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La gestion du changement en contextes et milieux organisationnels publics
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La gestion du changement en contextes et milieux organisationnels publics
Ebook495 pages5 hours

La gestion du changement en contextes et milieux organisationnels publics

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La superposition et la juxtaposition de réformes adminis­tratives, économiques et politiques de visées et de contenus hétéro­clites – même si ces dernières sont toutes axées sur les résultats de l’action publique – complexifient les structures organisationnelles publiques. Par conséquent, gérer le changement au sein de ces organisations est main­tenant plus ardu que de le faire en entreprise privée, car, pour celle-ci, plusieurs modèles permettant d’y arriver existent. Chez les dirigeants publics et les gestionnaires intermédiaires, les expériences vécues démontrent qu’il serait primordial, lors d’un changement, de prendre davantage en compte les spécificités de l’organisation dans laquelle il est entrepris – notamment celles associées au mode de propriété étatique, à la mission et aux objectifs d’intérêt général, de bien commun ou de services publics, à l’appréciation de la performance et à la quête permanente de légitimité.

Les auteurs du présent ouvrage circonscrivent la gestion du changement en milieux organisationnels publics à l’aide d’une grille d’analyse comportant trois spécificités touchant le contexte public, l’organisation publique et les enjeux légitimant le changement.

Comprendre ces spécificités permet sans contredit aux chercheurs, aux experts et aux gestionnaires publics de poser un regard renouvelé sur les concepts et les méthodes pour réussir le changement organisationnel. Voilà le secret, pour les organisations de l’État, d’un cadre de gestion de changement approprié et efficace.
LanguageFrançais
Release dateMar 27, 2020
ISBN9782760552234
La gestion du changement en contextes et milieux organisationnels publics

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    La gestion du changement en contextes et milieux organisationnels publics - Bachir Mazouz

    PARTIE 1 /

    POUR UNE GESTION

    DU CHANGEMENT VUE

    À TRAVERS LES SPÉCIFICITÉS

    DES CONTEXTES PUBLICS

    ET DES ORGANISATIONS DE L’ÉTAT

    Je ne veux ni ne rejette rien absolument,

    mais je consulte toujours les circonstances.

    CONFUCIUS (551-479)

    CHAPITRE 1 /

    Une introduction à la gestion du changement en contextes et milieux organisationnels publics

    Stéphanie Gagnon et Bachir Mazouz

    Résumé

    La réussite du changement en milieux organisationnels publics doit reposer sur une gestion qui tient compte des spécificités des contextes publics, des organisations publiques elles-mêmes et des enjeux relatifs à la légitimité, au processus et au contenu du changement décidé. Ce chapitre introductif présente donc les fondements conceptuels et la contribution scientifique des différents auteurs mobilisés dans le cadre du présent ouvrage pour une approche contingente de la gestion du changement.

    Affirmer que la gestion du changement est un phénomène bien plus complexe en milieux organisationnels publics que dans les entreprises privées semble aujourd’hui assez évident. De fait, les organisations qui évoluent dans des contextes publics ou privés se distinguent notamment par leur mode de propriété, par leurs missions et objectifs différenciés, leur définition et leur appréciation de la performance, mais aussi par leur quête différente de légitimité. Chercher à expliquer cette complexité, et surtout à y faire face, relève d’un autre défi à la fois conceptuel, méthodologique et opératoire. Ce sont ces deux objectifs que nous poursuivons dans cet ouvrage. Ils sont d’autant plus pertinents que le degré de complexité caractérisant les contextes d’action et les milieux organisationnels publics a atteint en ces deux premières décennies du XXIe siècle un niveau inégalé (Christensen et Lægreid, 2010) dû à la superposition de réformes administratives, économiques et politiques de visées et de contenus très hétéroclites et sous tensions permanentes (Hudon et Mazouz, 2014).

