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Dictionnaire de la Renaissance: Les Dictionnaires d'Universalis
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Dictionnaire de la Renaissance: Les Dictionnaires d'Universalis

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Composé de textes empruntés à l’Encyclopaedia Universalis, ce Dictionnaire de la Renaissance réunit près de six cents articles qui dessinent l’arrière-plan intellectuel de ce grand moment de l’histoire européenne (philosophie, religion, sciences) et analysent les différents aspects du développement artistique qu’il a produit (peinture, sculpture, architecture, urbanisme, littérature, musique). Les auteurs, de Daniel ARASSE à Piero ZAMPETTI, sont les plus stimulants des guides pour parcourir ce foisonnant terrain de découvertes. Une somme indispensable à l’étudiant comme à l’amateur exigeant.
LanguageFrançais
Release dateOct 27, 2015
ISBN9782852291447
Dictionnaire de la Renaissance: Les Dictionnaires d'Universalis

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    Dictionnaire de la Renaissance - Encyclopaedia Universalis

    Dictionnaire de la Renaissance (Les Dictionnaires d'Universalis)

    Universalis, une gamme complète de resssources numériques pour la recherche documentaire et l’enseignement.

    ISBN : 9782852291447

    © Encyclopædia Universalis France, 2019. Tous droits réservés.

    Photo de couverture : © Manczurov/Shutterstock

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    AACHEN HANS VON (1552-1615)


    Formé chez un Flamand établi à Cologne, sa ville natale, mais surtout par un long séjour en Italie (1574-1588), où il fut marqué à la fois par les grands maîtres italiens (Michel-Ange, Tintoret, Véronèse, Parmesan, Corrège) et aussi par les Flamands italianisés (Speckaert, Brill, Spranger, Paolo Fiammingo...), Hans von Aachen y acquit vite la célébrité (Nativité, église du Gesù, Rome). Revenu définitivement en Allemagne, il séjourne à Cologne, puis à Munich (invité par Guillaume V), à Augsbourg ; il se rend enfin à Prague (1596), où il résidera jusqu’à sa mort à la cour de Rodolphe II, si l’on excepte un retour en Italie de 1603 à 1605. À côté de Spranger, Aachen est une des figures centrales du maniérisme praguois : son art se distingue par une couleur raffinée et chatoyante, par une recherche précieuse des attitudes serpentines. Ses compositions allégoriques (Le Temps et la Richesse, Staatsgalerie, Stuttgart) ou mythologiques (Bacchus, Cérès et Cupidon, Kunsthistorisches Museum, Vienne) sont empreintes d’une sensualité moins expressionniste que celle de Spranger.

    Sylvie BÉGUIN

    ACCADEMIA DELLA CRUSCA


    Académie littéraire italienne fondée à Florence en 1582 dans le but de purifier le toscan, langue littéraire de la Renaissance italienne. En partie grâce aux efforts de ses membres, le toscan, tel notamment que Pétrarque et Boccace l’avaient employé, devint au XVIe et au XVIIe siècle un modèle pour la littérature italienne, bien que la rigidité avec laquelle l’Académie appliquait ses critères linguistiques ait amené le grand critique Francesco de Santis à l’appeler « le concile de Trente de la langue italienne ». Elle est demeurée active jusqu’à nos jours et se consacre actuellement à des études et des publications linguistiques et littéraires.

    Fondée par cinq membres de l’Accademia fiorentina, dans le but de séparer dans la langue le pur de l’impur (crusca signifie littéralement « son » ou « balle de grain »), l’Accademia della Crusca s’est immédiatement érigée en arbitre de la littérature de son temps. Ses membres ont rédigé de nombreux commentaires sur Pétrarque et Boccace, leurs modèles du bon usage ; ils ont compilé des dictionnaires et des listes de phrases et d’images correctes puisées chez ces auteurs ; ils ont aussi retranscrit de nombreuses œuvres dans ce qu’ils jugeaient être le pur toscan. L’une de leurs premières cibles fut le Tasse : son épopée Jérusalem délivrée (Gerusalemme liberata, 1581), très attaquée par ailleurs pour des raisons morales, ne répondait pas aux règles de l’Académie, et celle-ci porte sa part de responsabilité dans la révision qu’il en fit ; la nouvelle version, Gerusalemme conquistata (1593), est très inférieure à la première. Les membres de l’Académie acquirent une réputation de conservatisme linguistique et, en 1612, ils commencèrent la publication de leur dictionnaire officiel, Le Vocabolario degli accademici della Crusca, entreprise qui se poursuit encore.

    Supprimée à la fin du XVIIIe siècle, l’Académie fut rétablie par Napoléon en 1808 et obtint son autonomie en 1811. Au début du XXe siècle, la législation italienne a limité les activités de l’Académie à la publication des classiques et de documents et périodiques linguistiques.

    Jean-Paul MOURLON

    ACKER HANS (actif entre 1413 et 1461)


    Peintre-verrier et peintre d’origine allemande, dont l’activité se déroule dans la ville d’Ulm ; dans un compte de 1441, à Berne, Hans Acker est nommé Hans von Ulm. Les seules œuvres authentifiées par des textes se trouvent à la cathédrale de Berne : la Passion de la fenêtre centrale du chevet et, mal conservés, des panneaux de la fenêtre occidentale de la nef. On retrouve à la cathédrale d’Ulm, dans la chapelle de la famille Besserer, une série de fenêtres (Histoire de la Genèse, l’Enfance du Christ et la Passion) du même style, qui doivent avoir été faites vers 1430. Or Hans Acker reçut, en 1431, des paiements de la fabrique de la cathédrale d’Ulm. En raison de leur très grande qualité picturale, on a quelquefois attribué ces vitraux au grand maître de la Souabe de la première moitié du XVe siècle, Lucas Moser, auteur du célèbre retable de Tiefenbronn, thèse que l’on a abandonnée après une mémorable exposition organisée à Ulm, en 1968. Le style pictural de Hans Acker est celui de la peinture septentrionale pré-eyckienne traditionnelle, mais animé déjà par des recherches réalistes et expressives nouvelles ; en cela il est évidemment apparenté à l’art de Lucas Moser ou de Hans Multscher. Dans le domaine des recherches de composition et de perspective, surtout dans l’œuvre tardive bernoise, Acker donne des exemples déjà accomplis aux verriers du milieu et de la seconde moitié du XVe siècle. Aussi bien à Ulm qu’en Suisse, ou encore à Fribourg-en-Brisgau, son influence a été considérable (cf. W. Lehmbruck, Hans Acker, Maler und Glasmaler von Ulm, Ulm, 1968).

    Louis GRODECKI

    AERTSEN PIETER (1508-1575)


    Surnommé Lange Pier (Pierre le Long), né à Amsterdam et franc-maître à Anvers, en 1535, dont il devient citoyen en 1542 et où il séjournera jusqu’en 1556 environ, après avoir logé dans ses débuts anversois chez le peintre Jan Mandyn, un suiveur habile de Jérôme Bosch, Pieter Aertsen est l’un des peintres qui assurent le mieux le lien entre l’école néerlandaise et l’école flamande et qui font éclater les cadres nationaux. Ses fils, Pieter Pietersz et Aert Pietersz, seront aussi peintres. Aertsen a formé son neveu Joachim Beuckelaer. Renommé aujourd’hui comme auteur de « Cuisines » (Jésus chez Marthe et Marie, 1559, musée des Beaux-Arts, Bruxelles), d’un réalisme à la fois opulent et familier, héroïque dans sa largeur même, il est, en fait, un peintre ambitieux et varié, traitant à la fois les compositions religieuses, les scènes de genre, le portrait : on peut suivre sa carrière entre 1543 et 1571 dans une série d’œuvres signées et datées. Les témoignages du temps lui rendent souvent hommage ; notre époque lui a redonné, à côté de Bruegel, avec qui il peut rivaliser d’importance, la place qu’il mérite dans la peinture du XVIe siècle, celle d’un artiste puissant dont l’art monumental, dans de splendides gammes de tons vifs et francs, prépare et annonce, par le réalisme et la surcharge des détails, le développement de la nature morte flamande. Ses compositions, aux premiers plans entassés de légumes, restent animées d’un pathos maniériste propre au XVIe siècle ; mais si la figuration — religieuse — en est souvent reléguée à l’arrière-plan, dans une position subordonnée et selon un schéma appelé à un grand succès (chez Beuckelaer par exemple), il ne faut pas méconnaître le peintre religieux, aux formats imposants et aux ambitions puissantes, qui a souffert de la tourmente iconoclaste et qui pratique une manière héroïque et digne, proche et rivale de celle de Floris (Portement de croix, musée d’Anvers, 1552).

