L'individu en jeu
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About this ebook
Un jour, Patrick devient, à son insu, le sujet d’une étrange expérience : ses paroles, faits et gestes sont désormais contrôlés par un jeu vidéo. Sa vie dépend alors du bon vouloir de trois étudiants d’école de commerce.
Au même moment, une affaire de trafic de drogue amène l’inspecteur Alexandre Rochas à se pencher sur les comptes d’une grande société française d’assurances. Un scandale approche.
Lorsque l’ambition prend le dessus sur la raison, qui saura faire la part entre le réel et le jeu ?
L’individu en jeu vous mènera dans une course trépidante jusqu’à l’extrême limite du pouvoir de l’homme sur l’homme.
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L'individu en jeu - Jean-David Sigaux
PROLOGUE
Paris XIVe, Rue Froidevaux, mi-mars.
Il parcourut d’un œil distrait le mémo du réfrigérateur puis s’arrêta brusquement à un mot : «Assurance ». Le choc était trop fort, il lui fallait s’asseoir. Il regagna son bureau et se laissa tomber sur le siège en cuir. Tout tournait autour de lui : la table en verre, la pile de documents, les schémas scotchés au mur, la lampe halogène. Le tout avançait et reculait dans son champ de vision. Son cœur battait, battait fort. Et les tempes, oh les tempes ! Si Rochas avait été plus lucide, il aurait pu comprendre l’origine de cette agitation intérieure. Mais il venait d’être la victime d’un de ces moments où le cerveau va trop vite et saute des étapes du raisonnement au grand dam de l’entendement souvent laissé loin derrière. Il tourna mécaniquement la tête vers la fenêtre. Il faisait nuit, une nuit sombre, une nuit sans lune, une nuit à peine dérangée par une multitude de minuscules lumières, celles du Paris mal éclairé, et qui telles des lucioles tentent chaque nuit de contrecarrer les plans de la nature et d’instaurer le jour, là où la Création avait prévu le noir.
Il reprit enfin ses esprits et se leva en s’aidant des accoudoirs du siège. Pourquoi s’était-il levé ? Pour aller où ? Il quitta sa chambre, les jambes encore frêles, et se rendit dans le salon. Il s’empara d’un magazine qui se trouvait sur la table basse, le parcourut puis le reposa : non, ce n’était pas ça. Il passa en revue sa collection de cassettes vidéo : non plus. Il examina le piano ; toujours pas.
Il décida alors de se montrer un peu plus fin : il s’assit sur le canapé, alluma la télévision et regarda le journal télévisé de minuit d’un air nonchalant. La ruse fonctionna. Il se leva brusquement, se rua sur son bureau, saisit un gros dossier jaune, l’ouvrit, étala par terre le contenu, se pencha, lut. Et en une fraction de seconde tout devint clair : « ça y est ! Il existe bien un point commun entre les entreprises du réseau ! Elles sont toutes clientes de la même compagnie d’assurances, l’UAC ! ».
Dans l’euphorie de la victoire, il donna de la paume droite un violent coup sur la table de travail, ce qui fit voler des feuilles et voltiger son stylo dont la chute laissa sur la moquette grise une légère tache d’encre, comme une marque dans l’histoire. Il n’en pouvait plus, il étouffait, il aurait aimé avoir quelqu’un avec qui partager cette découverte, n’importe qui, n’importe quoi, un poisson rouge. Il envisagea d’appeler un collègue, et pourquoi pas Jeanmaire ? Mais il se souvint qu’il fallait rester prudent: un mot de trop au mauvais interlocuteur et c’en était fini. De plus, qui pouvait-il appeler à cette heure avancée de la nuit ?
Déçu, Rochas se rassit sur le siège en cuir qui, un moment auparavant, l’avait sauvé d’une chute assurée. Il s’assit donc et se mit à penser à une stratégie. Il avait besoin de plus d’informations, ces informations n’étaient sûrement pas accessibles au public. Il lui fallait avant tout obtenir la liste des clients de la compagnie d’assurances car les comptes auraient bien pu être trafiqués. Il devait donc avoir recours à une aide, quelqu’un qui saurait lui fournir toutes les données nécessaires. Quelqu’un de compétent, oui, la compétence aurait vraiment une place centrale dans cette affaire. Et pourquoi ne pas demander à… Il prit son téléphone portable, rechercha le nom dans son carnet d’adresses et appuya sur la touche verte. Quelques secondes passèrent puis une voix endormie se fit entendre :
— Allo ?
— Agent Tomczak ? Ici lieutenant Rochas. Vous avez une minute ?
***
Paris Expo, Salon annuel du Jeu vidéo, fin mai.
— D’accord, on t’attend, lui répondirent Maxime et Jean-Marie.
Daniel quitta ses deux camarades et tenta de se frayer un chemin. Depuis l'ouverture du salon du jeu vidéo, la circulation n'avait cessé de se détériorer dans l'allée principale devenue, en quelques heures, impraticable, bouchée par une foule hétéroclite d'enfants, d'adolescents et de personnes d'âge mûr. Les uns découvraient avec stupéfaction le monde des jeux vidéo, les autres regrettaient leur jeunesse passée.