    Ainsi, nous proposons de circonscrire la gestion du changement en milieux organisationnels publics à l’aide de trois pivots précis, à savoir faire état: 1) des spécificités du contexte public (traditionnellement perçu comme réfractaire au changement, abondance de règles, absence de concurrence, interférence du politique, etc.); 2) des spécificités de l’organisation publique (structures bureaucratiques, objectifs multiples, pluralité des détenteurs d’enjeux, etc.); 3) des enjeux de la légitimité du changement (autant de son processus que de son contenu).

    Considérant la portée andragogique du présent ouvrage, issu de travaux de recherches réalisées au Québec et en Europe, nous jugeons à propos, dans une première section, de définir le changement, sa gestion ainsi que des concepts fondamentaux. La deuxième section nous plonge dans le modèle qui a guidé la contribution de chacun des différents chercheurs mobilisés. Enfin, la troisième section souligne la contribution majeure des auteurs mobilisés au renouvellement des concepts et à l’appropriation des pratiques et des outils de gestion du changement en contextes et milieux organisationnels publics.

    1.1 /Le changement et la gestion du changement: concepts clés

    Le «changement» concerne «le passage d’un état à un autre, qui est observé dans l’environnement et qui a un caractère relativement durable» (Collerette et al., 1997, p. 20). La terminologie de la gestion du changement fait régulièrement état du passage d’une situation insatisfaisante (actuelle) à une situation désirée (future) (Collerette et al., 2013; Beckhard et Harris, 2009). En effet, la «gestion du changement» consiste à conceptualiser et à opérer la transition entre ces deux états en définissant le changement, en le légitimant et en l’organisant. Elle sera considérée comme plus ou moins complexe selon le type de changement envisagé et son ampleur. Essentiellement, il s’agit de se doter d’une méthodologie et des processus afin de parvenir à réaliser le changement. La méthodologie peut être plus ou moins exhaustive, plus ou moins explicite. Les processus sont plus ou moins participatifs, plus ou moins formels. Cela dit, en milieu organisationnel, les activités et les flux inscrits dans un projet de changement doivent êtres gérés différemment des activités et des flux réguliers (opérations).

    L’ampleur de la gestion du changement devrait être cohérente avec le type de changement valorisé. En effet, la littérature distingue les changements de premier ordre de ceux de deuxième ordre. Cette distinction initialement établie par les travaux de Watzlawick et al. (1975) renvoie au contenu du changement, c’est-à-dire à ce que l’organisation veut changer. Un changement de premier ordre est également qualifié d’incrémental et implique que la modification qui aura lieu se fera à l’intérieur du même système de pensée que celui qui prévaut à ce moment-là. Par exemple, un changement de cours dans un programme universitaire (abolition d’un cours optionnel) qui ne remettrait pas en cause les présupposés de base du programme ciblé serait de cette nature. Un changement de deuxième ordre, pour sa part, sera considéré comme radical et impliquera une rupture dans la façon de penser. La récente réforme du réseau de la santé serait qualifiée de changement de deuxième ordre (les distinctions entre établissements CLSC [Centre local de services communautaires], CHSLD [Centre d’hébergement et de soins de longue durée], CH [Centre hospitalier] disparaissent et les cultures sous-jacentes sont mises à mal).

    Le changement peut également se qualifier du point de vue de son rythme d’implantation, à savoir se déployer rapidement ou plus lentement. Plusieurs facteurs sont à considérer dans le choix de l’horizon temporel retenu pour changer (l’ampleur du changement, la nécessité du changement, l’historique passé des changements dans l’organisation, etc.).

    Bien qu’il soit désormais reconnu que «la gestion du changement est une contradiction en soi» (Mintzberg, Ahlstrand et Lampel, 1999, p. 329) parce que l’issue n’est jamais tout à fait celle escomptée, plusieurs auteurs affirment que la gestion du changement diffère de la gestion au quotidien (Rondeau, 2008). Cela s’explique par le fait que le changement implique une rupture avec la routine, nécessite de l’énergie, de la création de nouvelles activités, de nouvelles façons de penser ou de faire, de nouvelles pratiques… Ainsi, le changement nécessite des actions supplémentaires à celles requises dans le quotidien, telles que communiquer, favoriser la mobilisation, offrir de la formation et modifier le style d’encadrement.