    Sylvie BÉGUIN

    AGRICOLA GEORG BAUER, dit (1494-1555)


    Érudit allemand né à Glauchau (Saxe), Agricola peut être considéré comme le père de la minéralogie. Après des études de philosophie à Leipzig, à Bologne et à Padoue, des études de médecine à Ferrare, il exerce comme médecin municipal à Joachimstal de 1527 à 1533, puis à Chemnitz de 1533 à sa mort.

    Vivant dans la plus grande région minière de l’Europe du XVIe siècle, et en contact avec toutes les techniques industrielles, Agricola est le premier géologue dont les connaissances, théoriques et pratiques, s’affirment dans des ouvrages où la spéculation cède le pas devant l’observation. Il a ainsi profondément influencé ses contemporains, ses successeurs et, à travers eux, toute la géologie. Le plus connu de ses six ouvrages, De re metallica, publication posthume (1556), illustré de gravures sur bois, expose magistralement des problèmes d’extraction et de traitement des minerais. Dans De natura fossilium (1546), considéré comme le premier manuel de référence en minéralogie, il propose une classification des minéraux fondée sur leurs propriétés physiques ; il y décrit de nouveaux minéraux, principalement des minerais métalliques, leurs occurrences, leurs relations mutuelles. Son premier travail de minéralogiste, Bermannus, sive de re metallica dialogus (1530), était un traité sur l’Erzgebirge. Les autres ouvrages sont : De ortu et causis subterraneorum (1546), De natura eorum quae effluent ex terra (1546) et De veteribus et novis metallis (1546).

    Jean-Pierre MENDIBURU

    AGRIPPA VON NETTESHEIM HEINRICH CORNELIUS (1486-1535)


    L’humaniste Henri Corneille, en fait Heinrich Cornelius Agrippa, est né à Cologne (Colonia Agrippina, d’où son nom d’Agrippa). Son ouvrage De occulta philosophia (La Philosophie occulte, Cologne, 1531-1533), non moins souvent réédité et traduit que la palinodie qu’il en publia dès 1530 De incertitudine et vanitate scientiarum declamatio invectiva (Paradoxe sur l’incertitude, la vanité et l’abus des sciences), a été une des sources de l’occultisme, dont Éliphas Lévi, inventeur du mot, fut un des principaux vulgarisateurs.

    Ce personnage, dont la vie aventureuse prêta très tôt à la légende, nous est connu surtout par une correspondance, dont il n’existe pas encore d’édition critique (ses lettres sont rarement datées, et adressées à ou envoyées par des correspondants non identifiés). Agrippa, qui se présente comme jurisconsulte, eques auratus, médecin, astrologue, théologien, parcourt l’Europe au service de grands personnages tels que l’empereur Maximilien, Marguerite d’Autriche, Louise de Savoie. Il fréquente aussi Symphorien Champier, qui fut pendant un temps médecin à Pavie, le converti Augustinus Ricius, élève d’Abraham Zacuto, qui, astronome et kabbaliste, publia en Italie De motu octavae spherae (Du mouvement de la huitième sphère, 1513) — qu’une autre connaissance d’Agrippa, le lecteur au Collège trilingue, Oronce Fine, lui-même occupé d’astrologie et d’alchimie, rééditera —, le peintre Jean Perréal, qui est l’auteur du poème alchimique La Complainte de Nature. Devenu expert dans l’art de Lulle avec les frères Canter, il se recommande de Jean Trithème, auteur de la Steganographia, qui a hérité de son maître, le mystérieux Libanius Gallus — originaire de Saint-Quentin comme le détracteur de Trithème, Charles de Bouelles —, la bibliothèque magique de l’ermite de Majorque, Pelagius, dont Jean Pic de la Mirandole parle dans son De rerum praenotione (De la prénotion de choses, 1506). Il étudie l’exégèse avec Jean Colet ; il correspond avec Érasme ; il intervient dans les débats de la Pré-Réforme en faveur de Jean Reuchlin, de Jacques Lefèvre d’Étaples ; il défend une sorcière — comme le fera son élève Jean Wier dans un De praestigiis daemonum (De l’imposture et tromperie des diables, 1564) — et s’attire la colère des inquisiteurs.

    Les deux œuvres majeures d’Agrippa ont fait et font encore problème. Agrippa est à la fois le type du mage — qui a pillé les auteurs anciens et modernes, notamment l’œuvre de Louis Lazzarel, celle de Pic de la Mirandole, celle de Jean Reuchlin, celle du converti Paul Rici, ainsi que le De harmonia mundi (L’Harmonie du monde) de François Georges de Venise — et un représentant de la pensée sceptique étudiée par R. H. Popkin, qui a préfacé la réédition, en 1970, des Opera omnia. La publication de la première édition du De occulta philosophia par K. A. Nowotny (1967), avec les travaux de Paola Zambelli tant sur Agrippa que sur tout le contexte magique, a commencé à éclairer cette figure caractéristique d’une Renaissance qui n’est plus coupée du Moyen Âge.

    François SECRET

    ALBERTI LEON BATTISTA (1404-1472)


    Introduction

    Rares sont les domaines que Leon Battista Alberti n’a pas abordés. Homme de lettres, défenseur de la langue italienne, moraliste, mathématicien, mais surtout théoricien de l’art et architecte, ce parfait humaniste s’est acquis dès la Renaissance une réputation universelle. Ses ouvrages sur les arts figuratifs et l’architecture constituèrent les premiers traités des Temps modernes, ses projets d’édifices créèrent un nouveau langage architectural, synthèse hardie de l’Antiquité et d’une modernité déjà mise en œuvre par Filippo Brunelleschi. Très vite Alberti devint un maître : moins d’un siècle après sa mort, il restait une autorité, et Vasari, dans la première édition des Vies, rendit hommage au « Vitruve florentin ». L’œuvre d’Alberti, si diverse soit-elle, est sous-tendue par les mêmes valeurs : responsabilité de l’homme devant son destin, pouvoir de la vertu, foi dans le pouvoir créateur de l’esprit humain, ce qui n’exclut pas un certain pessimisme lié aux vicissitudes de sa propre existence et à la fréquentation des cours princières et pontificale.