Le jeune homme arriva à destination. La présentation avait pris fin et la vaste salle était désormais vide et sombre, éclairée par un unique filet de lumière ayant trouvé sa voie à travers les deux longs rideaux noirs. Daniel entra et parcourut méticuleusement le premier rang, regardant sous les tables et les chaises. Rien. L’étudiant entama alors la seconde rangée et fut plus chanceux : par terre, vers la fin de la rangée, gisait un stylo-plume bleu. Daniel se baissa, le ramassa, leva la tête et sursauta. Dans le noir, une femme l'observait, près de la porte.
La femme, jusque là immobile, s'approcha. Sa courte taille, son corps difforme et ses cheveux courts auraient fait volontiers d’elle l’aîné des Dalton si son maquillage ainsi que son tailleur ne l’éloignaient quelque peu du personnage de bande dessinée. Elle portait à la main gauche une sacoche. Il la reconnut. Daniel l'avait vue à un des stands, dans l’enceinte du forum. Elle s’arrêta à deux pas de l’étudiant. La femme se présenta — elle travaillait pour un éditeur de jeux vidéo — puis sortit de la sacoche une petite pochette noire en carton ainsi qu’une feuille de papier. La pochette était celle d’un DVD-rom qui contenait, disait-elle, une version temporaire d'un nouveau jeu à venir. Pour obtenir le DVD, Daniel n’avait qu’à inscrire son nom et son adresse e-mail sur la feuille qu’elle tendit.
— C’est quel type de jeu ? demanda Daniel.
— C’est un jeu spécial.
— Mais encore ?
— Ce jeu permet de contrôler des personnages, de commander leurs actions. Le joueur assiste aux moindres détails de leur vie intime, les voit grandir, les voit vieillir, les sauve ou les damne, leur donne des phobies ou des passions, les fait jouir ou souffrir, aimer ou haïr, leur pardonne ou leur inflige la mort. Bref, le contrôle et la domination : voilà ce qui attend le joueur d' « Avatar » !
Surpris, un temps hésitant, Daniel prit le stylo qu’on lui tendait. La feuille était vierge. L’étudiant écrivit:
Daniel Fain.
Fain.d@hec-ecole.fr
À peine eut-il ajouté son nom et son adresse e-mail que la vendeuse lui arracha la feuille des mains et lui remit le DVD.
— Jouez à ce jeu, jeune homme, vous ne le regretterez pas.
Daniel esquissa un vague signe de tête en guise de remerciement, rangea la pochette et partit rejoindre ses amis.
La femme le suivit du coin de l’œil.
PREMIERE PARTIE
Jeudi 11 juin
CHAPITRE 1
Ah, Jouy-en-Josas ! Ce n’est pas son petit commerce de proximité, son bureau de poste et sa gare de RER qui la rendent célèbre. Non : c’est son campus. La ville abrite, en effet, l’un des plus grands campus de France : celui de l’école HEC qui chaque année accepte en son sein un nombre limité d’étudiants pour les transformer, trois ou quatre ans plus tard, en cadres supérieurs avertis, financiers bilingues ou entrepreneurs ingénieux.
Le visiteur qui souhaite parcourir le campus passe tout d’abord par une barrière d’entrée qui affiche les drapeaux et emblèmes de l’école. Une fois les formalités d’admission remplies, il arrive à un rond-point : à l’ouest, il lui faudra emprunter une longue route en pente qui finira par le mener à un grand lac autour duquel les étudiants organisent des pique-niques au printemps. Au nord, se dresse le Bâtiment des Etudes, familièrement appelé «Batzet», et qui abrite les salles de cours, les bureaux de l’administration ainsi que la bibliothèque.
Un petit chemin de gravier mène à la cafétéria qui, de nuit, se transforme en bar ou en discothèque. Un peu plus loin, le restaurant universitaire et un embranchement dont l’un des chemins mène à un immeuble de trois étages : le bâtiment E.
C’est là qu’au matin du jeudi 11 juin on entendit sonner un réveil, au dernier étage…
Daniel se réveilla en sursaut. Il tendit le bras gauche et parvint à atteindre son réveil. 7h30 ? Il était en retard ! Il repoussa les draps, bascula sur le côté et se dressa de toute sa mince taille. Il resta un moment ahuri, debout et à moitié nu, comme oubliant la raison de ce réveil précipité, ses yeux verts encore embrumés par le sommeil. Les rayons du soleil pénétraient déjà, révélant les nombreuses taches du bureau en bois adossé à la fenêtre et donnant aux murs de la petite chambre une couleur orangée.
La lumière tira Daniel de sa torpeur.
— Ah oui, l’exposé !