    Toujours d’un point de vue conceptuel, le changement en milieu public nécessite également l’introduction de théories, approches et perspectives qui le caractérisent, telles que l’analyse stratégique, les organisations pluralistes et la théorie de la traduction. Les travaux de recherche issus de ces trois grilles d’analyse ont en commun la reconnaissance du pouvoir des acteurs à faire évoluer (positivement ou négativement) la situation de changement et par conséquent, la complexité à la mener à bien.

    En effet, la gestion du changement vue sous le prisme de l’analyse stratégique proposée par Crozier et Friedberg (1977), relativement à la bureaucratie, peut être considérée par référence à l’importante liberté d’action que les acteurs peuvent se dégager malgré l’abondance de règles dans les organisations bureaucratiques. Ces auteurs démontrent qu’à partir de la maîtrise de zones d’incertitude, les acteurs peuvent mobiliser des ressources et agir stratégiquement afin d’arriver à leurs objectifs. La grille d’analyse qui en résulte permet donc de comprendre que les organisations, en opérant en contexte public, sont confrontées à une pluralité de sources de pouvoir (les règles, l’autorité, l’information, etc.) et que, par conséquent, la planification d’un changement peut se heurter à des stratégies d’acteurs qui n’avaient pas été anticipées.

    Par ailleurs, les approches du changement selon la perspective dite des organisations pluralistes (Denis, Lamothe et Langley, 2001) reconnaissent que les organisations publiques ont parfois des objectifs contradictoires et interpellent une diversité de parties prenantes aux logiques d’action et aux enjeux diversifiés. Ces constats amènent à considérer que le changement n’atteindra pas tous les gens de la même façon et qu’il faudra utiliser des stratégies diversifiées pour rejoindre les acteurs, les influencer et les convaincre de participer au changement. Ainsi, le leadership qui s’avère efficace dans un contexte public différera du leader transformationnel des écrits classiques pour correspondre davantage à un leadership multiple, transversal ou partagé.

    Quant à la théorie de la traduction, Callon (1986) reconnaît qu’un changement doit d’abord intéresser les gens pour réussir à s’implanter. Également, il doit être approprié au contexte et solliciter l’intérêt d’une diversité de personnes d’horizons variés. En effet, selon cette théorie, les frontières organisationnelles sont perméables et un changement sera plus aisément réussi si un réseau d’acteurs et d’objets est appelé à contribuer à son implantation et à son adoption.

    1.2 /Les théories du changement organisationnel à l’épreuve des spécificités des organisations publiques

    Nous proposons, dans la première partie de cet ouvrage, que la gestion du changement au sein des administrations et différentes organisations de l’État se comprend à la lumière des spécificités de l’organisation publique, de celles du contexte public et des préoccupations de légitimité des transformations en cours dans l’espace d’action publique (figure 1.1).

    FIGURE 1.1/ Pivots de la gestion du changement en contextes et milieux organisationnels publics

    La dynamique des trois pivots d’une situation de changement a de multiples répercussions sur son issue, d’autant que le changement dans un des secteurs publics n’est pas d’emblée associé à un enjeu de survie. Changer est devenu une nécessité dictée par des impératifs d’évolution de la législation et pour mieux faire face à la complexité des contextes. Ainsi, changer dans les secteurs publics implique de tenir compte de plusieurs spécificités. Du point de vue de l’apparente rigidité du milieu public, il faut reconnaître que celle-ci peut être exacerbée dans certains secteurs qui connaissent plusieurs changements successifs (p. ex. domaine de la santé). En effet, après plusieurs changements, les acteurs organisationnels auront besoin de temps pour intégrer les nouvelles pratiques (associées) au changement. Les gestionnaires et leurs équipes sur le terrain auront cumulé des tensions et de la fatigue. Ainsi, lorsque plusieurs changements sont opérés et se succèdent, les acteurs seront plus réfractaires, à court terme, à en mener d’autres.

