s'étendre sur le surprenant flic du même nom
qui est possédé par l'entité Tak dans DESPERATION.

13 Ou Parques, pour les Latins et mot utilisé par King, qui garde cependant les noms grecs des 3
Moires. Les Moires incarnaient une loi que même les dieux ne pouvaient transgresser sans mettre
l'ordre du monde en péril. Les Moires appartiennent à plusieurs croyances méditerranéennes,
scandinaves ou germaniques: par exemple, les Nornes, déesses du destin, interviennent dans
L'ANNEAU DU NIBELUNG, l'opéra mythique de Wagner.

14 Il avait fait intervenir précédemment Pan dans une nouvelle, The Lawnmover Man, La
Pastorale, in NIGHT SHIFT 1978, éd. fr. DANSE MACABRE, Lattès 1980.

15 Le personnage de Rose Madder est inspiré des aventures de Déméter, déesse des moissons,
et de sa fille Perséphone. Ce mythe très répandu dans les contrées où le blé était cultivé, donnait
une explication des saisons. Perséphone, fille de Zeus et de Déméter, fut enlevée par Hadès et
conduite aux Enfers. Après de multiples péripéties, pendant lesquelles Déméter fit grève et les
hommes eurent de la peine à s'alimenter, Zeus trouva un compromis en rendant Perséphone à sa
mère la moitié de l'année, temps qui correspond à la levée du blé jusqu'aux moissons, et en la
renvoyant six mois aux Enfers, ce qui entraîne pendant cette période la stérilité de la terre...

16 La femme au chiton se présentera ultérieurement sous ce nom.

17 Rhadamanthe, fils de Zeus, était renommé pour sa sagesse et sa justice. On lui attribuait
l'organisation du code civil crétois, qui a servi de modèle aux cités grecques. C'est pour cette
raison qu'il avait été désigné comme l'un des trois juges des Enfers, avec Minos et Éaque. D'une
certaine manière, le poney dont il n'y a pas "à s'inquiéter" (p. 269)" paraît être spectateur (juge?)
lointain de la tragédie.

18 Les souvenirs de Rosie -ou de King- paraissent imprécis: il n'y a jamais eu de taureau dans le
labyrinthe, mais le Minotaure, à tête de taureau sur un corps humain, comme Norman.
Minos, fils de Jupiter, est devenu roi de Crète en s'imposant contre ses rivaux grâce à un signe
divin, manifestation de son bon droit. Poséidon lui envoya un taureau blanc, symbole de Zeus.
C'est de ce taureau que s'éprit Pasiphaé, l'épouse de Minos. Elle fit confectionner par l'ingénieur
Dédale une génisse en bois et le taureau s'y laissa prendre. Naquit le Minotaure, que Minos,
honteux et effrayé par le monstre, fit enfermer dans un immense palais labyrinthique construit par
le toujours dévoué Dédale. Le monstre recevait régulièrement un tribut de jeunes gens et de
jeunes filles pour sa pâture.
Dans tout le Proche-Orient, le taureau était adoré comme un emblème de fertilité et de force (il est
très probable que le Veau d'Or adoré par les Hébreux pendant que Moïse recevait les
commandements de Dieu était un taureau).
Par contre, chez les Grecs, le Minotaure symbolisait la puissance destructrice des mondes de
l'obscurité.

19 Allusion ici à l'oeil de Cyclope? L'utilisation de l'oeil unique avait déja été faite dans IT 1986, éd.
fr. ÇA, Albin Michel 1988.

20 Comme le Minotaure, auquel il fallait sa ration de chair humaine fraîche chaque année.
21 L'époux de Rhéa, Cronos, avait la déplorable habitude de manger ses enfants. Mais le sixième
nouveau-né, Zeus, fut caché et Rhéa donna à Cronos une pierre enveloppée de langes souillés.
Cronos dévora cette pierre qu'il prit pour l'enfant. Zeus était sauvé, comme l'avaient prédit les
Destins qui avaient annoncé un Dieu de la Lumière. Maintenant l'ordre et la justice pouvaient
régner dans le monde, inspirés par les Destins, dont les Moires et les Érinyes en sont les
manifestations.
On peut faire le rapprochement entre la petite fille inconnue sauvée (future déesse? De quel
ordre?) et le taureau leurré.

22 On se retouve à nouveau dans les croyances chrétiennes: l'image ne peut être que celle du
diable, le minotaure ayant une tête de taureau, mais un corps d'homme. Ou peut-être Pan, qui a
des sabots, ce qui nous ramène aux croyances hélléniques.