    • Une figure de la Renaissance italienne

    Le destin de ce Toscan de souche l’amena à connaître une bonne partie de l’Italie. Second fils naturel de Lorenzo di Benedetto Alberti, patricien de Florence, et de Biancha Fieschi, Leon Battista est né le 14 février 1404 à Gênes, en Ligurie, où son père s’était réfugié après un décret de proscription rendu contre sa famille. Le jeune homme étudia dans le nord de l’Italie, à Venise, à Padoue puis à Bologne. Il y étudia le latin et le grec, ainsi que le droit (il obtint en 1428 le titre de laureato en droit canonique), mais entreprit aussi des études de physique et de mathématique dont témoignent ses écrits scientifiques ultérieurs. À vingt-quatre ans, il put retourner à Florence, où avait été levé l’avis de bannissement pris à l’encontre de sa famille. Entre 1428 et 1432, selon certains biographes, il aurait accompagné en France et en Allemagne le cardinal Albergati, mais cette hypothèse est peu fondée. Ses premiers écrits datent de cette époque et touchent à la littérature : une comédie en latin, Philodoxeos (1424) ; un traité, De commodis literarum atque incommodis (1428-1429) ; un Amator (vers 1428). En 1432 (et peut-être même dès 1431), il partit pour Rome où l’appelaient ses nouvelles fonctions d’abréviateur des lettres apostoliques à la chancellerie pontificale. Grâce aux libéralités d’Eugène IV, qui annula l’interdiction l’empêchant de recevoir les ordres sacrés et, partant, de jouir de bénéfices ecclésiastiques, Alberti fut enfin délivré des tracasseries financières qui avaient tourmenté sa jeunesse. À la cour papale, il put fréquenter les humanistes les plus remarquables. Il étudia les ruines romaines et se livra à des expériences d’optique. À cette même époque, il conçut les deux premiers livres de son ouvrage Della famiglia. De retour à Florence en 1434 avec la suite d’Eugène IV, qui fuyait Rome, il retrouva l’élite artistique de la cité, et formula les principes théoriques de la nouvelle expression artistique dans le De pictura (1435). Il composa à la même époque les Elementi di Pittura, dont il donna une traduction latine, et un bref traité sur la sculpture, De statua, tout en continuant à travailler à son ouvrage consacré à la famille. Les quatre livres de ce traité (le dernier date de 1440), son œuvre la plus célèbre en italien, concernent l’éducation des enfants, la famille, l’amour et l’amitié. Selon Alberti, le bonheur ne peut être atteint que dans le parfait équilibre entre l’individu et la société et, à travers elle, la famille. Ses fonctions officielles auprès d’Eugène IV l’amenèrent à se rendre aussi à Bologne (1436), à Pérouse (1437), à Ferrare (1438) où se réunit le concile des Églises romaine et byzantine ; puis il retourna à Florence avec le concile, qui y fut transféré à cause d’une épidémie de peste qui sévissait dans la ville émilienne. Il y resta de 1439 à 1443, rédigeant le Theogenius, l’un de ses dialogues les plus importants, et poursuivant ses Intercenales, œuvres latines inspirées de Lucien, commencées dès sa jeunesse à Bologne, qu’il réunit en dix livres vers 1439. En 1443, il revint avec la cour papale à Rome, qu’il ne quitta dès lors presque plus, se consacrant à nouveau aux mathématiques, à la physique et à l’optique. Armé d’un théodolite (appareil d’arpentage) de son invention, il parcourut la ville afin d’en dresser un plan exact, qu’il intégra dans sa Descriptio urbis Romae. Il résuma son savoir dans les Ludi matematici, parus en 1452. S’il ne renonça pas tout à fait à la littérature morale, puisqu’il publia une fable politique, Momus, satire caustique et mordante du pouvoir et de la vanité humaine, il se consacra désormais à l’architecture. Il conseilla le pape Nicolas V (élu en 1447) dans son entreprise de restauration de la Rome antique et ses projets de rénovation de la cité. Sa réputation en ce domaine était déjà bien établie à cette époque. En 1450, Sigismondo Malatesta le consulta pour l’église San Francesco à Rimini. En 1452, Alberti présenta au pape son traité De re aedificatoria (publié à Florence seulement en 1485). Ludovic Gonzague (Lodovico Gonzaga), qu’il avait rencontré à Mantoue lors de la diète convoquée par Pie II, lui confia en 1460 la construction de San Sebastiano et, onze plus tard, le projet de Sant’Andrea. Sous le pontificat de Paul II, Alberti perdit son office à la chancellerie, mais continua de résider à Rome, où il mourut en avril 1472.

    • Humanisme et architecture : le théoricien

    Alberti a défini en théorie le nouvel idéal artistique de la Renaissance : son De pictura, rédigé en latin et traduit en italien par Alberti lui-même, qui le destinait aux artistes (la version italienne est d’ailleurs dédiée à Brunelleschi), exposait la théorie de la perspective qui venait de déclencher une révolution dans la peinture florentine. Dans le De statua, il développa une théorie des proportions fondée sur l’observation des mensurations du corps de l’homme, conforme à la pratique de Ghiberti, Michelozzo et Donatello.

    Mais l’architecture était à ses yeux l’art par excellence, celui qui contribue le mieux à l’intérêt public, la forme supérieure du Bien. Dans les années 1440, à la demande de Lionello d’Este, Alberti entreprit un commentaire du De architectura de Vitruve. Devant l’obscurité et les incohérences du texte, il décida de réécrire lui-même un traité d’architecture, inspiré certes de l’architecte romain, mais adapté aux nécessités et aux mentalités modernes. Le De re aedificatoria, divisé en dix livres comme le traité vitruvien, est le premier traité d’architecture de la Renaissance, et son auteur fut cité par des humanistes, tel Rabelais (Pantagruel, chap. VII), à l’égal non seulement de Vitruve, mais aussi d’Euclide ou d’Archimède. Dans l’Introduction de l’ouvrage, Alberti aborde le rôle de l’architecture dans la vie sociale. Les trois premiers livres techniques sont consacrés respectivement au dessin, aux matériaux, aux principes de structure. Dans les livres IV à X, Alberti traite de l’architecture civile : choix du site, typologie des édifices civils, publics et privés. Sa cité idéale a un plan rationnel, avec des édifices régulièrement disposés de part et d’autre de rues larges et rectilignes. Cette nouvelle conception de l’urbanisme, en rupture avec les pratiques médiévales, est liée sans doute à l’essor sans précédent de la cité-république. Alberti reprend la plupart des thèmes abordés par Vitruve. L’architecture repose, pour lui, sur les mêmes principes de firmitas (solidité), utilitas (utilité), venustas (beauté). Il accorde une place importante au decorum et développe la définition de la beauté donnée par l’architecte romain : elle est une sorte d’harmonie et d’accord entre toutes les parties qui forment un tout construit selon un nombre fixe, une certaine relation, un certain ordre, ainsi que l’exige le principe de symétrie, qui est la loi la plus élevée et la plus parfaite de la nature (livre IX, chap. V).

    Le De re aedificatoria est aussi le premier texte moderne à parler clairement des ordres d’architecture. La notion d’ordre n’est pas encore bien précise pour l’humaniste ; certes, il traite successivement des bases, des chapiteaux et des entablements de chaque ordre, mais les formes décrites sont assez proches de celles qui deviendront canoniques aux siècles suivants. À partir des données vitruviennes souvent confuses, il détaille les éléments des ordres toscan, dorique, ionique et corinthien, ajoutant ou précisant quelques points (tracé du tailloir corinthien, volute ionique, base „corinthienne" qu’il nomme ionique). Mais la grande nouveauté de sa conception des ordres est la perspective nationaliste : Alberti affirme la primauté de la nation étrusque, et donc des Toscans, en voyant dans l’ordre éponyme l’ordre le plus ancien. En outre, il est le premier à décrire le chapiteau composite qu’il nomme « italique » pour bien souligner qu’il s’agit d’une création italienne, et non grecque. L’influence du traité fut à la fois considérable et limitée. Considérable, car l’ouvrage fit de son auteur l’égal de Vitruve et, à ce titre, une référence obligée. Limitée, car sa publication tardive (1485) et surtout l’absence d’illustrations nuisit à sa diffusion. Du reste, rédigé en latin, il était davantage destiné aux connaisseurs qu’aux bâtisseurs.

    • De la théorie à la pratique

    L’œuvre construite est peu importante en quantité. Alberti, homme de cabinet, ne fut pas présent sur les chantiers, comme le révèle par exemple la lettre dans laquelle il donne des instructions très précises à Matteo de’ Pasti, chargé de l’exécution de San Francesco à Rimini. Dans d’autres cas, son intervention n’est pas prouvée. On lui attribue généralement la paternité du palais Rucellai, à Florence. Le palais fut construit en deux étapes par Bernardo Rossellino (1448-1455, apr. 1457 et av. 1469), mais l’humaniste est vraisemblablement l’inspirateur d’une façade qui présente pour la première fois trois niveaux de pilastres appliqués sur le revêtement à bossage typique des palais florentins. Cette superposition d’ordres inspirée de modèles antiques (Colisée, théâtre de Marcellus), l’utilisation d’une corniche à l’antique et, à la base de l’édifice, d’un opus reticulatum, sont tout à fait dans l’esprit d’Alberti, qui apparaît ainsi comme l’inventeur d’un type de façade sans précédent à Florence. En 1450, Sigismondo Malatesta avait appelé Alberti à Rimini pour moderniser San Francesco et en faire un mausolée dynastique, d’où son nom de tempio Malatestiano. Le Florentin conçut une enveloppe moderne, habillant la façade et les flancs de l’ancien édifice, ainsi qu’une rotonde, dans le prolongement du chœur, couverte d’une immense coupole ; toutefois, ce dernier projet ne put être mené à bien. À Florence, Alberti réalisa à la demande de Giovanni Rucellai le Saint-Sépulcre de l’église San Pancrazio, petit édicule supporté par des pilastres cannelés (1467), et surtout la façade de Santa Maria Novella (1457-1458). Quant aux édifices prévus pour Mantoue, ils ne furent pas terminés : San Sebastiano n’a jamais reçu la façade que prévoyait Alberti, et c’est Filippo Juvara qui construisit au XVIIIe siècle la coupole de Sant’Andrea. De même, l’église de Rimini resta inachevée.