    De même, l’abondance de règles peut nuire au changement parce que ces règles peuvent laisser place à de multiples interprétations et mener à une issue du changement qui n’était pas celle souhaitée. De plus, l’interdépendance des ministères, conjuguée à l’omniprésence de règles, rend parfois un simple changement beaucoup plus complexe à réaliser qu’il n’y paraît a priori.

    Par exemple, l’avènement d’un changement politique au sommet de la pyramide gouvernementale ou l’adoption de nouvelles lois n’est pas sans conséquence sur plusieurs administrations publiques et partenaires socio-économiques. Au Canada, l’adoption récente de la Loi sur le cannabis impose des changements subséquents aux services policiers (dispositifs de dépistage de conduite avec facultés affaiblies, formation appropriée pour les policiers), au secteur de la santé et ses différents établissements (cas d’intoxication) et aux différents ordres d’enseignement du système scolaire (éduquer sur la consommation du cannabis et ses conséquences) pour ne nommer que quelques-uns des secteurs et organisations investis par l’action publique. Ainsi, non seulement ces changements sont imposés aux organisations publiques, mais ils créent une situation d’interdépendance, dans la mesure où ces organisations doivent s’adapter aux changements mis en place dans leurs différentes structures et dans les organisations avec lesquelles elles traitent.

    De surcroît, il faut reconnaître qu’outre les caractéristiques associées aux milieux organisationnels publics, il sera très différent de gérer un changement selon un secteur ciblé d’activités (secteur de l’éducation par rapport aux milieux organisationnels de la sécurité publique, par exemple). Ces différences concernent autant le fait d’être volontairement client du ministère ou de l’organisme en question (établissements de l’éducation) ou involontairement (organisations de la sécurité publique ou de la santé). De même, la déclinaison de l’offre de services (organismes publics, régies, agences, administrations…) peut être plus ou moins décentralisée par régions. Répondre à tous les besoins d’une population peut être laborieux dans des secteurs où la masse critique de professionnels ou de fonctionnaires est difficile à atteindre ou à justifier (population de petite taille). Puis, le cadre institutionnel de différents secteurs varie également en matière de législation associée et d’obtention de financement (provenance et multiplicité des sources). Les auteurs du présent ouvrage relatent des exemples issus d’une diversité de milieux, dont celui de la santé, de l’éducation, des sociétés de transport, d’organisme d’État, et ce, dans différents pays (Canada, Suisse, Luxembourg et France). L’une des préoccupations consiste donc à faire état des spécificités de changer en contexte public dans une diversité de secteurs.

    L’organisation publique possède également un certain nombre de caractéristiques; elle se distingue des autres formes d’organisations et cela influence le processus de changement. On n’a qu’à penser à la forte présence syndicale dans les organisations publiques et à la pertinence d’inclure les syndicats tout au long de la démarche de changement. De même, l’aspect bureaucratique caractéristique des organisations publiques a pour avantage de standardiser les résultats issus de tout changement pour les usagers, mais ceci au détriment d’un service personnalisé. Bref, modifier les règles bureaucratiques, ancrées dans une histoire particulière, nécessite des justifications appropriées ainsi qu’une cohérence avec les autres règles en vigueur et avec la pratique.

    Quant à la légitimité d’un changement et de l’organisation qui le réalise, elle est également à considérer. La réalité de résistance au changement peut être d’autant plus forte que l’organisation réussit bien et satisfait ses parties prenantes. Dans un tel cas, un changement pourrait être plus difficile à réaliser. En effet, l’expérience regorge de situations vécues où des changements favorables à l’organisation n’ont pas eu lieu faute d’appuis des détenteurs d’enjeux. Ainsi, le changement pourra être jugé quant à la légitimité de son contenu ou de la démarche qui a mené à sa réalisation. Ces formes de légitimité seront abordées, de même que celle associée au contexte dans lequel le changement a lieu.