23 Mais Norman doit aussi y entrer: rituel de la première visite? Ou peut-être pour les chauves-
souris, qu'aime bien King?

24 King reprend un thème qui lui est cher: l'église maudite de NIGHT SHIFT 1978, éd. fr. DANSE
MACABRE, Lattès 1980, 1-Jerusalem's Lot, Celui qui garde le ver et 16-Children of the Corn, Les
enfants du maïs.

25 Ce ruisseau est un amalgame de deux ruisseaux de la mythologie grecque, qui coulent aux
Enfers: le Léthé, source de l'oubli, dont les morts buvaient l'eau pour oublier leur vie terrestre; et le
Styx, aux eaux noirâtres et vénéneuses, le long duquel erraient misérablement les âmes des morts
qui n'avaient pas été ensevelis.

26 Je n'ai pas d'explication à proposer.

27 Deux allusions dans le récit, p.s 287 et 353. Idée déjà utilisée avec les racines des arbres qui
agressent Jack Sawyer dans THE TALISMAN 1984, Stephen King et Peter Straub, éd. fr. LE
TALISMAN DES TERRITOIRES, Robert Laffont 1986

28 A quoi il faut ajouter les asticots qui sortent d'un doigt de Rose Madder ou les insectes dans sa
gorge (p.s 272, 496 et 508): rien à faire, King se croit toujours obligé de placer ces accessoires
usés dans ses romans...

29 "Ne vous inquiétez pas (...). Il ne mord que l'herbe et le trèfle" (p. 269).

30 Reprise du mythe des Gorgones, qui étaient trois, dont Méduse, qui pétrifiaient le téméraire qui
les regardait.

31 On a bien sûr fait le rapprochement entre la Rose, symbole de la Tour, qui est malade et Rose
Madder. On ne voit pas bien actuellement sur quoi cela débouche.

32 On sait que Rose Madder est passée (ou est toujours?) dans le monde de Roland, puisqu'elle
estt passée par les Terres Dévastées et la ville de Lud (p.307). Alors, maladie «des rayons» qui a
détruit et contaminé en grande partie le monde de Roland?

33 Rappelons que Pennywise, l'Araignée de IT pond des oeufs et que le Roi Pourpre d'INSOMNIA
est aussi une femelle prête à pondre.

34 Il ne semble pas être dans le panier qui se trouvait dans la carriole, où les vêtements de Rosie
ont été déposés (p. 504). A un moment, Rose Madder dit: "Il me tarde de le voir" (p. 509): serait-il
déjà ailleurs?

35 Quelques instants plus tôt, Rose Madder a dit à Rosie: "Il est temps que tu partes, Rosie la
vraie. Toi et ton homme. Je peux lui donner ce nom, vois-tu. Ton homme, ton homme" (p. 509).
Parce qu'il a des qualités humaines indiscutables? ou parce que Norman, la bête, étant morte, son
successeur peut reprendre le nom d'homme?

36 Une chronologie des événements liés à THE DARK TOWER a été proposée par Lou van Hille
in Steve's Rag, hors-série n° 4, p. 33.

37 Voir aussi pp. 180, 192, etc.

38 Voir LA BIBLE, Deutéronome, 12 à 34.

39 Dans THE STAND: "Il y avait des choses pires que la crucifixion. Il y avait les dents" (p.960).

40 THE SHINING 1977, éd. fr. SHINING L'ENFANT-LUMIERE, Lattès 1979.

41 Ce toro a des lettres: il cite occasionnellement Circé (p. 427), magicienne qui pouvait
transformer les hommes pas seulement en pourceaux, mais en animaux divers selon leur
caractère. Le toro aurait le pouvoir magique de Circé de transformer Norman en taureau.

42 Les acquis scientifiques ont remplacé les connaissances magiques, mais dans un plus petit
nombre d'esprits qu'on pourrrait le supposer: la plupart de nos contemporains n'ont guère
progressé depuis ces explications millénaires Je ne peux que renvoyer les lecteurs intéressés par
une psychanalyse de la connaissance à Gaston Bachelard, dont les ouvrages poétiques se lisent
facilement. Bien que relativement anciens, ils n'ont rien perdu de leur valeur: Psychanalyse du
Feu, 1937; l'Eau et les Rêves, 1940; l'Air et les Songes, 1942; la Terre et les Rêveries du repos,
1945, Gallimard, Folio. Le Rameau dOr de James George Frazer est aussi passionnant, et d'une
richesse considérable: mais il comprend 4 tomes dans la collection Portiques...