    Media

    San Sebastiano et Sant' Andrea, Mantoue. Alberti expérimente à Mantoue deux types de plan : croix grecque à San Sebastiano (en haut) et croix latine à Sant' Andrea.

    Tous ces édifices sont cependant très importants pour l’histoire de l’architecture, car ils posent, d’entrée de jeu, les deux problèmes cruciaux de l’architecture religieuse de la Renaissance : celui du plan (centré ou longitudinal) et celui de l’adaptation des formules antiques aux façades des églises modernes. San Sebastiano, construit sur l’emplacement d’un ancien oratoire, a un plan en croix grecque. Sant’Andrea, église destinée à accueillir de nombreux fidèles, comporte pour cette raison une nef sans bas-côtés, mais dotée de chapelles latérales et couverte d’une puissante voûte en berceau reposant sur des piliers disposés entre les chapelles, dans un rythme inspiré de l’arc de triomphe antique. Enfin, le temple des Malatesta devait combiner une nef longitudinale et un sanctuaire en forme de rotonde. Les principales solutions qu’adopta l’architecture religieuse des siècles suivants se trouvent ici définies : le plan central fut celui du Saint-Pierre projeté par Bramante et par Michel-Ange ; le plan longitudinal de Sant’Andrea préfigure celui du Gesù construit à Rome par Vignole ; la combinaison de la nef et de la rotonde, souvenir du Saint-Sépulcre de Jérusalem, se retrouve à la Santissima Annunziata de Florence ; elle fut reprise par Diego de Siloé pour la cathédrale de Grenade.

    L’autre grand problème était celui de la façade. Les modèles antiques utilisant les ordres – le portique de temple avec fronton et l’arc de triomphe – s’adaptent difficilement à l’élévation d’une église chrétienne comportant une nef haute et des bas-côtés. À Santa Maria Novella, Alberti adopta la solution la plus simple : deux niveaux d’ordres superposés, large au rez-de-chaussée et plus étroit à l’étage, avec de part et d’autre de ce niveau supérieur des volutes pour relier les deux étages. Cette formule fut reprise et diffusée par Antonio da Sangallo le Jeune, à Santo Spirito in Sassia, à Rome, et s’imposa définitivement dans la Ville éternelle, avec la façade du Gesù et sa nombreuse descendance. À Rimini, la proximité de l’arc d’Auguste semble avoir imposé le modèle de l’arc de triomphe, dont on retrouve des éléments : les colonnes cannelées engagées et les tondi (ou médaillons) des écoinçons. L’arc de triomphe constitue le rez-de-chaussée ; la partie haute de la nef est fermée par un second niveau plus étroit. Dans ce cas, les deux étages sont reliés par des demi-frontons. Palladio se souviendra de ces éléments pour ses façades d’églises vénitiennes.

    Sant’Andrea représente une nouvelle étape, plus audacieuse et plus problématique. L’arc de triomphe, monumental, est combiné à un fronton de temple, couvrant apparemment les deux niveaux de l’élévation. En réalité, ce n’est possible que pour le narthex, plus bas que la nef. En retrait de la façade et dissimulé par elle, un petit arc, situé plus haut que le fronton, masque la partie supérieure de la nef. Cette solution, peu satisfaisante, n’eut pas de suite. Alberti a donc posé et tenté de résoudre les problèmes majeurs de l’architecture de la Renaissance. Le style de ses réalisations témoigne lui aussi de sa modernité, car elles ne reprennent pas seulement à l’Antiquité des formules de disposition des ordres, elles en ressuscitent la monumentalité. Même inachevé (Matteo de’ Pasti ne put mener à terme l’entreprise en raison de la mort de Sigismondo, en 1468), le temple des Malatesta frappe par la noblesse de sa conception. Dans la majesté de son volume intérieur, Sant’Andrea de Mantoue est comparable aux plus belles réalisations de l’Antiquité.

    Cette monumentalité très romaine est cependant combinée à un décor archaïsant, qui lui confère une originalité supplémentaire. La décoration ne renie pas les modèles et le style toscans : la façade de Santa Maria Novella est une savante synthèse d’éléments antiques (attique, pilastres et demi-colonnes placées sur piédestal) et d’un registre décoratif typiquement florentin (incrustations, chapiteaux au décor préclassique, etc.), qui en font la transcription moderne de San Miniato al Monte. Curieusement, les formes des ordres décrites dans le traité ne sont pas utilisées dans la réalité. Les chapiteaux de la façade de Rimini, dont la composition est donnée par l’humaniste avec la plus grande précision, diffèrent du corinthien de l’arc antique voisin, et seraient inspirés d’un type ancien de chapiteau italique ; de même, les chapiteaux de Sant’Andrea ne respectent pas les normes canoniques.

    Humaniste, théoricien et praticien dilettante, Alberti inaugure l’un des principaux types de l’architecte à l’âge classique. Pierre Lescot, Daniele Barbaro, Claude Perrault seront, de ce point de vue, ses héritiers. L’autre grande figure de la Renaissance italienne, Brunelleschi, représente un second type : celui de l’homme de chantier, qui, bien qu’attentif à l’aspect théorique de son art et aux principes de l’Antiquité, est plus attaché aux réalités pratiques et à la tradition locale qu’il hérite de son expérience de constructeur. Antonio da Sangallo, Philibert Delorme et François Mansart se situent dans cette lignée. L’œuvre d’Alberti et de Brunelleschi traduit cette opposition, si bien exprimée par André Chastel : « On n’aura aucune peine à opposer la démarche de Brunelleschi à celle d’Alberti, si l’on songe à ce qui sépare Saint-Laurent du Temple de Malatesta, Santo Spirito de Saint-André de Mantoue : ici, ligne et dessin, là, mur et volumes ; ici, la scansion des vides et un rythme explicite, là, des consonances multiples ; ici, le roman toscan porté à un ordre de rapports d’une pureté parfaite, là le modèle romain obstinément médité » (« L’Architecture cosa mentale », in Filippo Brunelleschi, la naissance de l’architecture moderne, L’Équerre, Paris, 1978). Peut-être faut-il des génies comme Léonard ou Michel-Ange pour dépasser cette opposition.

    Frédérique LEMERLE

    Bibliographie

    Œuvres de Leon Battista Alberti

    Opuscoli morali di L. B. Alberti, C. Bartoli éd., Francesco Franceschi, Venise, 1568 ; Opera inedita et pauca separatim impressa di Leon Battista Alberti, G. Mancini éd., J. C. Sansoni, Florence, 1890 ; « De cifris » in Die Geheimschrift im Dienste der papstlichen Kurie, A. Meister éd., Paderborn, 1906 ; Opere volgari, C. Grayson éd., 2 vol., Gius, Laterza e Figli, Bari, 1960-1966 ; Leon Battista. L’Architettura. De re aedificatoria, G. Orlandi éd., Edizioni Il Polifilo, Milan, 1966 ; Alberti : on Painting and on Sculpture, the Latin Texts of « De Pictura » and « De statua », C. Grayson éd., Phaidon, Londres, 1972 ; Leon Baptista Alberti, « De commodis literarum atque incommodis », Leo S. Olscki, L. G. Carotti éd., Florence, 1976 ; « Philodoxeos Fabula, edizione critica », in C. L. Martinelli éd., Rinascimento, no 17, 1977 ; Leon Battista Alberti, Momus ou le Prince. Fable politique (première traduction en français par Claude Laurens. Préface de Pierre Laurens), Les Belles-Lettres, Paris, 1993 ; Fables sans morale suivi de Prophéties facétieuses de Léonard de Vinci, trad. et Préface de P. Laurens, ibid., 1997 ; La Peinture, Seuil, Paris, 2004 ; L’Art d’édifier, ibid., 2004.