    La grille analytique proposée dans cet ouvrage permet de traiter également de la question du contenu du changement, c’est-à-dire ce qui doit changer. Vouloir changer le système technologique s’avérera fort différent de chercher à changer la structure organisationnelle ou la culture d’une organisation. Ces contenus différents auront une incidence sur les leviers à déployer (système d’information, répartition des responsabilités, valeurs organisationnelles…) qui seront également distincts. Puis, ces divers types de changement ne requièrent pas nécessairement le même engagement de la part des acteurs organisationnels ni le même investissement en ce qui concerne le temps et l’argent. Le changement culturel sera plus difficile à réaliser et demandera un investissement de temps important afin d’atteindre les comportements qui incarnent les nouvelles valeurs véhiculées.

    Par conséquent, le livre abordera une diversité de contenus de changement, à savoir des réformes, une entreprise de numérisation, un changement de gouvernance, une vision différente du milieu, des outils de pilotage et de contrôle, des pratiques et des processus d’accompagnement.

    Le processus de changement, c’est-à-dire les différentes étapes à mener à bien pour réaliser le changement, est également discuté. Dit autrement, les auteurs du présent ouvrage font état de dynamiques et de moments particuliers qui affectent le déroulement du changement et son résultat. Les aspects séquentiels et concomitants du processus de changement sont discutés. Enfin, le moment où le changement a lieu ainsi que les activités subséquentes qui y sont associées seront également traités.

    Quant aux outils du changement, ils sont abordés dans la deuxième partie du présent ouvrage à travers leur utilité stratégique, pour éclairer les décisions et piloter le projet de changement, mais aussi pour leur utilité opérationnelle, pour mettre en œuvre et ajuster le projet de changement. Il en est ainsi du diagnostic stratégique et organisationnel, de la planification et de la mise en œuvre du changement, des techniques et instruments de la mobilisation du personnel, de l’importance des activités de contrôle/suivi et de l’évaluation des effets et retombées du changement. Ces différents outils à déployer lors de projets de changement sont utilisés en fonction des différentes étapes et/ou activités planifiées afin d’aider les gestionnaires et leurs équipes sur le terrain à atteindre les objectifs visés et tenant compte de la volonté des dirigeants publics, des besoins exprimés par les employés et de l’influence des parties prenantes.

    Chacun des chapitres de notre ouvrage aborde de manière propre ou transversale une des trois dimensions retenues (spécificités organisationnelles, spécificités contextuelles et légitimité du changement) pour comprendre et illustrer des situations de gestion du changement en contextes et milieux organisationnels publics.

    1.3 /Pour une approche de la gestion du changement par les spécificités contextuelles et organisationnelles publiques

    Compte tenu de la complexité des secteurs investis par l’action publique et de la nécessité d’offrir des services pertinents en contexte de restrictions budgétaires, Armand Brice Kouadio, Yves Emery et Owen Boukamel (chapitre 2) recommandent aux dirigeants, gestionnaires et employés des organisations publiques de développer des capacités collectives à changer. Pour réussir une innovation, considérée sous l’angle d’un changement radical mené en contextes publics suisses, les organisations publiques doivent réaliser un inventaire de leurs capacités et leviers d’action tenant compte des spécificités contextuelles. Ce faisant, ils révèlent l’importance de la gestion des risques et le déploiement d’un leadership transversal tourné vers l’innovation.