43 Deux exemples. Le sorcier peut faire mourir à distance une personne en perçant avec des
aiguilles une poupée ou une statuette censée la représenter -ou mieux encore, qui contient un
fragment de cette personne, cheveu etc. Les bougies allumées au solstice d'hiver (de décembre à
début janvier, selon les peuples) sont la survivance de rites de la lumière destinés à réveiller par
contagion le soleil. Ne pas le faire aurait pu entraîner des conséquences graves. A tout hasard,
fêtons joyeusement Noël...

44 In Lou Van Hille LA TOUR SOMBRE: En Attendant WiIZARD AND GLASS, op. cit., p. 19.

45 Généralement au nombre de trois, elles ont nées des gouttes du sang du dieu primitif Ouranos,
émasculé par Gaïa, la Terre, parce qu'il lui faisait trop d'enfants! Leur demeure est aux Enfers.

46 Les Destins (condensés par la suite en Fatum, dieu du destin), dont la représentation physique
se fait par Ananké, fille d'Ouranos, la seule des enfants de Gaïa à avoir aidé sa mère à châtrer son
père. Elle est devenue la personnification de l'obligation absolue et de la force contraignante des
arrêts du destin. Gravitent autour d'elle des divinités particulières remontant toutes aux origines du
monde (les Grecs distinguaient les Anciens Dieux -avant Zeus- et les nouveaux dieux, les
Olympiens). Ces divinités sont: les Moires (ou Parques), les Érinyes et les Sibylles, chargées de
délivrer les oracles.

47 In INSOMNIA, op. cit., p. 541. Une tentative d'explication de l'imaginaire religieux manichéen de
King, qui essaie de trouver une sorte d'arbitre suprême, un principe supérieur aux agents du bien
et du mal, dans la lutte des Ténèbres contre la Lumière, a été faite dans mon étude Des Mythes
Religieux aux Puissances de la Tour Sombre, Steve's Rag n° 15, juillet 1997.

48 L'effet de style d'une belle énumération cache une confusion.


L'un des mythes chrétiens les plus puissants est celui de la chute de l'humanité et de sa condition,
due à deux arbres, objets de l'interdit divin: l'arbre de la connaissance du bien et du mal renvoie
sans doute à l'aptitude à former un jugement rationnel et éthique par soi-même. Or cette capacité
est un des privilèges de Dieu qui est interdit au couple originel. Sa transgression l'a condamné à la
peine et à l'effort (Genèse, 2,9 et 2,16).
Mais Dieu veut aussi éloigner les premiers humains de l'Arbre de Vie, grâce auquel ils auraient pu
jouir de la vie éternelle, autre privilège divin (Genèse 3,22). Ainsi les hommes, bien que différents
de Dieu, sont aussi différents, puisqu'ils meurent et que cette nécessité rend limitées les
possibilités de la condition humaine.
Ces mythes très anciens sont connus dans le Proche-Orient sous des formes variées (voir
l'épopée mésopotamienne de Gilgamesh).
Rosie disjoint ici faussement l'arbre de la connaissance du bien et du mal en deux arbres
différents. L'arbre de la mort n'existe pas dans La Bible.
Mais un troisième arbre non cité y figure, l'arbre de Jessé, qui n'a qu'une importance minime: il
établit le lien généalogique entre Jésus et Jessé, père du roi David (voir Matthieu 1.6 et Luc 3.32).

49 La soumission et la non-violence de Rosie l'a rendue à la fois victime et complice de Norman,


complice de la violence, puisque son attitude a permis l'extension du mal.
La grandeur humaine n'est pas de subir ou de réprimer la violence quasi automatiquement, comme
le faisait jadis une Rosie influencée par le dressage maternel.
C'est d'essayer d'analyser et de comprendre ses pulsions violentes, les conditions dans lesquelles
elles se produisent, les raisons qui nous ont fait ou failli faire passer à un acte malheureux, pour
éviter sa reproduction. Ou de se décider à utiliser la violence en toute pertinence, pour éviter une
violence plus grande, en assumant notre responsabilité et à nos risques et périls.

50 "Au nom de tous les dieux qui aient jamais existé", profère Rose Madder (p. 310).

51 Encore qu'il y ait de ça de là les négligences habituelles de Steve. Par exemple, les cris du
bébé qui se trouve dans un vaste labyrinthe à plus de quarante mètres sous terre (200 marches, p.
301) , lieu lui-même à bonne distance de Rosie qui vient de passer dans l'autre monde (p. 269) et
qui les entend. Ces pleurs n'ont rien à voir avec ceux qu'elle percevait en rêve dans son studio de
ce monde, puisqu'ils lui permettent maintenant de se repérer...