    Études

    A. BLUNT, La Théorie des arts en Italie de 1450 à 1600, Gallimard, Paris, 1956

    F. BORSI, Leon Battista Alberti, Electa, Milan, 1975

    F. & S. BORSI, Alberti. Une biographie intellectuelle, trad. K. Bienvenu, Hazan, Paris, 2006

    F. CHOAY, La Règle et le Modèle : Sur la théorie de l’architecture et de l’urbanisme, Seuil, Paris, 1996

    F. FURLAN, Studia albertiana. Lectures et lecteurs de L.B. Alberti, Vrin, Paris, 2003

    F. FURLAN, P. LAURENS & S. MATTON dir., Leon Battista Alberti. Actes du congrès international de Paris, Sorbonne-Institut de France-Institut culturel italien-Collège de France, 10-15 avril 1995, 2 vol., Vrin, Paris, 2001

    J. GADOL, Leon Battista Alberti : Universal Man of the Early Renaissance, Univ. of Chicago Press, Chicago, 1969

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    C. GRAYSON, « Studi su Leon Battista Alberti », in Rinascimento, no 4, 1953 ; « The Humanism of Alberti », in Italian Studies, vol. XII, 1957 ; « Leon Battista Alberti, Architect », in Architectural Design, 49, no 5-6, juin 1979 ; « The Composition of L. B. Alberti’s decem libri « De re aedificatoria », in Münchner Jahrbuch der bildenden Kunst, vol. III, 1960

    M. HORSTER, « Brunelleschi und Alberti in ihrer Stellung zur römischen Antike », in Mitteilungen des Kunsthistorischen Instituts in Florenz, vol. XVIII, 1973

    R. KRAUTHEIMER, « Alberti and Vitruvius », in The Renaissance and Manierism, Studies in Western Art, vol. II, Princeton, 1963

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    Actes du congrès international Leon Battista Alberti(10-15 avr. 1995), sous la direction de F. Furlan, P. Laurens et S. Matton, Vrin, 1997.

    ALBIZZI LES


    Famille florentine. Originaires d’Arezzo, les Albizzi sont inscrits à l’Arte della Lana, l’une des plus importantes corporations marchandes de Florence, dès le début du XIIIe siècle ; très fréquemment, on les trouve occupant les plus hautes fonctions au gouvernement de la ville (prieurs, gonfaloniers de justice). Guelfes de toujours, ils jouent un rôle important dans la proscription de la faction modérée des « blancs » au début du XIVe siècle, et prennent peu à peu la tête du parti. Aussi sont-ils particulièrement visés au moment de la révolte des Ciompi : Piero, chef de la famille, a la tête tranchée en 1379. À la chute du gouvernement populaire en 1382, Maso degli Albizzi prend la direction de la réaction oligarchique : une assemblée à ses ordres bouleverse la Constitution, et il fait exiler ses adversaires (notamment les Alberti) en 1393. Son fils Rinaldo (1370-1442) lui succède en 1417. Florence est alors à l’apogée de sa puissance. Rinaldo affirme son pouvoir personnel, à peine dissimulé sous les formes républicaines. Contre lui, la famille des Médicis s’appuie, avec une habile démagogie, sur le mécontentement populaire à l’égard de l’oligarchie. Or le crédit de Rinaldo est atteint par l’échec d’une tentative de conquête de Lucques. En 1433, il tente d’en finir avec Côme de Médicis qu’il fait exiler par un gonfalonier de justice à ses ordres. Mais, l’année suivante, un nouvel échec militaire (contre Milan cette fois) discrédite l’oligarchie : une majorité se dégage en faveur des Médicis au gouvernement. Après une vaine tentative de recours aux armes, Rinaldo s’exile tandis que son frère Luca, passé au parti des Médicis, maintient une branche de la famille à Florence.

    Gérard RIPPE

    ALCIAT ANDRÉ (1492-1550)


    Né sans doute à Alzate, près de Côme — d’où le nom de sa famille —, Alciat était fils d’un riche marchand de Milan, et c’est dans cette ville qu’il fait ses premières études. En 1508, probablement, il va à Pavie pour se former aux disciplines juridiques et, en 1511, il passe à Bologne. Mais l’enseignement du droit lui semble fort mal donné et parfaitement inutile. En 1513, ses Annotationes in tres posteriores Codicis libros témoignent de l’orientation qu’Alciat entend donner à son étude de l’Antiquité romaine, étude juridique, certes, mais éclairée par une large utilisation des sources littéraires et tournée vers les institutions publiques. Alciat s’inscrit dans le courant nouveau des juristes humanistes, en réaction contre les bartolistes, dont l’enseignement s’essouffle. D’abord avocat à Milan (1514-1518), il accepte d’aller enseigner à Avignon (1518-1522). Sa réputation lui vaut d’attirer à ses cours le Bâlois B. Amerbach, à qui Zazius avait conseillé d’aller entendre le jeune professeur ; c’est alors aussi qu’il entre en relation avec Guillaume Budé. Chassé d’Avignon par la peste en 1522, il revient à Milan et, ne trouvant pas d’enseignements dans une université italienne, se consacre à l’étude et à la publication de plusieurs traités juridiques ; il retrouve, en 1527, sa chaire d’Avignon. En 1529, Bourges se l’attache en lui offrant un salaire plus élevé ; il y est accueilli en grande pompe par les étudiants, qui lui font cortège. Le séjour à Bourges fut marqué par un intense travail et la publication de plusieurs ouvrages, dont l’édition de la Notitia dignitatum. Cependant, Padoue et Pavie se disputaient son enseignement : sur l’ordre impérieux du duc de Milan, Alciat dut opter pour Pavie, où il enseigna de 1533 à 1537. À Pavie, Alciat fut en butte à des attaques de collègues et ne retrouva pas la qualité de son auditoire de Bourges. Les guerres d’Italie vident d’ailleurs l’université de Pavie, et Alciat passe à Bologne en 1537, où le pape le maintient, malgré les réclamations du gouverneur de Milan, jusqu’en 1541. Après un bref passage à Pavie, il est engagé à Ferrare (1542-1546), et revient finalement à Pavie, où il meurt en janvier 1550.

    Malgré cette vie mouvementée, Alciat ajoute à son enseignement une œuvre écrite considérable où se marque son esprit novateur : l’application à l’étude des textes de droit romain de la méthode philologique, le souci de la reconstitution historique du droit ancien. Juriste humaniste, Alciat s’insurge contre l’interprétation que fait Accurse du dogme de l’infaillibilité. Il s’est soucié d’établir de façon critique le texte de plusieurs passages du Digeste, explique les termes et les institutions du droit romain en recourant aux témoignages littéraires, publie des inscriptions et des manuscrits. Son œuvre juridique et historique ne doit pas faire oublier ses écrits littéraires d’humaniste, en particulier les Emblemata (publiés en 1531), poèmes allégoriques, riches de plus d’érudition mythologique que de souffle poétique, qui connurent un très grand succès et furent traduits en français par Barthélemy Aneau en 1549.

    Jean GAUDEMET

    ALDEGREVER HEINRICH (1502-apr. 1555)


    Peintre et graveur allemand, de son vrai nom Heinrich Trippenmecker. Son activité de peintre est très mal connue. Il doit sa célébrité à ses gravures sur cuivre, environ trois cents, exécutées de 1527 à 1541 et de 1549 à 1555 et signées du monogramme AG, imité de celui de Dürer, dont il fut le disciple. On y sent, dans le style et dans les sujets, l’influence de celui-ci et des « petits maîtres de Nuremberg » (les frères Beham et Georg Pencz). Ses planches d’ornements ont été très utilisées par les artisans de l’époque. Personnalité de second rang, créateur sans grande originalité, il fut néanmoins jusqu’au XIXe siècle un des artistes allemands de la Renaissance les plus connus, en raison de l’abondance de ses gravures dans les collections des amateurs (à une époque où les gravures sur cuivre jouaient un rôle primordial dans la connaissance que l’on avait de l’art du passé) et de l’estime dans laquelle on tenait son style d’une correction un peu froide.

    Pierre VAISSE

    ALDROVANDI ULISSE (1522-1605)


    Après avoir été page puis pèlerin, Aldrovandi étudia à Padoue et à Bologne, en 1545, d’abord le droit, puis la médecine. En 1549, il fut arrêté, accusé d’hérésie et envoyé à Rome où il put se disculper, probablement en partie grâce à sa naissance noble. De retour à Bologne, il obtint son diplôme de médecine en 1553 et s’intéressa à la botanique. Il fut nommé professeur en titre d’histoire naturelle et de logique à l’université de Bologne (1560) en raison du grand intérêt soulevé par ses cours, dans lesquels il présentait l’histoire naturelle comme une étude systématique. Il fonda un jardin botanique à Bologne et en fut nommé conservateur.