    Carole Lalonde et Alicia Buyse, pour leur part, s’intéressent aux spécificités organisationnelles que les cadres intermédiaires doivent considérer et intégrer à la gestion du changement (chapitre 3). Constatant la grande complexité des transformations opérées au sein du réseau de la santé québécois, notamment la pluralité des acteurs et leur quête permanente de sens et d’influence, ces deux auteurs soulignent que le changement ne doit pas être considéré comme un problème à gérer, mais davantage comme l’enchaînement de petits gestes qui font une différence au quotidien. En effet, à l’aide de plusieurs illustrations, Lalonde et Buyse démontrent que la gestion du changement organisationnel est intimement liée à la capacité d’agir des acteurs, mais également à leur façon d’entrer en relation avec leurs collègues de travail et leurs supérieurs hiérarchiques.

    Dans le chapitre 4, Taïeb Hafsi insiste sur les comportements et les attitudes appropriés aux dirigeants publics et au rôle d’interface qui leur est propre pour réussir des transformations majeures. Ce faisant, il démontre comment les gestionnaires des sociétés d’État font face à un contexte de changement où les décisions politiques et l’action de gestion génèrent la plupart du temps des tensions au sein des organisations publiques. Dans le but d’atténuer ces tensions, les gestionnaires développent des comportements, des compétences et des attitudes qui rendent la cohabitation possible, de ce fait, aident à apaiser le climat organisationnel. Illustrant ses propos par des résultats de recherche portant sur trois entreprises d’État situées au Québec et en France, Hafsi conclut que les comportements des gestionnaires étudiés présentent des particularités indéniables: les gestionnaires publics qui réussissent le changement savent à la fois intéresser toutes les parties prenantes au projet de changement et proposer, à leur façon, une attitude de bienveillance à l’égard de leurs employés. Leurs comportements et attitudes sont résolument tournés vers la coopération des dirigeants politiques, des organisations syndicales, des employées et des usagers des services publics.

    En s’intéressant à la coopération des personnes au processus de changement au sein des organisations publiques, Anne Rousseau (chapitre 5) souligne en particulier le fait que les acteurs organisationnels acceptent de coopérer au projet de changement bien qu’ils aient des intérêts variés et que ceux-ci se déploient différemment en fonction du contexte du changement. À l’aide d’une étude de cas portant sur la numérisation d’une administration publique luxembourgeoise, Rousseau conclut que le changement efficace résulte de la façon dont les acteurs agissent face au contenu du changement, et ce, dans un contexte particulier marqué par des conditions d’accès à des ressources précises, par la présence de parties prenantes et le moment où le tout s’est déroulé.

    Les questions relatives à la place des parties prenantes sont abordées par Véronique Chanut (chapitre 6) sous l’angle des acteurs présents dans le contexte de l’organisation et leurs actions face au changement, notamment en matière de processus. En démontrant qu’il est plus difficile de planifier le changement globalement et de le considérer de façon isolée, c’est-à-dire circonscrit par les frontières organisationnelles, Chanut explique comment la conduite des transformations organisationnelles en contexte public a changé. À travers deux études de cas portants sur des administrations françaises, l’une relative à une commémoration nationale et internationale de grande envergure et l’autre associée à la réorganisation d’une filière de déchets, Chanut suggère que les parties prenantes doivent être considérées et participer à la création collective de sens. Leur présence tout au long du processus de changement peut générer des attitudes et réactions qui fluctuent au gré du temps. De la sorte, le gestionnaire public doit posséder des compétences de communication et de leadership appropriées à l’action publique et aux différentes configurations organisationnelles.

    Pour sa part, Corinne Grenier (chapitre 7) s’intéresse aux processus en milieu organisationnel public qui favorisent l’absorption de connaissances et d’idées nouvelles associées au changement ainsi que des espaces qui facilitent les initiatives de changement. À cet effet, Grenier a recours à une théorie qui stipule que les organisations absorbent des connaissances selon un processus en quatre temps et qu’il est important que l’organisation valorise le droit à l’erreur. À l’aide de cas d’études réalisées sur des organisations françaises, l’auteure démontre que l’absorption des connaissances est également favorisée par la création d’espaces plus permissifs et ouverts en milieu organisationnel public, lesquels rendent possibles l’expérimentation et l’éloignement temporaire des règles bureaucratiques.