Il se lança vers la commode et ne manqua pas, comme toujours, de se cogner contre la chaise. La douleur fut longue à se faire sentir : le demi-sommeil, dans lequel il était, jouait encore le rôle d’anesthésiant. Il saisit dans le premier tiroir un polo à manches courtes qu’il déplia et substitua au tee-shirt gris qui lui servait de pyjama. Il décida d’enfiler le jean de la veille qu’il avait négligemment laissé sur la chaise. Ses chaussures de cuir l’attendaient près de la porte.
Il allait les mettre sans chaussettes puis sortir lorsqu’il eut un pressentiment. Daniel alla au bureau et alluma son ordinateur. Un petit rectangle bleu apparut à l’écran et une sonnerie aiguë se fit entendre, indiquant la réception d’un nouvel e-mail. C’était bien ce qu’il pensait. Daniel ouvrit le message et le lut rapidement.
— C’était prévu ! dit-il à voix haute en refermant son logiciel de messagerie et en faisant de courts allers-retours entre le bureau et la commode.
Maxime avait repoussé à 9h la séance de travail. Il s’était donc levé trop tôt, pour rien. Mais qu’allait-il bien pouvoir faire ? Il n’allait, de toute façon, pas rester dans la chambre; il en était hors de question ! Il se dirigea donc vers la porte puis enfila ses chaussures.
La petite sonnerie aiguë de l’ordinateur retentit à nouveau : un nouvel e-mail était arrivé. Comment ? Allaient-ils maintenant annuler complètement la séance de travail ? Manifestement contrarié, Daniel retourna à son bureau et cliqua sur le rectangle bleu. Il fut surpris de voir que, contrairement à ce qu’il pensait, le nouvel e-mail n’était pas de Maxime ou de Jean-Marie mais provenait d’un expéditeur inconnu. Daniel se garda bien de l’ouvrir et le mit à la poubelle. Un autre e-mail arriva alors. Toujours du même expéditeur. Seulement, contrairement au précédent, celui-ci portait un titre : « Daniel, ouvrez-moi ! »
Devait-il l’ouvrir ? Le jeune homme réfléchit un instant, mais, reportant sa décision à plus tard, prit sa sacoche puis sortit.
Et d’abord, qui pouvait bien être cet expéditeur ?
CHAPITRE 2
Vraiment ? Elle, Valérie, allait devoir travailler dans un bureau ? Pour une compagnie d’assurances ? En haut d’une tour ? Mais comment en était-elle arrivée là ? Comment était-ce possible ? Et puis, combien de temps y resterait-elle ? Une semaine ? Un mois ? Un an ?
C’était debout, en chemise de nuit et au milieu de la salle de bain, que la jeune femme passait en revue ces interminables réflexions ressassées depuis quelques semaines déjà, depuis qu’elle avait appris le succès de sa candidature. Les minutes passaient et elle devait bientôt se rendre au bureau pour son premier jour de travail. Il s’agissait donc de ne pas traîner et de faire une rapide toilette. Elle souleva, de sa main droite, la chemise de nuit, découvrant sa poitrine caressée par l’étoffe de soie. Puis elle s’aida de son autre main pour passer l’encolure et se retirer du vêtement qu’elle posa sur le radiateur.
Et en plus pour l’UAC, une compagnie d’assurances ! Valérie ne pouvait concevoir une activité plus rébarbative que celle d’assureur. Peut-être banquier… et encore ! Enfant, les soirées qu’elle redoutait le plus étaient, certainement, celles où son père ramenait à la maison des collègues qui ne faisaient que parler de techniques financières, laissant à demi-mortes d’ennui la maîtresse de maison et sa fille.
Elle introduisit ses deux pouces dans la dentelle et tira délicatement dessus. Ses fesses se trouvèrent nues, puis ce fut au tour de son corps tout entier. Exposée à la relative fraîcheur de la salle, Valérie sentit un frisson courir le long de ses reins.
Enfin bon, il fallait bien gagner sa vie et elle n’avait, en quelque sorte, pas le choix. Ce ne serait que temporaire; un mauvais moment à passer, voilà tout. Si elle se débrouillait bien, en deux ou trois mois, elle pouvait même donner sa démission et partir alors à la recherche d’un poste plus épanouissant. En province, peut-être.
Valérie se dirigeait vers la cabine de douche lorsque son regard croisa le miroir du lavabo. Elle ne put s’empêcher de s’observer. Elle avait un visage lisse, net et des traits fins. Ses yeux bleu-roi, ses minuscules cils, les légers traits noirs de ses sourcils donnaient à son visage un air encore enfantin. Ses longs cheveux blonds, quelque peu décoiffés, reposaient sur ses épaules, touchant ses seins qui pointaient plus que d’habitude sous l’effet de la fraîcheur.
Comment avait-elle tout de même pu obtenir cet emploi ? Certes, il ne s’agissait pas d’un poste important. Mais elle n’avait aucune expérience en marketing. Enfin, ça, ils ne le savaient pas : elle avait trafiqué avec soin son CV. Et puis la robe légère qu’elle avait mise ce jour-là et son décolleté y étaient certainement pour quelque chose…
Elle s’introduisit dans la cabine de douche, leva doucement la