    Sa nomination comme « inspecteur des remèdes et préparations » se heurta à l’hostilité des apothicaires, mais fut confirmée par le pape Grégoire XIII. La pharmacopée officielle qu’Aldrovandi écrivit, Antidotarii Bononiensis Epitome (Épitomé des antidotes de Bologne), (1574), où il décrit les constituants et les propriétés des remèdes, devint un modèle pour ce genre de travaux.

    Grégoire XIII lui accorda une aide financière pour publier ses nombreux travaux sur l’histoire naturelle, qui comprenaient des observations détaillées au jour le jour sur les modifications qui se produisent pendant l’incubation de l’embryon de poulet. Quatre volumes seulement, avec des gravures en taille-douce détaillées, parurent pendant sa vie ; dix autres volumes furent préparés par ses élèves à partir de ses manuscrits. Il écrivit aussi Le Antichità della città di Roma (1556), revue de diverses statues de Rome. Légué à la ville de Bologne, son musée de spécimens biologiques classés suivant son propre système contribua au développement ultérieur de la taxinomie animale.

    Jean CALMARD

    ALESSI GALEAZZO (1512-1572)


    Formé à Pérouse, puis à Rome dans l’entourage de Michel-Ange, Alessi introduisit l’architecture maniériste à Gênes et à Milan. Il donna une interprétation du plan central de Saint-Pierre de Rome en élevant Santa Maria di Carignano (1549). En construisant la sévère et monumentale Villa Cambiaso (1541-1548), il définit le style du palais génois pour la nouvelle rue (Strada Nuova) qu’il devait créer. À Milan, au palais Marino (1558) comme à la façade de Santa Maria presso San Celso, il superposa à l’ordonnance classique un riche décor sculpté, typique du goût lombard.

    Catherine CHAGNEAU

    ALTDORFER ALBRECHT (1480 env.-1538)


    Introduction

    Dessinateur, peintre, graveur et architecte allemand, Albrecht Altdorfer est né vers 1480 ; il est mort à Ratisbonne en 1538. Sa plaque tombale le désigne comme architecte (Baumeister), mais son activité dans ce domaine ne nous est connue que par des mentions d’archives concernant des travaux utilitaires qu’il aurait dirigés à la fin de sa vie. Il acquit le droit de bourgeoisie à Ratisbonne en 1505, un an avant les premières œuvres datées que l’on conserve de lui, et il appartenait probablement à une famille de cette ville. Il y exerça de hautes fonctions et fut même appelé en 1528 à la charge de bourgmestre, qu’il refusa parce qu’il devait achever un tableau pour le duc de Bavière. À sa mort, il jouissait d’une fortune non négligeable. Outre des biens immobiliers, il possédait une collection dans laquelle figuraient des pièces antiques, témoins d’un intérêt qui le rapproche de l’esprit humaniste.

    • Un milieu humaniste

    La ville de Ratisbonne souffrait au XVIe siècle d’un déclin économique et politique, mais le souvenir de son ancien éclat intellectuel se maintenait dans le milieu des humanistes. Pourtant, le nom d’Altdorfer n’apparaît sous la plume d’aucun d’entre eux, au contraire de ceux de Cranach, de Baldung ou de Matthias d’Aschaffenbourg (Grünewald), sans parler de celui de Dürer. Cette absence est d’autant plus surprenante qu’il collabora lui aussi aux travaux de propagande par l’image commandés dans la deuxième décennie du siècle par l’empereur Maximilien Ier : Altdorfer peignit en effet à l’aquarelle une partie des planches du Cortège triomphal, donna les dessins pour plusieurs des gravures sur bois qui composent sa Porte triomphale et dessina une partie des marges de son Livre d’heures, après avoir illustré de dessins aquarellés le manuscrit de la Vita Frederici et Maximiliani rédigée par un humaniste de Ratisbonne, Grünpeck.

    Altdorfer appartient donc à la pléiade d’artistes qui firent du début du XVIe siècle l’âge d’or de la peinture allemande. Longtemps considéré, au cours du XIXe siècle, comme un élève ou un suiveur de Dürer, il devint au début du XXe siècle le principal représentant de ce que l’on appela l’école du Danube – une tendance stylistique aux caractères définis à partir de son art sur lequel se trouvait projetée en retour l’idée que l’on se faisait d’elle. À une époque où le nationalisme néo-romantique se nourrissait d’explications ethno-géographiques, on vit en elle l’expression d’un terroir, la vallée du Danube, et d’une des ethnies qui passaient pour être à l’origine du peuple allemand, le Stamm austro-bavarois. Son apparition aurait été favorisée, dans les premières années du XVIe siècle, par la présence en basse Autriche des peintres Rueland Frueauf le Jeune, de Passau, Jörg Breu l’Ancien, d’Augsbourg, et Lucas Cranach l’Ancien, qui devait dès 1505 s’établir à Wittenberg au service du prince-électeur de Saxe.

    • Des débuts obscurs

    En réalité, l’art des deux premiers cités n’offre aucun point commun avec celui d’Altdorfer à ses débuts. Quant aux œuvres de Cranach antérieures à 1505, qui diffèrent de la production ultérieure de ce peintre par leur violence expressive, elles conjuguent une forte influence de Dürer avec un sens nouveau de la couleur, caractères que l’on retrouve dans les premières peintures connues d’Altdorfer, datées de 1507, sans qu’on puisse préciser sa dette envers elles. Dès ses débuts, Altdorfer paraît fortement marqué par les gravures de Dürer, dont il va jusqu’à imiter le monogramme, mais aussi par des gravures sur cuivre et des nielles importés d’Italie, qu’il interprète avec une liberté dans laquelle on a jadis voulu voir une maladresse juvénile qui le fit parfois qualifier d’amateur.

    Pendant une dizaine d’années, Altdorfer va produire un grand nombre de dessins, certains à la plume, les plus nombreux en clair-obscur, sur papier teinté – une technique venue d’Italie qui avait gagné l’Allemagne vers la fin du XVe siècle. Monogrammés, souvent datés, ces dessins ne sont ni des études ni des esquisses, mais des œuvres achevées, destinées à la vente, ce qui suppose une clientèle d’amateurs raffinés sur laquelle nous ne possédons aucun témoignage – la même, sans doute, qui achetait les dessins de paysage à la plume de Wolf Huber, un artiste établi à Passau dont les liens avec Altdorfer furent étroits. Certains de ces dessins représentent des épisodes de la vie du Christ et des saints, d’autres des scènes profanes, lansquenets, couples d’amoureux dans la nature, dame à cheval partant pour la chasse, etc. Mais une grave erreur iconographique commise dans l’atelier même d’Altdorfer par un collaborateur chargé de copier un Samson et le lion (la transformation de la mâchoire d’âne, attribut du héros, en patte de lion) semble prouver que le sujet n’était la principale préoccupation ni de l’artiste ni de sa clientèle.

    • Le paysage

    De très petit format, à tel point qu’on a voulu en déduire, sans raison suffisante, qu’Altdorfer avait reçu une formation de miniaturiste, ses premiers tableaux connus présentent le même caractère. À côté de saints dans des paysages, il peignit une Famille de satyres, scène sans doute imaginée par quelque humaniste, mais dont la signification reste mystérieuse. Plus étonnant est son Saint Georges combattant le dragon, car la surface du tableau est presque entièrement recouverte par les feuillages serrés d’arbres gigantesques qui font oublier le saint, minuscule, réduit au rang de prétexte au profit d’une végétation qui, jusqu’alors, ressortissait au simple décor, ce qu’on appelait un parergon.

    L’importance prise par le paysage, par les arbres dans les compositions d’Altdorfer a été au centre des interprétations qu’on a données de son art. Récemment, on a voulu voir dans cette abondance végétale un rappel de la grande forêt germanique. L’hypothèse a pour elle de lier son art au nationalisme culturel de nombreux humanistes allemands, et en particulier à celui de Konrad Celtis qui avait séjourné à Ratisbonne et qui avait chanté cette forêt primitive dans sa Germania illustrata. Bien qu’elle se heurte au fait que la végétation se montre aussi abondante dans les œuvres de certains artistes italiens de l’époque, en particulier Lorenzo Lotto, elle est cependant plus probable que celle d’une fusion entre l’homme et la nature qu’aurait, consciemment ou non, opérée Altdorfer par son style. Cette interprétation, apparue entre les deux guerres et qui persista jusqu’à une époque récente (tant est fort le penchant des historiens de l’art pour les idées reçues), résulte en fait d’une projection du romantisme sur l’art allemand du début du XVIe siècle : allemand par nature, l’esprit romantique, qui s’était réveillé vers 1800, ne pouvait qu’avoir inspiré les plus grands peintres que l’Allemagne ait produits, Grünewald, Dürer, Cranach, Altdorfer... Par le côté idyllique de son art, Altdorfer passait pour le Ludwig Richter (1803-1884) ou le Moritz von Schwind (1804-1871) de ce romantisme du début du XVIe siècle, et l’on ne manquait pas d’évoquer à son propos le Rübezahl (esprit des forêts, personnage légendaire du folklore germanique) du second.