    La possibilité d’expérimentation dont il est question ci-dessous pourrait passer par une utilisation appropriée de connaissances issues de la recherche pour gérer le changement et le construire. C’est l’objet même du chapitre 8, élaboré par Michèle Charbonneau et Manon Dufour. Rappelant l’évolution qu’ont connue les théories sur la gestion du changement ces dernières années (moins planifié et davantage émergent), Charbonneau et Dufour soutiennent l’intérêt d’intégrer les connaissances issues de la recherche pour gérer le changement au quotidien. À partir d’un cas de changement réalisé dans une école secondaire québécoise, ces auteures démontrent la pertinence et l’utilité des données issues de la recherche scientifique, tant en ce qui concerne la conception que la conduite du changement, pour l’équipe de direction. En particulier, Charbonneau et Dufour soulignent que les connaissances scientifiques permettent de mieux définir le projet de changement et contribuer à sa légitimation. Dans le cas présenté, les connaissances ont servi à «bricoler» de nouvelles solutions. Ainsi, bien qu’elles n’aient pas été appliquées intégralement, les connaissances ont permis d’orienter le changement.

    S’intéressant aux outils de gestion du changement au sein des administrations et organismes publics, les auteurs de la deuxième partie de l’ouvrage contribuent à une meilleure compréhension des conditions d’usage et d’adaptation de l’instrumentation managériale en contextes et milieux organisationnels publics. À cet effet, Kevin J. Johnson et David Autissier font état de l’importance du diagnostic organisationnel du changement (chapitre 9), notamment en discutant de ses enjeux. D’abord, ils proposent que le diagnostic doive être réalisé en considérant la complexité qui caractérise les organisations publiques. Ensuite, il doit permettre d’impliquer le personnel dans la réalisation concrète du changement. Ainsi, pour ces auteurs, deux étapes sont requises pour mener à bien un diagnostic organisationnel: 1) s’assurer qu’il soit cohérent avec la stratégie, la structure et la culture de l’organisation et 2) dresser un portrait des dynamiques humaines qui ont lieu dans l’organisation en lien avec le changement. Illustrant leurs propos à partir de résultats de recherches effectuées sur des centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS), ils concluent que le contexte est déterminant pour bien cibler les leviers à privilégier dans le changement. Également, le diagnostic doit être accompagné de mesures régulières de l’évolution du changement. Finalement, le partage des résultats constitue une pratique gagnante auprès des acteurs organisationnels.

    Michel Arcand souligne, pour sa part, l’importance de la planification du changement (chapitre 10) vue sous l’angle des activités stratégiques, opérationnelles et sociales qui lui sont associées. La planification, à son avis, revêt un rôle relativement à l’efficacité des changements en contexte public et implique trois niveaux d’intelligences: la définition du changement, la coopération requise par les acteurs du changement et les savoirs et savoir-être requis par les acteurs pour mener à bien et réaliser le changement. En prenant appui sur une démarche de changement réalisée à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), soit la mise sur pied d’un bureau de la réussite étudiante, Arcand démontre à quel point les différents types d’intelligence et leurs activités sous-jacentes doivent s’intégrer de façon cohérente à la planification du changement afin de contribuer à la réussite des transformations ciblées. De même, ses propos illustrent l’importance du leadership partagé dès la phase de planification du changement dicté par des défis propres à la mise en œuvre de projets visant des objectifs concurrentiels en contextes publics.