52 Voir l'analyse La Tour Sombre IV enfin, Steve's Rag n° 16, octobre 1997, p. 32.
53 Les feuilletons de THE GREEN MILE ont été reproduits en un seul volume, sans changement
de texte, Éditions 84, 1997.

Des précisions et compléments intéressants sur la mythologie greco-


romaine dans Rose Madder.
From:: "Panou, Diane" <dpanou@cincom.com>

Cher Roland, J

J'ai lu ton article sur Rose Madder et j'ai quelques suggestions, qui, j'espère, t'aideront.

Pour moi ,dans ce livre (qui entre parenthèses ne m'a pas plu),beaucoup de choses doivent être
expliquées par la mythologie gréco-romaine.

Le temple, dont tu te demandes la fonction, est le lieu de passage entre le sacré et le profane. La
racine grecque provient de temno=couper. Si tu veux, dans la mythologie grecque, c'est la porte à
passer (thème récurrent chez SKing) .A son retour et la seconde fois, Rosie, comme elle est initiée,
ne devra plus repasser cette porte, mais son mari Norman non encore initié, oui.

Clairement, pour être initiée, Rosie va descendre aux enfers . Elle devra suivre un certain nombre
de rites immuables qui ne remontent pas au code deutéronomique (comme tu le penses), mais au
rite d'initiation antique. Elle est nue (cf les rites d'initiation antique), elle ne doit pas être réglée, cela
fait aussi penser à la pureté demandée lors des rites d'initiation. Elle n'a pas le droit de regarder
Rose qui est elle initiée (je ne pense pas qu'il faille penser ici à la gorgone) : un non initié n'a pas le
droit de regarder la lumière émanant d'un initié, sous peine de mort; cette lumière représente la
sagesse et la connaissance. Après son initiation, Rosie pourra le faire. Et elle aura droit de porter
le chiton rose=symbole des initiés.

Elle pénètre dans un lieu = enfer où elle ne doit ni boire, ni manger. Le seul arbre vivant est un
grenadier ce qui, dans la tradition grecque, est l'arbre des enfers. Perséphone a mangé trois grains
de grenade, elle a transgressé cette interdiction et elle doit rester trois mois avec son époux. Rosie
ne succombe pas à la tentation; elle aussi emportera trois grains d'autant plus maléfiques qu'ils
viennent des enfers.

Que va-t-elle faire au enfer ? Comme Déméter, elle va rechercher sa fille morte. Elle a perdu son
bébé à trois mois, le bébé qu'elle ramène et qu'elle aime instantanément a trois mois. C'est son
enfant qu'elle est retournée chercher aux enfers.

Contrairement à toi, je ne pense pas que S.K. utilise de vieux clichés éculés. Clairement les
chauve-souris sont dans l'antiquité des symboles de fécondité (elles ont des mamelles), souvent
associés à Artémis, déesse de la lune. Or dans le récit, Rosie est nue, et SKing insiste sur les
seins et la lune est omniprésente.

Le prénom de l'héroïne, Rose ou Rosie, n'est pas choisi au hasard. Hécate la déesse, gardienne
des enfers, est souvent représentée couronnée de roses. La rose est le symbole de la
régénérescence et souvent associée aux mystères de l'initiation, notamment chez Aphrodite.

Dorcas (qui est noire) représente la gardienne des enfers, peut-être Hécate (???). Elle a d'ailleurs
un nom grec signifiant l'antilope, la gazelle.

SKing choisit un labyrinte qui a , dans l'antiquité, une fonction religieuse. Le centre que protège le
labyrinthe est réservé à l'initié, à celui qui à travers les épeuves de l'initiation (les détours du
labyrinthe) sera digne d'accéder à la révélation mystérieuse. Une fois arrivée au centre, la
personne est consacrée. Il ne faut pas s'égarer dans les territoires de la mort = porte d'une
nouvelle vie. Après son initiation, Rosie aura vaincu les ténèbres et acquis le droit à une nouvelle
vie, qui sera pour Rosie sa liberté, et elle aura droit à l'aide des autres initiés (cf Rose Madder
paye toujours ses dettes).

L'enfant s'appelle Caroline, on peut penser que SKing a tenté de trouvé un prénom proche de
Korè, autre non de Perséphone (??? là ,je vais un peu loin)

note 19: tu parles de l'oeil du cyclope. Pour moi c'est l'oeil des trois soeurs (dont la gorgone) qui
n'avait qu'un oeil pour elle trois.

L'homme aux pieds de sabots à qui l'on fait une pipe est pour moi clairement un satyre.

J'espère que ces remarques t'aideront.

Amicalement Diane

ce texte a été publié dans ma Revue trimestrielle

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saison # 3 - printemps 1999

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