    Un des arguments stylistiques sur lesquels s’appuyait cette interprétation tenait au graphisme d’Altdorfer, un graphisme qui, loin de se soumettre aux choses pour en traduire l’aspect, traite les rameaux comme les plis d’un vêtement et les traits d’un visage comme les feuilles d’un arbre. Mais il était anachronique d’interpréter ce caractère comme une volonté, plus ou moins consciente, d’exprimer l’unité profonde de la Nature telle que l’ont vécue les romantiques – alors qu’un goût formé par la doctrine académique n’y avait pendant longtemps vu que simple maladresse. L’hypothèse est d’autant moins recevable que ce graphisme, d’une étonnante liberté, subit des changements rapides et profonds. C’est ainsi qu’en 1508-1510 Altdorfer adopte ce qu’on appelle le style des plis parallèles, un style peut-être inspiré par une tendance antiquisante de la sculpture italienne, tandis qu’en 1512 il se complaît à un jeu de grandes courbes décoratives comme des arabesques.

    • L’art de la couleur

    Ces observations concernent avant tout les dessins d’Altdorfer, la part sans doute la plus originale de sa production. Cependant, la couleur intense et lumineuse de ses peintures a suscité des commentaires analogues. Dans un livre resté célèbre, Otto Benesch, en 1938, la mettait en rapport avec les idées exprimées un peu plus tard par Paracelse. Ce rapprochement, qui continue à faire florès aux États-Unis (où Benesch vécut de l’Anschluss à la fin de la guerre), repose sur une argumentation aussi subjective qu’arbitraire, mais elle se comprend si l’on se rappelle le rôle de héros germanique que certains milieux, dans l’entre-deux-guerres, attribuèrent à Paracelse en raison de son irrationalisme.

    Comme coloriste, Altdorfer atteint le sommet de son art entre environ 1511 et 1518 avec les panneaux, consacrés à la Passion du Christ et à la légende de saint Sébastien, d’un retable (aujourd’hui démembré) commandé par le prieur de l’abbaye de Saint-Florian, près de Linz. Contemporain de celui dont Grünewald peignit les volets pour le monastère d’Isenheim en Alsace, c’était un de ces immenses retables comme le goût s’en était répandu en Allemagne du Sud dans le dernier tiers du XVe siècle, et dont les derniers exemples furent réalisés peu après 1520. L’importance de cette commande ainsi que la collaboration à différents travaux pour l’empereur mentionnés plus haut expliquent peut-être qu’Altdorfer ait alors à peu près cessé de produire des dessins de vente.

    Bien que ces panneaux soient considérés aujourd’hui comme une de ses œuvres maîtresses, la reconnaissance de leur authenticité ne fut pas immédiate, tant leur style diffère de celui des peintures plus anciennes, et même d’un tableau contemporain comme La Vierge à l’Enfant entre saint Jean et saint Joseph de 1515. Au lieu de présenter des formes arrondies et des visages poupins, les personnages aux traits du visage fortement expressifs sont grands et dégingandés, comme désossés. Ce changement radical avait toutefois été annoncé par la grande Crucifixion de Kassel et par Les Deux Saints Jean, panneau provenant d’un monastère de Ratisbonne et conservé dans le musée de cette ville, au point qu’on peut se demander si le style d’Altdorfer n’était pas, en partie du moins, conditionné par le format.

    Un autre caractère des compositions réside dans l’utilisation de la perspective : des raccourcis exagérés, comme si les scènes étaient vues de près avec un angle de vision très ouvert, créent une puissante impression d’espace. Là aussi, le procédé n’était pas nouveau chez Altdorfer. Il s’appuie certainement sur la connaissance de l’art du Tyrolien Mickael Pacher, en particulier du retable qu’il avait exécuté pour l’église de Saint-Wolfgang près de Salzbourg, mais plus encore sur l’étude des gravures sur cuivre de Mantegna, dont il devait posséder des exemplaires dans son atelier. Il dépasse cependant de beaucoup ces modèles dans l’exploitation des possibilités rhétoriques de la perspective, allant même jusqu’à en mettre en œuvre les principes pour un regard dirigé di sotto in su (procédé de dessin consistant à représenter en raccourci une figure ou un objet vu de bas en haut), dans un dessin où la croix du Christ s’amenuise vers le haut, comme peuvent la percevoir la Vierge et saint Jean debout à son pied – un procédé que l’on retrouvera dans des peintures de plafond en trompe l’œil.

    • Les chefs-d’œuvre

    Après 1520, l’art d’Altdorfer connaît une nouvelle métamorphose. Il peint alors des tableaux peuplés de minuscules personnages aux formes globuleuses. Les plus importants sont L’Histoire de Suzanne, de 1527, composition dominée par un immense palais de fantaisie aux formes italianisantes, sorte de rêve insensé d’architecte, et son œuvre de loin la plus célèbre, la Bataille d’Alexandre. Commandé à l’artiste par le duc de Bavière avec une série d’autres batailles de l’Antiquité confiées à différents artistes d’Allemagne du Sud, ce tableau met en scène l’innombrable armée des Perses de Darius vaincue par celle des Grecs d’Alexandre, tandis que le ciel, où le soleil macédonien s’oppose au croissant de lune, semble offrir une métaphore cosmique de ce conflit entre deux mondes. L’immense paysage où il se déroule, avec la mer, des fleuves et des massifs de montagne, est une représentation, d’une exactitude remarquable pour l’époque, des pourtours de la Méditerranée orientale, avec Chypre et l’Égypte traversée par le Nil. Une telle composition n’a pas été conçue sans l’aide d’un humaniste, en l’occurrence Aventin, qui résidait à Ratisbonne. Cette collaboration confirme le caractère savant de l’art d’Altdorfer, présenté pendant longtemps par les historiens allemands comme un art populaire, l’expression naïve des sentiments et des croyances du Stamm austro-bavarois.

    À la même époque, Altdorfer exécute un grand nombre de très petites gravures sur cuivre représentant des sujets bibliques ou antiques, dans un esprit antiquisant ou italianisant qu’on retrouve dans la production analogue et contemporaine du Nurembergeois Sebald Beham. Auparavant, il avait peint un tableau et gravé plusieurs planches à l’eau-forte (une technique nouvelle, dont il fut un des premiers à faire usage) qui font de lui l’un des précurseurs de l’art du paysage comme genre. Contrairement à ses premiers dessins où les scènes, vues de près, étaient noyées dans la végétation, ses paysages à l’eau-forte montrent de vastes étendues composites qui, comme les dessins contemporains de Wolf Huber, annoncent le paysage nordique de la seconde moitié du XVIe siècle. Un petit tableau tardif illustrant un proverbe populaire (la mendicité est assise sur la traîne de l’ostentation) semble également devancer la peinture flamande de la même époque. D’où l’épithète de maniériste fréquemment utilisée pour qualifier le style d’Altdorfer à la fin de sa carrière, et, par extension à l’ensemble de son œuvre, pour le situer dans son temps – sans qu’il soit certain que la compréhension de son art gagne beaucoup à une classification de cet ordre.

    • Élèves et disciples

    Altdorfer eut dans son atelier des collaborateurs anonymes, mais peu d’artistes identifiés auxquels on puisse attribuer un œuvre personnel. Les premières gravures de son frère Erhard, qui partit tôt s’établir dans l’Allemagne du Nord, le montrent proche de lui, sans que l’on puisse établir avec certitude quelle fut leur relation. L’œuvre du maître de Pulkau, qui passa pour le plus important de ses disciples, s’est révélé une construction artificielle, et les illustrations de la Vita Frederici et Maximiliani qu’on lui attribua un temps et qui assuraient son lien avec le maître de Ratisbonne ont été rendues à celui-ci. Seuls Michael Ostendorfer et plus tard Hans Mielich (probablement identique à ce Hans qu’il mentionne dans son testament) peuvent être considérés comme des élèves d’Altdorfer. Quant à l’école du Danube, dont il était la figure centrale, il faut la considérer comme une invention de l’historiographie allemande de l’art vers 1900.