    Les activités de gestion spécifiques à la mise en œuvre du changement en contextes et milieux organisationnels publics font l’objet du chapitre 11 de Nathalie Lemieux et Benoît Cherré. Celles-ci doivent être accompagnées d’une préoccupation éthique et guidées par trois principes opératoires. En effet, pour ces deux auteurs, la recherche de cohérence entre les valeurs publiques préconisées par ceux qui mènent le changement et ceux qui le réalisent devrait guider les agents de changement dans la réalisation des activités de gestion dédiées au projet transformationnel. Considérant la complexité qui caractérise l’action et les structures publiques, les agents de changement devraient procéder du générique au spécifique. Puis, chaque activité devrait être contextualisée par rapport aux préoccupations respectives des différentes équipes de travail. Enfin, les gestionnaires de tous les niveaux hiérarchiques devraient être impliqués. À titre illustratif, les considérations éthiques et l’importance d’un leadership qui valorise la prise de responsabilités par tous les acteurs organisationnels sont confirmées à partir des résultats d’analyse d’un cas d’étude portant sur un changement dans une société d’État québécoise.

    Le leadership dont il est question ci-dessus devrait se traduire par une forte capacité de mobilisation lors de changements profonds en milieux organisationnels publics. C’est ce qu’affirme, discute et illustre Pierre-Paul Morin dans le chapitre 12. En effet, les défis que pose la mobilisation des ressources humaines ainsi que toute la panoplie des ressources disponibles en milieu organisationnel public concernent les difficultés entourant les processus et pratiques de planification, l’implication des acteurs internes et externes et la consolidation des acquis. À l’aide d’un processus de mobilisation en quatre temps, inspiré de la théorie de l’acteur réseau, Morin illustre comment il a été difficile de mobiliser des ressources dans la réforme de programmes universitaires de deuxième cycle en gestion de projet du réseau de l’Université du Québec.

    Qui dit planification et mise en œuvre du changement dit aussi contrôle et suivi des activités transformationnelles, mais aussi évaluatives des résultats qui en découlent. Pour ce qui est du contrôle, Christophe Maurel (chapitre 13) souligne le double rôle de celui-ci dans la dynamique du changement. En particulier, Maurel explique comment le contrôle peut être un levier relativement au changement dans la mesure où il permet de prendre conscience des problématiques à résoudre. Également, le contrôle peut varier selon le type de changement envisagé (prescrit ou émergent). Dans le premier cas, le contrôle s’apparente davantage à un suivi de conformité alors que dans le second cas, le contrôle sera plutôt «interactif». Dit autrement, lors de changements plus émergents, le contrôle servira à encadrer le changement et les apprentissages. À l’aide de trois cas de changement diversifiés (révision des politiques publiques locales en France, mutualisation de services et un changement technologique), Maurel illustre les formes variées du contrôle et invite à considérer autant le processus du changement que son contenu.

    Quant au volet évaluatif des effets et retombées du changement, Philippe Valoggia (chapitre 14) propose de s’intéresser autant aux résultats du changement qu’au processus pour le réaliser. En fait, au regard des difficultés associées à l’évaluation (durabilité du changement, atteinte des objectifs, etc.), Valoggia suggère de s’intéresser à la légitimité du changement du point de vue du contexte ayant amené les responsables à le proposer et à le formuler (les motifs), aux modifications envisagées (le contenu) et à la façon de le conduire (le processus). À la lumière d’un cas de changement dans un établissement public de santé luxembourgeois, Valoggia conclut que chacune des deux conceptions de l’évaluation amène des retombées variées du changement. L’évaluation des résultats entraîne un verdict à un moment précis sur le succès ou l’échec du changement alors que l’évaluation du processus permet d’apprendre de la transformation réalisée et d’améliorer la gestion à l’interne.

    En guise de conclusion, au terme des chapitres du présent ouvrage, nous aurons convaincu le lecteur quant à la pertinence conceptuelle et pratique de considérer la gestion du changement en contextes publics aussi sous l’angle des spécificités organisationnelles. Celles-ci exigent des gestionnaires une fine compréhension des spécificités de l’action publique et des connaissances approfondies notamment en ce qui concerne les rôles et fonctions confiés aux dirigeants publics, les attentes légitimes

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