    Pierre VAISSE

    Bibliographie

    Altdorfer und sein Kreis, catal. expos., Munich, 1938

    O. BENESCH, Der Maler Albrecht Altdorfer, Anton Schroll, Vienne, 1938

    Il Rinascimento a Venezia e la pintura del Nord ai tempi di Bellini, Dürer, Tiziano, catal. expos., Palazzo Grassi, Venise, 1999

    F. WINZINGER, Albrecht Altdorfer. Zeichnungen, Piper Verlag, Munich, 1952 ; Albrecht Altdorfer. Graphik, ibid., 1963 ; Albrecht Altdorfer. Die Gemälde, Hirmer et Piper Verlag, Munich, 1975 (catalogues de l’œuvre dessiné, gravé et peint)

    C. S. WOOD, Albrecht Altdorfer and the Origins of Landscape, Reaction Books, Londres, 1993.

    AMADEO GIOVANNI ANTONIO (env. 1447-env. 1522)


    Sculpteur et architecte, sensible à l’exemple de Filarète, Amadeo adapta la tradition décorative lombarde au répertoire de la Renaissance toscane. Il construisit la chapelle du Colleone à Bergame (1470) et succéda à Giovanni Solari à la direction des travaux du Duomo et de l’Ospedale Maggiore de Milan en 1481. Appelé plusieurs fois à la chartreuse de Pavie pour d’importants ouvrages de sculpture (entre 1466 et 1485), il donna en 1490 le modèle de la façade dont il dirigea l’exécution jusqu’en 1499. Pavie il réalisa aussi le palais Bottigella (1492).

    Catherine CHAGNEAU

    AMMANNATI BARTOLOMEO (1511-1592)


    Après avoir été l’élève du sculpteur Baccio Bandinelli à Florence, Ammannati rejoint Jacopo Sansovino à Venise ; entre 1537 et 1540, il travaille avec lui à la Libreria Vecchia (reliefs de l’attique). Puis il part pour Padoue, où il sculpte notamment une statue colossale d’Hercule (1544), un portail avec Apollon et Jupiter et le mausolée de B. Benavides aux Eremitani (1546). Il se rend ensuite à Rome et reçoit, grâce à Vasari, différentes commandes de sculpture et d’architecture pour le pape Jules III (statues pour le tombeau de F. et A. del Monte à San Pietro in Montorio, palais Candelli). Rappelé à Florence par Cosme Ier de Médicis après la mort du pape, il remporte en 1559 le concours pour la fontaine de Neptune, place de la Seigneurie (commencée en 1563), dont l’énorme statue s’inspire trop lourdement du David de Michel-Ange. En 1560, il est chargé des agrandissements projetés par Cosme Ier au palais Pitti, qui se poursuivent jusqu’en 1577. Il dessine notamment la vaste cour où il reprend les bossages brunelleschiens en y adjoignant des ordres superposés selon la formule adoptée par Jules Romain à Mantoue, et dont il anime habilement la travée centrale par une percée sur le jardin. En 1569, il donne son chef-d’œuvre avec le Ponte Santa Trinità (détruit en 1944 et reconstruit) dont les trois arches élégantes s’allongent souplement entre les fortes piles en éperon. Le pape Grégoire XIII lui commande en 1570 la tombe de Giovanni Boncompagni au Composanto de Pise. Il conçoit encore les plans de l’austère Collegio Romano, à Rome (édifié de 1582 à 1584), qui montre ce qu’il doit à Vignole. En 1585, Ammannati préside à l’érection de l’obélisque de la place Saint-Pierre, le premier que l’on relevait à Rome.

    Marie-Geneviève de LA COSTE-MESSELIÈRE

    AMYOT JACQUES (1513-1593)


    Humaniste et prélat français, c’est en tant que traducteur que Jacques Amyot s’imposa comme grand écrivain. Né à Melun d’une famille modeste, « le Plutarque françois » fait à Paris de brillantes études, de grec notamment, et est reçu maître ès arts à dix-neuf ans. En 1534 ou 1535, poussé par le désir de faire du droit, ou par l’inquiétude à la suite de l’affaire des Placards, il se rend à Bourges, où il restera plus de dix ans. Il y devient précepteur dans de grandes maisons, celle de Jacques Colin, abbé de Saint-Ambroise, puis celle de Guillaume Bochetel, qui tous les deux remplissent des fonctions importantes auprès du roi, protègent les humanistes et figurent parmi les hommes les plus polis du siècle. Amyot peut ainsi compléter à la fois sa formation d’helléniste et sa formation d’homme du monde.

    La protection de J. Colin lui permet, grâce à l’appui de Marguerite de Navarre, d’obtenir rapidement la chaire de lecteur de latin et de grec à l’université de Bourges ; celle de Bochetel lui vaut d’être chargé par François Ier, en 1542, de la traduction des Vies parallèles de Plutarque. Amyot se consacre dès lors à cette tâche, acquérant ainsi la faveur du roi qui le nomme, en 1547, abbé de Bellozanne ; il occupe les loisirs qu’elle lui laisse en traduisant un roman d’Héliodore, L’Histoire éthiopique [...] de Théagène et Chariclée (1547), pour se faire en quelque sorte la main. Une fois ce dernier ouvrage publié, il décide d’aller en Italie collationner son texte des Vies avec celui des manuscrits de la Péninsule. Il y passe plus de quatre ans : à Venise d’abord, où il rejoint l’un de ses premiers protecteurs qui y est ambassadeur ; à Rome ensuite, où il s’attache à l’influent cardinal de Tournon, qui lui confie, en 1551, une mission diplomatique auprès du concile de Trente.

    De retour en France, il met au point sa traduction de Sept Livres des histoires de Diodore sicilien, qui paraîtra en 1554, et tâche de s’avancer à la Cour. Après avoir espéré en vain être chargé de l’éducation du dauphin, il est nommé, en 1557, précepteur et aumônier des ducs d’Orléans et d’Angoulême, les futurs Charles IX et Henri III. Il s’acquittera excellemment de sa double tâche, tout en menant à bien ses travaux : en 1559, en même temps qu’une version française d’un roman de Longus, Les Amours pastorales de Daphnis et Chloé, il fait paraître la traduction des Vies parallèles. Le succès est immédiat et considérable ; Amyot donne, en 1565 puis en 1567, des rééditions revues et corrigées ; elles seront suivies de beaucoup d’autres.

    À son accession au trône en 1560, Charles IX fait d’Amyot son grand aumônier et le nomme supérieur des Quinze-Vingts. En dépit des obligations que lui imposent ces nouvelles charges, il n’oublie pas Plutarque : il entreprend la traduction des opuscules, Œuvres morales et Œuvres meslées, qu’il publiera en 1572. Comme pour les Vies, l’accueil est triomphal et les réimpressions immédiates. Sa nomination à l’évêché d’Auxerre en 1570 et les multiples démêlés et déboires qu’entraîne cette suprême dignité n’empêchent pas Amyot de continuer à corriger son œuvre. Ainsi se trouvait une nouvelle fois confirmé le scrupule, déjà attesté par l’attention passionnée accordée aux variantes, du « sçavant translateur » (Du Bellay), dont les traductions paraissent à l’époque inimitables et frappent aujourd’hui encore par leur exactitude et leur précision. Ainsi se révélait plus que jamais le souci de l’auteur de polir son adaptation et, par la recherche inlassable d’un style aisé, expressif et harmonieux, de faire œuvre originale.

    Salué par ses contemporains comme un maître de la langue (il se félicite d’avoir « enrichy et poly » le français) et de la prose françaises (grâce à lui, déclare Montaigne, « nous osons à cett’ heure et parler et escrire »), Amyot a exercé sur son siècle une influence considérable, en lui offrant, par ce qui est une véritable recréation, à la fois (dans les Vies parallèles) des modèles d’idéal héroïque (qui fascineront encore Jean-Jacques Rousseau et Napoléon Bonaparte)

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